61998J0017

Arrêt de la Cour du 8 février 2000. - Emesa Sugar (Free Zone) NV contre Aruba. - Demande de décision préjudicielle: Arrondissementsrechtbank 's-Gravenhage - Pays-Bas. - Régime d'association des pays et territoires d'outre-mer - Décision 97/803/CE - Importations de sucre - Cumul d'origine ACP/PTOM - Appréciation de validité - Juridiction nationale - Mesures provisoires. - Affaire C-17/98.

Recueil de jurisprudence 2000 page I-00675


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


1 Association des pays et territoires d'outre-mer - Mise en oeuvre par le Conseil - Décision 91/482 - Révision à mi-parcours - Délai retenu - Incidence sur la compétence du Conseil au titre de l'article 136 du traité (devenu, après modification, article 187 CE) - Absence

(Traité CE, art. 132 (devenu art. 183 CE) et art. 136 (devenu, après modification, art. 187 CE); décision du Conseil 91/482, art. 240, § 3)

2 Droit communautaire - Principes - Protection de la confiance légitime - Limites - Modification de la réglementation relative à l'association des pays et territoires d'outre-mer - Pouvoir d'appréciation des institutions - Affirmation contenue dans une brochure de vulgarisation dépourvue de valeur juridique - Absence d'incidence

(Décision du Conseil 91/482)

3 Association des pays et territoires d'outre-mer - Mise en oeuvre par le Conseil - Établissement des dispositions régissant les modalités et la procédure de l'association - Adoption de différentes décisions successives - Diminution, en cas de nécessité, de certains avantages précédemment octroyés aux pays et territoires associés - Admissibilité

(Traité CE, art. 40, 43 et 136, al. 2 (devenus, après modification, art. 34 CE, 37 CE et 187, al. 2, CE) et art. 41 et 42 (devenus art. 35 CE et 36 CE))

4 Association des pays et territoires d'outre-mer - Mise en oeuvre par le Conseil - Fixation d'un contingent pour les importations de sucre bénéficiaire du régime de cumul d'origine ACP/PTOM - Violation des articles 133, paragraphe 1, et 136, second alinéa, du traité (devenus, après modification, articles 184, paragraphe 1, CE et 187, second alinéa, CE) - Absence

(Traité CE, art. 133, § 1, et 136, al. 2 (devenus, après modification, art. 184, § 1, CE et 187, al. 2, CE); décisions du Conseil 91/482, art. 108 ter, et 97/803)

5 Association des pays et territoires d'outre-mer - Mise en oeuvre par le Conseil - Fixation d'un contingent pour les importations de sucre bénéficiaire du régime de cumul d'origine ACP/PTOM - Principe de proportionnalité - Violation - Absence

(Décisions du Conseil 91/482, art. 108 ter, et 97/803)

6 Actes des institutions - Application par les juridictions nationales - Faculté de prescrire des mesures provisoires en cas de violation imminente du droit communautaire - Conditions - Prescription à l'égard d'une autorité d'un pays ou territoire d'outre-mer - Admissibilité

Sommaire


1 Si l'article 240, paragraphe 3, de la décision 91/482, relative à l'association des pays et territoires d'outre-mer (PTOM), prévoit que, avant l'expiration de la première période de cinq ans, le Conseil arrête, le cas échéant, les modifications éventuelles à apporter à l'association des PTOM à la Communauté, il ne saurait priver le Conseil de la compétence, qu'il tire directement du traité, de modifier les actes qu'il a adoptés au titre de l'article 136 de celui-ci (devenu, après modification, article 187 CE) aux fins de réaliser l'ensemble des objectifs énoncés à l'article 132 dudit traité (devenu article 183 CE). (voir point 33)

2 Si le respect de la confiance légitime s'inscrit parmi les principes fondamentaux de la Communauté, les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d'une situation existante qui peut être modifiée dans le cadre du pouvoir d'appréciation des institutions communautaires, et cela spécialement dans un domaine comme celui des organisations communes de marchés, dont l'objet comporte une constante adaptation en fonction des variations de la situation économique.

Il doit en être a fortiori ainsi lorsque les prétendues attentes des opérateurs économiques ont été suscitées par une brochure de vulgarisation, dépourvue de toute valeur juridique, telle une brochure d'information diffusée en octobre 1993 par la Commission et dans laquelle il était affirmé que la décision 91/482, relative à l'association des pays et territoires d'outre-mer, était applicable pendant dix ans. Au demeurant, lors de la parution de ladite brochure, la Commission était parfaitement en droit d'affirmer que cette décision avait été adoptée pour une période de dix années, sans devoir rendre compte, dans un tel document, d'éventuelles modifications à intervenir. (voir points 34-35)

3 Si le processus dynamique et progressif dans lequel s'inscrit l'association des pays et territoires d'outre-mer (PTOM) à la Communauté requiert qu'il soit tenu compte par le Conseil des réalisations acquises grâce à ses décisions antérieures, il n'en demeure pas moins que le Conseil, lorsqu'il arrête des mesures au titre de l'article 136, second alinéa, du traité (devenu, après modification, article 187, second alinéa, CE), doit tenir compte à la fois des principes figurant dans la quatrième partie de celui-ci et des autres principes du droit communautaire, y compris ceux qui se rapportent à la politique agricole commune.

En effectuant la mise en balance des différents objectifs fixés par le traité, tout en tenant compte globalement des réalisations acquises sur le fondement de ses décisions antérieures, le Conseil, qui dispose, à cet effet, d'un large pouvoir d'appréciation, correspondant aux responsabilités politiques que lui confèrent les articles 40 du traité (devenu, après modification, article 34 CE), 41 et 42 du traité (devenus articles 35 CE et 36 CE), 43 du traité (devenu, après modification, article 37 CE) et 136 du traité, peut être amené, en cas de nécessité, à diminuer certains avantages précédemment octroyés aux PTOM. Il doit en être autant plus ainsi lorsque les avantages dont il s'agit présentent un caractère extraordinaire par rapport aux règles de fonctionnement du marché communautaire. (voir points 38-39, 41)

4 La validité de la mesure prévue à l'article 108 ter de la décision 91/482, relative à l'association des pays et territoires d'outre-mer (PTOM), inséré par la décision 97/803, ne saurait être mise en cause au regard des articles 133, paragraphe 1, et 136, second alinéa, du traité (devenus, après modification, articles 184, paragraphe 1, CE et 187, second alinéa, CE) au motif qu'elle fixe un contingent sur les importations de sucre bénéficiaire du régime de cumul d'origine ACP/PTOM.

