Lien entre immigration légale et immigration clandestine

Le déclin démographique et le vieillissement de la population dans l'Union européenne (UE) amènent les institutions et les États membres à revoir leurs politiques en matière d'immigration. Le développement des migrations économiques est une des solutions proposées au niveau européen pour répondre aux besoins du marché du travail. À travers cette étude, la Commission dresse l'état des lieux des mesures existantes en matière d'immigration légale. Elle analyse ensuite leurs effets sur l'immigration clandestine et émet une série de propositions à mettre en place afin de gérer efficacement les flux d'immigration légale et illégale.

ACTE

Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, du 4 juin 2004, intitulée « Étude des liens entre immigration légale et immigration clandestine » [COM(2004) 412 final - Non publiée au Journal officiel].

SYNTHÈSE

Cette étude de la Commission a pour objectif d'analyser quel effet peut avoir la mise en place d'une politique d'immigration légale sur les flux migratoires illégaux et sur la coopération avec les pays tiers en matière de lutte contre l'immigration clandestine. L'étude décrit, en premier lieu, les mesures existantes pour gérer l'immigration légale, elle analyse ensuite la relation entre les flux migratoires légaux et illégaux. Enfin, elle présente les propositions de la Commission en matière de gestion de l'immigration.

Gestion actuelle de l'immigration légale

L'admission de ressortissants des pays tiers à des fins d'emploi s'effectue différemment dans chaque État membre, car elle est régie par leur législation nationale. Ces législations ont été élaborées en fonction des différentes tendances migratoires. Aujourd'hui, les procédures et les politiques ont pour but de répondre aux besoins du marché du travail tout en protégeant les intérêts de la main d'œuvre nationale. Les ressortissants des pays tiers voulant travailler dans l'UE doivent remplir certains critères. Ils doivent, par exemple, disposer d'une proposition d'emploi, de ressources financières suffisantes et d'une assurance maladie pour se voir accorder un permis de séjour temporaire. Dans certains États membres, des procédures accélérées ou préférentielles permettent d'attirer des travailleurs hautement qualifiés dans des secteurs spécifiques, comme celui de la santé, mais aussi des travailleurs peu qualifiés.

L'étude menée par la Commission montre qu'il est difficile d'évaluer les flux de migrants légaux, d'une part, et de prévoir les besoins du marché du travail d'autre part. Même si la qualité des statistiques communautaires s'est améliorée, les sources, les définitions, la collecte de données et les pratiques restent différentes selon les États membres. Le rapport estime néanmoins que les migrations à des fins d'emploi concernent actuellement moins de 15% des personnes admises dans les États membres. La plupart des ressortissants des pays tiers admis légalement dans l'UE bénéficient d'un regroupement familial ou d'une protection sanitaire. Quant aux prévisions globales en matière d'emploi, elles laissent apparaître des pénuries de main d'œuvre dans l'UE après 2010. Dans sa communication sur l'immigration, l'intégration et l'emploi, la Commission reconnaît que l'immigration sera de plus en plus nécessaire dans les années à venir pour répondre aux besoins du marché du travail européen. Mais elle ajoute que l'immigration ne permettra pas de résoudre les problèmes causés par le vieillissement de la population pour lesquels il faudra mettre en place une réforme structurelle.

Afin d'admettre sur leur territoire des ressortissants des pays tiers, plusieurs États membres disposent d'accords bilatéraux en matière d'emploi. Ces accords ont pour objectif de répondre aux pénuries de main d'œuvre. Mais ils peuvent aussi être signés pour améliorer les relations avec les pays tiers, renforcer les liens historiques et culturels, améliorer la gestion des flux migratoires ou lutter contre l'immigration clandestine. Les accords bilatéraux signés ces dernières années ont généralement porté sur l'admission de travailleurs saisonniers ou temporaires employés dans les secteurs de l'agriculture, de la construction, du tourisme et de la restauration. L'Espagne a, par exemple, signé des accords avec six pays tiers (Bulgarie, Colombie, Équateur, Maroc, République dominicaine et Roumanie) d'où proviennent traditionnellement des flux d'immigration clandestine. Ces accords ont permis de renforcer la coopération et la lutte contre l'immigration clandestine.

Une autre manière de réguler l'immigration légale consiste à recourir à un système de quotas. Dans ce cas, ce sont les gouvernements qui fixent des quotas annuels, après avoir consulté les entreprises, les organisations patronales, les syndicats et les agences pour l'emploi. Les États membres établissent leurs quotas par secteur d'activité, par région géographique ou encore par pays d'origine. L'étude de la Commission précise que beaucoup d'États membres critiquent le manque de souplesse de ce système et craignent qu'ils limitent leur capacité à répondre aux besoins du marché du travail. Selon la Commission, les quotas préférentiels peuvent faciliter la coopération avec certains pays tiers à court terme, mais sont aussi susceptibles d'entraver la coopération avec d'autres pays tiers à long terme, car ils ont un effet discriminatoire.

