CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO CRUZ VILLALÓN

présentées le 14 janvier 2015 ( 1 )

Affaire C‑62/14

Peter Gauweiler,

Bruno Bandulet,

Wilhelm Hankel,

Wilhelm Nölling,

Albrecht Schachtschneider,

Joachim Starbatty,

Roman Huber e.a.,

Johann Heinrich von Stein e.a.

ainsi que

Fraktion DIE LINKE im Deutschen Bundestag

contre

Deutscher Bundestag

[demande de décision préjudicielle

formée par le Bundesverfassungsgericht (Allemagne)]

«Politique économique et monétaire — Validité de la décision du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne du 6 septembre 2012 — Caractéristiques techniques relatives aux opérations monétaires sur titres de l’Eurosystème sur les marchés secondaires de la dette souveraine [‘Outright Monetary Transactions’ (OMT)] — Contrôle de constitutionnalité nationale d’actes de l’Union — Actes ultra vires — Identité constitutionnelle — Coopération loyale — Recevabilité — Nature d’un acte attaquable dans le cadre d’une procédure préjudicielle — Politique de communication publique de la Banque centrale européenne — Compétences de la Banque centrale européenne — Stabilité des prix — Rétablissement des mécanismes de transmission de la politique monétaire — Articles 119 TFUE et 127, paragraphes 1 et 2, TFUE — Circonstances exceptionnelles — Mesures non conventionnelles de politique monétaire — Proportionnalité — Article 123 TFUE — Interdiction du financement monétaire des États membres de la zone euro»

Table des matières

 

I – Cadre juridique

 

A – Le droit de l’Union

 

B – Le droit allemand

 

II – Les faits et la procédure devant la juridiction nationale

 

III – La demande préjudicielle adressée à la Cour

 

IV – Considérations préliminaires: la difficulté «fonctionnelle» de la demande préjudicielle, placée dans le contexte de la jurisprudence pertinente du Bundesverfassungsgericht

 

V – Recevabilité

 

VI – Les questions préjudicielles

 

A – Sur la première question préjudicielle: les articles 119 TFUE et 127, paragraphes 1 et 2, TFUE et les limites de la politique monétaire de la BCE

 

1. Position des intervenants

 

2. Analyse

 

a) Observations préliminaires

 

i) Le statut et le mandat de la BCE

 

ii) Les mesures non conventionnelles de politique monétaire et l’inscription du programme OMT dans celles-ci

 

– Les mesures non conventionnelles de politique monétaire selon la BCE I

 

– Le programme OMT comme mesure non conventionnelle de politique monétaire

 

b) Les compétences de la BCE et le programme OMT

 

i) Le programme OMT et les politiques économiques de l’Union et des États membres en tant que limites à la compétence de la BCE

 

– La politique économique et la politique monétaire de l’Union

 

– Le programme OMT à la lumière des critères définitionnels de la politique économique et de la politique monétaire de l’Union

 

– Les objectifs du programme OMT

 

– Conditionnalité et parallélisme

 

– Sélectivité

 

– Contournement

 

– Conclusion intermédiaire

 

ii) Le contrôle de proportionnalité du programme OMT (article 5, paragraphe 4, TUE)

 

– La motivation des circonstances justificatives du programme OMT, prémisse de la proportionnalité

 

– Le critère de l’adéquation

 

– Le critère de nécessité

 

– Le critère de proportionnalité au sens strict

 

– Conclusion intermédiaire

 

c) Réponse à la première question préjudicielle

 

B – Sur la seconde question préjudicielle: la compatibilité du programme OMT avec l’article 123, paragraphe 1, TFUE (interdiction du financement monétaire des États de la zone euro)

 

1. Position des intervenants

 

2. Analyse

 

a) L’interdiction du financement monétaire des États membres (article 123, paragraphe 1, TFUE) et l’acquisition de titres de dette publique par la BCE

 

b) Le programme OMT et sa compatibilité avec l’interdiction prévue à l’article 123, paragraphe 1, TFUE

 

i) Renonciation à des droits et statut pari passu

 

ii) Risque de défaillance

 

iii) Conservation jusqu’à maturité

 

iv) Moment de l’acquisition

 

v) Stimulation à l’acquisition sur le marché primaire

 

3. Réponse à la seconde question préjudicielle

 

VII – Conclusion

1. 

Par la voie d’un communiqué de presse diffusé après la réunion du conseil des gouverneurs des 5 et 6 septembre 2012, la Banque centrale européenne (BCE) a rendu compte d’une décision formulant un programme d’acquisition de titres de dette publique émis par les États membres de la zone euro, baptisé «Outright Monetary Transactions», (opérations monétaires sur titres, ci-après le «programme OMT»). Le communiqué de presse a détaillé les caractéristiques de base dudit programme d’achat de titres. Les actes juridiques régissant le programme n’ont toutefois pas été adoptés et restent à ce jour encore en suspens.

2. 

Dans ce communiqué de presse, la BCE a indiqué qu’elle était disposée à acquérir des titres de dette publique des États de la zone euro sur les marchés secondaires, sous certaines conditions. Pour les résumer de façon succincte, la BCE a subordonné l’application du programme auquel seraient soumis les États concernés à un programme d’assistance financière de la Facilité européenne de stabilité financière (FESF) ou du Mécanisme européen de stabilité (MES), ce programme comportant toujours la possibilité de réaliser des achats sur le marché primaire. De même, la BCE a décidé que les opérations réalisées sur le marché au titre du programme OMT se concentreraient sur la partie la plus courte de la courbe des taux, sans établir de limites quantitatives ex ante, tout en acceptant que ces opérations se verraient appliquer le même traitement (pari passu) que celui réservé aux créanciers privés, et en prenant l’engagement de stériliser intégralement les liquidités ainsi générées.

3. 

C’est ainsi qu’est né le programme OMT, dans une situation jugée exceptionnelle pour la viabilité de la politique monétaire confiée à la BCE, et en réponse à celle-ci. La crise économique internationale qui avait démarré en 2008 s’est transformée en 2010 en une crise des dettes souveraines de plusieurs États de la zone euro. À l’été 2012, face aux doutes des investisseurs sur la viabilité de l’euro, divers États membres de la zone se sont rapprochés d’une situation financière insoutenable à la suite des hausses, apparemment irrépressibles, des primes de risque appliquées à leurs titres de dette publique. La «réversibilité» de l’euro et le retour subséquent aux monnaies nationales ont semblé devoir se transformer en prophéties autoréalisatrices. C’est dans ce contexte précis que la BCE a annoncé le programme OMT, généralement perçu comme la concrétisation de la promesse de son président, Mario Draghi, exprimée quelques semaines auparavant, de faire, dans le cadre de ses compétences, «tout ce qu’il fallait» pour restaurer la confiance dans la monnaie unique.

4. 

Pour la première fois de son histoire, le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale, Allemagne) s’est adressé à la Cour de justice en application de l’article 267 TFUE et l’a interrogée sur la légalité du programme OMT. Ainsi qu’on l’exposera ci-dessous, les questions formulées par le Bundesverfassungsgericht suscitent des difficultés d’interprétation de premier ordre auxquelles devra répondre la Cour.

5. 

Un premier point méritant l’attention dans cette affaire réside dans le fait que le Bundesverfassungsgericht présente sa demande préjudicielle dans le cadre de ce qu’il qualifie de «contrôle ultra vires» des actes de l’Union, avec une incidence sur l’«identité constitutionnelle» de la République fédérale d’Allemagne. Partant de l’appréciation initiale selon laquelle l’acte en cause de la BCE est illégal au regard du droit constitutionnel allemand, ainsi qu’au regard du droit de l’Union, le Bundesverfassungsgericht décide toutefois, avant d’aller plus loin dans cette analyse, de saisir la Cour pour qu’elle se prononce à cet égard du point de vue du droit de l’Union.

6. 

La Cour doit également examiner un problème de recevabilité, touchant à la possibilité d’attaquer une décision dont seules les caractéristiques principales ont été énoncées par voie de communiqué de presse. Nonobstant cette apparence de simple communiqué de presse difficilement susceptible de faire l’objet d’un contrôle de validité, les circonstances de la présente affaire, auxquelles s’ajoute le rôle particulier que joue la communication publique dans l’activité des banques centrales, pourraient justifier une réponse différente.

7. 

Quant au fond de la présente affaire, la Cour est confrontée aux difficultés que présentent traditionnellement les situations d’urgence pour le droit public. Face à la possibilité d’une désintégration de la zone euro, elle est interrogée sur les pouvoirs dont dispose la BCE, une institution qui, à la différence d’autres banques centrales, est régie par un mandat particulièrement limité. La BCE a fait valoir que le programme OMT constitue un instrument approprié pour affronter les situations exceptionnelles, car, malgré son caractère «non conventionnel» et les risques qu’il comporte, il n’aurait d’autre objectif que de réaliser l’indispensable en vue de restaurer la capacité de la BCE à faire un usage efficace de ses instruments de politique monétaire. Au contraire, les parties requérantes au principal, ainsi que la juridiction de renvoi elle-même, doutent qu’il s’agisse de la véritable finalité du programme, puisqu’elles estiment que l’objectif ultime de ce programme est de transformer la BCE en un «prêteur en dernier recours» pour les États de la zone euro.

8. 

Cette situation a conduit le Bundesverfassungsgericht à soumettre à la Cour ses doutes quant à la compatibilité du programme OMT avec les traités. Elle lui demande, premièrement, si ce programme ne constitue pas plutôt une mesure de politique économique, qui serait donc extérieure au mandat de la BCE, et non une mesure de politique monétaire. Elle l’interroge, deuxièmement, sur le point de savoir si les mesures visées respectent l’interdiction du financement monétaire que prévoit l’article 123, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

I – Cadre juridique

A – Le droit de l’Union

9.

Le titre VIII de la troisième partie du traité FUE, «La politique économique et monétaire», commence par la disposition initiale suivante:

«Article 119

1.   Aux fins énoncées à l’article 3 du traité sur l’Union européenne, l’action des États membres et de l’Union comporte, dans les conditions prévues par les traités, l’instauration d’une politique économique fondée sur l’étroite coordination des politiques économiques des États membres, sur le marché intérieur et sur la définition d’objectifs communs, et conduite conformément au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre.

2.   Parallèlement, dans les conditions et selon les procédures prévues par les traités, cette action comporte une monnaie unique, l’euro, ainsi que la définition et la conduite d’une politique monétaire et d’une politique de change uniques dont l’objectif principal est de maintenir la stabilité des prix et, sans préjudice de cet objectif, de soutenir les politiques économiques générales dans l’Union, conformément au principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre.

3.   Cette action des États membres et de l’Union implique le respect des principes directeurs suivants: prix stables, finances publiques et conditions monétaires saines et balance des paiements stable.»

10.

Le traité FUE prévoit ensuite une clause d’interdiction du financement monétaire des États membres, présentant le contenu suivant:

«Article 123

1.   Il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées ‘banques centrales nationales’, d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres; l’acquisition directe, auprès d’eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite.

2.   Le paragraphe 1 ne s’applique pas aux établissements publics de crédit qui, dans le cadre de la mise à disposition de liquidités par les banques centrales, bénéficient, de la part des banques centrales nationales et de la Banque centrale européenne, du même traitement que les établissements privés de crédit.»

11.

Les objectifs et les missions fondamentales de la BCE sont fixés dans le traité FUE dans les termes suivants:

«Article 127

«1.   L’objectif principal du Système européen de banques centrales, ci-après dénommé ‘SEBC’, est de maintenir la stabilité des prix. Sans préjudice de l’objectif de stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans l’Union, en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union, tels que définis à l’article 3 du traité sur l’Union européenne. Le SEBC agit conformément au principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre, en favorisant une allocation efficace des ressources et en respectant les principes fixés à l’article 119.

2.   Les missions fondamentales relevant du SEBC consistent à:

définir et mettre en œuvre la politique monétaire de l’Union;

conduire les opérations de change conformément à l’article 219;

détenir et gérer les réserves officielles de change des États membres;

promouvoir le bon fonctionnement des systèmes de paiement.

[…]»

12.

L’indépendance de la BCE est consacrée et garantie à l’article 130 TFUE dans les termes suivants:

«Dans l’exercice des pouvoirs et dans l’accomplissement des missions et des devoirs qui leur ont été conférés par les traités et les statuts du SEBC et de la BCE, ni la Banque centrale européenne, ni une banque centrale nationale, ni un membre quelconque de leurs organes de décision ne peuvent solliciter ni accepter des instructions des institutions, organes ou organismes de l’Union, des gouvernements des États membres ou de tout autre organisme. Les institutions, organes ou organismes de l’Union ainsi que les gouvernements des États membres s’engagent à respecter ce principe et à ne pas chercher à influencer les membres des organes de décision de la Banque centrale européenne ou des banques centrales nationales dans l’accomplissement de leurs missions.»

13.

Le protocole no 4 sur les statuts du SEBC et de la BCE, annexé au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO 2010, C 83, p. 230), énumère les instruments de politique monétaire dont dispose la BCE, dont il convient de distinguer celui qui suit aux fins de la présente affaire:

«Article 18

Opérations d’open market et de crédit

18.1.   Afin d’atteindre les objectifs du SEBC et d’accomplir ses missions, la BCE et les banques centrales nationales peuvent:

intervenir sur les marchés de capitaux, soit en achetant et en vendant ferme (au comptant et à terme), soit en prenant et en mettant en pension, soit en prêtant ou en empruntant des créances et des titres négociables, libellés en euros ou d’autres monnaies, ainsi que des métaux précieux;

effectuer des opérations de crédit avec des établissements de crédit et d’autres intervenants du marché sur la base d’une sûreté appropriée pour les prêts.

18.2.   La BCE définit les principes généraux des opérations d’open market et de crédit effectuées par elle-même ou par les banques centrales nationales, y compris de l’annonce des conditions dans lesquelles celles-ci sont disposées à pratiquer ces opérations.»

14.

En 1993, antérieurement à la création de la BCE et en plein processus de transition vers l’Union européenne et monétaire, le Conseil de l’Union européenne a adopté le règlement (CE) no 3603/93, du 13 décembre 1993, précisant les définitions nécessaires à l’application des interdictions énoncées à l’article 104 et à l’article 104 B paragraphe 1 du traité [article 123 TFUE] (JO L 332, p. 1). Aux fins de la présente affaire, il y a lieu de souligner les motifs et principes suivants:

«[…]

considérant que les États membres doivent prendre les mesures appropriées pour que les interdictions prévues à l’article 104 du traité soient effectivement et pleinement appliquées; que notamment les achats effectués sur le marché secondaire ne doivent pas servir à contourner l’objectif poursuivi par cet article;

[…]

Article premier

1.   Aux fins de l’article 104 du traité, on entend par:

a)

‘découvert’: toute mise à disposition de ressources en faveur du secteur public qui se traduit ou est susceptible de se traduire par un solde débiteur en compte;

b)

‘autre type de crédit’:

i)

toute créance sur le secteur public existant au 1er janvier 1994, à l’exception des créances à échéance fixe acquises avant cette date;

ii)

tout financement d’obligations du secteur public à l’égard de tiers;

iii)

sans préjudice de l’article 104 paragraphe 2 du traité, toute opération avec le secteur public qui se traduit ou est susceptible de se traduire par une créance sur celui-ci.

[…]»

B – Le droit allemand

15.

Aux fins de la présente affaire, il convient de mentionner les dispositions suivantes de la Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne (Grundgesetz, ci-après la «LF»):

«Article 1er

(1)   La dignité de l’être humain est intangible. Tous les pouvoirs publics ont l’obligation de la respecter et de la protéger.

(2)   En conséquence, le peuple allemand reconnaît à l’être humain des droits inviolables et inaliénables comme fondement de toute communauté humaine, de la paix et de la justice dans le monde.

(3)   Les droits fondamentaux énoncés ci-après lient les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire à titre de droit directement applicable.

[…]

Article 20

(1)   La République fédérale d’Allemagne est un État fédéral démocratique et social.

(2)   Tout pouvoir d’État émane du peuple. Le peuple l’exerce au moyen d’élections et de votations et par des organes spéciaux investis des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

(3)   Le pouvoir législatif est lié par l’ordre constitutionnel, les pouvoirs exécutif et judiciaire sont liés par la loi et le droit.

[…]

Article 23

(1)   Pour l’édification d’une Europe unie, la République fédérale d’Allemagne concourt au développement de l’Union européenne qui est attachée aux principes fédératifs, sociaux, d’État de droit et de démocratie ainsi qu’au principe de subsidiarité et qui garantit une protection des droits fondamentaux substantiellement comparable à celle de la présente Loi fondamentale. À cet effet, la Fédération peut transférer des droits de souveraineté par une loi approuvée par le Bundesrat. L’article 79, paragraphes 2 et 3, est applicable à l’institution de l’Union européenne ainsi qu’aux modifications de ses bases conventionnelles et aux autres textes comparables qui modifient ou complètent la présente Loi fondamentale dans son contenu ou rendent possibles de tels modifications ou compléments.

Article 79

[…]

(3)   Toute modification de la présente Loi fondamentale qui toucherait à l’organisation de la Fédération en Länder, au principe de la participation des Länder à la législation ou aux principes énoncés aux articles 1 et 20, est interdite.

[…]

Article 88

La Fédération crée une banque d’émission en tant que banque fédérale. Ses missions et pouvoirs peuvent, dans le cadre de l’Union européenne, être transférés à la Banque centrale européenne, qui est indépendante et est tenue d’assurer prioritairement la stabilité des prix.»

16.

Le Bundesverfassungsgericht a développé une jurisprudence en vertu de laquelle il effectue un contrôle de constitutionnalité des actes des institutions et organes de l’Union constitutifs d’un excès de pouvoir manifeste ou affectant l’«identité constitutionnelle», ainsi qu’il résulte de la «clause d’éternité» inscrite à l’article 79, paragraphe 3, de la LF de Bonn.

17.

En ce qui concerne le contrôle des excès de pouvoir manifestes, qualifié de «contrôle ultra vires», le Bundesverfassungsgericht a jugé, dans son arrêt du 6 juillet 2010, Honeywell, qu’il ne pouvait s’exercer que dans un esprit d’ouverture et d’attention au droit de l’Union. De même le Bundesverfassungsgericht a-t-il déclaré que ce contrôle emportait la reconnaissance de l’effet contraignant des arrêts de la Cour de justice sur son interprétation du droit de l’Union.

18.

Pour le Bundesverfassungsgericht, il n’y a contrôle du caractère ultra vires d’un acte de l’Union que s’il est manifeste que les actes des institutions et agences européennes ont été adoptés en dehors des compétences qui leur sont conférées, à condition que les violations sont «suffisamment caractérisées» au regard du principe d’attribution des compétences et du caractère contraignant des lois dans un État de droit ( 2 ).

II – Les faits et la procédure devant la juridiction nationale

19.

Entre le début de l’année 2010 et le début de l’année 2012, les chefs d’État et de gouvernement de l’Union et de la zone euro ont adopté de nombreuses mesures visant à remédier aux graves conséquences de la crise financière qui frappe l’économie mondiale. À mesure que la crise financière se transformait en une crise de la dette souveraine dans plusieurs États membres, il a été convenu, entre autres initiatives, de créer, en lui conférant un caractère permanent, le MES, qui vise à préserver la stabilité financière dans la zone euro en accordant une assistance financière à l’un quelconque des États participant audit mécanisme.

20.

En dépit des efforts de l’Union et des États membres, les primes de risque exigées pour les obligations souveraines de plusieurs États de la zone euro ont subi des augmentations très significatives au cours de l’été 2012. Face aux doutes éprouvés par les investisseurs quant à la viabilité de l’Union monétaire, les représentants de l’Union et des États de la zone euro ont souligné itérativement le caractère irréversible de la monnaie unique. C’est alors que le président de la BCE a déclaré, dans des termes ultérieurement répétés à satiété, qu’il ferait tout ce qu’il faudrait, dans le cadre de ses compétences, pour préserver l’euro ( 3 ).

21.

Quelques semaines plus tard, et selon ce qu’il ressort du compte-rendu de la 340e réunion des 5 et 6 septembre 2012, le conseil des gouverneurs de la BCE a adopté les caractéristiques fondamentales du programme des opérations monétaires sur titres sur les marchés secondaires de la dette souveraine, formellement dénommées «Outright Monetary Transactions». Ainsi qu’il ressort des observations écrites qu’a présentées la BCE dans la présente procédure, le conseil des gouverneurs a également adopté, lors de cette réunion, un projet de décision relative aux opérations monétaires sur titres et d’abrogation de la décision BCE/2010/5, ainsi qu’un projet d’orientation relative à la réalisation des opérations monétaires sur titres. Les deux projets ont fait l’objet de modifications ultérieures lors des réunions du conseil des gouverneurs du 4 octobre ainsi que des 7 et 8 novembre 2012.

22.

Le 6 septembre 2012, le président de la BCE a annoncé, au cours de la conférence de presse qui a suivi la réunion du conseil des gouverneurs, les principaux aspects du programme OMT, qui ont été également repris dans le communiqué de presse du jour, disponible sur la page Internet de la BCE en anglais. Ce communiqué est le texte énonçant les caractéristiques techniques du programme OMT, exposées dans les termes suivants:

«Comme annoncé le 2 août 2012, le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) a pris ce jour des décisions concernant un certain nombre de caractéristiques techniques relatives aux opérations monétaires sur titres de l’Eurosystème sur les marchés secondaires de la dette souveraine, destinées à préserver une transmission appropriée de la politique monétaire ainsi que l’unicité de la politique monétaire. Ces opérations seront dénommées opérations monétaires sur titres (Outright Monetary Transactions – OMT) et seront conduites conformément au cadre suivant:

Conditionnalité

Une condition nécessaire des opérations monétaires sur titres a trait à la conditionnalité stricte et effective attachée à un programme approprié de la Facilité européenne de stabilité financière/du Mécanisme européen de stabilité (FESF/MES). Ces programmes peuvent revêtir la forme d’un programme complet d’ajustement macroéconomique ou d’un programme de précaution (ligne de crédit assortie de conditions renforcées – Enhanced Conditions Credit Line) du FESF/MES, sous réserve qu’ils prévoient la possibilité pour le FESF/MES d’acheter des titres sur le marché primaire. La participation du FMI doit également être recherchée pour la définition de la conditionnalité spécifique à chaque pays et le suivi d’un tel programme.

Le Conseil des gouverneurs envisagera la possibilité de mener des opérations monétaires sur titres dans la mesure où elles sont justifiées du point de vue de la politique monétaire, sous réserve que la conditionnalité du programme soit intégralement respectée, et les suspendra dès qu’elles auront atteint leur objectif ou en cas de non-respect du programme d’ajustement macroéconomique ou du programme de précaution.

À l’issue d’un examen approfondi, il sera laissé à l’entière discrétion du Conseil des gouverneurs de décider du début, de la poursuite et de la suspension des opérations monétaires sur titres, en agissant conformément à son mandat de politique monétaire.

Champ couvert

Les opérations monétaires sur titres seront envisagées pour les cas futurs de programmes d’ajustement macroéconomique ou de programmes de précaution du FESF/MES, comme indiqué précédemment. Elles peuvent également être envisagées pour les États membres appliquant déjà un programme d’ajustement macroéconomique, lorsqu’ils auront regagné accès au marché obligataire.

Les transactions seront concentrées sur la partie courte de la courbe des rendements, et notamment sur les obligations souveraines d’une durée comprise entre un et trois ans.

Aucune limite quantitative n’est fixée au préalable concernant le montant des opérations monétaires sur titres.

Traitement des créanciers

L’Eurosystème entend préciser dans l’acte juridique concernant les opérations monétaires sur titres qu’il accepte le même traitement (pari passu) que les créanciers privés ou autres en ce qui concerne les obligations émises par les pays de la zone euro et acquises par l’Eurosystème par le biais d’opérations monétaires sur titres, conformément aux conditions attachées à ces obligations.