D'une part, en effet, s'agissant du commerce du sucre, le démantèlement tarifaire intracommunautaire n'est intervenu qu'à la suite de l'établissement d'une organisation commune du marché de ce produit, lequel a impliqué la mise en place d'un tarif extérieur commun parallèlement à la fixation d'un prix minimal applicable dans tous les États membres, afin notamment d'éliminer les distorsions de concurrence. Aussi, en l'absence de toute politique agricole commune entre les PTOM et la Communauté, des mesures visant à éviter des distorsions de concurrence ou des perturbations du marché communautaire, qui peuvent prendre la forme d'un contingent tarifaire, ne sauraient-elles, du simple fait de leur adoption, être considérées comme contraires à l'article 133, paragraphe 1, du traité.

D'autre part, l'article 136, second alinéa, du traité prévoit expressément que l'action du Conseil doit se poursuivre «à partir des réalisations acquises et sur la base des principes inscrits dans le présent traité». Parmi ces principes figurent ceux qui se rapportent à la politique agricole commune, de sorte qu'il ne saurait être reproché au Conseil d'avoir pris en compte, dans le cadre de la mise en oeuvre de cette disposition, les exigences de la politique agricole commune. (voir points 47-50)

5 La mesure contenue à l'article 108 ter de la décision 91/482, relative à l'association des pays et territoires d'outre-mer (PTOM), inséré par la décision 97/803, et consistant en l'introduction d'un contingent pour les importations de sucre bénéficiant du cumul d'origine ACP/PTOM, ne saurait être considérée comme contraire au principe de proportionnalité.

En effet, dans un domaine comme celui de l'association des pays et territoires d'outre-mer, où les institutions communautaires disposent d'un large pouvoir d'appréciation, seul le caractère manifestement inapproprié d'une mesure par rapport à l'objectif poursuivi peut affecter la légalité d'une telle mesure. La limitation du contrôle de la Cour s'impose particulièrement lorsque le Conseil est amené à opérer des arbitrages entre des intérêts divergents et à prendre ainsi des options dans le cadre des choix politiques relevant de ses responsabilités propres. Dans ce contexte, on ne saurait considérer que l'introduction du contingent fixé par l'article 108 ter précité excédait manifestement ce qui était nécessaire pour atteindre les objectifs fixés par le Conseil. (voir points 53-54, 58)

6 Des mesures provisoires à l'égard d'une autorité non communautaire ne peuvent être prescrites par une juridiction nationale en cas de violation imminente du droit communautaire que:

- si cette juridiction a des doutes sérieux sur la validité des dispositions communautaires mises en oeuvre par cette autorité et si, dans l'occurrence où la Cour ne serait pas déjà saisie de la question de la validité des dispositions contestées au principal, ladite juridiction la lui renvoie elle-même;

- s'il y a urgence et si le requérant est menacé d'un préjudice grave et irréparable, et

- si cette juridiction prend dûment en compte l'intérêt de la Communauté.

La circonstance que de telles mesures provisoires seraient prescrites à l'égard d'une autorité d'un pays ou territoire d'outre-mer par une juridiction d'un État membre, conformément aux dispositions de son ordre juridique interne, n'est pas de nature à modifier les conditions dans lesquelles la protection provisoire des particuliers doit être assurée devant les juridictions nationales lorsque la contestation est fondée sur le droit communautaire. (voir point 73, disp. 2)

Parties


Dans l'affaire C-17/98,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par le président de l'Arrondissementsrechtbank te 's-Gravenhage (Pays-Bas) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Emesa Sugar (Free Zone) NV

et

Aruba,

une décision à titre préjudiciel sur la validité de la décision 97/803/CE du Conseil, du 24 novembre 1997, portant révision à mi-parcours de la décision 91/482/CEE relative à l'association des pays et territoires d'outre-mer à la Communauté économique européenne (JO L 329, p. 50),

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, J. C. Moitinho de Almeida et D. A. O. Edward, présidents de chambre, P. J. G. Kapteyn, J.-P. Puissochet, G. Hirsch, P. Jann, H. Ragnemalm et M. Wathelet (rapporteur), juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

- pour Emesa Sugar (Free Zone) NV, par Me G. van der Wal, avocat au barreau de Bruxelles,

- pour le gouvernement d'Aruba, par Mes P. V. F. Bos et M. M. Slotboom, avocats au barreau de Rotterdam,

- pour le gouvernement espagnol, par Mme M. López-Monís Gallego, abogado del Estado, en qualité d'agent,

- pour le gouvernement français, par Mme K. Rispal-Bellanger, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et M. C. Chavance, secrétaire des affaires étrangères à la même direction, en qualité d'agents,

- pour le gouvernement italien, par M. le professeur U. Leanza, chef du service du contentieux diplomatique du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, assisté de M. D. Del Gaizo, avvocato dello Stato,

- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme S. Ridley, du Treasury Solicitor's Department, en qualité d'agent, assistée de M. K. Parker, QC,

- pour le Conseil de l'Union européenne, par MM. J. Huber et G. Houttuin, membres du service juridique, en qualité d'agents,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. T. van Rijn, conseiller juridique, en qualité d'agent,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales d'Emesa Sugar (Free Zone) NV, du gouvernement d'Aruba, des gouvernements espagnol, français et italien, ainsi que du Conseil et de la Commission, à l'audience du 16 mars 1999,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 1er juin 1999,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par ordonnance du 19 décembre 1997, parvenue à la Cour le 23 janvier 1998, le président de l'Arrondissementsrechtbank te 's-Gravenhage a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), douze questions préjudicielles relatives à la validité de la décision 97/803/CE du Conseil, du 24 novembre 1997, portant révision à mi-parcours de la décision 91/482/CEE relative à l'association des pays et territoires d'outre-mer à la Communauté économique européenne (JO L 329, p. 50).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Emesa Sugar (Free Zone) NV (ci-après «Emesa») aux autorités d'Aruba à propos des conditions d'importation dans la Communauté de quantités de sucre qu'Emesa transforme et emballe sur cette île.

Le cadre juridique

3 En vertu de l'article 3, sous r), du traité CE [devenu, après modification, article 3, paragraphe 1, sous s), CE)], l'action de la Communauté comporte l'association des pays et territoires d'outre-mer (ci-après les «PTOM»), «en vue d'accroître les échanges et de poursuivre en commun l'effort de développement économique et social».

4 Aruba fait partie des PTOM.

5 L'association de ces derniers à la Communauté est régie par la quatrième partie du traité CE.

6 Aux termes de l'article 131, deuxième et troisième alinéas, du traité CE (devenu, après modification, article 182, deuxième et troisième alinéas, CE):

«Le but de l'association est la promotion du développement économique et social des pays et territoires, et l'établissement de relations économiques étroites entre eux et la Communauté dans son ensemble.

