ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

2 juin 2016 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Marchés publics — Directive 2004/18/CE — Article 1er, paragraphe 2, sous a) — Notion de “marché public” — Système d’acquisition de biens consistant à admettre en tant que fournisseur tout opérateur économique qui remplit les conditions préalablement fixées — Fourniture de médicaments remboursables dans le cadre d’un régime général de sécurité sociale — Accords conclus entre une caisse d’assurance maladie et tous les fournisseurs de médicaments basés sur un principe actif donné qui acceptent de consentir une remise sur le prix de vente, à un taux prédéterminé — Législation prévoyant, en principe, la substitution d’un médicament remboursable commercialisé par un opérateur n’ayant pas conclu un tel accord par un médicament de même type commercialisé par un opérateur ayant conclu un tel accord»

Dans l’affaire C‑410/14,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne), par décision du 13 août 2014, parvenue à la Cour le 29 août 2014, dans la procédure

Dr. Falk Pharma GmbH

contre

DAK-Gesundheit,

en présence de :

Kohlpharma GmbH,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de la quatrième chambre, faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. D. Šváby (rapporteur), A. Rosas, E. Juhász et C. Vajda, juges,

avocat général : M. P. Cruz Villalón,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour Dr. Falk Pharma GmbH, par Me M. Ulshöfer, Rechtsanwalt,

pour la DAK-Gesundheit, par Me A. Csaki, Rechtsanwalt,

pour Kohlpharma GmbH, par Me C. Stumpf, Rechtsanwalt,

pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et A. Lippstreu, en qualité d’agents,

pour le gouvernement hellénique, par Mmes K. Nasopoulou et S. Lekkou, en qualité d’agents,

pour le gouvernement suédois, par Mmes A. Falk, C. Meyer-Seitz, U. Persson, N. Otte Widgren ainsi que par MM. E. Karlsson, L. Swedenborg et M. F. Sjövall, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. C. Hermes et A. Tokár, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114, et rectificatif JO 2004, L 351, p. 44).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Dr. Falk Pharma GmbH (ci-après « Falk ») à la DAK-Gesundheit (ci‑après la « DAK »), une caisse d’assurance maladie, en présence de Kohlpharma GmbH, concernant une procédure engagée par la DAK en vue de conclure des accords de remise de prix avec des entreprises commercialisant un médicament dont le principe actif est la mésalazine, et ayant abouti à la conclusion d’un tel accord avec Kohlpharma.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Les considérants 2 et 3 de la directive 2004/18 sont rédigés comme suit :

« (2)

La passation de marchés conclus dans les États membres pour le compte de l’État, des collectivités territoriales et d’autres organismes de droit public doit respecter les principes du traité, notamment les principes de la libre circulation des marchandises, de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services, ainsi que les principes qui en découlent, comme l’égalité de traitement, la non-discrimination, la reconnaissance mutuelle, la proportionnalité et la transparence. Toutefois, en ce qui concerne les marchés publics dépassant un certain montant, il est recommandé d’élaborer des dispositions en matière de coordination communautaire des procédures nationales de passation de ces marchés qui soient fondées sur ces principes de manière à garantir leurs effets ainsi qu’une mise en concurrence effective des marchés publics. Par conséquent, ces dispositions de coordination devraient être interprétées conformément aux règles et principes précités ainsi qu’aux autres règles du traité.

(3)

Ces dispositions de coordination devraient respecter, dans toute la mesure du possible, les procédures et les pratiques en vigueur dans chacun des États membres. »

4

Le considérant 11 de cette directive énonce :

« Il convient de prévoir une définition communautaire des accords‑cadres ainsi que des règles spécifiques pour les accords-cadres passés pour des marchés tombant dans le champ d’application de la présente directive. Selon ces règles, lorsqu’un pouvoir adjudicateur conclut, conformément aux dispositions de la présente directive, un accord-cadre concernant notamment la publicité, les délais et les conditions de remise des offres, il peut conclure pendant la durée de cet accord-cadre des marchés basés sur cet accord-cadre soit en appliquant les termes fixés dans l’accord-cadre, soit, lorsque tous les termes n’ont pas été fixés à l’avance dans cet accord-cadre, après avoir remis en concurrence les parties à l’accord-cadre sur les termes non fixés. [...] »

5

L’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2004/18 dispose que, aux fins de celle-ci, les « “marchés publics” sont des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et ayant pour objet l’exécution de travaux, la fourniture de produits ou la prestation de services au sens de [cette] directive ».