Stérilisation

La liquidité créée par le biais des opérations monétaires sur titres sera intégralement neutralisée.

Transparence

Le total des avoirs au titre des opérations monétaires sur titres et leur valeur de marché seront publiés toutes les semaines. La publication de la durée moyenne des avoirs au titre des opérations monétaires sur titres et de la ventilation par pays aura lieu tous les mois.

Programme pour les marchés de titres

Suite à la décision concernant les opérations monétaires sur titres, le Programme pour les marchés de titres (Securities Markets Programme – SMP) prend fin par là même. La liquidité injectée par le biais de ce programme continuera d’être absorbée comme par le passé, et les titres subsistant dans le portefeuille lié à ce programme seront détenus jusqu’à l’échéance.»

23.

Plusieurs requérants individuels allemands ont formé devant le Bundesverfassungsgericht un recours constitutionnel tendant à la protection de droits fondamentaux, au motif que le gouvernement allemand avait omis de présenter un recours en annulation devant la Cour de justice contre le communiqué du 6 septembre 2012 relatif au programme OMT.

24.

De même, Fraktion DIE LINKE im Deutschen Bundestag (ci-après «Die Linke»), formation politique jouissant d’une représentation parlementaire au Bundestag, a formé devant le Bundesverfassungsgericht une procédure de règlement d’un litige entre organes constitutionnels [Organstreitverfahren], visant à ce que le Bundestag fasse en sorte que le programme annoncé par la BCE le 6 septembre 2012 soit annulé.

III – La demande préjudicielle adressée à la Cour

25.

La demande de décision préjudicielle adressée par le Bundesverfassungsgericht, qui est parvenue au greffe de la Cour le 10 février 2014, a été formulée dans le cadre des procédures engagées par les requérants individuels cités ci-dessus et le groupe parlementaire Die Linke.

26.

Les questions posées par la juridiction de renvoi sont les suivantes:

«1)

a)

La décision du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne du 6 septembre 2012 sur les caractéristiques techniques des opérations monétaires sur titres [‘Technical features of Outright Monetary Transactions’] est-elle incompatible avec les articles 119 et 127, paragraphes 1 et 2, TFUE, ainsi qu’avec les articles 17 à 24 du protocole no 4 sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne, au motif qu’elle excède le mandat de la Banque centrale européenne en matière de politique monétaire, tel que le régissent les dispositions citées, et qu’elle empiète sur la compétence des États membres?

Y a-t-il notamment dépassement du mandat de la Banque centrale européenne aux motifs que la décision de son conseil des gouverneurs du 6 septembre 2012:

i)

se rattache à des programmes d’assistance de politique économique de la Facilité européenne de stabilité financière ou du Mécanisme européen de stabilité (conditionnalité)?

ii)

ne prévoit l’achat d’obligations souveraines que pour certains États membres (sélectivité)?

iii)

prévoit que l’achat d’obligations souveraines des États sous programme vient s’ajouter aux programmes d’assistance de la Facilité européenne de stabilité financière ou du Mécanisme européen de stabilité (parallélisme)?

iv)

pourrait éluder les restrictions et conditions des programmes d’assistance de la Facilité européenne de stabilité financière ou du Mécanisme européen de stabilité (contournement)?

b)

La décision du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne du 6 septembre 2012 sur les caractéristiques techniques des opérations monétaires sur titres est-elle incompatible avec l’interdiction du financement monétaire que consacre l’article 123 TFUE?

La compatibilité avec l’article 123 TFUE se heurte-t-elle notamment au fait que la décision du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne du 6 septembre 2012

i)

ne prévoit pas de limitation quantitative des achats d’obligations souveraines (volume)?

ii)

ne prévoit pas d’intervalle de temps entre l’émission d’obligations souveraines sur le marché primaire et l’achat desdites obligations sur le marché secondaire par le Système européen de banques centrales (formation d’un prix de marché)?

iii)

autorise que l’ensemble des obligations souveraines acquises soient détenues jusqu’à leur échéance (ingérence dans la logique du marché)?

iv)

ne comporte pas d’exigences spécifiques quant à la qualité des obligations souveraines à acquérir (risque de défaillance)?

v)

prévoit une égalité de traitement entre le Système européen de banques centrales et les détenteurs privés et autres titulaires d’obligations souveraines (décote)?

2)

À titre subsidiaire, pour le cas où la Cour estimerait que la décision du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne du 6 septembre 2012 sur les caractéristiques techniques des opérations monétaires sur titres n’est pas de nature, en tant qu’acte d’une institution de l’Union européenne, à faire l’objet d’une demande au titre de l’article 267, premier alinéa, sous b), TFUE:

a)

les articles 119 et 127 TFUE, ainsi que les articles 17 à 24 du protocole no 4 sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils autorisent l’Eurosystème, de façon alternative ou cumulative,

i)

à subordonner l’achat d’obligations souveraines à l’existence et au respect de programmes d’assistance de politique économique de la Facilité européenne de stabilité financière ou du Mécanisme européen de stabilité (conditionnalité)?

ii)

à n’acheter que les obligations souveraines de certains États membres (sélectivité)?

iii)

à procéder à l’achat d’obligations souveraines d’États sous programme en supplément des programmes d’assistance de la Facilité européenne de stabilité financière ou du Mécanisme européen de stabilité (parallélisme)?

iv)

à éluder (contourner) les restrictions et conditions des programmes d’assistance de la Facilité européenne de stabilité financière ou du Mécanisme européen de stabilité?

b)

L’article 123 TFUE doit-il, au regard de l’interdiction du financement monétaire, être interprété en ce sens qu’il autorise l’Eurosystème, de façon alternative ou cumulative,

i)

à acheter des obligations souveraines sans être soumis à une limitation quantitative (volume)?

ii)

à acheter des obligations souveraines sans qu’un intervalle de temps minimal se soit écoulé depuis l’émission des obligations sur le marché primaire (formation d’un prix de marché)?

iii)

à détenir jusqu’à leur échéance l’ensemble des obligations souveraines acquises (ingérence dans la logique du marché)?

iv)

à acquérir des obligations souveraines sans que soient fixées des exigences minimales quant à leur qualité (risque de défaillance)?

v)

à admettre une égalité de traitement entre le Système européen de banques centrales et les détenteurs privés et autres titulaires d’obligations souveraines (décote)?

vi)

à influer sur les prix en annonçant des intentions d’achat ou en exerçant d’autres modalités à une date contemporaine de l’émission d’obligations souveraines par des États membres de la zone euro (encouragement à un premier achat)?»

27.

Des observations écrites ont été présentées par les requérants individuels dans la procédure au principal de protection de droits fondamentaux et par Die Linke, ainsi que par la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, le Royaume d’Espagne, la République française, l’Irlande, la République italienne, la République de Chypre, le Royaume des Pays-Bas, la République de Pologne, la République portugaise et la République de Finlande, ainsi que par la BCE, le Parlement européen et la Commission européenne.

28.

À titre liminaire, on notera que, bien qu’il ait présenté des observations écrites et orales, le Parlement n’est pas habilité à le faire dans une procédure telle que la présente. S’agissant d’une question préjudicielle de validité portant sur un acte qui n’a pas été adopté par cette institution, l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ne l’autorise pas à participer à la présente procédure en qualité d’intervenant. J’estime donc que la Cour ne doit pas prendre en considération les observations écrites et orales formulées par le Parlement.

29.

L’audience s’est tenue le 14 octobre 2014. Y ont participé les intervenants qui avaient antérieurement présenté des observations écrites, à l’exception de la République de Chypre et de la République de Finlande.

IV – Considérations préliminaires: la difficulté «fonctionnelle» de la demande préjudicielle, placée dans le contexte de la jurisprudence pertinente du Bundesverfassungsgericht

30.

La juridiction de renvoi qui saisit la Cour de la présente demande préjudicielle a la particularité de consacrer, dans sa décision, une large partie introductive aux dispositions et à la jurisprudence nationale considérées comme pertinentes. Cette particularité réside bien sûr pas non pas dans la citation des dispositions nationales, qui se limitent en l’espèce à un petit nombre de règles constitutionnelles (des articles 20, 23, 38, 79 et 88 de la LF), mais dans la présentation circonstanciée de la jurisprudence du Bundesverfassungsgericht sur le fondement et les limites constitutionnelles de l’intégration de la République fédérale d’Allemagne dans l’Union. Dans une section consacrée à la «jurisprudence du Bundesverfassungsgericht» ( 4 ), ce dernier, dans sa décision de renvoi, interprète la portée de sa propre jurisprudence antérieure, constituée en substance par ses arrêts du 12 octobre 1993 (Maastricht) ( 5 ), du 30 juin 2009 (Lisbonne) ( 6 ) et du 6 juillet 2010 (Honeywell) ( 7 ), précédent direct de la décision qui nous occupe.

31.

On pourrait penser que, comme dans tant d’autres affaires, cette partie introductive de la décision de renvoi n’a d’autre objet que d’aider la Cour à replacer les questions posées dans leur contexte. En outre c’est certainement ce que fait cette partie, même si l’on ne saurait dire qu’elle se borne à reproduire en résumé ladite jurisprudence nationale. On y trouve en effet, dans le même temps, des appréciations qui ne sauraient être considérées comme mineures ( 8 ).

32.

Le fait d’ainsi présenter le contexte jurisprudentiel national susvisé, en en expliquant la portée à titre liminaire à la Cour, a selon moi des conséquences directes sur la fonctionnalité de la présente demande préjudicielle. Notons d’emblée que toute cette jurisprudence est suffisamment complexe pour que j’en formule ma propre lecture en termes circonspects. Les opinions divergentes qui accompagnent la décision de renvoi manifestent d’ailleurs des perceptions différentes quant à l’application des motifs de l’arrêt Honeywell, précité, à la présente affaire ( 9 ).

33.

En l’exprimant de la façon la plus simple possible, le contenu de cette partie consacrée à la jurisprudence nationale fait ressortir les éléments suivants. Dans certaines hypothèses, qu’il n’est pour l’heure pas indispensable de préciser, la réponse de la Cour à la demande dont elle est saisie au sujet d’un acte déterminé de l’Union, comme celui en l’espèce, n’est pas nécessairement un élément déterminant de la résolution du litige au principal. Au contraire, une fois réglé, le cas échéant, le paramètre constitué par le droit de l’Union, un autre paramètre de validité, à la charge du Bundesverfassungsgericht, pourrait être éventuellement appliqué à ce même acte litigieux: la Constitution nationale elle-même.

34.

De manière plus précise, un tel paramètre constitutionnel d’appréciation, que mettrait ensuite en œuvre le Bundesverfassungsgericht, comprendrait tant le contenu intangible de la Constitution nationale (l’«identité constitutionnelle», que l’on cite à l’article 79, paragraphe 3, de la LF) que le principe d’attribution des compétences (avec les conséquences logiques qui en découlent pour les actes de l’Union adoptés «ultra vires», principe implicitement visé à l’article 23, paragraphe 1, de la LF). Loin de s’exclure l’un l’autre, ces deux paramètres constitutionnels pourraient au contraire se renforcer mutuellement ( 10 ), comme ce semble être le cas dans la présente affaire. En outre de tels paramètres de validité (ceux qualifiés de «contrôle d’identité» et de «contrôle ultra vires») ne pourraient, par définition, être appliqués que par le Bundesverfassungsgericht lui-même ( 11 ).

35.

Cela étant, on ne doit pas s’étonner que plusieurs États intervenant dans la présente procédure (le Royaume des Pays-Bas, la République italienne et le Royaume d’Espagne) aient mis en doute, voire nié, de façon plus ou moins nette, la recevabilité de la présente demande préjudicielle. Pour simplifier de nouveau, ils font valoir que la demande préjudicielle en appréciation de validité est un mécanisme procédural visant non pas à faciliter aux juridictions nationales le contrôle de validité des actes de l’Union auquel elles procèdent elles-mêmes, comme dans la présente affaire, mais à garantir que ce contrôle soit opéré devant l’organe juridictionnel exclusivement compétent, à savoir la Cour de justice. Si la juridiction nationale se réservait le dernier mot en ce qui concerne la validité d’un acte de l’Union, la demande préjudicielle tendrait alors à ne présenter qu’un simple caractère consultatif, ce qui dénaturerait sa fonction dans le système de recours prévu par les traités ( 12 ).

36.

En définitive, une juridiction nationale ne devrait pas pouvoir adresser une demande préjudicielle à la Cour si son renvoi incorpore déjà, de façon consubstantielle ou conceptuelle, l’hypothèse qu’elle dérogera effectivement à la réponse reçue. Elle ne devrait pas pouvoir le faire, car il ne s’agit pas d’une hypothèse susceptible d’être considérée comme relevant du champ d’application de l’article 267 TFUE ( 13 ).

37.

Ayant ainsi exposé la difficulté, que je me permets de qualifier de «fonctionnelle», de la présente demande préjudicielle, il me semble que la Cour doit y consacrer une partie de sa réponse aux questions posées. Je note aussi, toutefois, qu’elle ne doit le faire que dans la mesure indispensable aux fins de la présente affaire, c’est-à-dire dans la mesure des conséquences qu’elle emporte sur la viabilité de la demande préjudicielle. On ne peut en effet nier l’importance, de même que les éventuelles conséquences, de la jurisprudence visée du Bundesverfassungsgericht, ainsi qu’il a été depuis longtemps souligné à suffisance dans toutes sortes de commentaires doctrinaux ( 14 ). On se bornera à rappeler, à titre d’exemple, l’allusion figurant au point 30 de la décision de renvoi, selon laquelle les notions d’«identité constitutionnelle» et de «contrôle ultra vires» font partie du patrimoine constitutionnel de nombreux États membres.

38.

S’agissant de ce dernier point, il est certain que, de manière assez diverse mais avec une finalité essentiellement préventive, plusieurs Cours constitutionnelles ou suprêmes ont jugé opportun de formuler ou d’énoncer l’hypothèse, normalement conçue comme extrême ( 15 ), d’une rupture du «pacte constitutionnel» de l’Union sous‑jacent au processus d’intégration, pour le formuler de la façon la plus générale possible, et, plus précisément, en conséquence d’une action entreprise par l’une quelconque des institutions de l’Union.

39.

Comme pour d’autres questions d’importance analogue, il ne me paraît cependant pas indispensable, aux fins de la présente procédure, que la Cour examine la raison d’être de ces diverses formulations, dont j’insiste sur le fait qu’elles sont normalement considérées comme extrêmes, de même que leur plus ou moins grande généralisation au niveau des États membres, et leur plus ou moins grande coïncidence avec les approches exposées par le Bundesverfassungsgericht. «One case at a time» ( 16 ), telle devrait être la prudente devise dans cette situation concrète. Je m’efforcerai d’expliquer les raisons qui me le font penser.

40.

Notons d’emblée que le fait qu’il s’agit de la première fois, au cours d’une longue histoire, que le Bundesverfassungsgericht adresse à la Cour une demande préjudicielle ne mérite pas de commentaire particulier de ma part, sinon qu’on y verra la confirmation d’une chose en voie de devenir normale. Le caractère de plus en plus dense, pour ainsi dire, de l’ordre juridique de l’Union amène les juridictions spécifiquement constitutionnelles des États membres à se comporter toujours davantage comme des juridictions au sens de l’article 267 TFUE ( 17 ). La place particulière qu’occupent les juridictions constitutionnelles dans la majorité des États membres a pu, dans le passé, constituer une explication suffisante du caractère exceptionnel des cas dans lesquels les juridictions ont fait appel à la Cour, dans une volonté d’entraide juridictionnelle et de collaboration, afin de garantir l’interprétation uniforme du droit de l’Union. Le panorama général commence à changer et la présente demande préjudicielle vient peut-être le confirmer.

41.

Dans le même temps, cependant, cette partie préliminaire de la décision de renvoi met en relief une note marquée d’«exceptionnalisme» à l’initiative du Bundesverfassungsgericht. Il n’est pas absolument certain que la présente demande préjudicielle doive être considérée comme un élément de normalisation au sens que je viens d’indiquer.

42.

Il résulte en effet de ladite jurisprudence que cette demande préjudicielle serait la conséquence inévitable d’une situation considérée comme «exceptionnelle» et qu’on peut pour l’instant, en simplifiant, qualifier d’«ultra vires»: le fait d’avoir apprécié qu’une institution ou un organe de l’Union a commis une violation caractérisée de l’ordre des compétences découlant des traités, mais qui, en même temps, trouve son fondement et ses conditions préalables dans la Constitution nationale. Je m’en tiendrai pour l’instant à la dimension ultra vires de cette jurisprudence, en laissant de côté la dimension «identité constitutionnelle».

43.

La présente affaire répond précisément à l’hypothèse que l’on vient de décrire: la juridiction nationale part de la constatation de principe d’un acte ultra vires de la part d’une institution de l’Union ( 18 ). Il s’agirait plus précisément, au regard du droit allemand, d’un «acte ultra vires manifeste et significatif sur le plan structurel» ( 19 ), emportant en outre, dans la présente affaire, des conséquences sur des aspects fondamentaux de l’ordre constitutionnel national ( 20 ).

44.

Quant à la fonctionnalité de la présente demande préjudicielle, le Bundesverfassungsgericht a déclaré, dans son arrêt Honeywell, précité, que, dans une situation analogue, et dans le cadre d’un contrôle ultra vires en quelque sorte déjà engagé, il convient de «donner l’occasion» à la Cour de se prononcer sur la validité de l’acte litigieux, décision qu’il considère comme une «interprétation essentiellement contraignante du droit de l’Union» ( 21 ).

45.

Laissons pour l’heure les éventuels doutes quant au point de savoir si ce mode d’expression de la juridiction de renvoi répond suffisamment au devoir incombant aux juridictions nationales de dernière instance au sens de l’article 267 TFUE. Ce qui importe c’est qu’une procédure devant la Cour relative à la validité d’un acte litigieux viendrait ainsi «s’insérer» dans une procédure principale ayant pour objet, depuis son introduction, un contrôle ultra vires dudit acte. On y verra certainement une reconnaissance de principe du fait qu’il revient à la Cour de donner son interprétation, contraignante pour les juridictions nationales, du droit de l’Union dans le cadre du contrôle de l’acte litigieux. La question n’en est toutefois que plus problématique.

46.

Car cela n’exclut pas, comme il est immédiatement ajouté, si j’ai bien compris, l’exercice d’un contrôle subséquent («en outre») par le Bundesverfassungsgericht lorsqu’il est «manifeste» que l’acte litigieux a enfreint le principe d’attribution des compétences, étant entendu qu’une telle infraction est «manifeste» si elle a lieu d’une «manière enfreignant spécifiquement» ce principe et qu’elle peut, en outre, être qualifiée de «suffisamment caractérisée» ( 22 ). Si mon interprétation du passage visé est correcte, il est clair que l’«insertion», pour ainsi dire, de la demande préjudicielle dans le déroulement d’une appréciation finale d’un acte ultra vires effectuée par la juridiction nationale pose des problèmes que je qualifierai de «fonctionnels».

47.

Cette invitation, jugée nécessaire, faite à la Cour de se prononcer préalablement sur l’acte litigieux, quoiqu’uniquement du point de vue du droit de l’Union, est elle-même présentée comme la manifestation de la «relation de coopération» qui doit exister entre les deux juridictions, cette notion étant une création du Bundesverfassungsgericht.

48.

Cette «relation de coopération» est loin de revêtir un contenu précis, mais n’en prétend pas moins clairement à être quelque chose de plus que le «dialogue» imprécis entre juridictions. Son fondement ultime réside dans la notion selon laquelle le Bundesverfassungsgericht doit toujours exercer l’obligation qui lui incombe de garantir l’ordre essentiel découlant de la Constitution nationale en étant animée d’un esprit d’ouverture et d’attention au droit de l’Union («europarechtsfreundlich»), une notion que le principe de coopération loyale (article 4, paragraphe 3, TUE) aurait aussi peut-être permis de dégager.

49.

L’on voit ainsi toute l’ambiguïté à laquelle se trouve confrontée la Cour avec cette demande préjudicielle. D’une part, une juridiction constitutionnelle nationale assume enfin sa condition de juridiction nationale de dernière instance au sens de l’article 267 TFUE, et ce en tant qu’expression d’une relation particulière de coopération et d’un principe général d’action se voulant favorable au«programme d’intégration». D’autre part, toutefois, c’est une juridiction nationale qui entend, et le fait savoir, s’adresser à la Cour sans renoncer à sa responsabilité ultime en ce qui concerne les conditions et limites constitutionnelles de l’intégration au sein de l’Union de l’État membre dont elle relève. Cette ambivalence est omniprésente dans la demande préjudicielle, si bien qu’il est difficile de n’en tenir aucun compte dans la présente analyse.

50.

Si je m’en tiens au problème que je viens de qualifier comme étant celui de la fonctionnalité de la présente demande préjudicielle, j’estime qu’il convient de commencer par examiner si la présente demande préjudicielle repose sur les bases essentielles sur lesquelles cette procédure devant la Cour dénommée renvoi préjudiciel a été établie dans les traités successifs et à partir de laquelle a été édifiée, de façon stratégique, la garantie juridictionnelle du droit de l’Union ( 23 ).

51.

Bien sûr, si la seule façon d’interpréter la présente demande préjudicielle était celle que propose de façon expressive le gouvernement italien ( 24 ), il n’y aurait pas d’autre solution que de considérer qu’au-delà même des apparences il s’agit non pas réellement d’une demande préjudicielle «relevant de l’article 267 TFUE», mais de quelque chose de différent, quelque chose qu’il est en tout état de cause difficile de trouver dans le traité.

52.

En effet, et en cela certains des intervenants à la présente procédure ont raison, le renvoi préjudiciel n’a jamais été conçu comme une simple «opportunité» accordée à la Cour de «coïncider» avec la juridiction nationale soit pour qualifier un acte d’ultra vires, soit pour faire une appréciation distincte, avec cette possible conséquence qu’une éventuelle «absence de coïncidence» imputable à la Cour pourrait priver de pertinence la réponse qu’elle apporte. En outre il est clair que cette appréciation n’est pas infirmée par l’attitude en principe ouverte à une interprétation déterminée, conforme à l’acte litigieux. Enfin, dans cette situation, la demande de décision préjudicielle pourrait même avoir pour conséquence ultime et indésirable d’englober la Cour dans la chaîne de causalité conduisant à consommer la rupture du pacte constitutionnel sous-jacent à l’intégration au sein de l’Union ( 25 ).

53.

Face à cette compréhension de la question préjudicielle, la juridiction de renvoi paraît laisser entendre, toujours dans le domaine du contrôle ultra vires, que son paramètre ou critère d’appréciation de l’acte litigieux pourrait être différent de celui qu’il revient à la Cour d’appliquer («pourraient ne pas entièrement concorder») ( 26 ). Il en résulterait que le litige devant le Bundesverfassungsgericht serait distinct, jusqu’à un certain point, de la procédure antérieure devant la Cour. La prudence avec laquelle s’exprime le Bundesverfassungsgericht, aussi bien que la nature des arguments qu’il avance ( 27 ), m’amènent cependant à penser que, matériellement, le paramètre du contrôle ultra vires serait en bonne mesure le même.

54.

En ce sens, le présent renvoi peut en fournir la preuve. En effet, si une part importante du jugement de validité de la décision litigieuse de la BCE est déterminée par l’interprétation donnée à la portée de la compétence de cette dernière, en particulier à l’objectif primordial de la «stabilité des prix», la notion visée fait partie intégrante tant du traité (article 127, paragraphe 1, TFUE), que de la Constitution nationale (article 88 de la LF, in fine). Dans les deux cas, il s’agirait d’interpréter la portée d’une même notion, celle de «stabilité des prix», en tant que principale mission de la BCE, indépendamment du point de savoir si celle-ci figure dans l’une ou l’autre norme fondamentale, ou dans les deux.

55.