Conformément aux principes énoncés dans le préambule du présent traité, l'association doit en premier lieu permettre de favoriser les intérêts des habitants de ces pays et territoires et leur prospérité, de manière à les conduire au développement économique, social et culturel qu'ils attendent.»

7 À cet effet, l'article 132 du traité CE (devenu article183 CE) énonce un certain nombre d'objectifs, parmi lesquels l'application par les États membres «à leurs échanges commerciaux avec les pays et territoires [du] régime qu'ils s'accordent entre eux en vertu du présent traité».

8 L'article 133, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 184, paragraphe 1, CE) prévoit que les importations originaires des PTOM bénéficient à leur entrée dans les États membres de l'élimination totale des droits de douane intervenue progressivement entre les États membres conformément aux dispositions dudit traité.

9 Selon l'article 136 du traité CE (devenu, après modification, article 187 CE):

«Pour une première période de cinq ans à compter de l'entrée en vigueur du présent traité, une convention d'application annexée à ce traité fixe les modalités et la procédure de l'association entre les pays et territoires et la Communauté.

Avant l'expiration de la convention prévue à l'alinéa ci-dessus, le Conseil statuant à l'unanimité établit, à partir des réalisations acquises et sur la base des principes inscrits dans le présent traité, les dispositions à prévoir pour une nouvelle période.»

10 Sur le fondement de l'article 136, second alinéa, du traité, le Conseil a adopté, le 25 février 1964, la décision 64/349/CEE, relative à l'association des pays et territoires d'outre-mer à la Communauté économique européenne (JO 1964, 93, p. 1472). Cette décision visait à remplacer, à compter du 1er juin 1964, date de l'entrée en vigueur de l'accord interne relatif au financement et à la gestion des aides de la Communauté, signé à Yaoundé le 20 juillet 1963, la convention d'application relative à l'association des PTOM à la Communauté, annexée au traité et conclue pour une durée de cinq ans.

11 Par la suite, plusieurs décisions, relatives à l'association des PTOM à la Communauté économique européenne, ont été adoptées par le Conseil. Le 25 juillet 1991, ce dernier a adopté la décision 91/482/CEE (JO L 263, p. 1, ci-après la «décision PTOM»), qui, selon son article 240, paragraphe 1, est applicable pour une période de dix années à compter du 1er mars 1990. La même disposition, paragraphe 3, sous a) et b), prévoit toutefois que, avant l'expiration de la première période de cinq ans, le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, arrête, le cas échéant, outre les concours financiers de la Communauté, pour la seconde période de cinq ans, les modifications éventuelles à apporter à l'association des PTOM à la Communauté. C'est ainsi qu'a été adoptée par le Conseil la décision 97/803.

12 Dans sa version initiale, l'article 101, paragraphe 1, de la décision PTOM disposait:

«Les produits originaires des PTOM sont admis à l'importation dans la Communauté en exemption de droits de douane et de taxes d'effet équivalent.»

13 L'article 102 de cette même décision prévoyait:

«La Communauté n'applique pas à l'importation des produits originaires des PTOM de restrictions quantitatives ni de mesures d'effet équivalent.»

14 L'article 108, paragraphe 1, premier tiret, de la décision PTOM renvoie à l'annexe II de celle-ci (ci-après l'«annexe II») pour la définition de la notion de produits originaires et des méthodes de coopération administrative qui s'y rapportent. En vertu de l'article 1er de cette annexe, un produit est considéré comme originaire des PTOM, de la Communauté ou des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ci-après les «États ACP») s'il y a été soit entièrement obtenu, soit suffisamment transformé.

15 L'article 3, paragraphe 3, de l'annexe II dresse une liste d'ouvraisons ou de transformations considérées comme insuffisantes pour conférer le caractère originaire à un produit en provenance des PTOM. L'article 6, paragraphe 2, de ladite annexe dispose:

«Lorsque des produits entièrement obtenus dans la Communauté ou dans les États ACP font l'objet d'ouvraisons ou de transformations dans les PTOM, ils sont considérés comme ayant été entièrement obtenus dans les PTOM» (règle dite «de cumul d'origine ACP/PTOM»).

16 En outre, aux termes de l'article 12 de l'annexe II, la preuve de l'origine des produits est apportée par un certificat de circulation des marchandises EUR. 1 (paragraphe 1), délivré par les autorités douanières du PTOM d'exportation (paragraphe 6), qui vérifient si les marchandises peuvent être considérées comme des produits originaires en procédant à tout contrôle jugé utile (paragraphe 7).

17 Dans sa proposition de décision portant révision à mi-parcours de la décision 91/482, adressée le 16 février 1996 au Conseil [COM(95) 739 final, JO C 139, p. 1], la Commission soutenait, aux sixième et septième considérants de cette proposition, que le libre accès pour tous les produits originaires des PTOM et le maintien de la règle de cumul d'origine ACP/PTOM avaient conduit à constater l'existence d'un risque de conflit entre les objectifs de deux politiques communautaires, à savoir le développement des PTOM et la politique agricole commune.

18 Dans le septième considérant de la décision 97/803, faisant suite à cette proposition, le Conseil relève qu'il convient de «prévenir de nouvelles perturbations au moyen de mesures propres à définir un cadre favorable à la régularité des échanges et en même temps compatibles avec la politique agricole commune».

19 À cette fin, la décision 97/803 a inséré dans la décision PTOM notamment l'article 108 ter, qui admet le cumul d'origine ACP/PTOM pour le sucre à concurrence d'une quantité annuelle déterminée. Cet article 108 ter, paragraphes 1 et 2, dispose:

«1. ... le cumul d'origine ACP/PTOM visé à l'article 6 de l'annexe II est admis pour une quantité annuelle de 3 000 tonnes de sucre.

2. Pour la mise en oeuvre des règles de cumul ACP/PTOM visé au paragraphe 1, sont considérés comme suffisants pour conférer le caractère de produits originaires des PTOM le moulage de sucre en morceaux ou la coloration» [sans que soit également mentionnée la mouture du sucre (le «milling»)].

