ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

17 septembre 2009 ( *1 )

«Pourvoi — Aide à la restructuration — Décision ordonnant la récupération d'une aide incompatible avec le marché commun — Article 13, paragraphe 1, du règlement (CE) n o  659/1999 — Responsabilité solidaire»

Dans l’affaire C-520/07 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 21 novembre 2007 ,

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. K. Gross et B. Martenczuk, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

MTU Friedrichshafen GmbH, représentée par M es  Th. Lübbig et M. le Bell, Rechtsanwälte,

partie requérante en première instance,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. A. Tizzano (rapporteur), A. Borg Barthet, E. Levits et J.-J. Kasel, juges,

avocat général: M me  V. Trstenjak,

greffier: M. R. Grass,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 19 février 2009 ,

rend le présent

Arrêt

1

Par son pourvoi, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour d’annuler l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 12 septembre 2007 , MTU Friedrichshafen/Commission ( T-196/02, Rec. p. II-2889 , ci-après l’ « arrêt attaqué » ), par lequel celui-ci a annulé l’article 3, paragraphe 2, de la décision 2002/898/CE de la Commission, du 9 avril 2002 , relative à l’aide d’État accordée par l’Allemagne en faveur de SKL Motoren- und Systembautechnik GmbH ( JO L 314, p. 75 , ci-après la « décision litigieuse » ), dans la mesure où cette disposition ordonne la restitution solidaire à la charge de MTU Friedrichshafen GmbH (ci-après « MTU » ) d’un montant de 2,71  millions d’euros.

Le cadre juridique

2

Aux termes de l’article 10 du règlement (CE) n o  659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999 , portant modalités d’application de l’article [88 CE] ( JO L 83, p. 1 , ci-après le « règlement » ):

« 1.    Lorsque la Commission a en sa possession des informations concernant une aide prétendue illégale, quelle qu’en soit la source, elle examine ces informations sans délai.

2.    Le cas échéant, elle demande à l’État membre concerné de lui fournir des renseignements. L’article 2, paragraphe 2, et l’article 5, paragraphes 1 et 2, s’appliquent mutatis mutandis .

3.    Si, en dépit du rappel qui lui a été adressé en vertu de l’article 5, paragraphe 2, l’État membre concerné ne fournit pas les renseignements demandés dans le délai imparti par la Commission ou les fournit de façon incomplète, la Commission arrête une décision lui enjoignant de fournir lesdits renseignements (ci-après dénommée ‘ injonction de fournir des informations ’ ). Cette décision précise la nature des informations requises et fixe un délai approprié pour leur communication. »

3

L’article 13, paragraphe 1, du règlement dispose:

« L’examen d’une éventuelle aide illégale débouche sur l’adoption d’une décision au titre de l’article 4, paragraphes 2, 3 ou 4. Dans le cas d’une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, la procédure est clôturée par voie de décision au titre de l’article 7. Au cas où un État membre omet de se conformer à une injonction de fournir des informations, cette décision est prise sur la base des renseignements disponibles. »

4

L’article 14, paragraphe 1, du règlement prévoit:

« En cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l’État membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide auprès de son bénéficiaire (ci-après dénommée ‘ décision de récupération ’ ). La Commission n’exige pas la récupération de l’aide si, ce faisant, elle allait à l’encontre d’un principe général de droit communautaire. »

Les antécédents du litige

5

Par lettre du 9 avril 1998 , les autorités allemandes ont notifié à la Commission plusieurs concours financiers accordés, par l’intermédiaire de la Bundesanstalt für vereinigungsbedingte Sonderaufgaben, à SKL Motoren- und Systemtechnik GmbH (ci-après « SKL-M » ), entreprise active dans le secteur de la construction de moteurs pour navires et bateaux, dans le cadre de la restructuration de celle-ci.

6

À partir de l’année 1997, une relation contractuelle s’était instaurée entre SKL-M et MTU, société active dans le secteur de la production de moteurs Diesel de forte puissance, dans la perspective du rachat de SKL-M par MTU.

7

En particulier, deux accords avaient été conclus par ces sociétés le 5 novembre 1997 . Le premier attribuait à MTU une option d’achat sur les parts de SKL-M. Le second, dénommé « Wechselseitiger Lizenz- und Kooperationsvertrag zwischen SKL-M und MTU » (ci-après le « WLKV » ) et visant à la création d’une entreprise commune, établissait les modalités, d’une part, de l’utilisation commune du savoir-faire existant des deux entreprises et, d’autre part, de l’étude, de la fabrication ainsi que de la vente de deux nouveaux types de moteurs.