Selon la décision de renvoi, toutefois, ce n’est pas seulement le principe d’attribution (ultra vires) qui est en jeu dans la procédure au principal, mais aussi l’«identité constitutionnelle» de la République fédérale d’Allemagne, et ce en vertu des conséquences qu’emporterait l’acte litigieux du point de vue de l’organe constitutionnel national, qui est essentiellement appelé à exprimer la volonté des citoyens. Le «contrôle ultra vires» et le «contrôle d’identité», selon la terminologie même du Bundesverfassungsgericht, viendraient alors se combiner dans la procédure au principal.

56.

Or la question du paramètre de contrôle distinct que doivent appliquer l’une et l’autre juridictions apparaît dans cette partie de la décision de renvoi. Ainsi, s’agissant spécifiquement du «contrôle d’identité», le Bundesverfassungsgericht propose expressément que «[d]ans la relation de coopération existante, c’est à la Cour qu’il revient d’interpréter la mesure. Et c’est en revanche au Bundesverfassungsgericht qu’il appartient de constater le noyau intangible de l’identité constitutionnelle et d’apprécier si la mesure (dans l’interprétation qu’en retient la Cour) empiète sur ce noyau» ( 28 ).

57.

De nouveau, l’on pourrait encore faire entrer ici une série de considérations d’une certaine importance. Je me bornerai toutefois à suggérer, sans qu’il soit nécessaire d’analyser d’autres hypothèses, que, dans la présente affaire, dans laquelle tout paraît indiquer que le «contrôle ultra vires» et le «contrôle d’identité» sont indissociablement liés, les difficultés déjà mentionnées pour admettre une différence de paramètres de contrôle entre la mission de la Cour et celle du Bundesverfassungsgericht restent valides.

58.

En tout état de cause, l’on me permettra de formuler, à ce stade de ma réflexion, quelques commentaires d’ordre général.

59.

En premier lieu, il me semble que ce serait une tâche à peine possible que de préserver cette Union, telle que nous la connaissons aujourd’hui, si l’on entendait la soumettre à une réserve absolue, à peine spécifiée, laissée pratiquement à la libre disposition de chacun des États membres, et prenant la forme d’une catégorie qualifiée d’«identité constitutionnelle», et ce a fortiori si on la considère comme différente de l’«identité nationale» inscrite à l’article 4, paragraphe 2, TUE.

60.

Une telle «réserve d’identité», conçue de façon autonome et interprétée par les organes compétents, souvent juridictionnels, des États membres, dont le nombre, faut-il le rappeler, est aujourd’hui de 28, relèguerait très probablement l’ordre juridique de l’Union dans une position résiduelle, à tout le moins sur le plan qualitatif. Sans entrer dans les détails, et sans aucune volonté de jugement, je crois que les caractéristiques de la présente affaire peuvent être une bonne illustration du scénario que je viens d’évoquer.

61.

En deuxième lieu, je pense qu’il n’est pas inutile de rappeler ici la façon dont la Cour procède depuis fort longtemps avec la catégorie des «traditions constitutionnelles communes» aux États membres, lorsqu’elle est en quête d’inspiration pour la construction du système de valeurs sur lesquelles l’Union est fondée ( 29 ). En particulier, la Cour a clairement préféré recourir à ces traditions constitutionnelles communes pour établir sa propre culture de droits, celle des droits de l’Union. L’Union a ainsi acquis le caractère non seulement d’une communauté de droits, mais aussi d’une«communauté de culture constitutionnelle» ( 30 ). Cette culture constitutionnelle commune est un élément de l’identité commune de l’Union, avec cette conséquence importante, selon moi, que l’identité constitutionnelle de chaque État membre, qui est bien sûr spécifique autant que nécessaire, ne devrait pas se voir située à une distance astronomique de ladite culture constitutionnelle commune, pour le dire avec prudence. À l’inverse, un esprit bien compris d’ouverture au droit de l’Union devrait faire naître, à moyen et à long terme, un principe de convergence essentielle entre l’identité constitutionnelle de l’Union et celle de chacun des États membres.

62.

Pour en revenir à la difficulté fonctionnelle de la demande préjudicielle, j’estime que celle-ci, dans le cadre d’une appréciation nationale correspondant à un «contrôle ultra vires» combiné à un «contrôle d’identité», court un risque d’«instrumentalisation» suffisamment réel pour que l’on envisage la possibilité d’une autre approche, qui permettrait de surmonter ladite difficulté. Il me semble qu’une telle lecture alternative est envisageable, en tenant compte des causes qui paraissent avoir été à l’origine de cette disposition jurisprudentielle, tout en utilisant les potentialités du principe de coopération loyale (article 4, paragraphe 3, TUE). En définitive, il s’agirait d’exploiter les vertus de l’ambiguïté, déjà évoquée, dont la demande préjudicielle paraît entourée.

63.

Il ne faut pas oublier que, selon toute apparence, l’engagement, pour ainsi dire, d’adresser une demande préjudicielle à la Cour semble être une innovation énoncée dans l’arrêt du Bundesverfassungsgericht du 6 juillet 2010, Honeywell, précité, avec l’intention, ainsi qu’il a été reconnu à suffisance, de maintenir ouvert le dialogue entre les juridictions, de telle sorte qu’il se poursuive aussi longtemps que l’exige l’importance de l’affaire ( 31 ). De ce point de vue, le fait de prévoir le renvoi préjudiciel manifesterait une aspiration loyale à ce que l’interprétation du droit de l’Union à laquelle procède la Cour permette de construire à suffisance la réponse aux demandes formulées dans les procédures au principal. Le résultat final souhaitable serait qu’un éventuel contrôle successif effectué sur la base des paramètres constitutionnels n’aboutisse pas, dans les circonstances de l’affaire, à des conclusions en contradiction ouverte avec la réponse de la Cour.

64.

En outre, il est clair que le principe de coopération loyale est également applicable aux juridictions, y compris aux deux juridictions concernées dans cette importante procédure ( 32 ). Cette loyauté mutuelle est d’autant plus urgente dans les cas dans lesquels une juridiction suprême d’un État membre, dans l’exercice responsable de ses compétences constitutionnelles et, sans entrer dans d’autres considérations, fait part loyalement de son inquiétude face à une décision d’une institution de l’Union. Ce principe de coopération loyale oblige bien sûr la juridiction nationale, étant entendu qu’il lui incombe de donner forme et effet audit principe. Quant à la Cour, j’estime que ce principe l’oblige doublement dans les circonstances de la présente affaire.

65.

En premier lieu, et sur le fond, il faut relever qu’il lui incombe de répondre avec la plus grande loyauté possible à une question qui lui a été posée en toute loyauté, aspect sur lequel on ne saurait nourrir le moindre doute. Plus spécialement, si, en exposant les doutes très sérieux qu’elle nourrit quant à la validité ou à l’interprétation de l’acte en cause, la juridiction nationale emploie un discours particulièrement explicite, il convient d’y voir l’expression de son niveau de préoccupation à cet égard. J’y vois le sens de l’appel du gouvernement allemand à un traitement «constructif» de la présente affaire ( 33 ).

66.

En second lieu, et c’est surtout ce dont il s’agit à ce stade, le principe de coopération loyale impose à la Cour de fournir un effort particulier en vue d’offrir une réponse de fond à la demande qui lui est adressée, au-delà de toutes les difficultés dont il a été abondamment question. Cela exigerait de la part de la Cour de se placer dans une hypothèse déterminée quant au sort final de sa réponse.

67.

Concrètement, cette hypothèse consisterait à ne pas écarter d’entrée de jeu, et même à compter sur le fait que la juridiction nationale, au vu et en considération de la réponse fournie par la Cour, et sans préjudice de l’exercice de sa propre responsabilité, tienne ladite réponse à la demande qu’elle a adressée pour déterminante dans les procédures au principal. La coopération loyale englobe un élément de confiance, et cette confiance peut revêtir un sens particulier dans la présente affaire. Il convient de tenir compte du fait que le présent renvoi paraît avoir été conçu par le Bundesverfassungsgericht dans des termes qui autorisent la Cour à augurer, dans les limites du raisonnable, que celui-ci considérera comme suffisante et définitive la réponse reçue, et comme de nature à lui permettre de disposer des paramètres suffisants pour se prononcer sur les prétentions formulées dans les procédures au principal ( 34 ). La «feuille de route» que le Bundesverfassungsgericht s’est lui-même constituée dans son arrêt Honeywell, précité, pourrait venir confirmer cette approche ( 35 ).

68.

Si ce diagnostic de la situation est acceptable, j’estime que la Cour devrait aborder le problème de «fonctionnalité» que soulève cette demande préjudicielle en écartant les hypothèses différentes de celle que je viens de suggérer, en tant qu’elles peuvent être considérées comme extrêmes, difficilement envisageables et, en définitive, comme insuffisantes pour refuser une réponse de fond aux questions posées dans la présente demande préjudicielle.

69.

Par conséquent, et à titre de conclusion intermédiaire, je propose à la Cour de déclarer que la demande est de nature à recevoir une réponse de fond.

V – Recevabilité

70.

Un grand nombre d’États membres, ainsi que les institutions qui ont formulé des observations dans la présente procédure, ont soulevé un problème de recevabilité quant aux questions formulées à titre principal, en tant qu’elles portent sur un problème de validité affectant un acte, le programme OMT, qui est dépourvu d’effets juridiques sur les tiers.

71.

En résumant beaucoup, les intervenants mentionnés soulignent le caractère non définitif, voire, pourrait-on dire, «préparatoire», de l’acte convenu le 6 septembre 2012, par lequel le conseil des gouverneurs a décidé d’adopter les critères essentiels destinés à régir le programme susvisé, mais dont l’approbation n’est pas encore définitive. Comme l’a confirmé la BCE, certains critères ont été convenus lors de cette réunion, mais non le programme OMT en tant que tel. Le contrôle de validité dudit programme ne pourra être effectué que lorsque le conseil des gouverneurs l’adoptera formellement et procédera à sa publication, conformément au régime des actes prévus dans le statut de la BCE.

72.

La jurisprudence de la Cour pourrait en principe ratifier cette interprétation. La jurisprudence en matière de recours en annulation s’oppose à ce que des actes dépourvus d’effets juridiques puissent être attaqués ( 36 ). Dans le contexte précis des demandes préjudicielles, la Cour a déjà constaté dans le passé l’irrecevabilité de renvois en examen de validité d’un acte atypique, non publié et sans effets obligatoires ( 37 ). Selon les intervenants dans la présente procédure, il en irait ainsi du programme OMT annoncé le 6 septembre 2012 lors d’une conférence de presse tenue par le président de la BCE, suivie d’un communiqué de presse détaillant ses principales caractéristiques techniques.

73.

Pour les raisons que j’exposerai ci-après, il m’apparaît toutefois que le programme OMT constitue un acte dont la validité peut être appréciée dans un recours préjudiciel en examen de validité. Cette conclusion s’appuie sur deux motifs différents. En premier lieu, je considère comme déterminant le fait qu’il s’agisse d’un acte fixant les caractères généraux d’un programme général d’action d’une institution de l’Union. En second lieu, il me paraît inévitable de prêter attention à l’importance particulière que la communication publique exerce pour la BCE dans l’exécution de la politique monétaire contemporaine.

74.

Dès ses premières années d’activité, la Cour a subordonné le caractère attaquable des actes à deux exigences concomitantes, à savoir leur nature contraignante et leur capacité à produire des effets juridiques ( 38 ). Ces conditions sont requises conjointement, bien qu’elles apparaissent alternativement dans certains cas, comme celui du contrôle préjudiciel de validité des recommandations ( 39 ).

75.

J’estime cependant que ces deux conditions s’apprécient différemment en fonction du destinataire direct de l’acte attaqué. Ainsi que je l’exposerai maintenant, lorsque l’acte attaqué constitue une mesure de conception d’un programme général d’action, visant à lier l’autorité elle-même qui est auteur de la décision, la jurisprudence se montre plus flexible dans l’application desdites conditions que lorsque l’acte contient une mesure exerçant des effets constitutifs dans les relations juridiques avec les tiers. La raison en est que les programmes généraux d’action d’une autorité publique peuvent se manifester sous des formes atypiques, tout en disposant néanmoins d’une capacité d’influence très directe sur la situation juridique des particuliers. Au contraire, les mesures dont les destinataires directs sont des particuliers doivent réunir des conditions déterminées de forme et de fond, sous peine d’être considérées comme inexistantes.

76.

Un programme général d’action, tel que celui en cause, pourra se manifester par la voie de techniques atypiques, pourra avoir comme destinataire l’autorité elle-même auteur de l’acte, pourra être formellement inexistant d’un point de vue extérieur, mais le fait qu’il ait la capacité d’influer de façon décisive sur la situation juridique de tiers justifie que son traitement comme «acte» soit abordé sous un angle antiformaliste. Le risque existerait sinon qu’une institution dénature le système d’actes et les garanties juridictionnelles correspondantes, en dissimulant des actes à vocation extérieure sous le couvert de programmes généraux.

77.

La jurisprudence de la Cour a fait preuve d’une flexibilité particulière en abordant ce type de programmes généraux d’action susceptibles d’exercer des effets externes.

78.

L’arrêt Commission/Conseil ( 40 ) (dit «AETR»), prononcé en 1971, constitue un point de départ important, puisque la Cour y a notamment examiné la condition d’acte d’une délibération du Conseil relative à la négociation et à la conclusion, par les États membres, d’un accord international. Selon l’opinion du Conseil, cette délibération ne constituait, ni par sa forme ni par son objet ou son contenu, un acte attaquable, mais un accord politique entre États membres dans le cadre du Conseil, sans aucune intention de créer un droit, imposer une obligation ou modifier une situation juridique.

79.

En analysant les arguments du Conseil, la Cour a déclaré que devaient être susceptibles de contrôle juridictionnel «toutes dispositions prises par les institutions, quelles qu’en soient la nature ou la forme, qui visent à produire des effets de droit» ( 41 ). Après avoir examiné l’acte attaqué, la Cour a souligné principalement deux caractéristiques: premièrement, que l’acte était simplement non pas l’expression ou la constatation d’une coordination volontaire, mais le reflet d’une ligne de conduite obligatoire ( 42 ); deuxièmement, que les dispositions adoptées dans cet acte étaient susceptibles «de déroger […] aux procédures prévues par le traité» ( 43 ).

80.

De même, en complément de son arrêt de principe AETR (EU:C:1971:32), la Cour a prêté une attention particulière aux circonstances dans lesquelles l’acte attaqué est adopté. Outre la composante objective soulignée ci-dessus, le contexte entourant l’adoption de l’acte peut apporter des indices supplémentaires confirmant l’intention de l’auteur de l’acte que celui-ci produise des effets sur les tiers, ou la connaissance qu’il a eue de la potentielle incidence externe de la mesure. La pertinence des circonstances a été mise en évidence par la Cour dans l’affaire France/Commission ( 44 ), où elle a admis la possibilité d’attaquer une instruction interne de la Commission, au motif que celle-ci pouvait se distinguer d’une simple instruction de service, «tant par les circonstances dans lesquelles [elle] a été adopté[e] que par les modalités de son élaboration, de sa rédaction et de sa publication» ( 45 ).

81.

Avec ladite jurisprudence comme toile de fond, j’en viens maintenant à analyser le caractère attaquable de l’acte dont la juridiction de renvoi met en doute la validité.

82.

À tout le moins dans sa présentation formelle, le programme OMT est une mesure présentant des caractéristiques atypiques. Il a été conçu au sein du conseil des gouverneurs de la BCE lors de la réunion des 5 et 6 septembre 2012, et se reflète dans l’acte correspondant de cette réunion, lequel renvoie à un futur communiqué de presse pour la description de ses caractéristiques techniques. Les caractéristiques techniques du programme OMT ont ainsi été détaillées lors d’une conférence de presse donnée par le président de l’institution, avec diffusion ultérieure d’un communiqué de presse en anglais sur la page Internet de la BCE. La publication et la divulgation sur Internet du programme constitue l’unique texte écrit «officiel» dont l’on dispose au sujet du programme OMT, si l’on excepte les projets de décision et d’orientation, que la BCE a produits dans la présente procédure, mais qui sont encore des documents internes de l’institution, attendant leur adoption définitive et leur publication ultérieure au Journal officiel de l’Union européenne. Ces projets décrivent en détail ce que le communiqué de presse énonçait en termes généraux, certes, mais aussi avec une précision considérable.

83.

Il ne fait guère de doute que le programme OMT est une décision dotée d’un contenu précis, qui a fait l’objet de discussions pendant deux jours, et dont les caractéristiques principales ont été adoptées au sein du conseil des gouverneurs. De même, la publication des caractéristiques essentielles du programme, tant lors de la conférence de presse que sur la page Internet de la BCE, confirme l’évidente volonté de l’institution de faire connaître ce qui avait été antérieurement convenu au sein du conseil des gouverneurs. Il s’agit d’un programme général d’action, puisqu’il établit les conditions sous lesquelles la BCE agira en cas de blocage des canaux de transmission de la politique monétaire, mais aussi d’une mesure poursuivant directement un effet extérieur. Il n’aurait sinon pas été annoncé avec la plus grande publicité possible en conférence de presse, et ses caractéristiques techniques n’auraient pas non plus été publiées sur la page Internet de la BCE.

84.

De plus, les circonstances qui entourent le programme OMT paraissent confirmer que l’objectif de la BCE était d’intervenir sur les marchés, y compris de manière non conventionnelle, par la seule annonce du programme. Le discours du président de la BCE du 26 juillet 2012 à Londres, annonçant l’adoption de toutes les mesures nécessaires pour «sauver la monnaie commune», la conférence de presse du 2 août qui a suivi la réunion du conseil des gouverneurs du même jour, ainsi que la situation que traversaient alors plusieurs États membres sur les marchés de la dette publique confirment que l’intention qu’avait la BCE en annonçant le programme OMT était simplement non pas de rendre compte des travaux internes au sujet d’une initiative encore en phase de discussion, mais aussi de provoquer un effet par l’annonce de la naissance d’un programme potentiellement ambitieux, visant, nous alléguera-t-on, à enrayer certaines des difficultés auxquelles se heurtaient alors les canaux de transmission de la politique monétaire. La preuve en est l’impact substantiel qu’a eu l’annonce du programme sur les marchés financiers et qui, selon la BCE et la Commission, perdure encore après plus de deux ans.

85.

De même, il est important de souligner que le programme OMT traduit non pas la communication d’un simple acte individuel, mais l’annonce de tout un programme normatif, pour l’avenir, doté de conditions relativement précises et à vocation régulatrice. L’on peut ajouter, au vu de son contenu, que la BCE n’a pas annoncé une décision mineure le 6 septembre 2012. Tout au contraire, elle a fait connaître à cette date les détails d’une mesure présentant une importance manifeste pour la zone euro et appelée, en dépit de son caractère inachevé, à se perpétuer dans le temps.

86.

C’est à ce stade qu’il convient d’évoquer la seconde circonstance qui me paraît pertinente pour le rejet des objections concernant la recevabilité. Il est indispensable de tenir compte du fait que la présente affaire porte sur un acte de communication publique d’une banque centrale qui recouvre un programme d’action de politique monétaire. Les actes de communication publique des banques centrales ne sont pas comparables à ceux des autres institutions, qu’elles soient politiques ou techniques. Durant les 30 dernières années, les banques centrales ont vécu une importante évolution qui a exercé une incidence sur leurs instruments de politique monétaire, dont fait aujourd’hui partie, de l’avis unanime des experts, la communication publique.

87.

C’est un fait que la politique de communication publique des banques centrales est devenue l’un des axes essentiels de la politique monétaire contemporaine. Devant l’impossibilité de prédire des comportements rationnels sur les marchés, une façon efficace de ne pas faire échec à certaines perspectives et, partant, de garantir l’efficacité de la politique monétaire, consiste à tirer profit de toutes les potentialités de la communication publique («stratégie communicative») des banques centrales ( 46 ). Eu égard au prestige et aux informations dont disposent ces institutions, mais aussi aux pouvoirs dont elles jouissent au moyen des instruments conventionnels de politique monétaire, les annonces, opinions ou déclarations des représentants des banques centrales jouent en général un rôle crucial dans le développement de la politique monétaire contemporaine ( 47 ).

88.

Il est indubitable que la BCE a intégré la communication parmi ses instruments centraux de politique monétaire. L’institution l’a elle-même reconnu dans le passé, et personne ne contestera que la communication publique qu’effectue régulièrement la BCE, en annonçant les lignes essentielles de son action, ou en communiquant certaines opinions susceptibles de refléter les actions futures de l’institution, constitue un pilier central de son action ( 48 ). J’estime que cette circonstance, attribuable de façon aussi singulière que caractéristique à la BCE, qualifie très significativement la nature d’un acte, comme l’annonce du programme OMT du 6 septembre 2012.

89.

Enfin, et compte tenu de l’importance des politiques de communication de la BCE, il convient de garder à l’esprit que l’option alternative, consistant à déclarer le caractère inattaquable d’un acte comme le programme OMT, comporterait le risque de soustraire un nombre important de décisions de la BCE à tout contrôle juridictionnel, au simple motif qu’elles n’ont pas encore été formellement adoptées et publiées au Journal officiel. En fin de compte, si une mesure ne nécessite pas d’être publiée officiellement sous sa forme habituelle pour exercer ses effets, dès lors qu’il suffit de la diffuser lors d’une conférence de presse ou par la voie d’un communiqué de presse pour qu’elle produise toute son incidence à l’extérieur, le système d’actes et de contrôle juridictionnel prévu dans les traités serait gravement compromis s’il n’était pas possible de contrôler la légalité de cette mesure.

90.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, j’estime que, dans le cas spécifique de ce type d’actions de la BCE, où les actes de communication publique acquièrent une signification spéciale pour l’effectivité de la politique monétaire, un acte comme celui mis en cause par la juridiction de renvoi, tel qu’il a été annoncé le 6 septembre 2012, constitue, au vu de son contenu, des effets objectifs qu’il produit, mais aussi des circonstances dans lesquelles il a été décidé, un acte d’une institution, dont la validité peut être mise en doute dans le cadre d’une procédure préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE.

91.

Par conséquent, j’estime qu’il y a lieu de rejeter les objections d’irrecevabilité soulevées à l’encontre des questions préjudicielles de validité, de sorte qu’il sera inutile de se prononcer sur la demande préjudicielle en interprétation, formulée à titre subsidiaire par la juridiction de renvoi.

VI – Les questions préjudicielles

A – Sur la première question préjudicielle: les articles 119 TFUE et 127, paragraphes 1 et 2, TFUE et les limites de la politique monétaire de la BCE

92.

Par sa première question, le Bundesverfassungsgericht discute la validité du programme OMT annoncé par la BCE le 6 septembre 2012, en demandant spécialement à la Cour s’il s’agit d’une mesure incompatible avec les articles 119 TFUE et 127, paragraphes 1 et 2, TFUE, et si elle empiète sur les compétences des États membres.

93.

À l’issue d’une motivation abondante et détaillée, le Bundesverfassungsgericht parvient dans sa décision de renvoi à la conclusion qu’il existe des éléments suffisants pour considérer que la BCE a adopté une mesure de politique économique et non de politique monétaire, tout en constatant une violation du principe d’attribution des compétences qui doit régir le comportement de la BCE. Il souligne quatre aspects du programme OMT qui confirmeraient ladite violation: la conditionnalité, la sélectivité, le parallélisme et le contournement. Les inquiétudes de la juridiction de renvoi mettent en évidence, en termes plus généraux, la question des limites des compétences de la BCE lorsque celle-ci fait face à des scénarios exceptionnels comme ceux survenus au cours de l’été 2012.

1. Position des intervenants

94.

Tous les requérants dans la procédure au principal s’accordent en substance sur une interprétation des traités selon laquelle un programme tel que celui annoncé le 6 septembre 2012 par la BCE constitue une mesure de politique économique. De l’avis des requérants, le programme OMT méconnaît le mandat qui impose principalement à la BCE un objectif de maintien de la stabilité des prix, au motif qu’il s’agirait d’une mesure ayant une incidence directe sur les sources de financement des États membres affectés, ce qui placerait la mesure attaquée sur le terrain de la politique économique. Dans leurs allégations, ils invoquent itérativement l’arrêt Pringle ( 49 ), dans lequel la Cour a déclaré que la création du MES constituait une mesure de politique économique, et refusé de le qualifier de politique monétaire. Les requérants estiment que, au vu des caractéristiques que présentent le MES et un programme tel que le programme OMT, il convient également de qualifier ce dernier de mesure de politique économique.