Le litige au principal

20 Depuis le mois d'avril 1997, Emesa exploite une sucrerie à Aruba et exporte du sucre vers la Communauté.

21 Aruba n'étant pas productrice de sucre, celui-ci est acheté à des raffineries de sucre de canne établies à Trinité-et-Tobago, qui est l'un des États ACP. Le sucre acheté est transporté à Aruba, où il fait l'objet d'opérations d'ouvraison et de transformation, à l'issue desquelles le produit est considéré comme fini. Ces opérations consistent à épurer le sucre, à le moudre (opération dite de «milling» consistant à porter le sucre au calibre souhaité en fonction des spécifications données par le client) et à l'emballer. Selon la demanderesse au principal, la capacité annuelle de son usine est de 34 000 tonnes de sucre au moins.

22 Après l'adoption de la décision 97/803, Emesa a introduit une demande en référé devant le président de l'Arrondissementsrechtbank te às-Gravenhage afin qu'il soit interdit:

- à l'État néerlandais de percevoir des droits à l'importation sur le sucre originaire des PTOM qu'elle se proposait d'importer;

- au Hoofdproductschap voor akkerbouwproducten (corporation centrale des produits agricoles, ci-après le «HPA») de refuser de lui délivrer des licences d'importation;

- aux autorités d'Aruba de lui refuser des certificats EUR. 1 pour le sucre qu'elle produit à Aruba, dans la mesure où ces certificats n'auraient pas été refusés sous l'empire de la décision PTOM avant sa modification.

23 Au soutien de ces demandes, la demanderesse au principal a fait valoir en substance que la révision de la décision PTOM, qui, selon elle, devait être qualifiée de restriction quantitative dans la mesure où elle excluait, en fait, les importations de sucre en provenance des PTOM, était contraire au droit communautaire en ce qu'elle rétablissait des restrictions structurelles, non applicables au titre de la décision PTOM, sans que des intérêts communautaires importants pussent justifier de telles corrections après une si brève période d'application et alors même que les effets de la décision PTOM étaient parfaitement prévisibles.

24 Dans son ordonnance de renvoi, le président de l'Arrondissementsrechtbank te &idgrs-Gravenhage a déclaré irrecevables les demandes dirigées contre l'État néerlandais et le HPA au motif que, pour s'opposer à la mise en oeuvre de la décision PTOM, telle que modifiée, Emesa disposait d'une voie de recours administrative devant le College van Beroep voor het Bedrijfsleven; il a, en revanche, fait droit à la demande dirigée contre Aruba. Dans son appréciation provisoire, le juge de renvoi exprime des doutes quant à la légalité de la décision 97/803, notamment au regard des objectifs du régime d'association avec les PTOM, tels qu'ils ressortent des articles 131, 132 et 133 du traité, lesquels seraient de favoriser le développement économique et social des PTOM ainsi que de mettre en place des relations économiques étroites entre ces derniers et la Communauté dans son ensemble; le juge de renvoi doute également de la conformité de la décision 97/803 avec le principe de proportionnalité.

25 Par ailleurs, le juge de renvoi relève qu'Emesa risque de subir un préjudice grave et irréparable, car, si les dispositions litigieuses étaient maintenues, elle devrait fermer son usine dont l'activité vient tout juste de commencer. Selon lui, l'intérêt communautaire ne s'oppose pas, en présence de doutes sérieux quant à la légalité de la modification de la décision PTOM, à une ordonnance de référé permettant à Emesa de poursuivre ses importations dans la Communauté, dès lors surtout que celles-ci sont encore très limitées.

26 Dans ces conditions, le président de l'Arrondissementsrechtbank te 's-Gravenhage a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) La révision à mi-parcours de la décision d'association, au 1er décembre 1997, par décision 97/803/CE du Conseil, du 24 novembre 1997 (JO L 329, p. 50) - plus particulièrement l'article 108 ter, paragraphe 1, ainsi que la suppression du `milling' comme mode de transformation retenu pour l'origine, qu'elle comporte -, est-elle bel et bien proportionnelle?

2) Est-il admissible que ladite décision du Conseil - plus particulièrement l'article 108 ter, paragraphe 1, ainsi que la suppression du `milling' comme mode de transformation retenu pour l'origine, qu'elle comporte - aille dans ses effets restrictifs (nettement) au-delà de ce qui aurait été possible en recourant à des mesures de sauvegarde au titre de l'article 109 de la décision d'association?

3) Le traité CE, en particulier sa quatrième partie, permet-il qu'une décision du Conseil, telle que visée à l'article 136, second alinéa, du traité CE - en l'espèce la décision précitée (97/803/CE) -, comporte des restrictions quantitatives à l'importation ou des mesures d'effet équivalent?

4) La troisième question appelle-t-elle une réponse différente

a) si ces restrictions ou ces mesures prennent la forme de contingents tarifaires ou de restrictions aux règles d'origine ou les deux combinés

ou

b) si les dispositions en question comportent des mesures de sauvegarde ou pas?

5) Découle-t-il du traité CE, en particulier de sa quatrième partie, que, dans le cadre de l'article 136, second alinéa, les réalisations acquises - dans le sens de mesures favorables aux PTOM - ne peuvent plus par la suite être revues ou annulées au détriment des PTOM?

6) Si cela n'est bel et bien plus possible, les décisions en question du Conseil sont-elles alors nulles et les particuliers peuvent-ils alors l'invoquer dans un litige porté devant le juge national?

7) Dans quelle mesure la décision PTOM de 1991 (91/482/CEE, JO L 263, p. 1, et rectificatif dans le JO 1993, L 15, p. 33) doit-elle être réputée s'appliquer sans être revue durant la période de dix ans, visée à son article 240, paragraphe 1, dès lors que le Conseil ne l'a pas révisée avant le terme (de la première période) des cinq premières années, visé au début de l'article 240, paragraphe 3?

8) La décision de révision du Conseil (97/803/CE) heurte-t-elle l'article 133, paragraphe 1, du traité CE?

9) Ladite décision de révision du Conseil est-elle valide au regard des attentes suscitées par la brochure d'information DE 76= d'octobre 1993, diffusée par la Commission, étant donné qu'il y est indiqué à l'endroit de la sixième décision PTOM, à la page 16, que la durée de validité de cette décision est à présent de dix ans (cinq ans auparavant)?

10) L'article 108 ter précité inséré au 1er décembre 1997 est-il à ce point impraticable qu'il doit être réputé invalide?

11) Dans des circonstances telles que celles décrites dans l'arrêt Zuckerfabrik Süderdithmarschen e.a. (C-143/88 et C-92/89) et dans des arrêts ultérieurs, le juge (des référés) national est-il compétent pour prescrire d'emblée une mesure provisoire, en cas de violation imminente du droit communautaire par une instance non communautaire d'exécution désignée par le droit communautaire, pour prévenir pareille violation?