6

Ledit article 1er définit, à son paragraphe 5, la notion d’« accord-cadre » dans les termes suivants :

« Un “accord-cadre” est un accord conclu entre un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et un ou plusieurs opérateurs économiques ayant pour objet d’établir les termes régissant les marchés à passer au cours d’une période donnée, notamment en ce qui concerne les prix et, le cas échéant, les quantités envisagées. »

7

L’article 2 de ladite directive est libellé comme suit :

« Les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité, de manière non discriminatoire et agissent avec transparence. »

8

L’article 32 de la directive 2004/18 dispose :

« [...]

2.   Aux fins de la conclusion d’un accord-cadre, les pouvoirs adjudicateurs suivent les règles de procédure visées par la présente directive dans toutes les phases jusqu’à l’attribution des marchés fondés sur cet accord-cadre. Le choix des parties à l’accord-cadre se fait par application des critères d’attribution établis conformément à l’article 53.

Les marchés fondés sur un accord-cadre sont passés selon les procédures prévues aux paragraphes 3 et 4. Ces procédures ne sont applicables qu’entre les pouvoirs adjudicateurs et les opérateurs économiques originairement parties à l’accord-cadre.

[...]

4.   Lorsqu’un accord-cadre est conclu avec plusieurs opérateurs économiques, le nombre de ceux-ci doit être au moins égal à trois, dans la mesure où il y a un nombre suffisant d’opérateurs économiques satisfaisant aux critères de sélection et/ou d’offres recevables répondant aux critères d’attribution.

L’attribution des marchés fondés sur les accords-cadres conclus avec plusieurs opérateurs économiques peut se faire :

soit par application des termes fixés dans l’accord-cadre, sans remise en concurrence,

soit, lorsque tous les termes ne sont pas fixés dans l’accord-cadre, après avoir remis en concurrence les parties sur la base des mêmes termes, si nécessaire en les précisant, et, le cas échéant, d’autres termes indiqués dans le cahier des charges de l’accord-cadre, selon la procédure suivante :

[...] »

9

Aux termes de l’article 43, premier alinéa, de cette directive :

« Pour tout marché, tout accord-cadre et toute mise en place d’un système d’acquisition dynamique, les pouvoirs adjudicateurs établissent un procès-verbal comportant au moins :

[...]

e)

le nom de l’adjudicataire et la justification du choix de son offre, ainsi que, si elle est connue, la part du marché ou de l’accord-cadre que l’adjudicataire a l’intention de sous-traiter à des tiers ;

[...] »

10

La directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18 (JO 2014, L 94, p. 65), dont les actes de transposition doivent, en vertu de son article 90, paragraphe 1, entrer en vigueur au plus tard le 18 avril 2016, définit, à son article 1er, paragraphe 2, la passation d’un marché dans les termes suivants :

« Au sens de la présente directive, la passation d’un marché est l’acquisition, au moyen d’un marché public de travaux, de fournitures ou de services par un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs auprès d’opérateurs économiques choisis par lesdits pouvoirs, que ces travaux, fournitures ou services aient ou non une finalité publique. »

Le droit national

11

En vertu de l’article 129, paragraphe 1, du Sozialgesetzbuch, Fünftes Buch – Gesetzliche Krankenversicherung (code de la sécurité sociale, cinquième livre – régime légal d’assurance maladie, ci-après le « SGB V »), pour la fourniture d’un médicament qui a été prescrit par l’indication de son principe actif et dont le remplacement par un médicament au principe actif équivalent n’est pas exclu par le médecin prescripteur, les pharmaciens doivent remplacer le médicament prescrit par un médicament au principe actif équivalent pour lequel un accord de remise a été conclu, au sens de l’article 130a, paragraphe 8, du SGB V.