95.

Tant M. Gauweiler que M. Huber soulignent en particulier que le programme OMT a pour véritable objectif non pas de rétablir les canaux de transmission de la politique monétaire, mais de «sauver l’euro» au moyen d’une communautarisation de la dette de ces États, laquelle est incompatible avec les traités, puisqu’elle expose certains États à l’augmentation de l’endettement d’autres États membres. Une telle mesure irait clairement au-delà du «soutien» aux politiques économiques de l’Union et des États membres que les traités permettent à la BCE de réaliser.

96.

Pour sa part, M. von Stein conteste que les marchés de la dette souveraine aient été caractérisés par des taux d’intérêt artificiels au cours des mois qui ont précédé l’annonce du programme OMT. Il estime que ces taux ne font que refléter un véritable prix de marché, sur lequel la BCE intervient pour le manipuler artificiellement, en annonçant être disposée à acheter des titres de dette de certains États membres. Cette altération du marché ne répond pas au mandat que les traités attribuent à la BCE, à savoir maintenir la stabilité des prix.

97.

M. Bandulet souligne que le programme OMT ne saurait compenser les déficiences structurelles affectant la conception de l’Union monétaire. Il considère qu’il ne s’agit nullement d’une compétence de la BCE, et que ce programme contrevient au contraire au principe de démocratie et de souveraineté du peuple.

98.

Le groupe parlementaire Die Linke conteste également la compétence de la BCE d’adopter le programme OMT, bien qu’en recourant à des arguments distincts. Die Linke souligne les conséquences économiques que les programmes successifs d’assistance financière ont entraînées dans certains États membres. Cette incidence confirme selon lui que, en appuyant ces sauvetages par l’exécution du programme OMT, la BCE se serait immiscée dans la politique économique des États membres. Il invoque également différents principes de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne pour contester les interventions de l’Union et de la BCE dans la politique monétaire des États soumis à un programme d’assistance financière.

99.

Tous les États qui sont intervenus dans la présente procédure, ainsi que la BCE et la Commission, considèrent, avec certaines nuances, que le programme OMT, tel qu’il a été rendu public par voie de communiqué de presse, constitue une mesure de politique monétaire, compatible avec les compétences que les traités attribuent à la BCE.

100.

Les États et les institutions susvisés s’accordent également à dire que la BCE dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour définir et exécuter la politique monétaire. La Cour devrait reconnaître cette marge et accepter l’objectif qu’a énoncé la BCE en annonçant son programme OMT. Parmi ces objectifs, les États et les institutions admettent que la BCE peut adopter des mesures non conventionnelles de politique monétaire, dès lors qu’elles sont strictement nécessaires pour atteindre les objectifs fixés. Concrètement, tant la République de Pologne que le Royaume d’Espagne estiment que le programme OMT est compatible avec les catégories mêmes du principe de proportionnalité.

101.

Au contraire de la juridiction de renvoi, les États et les institutions s’accordent également à nier que l’arrêt Pringle (EU:C:2012:756) amènerait à conclure que le programme OMT est une mesure de politique économique. Selon eux, cet arrêt reconnaît que politique économique et politique monétaire sont étroitement liées, de sorte qu’une mesure de politique économique peut avoir une incidence sur la politique monétaire et inversement, sans que cela modifie la nature de la mesure. Dans l’affaire au principal, le fait que le programme OMT puisse avoir une incidence sur la politique économique ne le transformerait pas en soi en mesure de politique économique.

102.

Quant à l’argument selon lequel le programme OMT produirait une altération artificielle des prix sur le marché de la dette publique, le gouvernement polonais, la Commission et la BCE soulignent que toute politique monétaire a comme objectif l’altération du prix, puisqu’une des fonctions inhérentes à ladite politique est d’influer sur les marchés par des mesures modifiant certains comportements, mais toujours avec l’objectif de remplir le mandat incombant à la BCE, à savoir le maintien de la stabilité des prix.

103.

Pour sa part, la République fédérale d’Allemagne défend en ligne de principe la légalité du programme OMT dans les termes qu’on connaît, même si elle a insisté sur le fait que ce programme avait juste été annoncé, et qu’il était nécessaire d’attendre son application concrète pour apprécier s’il s’agit effectivement d’une mesure de politique économique ou de politique monétaire. En tout état de cause, la République fédérale d’Allemagne considère que la BCE dispose d’une large marge d’appréciation et qu’elle n’outrepasserait les traités que si cette mesure relevait manifestement de la politique économique. Elle signale également l’intérêt que la Cour fournisse des critères permettant d’appliquer le programme OMT conformément aux traités et, dans la mesure du possible, aux structures constitutionnelles essentielles de la République fédérale d’Allemagne.

104.

La BCE défend la légalité du programme OMT en invoquant les circonstances survenues au cours de l’été 2012. Les craintes quant à la réversibilité de l’euro se répandaient alors parmi les investisseurs, en provoquant une augmentation marquée et significative des taux d’intérêt versés pour les titres de dette publique de certains États membres. La BCE fait valoir que cette situation lui avait fait perdre sa capacité d’exécuter la politique monétaire en utilisant ses canaux habituels de transmission, et que la fragmentation des marchés de la dette souveraine qui s’en est suivie, associée aux difficultés de financement auxquelles ont fait face certains États membres (ainsi, par voie de conséquence, que leurs institutions financières), ont fait obstacle à la bonne transmission des impulsions qu’émet ordinairement la BCE. Selon celle-ci, ces circonstances ont justifié l’adoption d’une mesure non conventionnelle de politique monétaire telle que le programme OMT. En définitive, toujours selon la BCE, le programme a pour finalité non pas de faciliter les conditions de financement de certains États membres, de conditionner leurs politiques économiques, mais de débloquer lesdits canaux de transmission de la politique monétaire de la BCE.

105.

La BCE conteste que les caractéristiques techniques du programme OMT dissimulent une mesure de politique économique. Selon elle, la «conditionnalité» à laquelle il est fait référence est un moyen indispensable pour éviter que l’exécution du programme OMT n’incite les États affectés à renoncer à la mise en œuvre des réformes structurelles nécessaires pour améliorer leurs fondamentaux économiques. De la même manière, la BCE fait valoir que la «sélectivité» des mesures est inhérente au programme OMT, puisque les perturbations des canaux de transmission résultent des augmentations des taux d’intérêt des titres de dettes de certains États. En définitive, la BCE considère que le programme OMT comporte des sauvegardes permettant de garantir que ledit programme soit lié à la politique monétaire et relève des pouvoirs que les traités attribuent à cette institution.

2. Analyse

a) Observations préliminaires

106.

Avant d’entrer dans l’analyse spécifique de la demande présentée par le Bundesverfassungsgericht, il est utile de s’arrêter sur deux aspects déterminants dans la présente affaire: le statut et le mandat de la BCE, tels que définis dans les traités, d’une part, et la notion de «mesures non conventionnelles de politique monétaire», d’autre part. Ces deux dimensions nous fourniront des éléments essentiels qui nous permettront d’apprécier la légalité d’un programme comme le programme OMT, lequel, selon la BCE, relève desdites mesures non conventionnelles de politique monétaire.

i) Le statut et le mandat de la BCE

107.

La BCE est l’institution à laquelle les traités confient l’exercice des compétences exclusives de l’Union en matière de politique monétaire. La BCE et les banques centrales nationales constituent le SEBC, dont la principale mission est d’assurer la «stabilité des prix», sans préjudice de celle consistant à «soutenir les politiques économiques» ( 50 ). Ainsi, et à la différence d’autres banques centrales, la BCE se caractérise par le fait qu’elle est liée par un mandat clair, étroitement tourné vers la lutte contre l’inflation. Les travaux préparatoires au traité de Maastricht ( 51 ), ainsi que l’historiographie consacrée à la politique monétaire ( 52 ), confirment l’importance de ce mandat dans les négociations ayant débouché sur la création de la BCE.

108.

Outre qu’elle est strictement liée par l’objectif consistant à garantir la stabilité des prix, la BCE se caractérise par un niveau important d’indépendance, aussi bien fonctionnelle qu’organique ( 53 ). Les traités soulignent à de nombreuses reprises l’indépendance de toutes les actions de la BCE, à laquelle s’ajoute la forte rigidité des procédures de réforme des statuts du SEBC et de la BCE, une caractéristique qui distingue cette institution des banques centrales qui l’entourent, dont les normes qui les régissent peuvent être modifiées par le Parlement de leur État respectif ( 54 ). Ce n’est pas le cas de la BCE, puisque toute réforme de son statut exige une réforme des traités ( 55 ).

109.

Comme dans le cas des banques centrales nationales, l’indépendance de la BCE a également pour finalité de maintenir l’institution éloignée du débat politique, en interdisant catégoriquement toute espèce d’injonction émanant d’autres institutions des États membres ( 56 ). De même, ce détachement de l’activité politique est requis par le caractère extrêmement technique et le niveau élevé de spécialisation qui caractérisent la politique monétaire ( 57 ).

110.

En effet, les traités confient exclusivement à la BCE le soin de concevoir et d’exécuter la politique monétaire, et celle-ci se voit à cette fin attribuer d’importants moyens pour exercer ses fonctions. Lesdits moyens offrent également à la BCE la possibilité de disposer d’une connaissance et d’informations particulièrement précieuses qui lui permettent de réaliser plus efficacement sa mission, tout en renforçant au fil du temps ses capacités techniques et sa réputation. Ces caractéristiques sont fondamentales pour garantir que les impulsions de la politique monétaire parviennent effectivement à l’économie, puisque, comme on l’a déjà dit ci-dessus, une des fonctions des banques centrales contemporaines consiste à orienter les attentes, fonction pour laquelle la connaissance technique, la réputation et la communication publique sont des outils fondamentaux.

111.

Aussi la BCE doit-elle nécessairement se voir reconnaître une large marge d’appréciation dans la conception et l’exécution de la politique monétaire de l’Union ( 58 ). En procédant à un contrôle de l’activité de la BCE, les juridictions doivent donc éviter le risque de se substituer à cette institution, en évoluant sur un terrain hautement technique, requérant une spécialisation et une expérience qui, selon les traités, relèvent de la seule BCE. Par conséquent, l’intensité du contrôle juridictionnel sur l’activité de la BCE devrait, sans ignorer son caractère impératif, être caractérisée par un degré considérable de retenue ( 59 ).

112.

Enfin, il est important de souligner que la politique monétaire de la BCE est mise en œuvre, comme nous venons de le dire, au moyen de différents «canaux ou mécanismes de transmission», grâce auxquels l’institution intervient sur le marché et remplit son mandat consistant à assurer la stabilité des prix ( 60 ). Pour exécuter sa politique monétaire, la BCE contrôle la base monétaire dans l’économie de la zone euro, et ce en émettant les «impulsions» correspondantes, principalement par la fixation des taux d’intérêt, lesquelles impulsions passeront ultérieurement du secteur financier aux entreprises et aux particuliers ( 61 ).

113.

En ce sens, pour assurer le fonctionnement correct de ces canaux de transmission, les statuts du SEBC et de la BCE attribuent au SEBC une compétence expresse pour adopter une série de «fonctions monétaires et [d’]opérations». Parmi ces opérations, il convient, aux fins de la présente affaire, de souligner celles prévues à l’article 18, paragraphe 1, des statuts du SEBC et de la BCE, lequel autorise la BCE et les banques centrales nationales à «intervenir sur les marchés de capitaux, soit en achetant et en vendant ferme (au comptant et à terme), soit en prenant et en mettant en pension, soit en prêtant ou en empruntant des créances et des titres négociables, libellés en euros ou d’autres monnaies, ainsi que des métaux précieux».

114.

Indépendamment de ce qui précède, et comme on le verra maintenant, un programme tel que le programme OMT ne peut être considéré comme relevant des instruments ordinaires de politique monétaire de la BCE. Le programme OMT met formellement en œuvre l’une des opérations monétaires susmentionnées, mais le fait dans des termes suffisamment inhabituels pour justifier la qualification de «mesure non conventionnelle de politique monétaire». J’exposerai ci-dessous à quoi fait plus concrètement référence ce terme, comment la BCE a justifié cette opération et dans quelle mesure il s’agit d’un moyen légalement prévu par les traités.

ii) Les mesures non conventionnelles de politique monétaire et l’inscription du programme OMT dans celles-ci

– Les mesures non conventionnelles de politique monétaire selon la BCE

115.

La BCE défend la légalité du programme OMT en tant qu’intervention visant à débloquer les canaux de transmission de la politique monétaire de l’Union. Ainsi qu’on vient de l’expliquer, ces canaux de transmission de la politique monétaire fonctionnent non pas comme des mécanismes à effets immédiats, mais comme un cadre qu’utilise la BCE pour lancer une série d’«impulsions» en vue de faire parvenir celles-ci à l’économie réelle. Selon la BCE, la politique monétaire peut être affectée par des facteurs exogènes aux canaux de transmission, lesquels sont susceptibles de compromettre le bon fonctionnement des impulsions qu’elle lance: une crise politique ou économique internationale, ou une modification significative des prix du pétrole, entre autres facteurs, peuvent gravement fausser les «impulsions» que lance la BCE par la voie des canaux de transmission de la politique monétaire.

116.

Lorsque se produit une telle situation, la BCE s’estime compétente pour intervenir au moyen de ses propres instruments, avec l’objectif de débloquer lesdits canaux. Il s’agirait en ce cas d’interventions distinctes de celles qui sont habituelles dans la pratique de la BCE, puisqu’elles correspondraient non pas à une opération «ordinaire», mais à une opération de déblocage et à la restauration postérieure des instruments de politique monétaire proprement dits ( 62 ).

117.

Tant la BCE que les États membres qui sont intervenus dans la présente procédure soutiennent la légitimité de recourir à ce type de mesures non conventionnelles comme partie de la politique monétaire. Ainsi qu’il ressort du dossier, il s’agit effectivement d’un type d’intervention auquel ont recouru la majorité des banques centrales lors de la crise financière internationale qui a commencé en 2008 ( 63 ), y compris la BCE elle-même ( 64 ). Selon la BCE et les États membres intervenants, les traités n’empêchent pas la BCE d’exercer ses pouvoirs pour restaurer ses instruments de politique monétaire lorsque se produisent des circonstances qui altèrent significativement le fonctionnement normal des canaux de transmission. Selon la Commission, cette faculté est compatible avec les traités, dès lors qu’elle est exercée de façon prudente et assortie de garanties.

118.

Sur la base de ces prémisses, il convient d’examiner la nature précise du programme OMT tel qu’il a été rendu public au moyen d’un communiqué de presse le 6 septembre 2012.

– Le programme OMT comme mesure non conventionnelle de politique monétaire

119.

Le programme OMT s’inscrit formellement parmi les opérations que les statuts du SEBC et de la BCE prévoient dans leur article 18, paragraphe 1, précité. Il est clair que, en attribuant au SEBC une compétence pour acquérir des créances et des titres négociables, cette disposition a pour finalité d’offrir à la BCE des outils lui permettant de contrôler la base monétaire, comme moyen conventionnel de maintenir la stabilité des prix.

120.

Il convient toutefois d’ajouter immédiatement que le programme OMT fait un usage des pouvoirs prévus à l’article 18, paragraphe 1, des statuts du SEBC et de la BCE qui est éloigné de la pratique normale des opérations de la BCE. Il est clair qu’une mesure sélective, visant un ou plusieurs États de la zone euro et consistant à acquérir des titres de dette sans limitation quantitative préalable, en tablant sur le fait que les conditions de financement sur les marchés s’en trouveront améliorées, est loin de la pratique ordinaire de la BCE.

121.

Ainsi qu’il est indiqué dans le communiqué de presse du 6 septembre 2012, le programme OMT prévoit une intervention de la BCE sur le marché secondaire de la dette publique, en lui permettant d’acquérir des titres de dette des États de la zone euro soumis à un programme d’assistance financière et faisant vraisemblablement face à des difficultés pour placer leurs titres de dette. La prémisse sur laquelle repose le programme OMT est l’irruption d’un facteur exogène altérant les canaux de transmission de la politique monétaire. Cet élément perturbateur constitue, selon ce que précise la BCE, une augmentation relativement brusque et pratiquement insupportable des primes de risque de certains États de la zone euro, laquelle augmentation s’avère en principe incompatible avec la réalité macroéconomique desdits États, de sorte qu’elle empêche la BCE de transmettre efficacement ses impulsions et, partant, d’accomplir son mandat consistant à garantir la stabilité des prix.

122.

Aussi, et au vu des considérations qui précèdent, j’estime que le programme OMT peut être qualifié de mesure non conventionnelle de politique monétaire, avec les conséquences qu’une telle qualification emportera du point de vue de son contrôle.

b) Les compétences de la BCE et le programme OMT

123.

Au vu des observations qui précèdent, je me concentrerai sur les deux aspects qu’il convient d’examiner pour donner une réponse complète à la première question préjudicielle posée par le Bundesverfassungsgericht.

124.

En premier lieu, il est nécessaire d’apprécier si un programme tel que le programme OMT peut être qualifié de mesure de politique monétaire, ou s’il ne s’agit pas plutôt d’une mesure de politique économique qui, partant, serait interdite à la BCE, examen qu’il convient d’effectuer tout en prêtant une attention particulière aux caractères techniques que souligne le Bundesverfassungsgericht. Si le programme OMT peut être qualifié de mesure de politique monétaire, comme je le proposerai, il conviendra ensuite de l’analyser à la lumière du principe de proportionnalité, au sens de l’article 5, paragraphe 4, TUE.

i) Le programme OMT et les politiques économiques de l’Union et des États membres en tant que limites à la compétence de la BCE

– La politique économique et la politique monétaire de l’Union

125.

Ainsi que je l’ai indiqué, le Bundesverfassungsgericht demande si, en approuvant le programme OMT, la BCE a adopté une mesure de politique économique et non de politique monétaire, en violant ainsi la compétence que, dans son article 119, paragraphe 1, le TFUE attribue au Conseil et aux États membres.

126.

Si l’on s’en tient au droit primaire de l’Union, l’article 119, paragraphe 1, TFUE décrit sommairement les principales composantes de la politique économique qui incombe à l’Union et énonce que celle‑ci est fondée «sur l’étroite coordination des politiques économiques des États membres, sur le marché intérieur et sur la définition d’objectifs communs, et conduite conformément au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre». Bien que cette disposition soit générale et donc ambiguë, elle n’en offre pas moins les éléments principaux et définitionnels des aspects de la politique économique qui sont de la compétence de l’Union.

127.

Les traités sont en revanche silencieux lorsqu’il s’agit de définir la compétence exclusive de l’Union en matière de politique monétaire. La Cour traduit cette constatation dans son arrêt Pringle, où elle se voit obligée de recourir, à titre d’unique critère de référence, aux objectifs que le TFUE attache à la politique monétaire ( 65 ). L’objectif principal de la politique monétaire de l’Union, à savoir la stabilité des prix, et le soutien aux politiques économiques générales dans l’Union, constitue le principal critère définitionnel de la politique monétaire (articles 127, paragraphe 1, TFUE et 282, paragraphe 2, TFUE). C’est ce qu’a confirmé la Cour dans son arrêt Pringle (EU:C:2012:756), où l’unique paramètre auquel elle a recouru pour apprécier si une réforme du traité relève ou non du champ de la politique monétaire a été celui des objectifs s’attachant à ladite politique.

128.

En dépit des rares critères qu’offrent à première vue les traités, le droit de l’Union dispose d’outils interprétatifs utiles pour déterminer si une décision entre dans la politique économique ou dans la politique monétaire de l’Union.

129.

Bien que cela puisse paraître une évidence, il est important de relever que la politique monétaire fait partie de la politique économique générale. La division entre ces deux politiques dans le droit de l’Union est une exigence imposée par la structure des traités, ainsi que par la distribution horizontale et verticale des pouvoirs dans l’Union, mais, en termes économiques, l’on peut affirmer que toute mesure de politique monétaire relève en définitive de la catégorie plus large de la politique économique générale. La Cour elle-même et l’avocat général Kokott dans sa prise de position présentée dans l’affaire Pringle ont mis en évidence cette association entre ces deux politiques en déclarant qu’une mesure de politique économique ne peut être assimilée à une mesure de politique monétaire en raison du seul fait qu’elle est susceptible d’avoir des effets indirects sur la stabilité de l’euro ( 66 ). Ce raisonnement est tout à fait valide dans sa formulation inverse, comme l’ont souligné la BCE, la Commission et la majorité des États membres qui sont intervenus dans la présente procédure, puisqu’une mesure de politique monétaire ne se transforme pas en mesure de politique économique en raison du simple fait qu’elle peut avoir des effets indirects sur la politique économique de l’Union et des États membres.

130.

Le silence du traité, qui renonce à définir avec précision la politique monétaire de l’Union, est cohérent avec une conception fonctionnelle du rôle de la politique monétaire, selon laquelle relève de la politique monétaire toute mesure mise en œuvre au moyen des instruments propres à ladite politique. Par conséquent, si une mesure s’inscrit parmi les instruments que prévoit le droit pour l’exercice de la politique monétaire, l’on peut poser la présomption initiale que cette mesure est le fruit de l’exercice de la politique monétaire de l’Union. Il s’agit évidemment d’une présomption susceptible d’être infirmée si, par exemple, la mesure poursuit des objectifs distincts de ceux précisément énumérés aux articles 127, paragraphe 1,TFUE et 282, paragraphe 2, TFUE.

131.

De même, d’autres dispositions du traité relatives à la politique monétaire fournissent des indices pertinents qui viennent enrichir le contenu définitionnel de ladite politique. Ainsi, les articles 123 TFUE et 125 TFUE, auxquels je me référerai plus attentivement en examinant la seconde question préjudicielle, fixent des interdictions strictes de financement des États soit par la voie de mesures de financement monétaire, soit au moyen de transferts entre États, respectivement. Ces interdictions confirment que, bien qu’elle s’inscrive dans une Union fondée sur la valeur de la solidarité (article 2 TUE) ( 67 ), l’Union monétaire poursuit également le maintien de la stabilité financière, pour lequel elle se fonde sur un principe de discipline fiscale et de non-coresponsabilité financière ( 68 ).

132.

Aussi, pour qu’une mesure de la BCE relève effectivement de la politique monétaire, elle doit servir spécifiquement l’objectif principal consistant à maintenir la stabilité des prix, à condition d’être mise en œuvre au moyen de l’un des instruments de politique monétaire expressément prévus dans les traités et de ne pas compromettre les impératifs de discipline fiscale et de non-coresponsabilité. Si la mesure en cause présente des aspects ponctuels propres à une politique économique, elle ne sera compatible avec le mandat de la BCE que si elle vise à «soutenir» les mesures de politique économique et qu’elle est subordonnée à l’objectif prioritaire de la BCE.

– Le programme OMT à la lumière des critères définitionnels de la politique économique et de la politique monétaire de l’Union

133.

En nous concentrant maintenant sur les critères qui viennent d’être exposés, il convient d’apprécier si le programme OMT présente le caractère d’une mesure de politique monétaire ou de politique économique. La juridiction de renvoi a souligné une série d’éléments susceptibles de démontrer qu’il s’agit d’une mesure de politique économique; je les examinerai individuellement. Toutefois, à titre liminaire, il est important de s’en tenir aux objectifs que nous a exposés la BCE pour justifier le programme OMT, lesquels ont été mis en cause par le Bundesverfassungsgericht et rejetés par les requérants au principal. Après avoir examiné les motifs susvisés et procédé à la qualification juridique du programme, j’en viendrai à apprécier les éléments évoqués de façon distincte par la juridiction de renvoi: la conditionnalité, le parallélisme, la sélectivité et le contournement.