12) En admettant que la onzième question appelle une réponse affirmative et que l'appréciation des circonstances visées sous 11 ne relève pas du juge national mais de la Cour de justice, les circonstances visées dans la présente ordonnance sous 3.9 à 3.11 [exclusion du `milling' et instauration de restrictions quantitatives, existence d'un préjudice grave et irréparable dans le chef d'Emesa, prise en compte de l'intérêt communautaire] sont-elles de nature à justifier une mesure telle que celle visée sous 11?»

Sur les dix premières questions

27 Par ses dix premières questions, la juridiction de renvoi s'interroge sur la validité de la décision PTOM, telle que modifiée par la décision 97/803 (ci-après la «décision PTOM modifiée»), en particulier de son article 108 ter, en ce qu'il admet le cumul d'origine ACP/PTOM pour une quantité annuelle de 3 000 tonnes seulement en ce qui concerne le sucre et omet, en son paragraphe 2, de mentionner le «milling» parmi les ouvraisons et transformations considérées comme suffisantes pour l'attribution de cette origine.

28 Afin de répondre à ces questions, il convient de rappeler, à titre liminaire, que l'association des PTOM doit être réalisée selon un processus dynamique et progressif qui peut nécessiter l'adoption de plusieurs dispositions aux fins de réaliser l'ensemble des objectifs énoncés à l'article 132 du traité, tenant compte des réalisations acquises grâce aux décisions antérieures du Conseil (voir arrêts du 22 avril 1997, Road Air, C-310/95, Rec. p. I-2229, point 40, et du 11 février 1999, Antillean Rice Mills e.a./Commission, C-390/95 P, Rec. p. I-769, point 36).

29 Toutefois, bien que les PTOM soient des pays et territoires associés ayant des liens particuliers avec la Communauté, ils ne font pas partie de cette dernière et se trouvent à son égard dans la même situation que les pays tiers (voir avis 1/78, du 4 octobre 1979, Rec. p. 2871, point 62, et 1/94, du 15 novembre 1994, Rec. p. I-5267, point 17). En particulier, la libre circulation des marchandises entre les PTOM et la Communauté n'existe pas à ce stade sans restriction en vertu de l'article 132 du traité (arrêt Antillean Rice Mills e.a./Commission, précité, point 36).

30 Il y a lieu, par ailleurs, de relever que l'article 136, second alinéa, du traité habilite le Conseil à adopter des décisions dans le contexte de l'association «à partir des réalisations acquises et sur la base des principes inscrits» dans le traité. Il s'ensuit que, si le Conseil, lorsqu'il adopte de telles décisions, doit tenir compte des principes figurant dans la quatrième partie du traité et notamment des réalisations acquises, il doit également prendre en considération les autres principes du droit communautaire, y compris ceux qui se rapportent à la politique agricole commune (arrêt Antillean Rice Mills e.a./Commission, précité, points 36 et 37).

Sur la possibilité de réviser la décision PTOM après l'expiration des cinq premières années d'application (septième et neuvième questions)

31 Par sa septième question, la juridiction de renvoi demande en substance si, après l'expiration de la première période de cinq ans, visée à l'article 240, paragraphe 1, de la décision PTOM, il était encore loisible au Conseil, conformément à cette disposition, de réviser ladite décision. Par sa neuvième question, la juridiction de renvoi s'interroge sur la validité de la décision 97/803 au regard de la confiance légitime qu'aurait créée auprès des opérateurs économiques la diffusion par la Commission, en octobre 1993, de la brochure d'information DE 76, intitulée «The European Community and the Overseas Countries and Territories» (La Communauté européenne et les pays et territoires d'outre-mer), dans laquelle il était affirmé que la décision PTOM était applicable pendant dix ans.

32 Selon Emesa et Aruba, le délai de révision prévu à l'article 240, paragraphe 3, de la décision PTOM est un délai péremptoire, de telle sorte que le Conseil était dépourvu de toute compétence ratione temporis pour modifier ladite décision deux ans et demi après l'expiration de ce délai.

33 Cette argumentation ne saurait être accueillie. Si l'article 240, paragraphe 3, de la décision PTOM prévoit que, avant l'expiration de la première période de cinq ans, le Conseil arrête, le cas échéant, les modifications éventuelles à apporter à l'association des PTOM à la Communauté, il ne saurait, ainsi que M. l'avocat général le relève au point 43 de ses conclusions, priver le Conseil de la compétence, qu'il tire directement du traité, de modifier les actes qu'il a adoptés au titre de l'article 136 de celui-ci aux fins de réaliser l'ensemble des objectifs énoncés à l'article 132 dudit traité.

34 En outre, ainsi que la Cour l'a itérativement déclaré, si le respect de la confiance légitime s'inscrit parmi les principes fondamentaux de la Communauté, les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d'une situation existante qui peut être modifiée dans le cadre du pouvoir d'appréciation des institutions communautaires, et cela spécialement dans un domaine comme celui des organisations communes de marchés, dont l'objet comporte une constante adaptation en fonction des variations de la situation économique (voir, notamment, arrêt du 17 septembre 1998, Pontillo, C-372/96, Rec. p. I-5091, points 22 et 23).

35 Il doit en être a fortiori ainsi lorsque les prétendues attentes des opérateurs économiques ont été suscitées par une brochure de vulgarisation, dépourvue de toute valeur juridique, telle la brochure d'information DE 76 de la Commission. Au demeurant, en octobre 1993, lors de la parution de ladite brochure, la Commission était parfaitement en droit d'affirmer que la décision PTOM avait été adoptée pour une période de dix années, sans devoir rendre compte, dans un tel document, d'éventuelles modifications à intervenir.

36 Au surplus, il ressort du dossier qu'Emesa disposait, au moment d'engager des investissements à Aruba, d'éléments d'information suffisants pour prévoir, en tant qu'opérateur normalement diligent, que le régime libéral de cumul d'origine était susceptible de faire l'objet d'une modification dans un sens restrictif. Il y a lieu notamment de relever, à cet égard, que la proposition de révision à mi-parcours de la décision PTOM de la Commission a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes du 10 mai 1996, soit près d'une année avant le début de la production d'Emesa à Aruba.

Sur l'irréversibilité des réalisations obtenues au titre de l'article 136 du traité (cinquième et sixième questions)

37 Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, au regard notamment de l'article 136, second alinéa, du traité, s'il existe un «principe de verrouillage» selon lequel les avantages attribués aux PTOM dans le cadre de la réalisation par étapes de l'association ne peuvent plus être remis en cause et, par sa sixième question, quelles sont les conséquences pour les particuliers de la méconnaissance d'un tel principe.

