61987J0308

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 27 mars 1990. - Alfredo Grifoni contre Communauté européenne de l'énergie atomique. - Recours en responsabilité - Responsabilité extracontractuelle - Chute d'un bâtiment. - Affaire C-308/87.

Recueil de jurisprudence 1990 page I-01203


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Dispositif

Mots clés


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1 . Responsabilité non contractuelle - Conditions - Illicéité - Préjudice - Lien de causalité

( Traité CEEA, art . 151 et 188, alinéa 2 )

2 . Responsabilité non contractuelle - Responsabilité de la Communauté engagée à l' occasion de travaux sur un immeuble, en raison de l' inobservation de la réglementation locale en matière de sécurité du travail - Faute de la victime ayant concouru à la réalisation de son dommage - Partage de responsabilité - Obligation d' indemnisation à la charge de la Communauté à hauteur de sa part de responsabilité

( Traité CEEA, art . 151 et 188, alinéa 2 )

Sommaire


1 . L' engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté et la mise en oeuvre du droit à la réparation du préjudice subi sont subordonnés à la réunion d' un ensemble de conditions en ce qui concerne l' illégalité du comportement reproché aux institutions communautaires, la réalité du dommage et l' existence d' un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué .

2 . Dans une hypothèse où, à l' occasion de travaux effectués sur un immeuble, la responsabilité de la Communauté est engagée sur le fondement de l' article 188, deuxième alinéa, du traité CEEA, en raison de l' inobservation de la réglementation locale en matière de sécurité du travail, mais où la victime a contribué partiellement à la réalisation de son dommage, en ne faisant pas preuve de la diligence à laquelle elle était tenue, il y a lieu d' opérer un partage de responsabilité et de limiter l' obligation d' indemnisation qui pèse sur la Communauté à hauteur de sa part de responsabilité .

Parties


Dans l' affaire C-308/87,

Alfredo Grifoni, propriétaire de l' entreprise du même nom, domicilié à Ispra, Varèse ( Italie ), via G . Galilei, représenté et assisté par Mes Michele Tamburini et Franco Colussi, avocats au barreau de Milan, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de ce dernier, 36, rue de Wiltz,

partie requérante,

contre

Communauté européenne de l' énergie atomique ( CEEA ), représentée par la Commission des Communautés européennes, défendue par M . Sergio Fabro, membre du service juridique, en qualité d' agent, assisté de Me Paolo de Caterini, avocat au barreau de Rome, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M . Georgios Kremlis, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet de faire reconnaître la responsabilité de la Communauté européenne de l' énergie atomique pour le dommage subi par le requérant, à la suite d' un accident dont il a été victime, et, partant, de condamner la Communauté européenne de l' énergie atomique à la réparation dudit dommage,

LA COUR ( sixième chambre ),

composée de MM . C . N . Kakouris, président de chambre, T . Koopmans, G . F . Mancini, T . F . O' Higgins, M . Díez de Velasco, juges,

avocat général : M . G . Tesauro

greffier : M . H . A . Ruehl, administrateur principal

vu le rapport d' audience,

ayant entendu les représentants des parties en leur plaidoirie à l' audience du 7 novembre 1989,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 12 décembre 1989,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 9 octobre 1987, M . Alfredo Grifoni, propriétaire d' une entreprise spécialisée dans la prestation de services de ferblanterie et de ferronnerie, a introduit, en vertu de l' article 151 et de l' article 188, deuxième alinéa, du traité CEEA, un recours en indemnité dirigé contre la Communauté européenne de l' énergie atomique, représentée par la Commission des Communautés européennes . Ce recours a pour objet de faire reconnaître la responsabilité de la Commission pour le préjudice que le requérant aurait subi à la suite d' un accident ayant eu lieu dans les locaux du Centre commun de recherche de la Commission à Ispra ( ci-après "Centre ") et, partant, de la faire comdamner à la réparation dudit préjudice .

2 M . Grifoni expose que, étant l' adjudicataire d' un marché ayant pour objet l' exécution de certains travaux de ferblanterie et de ferronnerie à effectuer à la station météorologique du Centre, il s' est rendu dans les locaux de celui-ci, le 20 octobre 1985, et, accompagné d' un agent du Centre, il est monté sur le toit-terrasse de la station météorologique, situé à une hauteur d' environ 4,50 mètres, afin de procéder à des relevés . La chute qu' il a faite lui aurait causé des lésions corporelles graves .

3 M . Grifoni soutient que la Commission est, selon l' article 188, deuxième alinéa, du traité, responsable de l' accident, en raison du fait qu' elle a omis de prendre les mesures de sécurité qui s' imposaient afin de prévenir l' accident .

4 Pour un plus ample exposé des faits du litige, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d' audience . Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour .

5 Selon l' article 188, deuxième alinéa, du traité, en matière de responsabilité non contractuelle, la Communauté doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l' exercice de leurs fonctions .

6 Selon une jurisprudence constante de la Cour, l' engagement de la responsabilité extracontractuelle de la Communauté et la mise en oeuvre du droit à la réparation du préjudice subi sont subordonnés à la réunion d' un ensemble de conditions en ce qui concerne l' illégalité du comportement reproché aux institutions communautaires, la réalité du dommage et l' existence d' un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué ( voir, notamment, l' arrêt du 4 mars 1980, Pool, 49/79, Rec . p . 569 ).