Certains États membres mettent aussi en place des mesures de régularisation. La fréquence de ces opérations a augmenté depuis le milieu des années 90. Leur utilisation varie cependant d'un État à l'autre. Il faut distinguer les régularisations temporaires des régularisations définitives. Dans le premier cas, les personnes régularisées reçoivent un titre de séjour d'une durée limitée et renouvelable. Dans le second, le statut de résident permanent leur est accordé. Selon l'étude, une partie des États membres estiment qu'il est nécessaire de régulariser certains migrants qui ne remplissent pas les conditions normales d'attribution d'un titre de séjour. Il existe aussi des pays qui procèdent à des régularisations « humanitaires » ou « de protection » pour des personnes ne bénéficiant d'aucune protection internationale mais qui ne peuvent être renvoyées dans leurs pays. Enfin, certains États procèdent à des régularisations « du fait accompli » qui consistent à régulariser des immigrés clandestins souvent déjà employés illégalement. L'étude de la Commission a examiné l'efficacité des programmes de régularisation autant pour les migrants que pour les États concernés. Si ces programmes permettent de mieux gérer la population, de résoudre le problème du travail au noir et ainsi d'augmenter les recettes publiques, la Commission conclue que ces régularisations constituent malgré tout une forme d'incitation à l'immigration clandestine.

Liens entre l'immigration légale et l'immigration clandestine

Il existe plusieurs formes d'immigration clandestine. Les migrants pénètrent dans un État membre par voie terrestre, aérienne ou maritime. Certains utilisent des faux documents ou recourent à des réseaux criminels organisés. D'autres entrent légalement sur le territoire et prolongent la durée du séjour autorisée. L'étude souligne qu'il est très difficile de connaître précisément l'ampleur de l'immigration clandestine dans les États membres de l'UE. Le nombre d'immigrés clandestins est estimé en fonction du nombre d'accès refusés et d'expulsions, des arrestations à la frontière, des demandes d'asiles ou de protection nationale rejetées et des demandes de régularisation. Mais il faut aussi lui ajouter le nombre de personnes ne demandant aucune forme de protection internationale. À partir de ces estimations, la Commission considère que l'ampleur de la migration clandestine est importante et que la réduction des flux migratoires clandestins est une priorité politique à l'échelon national comme au niveau de l'UE.

L'étude analyse successivement l'impact des accords bilatéraux, de la politique des visas et de la coopération avec les pays tiers sur les flux d'immigration clandestine. En ce qui concerne les accords, l'étude conclut que dans la plupart des États membres, il n'existe pas de lien direct entre la mise en place de systèmes bilatéraux et une réduction de l'immigration clandestine. La signature de ces accords semble néanmoins avoir développé la coopération avec les pays tiers sur les questions d'immigration en général.

Les modifications de la politique des visas sont une autre manière de réguler les flux migratoires. Depuis le traité d'Amsterdam (1999), c'est l'UE qui est compétente en matière de politique des visas dans les États membres (sauf pour le Royaume-Uni et l'Irlande). Elle fixe la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visas pour franchir les frontières extérieures des États membres et ceux dont les ressortissants en sont exemptés. Pour l'instant, la Commission souligne que rien ne permet de prouver que la levée de l'obligation de visa pour un pays déterminé augmente les flux d'immigration clandestine en provenance de celui-ci. Il semble cependant que la mise en place de régimes de visas dans des pays tiers voisins limite l'entrée dans l'UE via ces pays. En Bosnie-et-Herzégovine, cette mesure a effectivement réduit le nombre d'immigrés iraniens et turcs entrant illégalement dans l'UE.

D'un côté, la Commission considère que la coopération avec les pays tiers est déterminante pour réduire les flux d'immigration clandestine. Les accords de coopération policière et de surveillance des frontières ou les accords de réadmission se sont par exemple révélés efficaces. D'un autre côté, la Commission s'efforce de relier davantage les politiques d'immigration et les politiques de développement. L'impact de ces mesures est analysé chaque année, depuis 2004, dans un rapport annuel sur la coopération de l'UE avec les pays tiers.