– Les objectifs du programme OMT

134.

Comme l’a exposé de façon circonstanciée la BCE dans ses observations écrites, une série de circonstances exceptionnelles se sont combinées dans l’économie des États de la zone euro au cours des mois de l’été 2012: des primes de risque excessives appliquées à certains États membres, une forte volatilité sur les marchés de la dette publique, une fragmentation du crédit sur le marché interbancaire et une augmentation des coûts de financement des entreprises du fait de cette situation. Ces événements ont été également fortement influencés par la crainte grandissante des marchés face à une désintégration hypothétique de la monnaie unique soit par la sortie sélective d’un ou de plusieurs de ses États membres, soit par sa disparition directe et le retour aux monnaies nationales. Aucune des parties à la présente procédure préjudicielle n’a en substance contesté ces faits.

135.

Selon la BCE, les circonstances mentionnées ont interféré avec les instruments conventionnels de la politique monétaire. Les taux d’intérêt de la dette publique ont été fixés en fonction non plus de la qualité des titres émis, mais du lieu d’établissement du débiteur. Une fragmentation territoriale des taux d’intérêt appliqués aux détenteurs d’obligations publiques émises par les États de la zone euro, à des conditions, parfois, qui ne correspondaient pas aux fondamentaux macroéconomiques des États affectés, posait, toujours selon la BCE, un sérieux obstacle à sa politique monétaire, fondée sur l’emploi de différents moyens ou canaux de transmission. Dès lors que le marché de la dette publique, c’est-à-dire l’un des canaux essentiels de transmission de la politique monétaire, subissait une altération d’une telle gravité, la BCE perdait une grande partie de la marge dont elle dispose pour remplir la mission que lui attribuent les traités.

136.

Compte tenu des circonstances factuelles susvisées, et toujours selon la BCE, le programme OMT aurait un double objectif, à savoir un objectif direct et un objectif indirect: d’abord, il aurait pour but de réduire les taux d’intérêt exigés pour les titres de dette d’un État membre, de manière à pouvoir ensuite «normaliser» les écarts et ainsi restaurer les instruments de politique monétaire de la BCE.

137.

Certains requérants dans la procédure au principal font valoir que l’objectif de la BCE était non pas celui qu’on vient d’exposer, mais celui de «sauver la monnaie unique» par la transformation de la BCE en un prêteur en dernier recours pour les États membres, en remédiant ainsi à certains défauts de conception de l’Union monétaire. Je ne pense pas qu’il existe des arguments concluants permettant de le soutenir. Le fait que, dans le droit-fil des mesures qui ont débouché sur l’annonce du 6 septembre 2012, le bulletin mensuel de la BCE d’août de cette même année ait souligné la relation entre le programme et l’«irréversibilité de l’euro» ne me paraît pas suffisant pour mettre en cause la défense constante et réitérée des objectifs du programme OMT que la BCE a exprimée dès l’annonce de celui-ci et qu’elle a maintenue jusqu’à la présente procédure ( 69 ).

138.

Par conséquent, et au vu des éléments factuels et de la finalité brandie par la BCE, j’estime qu’il existe des éléments suffisants pour admettre la légitimité de principe des objectifs associés au programme OMT. Les circonstances factuelles survenues au cours de l’été 2012 n’apparaissent pas moins indiscutables que la situation dans laquelle se trouvaient certains États membres sur les marchés de la dette publique, ce à quoi il convient d’ajouter la profonde déférence qui est due à la BCE lorsqu’il y a lieu de se prononcer sur les appréciations d’éléments de fait auxquelles elle a procédé.

139.

J’estime ainsi que les objectifs que poursuit le programme OMT, tels que les expose la BCE, peuvent être admis en s’appuyant sur la reconnaissance de l’intention qu’avait celle-ci de poursuivre un objectif de politique monétaire en annonçant ledit programme. Une question distincte est celle de savoir si l’analyse du contenu du programme OMT emporte une conclusion contraire. À cet égard, la juridiction de renvoi souligne différents aspects qui, selon elle, transforment le programme OMT en une mesure de politique économique, et que je vais maintenant examiner.

– Conditionnalité et parallélisme

140.

Le Bundesverfassungsgericht traite de deux aspects qui peuvent être analysés de manière conjointe. Le fait que le programme OMT soit conditionné à l’existence d’un programme d’assistance financière dont bénéficient un ou plusieurs États dont les titres feront l’objet d’achats sur le marché secondaire, tandis que les objectifs du programme OMT sont liés par la BCE à ceux du programme d’assistance financière, confirmerait, selon le Bundesverfassungsgericht, que l’action de la BCE se situe dans le champ de la politique économique et non dans celui de la politique monétaire ( 70 ). C’est ce qu’ont allégué l’ensemble des requérants au principal, qui, sans toujours suivre les mêmes motifs, ne s’en accordent pas moins sur le résultat.

141.

La BCE fait valoir que le programme OMT ne sera activé qu’à la condition qu’un État de la zone euro soit soumis à un programme d’assistance financière du MES ou de la FESF, de telle sorte que la conditionnalité imposée dans ce programme garantisse que l’exécution du programme OMT n’incite pas les États affectés à retarder l’adoption des réformes structurelles nécessaires, risque que l’on qualifie communément d’«aléa moral» ( 71 ). Selon la BCE, l’achat de titres de dette publique sur le marché secondaire ne pourra s’interpréter comme une mesure de soutien inconditionnel, puisque la BCE ne pourra en substance intervenir que si les réformes structurelles imposées par le programme correspondant d’assistance financière sont entreprises. Pour la BCE, le risque d’interférer sur la politique économique est compensé par l’effet neutralisant exercé sur l’«aléa moral» que pourrait comporter une intervention notable de la BCE sur le marché secondaire de la dette publique.

142.

L’argument des requérants au principal n’est pas dépourvu de tout fondement. Bien que la BCE ait allégué que le lien entre le programme OMT et le respect des programmes d’assistance financière soit une condition qu’elle s’impose et dont elle peut se délier à tout moment, les requérants, et, notamment, Die Linke, ont souligné que la BCE ne se limite pas à l’exécution d’un programme d’assistance auquel elle serait tout à fait étrangère. Elle est au contraire activement associée à ces programmes d’assistance financière. L’argument de la BCE se trouverait sérieusement ébranlé par ce «double rôle» qu’elle joue, d’une part, en tant que détentrice d’un droit de crédit fondé sur un titre de dette publique d’un État et, d’autre part, en tant que contrôleuse et négociatrice d’un programme d’assistance financière appliqué à ce même État, et assortie d’une conditionnalité macroéconomique.

143.

Je suis en substance d’accord avec cette approche. Bien que, dans son communiqué de presse du 6 septembre 2012, la BCE subordonne l’exécution du programme OMT à la réalisation effective des engagements convenus dans le cadre d’un programme d’assistance financière, il est certain que le rôle joué par cette institution dans le cadre des programmes d’assistance financière va bien au-delà d’une simple adhésion unilatérale. Les dispositions régissant le MES ( 72 ), mais aussi l’expérience tirée des programmes d’assistance financière qui ont été mis en œuvre et sont encore en phase d’exécution, démontrent parfaitement que la BCE joue un rôle significatif, pour ne pas dire déterminant, dans la conception, l’adoption et le contrôle périodique desdits programmes ( 73 ). Au surplus, comme l’a souligné Die Linke dans ses observations écrites et orales, la conditionnalité imposée dans le cadre des programmes d’assistance financière adoptés à ce jour et auxquels la BCE a activement participé a eu une forte incidence macroéconomique sur les économies des États affectés, tout comme dans l’ensemble de la zone euro. Cette constatation viendrait confirmer qu’en prenant part auxdits programmes d’assistance, la BCE est intervenue activement dans des mesures qui pourraient s’analyser, dans certaines circonstances, comme faisant plus que «soutenir» les politiques économiques.

144.

En effet, le traité MES confère à la BCE de multiples responsabilités dans le déroulement d’un programme d’assistance financière, y compris la participation aux négociations et aux missions d’évaluation ( 74 ). La BCE prend donc part à la conception de la conditionnalité imposée à l’État sollicitant l’assistance, tout en participant postérieurement aux missions d’évaluation du respect de la conditionnalité, qui sont cruciales pour la poursuite effective et l’éventuelle clôture du programme. La BCE assume cette tâche avec la Commission, même si le traité MES attribue à cette seconde institution des fonctions encore plus significatives.

145.

Pour que le programme OMT soit qualifié de «mesure de politique monétaire», il est nécessaire, comme on l’a souligné antérieurement, que les objectifs entrent dans le cadre de cette politique et que les instruments employés soient ceux qui sont propres à la politique monétaire. La subordination du programme OMT au respect des programmes d’assistance financière peut se justifier par l’intérêt, sans doute légitime, d’éradiquer toute ombre d’«aléa moral» susceptible de découler d’une intervention significative de la BCE sur le marché de la dette publique. La participation active de la BCE au déroulement des programmes d’assistance financière peut cependant transformer le programme OMT, en tant que la BCE l’a unilatéralement subordonné à ceux-ci, en quelque chose de plus qu’une mesure de politique monétaire. Car c’est une chose de subordonner unilatéralement l’achat de titres de dette publique au respect de certaines conditions fixées par un tiers, et c’en est une autre de le faire quand le tiers n’en est pas véritablement un. L’achat conditionné de titres de dette peut alors se transformer en un instrument renforçant cette conditionnalité. En outre le simple fait qu’on puisse le percevoir ainsi, c’est-à-dire comme un instrument au service de la conditionnalité macroéconomique, est susceptible d’exercer une incidence suffisante pour fausser, voire dénaturer les objectifs de politique monétaire que poursuit le programme OMT.

146.

Il est certain que la BCE pourra toujours exercer une pression sur un État soumis à un programme d’assistance financière en subordonnant, même unilatéralement, le programme OMT au respect de la conditionnalité convenue dans le cadre du MES. Il est cependant nécessaire de différencier une mesure visant à exclure l’«aléa moral», comme peut l’être celle subordonnant unilatéralement son application à la conditionnalité imposée dans un programme d’assistance financière, d’une mesure qui, considérée dans son ensemble, fait de la BCE l’une des institutions négociatrices et, surtout, la cocontrôleuse de ladite conditionnalité ( 75 ).

147.

Au total, et dans la mesure où le programme OMT lui ouvre un champ d’intervention plus large dans les programmes d’assistance financière convenus dans le cadre du MES, j’estime qu’en l’établissant et en l’annonçant, la BCE n’a pas correctement tenu compte de l’incidence que son intervention dans lesdits programmes d’assistance financière exerce sur la nature monétaire du programme OMT.

148.

Aussi convient-il d’examiner les conséquences directes qu’emporte cet argument pour le rattachement du programme OMT à la politique monétaire de l’Union.

149.

J’estime que la conclusion qui précède ne s’oppose pas à ce que la BCE participe régulièrement aux programmes d’assistance financière tels que les conçoit le traité MES. Le fait qu’un programme d’assistance financière soit adopté ne préjuge en rien de l’émergence des circonstances nécessaires pour que la BCE active le programme OMT.

150.

Cela dit, si les circonstances exceptionnelles justifiant la mise en pratique du programme OMT étaient constituées, il serait fondamental, pour que celui-ci conserve sa fonction de mesure relevant de la politique monétaire de l’Union, que la BCE se détache ensuite de toute participation directe au suivi du programme d’assistance financière appliqué à l’État concerné. Rien n’empêcherait la BCE d’être informée ou même entendue ( 76 ), mais elle ne pourrait en aucun cas, dans l’hypothèse où un programme tel que le programme OMT serait en cours, continuer à participer au suivi du programme d’assistance financière auquel serait soumis l’État membre qui, dans le même temps, ferait l’objet d’une intervention significative de la BCE sur le marché secondaire de la dette publique. En définitive, pour que le programme OMT conserve son caractère de mesure de politique monétaire, visant exclusivement à restaurer les canaux de transmission de la politique monétaire, j’estime nécessaire de maintenir cette distance fonctionnelle entre les deux programmes.

151.

Par conséquent, et sous l’angle qui vient d’être analysé, j’estime que le programme OMT doit être considéré comme une mesure de politique monétaire, à la condition que la BCE s’abstienne, si ce programme venait à être appliqué, de toute intervention directe dans les programmes d’assistance financière décidés dans le cadre de la FESF/du MES.

– Sélectivité

152.

La deuxième caractéristique soulignée par la juridiction de renvoi et qui mettrait en cause le caractère monétaire du programme OMT est la «sélectivité», qui s’entend d’une mesure applicable à un ou à plusieurs États, mais qui, en tout état de cause, ne l’est pas à la totalité des États de la zone euro. Cette caractéristique compromettrait la pratique habituelle de la BCE, dont les mesures visent l’ensemble des États de la zone euro et non des portions territoriales de l’économie. En outre, selon le Bundesverfassungsgericht, la sélectivité entraînerait une distorsion des conditions de financement sur les marchés, laquelle pourrait causer un préjudice à la dette publique des autres États membres.

153.

Cette objection ne me paraît guère concluante, puisqu’il n’existe aucune preuve que la sélectivité transformerait le programme OMT en une mesure de politique économique. D’abord, la BCE fait valoir de façon convaincante que les différentiels de taux d’intérêt susceptibles de bloquer les canaux de transmission de la politique monétaire étaient circonscrits aux titres de dette d’un groupe d’États. Cette circonstance est à la base du programme OMT, puisqu’il serait sinon inutile d’en subordonner l’exécution à un programme d’assistance financière. Par conséquent, la sélectivité n’est rien d’autre que la conséquence logique d’un programme visant à remédier à une situation de blocage localisée dans certains États membres. Que cette circonstance modifie le marché ou cause un préjudice à la dette publique d’autres États n’a pas d’incidence sur la qualification du programme OMT en tant que mesure de politique monétaire, puisque le fait de réserver ce programme aux titres de dette des États affectés pourrait en garantir l’efficacité.

154.

Par conséquent, j’estime que le fait que le programme OMT s’applique sélectivement à un ou plusieurs États de la zone euro ne remet pas en cause son caractère de politique monétaire au sens des articles 127, paragraphe 1, TFUE, et 282, paragraphe 2, TFUE.

– Contournement

155.

Enfin, le Bundesverfassungsgericht souligne que le programme OMT peut contourner les obligations et conditions prévues dans les programmes d’assistance financière, au motif que les exigences auxquelles est soumis l’achat de titres de dette sur le marché secondaire par le MES, et qui sont prévues aux articles 14 et 18 du traité MES, sont plus strictes que celles imposées par le programme OMT. Cela permettrait à la BCE de réaliser des opérations d’achat de dette publique à des conditions de marché plus favorables pour l’État concerné, en contournant ainsi les conditions auxquelles le MES est soumis.

156.

Il est difficile d’admettre cet argument après avoir analysé les objections relatives à la conditionnalité et au parallélisme qui sont exposées ci-dessus. En effet, une fois que l’on a déclaré, comme je l’ai fait, que l’autonomie du programme OMT à l’égard des programmes d’assistance financière, telle qu’elle a été exposée, a l’effet d’un élément garantissant le caractère de politique monétaire de la mesure en question, il serait logique que cette garantie ait pour conséquence que ce soit la BCE qui établisse ses propres conditions d’acquisition de titres de dette publique.

157.

Selon moi, les éventuels problèmes ne viennent pas tant de la circonstance abstraite constituée par la différence des conditions appliquées par l’une ou l’autre institution que des conditions spécifiques établies par la BCE. Toutefois, si l’on s’en tient exclusivement à la perspective que présente la juridiction de renvoi, j’estime que le fait que la BCE ne soit pas soumise aux mêmes conditions que celles auxquelles l’est le MES ne transforme pas, par principe, le programme OMT en une mesure de politique économique.

– Conclusion intermédiaire

158.

Au vu des arguments exposés, j’estime que le programme OMT, tel que décrit dans le communiqué de presse du 6 septembre 2012, s’inscrit dans la politique monétaire que les traités attribuent à la BCE et ne constitue pas une mesure de politique économique, à condition que, durant l’exécution complète d’un éventuel programme OMT, la BCE s’abstienne de toute intervention directe dans les programmes d’assistance financière auxquels est subordonné ledit programme.

ii) Le contrôle de proportionnalité du programme OMT (article 5, paragraphe 4, TUE)

159.

La conclusion qui précède, c’est-à-dire que le programme OMT, tel qu’il est connu, s’inscrit dans la politique monétaire de la BCE, ne dit encore rien quant à la proportionnalité de la mesure. À cet égard, plusieurs intervenants ont soutenu le programme en recourant aux éléments du contrôle de proportionnalité.

160.

L’exercice d’une compétence qui se reconnaît comme non conventionnelle doit réunir au minimum deux conditions. En premier lieu, cet exercice requiert, avant tout, de ne pas violer d’autres dispositions du droit primaire, point auquel sera consacrée la réponse à la seconde question posée, qui concerne l’interdiction du financement monétaire des États membres.

161.

En deuxième lieu, le contrôle du respect du principe d’attribution du point de vue du principe de proportionnalité (article 5, paragraphe 4, TFUE) est impératif dans le cas d’une mesure qui se présente comme non conventionnelle et justifiée en raison de circonstances exceptionnelles. Si l’Union doit toujours exercer ses compétences découlant du principe d’attribution en respectant le principe de proportionnalité (article 5, paragraphe 4, TFUE), ce respect s’impose tout particulièrement quand il s’agit d’exercer des compétences mises en œuvre du fait de circonstances exceptionnelles.

162.

Cela dit, il convient d’emblée de relever que la présente affaire pose une difficulté spéciale lorsqu’il s’agit d’apprécier la proportionnalité de la mesure attaquée. Ainsi qu’on l’a expliqué ci‑dessus, le programme OMT est une mesure inachevée, non seulement parce que son adoption formelle a été repoussée à une date ultérieure, indéterminée, mais aussi parce qu’il n’a encore jamais été concrètement mis en œuvre. Nous disposons certes des caractéristiques essentielles du programme, mais il est clair que celles-ci sont loin de présenter le degré d’exhaustivité correspondant à celui d’une réglementation figurant dans un acte juridique. Or ce n’est qu’au vu d’une telle réglementation éventuelle qu’il sera possible de procéder à un contrôle complet de proportionnalité.

163.

Dans ces conditions, le contrôle réalisé à cet égard par la Cour devra se concentrer principalement sur la mesure telle qu’elle a été annoncée au mois de septembre 2012, sans préjudice de la nécessité d’apporter sur certains points, dans la ligne des caractéristiques techniques énoncées par la BCE, des recommandations particulières pour le cas où le programme OMT serait effectivement appliqué.

164.

Cette appréciation étant faite, je commencerai mon analyse en soulignant une caractéristique qui est selon moi fondamentale et préalable au contrôle de proportionnalité: la motivation indispensable qui doit caractériser le programme OMT. Ce n’est qu’ensuite que j’analyserai attentivement les caractéristiques techniques du programme OMT à la lumière des trois composantes du principe de proportionnalité: l’adéquation, la nécessité et la proportionnalité au sens strict.

– La motivation des circonstances justificatives du programme OMT, prémisse de la proportionnalité

165.

Toutes les institutions de l’Union ont le devoir de motiver leurs actes juridiques (article 296, paragraphe 2, TFUE). Ce devoir s’appuie sur des raisons de transparence, mais aussi de contrôle juridictionnel: ce n’est qu’au vu de l’explication des motifs fondant une décision publique qu’un contrôle juridictionnel effectif sera possible. La Cour s’est référée à de multiples reprises à ces deux aspects du devoir de motivation ( 77 ), qui s’applique également à une mesure telle que celle en cause dans la présente procédure préjudicielle.

166.

En effet, pour que la BCE applique un programme tel que le programme OMT en conformité avec le principe de proportionnalité, elle doit fournir l’ensemble des éléments nécessaires qui justifient une intervention de l’institution sur le marché secondaire de la dette publique. Autrement dit, il est essentiel que la BCE commence par identifier les circonstances exceptionnelles et extraordinaires qui l’amènent à adopter une mesure non conventionnelle telle que celle qui nous occupe ici.

167.

En ce sens, et en premier lieu, elle doit apporter des indications précises confirmant une modification significative de la situation du marché à l’origine d’une perturbation externe affectant les canaux de transmission de la politique monétaire. De même, en second lieu, la BCE doit démontrer dans quelle mesure ses canaux de transmission se sont bloqués, sans qu’une simple déclaration à cet égard puisse être suffisante. La BCE doit fournir les éléments confirmatifs de l’existence d’un tel blocage. Enfin, ces motifs doivent être communiqués publiquement, en garantissant la confidentialité des aspects strictement indispensables dont la révélation peut compromettre l’efficacité du programme, mais sur la base d’une règle générale voulant que la motivation soit pleinement transparente.

168.

Ces critères devront être scrupuleusement respectés par la BCE, à titre de prémisse indispensable d’un contrôle juridictionnel ultérieur.

169.

Si l’on retient ces considérations, il est clair que le communiqué de presse du 6 septembre 2012, qui vise essentiellement à décrire les caractéristiques du programme OMT, ne contient pratiquement aucune référence aux circonstances précises qui justifieraient l’adoption d’un programme tel que le programme OMT. Ce n’est que par des observations introductives par lesquelles le président de la BCE, Mario Draghi, a ouvert sa conférence de presse du même jour qu’on peut connaître le type de situations d’urgence susceptible de justifier l’adoption du programme ( 78 ). Aussi devons-nous, du point de vue de la motivation de la mesure telle qu’elle a été annoncée, procéder avec les informations qui ont alors été communiquées. Pour le reste, et dans le cadre de la présente procédure, la BCE a fourni d’abondantes informations complémentaires sur l’urgence à laquelle elle entendait faire face, ainsi qu’il a été exposé aux points 115, 116, 117, 134, 135 et 136 des présentes conclusions.

170.

En conclusion, et aux fins du contrôle de proportionnalité du programme OMT, j’utiliserai les informations fournies dans la présente procédure, mais avec cet important avertissement que, dans l’hypothèse d’une exécution du programme, tant l’acte juridique qui lui donne forme que son application devront répondre aux exigences de motivation, telles qu’elles ont été exposées aux points 166 et 167 des présentes conclusions.

– Le critère de l’adéquation

171.

Pour en venir maintenant aux composantes du principe de proportionnalité, il convient d’abord d’apprécier si une mesure non conventionnelle telle que le programme OMT est un moyen objectivement adéquat pour réaliser les finalités de politique monétaire qu’elle poursuit. Il s’agit donc d’examiner si la mesure est cohérente au regard de la relation causale existant entre les moyens et les objectifs ( 79 ).

172.

Aucun des intervenants dans la présente affaire n’a nié que l’annonce du programme OMT avait entraîné une importante réduction des taux d’intérêt exigés pour les titres de dette de certains États membres. Cette conséquence suffirait à confirmer le caractère approprié du programme, puisque si la simple annonce de son existence a produit un effet quasi immédiat sur les marchés, il y aurait lieu de tabler sur le fait que l’application du programme OMT à un ou plusieurs États membres aurait à tout le moins une incidence analogue. Il est évident que cette affirmation est soumise à toutes sortes de conditions qu’il est pour l’heure impossible de prédire, mais, comme point de départ, l’effet qu’a eu l’annonce du programme OMT est un indice de l’efficacité de la mesure.

173.

Il est toutefois manifeste que les effets de l’annonce du programme OMT ne sauraient servir d’unique critère de référence dans l’analyse de l’adéquation de la mesure, puisqu’il ne s’agit que de simples indices, quoique d’un certain poids. Aussi convient-il d’analyser plus en détail, mais en reconnaissant un large pouvoir d’appréciation à la BCE, si les composantes du programme OMT sont objectivement appropriées pour réaliser les finalités qui s’y attachent.

174.