8

Conformément à l’article 5 de ce dernier accord, le 15 juin 2000 , MTU a été autorisée à utiliser à titre exclusif à l’égard des tiers le savoir-faire de SKL-M visé par ledit accord, y compris les droits de propriété industrielle ou les demandes d’enregistrement de tels droits existant à cette date. En contrepartie, SKL-M a perçu une somme de 6,71  millions de DEM ( 3,43  millions d’euros), destinée à couvrir les frais de développement engagés.

9

Par lettre du 8 août 2000 , la Commission a informé les autorités allemandes de sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE ( JO 2001, C 27, p. 5 ), en invitant les intéressés à lui présenter leurs observations. À cette occasion, elle a également demandé aux autorités allemandes si MTU avait bénéficié des aides accordées à SKL-M ou était susceptible d’en profiter à l’avenir.

10

Le 1 er  septembre 2000 , une procédure de faillite a été ouverte à l’encontre de SKL-M.

11

Par divers courriers adressés en 2000 et en 2001, la République fédérale d’Allemagne a communiqué à la Commission ses observations sur la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen.

12

Insatisfaite de ces réponses, la Commission a, par lettre du 19 septembre 2001 , enjoint aux autorités allemandes de lui fournir les informations nécessaires à l’appréciation de la compatibilité avec le marché commun des aides accordées à SKL-M, en application de l’article 10 du règlement. Dans cette lettre, la Commission observait notamment que les renseignements dont elle disposait ne lui permettaient pas de déterminer si une partie des aides accordées à SKL-M avait été utilisée dans l’intérêt de MTU plutôt que dans celui de SKL-M ni d’établir si MTU avait levé l’option inscrite dans le WLKV lui permettant d’acquérir le savoir-faire développé par SKL-M pour un prix qui ne reflétait pas sa valeur marchande actuelle ou prévue. Le 9 novembre 2001 , la Commission a en outre fait savoir que, en l’absence de ces renseignements, elle adopterait une décision finale sur la base des informations en sa possession, conformément à l’article 13, paragraphe 1, du règlement.

13

Par lettres des 23 janvier , 26 février et 11 mars 2002 , les autorités allemandes ont répondu à cette injonction. Le 5 mars 2002 , elles ont également transmis à la Commission certaines observations adressées les 1 er  octobre et 21 novembre 2001 par MTU à la Bundesanstalt für vereinigungsbedingte Sonderaufgaben au sujet de l’utilisation du savoir-faire de SKL-M et du prix payé à cette dernière en application du WLKV.

14

Le 9 avril 2002 , la Commission a adopté la décision litigieuse, dans laquelle elle a, d’une part, constaté que les aides à la restructuration versées à SLK-M ne répondaient pas aux conditions fixées dans les lignes directrices communautaires pour les aides d’État au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté ( JO 1994, C 368, p. 12 ) et, d’autre part, considéré que la République fédérale d’Allemagne n’avait pas fourni des renseignements permettant d’exclure que MTU avait bénéficié indirectement, par le biais du WLKV, des aides que SKL-M avait obtenues durant la phase de restructuration pour la résorption de ses pertes.

15

À cet égard, la Commission a notamment constaté que le prix de cession du savoir-faire versé par MTU à SKL-M, calculé sur la base des frais de développement estimés en 1997, s’avérait inférieur de 5,30  millions de DEM aux frais réels de développement exposés par SKL-M.

16

Les autorités allemandes n’ayant pas fourni d’informations objectives sur la valeur marchande réelle ou prévisible de ce savoir-faire, la Commission a relevé que les aides à la restructuration accordées à SKL-M pourraient avoir servi à compenser, en partie du moins, des pertes occasionnées par le développement du savoir-faire qui avait pu être utilisé plus dans l’intérêt de MTU que dans celui de SKL-M. Cette dernière entreprise, contrôlée par l’État, aurait alors supporté un risque financier non conforme au principe de l’investisseur opérant dans une économie de marché. Par conséquent, selon le considérant 86 de la décision litigieuse, le transfert de savoir-faire aurait pu équivaloir au transfert à MTU de ressources d’État d’un montant maximal de 5,30  millions de DEM.

17

Dès lors, la Commission a conclu que les aides d’État d’un montant de 67,017  millions de DEM ( 34,26  millions d’euros) accordées par les autorités allemandes à SKL-M étaient incompatibles avec le marché commun et que, sur le montant total dont la restitution devait être exigée par ces dernières, 5,30  millions de DEM ( 2,71  millions d’euros) devaient être restitués par SKL-M et par MTU à titre solidaire (article 3, paragraphe 2, de la décision litigieuse).