Perspectives d'avenir

Cette étude a révélé que les données fiables et comparables au niveau de l'UE sont insuffisantes. La Commission souligne donc qu'à l'avenir, elle entend renforcer la consultation et les échanges d'information au sein de l'UE. Elle envisage notamment la possibilité de mettre en place une structure permanente dotée d'une base juridique adéquate afin de contrôler et d'analyser le phénomène de migration et d'asile dans ses différentes dimensions (politique, juridique, démographique, économique et sociale). D'autre part, le Centre d'information, de réflexion et d'échanges en matière de franchissement des frontières et d'immigration (CIREFI) a mis en place un système d'alerte rapide pour échanger des informations sur l'immigration clandestine et les itinéraires utilisés par les trafiquants d'êtres humains. Ce réseau va être actualisé et sera accessible sur internet pour les services des États chargés des flux migratoires. Le réseau des points de contact nationaux sur les questions d'intégration a récemment mis en place un programme de travail pour l'échange d'information et de meilleures pratiques dans trois domaines:

La Commission entend également développer de nouvelles initiatives dans le cadre de la politique d'immigration. En matière d'immigration légale, la Commission estime qu'il convient de déterminer si l'admission des personnes ayant immigré pour des motifs économiques doit être régie au niveau de l'UE et si le principe de préférence communautaire devrait ou non être maintenu sur le marché du travail national. Le degré d'harmonisation et le champ d'application de l'immigration légale doivent aussi être analysés. La Commission pense qu'il faut prendre en compte deux principes de base:

Afin de répondre à ces questions, la Commission a lancé début 2005, une consultation en présentant son livre vert sur une approche communautaire de la gestion des migrations économiques.

En ce qui concerne les mesures à mettre en place pour gérer l'immigration légale, la Commission considère que l'étude sur le lien entre immigration légale et immigration clandestine montre que les régularisations ne devraient pas être considérées comme un moyen de gérer les flux migratoires. La Commission souhaiterait donc que les régularisations à grandes échelles soient évitées ou limitées à des situations tout à fait exceptionnelles. Elle considère aussi qu'un des principaux objectifs de l'UE est de renforcer l'intégration des ressortissants des pays tiers résidant légalement dans les États membres. La stratégie européenne pour l'emploi fournit un cadre pour améliorer l'intégration sur le marché du travail afin de réduire le taux de chômage des populations immigrées. Par ailleurs, la Commission souligne qu'il est souhaitable de faire des progrès afin de faciliter la mobilité des ressortissants des pays tiers et la reconnaissance des qualifications professionnelles de ces populations au sein de l'UE.

L'étude montre qu'un certain niveau d'immigration clandestine subsistera dans l'UE. La Commission souligne, par conséquent, que la lutte contre l'immigration clandestine doit garder une place importante dans la gestion de l'immigration. Il s'agit, dans un premier temps, de mettre en place des mesures préventives et de supprimer les principales incitations comme le travail non déclaré. La Commission souhaite aussi développer des politiques de retour communautaires favorisant une réintégration durable des immigrés clandestins dans leur pays d'origine ou de résidence.

La Commission compte enfin renforcer la coopération avec les pays d'origine et les pays de transit afin de réduire les flux d'immigration clandestine. Elle propose de constituer des partenariats tenant compte des intérêts et des attentes des deux parties et de mettre en commun les informations disponibles sur les voies d'immigration légales offertes aux ressortissants des pays tiers. La Commission propose aussi de développer des programmes de formation dans les pays d'origine, qui permettraient aux ressortissants des pays tiers d'acquérir des compétences correspondant aux besoins de l'UE.

Contexte

Cette communication expose les résultats d'une étude, demandée par le Conseil européen de Thessalonique de juin 2003, sur les liens entre l'immigration légale et l'immigration clandestine. Le Conseil européen de Thessalonique concluait, en effet, que l'UE devait envisager les « moyens juridiques permettant à des ressortissants de pays tiers d'immigrer dans l'Union, en tenant compte de la capacité d'accueil des États membres, dans le cadre d'une coopération renforcée avec les pays d'origine ». Suite à cette étude, la Commission a lancé, le 11 janvier 2005, une consultation publique en publiant un livre vert intitulé « Une approche communautaire de la gestion des migrations économiques ».

ACTES LIÉS

Livre vert de la Commission, du 11 janvier 2005, sur une approche communautaire de la gestion des migrations économiques [COM(2004) 811 final - Non publié au Journal officiel] Ce livre vert a pour but d'engager un débat entre les institutions européennes, les États membres et la société civile afin de mettre en place un cadre législatif communautaire pour l'admission de migrants économiques.

Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, du 3 juin 2003, relative à l'immigration, l'intégration et l'emploi [COM(2003) 336 final - Journal officiel C 76 du 25.03.2004] Cette communication détaille les orientations et les actions prioritaires proposées par la Commission afin de favoriser l'intégration des immigrants. Elle met l'accent sur leur intégration au marché de l'emploi afin de répondre au problème du vieillissement de la population et de contribuer aux objectifs de la stratégie de Lisbonne.

Proposition de plan global de lutte contre l'immigration clandestine et la traite des êtres humains dans l'Union européenne [Journal officiel C 142 du 14.06.2002]

Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, du 15 novembre 2001, concernant une politique commune en matière d'immigration clandestine [COM(2001) 672 final - Non publié au Journal officiel]

Dernière modification le: 03.12.2007