7 En l' espèce, la réalité du préjudice n' est pas contestée . Il convient donc d' examiner le caractère illicite du comportement de la Commission et le lien de causalité entre ce comportement et le préjudice subi par M . Grifoni .

8 Quant au comportement reproché à la Commission, il convient d' abord de relever que toute institution de la Communauté qui procède à la réalisation de travaux de construction ou d' entretien de bâtiments est tenue de respecter les dispositions relatives à la sécurité en matière de travail, telles qu' elles sont applicables au lieu où ces travaux sont effectués . C' est ainsi que, pour ce qui est des travaux effectués au Centre d' Ispra, la Commission était obligée d' observer les dispositions de la législation italienne en la matière .

9 Cette obligation de respecter les dispositions italiennes est d' ailleurs expressément prévue à l' article 31 de l' annexe F de l' accord du 22 juillet 1959 entre la République italienne et la CEEA et mis en application par la loi n° 906 du 1er août 1960 relative à l' approbation et à l' exécution de l' accord entre le gouvernement italien et la Commission européenne de l' énergie atomique ( Euratom ) pour l' institution d' un Centre commun de recherche nucléaire de compétence générale, conclu à Rome le 22 juillet 1959 ( GURI n° 212 du 31.8.1960 ); cet article prévoit que la Commission applique, sous sa seule responsabilité, les dispositions italiennes relatives à l' hygiène et à la sécurité du travail .

10 La Commission fait valoir qu' en l' espèce l' article 31 de l' annexe F de l' accord, précité, n' est pas applicable, parce qu' il concerne le rapport de travail entre le Centre et certains de ses propres employés, alors que M . Grifoni n' était pas un agent du Centre .

11 Cet argument ne saurait être retenu . En effet, les règles italiennes de sécurité que la Commission est tenue d' observer en application de cette disposition sont destinées à protéger tous ceux qui sont exposés à des risques de chute dans les locaux du Centre .

12 Parmi les dispositions italiennes en matière d' accident du travail, il convient de rappeler, en particulier, l' article 10 du décret n° 164 du président de la République, du 7 janvier 1956, relatif aux normes pour la prévention des accidents du travail dans les constructions ( GURI n° 78 du 31.3.1956 ), qui impose à la Commission de munir obligatoirement d' une ceinture de sécurité appropriée ceux qui effectuent des travaux comportant des risques de chute, et les articles 26 et 27 du décret n° 547 du président de la République, du 27 avril 1955, portant normes de prévention des accidents du travail ( GURI n° 158 du 12.7.1956 ), qui obligent la Commission à équiper d' un parapet les lieux de travail surélevés .

13 En l' espèce, il ressort du dossier que la Commission a omis de prendre les mesures de sécurité prévues par la législation italienne, précitée, pour prévenir les risques de chute dont peuvent être victimes les personnes effectuant des travaux sur le toit-terrasse du Centre .

14 Il y a donc lieu de conclure que le comportement de la Commission, qui a omis de faire toute diligence concernant les mesures de sécurité nécessaires à la prévention de l' accident dont le requérant a été victime, est illicite .

15 Quant au lien de causalité entre l' omission de la Commission et la chute du requérant, la Commission fait valoir que le dommage subi par M . Grifoni est entièrement imputable à sa propre négligence .

16 Ce moyen ne saurait être accueilli que partiellement . Il y a lieu d' observer à cet égard que, d' une part, l' omission de la Commission de prendre les mesures de sécurité précitées a contribué à la réalisation du préjudice, mais que, d' autre part, le requérant n' a pas non plus fait preuve de la diligence nécessaire à sa propre protection lors de l' accomplissement de son travail qui consistait alors à procéder à des relevés . En effet, M . Grifoni, étant l' adjudicataire des travaux et un spécialiste en la matière, aurait dû prendre les précautions nécessaires en refusant, le cas échéant, d' effectuer les relevés avant que les mesures de protection aient été mises en place .

17 Dans ces circonstances, le préjudice subi ne trouve pas sa cause exclusive dans le comportement de la Commission, mais également dans celui du requérant qui, bien qu' il eût pu éviter l' accident par la diligence requise, ne l' a pas fait, et a ainsi contribué partiellement à sa réalisation . Il convient, par conséquent, de répartir la responsabilité en cause en parts égales entre les deux parties .

18 Il résulte de l' ensemble des considérations qui précèdent qu' il y a lieu de condamner la Commission à réparer, à concurrence de 50 %, le préjudice subi par le requérant en raison de l' accident dont il a été victime dans les circonstances précitées . Il convient de réserver la détermination du montant de la réparation soit au commun accord des parties, soit à la Cour à défaut d' un tel accord .

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR ( sixième chambre ),

statuant avant faire droit, déclare et arrête :

1)La Commission est condamnée à réparer, à concurrence de 50 %, le préjudice subi par le requérant par suite de sa chute du toit-terrasse de la station météorologique du Centre commun de recherche à Ispra .

2 ) Le recours est rejeté pour le surplus .

3)Les parties transmettront à la Cour, dans un délai de six mois après le prononcé de l' arrêt, les chiffres du montant de la réparation, établis d' un commun accord .

4 ) A défaut d' accord, les parties feront parvenir à la Cour, dans le même délai, leurs conclusions chiffrées .

5 ) Les dépens sont réservés .