18

Le 28 juin 2002 , MTU a introduit un recours devant le Tribunal visant à obtenir l’annulation de cette disposition de la décision litigieuse.

L’arrêt attaqué

19

À l’appui de son recours en annulation, MTU a présenté deux moyens, respectivement tirés, le premier, de défauts de motivation et d’erreurs de droit se rapportant à l’existence des conditions constitutives d’une aide d’État à son profit et, le second, de l’application erronée de l’article 13, paragraphe 1, du règlement ainsi que de la violation de la garantie procédurale de l’examen correct et impartial des faits.

20

Examinant d’emblée le second moyen, le Tribunal a tout d’abord constaté, aux points 39 à 45 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait respecté les exigences procédurales fixées aux articles 10, paragraphe 3, et 13, paragraphe 1, du règlement afin de pouvoir adopter la décision litigieuse sur la base des renseignements disponibles.

21

Il a cependant relevé, au point 46 de l’arrêt attaqué, que ledit article 13, paragraphe 1, ne permet pas à la Commission d’imposer à une entreprise donnée, même à titre solidaire, une obligation de restitution d’une partie déterminée du montant d’une aide déclarée incompatible avec le marché commun lorsque le transfert de ressources d’État dont ladite entreprise aurait bénéficié relève d’une hypothèse.

22

Or, le Tribunal a considéré, au point 48 de l’arrêt attaqué, que l’obligation de restitution solidaire imposée à l’article 3, paragraphe 2, de la décision litigieuse a été établie sur la base d’hypothèses que les informations en possession de la Commission ne permettaient ni de confirmer ni d’infirmer. En particulier, au point 47 dudit arrêt, le Tribunal a relevé que la Commission s’était limitée à constater, au considérant 88 de la décision litigieuse, que les « renseignements disponibles ne permett[aient] pas d’exclure » que MTU avait bénéficié d’un transfert de ressources de la part de SKL-M à l’occasion de l’acquisition d’un savoir-faire à des conditions réputées avantageuses.

23

Le Tribunal a en outre estimé, au point 50 de l’arrêt attaqué, que l’imposition d’une obligation de restitution à titre solidaire d’une partie d’une aide à charge d’une entreprise donnée en recourant à l’article 13, paragraphe 1, du règlement n’est nullement la conséquence nécessaire de la mise en œuvre de la procédure établie par le traité CE en matière d’aides d’État, « puisque l’État membre dispensateur de l’aide dont la récupération est ordonnée est, en tout état de cause, tenu d’en exiger la récupération auprès des bénéficiaires effectifs sous le contrôle de la Commission, sans qu’il soit indispensable de mentionner expressément ceux-ci dans la décision de récupération et, a fortiori, de préciser le montant des sommes dont la restitution incombe à chaque bénéficiaire » .

24

À la lumière de ces considérations, et sans examiner le premier moyen présenté à l’appui du recours dont il était saisi, le Tribunal a annulé l’article 3, paragraphe 2, de la décision litigieuse dans la mesure où il ordonne la restitution par MTU, à titre solidaire, d’une partie de l’aide octroyée à SKL-M.

Les conclusions des parties

25

Par son pourvoi, la Commission demande à la Cour:

d’annuler l’arrêt attaqué;

de statuer définitivement sur le litige en rejetant le recours en annulation pour absence de fondement, et

de condamner MTU aux dépens encourus tant dans le cadre du pourvoi que dans la procédure de première instance.

26

MTU demande à la Cour:

de déclarer le pourvoi irrecevable;

à titre subsidiaire, de le rejeter comme non fondé, et

de condamner la Commission aux dépens.

Sur le pourvoi

27

À l’appui de son pourvoi, la Commission présente deux moyens tirés d’erreurs de droit que le Tribunal aurait commises dans l’interprétation des articles 13, paragraphe 1, et 14, paragraphe 1, du règlement.

Sur le premier moyen

— Argumentation des parties

28

Par son premier moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en supposant, aux points 46 à 51 de l’arrêt attaqué, qu’une décision adoptée sur la base des seuls renseignements disponibles, au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement, ne saurait concerner l’identification du bénéficiaire effectif de l’aide, auquel le remboursement de celle-ci doit être réclamé.