38 À cet égard, il convient d'observer que, si le processus dynamique et progressif dans lequel s'inscrit l'association des PTOM à la Communauté requiert qu'il soit tenu compte par le Conseil des réalisations acquises grâce à ses décisions antérieures, il n'en demeure pas moins, ainsi qu'il ressort déjà du point 30 du présent arrêt, que le Conseil, lorsqu'il arrête des mesures au titre de l'article 136, second alinéa, du traité, doit tenir compte à la fois des principes figurant dans la quatrième partie de celui-ci et des autres principes du droit communautaire, y compris ceux qui se rapportent à la politique agricole commune.

39 En effectuant la mise en balance des différents objectifs fixés par le traité, tout en tenant compte globalement des réalisations acquises sur le fondement de ses décisions antérieures, le Conseil, qui dispose, à cet effet, d'un large pouvoir d'appréciation, correspondant aux responsabilités politiques que lui confèrent les articles 40 du traité CE (devenu, après modification, article 34 CE), 41 et 42 du traité CE (devenus articles 35 CE et 36 CE), 43 du traité CE (devenu, après modification, article 37 CE) et 136 du traité, peut être amené, en cas de nécessité, à diminuer certains avantages précédemment octroyés aux PTOM.

40 En l'occurrence, il est constant que la réduction à 3 000 tonnes annuelles de la quantité de sucre susceptible de bénéficier du cumul d'origine ACP/PTOM constitue une restriction par rapport à la décision PTOM. Toutefois, dès lors qu'il serait établi que l'application de la règle du cumul d'origine dans le secteur du sucre était susceptible d'entraîner d'importantes perturbations dans le fonctionnement d'une organisation commune de marché, question qui sera examinée aux points 51 à 57 du présent arrêt, le Conseil, après avoir mis en balance les objectifs de l'association des PTOM avec ceux de la politique agricole commune, était en droit de prendre, dans le respect des principes de droit communautaire encadrant l'exercice de son pouvoir d'appréciation, toute mesure de nature à mettre fin ou à atténuer lesdites perturbations, y compris la suppression ou la limitation d'avantages précédemment octroyés aux PTOM.

41 Il doit en être d'autant plus ainsi, comme l'a relevé M. l'avocat général au point 57 de ses conclusions, lorsque les avantages dont il s'agit présentent un caractère extraordinaire par rapport aux règles de fonctionnement du marché communautaire. Tel est le cas de la règle qui permet, après certaines opérations, d'octroyer une origine PTOM à certains produits en provenance des États ACP.

42 Il y a lieu d'ajouter que la révision de la décision PTOM n'a pas seulement apporté des restrictions ou des limitations par rapport au régime précédemment en vigueur puisque, ainsi que la Commission le soutient, sans avoir été contredite sur ce point, différents avantages ont été attribués aux PTOM en matière d'établissement à l'intérieur de la Communauté (articles 232 et 233 bis de la décision PTOM modifiée), de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles (article 233 ter), d'accès à des programmes communautaires (article 233 quater). En outre, l'aide financière de la Communauté aux PTOM a augmenté de 21 % (article 154 bis).

Sur l'existence de restrictions quantitatives à l'importation contraires aux articles 133, paragraphe 1, et 136, second alinéa, du traité (troisième, quatrième et huitième questions)

43 Par ses troisième, quatrième et huitième questions, la juridiction de renvoi s'interroge sur l'existence et la validité d'une restriction quantitative, découlant de l'article 108 ter de la décision PTOM modifiée, au regard des articles 133, paragraphe 1, et 136, second alinéa, du traité.

44 Le Conseil émet des doutes quant à l'existence même d'une restriction quantitative résultant de la mise en oeuvre de l'article 108 ter de la décision PTOM modifiée. Certes, cet article limite la quantité de certains produits pour lesquels le cumul d'origine est admis et qui peuvent donc être importés en exemption de droits. Cependant, le Conseil fait valoir que, après épuisement de cette quantité, les produits peuvent néanmoins être importés moyennant paiement des droits de douane exigibles.

45 Sans qu'il soit besoin de trancher la question de savoir si le contingent tarifaire fixé à l'article 108 ter de la décision PTOM modifiée peut être considéré comme une restriction quantitative ni celle de savoir si le régime de cumul ACP/PTOM confère aux marchandises considérées une origine PTOM pour l'application du régime d'importation visé à l'article 133, paragraphe 1, du traité, force est de constater que les produits concernés ne peuvent être importés au-delà du contingent que contre paiement des droits de douane.

46 Or, l'article 133, paragraphe 1, du traité prévoit, en ce qui concerne les importations originaires des PTOM dans la Communauté, qu'elles bénéficient de l'élimination totale des droits de douane telle qu'intervenue «progressivement entre les États membres conformément aux dispositions du présent traité».

47 À cet égard, il convient de relever, ainsi que le fait la Commission, que, s'agissant du commerce du sucre, le démantèlement tarifaire intracommunautaire n'est intervenu qu'à la suite de l'établissement d'une organisation commune du marché de ce produit, lequel a impliqué la mise en place d'un tarif extérieur commun parallèlement à la fixation d'un prix minimal applicable dans tous les États membres, afin notamment d'éliminer les distorsions de concurrence. Aussi, en l'absence de toute politique agricole commune entre les PTOM et la Communauté, des mesures visant à éviter des distorsions de concurrence ou des perturbations du marché communautaire, qui peuvent prendre la forme d'un contingent tarifaire, ne sauraient-elles, du simple fait de leur adoption, être considérées comme contraires à l'article 133, paragraphe 1, du traité.

48 Quant à la question de savoir si le contingent tarifaire fixé par l'article 108 ter de la décision PTOM modifiée est compatible avec l'article 136, second alinéa, du traité, il suffit de constater que cette disposition prévoit expressément que l'action du Conseil doit se poursuivre «à partir des réalisations acquises et sur la base des principes inscrits dans le présent traité». Parmi ces principes figurent, ainsi que l'a jugé la Cour dans son arrêt Antillean Rice Mills e.a./Commission, précité, point 37, ceux qui se rapportent à la politique agricole commune.

49 En conséquence, il ne saurait être reproché au Conseil d'avoir pris en compte, dans le cadre de la mise en oeuvre de l'article 136, second alinéa, du traité, les exigences de la politique agricole commune.

50 Il découle de ce qui précède que la validité de la mesure prévue à l'article 108 ter de la décision PTOM ne saurait être mise en cause au regard des articles 133, paragraphe 1, et 136, second alinéa, du traité au motif qu'elle fixe un contingent sur les importations de sucre bénéficiaire du régime de cumul d'origine ACP/PTOM.