Si l’objectif direct du programme OMT est de réduire les taux d’intérêt payés pour les titres de dette publique de certains États membres, le moyen employé réside dans un achat d’obligations souveraines de certains États membres de la zone euro aux conditions énoncées dans le communiqué de presse du 6 septembre 2012. Il s’agit d’un achat soumis à l’existence préalable d’un programme d’assistance financière, qu’il soit complet ou octroyé à titre de précaution, au moyen duquel la BCE se borne à acheter des titres sur la partie la plus courte de la courbe des taux, en particulier ceux ayant une maturité comprise entre un et trois ans.

175.

Sur un plan objectif, j’estime qu’un programme tel que le programme OMT, centré sur l’achat de titres de dette publique, est adéquat pour obtenir une réduction des taux d’intérêt des titres de dette publique des États concernés. Aucun intervenant dans la présente procédure n’a nié cette constatation. Cette réduction permet aux États concernés de retrouver une certaine normalité financière, et, partant, à la BCE de réaliser sa politique monétaire dans des conditions de plus grande certitude et stabilité. Cette constatation ne veut pas dire qu’une telle normalité financière ne comporte pas de risques, comme on le verra ci-après. Toutefois, l’élément qu’il convient d’analyser dans l’appréciation du critère d’adéquation est la cohérence logique entre le moyen et l’objectif, condition qui me paraît réalisée dans la présente affaire.

176.

Par conséquent, j’estime que le programme OMT, tel qu’il a été annoncé le 6 septembre 2012, est une mesure appropriée pour réaliser les objectifs poursuivis par la BCE.

– Le critère de nécessité

177.

Bien que la mesure qui est ici appréciée puisse être adéquate, il est tout aussi vrai que le moyen employé peut apparaître excessif si on le compare aux alternatives dont aurait disposé l’institution auteur de l’acte ( 80 ). De ce point de vue, il convient d’analyser si la BCE a adopté une mesure strictement nécessaire pour réaliser les objectifs que poursuit le programme OMT.

178.

D’abord, le fait que le programme OMT soit uniquement circonscrit aux hypothèses dans lesquelles un État membre a recouru à un programme d’assistance financière plaide en faveur de la thèse selon laquelle il s’agit d’une mesure limitée et bornée à des cas spécifiques. Le programme OMT n’est pas un moyen d’intervenir de façon générale et en toutes circonstances sur le marché secondaire de la dette publique. Même si les canaux de transmission de la politique monétaire sont bloqués, ce n’est que lorsqu’un État membre fait l’objet d’un programme d’ajustement macroéconomique ou d’un programme de précaution de la FESF/du MES qu’il sera possible d’activer le programme OMT. Cette circonstance suffit en soi à limiter considérablement le nombre de cas de figure dans lesquels la BCE interviendra sur le marché secondaire de la dette publique, ce qui est cohérent avec le fait qu’il s’agit d’une mesure non conventionnelle de politique monétaire, exceptionnelle en soi et limitée à des cas spécifiques. Le fait que la BCE a subordonné l’activation du programme OMT à l’adoption préalable d’un programme d’assistance financière confirme le caractère exceptionnel de la mesure, cette condition visant au surplus, à juste titre selon moi, un cas qui est lui-même exceptionnel.

179.

De même résulte-t-il du dossier que l’exécution du programme OMT aura, par sa nature même, un caractère limité dans le temps. Comme l’a exposé la République française de façon convaincante, un programme tel que le programme OMT ne peut être que conjoncturel ( 81 ). Tant le communiqué de presse que les observations de la BCE font ressortir que le programme s’appliquerait, le cas échéant, durant la période nécessaire pour que les taux d’intérêt de l’État ou des États concernés retrouvent les niveaux considérés comme ordinaires sur le marché ( 82 ). La mission du programme OMT consiste non pas simplement à réduire les coûts de financement d’un État, mais à les ramener à des niveaux correspondant à la réalité macroéconomique de cet État. Une fois cet objectif atteint, et après déblocage des canaux de transmission, il est mis fin à l’exécution du programme OMT, en cohérence avec le caractère strictement nécessaire de la mesure.

180.

En outre, dans une situation aussi délicate que celle qui nous occupe, toute variation des circonstances, et, partant, de leur caractère exceptionnel, devient pertinente pour le critère de nécessité. En ce sens, j’estime que le comportement qu’a suivi la BCE au mois de septembre 2012, en se bornant à annoncer les caractéristiques techniques du programme OMT, répond à une appréciation de l’évolution de la situation sur les marchés financiers qui est dans la ligne des exigences que commande le critère de nécessité.

181.

Pour terminer, il convient de faire référence à la possibilité énoncée par le Bundesverfassungsgericht que le programme OMT, tel qu’interprété de manière conforme, pourrait être soumis à des caractéristiques techniques différentes de celles énoncées dans le communiqué de presse du 6 septembre 2012, lesquelles permettraient de lever les doutes qu’éprouve cette juridiction quant à la validité de la mesure. C’est à ce stade qu’il convient d’apprécier cette possibilité, en examinant le critère de nécessité, puisque l’existence de mesures alternatives moins contraignantes, comme celles que suggère la juridiction de renvoi au point 100 de sa décision, confirmerait l’incompatibilité du programme OMT avec ledit critère.

182.

J’estime néanmoins que les alternatives proposées par la juridiction de renvoi comporteraient le risque de remettre gravement en cause l’efficacité du programme OMT. Ainsi que l’ont exposé la BCE et la Commission, il y a lieu d’admettre qu’une limitation quantitative ex ante des opérations d’achat de titres de dette publique saperait l’efficacité que vise l’intervention sur le marché secondaire, avec le risque de déclencher des opérations spéculatives.

183.

Il semble pareillement admissible que, si la BCE se voyait reconnaître la qualité de créancier privilégié, la position des autres créanciers s’en trouverait compromise, de même, indirectement, que l’incidence finale exercée sur la valeur des titres sur le marché secondaire. Comme l’a souligné la Commission, le fait que les titres de dette de l’État concerné attirent les investisseurs, au lieu du contraire, concourt également à augmenter la demande de titres, en entraînant une réduction concomitante du taux d’intérêt. Reconnaître à la BCE la qualité de créancier non privilégié contribue à garantir une normalisation plus efficace des prix du marché des titres de dette publique, ce qui, par voie de conséquence, contribue à garantir sa solvabilité sur le moyen et long terme, avec la réduction concomitante des risques que cela comporte.

184.

Par conséquent, je considère que les précautions instituées par la BCE sont suffisantes pour que l’on puisse conclure que le programme OMT, tel que décrit dans le communiqué de presse susvisé, respecte le critère de nécessité, indépendamment du point de savoir si l’acte juridique par lequel le programme sera éventuellement adopté permettra ou non de confirmer ce constat.

– Le critère de proportionnalité au sens strict

185.

Enfin, il convient d’analyser si la mesure en cause met en balance de façon équilibrée l’ensemble des éléments qui la composent, de telle sorte qu’elle ne soit pas disproportionnée.

186.

Dans l’analyse du critère de proportionnalité au sens strict, ce troisième stade réclame une pondération qui, dans les circonstances de la présente affaire, exige d’analyser si les «avantages» de la mesure en cause sont supérieurs aux «coûts» ( 83 ). Il s’agit à l’évidence d’un examen requérant une appréciation de l’ensemble des avantages et des coûts, lesquels peuvent être représentés de la manière suivante: d’un côté, le programme OMT permet à la BCE d’intervenir dans un contexte exceptionnel pour restaurer ses instruments de politique monétaire et ainsi assurer l’efficacité de son mandat; de l’autre, il s’agit d’une mesure qui expose la BCE à un risque financier, auquel s’ajoute l’aléa moral que provoque la modification factice de la valeur des titres de dette de l’État concerné.

187.

L’on me permettra de rappeler de nouveau que le contrôle de proportionnalité qu’il convient de réaliser dans cette affaire doit reconnaître une large marge d’appréciation à la BCE. Cela suppose, particulièrement en arrivant au troisième échelon du contrôle de proportionnalité, que la pondération qui est exigée de la BCE dans une hypothèse comme celle envisagée par le programme OMT lui réserve une large marge d’appréciation, dès lors que ne survient aucun déséquilibre manifestant une disproportion évidente.

188.

De même, il convient d’observer que la proportionnalité au sens strict d’un programme comme le programme OMT ne pourra être apprécié de façon définitive qu’une fois qu’il aura été éventuellement activé, au vu des dimensions qu’il pourra prendre. Les considérations exposées ci-après sont fondées sur les informations au sujet du programme qui ont été fournies dans le communiqué de presse.

189.

Les requérants au principal, ainsi que le Bundesverfassungsgericht, ont souligné que l’application du programme OMT expose la BCE et, en dernière instance, les contribuables des États membres à un risque excessif, qui pourrait même éventuellement emporter l’insolvabilité de cette institution. Il s’agit à l’évidence d’un coût élevé et impérieux, de nature à contrecarrer les avantages du programme OMT.

190.

Comme l’a souligné de façon circonstanciée le représentant de M. Gauweiler, l’application du programme OMT supposerait que la BCE inscrive à son bilan de très grandes quantités de titres douteux, qui, en cas de défaut, provoqueraient l’insolvabilité de la BCE. Aussi, en ne fixant aucune limite aux achats de titres de dette publique, le programme OMT ferait-il de cette hypothèse un scénario réel, dont la survenance confirmerait le caractère disproportionné de la mesure.

191.

À cet égard, la BCE a souligné, dans ses observations tant écrites qu’orales, que ses interventions sur le marché secondaire de la dette publique seraient soumises à des limites quantitatives, mais qui ne seraient ni fixées au préalable ni juridiquement prédéterminées. Selon la BCE, le programme OMT ne peut s’afficher comme un canal d’achats limités, puisqu’il contribuerait sinon à provoquer une attaque spéculative qui saperait la finalité du programme. De même, si la BCE annonçait ex ante le volume d’achats exact, la mesure perdrait tout autant de sa force potentielle. Aussi la solution défendue par la BCE consiste‑t-elle à annoncer qu’elle n’établira pas de limites quantitatives ex ante pour les volumes d’achats, mais sans préjudice de sa volonté de fixer en interne ses propres limites quantitatives, dont elle ne peut révéler le montant pour des raisons stratégiques, qui visent en substance à garantir l’efficacité du programme OMT.

192.

Du point de vue de la proportionnalité au sens strict, j’estime que l’inexistence de limites quantitatives ex ante ne constitue pas un élément suffisant en soi pour considérer qu’il s’agit d’une mesure disproportionnée.

193.

En effet, toute opération sur un marché financier comporte un risque, que courent l’ensemble des acteurs qui y participent. Les rendements offerts par les marchés financiers aux investisseurs sont proportionnels aux risques pris, lesquels sont généralement en rapport avec l’importance du succès ou de l’échec probable de l’investissement. Comme d’autres marchés financiers, le marché de la dette publique est soumis à la même logique. Tous les investisseurs qui y participent le font en sachant que le succès de leur investissement peut dépendre de facteurs aléatoires et imprévisibles.

194.

Comme on le sait, les banques centrales interviennent sur le marché de la dette publique, car les opérations d’achat ou de mise en pension de titres de dette publique font partie des instruments de politique monétaire qui permettent de contrôler la base monétaire. En intervenant sur ce marché, les banques centrales supportent toujours un certain risque, lequel a également été assumé par les États membres lorsqu’ils ont décidé de créer la BCE.

195.

Compte tenu de cette prémisse, les objections tenant au risque excessif supporté par la BCE seraient fondées si l’institution s’engageait dans un volume d’achats de titres de dette publique l’amenant inévitablement à un scénario d’insolvabilité. Or, et pour les motifs que je vais maintenant exposer, le programme OMT ne semble pas devoir déboucher sur un tel scénario.

196.

Tel qu’est conçu le programme OMT, il est certain que la BCE est exposée à un risque, mais pas nécessairement à un risque d’insolvabilité. Il ne fait aucun doute que le risque existe, puisqu’elle procédera à l’achat de titres d’un État en difficulté financière, dont la capacité à s’acquitter de ses engagements en matière d’endettement est compromise. Il est évident que la BCE court un risque en acquérant des titres d’un État placé dans une telle situation, mais j’estime qu’ils ne sont pas qualitativement distincts d’autres risques que pourrait supporter la BCE à d’autres moments de son activité ordinaire.

197.

Il est largement admis que les difficultés de liquidité que peut rencontrer un État n’impliquent pas nécessairement que celui-ci va faire défaut sur sa dette. Un État peut souffrir de problèmes temporaires de liquidité tout en restant solvable. Les crises successives vécues au cours des années 80 et 90 confirment cette réalité ( 84 ). Que le programme OMT cible les titres émis par un ou des États soumis à un programme d’assistance financière ne suppose donc pas automatiquement que cet État ou ces États vont faire partiellement ou totalement défaut sur leur dette. Le fait que cet État ou ces États soient soumis à une conditionnalité visant à améliorer leurs fondamentaux macroéconomiques, et qu’ils soient en outre intégrés à un marché intérieur dans le cadre d’une Union fondée sur la coopération et la loyauté entre ses membres, est plutôt de nature à confirmer qu’un programme d’assistance financière offrira à l’État concerné une aide suffisante pour lui permettre de satisfaire à ses engagements dans le futur.

198.

Au surplus, l’objectif indirect du programme OMT, le déblocage des mécanismes de transmission de la politique monétaire, est obtenu par la voie d’une réduction des taux d’intérêt des titres de dette publique jusqu’à ce que ceux‑ci retrouvent des niveaux jugés cohérents avec le marché et la situation macroéconomique de l’État concerné. La BCE a déclaré à de nombreuses reprises que le programme OMT a pour objectif de ramener les taux des titres de dette publique non pas à des niveaux équivalents à ceux d’autres États membres, mais à des niveaux jugés cohérents avec le marché et la situation macroéconomique, de manière à ce que l’institution puisse faire un usage efficace de ses instruments de politique monétaire. Aussi peut-on s’attendre à ce que, du fait même de l’activation du programme OMT, l’État concerné soit en mesure d’émettre des titres de dette publique à des conditions qui sont plus soutenables pour ses finances et qui, partant, augmenteront ses chances de pouvoir faire face à ses obligations. Autrement dit, l’intervention de la BCE devrait objectivement contribuer à ce que l’État soit en mesure d’assumer ses engagements financiers dans le futur, en réduisant ainsi le risque que court l’institution en activant le programme OMT.

199.

Enfin, l’existence de limites quantitatives objectives au volume d’achats de titres de dette publique viendrait confirmer la dimension limitée du risque. Comme la BCE l’a elle-même reconnu, ces limites existeront; elles ne sont pas rendues publiques pour des motifs stratégiques, mais servent à circonscrire l’exposition de l’institution. De même, la BCE a admis que, dans le cas où elle détecterait une augmentation excessive du volume de titres de dette publique émis par un État membre faisant l’objet du programme OMT, elle en suspendrait l’exécution. Autrement dit, si un État décidait de tirer profit de l’opportunité que lui offrent les achats de titres de dette publique par la BCE sur le marché secondaire pour s’endetter de façon excessive, même à des conditions plus avantageuses que celles qui existaient avant l’intervention de la BCE, l’institution n’assumerait pas ce risque. Il résulte de l’ensemble de ces considérations que, si la BCE devait elle-même faire face à une éventuelle insolvabilité, elle suspendrait l’application du programme OMT. En d’autres termes, la BCE ne supporterait pas des risques qui l’exposent à un scénario d’insolvabilité.

200.

Il s’agit là évidemment d’une appréciation correspondant à l’éventualité d’une exécution du programme OMT, mais j’estime indispensable, au cas où il y aurait lieu de confirmer la stricte proportionnalité de ce programme, que la limitation des risques indiquée par la BCE soit effectivement respectée lors de l’application qui en serait faite.

201.

Cela dit, et compte tenu des arguments qui viennent d’être exposés, j’estime que, en annonçant le programme OMT, la BCE a procédé à une mise en balance appropriée des avantages et des coûts.

– Conclusion intermédiaire

202.

En résumé, et au vu des considérations exposées ci-dessus, le programme OMT adopté par la BCE, tel qu’il ressort des caractéristiques techniques indiquées dans le communiqué de presse, ne viole pas le principe de proportionnalité. Dans ces conditions, le programme OMT peut être considéré comme licite, sous réserve que, s’il venait à être mis en œuvre, les exigences de motivation et de proportionnalité soient strictement respectées.

c) Réponse à la première question préjudicielle

203.

En définitive, et en réponse à la première question préjudicielle du Bundesverfassungsgericht, je considère le programme OMT comme compatible avec les articles 119 TFUE et 127, paragraphes 1 et 2, TFUE, à condition que, dans le cas où il viendrait à être mis en œuvre, la BCE

s’abstienne de toute intervention directe dans les programmes d’assistance financière auxquels est subordonné le programme OMT,

respecte strictement l’obligation de motivation, ainsi que les exigences découlant du principe de proportionnalité.

B – Sur la seconde question préjudicielle: la compatibilité du programme OMT avec l’article 123, paragraphe 1, TFUE (interdiction du financement monétaire des États de la zone euro)

204.

Par sa seconde question, le Bundesverfassungsgericht demande si, en autorisant l’achat par la BCE de titres de dette publique des États membres de la zone euro sur le marché secondaire, le programme OMT viole l’interdiction prévue à l’article 123, paragraphe 1, TFUE, qui prohibe l’acquisition directe, auprès des États membres, par la BCE ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette.

205.

Selon le Bundesverfassungsgericht, bien qu’il satisfasse formellement à la condition expressément énoncée audit article 123, paragraphe 1, TFUE, qui fait uniquement référence aux achats de titres de dette publique sur le marché primaire, le programme OMT n’en pourrait pas moins permettre de contourner cette interdiction, au motif que les interventions de la BCE sur le marché secondaire, à l’instar des achats sur le marché primaire, se traduiraient par une mesure d’aide financière par le canal de la politique monétaire. À l’appui de cette thèse, le Bundesverfassungsgericht se réfère aux différentes caractéristiques techniques du programme OMT: la renonciation à des droits, le risque de défaillance, la conservation des titres jusqu’à l’échéance, la date possible d’acquisition et l’incitation à l’acquisition de titres sur le marché primaire. Il s’agirait d’indices clairs de l’effet de contournement de l’interdiction figurant à l’article 123, paragraphe 1, TFUE.

1. Position des intervenants

206.

Faisant valoir des arguments qui concordent très largement, les requérants au principal estiment que le programme OMT enfreint l’article 123, paragraphe 1, TFUE. En ce sens, ils s’associent aux doutes de la juridiction de renvoi quant aux aspects concrets du programme qui confirmeraient que celui-ci contourne l’interdiction prévue à l’article 123, paragraphe 1, TFUE.

207.

M. Huber souligne en particulier que les achats de titres de dette publique sur le marché secondaire seraient constitutifs d’un contournement de l’interdiction de l’article 123, paragraphe 1, TFUE, et plus particulièrement de celle prévue dans la partie finale de cette disposition. Pour sa part, M. Bandulet insiste sur le risque excessif qu’assume la BCE en réalisant des achats tels que ceux prévus dans le programme OMT, tout en critiquant également la collectivisation des pertes que supposeraient de tels achats, avec un résultat contraire aux traités et au principe de non-coresponsabilité financière.

208.

M. von Stein défend également l’idée qu’il existe un effet de contournement de l’interdiction, en soulignant aussi l’incidence qu’une mesure telle que le programme OMT exerce sur le marché de l’Union. Selon lui, un achat massif de titres de dette publique fausse la concurrence sur le marché intérieur, tout en violant les dispositions de l’article 51 TFUE et du protocole no 27 sur le marché intérieur et la concurrence annexé au TFUE.

209.

Tous les États qui sont intervenus dans la présente procédure, ainsi que la Commission et la BCE, défendent la compatibilité du programme OMT avec l’article 123, paragraphe 1, TFUE et considèrent que les achats de titres de dette publique sur le marché secondaire sont expressément prévus dans les traités. Ils soulignent que l’article 123, paragraphe 1, TFUE interdit uniquement les achats directs de titres de dette publique d’un État membre, tandis que l’article 18, paragraphe 1, du protocole no 4 sur les statuts du SEBC et de la BCE habilite expressément cette dernière et les banques centrales des États membres à réaliser ce type d’opérations.

210.

La République française, la République italienne, le Royaume des Pays‑Bas, la République de Pologne et la République portugaise, ainsi que la Commission et la BCE, reconnaissent toutefois, dans le même temps, que le dernier membre de phrase de l’article 123, paragraphe 1, TFUE comporte aussi une interdiction de contournement, c’est-à-dire une interdiction de procéder à des opérations ayant le même effet qu’un achat direct de titres de dette publique. Cette interprétation serait confirmée par le règlement no 3603/93, et, plus particulièrement, par son septième considérant.

211.

À cet égard, différents États, tels que la République de Pologne, la République française, le Royaume des Pays-Bas, de même que la Commission, estiment que la BCE ne commettrait pas de tel détournement de l’interdiction énoncée à l’article 123, paragraphe 1, TFUE, dès lors qu’il serait garanti que les obligations émises par l’État concerné pussent atteindre un prix correspondant aux conditions de marché. Dans ces circonstances, et à condition que la mesure poursuive un objectif de politique monétaire, il n’y aurait pas selon eux violation de l’article 123, paragraphe 1, TFUE.

212.

En ce sens, les États intervenants, la Commission et la BCE nient que les caractéristiques énoncées supposent que le programme OMT soit incompatible avec l’article 123, paragraphe 1, TFUE. Les termes dans lesquels sont prévues lesdites caractéristiques techniques dans le communiqué de presse, ainsi que les projets de décision relatifs au programme OMT qu’a préparés la BCE mais qui sont encore en attente d’adoption, confirmeraient selon eux le souci particulier manifesté par la BCE d’éviter une altération du marché contraire à l’article 123, paragraphe 1, TFUE. Concrètement, ils mettent en exergue, à titre de preuve des précautions adoptées par la BCE, la subordination des achats de titres de dette publique aux exigences de la politique monétaire, l’absence d’annonce préalable indiquant la date ou le volume d’achats, la possibilité de suspendre ou de limiter les achats en fonction du volume d’émission de l’État concerné, le refus de la BCE d’accepter des restructurations de dette, ainsi que l’existence d’une «période d’embargo» entre la date d’émission et la date d’achat par la BCE sur le marché secondaire.

213.

Enfin, la République fédérale d’Allemagne réclame à la Cour une interprétation de l’article 123, paragraphe 1, TFUE qui soit conciliable avec l’identité constitutionnelle des États membres. Après avoir souligné le contexte dans lequel la présente demande préjudicielle a été présentée, la République fédérale d’Allemagne estime que l’interprétation de cette disposition doit également répondre aux exigences constitutionnelles des États membres.

2. Analyse

214.

À l’instar de la méthode que j’ai adoptée dans ma réponse à la première question, je commencerai par replacer l’interdiction figurant à l’article 123, paragraphe 1, TFUE dans le cadre plus large de la position qu’elle occupe dans la conception de l’Union économique et monétaire. J’aborderai ensuite le problème de la compatibilité du programme OMT avec ce principe, mais en m’attachant individuellement à chacune des caractéristiques techniques signalées par la juridiction de renvoi.

a) L’interdiction du financement monétaire des États membres (article 123, paragraphe 1, TFUE) et l’acquisition de titres de dette publique par la BCE

215.

L’Union économique et monétaire que constitue aujourd’hui l’Union est régie par une série de principes qui concernent aussi bien ses objectifs que ses limites, et qui, dans leur ensemble, apparaissent comme le «cadre constitutionnel» de celle-ci. En raison de leur importance, les traités les consacrent expressément, en en faisant des éléments rigides dont ne peuvent disposer les institutions et les États membres, et qui ne peuvent être modifiés que par la voie d’une procédure ordinaire de révision des traités. Si, parmi ces objectifs, il convient de souligner le mandat tendant au maintien de la stabilité des prix et à la réalisation de la stabilité financière (articles 127, paragraphe 1, TFUE et 282 TFUE), les limites les plus emblématiques sont l’interdiction de sauvetage des États membres (article 125 TFUE) et l’interdiction du financement monétaire des États membres (article 123 TFUE).