12

Conformément à cette dernière disposition, les caisses d’assurance maladie ou leurs groupements peuvent conclure avec des entreprises pharmaceutiques des accords de remise sur le prix de vente des médicaments qui sont délivrés à la charge de ces caisses, d’une durée de deux ans.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

13

Le 28 août 2013, la DAK a publié au supplément du Journal officiel de l’Union européenne un avis relatif à une « procédure d’admission » en vue de la conclusion d’accords de remise, conformément à l’article 130a, paragraphe 8, du SGB V, portant sur des médicaments dont le principe actif est la mésalazine. Le taux de réduction était fixé à 15 % du prix « départ usine » et la période couverte courait du 1er octobre 2013 au 30 septembre 2015.

14

Cette procédure prévoyait l’admission de toutes les entreprises intéressées remplissant les critères d’admission et la conclusion avec chacune de ces entreprises de contrats identiques, dont les termes étaient prédéterminés et non négociables. En outre, toute autre entreprise remplissant ces critères avait encore la possibilité d’adhérer, aux mêmes conditions, au système d’accords de remise durant la période de validité de celui-ci.

15

L’avis du 28 août 2013 indiquait que ladite procédure n’était pas soumise au droit des marchés publics.

16

Kohlpharma fut la seule entreprise ayant manifesté son intérêt à la suite de cet avis. Un contrat fut conclu avec cette entreprise le 5 décembre 2013. Le mécanisme de substitution prévu à l’article 129, paragraphe 1, du SGB V a été mis en œuvre à partir du 1er janvier 2014 dans le système informatique utilisé par les pharmacies. La conclusion de ce contrat a fait l’objet d’une communication au Journal officiel le 22 février suivant.

17

Le 17 janvier 2014, Falk a introduit un recours devant la Vergabekammer des Bundes (chambre fédérale des marchés publics, Allemagne) visant à faire constater l’incompatibilité avec le droit des marchés publics de la procédure d’admission initiée par la DAK et du seul accord en ayant résulté. L’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne) connaît de ce recours en appel.

18

Dans le cadre dudit recours, Falk soutient que le droit des marchés publics est applicable dès lors qu’un organisme qualifié de pouvoir adjudicateur se procure des biens sur le marché et que ce droit impose de faire appel à la concurrence, ce qui implique la conclusion de contrats exclusifs.

19

À l’inverse, la DAK considère que, pour acquérir les biens et les services qui lui sont nécessaires, un pouvoir adjudicateur peut recourir non seulement aux marchés publics, mais également à d’autres modèles que ceux-ci, et est donc libre d’attribuer un marché en exclusivité, à la suite d’une décision de sélection, mais aussi de conclure des contrats avec toutes les entreprises intéressées, sans opérer de sélection. Or, l’existence d’une décision de sélection serait un élément constitutif de la notion de « marché public » au sens de la directive 2004/18 et du droit de l’Union en la matière, de sorte que, en l’absence de sélection, des contrats tels que celui en cause au principal ne constitueraient pas des marchés publics.

20

Kohlpharma estime, quant à elle, que la liberté de choix d’un pouvoir adjudicateur en ce qui concerne la nature des contrats nécessaires à l’accomplissement d’une obligation de service public est consacrée par la jurisprudence de la Cour en matière de concessions de services.

21

La juridiction de renvoi expose que la recevabilité du recours introduit par Falk dépend du point de savoir si un contrat d’adhésion à un système d’accords de remise au sens de l’article 130a, paragraphe 8, du SGB V, conclu, dans le cadre d’une procédure d’admission, avec tous les opérateurs économiques intéressés, sans sélection, constitue un marché public au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2004/18. En d’autres termes, il s’agit de savoir si un marché public est caractérisé par un choix du pouvoir adjudicateur, qui implique que l’opérateur sélectionné dispose d’une exclusivité. Dans cette hypothèse, une procédure d’admission visant à la conclusion de contrats avec tous les opérateurs économiques intéressés ne constituerait pas une procédure de passation de marché public.