Sur la proportionnalité des mesures édictées par la décision 97/803 (première et deuxième questions)

51 Par ses première et deuxième questions, la juridiction de renvoi demande si l'introduction du contingent tarifaire et la prétendue suppression du «milling», parmi les ouvraisons et les transformations considérées comme suffisantes pour l'attribution du cumul d'origine ACP/PTOM, conformément à l'article 108 ter, paragraphes 1 et 2, de la décision PTOM modifiée, sont compatibles avec le principe de proportionnalité et les limites énoncées à l'article 109 de la décision PTOM pour l'adoption de mesures de sauvegarde.

52 Selon Emesa et Aruba, c'est l'excédent de la production communautaire lui-même et le volume global des importations communautaires qui risquent de perturber le marché communautaire du sucre et d'affecter le respect des engagements de la Communauté dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (ci-après l'«OMC») et non pas les infimes importations de sucre des PTOM dans la Communauté, lesquelles, pour l'ensemble de ces derniers, n'atteindraient pas 4 % des importations préférentielles de sucre (notamment en provenance des États ACP). En tout état de cause, en cas de perturbations graves, le recours aux mesures de sauvegarde, au titre de l'article 109 de la décision PTOM et dans les limites qu'il précise, aurait été plus approprié.

53 Il y a lieu de rappeler que, dans un domaine où, comme en l'espèce, les institutions communautaires disposent d'un large pouvoir d'appréciation, seul le caractère manifestement inapproprié d'une mesure par rapport à l'objectif poursuivi peut affecter la légalité d'une telle mesure. La limitation du contrôle de la Cour s'impose particulièrement lorsque le Conseil est amené à opérer des arbitrages entre des intérêts divergents et à prendre ainsi des options dans le cadre des choix politiques relevant de ses responsabilités propres (voir arrêts du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil, C-280/93, Rec. p. I-4973, points 90 et 91; du 17 octobre 1995, Fishermen's Organisations e.a., C-44/94, Rec. p. I-3115, point 37, et du 19 novembre 1998, Royaume-Uni/Conseil, C-150/94, Rec. p. I-7235, point 87).

54 En premier lieu, on ne saurait considérer, dans ce contexte, que l'introduction du contingent fixé par l'article 108 ter de la décision PTOM modifiée excédait manifestement ce qui était nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis par le Conseil.

55 À cet égard, il ressort du septième considérant de la décision 97/803 que le Conseil a introduit l'article 108 ter, d'une part, parce qu'il avait été amené à constater que «le libre accès pour tous les produits originaires des PTOM et le maintien du cumul entre produits originaires des États ACP et produits originaires des PTOM» comportaient un «risque de conflit» entre les objectifs de la politique communautaire relative au développement des PTOM et ceux de la politique agricole commune et, d'autre part, pour tenir compte du fait que «de graves perturbations sur le marché communautaire de certains produits soumis à l'organisation commune de marchés se sont traduites à plusieurs reprises par l'adoption de mesures de sauvegarde».

56 Or, il convient de relever qu'il ressort du dossier que, à la date de la décision 97/803, d'une part, il existait un excédent de la production communautaire de sucre de betteraves par rapport à la quantité consommée dans la Communauté, auquel s'ajoutaient les importations de sucre de canne en provenance des États ACP pour faire face à la demande spécifique de ce produit et l'obligation pour la Communauté d'importer une certaine quantité de sucre de pays tiers, en vertu des accords conclus au sein de l'OMC. D'autre part, la Communauté était également tenue de subventionner les exportations de sucre, sous la forme de restitutions à l'exportation et dans les limites des accords conclus au sein de l'OMC. Dans ces conditions, le Conseil a pu estimer, à bon droit, que toute quantité supplémentaire de sucre, même minime au regard de la production communautaire, accédant au marché de la Communauté aurait contraint les institutions de cette dernière à augmenter le montant des subventions à l'exportation, dans les limites susévoquées, ou à réduire les quotas des producteurs européens, ce qui aurait perturbé l'organisation commune du marché du sucre, dont l'équilibre était précaire, et aurait été contraire aux objectifs de la politique agricole commune.

57 Par ailleurs, il ressort tant de l'ordonnance de renvoi que des chiffres communiqués par le Conseil et par la Commission que le contingent annuel de 3 000 tonnes n'est pas inférieur au niveau des importations traditionnelles de sucre en provenance des PTOM, ces derniers ne produisant pas eux-mêmes ce produit. En outre, la marchandise en provenance des États ACP ne recevant qu'une faible valeur ajoutée sur le territoire des PTOM, l'industrie affectée par la décision 97/803 ne pouvait contribuer que faiblement au développement de ces derniers. Au surplus, il ne pouvait être exclu que l'application illimitée de la règle du cumul d'origine comportât un risque de détournement artificiel des produits en provenance des États ACP, par le territoire des PTOM, en vue d'accéder au marché communautaire pour des quantités de sucre supérieures à celles pour lesquelles ces États bénéficiaient conventionnellement d'un accès garanti à ce marché en exemption de droits.

58 En conséquence, la mesure relative à l'importation de sucre bénéficiant du cumul d'origine ACP/PTOM, contenue à l'article 108 ter, paragraphe 1, de la décision PTOM modifiée, ne saurait être considérée comme contraire au principe de proportionnalité.

59 En deuxième lieu, s'agissant de la prétendue suppression du «milling» parmi les ouvraisons et transformations donnant lieu au bénéfice du cumul d'origine, il convient de constater, à l'instar du Conseil et de la Commission, que l'article 108 ter, paragraphe 2, se borne à mentionner deux exemples d'opérations pouvant être considérées comme suffisantes pour conférer le caractère de produits originaires des PTOM, sans cependant contenir une énumération exhaustive à cet effet.

60 Dans ces conditions, Emesa n'est pas fondée à prétendre que l'article 108 ter, paragraphe 2, a supprimé le «milling» parmi les opérations pertinentes en vue de l'attribution du cumul d'origine.

61 En troisième lieu, en ce qui concerne les conditions d'adoption des mesures de sauvegarde au titre de l'article 109 de la décision PTOM, il y a lieu de relever que de telles conditions ne sont pas pertinentes pour apprécier la validité de la décision 97/803, dès lors que la mesure contenue à l'article 108 ter, paragraphe 1, de la décision PTOM modifiée ne constitue pas une mesure de sauvegarde destinée à répondre, à titre exceptionnel et temporaire, à l'apparition de difficultés exceptionnelles auxquelles le régime d'échanges normalement applicable ne permet pas d'obvier, mais modifie le régime ordinaire lui-même selon les mêmes critères que ceux en vertu desquels la décision PTOM a été adoptée.