216.

La seconde de ces interdictions est celle qui nous occupe ici, mais il est évident qu’on ne peut en avoir une compréhension précise qu’en s’attachant à son origine, au système dans lequel elle s’inscrit et aux objectifs qui la sous-tendent. Je m’y consacrerai brièvement ci‑après, tout en m’appuyant sur les appréciations que la Cour ainsi que son avocat général ont déjà eu l’occasion de formuler au sujet de l’article 123 TFUE dans l’affaire Pringle (EU:C:2012:756).

217.

Les travaux préparatoires qui ont abouti au traité de Maastricht, texte dans lequel apparaît pour la première fois l’actuel article 123 TFUE (anciennement article 104 CE), font ressortir que l’une des principales préoccupations des négociateurs en charge de la conception institutionnelle de l’Union économique et monétaire était le maintien d’une saine discipline budgétaire qui ne compromette pas le fonctionnement efficace de la monnaie unique ( 85 ). La perspective de voir les comptes publics de certains États membres dans une situation critique serait difficilement compatible aussi bien avec une croissance stable dans la zone euro qu’avec les outils limités de politique monétaire dont dispose la BCE. Dès lors que les États transféraient leurs compétences de politique monétaire à une institution commune, tout en conservant leurs compétences en matière économique, il était indispensable d’assurer les moyens nécessaires pour garantir une gestion rigoureuse des comptes des États de la zone euro ( 86 ). Cette préoccupation s’est traduite dans les dispositions relatives à la discipline budgétaire prévues à l’article 126 TFUE, en vertu desquelles les États membres se soumettent à certains objectifs en matière de déficit budgétaire, ainsi que dans les interdictions inscrites aux articles 123 TFUE et 125 TFUE, qui prohibent, respectivement, le financement des États membres par d’autres États ainsi que leur financement par la BCE ou par les banques centrales des États membres.

218.

Aussi l’article 123 TFUE est-il le reflet d’une inquiétude très présente chez les concepteurs de l’architecture institutionnelle de l’Union économique et monétaire, raison pour laquelle il a été décidé d’instituer dans le droit primaire une interdiction catégorique de toute formule de financement des États de nature à mettre en péril les objectifs de discipline fiscale consacrés par les traités. L’une de ces formules proscrites est celle qualifiée de «financement monétaire», par laquelle une banque centrale, c’est-à-dire une institution ayant la capacité d’émettre de l’argent, acquiert des titres de dette d’un État. Il est clair que cette forme de financement peut compromettre la capacité de cet État à faire face à ses engagements financiers à moyen et à long terme, tout en étant de nature à constituer une source significative d’inflation. Dans la mesure où une politique économique et monétaire commune présuppose l’existence d’États ayant des comptes publics sains et une politique dont la priorité est le maintien de la stabilité des prix, il est évident que, dans de telles circonstances, le mécanisme du financement monétaire compromet gravement ces objectifs.

219.

Ce qui précède m’amène à considérer que l’interdiction du financement monétaire contribue, à l’échelle de l’Union, et comme l’a souligné la Cour dans son arrêt Pringle en visant l’article 125 TFUE, «à la réalisation d’un objectif supérieur, à savoir le maintien de la stabilité financière de l’Union monétaire» ( 87 ). En définitive, cette interdiction acquiert le rang de règle fondamentale du «cadre constitutionnel» qui régit l’Union économique et monétaire, dont les exceptions doivent faire l’objet d’une interprétation stricte.

220.

De même, une lecture systématique de l’article 123 TFUE confirme non seulement l’importance du principe fondant l’interdiction, mais aussi son caractère restrictif. À l’inverse de l’article 125 TFUE, qui interdit aux États membres de «répondre» des engagements d’autres États membres, l’article 123 TFUE apparaît libellé en termes plus stricts. Cette différence entre les deux dispositions a été mise en lumière par la Cour dans son arrêt Pringle ( 88 ), qui y a confirmé la compatibilité avec l’article 125 TFUE des mesures conduisant à l’octroi de crédits entre États membres, alors que l’article 123 TFUE l’interdit expressément, en excluant toute possibilité «d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit».

221.

Ce nonobstant, l’interprétation systématique de l’article 123 TFUE introduit également une nuance importante quant à la portée de l’interdiction. Ainsi qu’il est exposé ci-après, il s’agit du traitement spécifique prévu pour les opérations d’achat de titres de dette publique des États membres par la BCE et les banques centrales nationales.

222.

L’émission de titres de dette publique est l’une des principales sources de financement dont dispose un État. La personne qui acquiert les titres de dette publique émis par un État finance par définition celui-ci, directement ou indirectement, et le fait en contrepartie d’une prestation qui transforme l’acte juridique en une sorte de prêt. Le propriétaire du titre de dette publique est détenteur d’un droit de crédit à l’égard de l’État membre émetteur, ce qui en fait un créancier dudit État. L’État émet le titre à un taux d’intérêt fixé initialement au moment de l’émission, et déterminé en fonction de l’offre et de la demande. Par conséquent, l’opération que réalisent les deux parties, l’État émetteur et l’acquéreur du titre de dette publique, présente la même structure que celle de l’octroi d’un crédit. Tous ces éléments fournissent une explication suffisante des raisons pour lesquelles l’article 123, paragraphe 1, TFUE comporte un passage final qui interdit également «l’acquisition directe, auprès [des États membres], par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette».

223.

À l’origine, ce passage est un ajout introduit lors de la phase finale d’élaboration du traité de Maastricht ( 89 ), et son inclusion ne se comprend que si l’on tient compte de l’article 18.1 des statuts du SEBC et de la BCE. Ainsi qu’on l’a déjà exposé ci-dessus, cette disposition des statuts du SEBC et de la BCE autorise la BCE et les banques centrales nationales à intervenir sur les marchés de capitaux soit en achetant et en vendant ferme, soit en prenant et en mettant en pension, soit en prenant ou en empruntant des créances et des titres négociables. Les opérations de ce type sont fondamentales et servent essentiellement à l’objectif visant à ce que le SEBC contrôle la base monétaire de la zone euro, et incluent celles relatives à l’achat de titres de dette publique sur le marché secondaire ( 90 ).

224.

Par conséquent, et comme l’a confirmé la BCE dans sa réponse aux questions formulées lors de l’audience, le passage final de l’article 123, paragraphe 1, TFUE, doit être interprété conjointement avec l’article 18.1 des statuts du SEBC et de la BCE, puisque c’est la seule manière de donner une couverture légale à une mesure de politique monétaire traditionnelle, consistant à acquérir des titres de dette publique sur le marché secondaire. Si ce passage final de l’article 123, paragraphe 1, TFUE n’existait pas, l’article 18.1 des statuts du SEBC et de la BCE devrait être interprété en ce sens qu’il exclut les opérations portant sur les titres de dette publique sur le marché secondaire, ce qui priverait l’Eurosystème d’un outil crucial pour la conduite ordinaire de la politique monétaire.

225.

Cela dit, et compte tenu de l’importance de l’article 123 TFUE, il paraît clair qu’il ne suffirait pas que la BCE se limite à acquérir des titres de dette publique sur le marché secondaire pour éviter d’enfreindre l’interdiction figurant à cette disposition. Au contraire, j’estime que l’interprétation de l’article 123 TFUE exige d’être abordée en portant une attention particulière au contenu matériel de cette mesure. C’est une approche qu’a fréquemment employée la Cour dans l’interprétation des dispositions des traités, et qu’il convient également de retenir pour l’article 123 TFUE, comme l’ont d’ailleurs reconnu l’ensemble des États membres intervenants ainsi que la Commission et la BCE elle-même.

226.

Cette préoccupation se reflète également dans le droit dérivé, et concrètement dans le règlement no 3603/93, adopté antérieurement à la création de la BCE, et qui comporte une mention expresse de l’interdiction de contournement de l’obligation inscrite dans cette disposition. Dans son septième considérant, le règlement no 3603/93 souligne que les États membres doivent prendre les mesures appropriées pour que, notamment, «les achats effectués sur le marché secondaire ne [servent] pas […] à contourner l’objectif poursuivi par cet article» ( 91 ).

227.

En définitive, j’estime que l’article 123, paragraphe 1, TFUE n’interdit pas seulement les acquisitions directes sur le marché primaire, mais empêche également la BCE et les banques centrales nationales de réaliser des opérations sur le marché secondaire qui auraient pour effet de contourner ladite interdiction. Autrement dit, le traité n’interdit pas les opérations sur le marché secondaire, mais exige que, lorsque la BCE intervient sur celui-ci, elle le fasse en s’entourant de garanties suffisantes, permettant de concilier son intervention avec l’interdiction du financement monétaire.

228.

Cela étant, il convient maintenant d’apprécier si, bien qu’il respecte la lettre du dernier membre de phrase de l’article 123, paragraphe 1, TFUE, le programme OMT, en vertu duquel la BCE intervient sur le marché secondaire de la dette publique, peut comporter une mesure visant à contourner l’interdiction énoncée dans cette disposition.

b) Le programme OMT et sa compatibilité avec l’interdiction prévue à l’article 123, paragraphe 1, TFUE

229.

À titre liminaire, et avant d’aborder l’examen du programme OMT du point de vue particulier de l’interdiction du financement monétaire des États que prévoit l’article 123, paragraphe 1, TFUE, il me paraît important de noter que cette réponse s’appuie sur la prémisse voulant que l’éventuelle mise en œuvre du programme OMT intervienne dans le strict respect du principe de proportionnalité, que j’ai examiné dans la réponse proposée à la première question. C’est sur cette base que doivent être comprises certaines des thèses que j’exposerai ci-dessous.

230.

Comme je l’ai indiqué, le Bundesverfassungsgericht, à l’instar des requérants au principal, estime que le programme OMT viole l’article 123, paragraphe 1, TFUE dans la mesure où il contourne l’interdiction que consacre cette disposition. À cette fin, la juridiction de renvoi avance une série de caractéristiques techniques qui, selon elle, confirmeraient une telle conclusion. Pour leur part, les États intervenants, la Commission et la BCE ont réfuté cette appréciation du Bundesverfassungsgericht, et ce précisément sur la base de ces mêmes caractéristiques techniques.

231.

Ainsi qu’on le verra ci-dessous, les doutes du Bundesverfassungsgericht se fondent sur une certaine interprétation du communiqué de presse du 6 septembre 2012. La BCE a contesté cette interprétation et a fourni des éléments de preuve à l’appui de ses arguments. Selon elle, les caractéristiques techniques n’auraient même d’autre sens que d’agir comme un ensemble de garanties visant à éviter le contournement de l’article 123 TFUE.

232.

Eu égard aux considérations qui précèdent, j’en viens à analyser individuellement les caractéristiques signalées par la juridiction de renvoi.

i) Renonciation à des droits et statut pari passu

233.

La renonciation totale ou partielle à exiger l’exécution des droits de crédit s’attachant aux titres de dette publique de l’État concerné par le programme OMT est la première caractéristique qui, selon le Bundesverfassungsgericht, pourrait faire dudit programme une mesure contraire à l’article 123, paragraphe 1, TFUE. De l’avis de la juridiction de renvoi, ainsi que selon plusieurs des requérants au principal, le fait que la BCE et les banques centrales nationales ne bénéficient pas du rang de créancier privilégié (pari passu) et puissent se voir obligées d’accepter une renonciation totale ou partielle dans le cadre d’un accord de restructuration ( 92 ) transformerait la mesure en une source indirecte de financement de l’État débiteur.

234.

Cet argument ne me paraît pas totalement convaincant. D’une part, il convient de ne pas oublier que le risque de renonciation totale ou partielle ne peut se présenter que dans l’éventualité future et hypothétique d’une restructuration de la dette de l’État débiteur et n’est pas, en quelque sorte, un élément consubstantiel au programme OMT. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le faire valoir aux points 193 et 194 des présentes conclusions, la prise de risques est une chose inhérente à l’activité d’une banque centrale, de telle sorte que la survenance d’un événement tel que celui que met en avant la juridiction de renvoi ne peut se transformer, à partir de sa seule possibilité, en conséquence nécessaire de la mise en œuvre du programme.

235.

D’autre part, la BCE a déclaré dans ses observations écrites qu’elle voterait toujours contre une renonciation totale ou partielle dans le cadre d’une restructuration soumise aux «CAC». Autrement dit, la BCE ne va pas contribuer activement à la survenance d’une restructuration, et agira en vue d’obtenir le recouvrement intégral du droit de crédit s’attachant à son titre. Le fait que la BCE prenne les mesures nécessaires en vue d’assurer l’intégrité de son droit confirme que son comportement vise non pas à octroyer un avantage financier à l’État débiteur, mais à garantir le respect de l’obligation contractée par celui-ci.

236.

Enfin, je crois qu’il convient aussi de souligner que l’acquisition par la BCE de titres de dette publique d’un État membre en tant que créancier non privilégié va inévitablement de pair avec une certaine perturbation du marché, qui me paraît cependant supportable du point de vue de l’interdiction figurant à l’article 123, paragraphe 1, TFUE. En revanche, et ainsi qu’on l’a exposé au point 183 des présentes conclusions, les acquisitions en qualité de créancier privilégié ont un effet dissuasif sur d’autres investisseurs, puisqu’elles lancent le message qu’un créancier important, en ce cas une banque centrale nationale, acquière une priorité en matière de recouvrement par rapport aux autres créanciers, avec l’incidence qui en résulte sur la demande de titres. En définitive, j’estime que les clauses pari passu peuvent être envisagées comme un moyen visant à ce que la BCE perturbe le moins possible le fonctionnement normal du marché, ce qui, en fin de compte, s’analyse comme une garantie supplémentaire du respect de l’article 123, paragraphe 1, TFUE.

237.

Par conséquent, j’estime que le fait que la BCE puisse se voir obligée, dans le cas hypothétique où se produirait une restructuration de la dette d’un État membre, de renoncer en tout ou partie aux droits de crédit s’attachant aux titres de dette publique, conséquence d’une activation éventuelle du programme OMT, ne transforme pas ledit programme en une mesure de financement monétaire contraire à l’article 123, paragraphe 1, TFUE.

ii) Risque de défaillance

238.

Le Bundesverfassungsgericht souligne également qu’un achat de titres de dette publique dont la notation financière est basse, comme il est dans une certaine mesure prévisible, expose la BCE à un risque excessif de défaillance, de sorte qu’il est incompatible avec l’article 123, paragraphe 1, TFUE. Bien que la juridiction de renvoi reconnaisse elle-même que la prise de risques est une chose inhérente à l’activité des banques centrales, elle considère que les traités n’autorisent pas l’exposition à des pertes d’un montant significatif.

239.

Une fois encore, je renvoie aux arguments exposés aux points 193 à 198 des présentes conclusions, où j’ai examiné de façon assez circonstanciée la prise de risques par la BCE. J’estime que ce raisonnement est parfaitement transposable au présent aspect, puisque, comme je l’ai alors relevé, l’éventualité, que l’on ne saurait écarter sur le strict plan des principes, d’une situation d’insolvabilité de la BCE, ou de défaillance d’un État membre, ne transforme pas de ce seul fait le risque en certitude. Le fait qu’un programme d’achat de titres de dette publique expose la BCE à un risque est, comme l’on peut s’y attendre, inhérent à ce type d’opérations, de sorte qu’il ne doit susciter des doutes quant à sa légalité que si les conditions techniques du programme, ou son application concrète ultérieure, attestent que la BCE encourt clairement un scénario de défaillance.

240.

En effet, il ne ressort pas des caractéristiques techniques du programme OMT que la BCE s’expose, avec un certain degré de prévisibilité, à la situation qu’indique le Bundesverfassungsgericht. Rappelons que l’objectif central du programme OMT est de stabiliser les taux d’intérêt applicables à certains titres de dette publique, avec l’objectif ultime de restaurer les instruments de politique monétaire. Or, l’objectif direct, c’est-à-dire la réduction du prix du financement de l’État concerné, contribue précisément à ce que celui-ci retrouve sa capacité à faire face à ses obligations à moyen et long terme. Les conditions d’octroi du programme OMT visent à éliminer ou, tout au moins, à réduire considérablement un tel risque. Là encore, et comme je l’ai souligné au point 197 des présentes conclusions, le fait que, vues dans leur ensemble, les opérations annoncées dans le programme OMT soient de nature à confirmer la volonté de la BCE de prévenir ou d’empêcher des processus plus ou moins irrationnels qui génèrent ou augmentent significativement les risques atteste qu’une mesure telle que celle en cause n’emporte pas de contournement de l’interdiction prévue à l’article 123 TFUE.

241.

J’estime, au final, que cette volonté de la BCE a été suffisamment démontrée pour conclure qu’un achat de titres de dette publique, même faiblement notés, qui est susceptible d’exposer la BCE à un risque relatif de défaillance, n’est pas en tant que tel contraire, dans les circonstances exposées, à l’interdiction du financement monétaire prévue à l’article 123, paragraphe 1, TFUE.

iii) Conservation jusqu’à maturité

242.

Le Bundesverfassungsgericht affirme également que la conservation des titres de dette publique jusqu’à leur maturité peut entrer en conflit avec l’article 123, paragraphe 1, TFUE, en ce qu’elle contribuerait à raréfier l’offre d’obligations circulant sur le marché secondaire, en perturbant ainsi l’évolution normale des cours.

243.

Il est certain, comme le fait valoir le Bundesverfassungsgericht, que si la BCE acquérait des titres de dette publique en s’obligeant à les conserver jusqu’à leur maturité, il y aurait une forte distorsion du marché secondaire des titres de dette publique. Ce marché tablerait sur un investisseur, la BCE, détenant un important portefeuille de titres de dette publique qui ne circuleraient pas sur ledit marché, indépendamment de l’évolution des cours.

244.

Pour sa part, la BCE a répondu en soulignant que le communiqué de presse du 6 septembre 2012 n’indique nulle part que les titres de dette publique acquis sur le marché du programme OMT seront conservés jusqu’à leur maturité ( 93 ).

245.

Les arguments fournis par la BCE me paraissent concluants. Et ce non seulement parce que l’institution a déclaré que son intention n’était pas de conserver jusqu’à leur maturité les titres de dette publique qu’elle acquerra, mais aussi parce qu’il s’avère qu’elle a suivi cette pratique dans des programmes antérieurs dans lesquels elle est intervenue sur le marché secondaire de la dette publique ( 94 ). Il est raisonnable qu’il en aille ainsi, puisque la BCE indique que les interventions sur le marché secondaire doivent être caractérisées par un degré considérable de flexibilité, qui permette à l’institution d’exécuter le programme OMT et, dans le même temps, de réaliser des opérations qui ne lui fassent pas subir de pertes, sans causer de distorsions excessives sur le marché. J’estime que la flexibilité que la BCE prétend observer, telle que décrite dans le projet de décision, est compatible avec les nécessités exposées ci-dessus. De même, le fait que le programme OMT soit exclusivement centré sur des opérations concernant des obligations ayant une maturité comprise entre un et trois ans confirme que la BCE a pris des précautions pour éviter tant le risque de perte que la distorsion du marché.

246.

Enfin, il paraît clair que le programme OMT ne comporte, dans ce que l’on en connaît, aucun élément conduisant à penser à un engagement exprès qui aurait été pris soit dans le communiqué de presse du 6 septembre 2012, soit dans l’éventualité d’une mise en œuvre du programme, de conserver les titres de dette publique jusqu’à leur maturité. Il convient ainsi d’écarter les doutes éprouvés par le Bundesverfassungsgericht à cet égard.

iv) Moment de l’acquisition

247.

La juridiction de renvoi a également souligné que l’acquisition par la BCE d’un volume d’achats important de titres de dette publique sur le marché secondaire sans que soit prévu d’intervalle de temps par rapport à la date d’émission aurait un effet similaire à celui d’un achat direct sur le marché primaire, en contravention avec les dispositions de l’article 123, paragraphe 1, TFUE.

248.

Force est sans doute d’admettre qu’un achat sur le marché secondaire effectué quelques secondes après l’instant de l’émission des titres sur le marché primaire pourrait faire disparaître la distinction entre les deux marchés, même si l’achat a formellement lieu sur le marché secondaire. De fait, il ne s’agit nullement d’une hypothèse improbable, puisque, comme il a été exposé dans diverses observations écrites et orales présentées dans cette procédure, une opération sur le marché secondaire peut se produire quelques instants à peine après l’acquisition directe auprès de l’État émetteur.

249.

La BCE a insisté sur l’absence de fondement de cette préoccupation qu’a manifestée le Bundesverfassungsgericht, dès lors que les opérations réalisées dans le cadre du programme OMT sont soumises à une «période d’embargo», en vertu de laquelle l’Eurosystème ne réalisera aucune opération avant que ne se soit écoulé un certain nombre de jours depuis le moment de l’émission, bien que cette durée ne soit pas communiquée ex ante. Cette période de temps permettrait la formation d’un prix de marché pour les titres correspondants. La BCE n’interviendrait donc pas au moment de l’émission, mais des jours plus tard, une fois qu’un prix serait déjà formé sur le marché.

250.

J’estime que l’objection formulée par le Bundesverfassungsgericht ne serait pas dénuée de fondement dans l’hypothèse que M. Bandulet qualifie de quasi‑simultanéité. Une telle pratique contournerait de facto l’interdiction inscrite à l’article 123, paragraphe 1, TFUE, ce que la BCE paraît elle-même admettre lorsqu’elle affirme itérativement qu’elle n’a pas réalisé d’achats de ce type dans le passé et qu’elle n’en n’effectuera pas non plus dans le cadre du programme OMT ( 95 ).

251.

Il n’en demeure pas moins qu’aucun passage du communiqué de presse ne permet de tirer la conclusion qu’une certaine «période d’embargo» sera respectée.

252.

À mon sens, pour qu’un éventuel programme OMT respecte sur le fond les dispositions de l’article 123, paragraphe 1, TFUE, il faut que, même dans les circonstances particulières qui nous occupent, celui-ci permette que les titres de dette publique concernés puissent réellement donner lieu à la formation d’un prix de marché, de telle sorte que la différence entre l’acquisition de titres sur le marché primaire et celle sur le marché secondaire reste effective jusqu’à un certain point.

253.

Il convient toutefois, en définitive, de relever qu’il n’est pas indispensable que la «période d’embargo» en cause soit explicite et publiquement déterminée au préalable. Par ailleurs, comme l’a indiqué à juste titre la BCE, il est nécessaire d’éviter aussi bien une période excessivement courte, qui contreviendrait à l’article 123, paragraphe 1, TFUE, qu’une période trop longue, qui provoquerait un chevauchement avec d’autres opérations en cours, en finissant par saper l’efficacité du programme OMT. Il paraît admissible que la BCE dispose d’un large pouvoir discrétionnaire dans la définition précise des délais, dès lors que ces derniers laissent place à une possibilité réelle que le prix des titres soit essentiellement en accord avec ceux du marché.

254.

Par conséquent, j’estime que, pour être conforme à l’article 123, paragraphe 1, TFUE, le programme OMT doit, le cas échéant, être mis en œuvre de façon à rendre possible la formation d’un prix de marché pour les titres de dette publique concernés.

v) Stimulation à l’acquisition sur le marché primaire

255.

Enfin, le Bundesverfassungsgericht souligne que l’annonce de l’application du programme OMT dans un cas concret aura pour effet de stimuler les acquisitions sur le marché primaire, en créant ainsi un facteur d’attraction qui transformera la BCE en «prêteur en dernier ressort», avec l’augmentation des risques qui en résultera.

256.

La BCE fait pour sa part valoir, de même que la Commission, que cette appréciation se fonde sur une prémisse erronée, en ce qu’elle présuppose l’existence d’une annonce publique, antérieure à la mise en œuvre par la BCE des opérations d’achat. Or, il ne ressort pas du communiqué de presse du 6 septembre 2012 que la BCE adoptera un tel comportement, tout au contraire, puisqu’une annonce préalable et détaillée expliquant le moment exact auquel ces achats seraient effectués saperait les objectifs du programme OMT.