22

Cette juridiction indique que la jurisprudence nationale est partagée sur cette question. Pour certaines juridictions, un marché public est un contrat accordant à l’opérateur choisi une exclusivité, de sorte qu’un marché qui est conclu avec tous les opérateurs qui le demandent ne constituerait pas un marché public. D’autres juridictions estiment que tout marché conclu par un pouvoir adjudicateur est un marché public et que le choix d’un des soumissionnaires, et donc l’octroi d’une exclusivité, est une obligation pour le pouvoir adjudicateur.

23

La juridiction de renvoi incline à penser qu’un système d’accords de remise tel que celui en cause au principal ne constitue pas un marché public. En effet, en raison de l’admission dans ce système de tous les opérateurs qui réunissent les conditions fixées et qui demandent à y être intégrés, il n’y aurait pas de sélection, partant, pas d’octroi d’un avantage économique à un opérateur et, donc, pas de risque de discrimination. Or, ainsi qu’il ressortirait du considérant 2 et de l’article 2 de la directive 2004/18, le droit des marchés publics aurait précisément pour objectif d’éviter les dérives liées à ce type de risques.

24

Cette juridiction se réfère, à l’appui de ces considérations, d’une part, à l’arrêt du 10 septembre 2009, Eurawasser (C‑206/08, EU:C:2009:540), duquel elle infère qu’un marché ne doit pas nécessairement être attribué sous la forme d’un marché public dès lors qu’il existe une alternative légale, qui, dans le cadre de l’affaire au principal ayant donné lieu à cet arrêt, consistait dans le recours à une concession de services. En effet, ni le droit primaire ni le droit dérivé ne lui paraissent impliquer que toute acquisition devrait obligatoirement faire l’objet d’un marché public. Elle estime que, si une distinction existe entre marché public et concession de services, en fonction de la nature de la contrepartie financière prévue au contrat, rien n’exclut que l’existence ou non d’un choix parmi les opérateurs économiques intéressés puisse fonder une autre distinction. À cet égard, ladite juridiction pense que l’arrêt du 15 juillet 2010, Commission/Allemagne (C‑271/08, EU:C:2010:426), pourrait indirectement confirmer cette conclusion, en ce que la Cour y a constaté, au point 73, que les directives en matière de marchés publics ont pour objectif d’exclure le risque qu’une préférence soit donnée aux soumissionnaires ou aux candidats nationaux lors de toute passation de marché effectuée par les pouvoirs adjudicateurs.

25

D’autre part, la juridiction de renvoi se réfère à la directive 2014/24, spécialement à la définition de la notion de « passation de marché public » introduite dans cette directive, qui fait expressément référence au choix d’opérateurs économiques, et au second alinéa du considérant 4 de ladite directive, qui exclut de la notion de marché public les cas dans lesquels tous les opérateurs remplissant certaines conditions sont autorisés à exécuter une tâche sans aucune sélectivité, l’un des exemples donnés paraissant renvoyer à un système comparable à celui en cause au principal. Elle considère que, si, en l’occurrence, la directive 2014/24 n’est pas applicable ratione temporis, la définition de la notion de « passation de marché public » qu’elle contient, alors que la directive 2004/18 ne définit pas cette notion, n’introduit pas de changement. En effet, le droit de l’Union en matière de marchés publics aurait toujours été caractérisé par un élément de concurrence.

26

Dans l’hypothèse où il y aurait lieu de considérer que la sélection est un élément caractéristique d’un marché public, et donc qu’une procédure d’admission à un système d’accords de remise telle que celle en cause au principal n’est pas, en principe, une procédure de passation de marché public, la juridiction de renvoi estime qu’il conviendrait de préciser les conditions de régularité d’une telle procédure d’admission, dont le respect serait nécessaire pour qu’un pouvoir adjudicateur puisse renoncer à recourir à une procédure de passation de marché public impliquant la sélection d’un ou de plusieurs opérateurs.