62 En conséquence, en édictant l'article 108 ter de la décision PTOM modifiée, le Conseil n'était pas tenu de respecter les exigences particulières liées à l'adoption des mesures de sauvegarde au titre de l'article 109 de la décision PTOM.

Sur le caractère impraticable de l'article 108 ter (dixième question)

63 Par sa dixième question, la juridiction de renvoi demande si le caractère impraticable de l'article 108 ter n'affecte pas la validité de celui-ci.

64 Selon Aruba, le caractère impraticable de cet article résulterait du fait que les autorités des PTOM n'ont elles-mêmes aucun moyen de savoir à quel moment le contingent de 3 000 tonnes de sucre est épuisé, de telle sorte qu'elles ne seraient pas en mesure de délivrer ou de refuser les certificats d'origine dans chaque cas concret.

65 Il y a lieu de constater, à cet égard, que l'article 108 ter de la décision PTOM modifiée se borne à fixer le contingent tarifaire de 3 000 tonnes pour l'application de la règle du cumul d'origine, sans fixer les modalités de sa mise en oeuvre. Ces dernières ont été adoptées, ainsi que l'ont relevé le Conseil et la Commission, par le règlement (CE) n_ 2553/97 de la Commission, du 17 décembre 1997, relatif aux modalités de délivrance des certificats d'importation pour certains produits relevant des codes NC 1701, 1702, 1703 et 1704 cumulant l'origine ACP/PTOM (JO L 349, p. 26).

66 Dès lors que les modalités de mise en oeuvre de l'article 108 ter de la décision PTOM modifiée ont été adoptées par la Commission, le grief tiré du caractère impraticable de cette disposition ne saurait être retenu.

67 Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que l'examen des dix premières questions posées n'a pas révélé d'éléments de nature à affecter la validité de la décision 97/803.

Sur les onzième et douzième questions

68 Par sa onzième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, s'il est conforme au droit communautaire qu'un juge national, saisi d'une demande de référé, prenne à l'égard d'une autorité non communautaire des mesures provisoires en cas de violation imminente du droit communautaire, afin de prévenir celle-ci.

69 Il y a lieu de répondre par l'affirmative à cette question dès lors que sont remplies les conditions énoncées par la Cour dans son arrêt du 21 février 1991, Zuckerfabrik Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest (C-143/88 et C-92/89, Rec. p. I-415, point 33), en vertu duquel des mesures provisoires ne peuvent être prescrites par une juridiction nationale que:

- si cette juridiction a des doutes sérieux sur la validité des dispositions communautaires mises en oeuvre par l'autorité à l'égard de laquelle sont demandées les mesures provisoires et si, dans l'occurrence où la Cour ne serait pas déjà saisie de la question de validité des dispositions contestées au principal, ladite juridiction la lui renvoie elle-même;

- s'il y a urgence et si le requérant est menacé d'un préjudice grave et irréparable, et

- si cette juridiction prend dûment en compte l'intérêt de la Communauté.

70 La circonstance que de telles mesures provisoires seraient prescrites à l'égard d'une autorité d'un PTOM par une juridiction d'un État membre, conformément aux dispositions de son ordre juridique interne, n'est pas de nature à modifier les conditions dans lesquelles la protection provisoire des particuliers doit être assurée devant les juridictions nationales lorsque la contestation est fondée sur le droit communautaire.

71 Par sa douzième question, la juridiction de renvoi demande à la Cour de se prononcer, au regard des circonstances de l'affaire au principal, sur l'utilité qu'il y a pour le juge national d'adopter des mesures provisoires à l'égard d'une autorité non communautaire chargée de l'exécution du droit communautaire.

72 Compte tenu des réponses données aux dix premières questions, qui ne révèlent aucun motif d'invalidité de l'article 108 ter de la décision PTOM modifiée, il n'y a pas lieu de répondre à la douzième question, eu égard à l'absence manifeste de pertinence de la réponse pour la solution du litige au principal.

73 Il découle de ce qui précède qu'il y a lieu de répondre à la onzième question que des mesures provisoires à l'égard d'une autorité non communautaire ne peuvent être prescrites par une juridiction nationale en cas de violation imminente du droit communautaire que:

- si cette juridiction a des doutes sérieux sur la validité des dispositions communautaires mises en oeuvre par cette autorité et si, dans l'occurrence où la Cour ne serait pas déjà saisie de la question de la validité des dispositions contestées au principal, ladite juridiction la lui renvoie elle-même;

- s'il y a urgence et si le requérant est menacé d'un préjudice grave et irréparable, et

- si cette juridiction prend dûment en compte l'intérêt de la Communauté.

La circonstance que de telles mesures provisoires seraient prescrites à l'égard d'une autorité d'un pays ou territoire d'outre-mer par une juridiction d'un État membre, conformément aux dispositions de son ordre juridique interne, n'est pas de nature à modifier les conditions dans lesquelles la protection provisoire des particuliers doit être assurée devant les juridictions nationales lorsque la contestation est fondée sur le droit communautaire.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

74 Les frais exposés par les gouvernements espagnol, français, italien et du Royaume-Uni, ainsi que par le Conseil et la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par le président de l'Arrondissementsrechbank te 's-Gravenhage, par ordonnance du 19 décembre 1997, dit pour droit:

1) L'examen des questions posées n'a pas révélé d'éléments de nature à affecter la validité de la décision 97/803/CE du Conseil, du 24 novembre 1997, portant révision à mi-parcours de la décision 91/482/CEE relative à l'association des pays et territoires d'outre-mer à la Communauté économique européenne.

2) Des mesures provisoires à l'égard d'une autorité non communautaire ne peuvent être prescrites par une juridiction nationale en cas de violation imminente du droit communautaire que:

- si cette juridiction a des doutes sérieux sur la validité des dispositions communautaires mises en oeuvre par cette autorité et si, dans l'occurrence où la Cour ne serait pas déjà saisie de la question de la validité des dispositions contestées au principal, ladite juridiction la lui renvoie elle-même;

- s'il y a urgence et si le requérant est menacé d'un préjudice grave et irréparable, et

- si cette juridiction prend dûment en compte l'intérêt de la Communauté.

La circonstance que de telles mesures provisoires seraient prescrites à l'égard d'une autorité d'un pays ou territoire d'outre-mer par une juridiction d'un État membre, conformément aux dispositions de son ordre juridique interne, n'est pas de nature à modifier les conditions dans lesquelles la protection provisoire des particuliers doit être assurée devant les juridictions nationales lorsque la contestation est fondée sur le droit communautaire.