29

Selon la Commission, une telle interprétation ne trouve aucun fondement dans le règlement, et en particulier dans le libellé de ses articles 13, paragraphe 1, et 14, paragraphe 1.

30

En effet, la décision de récupération visée par ce dernier article ferait partie intégrante de la décision négative qui peut être adoptée sur la base des renseignements disponibles dans le cas d’aides illégales.

31

L’interprétation contraire développée par le Tribunal aurait d’ailleurs, selon la Commission, des conséquences préjudiciables. D’une part, elle ne permettrait pas d’assurer l’efficacité du contrôle communautaire des aides d’État, dont le principal objectif, confirmé par le treizième considérant du règlement, est précisément d’éliminer la distorsion de concurrence causée par l’aide illégale en récupérant immédiatement les montants indûment perçus. D’autre part, une telle interprétation aurait pour conséquence de priver la Commission de la plupart de ses « moyens de pression » en la matière et risquerait de ce fait de nuire grandement à l’efficacité des procédures de récupération des aides illégales en favorisant les États membres peu coopératifs.

32

Selon MTU, le présent moyen est irrecevable dans la mesure où la Commission réfute une affirmation que le Tribunal n’a en réalité aucunement formulée.

33

En tout état de cause, selon MTU, les autorités allemandes ayant régulièrement transmis toutes les informations demandées, la Commission a violé les règles de procédure qui s’imposent dans le cadre de l’adoption d’une décision au titre de l’article 13, paragraphe 1, du règlement. Il ne serait dès lors pas nécessaire de trancher la question secondaire de savoir si la Commission peut en principe fonder une décision relative à l’identification du bénéficiaire de l’aide sur les renseignements disponibles.

— Appréciation de la Cour

34

Il convient d’emblée de constater que le présent moyen s’appuie sur une lecture erronée des points pertinents de l’arrêt attaqué.

35

En effet, contrairement à ce que soutient la Commission, il ne ressort pas desdits points que le Tribunal aurait exclu de façon générale qu’une décision fondée sur l’article 13, paragraphe 1, du règlement puisse procéder à l’identification du ou des bénéficiaires effectifs de la mesure de soutien en cause et, partant, soumettre ceux-ci à l’obligation de restitution.

36

Au contraire, au point 45 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a clairement affirmé le principe selon lequel, « lorsque l’État membre concerné a omis de fournir à la Commission des informations qu’elle lui avait enjoint de communiquer, la Commission peut prendre une décision constatant l’incompatibilité de l’aide sur la base des renseignements disponibles et ordonner, le cas échéant, à l’État membre concerné de récupérer l’aide auprès des bénéficiaires, conformément à l’article 14 du règlement » .

37

En réalité, ainsi qu’il ressort des points 46 à 51 de l’arrêt attaqué, c’est uniquement en considération des circonstances propres au cas d’espèce, et en particulier du fait que la partie de la décision de la Commission visée par le recours en annulation repose, selon le Tribunal, sur de simples hypothèses, que celui-ci a conclu audit point 51 que, en l’occurrence, « la Commission ne pouvait valablement se fonder sur l’article 13, paragraphe 1, du règlement […] pour imposer à MTU, par la décision attaquée, une obligation de restitution à titre solidaire d’une partie de l’aide octroyée à SKL-M » .

38

Dans ces conditions, le premier moyen doit être rejeté comme non fondé.

Sur le second moyen

— Argumentation des parties

39

Par son second moyen, la Commission soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en ce qu’il a supposé, à tort, que la partie de la décision litigieuse visée par le recours en annulation est fondée sur une simple hypothèse ne répondant pas aux exigences applicables aux décisions adoptées sur la base des renseignements disponibles au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement.

40

D’une part, la Commission fait valoir que, contrairement à ce qu’a affirmé la juridiction de première instance, il n’est pas possible d’exiger une certitude totale dans le cadre d’une décision adoptée sur la base des renseignements disponibles.

41

En effet, l’article 13, paragraphe 1, du règlement habiliterait expressément la Commission à adopter une telle décision lorsque, en dépit d’une injonction de fournir des informations émise en bonne et due forme, elle n’a pas obtenu les informations pertinentes des autorités nationales. Dans une telle situation, il serait dès lors possible que les renseignements disponibles restent incomplets et fragmentaires, tout en constituant, à tout le moins, une base suffisante pour fonder la présomption avancée par la Commission. C’est d’ailleurs ce qui ressortirait, a contrario, de la jurisprudence selon laquelle la Commission ne pourrait se prévaloir du caractère fragmentaire ou incomplet des informations dont elle dispose que si elle a adressé une demande d’informations à l’État membre en question, celle-ci se référant à cet égard à l’arrêt du 13 avril 1994 , Allemagne et Pleuger Worthington/Commission ( C-324/90 et C-342/90, Rec. p. I-1173 , point 29).