27

Cette juridiction souligne que les principes de non-discrimination et d’égalité de traitement ainsi que l’obligation de transparence, qui résultent avant tout du droit primaire, entraînent des exigences procédurales et matérielles qui s’imposent également dans le cadre de cette procédure d’admission, afin de garantir que celle-ci soit effectivement exempte de toute sélectivité, ne procurant d’avantage concurrentiel à aucun opérateur. Or, les modalités d’organisation d’une procédure d’admission pourraient créer des discriminations et des inégalités de traitement.

28

Les conditions de régularité d’une telle procédure pourraient être une publicité à l’échelle de l’Union concernant l’ouverture de cette procédure et les contrats qui seront conclus dans le cadre de celle-ci, la clarté des règles régissant l’admission, la fixation a priori des termes des contrats d’adhésion au système d’accords de remise et une possibilité d’adhésion à tout moment.

29

Cette possibilité d’adhésion à tout moment distinguerait une procédure d’admission telle que celle en cause au principal d’une procédure de passation d’un accord-cadre régie par l’article 32 de la directive 2004/18. En effet, l’exigence imposée au paragraphe 2, deuxième alinéa, de cet article, selon laquelle les marchés fondés sur un accord‑cadre ne peuvent être conclus qu’avec les opérateurs économiques qui sont parties à cet accord-cadre, découlerait du caractère sélectif de ce type d’accord. Selon la juridiction de renvoi, imposer une telle limitation dans le cadre d’une procédure d’admission, en fixant un délai au-delà duquel un opérateur ne pourrait plus adhérer au système d’accords de remise, aurait un effet discriminatoire, puisqu’il procurerait un avantage concurrentiel aux opérateurs ayant adhéré à ce système.

30

Cette juridiction considère que le mécanisme de substitution de médicament prévu à l’article 129 du SGB V ne procure pas un tel avantage concurrentiel en cas d’adhésion à un système d’accords de remise au sens de l’article 130a, paragraphe 8, du même texte. La situation serait, à cet égard, différente lorsqu’un tel accord de remise est conclu dans le cadre d’une procédure de passation de marché public. Dans ce dernier cas, l’exclusivité dont bénéficie l’adjudicataire aurait pour conséquence que celui-ci jouirait d’une position concurrentielle particulière, l’attribution du marché ayant ainsi un effet déterminant sur la concurrence. En revanche, lorsque de tels accords sont conclus avec tous les opérateurs intéressés, la substitution de médicament interviendrait sur la base d’un choix opéré non par le pouvoir adjudicateur, mais par le pharmacien ou par le patient en fonction des conditions d’achat proposées par les opérateurs ayant adhéré au système d’accords de remise. Ainsi il se pourrait que certains parmi les opérateurs adhérents ne voient leur produit que très rarement acheté. Il en serait ainsi même si, comme en l’occurrence, un seul opérateur a adhéré. En effet, en accordant le droit d’adhérer à tout moment à tout opérateur intéressé, le pouvoir adjudicateur renoncerait à exercer une influence sur la situation concurrentielle, celle-ci dépendant non pas de la possibilité de substitution des médicaments des opérateurs adhérents, mais de la décision prise par chaque opérateur potentiellement intéressé de participer ou non au système d’accords de remise.

31

Dans ce contexte, l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

La définition de la notion de “marché public” figurant à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2004/18 cesse-t-elle de s’appliquer si un pouvoir adjudicateur organise une procédure d’admission dans le cadre de laquelle il attribue un marché sans sélectionner un ou plusieurs opérateurs économiques ?

2)

S’il convient de répondre à la première question en ce sens que la sélection d’un ou de plusieurs opérateurs économiques est caractéristique d’un marché public, [...] l’élément tenant à la sélection d’opérateurs économiques [qu’impliquerait, dans cette hypothèse, la notion de “marché public”] au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2004/18 doit-il être interprété, à la lumière de l’article 2 de cette directive, en ce sens qu’un pouvoir adjudicateur ne peut renoncer à sélectionner un ou plusieurs opérateurs économiques, par la voie d’une procédure d’admission, que si les conditions suivantes sont remplies :

il est procédé, à l’échelle de l’Union, à une publication concernant l’exécution d’une procédure d’admission ;

des règles claires sont fixées concernant la conclusion du contrat et l’adhésion au contrat ;

les termes du contrat sont fixés à l’avance de manière à ce qu’aucun opérateur économique ne puisse influencer le contenu du contrat ;

les opérateurs économiques bénéficient à tout moment d’un droit d’adhésion, et

il est fait communication, à l’échelle de l’Union, des contrats conclus ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

32

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2004/18 doit être interprété en ce sens qu’il y a lieu de qualifier de marché public, au sens de cette directive, un système d’accords, tel celui en cause au principal, par lequel une entité publique entend acquérir des biens sur le marché en contractant, pendant toute la durée de validité de ce système, avec tout opérateur économique qui s’engage à fournir les biens concernés à des conditions prédéterminées, sans opérer de choix entre les opérateurs intéressés et en permettant à ceux-ci d’adhérer audit système pendant toute la durée de validité de celui-ci.

33

Certes, ainsi que le relèvent certains intéressés ayant présenté des observations écrites devant la Cour, un tel système donne lieu à la conclusion de contrats à titre onéreux entre une entité publique, qui pourrait constituer un pouvoir adjudicateur au sens de la directive 2004/18, et des opérateurs économiques dont l’objet est la fourniture de produits, ce qui correspond à la définition de la notion de « marché public » énoncée à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de cette directive.

34

Il y a cependant lieu de relever, d’une part, que, conformément au considérant 2 de ladite directive, les dispositions de coordination que celle-ci instaure doivent être interprétées en conformité avec les principes du traité FUE, notamment les principes de la libre circulation des marchandises, de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services, ainsi qu’avec les principes qui en découlent, comme l’égalité de traitement, la non-discrimination, la reconnaissance mutuelle, la proportionnalité et la transparence, auxquels sont soumises les passations des marchés publics effectuées dans les États membres.

35

D’autre part, la coordination au niveau de l’Union des procédures de passation des marchés publics de services visant, ainsi, à protéger les intérêts des opérateurs économiques établis dans un État membre désireux d’offrir des biens ou des services aux pouvoirs adjudicateurs établis dans un autre État membre, l’objectif de la directive 2004/18 est d’exclure le risque qu’une préférence soit donnée aux soumissionnaires ou aux candidats nationaux lors de toute passation de marché effectuée par les pouvoirs adjudicateurs (voir en ce sens, s’agissant de la directive relative aux marchés publics de services précédemment en vigueur, arrêt du 10 novembre 1998, BFI Holding, C‑360/96, EU:C:1998:525, points 41 et 42 ainsi que jurisprudence citée).

36

Or, essentiellement, le risque de favoriser les opérateurs économiques nationaux, que ladite directive vise à écarter, est intimement lié à la sélection que le pouvoir adjudicateur entend opérer parmi les offres recevables et à l’exclusivité qui va découler de l’attribution du marché considéré à l’opérateur dont l’offre aura été retenue, ou aux opérateurs économiques dont les offres auront été retenues dans le cas d’un accord‑cadre, ce qui constitue la finalité d’une procédure de passation de marché public.

37

Par conséquent, lorsqu’une entité publique cherche à conclure des contrats de fourniture avec tous les opérateurs économiques désireux de procurer les produits concernés aux conditions indiquées par cette entité, l’absence de désignation d’un opérateur économique auquel l’exclusivité d’un marché serait accordée a pour conséquence qu’il n’existe pas de nécessité d’encadrer par les règles précises de la directive 2004/18 l’action de ce pouvoir adjudicateur de façon à empêcher que celui-ci attribue un marché en favorisant les opérateurs nationaux.

38

Le choix d’une offre, et donc d’un adjudicataire, apparaît ainsi comme un élément intrinsèquement lié à l’encadrement des marchés publics par cette directive et, par conséquent, à la notion de « marché public » au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de celle-ci.

39

Cette constatation est corroborée par l’article 43, premier alinéa, sous e), de la directive 2004/18, aux termes duquel, pour tout marché, tout accord-cadre et toute mise en place d’un système d’acquisition dynamique, les pouvoirs adjudicateurs établissent un procès-verbal contenant le nom de l’adjudicataire et la justification du choix de son offre.