42

D’autre part, la Commission reproche au Tribunal d’avoir qualifié de « simple hypothèse » les informations dont elle disposait, alors que les informations lui ayant permis de supposer qu’une partie de l’aide avait été transmise à MTU étaient des renseignements solides, provenant notamment d’un avis de l’administrateur judiciaire de SKL-M, ainsi que cela ressort des considérants 79 à 86 de la décision litigieuse.

43

Selon MTU, ce second moyen est irrecevable, dans la mesure où il se borne, en partie, à contester l’appréciation des faits effectuée par le Tribunal et, en partie, à formuler des observations juridiques générales ne présentant aucun lien direct avec la présente affaire.

44

Quant au fond, MTU soutient en substance que le Tribunal a estimé à juste titre, d’une part, que de simples hypothèses ne suffisent pas à fonder un ordre de récupération et, d’autre part, que, en l’espèce, la Commission s’était effectivement basée sur de telles hypothèses en ce qui concerne tant l’existence d’un avantage dans le chef de MTU que le montant de celui-ci.

45

En effet, selon MTU, la Commission n’avait aucune information fiable lui permettant de fonder un ordre de récupération à son égard. Elle se serait en réalité basée sur une hypothèse résultant d’un examen superficiel et partial des informations dont elle disposait, parmi lesquelles figuraient d’ailleurs des observations détaillées de MTU dont il serait ressorti que celle-ci n’avait bénéficié d’aucun avantage, car toutes les dispositions contractuelles la liant à SKL-M avaient été conclues sur la base des conditions du marché.

— Appréciation de la Cour

46

En ce qui concerne, en premier lieu, la recevabilité du présent moyen, il résulte des articles 225, paragraphe 1, CE et 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice que le pourvoi est limité aux questions de droit et doit être fondé sur des moyens tirés de l’incompétence du Tribunal, d’irrégularités de procédure devant le Tribunal portant atteinte aux intérêts de la partie requérante au pourvoi ou de la violation du droit communautaire par le Tribunal (voir en ce sens, notamment, arrêt du 16 mars 2000 , Parlement/Bieber, C-284/98 P, Rec. p. I-1527 , point 30, ainsi que ordonnances du 14 juillet 2005 , Gouvras/Commission, C-420/04 P, Rec. p. I-7251 , point 48, et du 20 mars 2007 , Kallianos/Commission, C-323/06 P, point 10).

47

Or, contrairement à ce que soutient MTU, le présent moyen ne se limite pas à remettre en cause l’appréciation des faits opérée en première instance, mais conteste également l’interprétation de l’article 13, paragraphe 1, du règlement à laquelle a procédé le Tribunal en ce qui concerne les conditions régissant l’adoption d’une décision sur la base des renseignements disponibles au sens de cette disposition, selon laquelle une décision de la Commission se fondant sur une hypothèse telle que celle dont le Tribunal a constaté l’existence en l’espèce ne satisfait pas auxdites conditions. Une telle contestation concerne, partant, une question de droit.

48

Il s’ensuit que ce moyen est recevable dans la mesure où il est dirigé contre l’interprétation, par le Tribunal, des exigences auxquelles est subordonnée l’adoption d’une décision sur le fondement de l’article 13, paragraphe 1, du règlement.

49

Sont, en revanche, irrecevables les arguments développés par la Commission dans le cadre dudit moyen qui visent à remettre en cause l’appréciation des éléments de preuve à laquelle le Tribunal a procédé, en reprochant à ce dernier de ne pas avoir tenu compte de certaines informations mentionnées dans la décision litigieuse.

50

En effet, une telle appréciation n’est pas soumise au contrôle de la Cour sous réserve du cas d’une dénaturation des faits et des éléments de preuve présentés à la juridiction de première instance (voir en ce sens, notamment, arrêts du 2 mars 1994 , Hilti/Commission, C-53/92 P, Rec. p. I-667 , point 42; du 7 janvier 2004 , Aalborg Portland e.a./Commission, C-204/00 P, C-205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, Rec. p. I-123 , point 49, ainsi que du 23 mars 2006 , Mülhens/OHMI, C-206/04 P, Rec. p. I-2717 , point 28), dénaturation qui, en l’espèce, n’est pas démontrée ni même alléguée par la Commission.