40

Il convient d’ailleurs de relever que ce principe est expressément énoncé dans la définition de la notion de « passation d’un marché » désormais inscrite à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2014/24, dont un élément est le choix par le pouvoir adjudicateur de l’opérateur économique auprès duquel il acquerra, au moyen d’un marché public, les travaux, fournitures ou services qui sont l’objet de ce marché.

41

Enfin, il convient de relever que la particularité d’un système d’accords tel que celui en cause au principal résidant dans son ouverture permanente, durant toute sa durée de validité, aux opérateurs intéressés, et donc non limitée à une période préliminaire au cours de laquelle les entreprises seraient appelées à manifester leur intérêt auprès de l’entité publique concernée, suffit à distinguer ce système d’un accord-cadre. En effet, conformément à l’article 32, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 2004/18, les marchés fondés sur un accord-cadre ne peuvent être attribués qu’aux opérateurs économiques originairement parties à cet accord-cadre.

42

Il y a donc lieu de répondre à la première question posée que l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2004/18 doit être interprété en ce sens que ne constitue pas un marché public au sens de cette directive un système d’accords, tel celui en cause au principal, par lequel une entité publique entend acquérir des biens sur le marché en contractant, pendant toute la durée de validité de ce système, avec tout opérateur économique qui s’engage à fournir les biens concernés à des conditions prédéterminées, sans opérer de choix entre les opérateurs intéressés et en permettant à ceux-ci d’adhérer audit système pendant toute la durée de validité de celui-ci.

Sur la seconde question

43

Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, à quelles conditions est soumise la régularité, au regard du droit de l’Union, d’une procédure d’admission à un système d’accords telle que celle en cause au principal.

44

Il y a lieu de relever qu’une telle procédure, pour autant que son objet présente un intérêt transfrontalier certain, est soumise aux règles fondamentales du traité FUE, en particulier aux principes de non-discrimination et d’égalité de traitement entre opérateurs économiques ainsi qu’à l’obligation de transparence qui en découle, cette dernière obligation imposant de procéder à une publicité adéquate. À cet égard, les États membres disposent, dans une situation telle que celle en cause au principal, d’une certaine marge d’appréciation aux fins de l’adoption de mesures destinées à garantir le respect du principe d’égalité de traitement et de l’obligation de transparence.

45

Toutefois, l’exigence de transparence implique une publicité permettant à des opérateurs économiques potentiellement intéressés de prendre dûment connaissance du déroulement et des caractéristiques essentielles d’une procédure d’admission telle que celle en cause au principal.

46

Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si la procédure d’admission en cause au principal répond à ces exigences.

47

Il y a donc lieu de répondre à la seconde question posée que, pour autant que l’objet d’une procédure d’admission à un système d’accords telle que celle en cause au principal présente un intérêt transfrontalier certain, celle-ci doit être conçue et organisée en conformité avec les règles fondamentales du traité FUE, en particulier avec les principes de non‑discrimination et d’égalité de traitement entre opérateurs économiques ainsi qu’avec l’obligation de transparence qui en découle.

Sur les dépens

48

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

 

1)

L’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, doit être interprété en ce sens que ne constitue pas un marché public au sens de cette directive un système d’accords, tel celui en cause au principal, par lequel une entité publique entend acquérir des biens sur le marché en contractant, pendant toute la durée de validité de ce système, avec tout opérateur économique qui s’engage à fournir les biens concernés à des conditions prédéterminées, sans opérer de choix entre les opérateurs intéressés et en permettant à ceux-ci d’adhérer audit système pendant toute la durée de validité de celui-ci.

 

2)

Pour autant que l’objet d’une procédure d’admission à un système d’accords telle que celle en cause au principal présente un intérêt transfrontalier certain, celle-ci doit être conçue et organisée en conformité avec les règles fondamentales du traité FUE, en particulier avec les principes de non‑discrimination et d’égalité de traitement entre opérateurs économiques ainsi qu’avec l’obligation de transparence qui en découle.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.