51

S’agissant, en second lieu, du bien-fondé du présent moyen, il convient tout d’abord de relever que, contrairement à ce qu’affirme la Commission, le Tribunal n’a aucunement exigé que cette dernière dispose d’une certitude totale aux fins de l’adoption d’une décision au titre de l’article 13, paragraphe 1, du règlement.

52

Il ressort, en effet, de la lecture des points 46 à 48 de l’arrêt attaqué que le Tribunal, loin d’exiger un tel niveau de certitude, a uniquement relevé que la décision litigieuse a été adoptée sur la base d’une simple hypothèse, non confirmée ni infirmée par les informations dont disposait la Commission, celle-ci s’étant limitée à constater l’absence d’éléments permettant d’exclure que MTU ait bénéficié d’un transfert de ressources d’État.

53

Or, en procédant de la sorte, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit.

54

Il est certes vrai que l’article 13, paragraphe 1, du règlement, consacrant une jurisprudence consolidée (voir, en particulier, arrêts du 14 février 1990 , France/Commission, dit « Boussac Saint-Frères » , C-301/87, Rec. p. I-307 , point 22; du 21 mars 1990 , Belgique/Commission, C-142/87, Rec. p. I-959 , point 18, ainsi que du 13 avril 1994 , Allemagne et Pleuger Worthington/Commission, précité, point 26), habilite la Commission, au cas où elle constate que des aides ont été instituées ou modifiées sans avoir été notifiées, à adopter une décision se prononçant sur la compatibilité ou l’incompatibilité de celles-ci avec le marché commun sur le fondement des informations disponibles lorsqu’elle est confrontée à un État membre qui, manquant à son devoir de collaboration, a omis de lui fournir des renseignements qu’elle lui avait enjoint de communiquer. En outre, le cas échéant, cette décision peut, dans les conditions prévues à l’article 14 du règlement, exiger la récupération du montant d’aide déjà versé.

55

Toutefois, ainsi que le suggère également M me  l’avocat général au point 50 de ses conclusions, cette possibilité dont dispose la Commission ne saurait être interprétée comme exonérant entièrement cette dernière de l’obligation de fonder ses décisions sur des éléments d’une certaine fiabilité et cohérence, de nature à étayer les conclusions auxquelles elle parvient.

56

Ainsi, dans un cas tel qu’en l’espèce, la Commission est, à tout le moins, tenue de s’assurer que les renseignements dont elle dispose, bien qu’incomplets et fragmentaires, constituent, comme elle le reconnaît d’ailleurs dans son pourvoi, une base suffisante pour conclure qu’une entreprise a bénéficié d’un avantage constitutif d’une aide d’État.

57

De telles considérations valent à plus forte raison lorsque la Commission ordonne, comme dans la présente affaire, la récupération de l’aide auprès de son bénéficiaire, un tel remboursement visant précisément à éliminer la distorsion de concurrence causée par un avantage concurrentiel déterminé et à rétablir ainsi la situation antérieure au versement de l’aide (voir en ce sens, notamment, arrêts du 8 mai 2003 , Italie et SIM 2 Multimedia/Commission, C-328/99 et C-399/00, Rec. p. I-4035 , point 66, ainsi que du 29 avril 2004 , Allemagne/Commission, C-277/00, Rec. p. I-3925 , points 74 à 76).

58

Il ressort des principes rappelés aux points précédents du présent arrêt que la Commission ne saurait supposer qu’une entreprise a bénéficié d’un avantage constitutif d’une aide d’État en se basant simplement sur une présomption négative, fondée sur l’absence d’informations permettant d’aboutir à la conclusion contraire, en l’absence d’autres éléments de nature à établir positivement l’existence d’un tel avantage.

59

Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 52 du présent arrêt, c’est précisément à la lumière du fait que la décision litigieuse repose sur une telle présomption que le Tribunal a considéré que cette décision ne pouvait valablement être fondée sur l’article 13, paragraphe 1, du règlement.

60

Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le second moyen comme étant en partie irrecevable et en partie non fondé.

61

Aucun des deux moyens présentés par la Commission au soutien de son pourvoi ne pouvant être accueilli, celui-ci doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

62

Selon l’article 122, premier alinéa, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

63

Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 de ce même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

64

MTU ayant conclu à la condamnation de la Commission et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens de la présente instance.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

 

1)

Le pourvoi est rejeté.

 

2)

La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’allemand.