257.

Je peux me rallier à la thèse de la BCE et de la Commission. Le communiqué de presse du 6 septembre 2012 ne comporte aucun élément indiquant que la BCE communiquera au préalable et en détail les caractéristiques du programme concret qu’elle appliquera, ni qu’elle informera du moment exact auquel elle lancera ses opérations. Au contraire, la pratique antérieure de la BCE dans le cadre de programmes similaires ainsi que le projet de décision relatif au programme OMT, dans son point relatif aux périodes d’embargo, démontrent que l’institution fera preuve d’une prudence particulière au moment d’intervenir sur le marché secondaire, afin d’éviter les comportements spéculatifs qui saperaient l’efficacité du programme OMT.

258.

L’objection de la juridiction de renvoi aurait un sens si la BCE adoptait effectivement une politique de communication publique détaillée qui provoquerait une distorsion immédiate du marché à un moment précis, en conséquence d’une annonce préalable de la BCE. J’estime que ce type de comportement n’est pas susceptible de se produire, comme le confirme la pratique antérieure de la BCE.

259.

Tout cela étant dit, il n’en faut pas moins de nouveau reconnaître que, si l’application du programme OMT comporte un certain degré d’incitation pour les investisseurs à l’acquisition de titres de dette publique sur le marché primaire, il s’agit là d’une conséquence quasi inévitable, compte tenu des caractéristiques propres dudit programme. Si l’objectif direct du programme OMT est de réduire, jusqu’à les normaliser, les taux d’intérêt exigés de certains États membres, avec naturellement pour objectif indirect de débloquer les canaux de transmission de la politique monétaire, il est évident qu’une telle normalisation a comme prémisse une plus grande demande sur le marché primaire. Aussi l’incitation à l’acquisition est-elle pratiquement inhérente audit programme.

260.

Ce qui importe fondamentalement c’est que de tels effets sur les opérateurs économiques soient conformes à l’objectif que le programme OMT serait, le cas échéant, appelé à réaliser, ce qui nous ramène de nouveau à l’importance du respect du principe de proportionnalité, y compris du point de vue de la présente interdiction.

261.

Cela dit, je considère que, ainsi qu’il résulte du communiqué de presse du 6 septembre 2012, il n’existe pas d’éléments suffisants indiquant que la mise en œuvre du programme OMT créerait, en conséquence de son activation et de son annonce, une stimulation disproportionnée à l’acquisition de titres de dette publique sur le marché primaire.

3. Réponse à la seconde question préjudicielle

262.

En définitive, et en réponse à la seconde question préjudicielle du Bundesverfassungsgericht, j’estime que le programme OMT est compatible avec l’article 123, paragraphe 1, TFUE, à condition que, dans l’hypothèse où il en serait fait application, il soit mis en œuvre dans le temps de façon à permettre effectivement la formation d’un prix de marché des titres de dette publique.

VII – Conclusion

263.

Par conséquent, je propose à la Cour d’apporter la réponse suivante aux questions préjudicielles posées par le Bundesverfassungsgericht:

1)

Le programme Opérations monétaires sur titres («Outright Monetary Transactions», OMT) de la Banque centrale européenne (BCE), annoncé le 6 septembre 2012, est compatible avec les articles 119 et 127, paragraphes 1 et 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, à condition que, dans l’hypothèse où il en serait fait application, la BCE

s’abstienne de toute intervention directe dans les programmes d’assistance financière auxquels est subordonné le programme OMT,

et remplisse strictement son devoir de motivation et les exigences du principe de proportionnalité.

2)

Le programme OMT est compatible avec l’article 123, paragraphe 1, TFUE, à condition que, dans l’hypothèse où il en serait fait application, il soit mis en œuvre dans le temps de façon à permettre effectivement la formation d’un prix de marché des titres de dette publique.


( 1 )   Langue originale: l’espagnol.

( 2 )   Arrêt 126, 286, p. 303 et 304.

( 3 )   Le verbatim du discours de Mario Draghi est le suivant: «Quand on parle de la fragilité de l’euro et de la fragilité croissante de l’euro, voire de la crise de l’euro, il est très courant que des États membres n’appartenant pas à la zone euro ou des dirigeants sous-estiment l’importance du capital politique investi dans l’euro.

Comme nous voyons les choses, et nous ne nous considérons pas comme des observateurs impartiaux, nous pensons que l’euro est irréversible. […]

Mais il y a un autre message que je veux vous dire.

Dans le cadre de notre mandat, la BCE est prête à faire tout ce qu’il faut pour préserver l’euro. Et croyez-moi, ce sera suffisant.»

Voir la transcription complète de l’intervention de Mario Draghi à la page suivante: http://www.ecb.europa.eu/press/key/date/2012/html/sp120726.en.html.

( 4 )   Points 17 à 32.

( 5 )   BVerfGE, 89, 155 (1992).

( 6 )   123 BVerfGE 267 (2009).

( 7 )   2 BvR 2661/06.

( 8 )   Il suffit de citer, à titre d’exemple, l’argumentation tendant à justifier les raisons pour lesquelles la notion d’«identité constitutionnelle», conformément au droit national, ne pourrait coïncider avec l’«identité nationale» visée à l’article 4, paragraphe 2, TUE (point 29 de la décision de demande préjudicielle).

( 9 )   Voir les opinions divergentes des juges Lübbe-Wolff et Gerhardt en ce qui concerne la présente demande de décision préjudicielle. Voir, en particulier, les arguments de Mme Lübbe-Wolff (point 28) et ceux de M. Gerhardt (points 14 à 18).

( 10 )   Point 25 de la demande de décision préjudicielle.

( 11 )   Points 17 et 26 de la demande de décision préjudicielle.

( 12 )   Voir également, en ce sens, observations figurant au point 11 de l’opinion divergente de Mme Lübbe-Woll, précitée.

( 13 )   La Cour a déclaré à de nombreuses reprises que la demande préjudicielle ne saurait tenir lieu de procédure visant à l’émission d’avis consultatifs. Selon la jurisprudence, la justification du renvoi préjudiciel n’est pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un contentieux touchant au droit de l’Union (voir, entre autres, arrêts Djabali, C‑314/96, EU:C:1998:104, point 19; Alabaster, C‑147/02, EU:C:2004:192, point 54, et Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, point 42).

( 14 )   Voir, entre autres, Craig P., «The ECJ and ultra vires action: A conceptual analysis», Common Market Law Review, 2011, 48; Kumm, M., «Who Is the Final Arbiter of Constitutionality in Europe?», Common Market Law Review, 1999, 36; Millet, F.‑X., L’Union européenne et l’identité constitutionnelle des États membres, LGDJ, Paris, 2013; Payandeh, M., «Constitutional review of EU law after Honeywell: Contextualizing the relationship between the German Constitutional Court and the EU Court of Justice», Common Market Law Review, 2011, 48.

( 15 )   Voir, outre arrêts du Bundesverfassungsgericht cités ci-dessus aux notes 5 à 7, décisions du Conseil constitutionnel français des 27 juillet 2006 et 9 juin 2011 (décisions no 2006-540 DC et no 2011/631 DC); déclaration du Tribunal Constitucional espagnol du 13 décembre 2004, 1/2004; arrêts de la Corte costituzionale italienne no os 183/1973 et 168/1991; arrêt du Hojesteret danois du 6 avril 1998 (I 361/1997); arrêt du Trybunal Konstytucyjny polonais du 11 mai 2005 (K 18/04) ou arrêt de la Supreme Court of United Kingdom du 22 janvier 2014 [(2014) UKSC 3].

( 16 )   Sunstein, C., One Case at a Time. Judicial Minimalism on the Supreme Court, Ed., Harvard University Press, Cambridge, 2001.

( 17 )   Voir, à cet égard, Martinico, G., «Preliminary Reference and Constitutional Courts: are You in the Mood for Dialogue?», dans Fontanelli, F., Martinico, G. et Carrozza, P., Shaping Rule of Law through Dialogue: International and Supranational Experiences, Ed. Europa Law Publishing, Groninga, 2010; Alonso García, R., Justicia Constitucional y Unión Europea, 2e ed., Ed. Thomson‑Civitas, Madrid, 2014; Ukrow, J., «Von Luxemburg lernen heißt Integrationsgrenzen bestimmen. Anmerkungen zur Vorlage-Entscheidung des Bundesverfassungsgerichts vom 14. Januar 2014», Zeitschrift für Europarechtliche Studien, 2014, p. 122; Mayer, F., «Multilevel Constitutional Jurisdiction», dans Bogdandy, A., et Bast, J. (éd.), Principles of European Constitutional Law, 2e éd., Ed. Hart-Beck-Nomos, 2010, et Komárek, J., «The Place of Constitutional Courts in the EU», European Constitutional Law Review, 2013, 9.

( 18 )   Voir jurisprudence du Bundesverfassungsgericht citée au point 24 de la demande de décision préjudicielle.

( 19 )   Point 33 de la décision de renvoi.

( 20 )   Voir point 28 de la décision de renvoi et références mentionnées au sujet de l’«identité constitutionnelle».

( 21 )   Ce sont les termes exprès de l’arrêt Honeywell, précité, ainsi que le rappelle la juridiction de renvoi au point 24 de sa demande de décision préjudicielle.

( 22 )   Arrêt Honeywell, précité, point 61.

( 23 )   Sur le renvoi préjudiciel et son rôle dans le système juridictionnel de l’Union, voir Lecourt, R., L’Europe des juges, Éd. Bruylant, Bruxelles, 2008, et Ruiz-Jarabo Colomer, I., La Justicia de la Unión Europea, Éd. Thomson-Civitas, Madrid, 2011.

( 24 )   Points 5 à 12 des observations écrites du gouvernement italien.

( 25 )   Voir formulation de Funke, A., «Virtuelle verfassungsgerichtliche Kontrolle von EU-Rechtsakten: der Schlussstein?», Anmerkung zu BVerfGE 126, 286 (Honeywell bzw. Mangold-Urteil EuGH), Zeitschrift für Gesetzgebung, 26, no 2, 2011, p. 172. Voir également Hobe, S., «Abkehr von Solange? – Die Entscheidungen des Bundesverfassungsgerichts zur Vorratsdatenspeicherung und zu Honeywell», dans Sachs, M., et Siekmann, H., Der grundrechtsgeprägte Verfassungsstaat Festschrift für Klaus Stern zum 80. Geburtstag, Éd. Duncker & Humblot, Berlin, 2012, p. 753.

( 26 )   Point 26 de la décision de renvoi.

( 27 )   Selon le Bundesverfassungsgericht, dans les «cas limites» d’excès de compétence de la part de l’Union, les perspectives de l’une et l’autre Cour pourraient ne pas «entièrement» coïncider, puisque, d’une part, les États membres continuent d’être les seuls «maîtres des traités» et que, d’autre part, le droit de l’Union ne bénéficie pas d’une position (primauté ou priorité d’application) égale à celle du droit de la Fédération par rapport à celui des Länder (suprématie).

( 28 )   Point 27 de la décision de renvoi.

( 29 )   Voir Pizzorusso, Il patrimonio costituzionale europeo, Éd. Il Mulino, Bologne, 2012, chapitres IV et V.

( 30 )   Voir Vosskuhle, A., «Der Europäische Verfassungsgerichtsverbund», TranState Working Papers, no 16, Staatlichkeit im Wandel – Transformations of the State, Brême, 2009, p. 22, citant Häberle, P., Europäische Verfassungslehre, 6e éd., Éd. Nomos, Baden-Baden, 2009, p. 478 et suiv.

( 31 )   Voir l’initiative d’un groupe de 35 juristes proposant l’adoption d’une disposition dans la loi sur le Bundesverfassungsgerichtsgesetz, en réaction à l’absence de référence à la relation de coopération dans l’arrêt du 30 juin 2009. Initiative disponible à la page suivante: www.europa-union-de/fileadmin/files_eud/Appell_Vorlagepflicht_BVerfG.pdf.

( 32 )   Voir, en ce sens, Streinz, R., «Der Kontrollvorbehalt des Bundesverfassungsgericht gegenüber dem EuGH nach dem Lissabon-Urteil und dem Honeywell-Beschluss», dans Sachs, M., et Siekmann, H., op. cit., p. 978.

( 33 )   C’est ainsi que s’est exprimé le gouvernement allemand dans ses observations écrites et orales dans cette procédure, en soulignant la nécessité que la Cour interprète les traités dans la présente affaire de manière à éviter un conflit entre les composantes essentielles de l’ordre constitutionnel des États membres et le droit de l’Union.

( 34 )   La virtualité de la clause de respect de l’identité nationale (article 4, paragraphe 2, TFUE) dans le contexte d’une éventuelle demande préjudicielle de la part du Bundesverfassungsgericht est une question qui est loin d’être close (voir Dederer, H.‑G., «Die Grenzen des Vorrechts des Unionsrechts», Juristenzeitung, 7, 2014). Voir, en ce sens, suggestion de la Commission quant à un élargissement préalable du paramètre européen de contrôle, éventuellement par la voie d’un nouveau renvoi préjudiciel, dans l’hypothèse improbable où le Bundesverfassungsgericht déciderait de constater le caractère ultra vires de l’acte de l’Union, en dépit de la réponse de la Cour avalisant sa légalité (point 37 des observations de la Commission).

( 35 )   En ce sens, le Bundesverfassungsgericht considère (point 66 de l’arrêt Honeywell, précité) que la sauvegarde du principe d’intégration va de pair avec un exercice du contrôle ultra vires qu’il qualifie lui-même de «prudent» («zurückhaltend»). Au-delà de ce qui précède, le caractère spécifique des méthodes d’interprétation de la Cour devrait conduire la juridiction nationale à ne pas substituer ses propres méthodes d’interprétation à celles de la Cour. C’est en ce sens que la juridiction nationale déclare que la Cour pourrait légitimement «prétendre» à ce que soit admise une certaine marge de tolérance face à d’éventuelles erreurs («Anspruch auf Fehlertoleranz»).

( 36 )   Voir, notamment, arrêts CBR e.a./Commission (8/66 à 11/66, EU:C:1967:7, point 91); Sucrimex et Westzucker/Commission (133/79, EU:C:1980:104, points 12 à 19) ainsi que Gauff Ingenieure/Commission (182/80, EU:C:1982:78, point 18).

( 37 )   Arrêt Friesland Coberco Dairy Foods (C‑11/05, EU:C:2006:312, points 38 à 41).

( 38 )   Voir jurisprudence citée à la note 36.

( 39 )   Voir arrêts Grimaldi (C‑322/88, EU:C:1989:646, points 8 et 9) ainsi que Deutsche Shell (C‑188/91, EU:C:1993:24, point 18).

( 40 )   22/70, EU:C:1971:32.

( 41 )   Ibidem (point 42).

( 42 )   Ibidem (point 53).

( 43 )   Ibidem (point 54).

( 44 )   C‑366/88, EU:C:1990:348.

( 45 )   Ibidem (point 10).

( 46 )   Voir Binder, Alan S., Ehrmann, M., Fratzscher, M., de Hann, J., Jansen, D.‑J., Central Bank Communication and Monetary Policy. A Survey of Theory and Evidence, et Woodford, M., Fedspeak: Does It Matter How Central Bankers Explain Themselves?, Université de Columbia, avril 2013.

( 47 )   Selon la présidente actuelle de la Réserve fédérale américaine, Mme Yellen, «les effets de la politique monétaire dépendent essentiellement de la bonne réception par le public du message concernant le type de politique qui sera menée dans les mois ou les années qui suivent». Discours à la Society of American Business Editors and Writers 50th Anniversary Conference, Washington D.C., disponible à la page suivante: http://www.federalreserve.gov/newsevents/speech/yellen20130404a.htm.

( 48 )   Banque centrale européenne, La politique monétaire de la BCE, Francfort, 2011, p. 94 et suiv.

( 49 )   C‑370/12, EU:C:2012:756.

( 50 )   Articles 119, paragraphe 2, 127, paragraphe 1, 282, paragraphe 2, TFUE, ainsi qu’articles 2 et 3, paragraphe 3.3, des statuts du SEBC et de la BCE.

( 51 )   Voir notamment rapport sur l’Union économique et monétaire dans la Communauté européenne, plus connu sous le nom de rapport Delors, du 17 avril 1989, en particulier point 32.

( 52 )   Voir, entre autres, Dyson, K., et Featherstone, K., The Road to Maastricht. Negotiating Economic and Monetary Union, Éd. Oxford University Press, Oxford, 1999, p. 378 et suiv.; Ungerer, H., A Concise History of European Monetary Integration. From EPU to EMU, Ed. Quorum Books, Westport-Londres, 1997, p. 209 et suiv.; ainsi que Viebig, J., Der Vertrag von Maastricht. Die Positionen Deutschlands und Frankreichs zur Europäischen Wirtschafts- und Währungsunion, Ed. Schaffer Poeschel, 1999, p. 150 et suiv.

( 53 )   Article 282, paragraphe 3, TFUE: «La Banque centrale européenne a la personnalité juridique. Elle est seule habilitée à autoriser l’émission de l’euro. Elle est indépendante dans l’exercice de ses pouvoirs et dans la gestion de ses finances. Les institutions, organes et organismes de l’Union ainsi que les gouvernements des États membres respectent cette indépendance.»

( 54 )   De Grauwe, P., Economics of Monetary Union, 10e éd., Éd. Oxford University Press, Oxford, 2014, p. 156 à 159.

( 55 )   Voir Sparve, R., «Central bank Independence under European Union and other International Standards», dans Legal Aspects of the European System of Central Banks. Liber Amicorum Paolo Zamboni Garavelli, Éd. ECB, Francfort-sur-le-Main, 2005.

( 56 )   Idem.

( 57 )   Sur l’autonomie de la BCE et ses limites, voir, en particulier, Zilioli, C., et Selmayr, M., «The European Central Bank: An Independent Specialized Organization of Community Law», Common Market Law Review, no 37, 3, 2000, p. 591 et suiv.; Dernedde, I., Autonomie der Europäische Zentralbank. Im Spannungsfeld zwischen demokratischer Legitimation der Europäischen Union und Währungsstabilität, Éd. Dr. Kovac, Hambourg, 2002, et, d’un point de vue comparé, Amtenbrink, F., The Democratic Accountability of Central Banks. A Comparative Study of the European Central Bank, Éd. Hart, Oxford-Portland, 1999.

( 58 )   Voir, quoique dans des domaines différents de la politique monétaire, arrêts Sison/Conseil (C‑266/05 P, EU:C:2007:75, points 32 à 34); Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (C‑127/07, EU:C:2008:728, point 57) ainsi que Vodafone e.a. (C‑58/08, EU:C:2010:321, point 52).

( 59 )   Voir, en ce sens, Louis, J.‑V., L’Union européenne et sa monnaie, Commentaire J. Mégret, 3e éd., Éd. de l’université de Bruxelles, Bruselas, 2009, p. 211; Craig, P., «EMU, the European Central Bank and Judicial Review» dans Beaumont, P., et Walker, N. (eds.), Legal Framework of the Single European Currency, Éd. Hart, Oxford-Portland, 1999, p. 97 à 114, et Malatesta, A., La Banca Centrale Europea, Éd. Giuffrè, Milan, 2003, p. 183 et suiv.

( 60 )   «On désigne par mécanismes de transmission de la politique monétaire le processus par lequel les décisions de politique monétaire influent sur l’économie, en général, et sur le niveau des prix, en particulier», The Monetary Policy of the ECB, Éd. BCE, Francfort-sur-le-Main, 2011, p. 62. Voir, à cet égard, Angeloni, I., Kashyap, A., et Mojon, B. (Eds.), Monetary Policy Transmission in the Euro Area, Éd. Cambridge University Press, Cambridge, 2003, et Suardi, M., «Monetary Policy Transmission in EMU», dans Buti, M., et Sapir, A., EMU and Economic Policy in Europe. The Challenge of the Early Years, Éd. E. Elgar, Cheltenham-Northampton, 2002.

( 61 )   «La transmission des impulsions monétaires au secteur réel de l’économie met en jeu différents mécanismes et actions nécessitant l’intervention d’agents économiques à plusieurs stades du processus. Aussi les mesures de politique monétaire mettent-elles en général un temps considérable avant d’influer sur l’évolution des prix. En outre, l’amplitude et la force des différents effets peuvent varier en fonction de l’état de l’économie, si bien qu’il est difficile d’estimer leur impact précis. Dans leur ensemble, les banques centrales se heurtent souvent à d’importants décalages, de durée variable et incertaine, dans l’exécution de la politique monétaire», Banque centrale européenne, The Monetary Policy of the ECB, Francfort‑sur‑le‑Main, 2011, p. 62 et 63. Voir également Angeloni, I., Kashyap, A., et Mojon, B. (Eds.), op. cit.

( 62 )   À cet égard, voir Cour-Thimann, P., et Winkler, B., «The ECB’s Non-Standard Monetary Policy Measures. The Role of Institutional Factors and Financial Structure», Oxford Review of Economic Policy, 2012, 28, p. 72 et suiv.

( 63 )   Voir exposé comparé effectué par Lenza, M., Pill, H., et Reichlin, L., «Monetary Policy in Exceptional Times», Economic Policy, 2010, p. 62; ainsi que García-Andrade, J., «El Sistema Monetario en una Unión Europea de Derecho», dans Salvador Armendáriz, M.‑A. (éd.), Regulación bancaria: transformaciones y Estado de Derecho, Éd. Aranzadi, Cizur Menor, 2014.

( 64 )   La BCE a recouru à différentes méthodes non conventionnelles dans le passé, comme l’injection de liquidités à taux fixe sans limitation de montant, l’extension de la liste des actifs éligibles, l’injection de liquidités à plus long terme, ou l’achat de titres de créance spécifiques. Sur ces mesures, voir Hinarejos, A., The Euro Area Crisis in Constitutional Perspective, Éd. Oxford University Press, Oxford, 2014, chapitre 3, point 3.1.

( 65 )   Arrêt Pringle (EU:C:2012:756, point 55).

( 66 )   Arrêt Pringle (EU:C:2012:756, point 56) et prise de position de l’avocat général Kokott présentée dans cette affaire (EU:C:2012:675, point 85).

( 67 )   Prise de position de l’avocat général Kokott présentée dans l’affaire Pringle (EU:C:2012:675, points 142 et 143).

( 68 )   Dans son arrêt Pringle (EU:C:2012:756, point 135), la Cour déclare que «[l]e respect [de la] discipline budgétaire contribue à l’échelle de l’Union à la réalisation d’un objectif supérieur, à savoir le maintien de la stabilité financière».

( 69 )   Comme le souligne la Commission dans ses observations écrites, les bulletins mensuels de la BCE des mois de septembre et d’octobre 2012 confirment itérativement que l’objectif ultime du programme OMT est la restauration des canaux de transmission de la politique monétaire.

( 70 )   En tant que les conditions auxquelles est subordonné l’achat de titres de dette publique peuvent ne pas coïncider avec celles fixées par la FESF/le MES, le programme agirait comme une sorte de «sauvetage parallèle». J’estime par conséquent que les doutes que soulèvent ces deux points peuvent faire l’objet d’une analyse conjointe.

( 71 )   Selon Krugman et Wells, l’expression d’«aléa moral» fait référence à la façon dont les individus prennent des décisions qui leur font courir des risques majeurs lorsque les éventuelles conséquences négatives de leurs actes sont supportées non pas par eux-mêmes mais par un tiers. Pour plus de détails, voir Krugman, P., et Wells, R., Microeconomics, 3e éd., Éd. Worth Publishers, 2012.

( 72 )   Voir, concrètement, articles 4, paragraphe 4; 5, paragraphes 3 et 5, sous g); 6, paragraphe 2; 13, paragraphes 1, 3 et 7; ainsi que 14, paragraphe 6, du traité instituant le mécanisme européen de stabilité entre le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, la République d’Estonie, la République hellénique, le Royaume d’Espagne, la République française, l’Irlande, la République italienne, la République de Chypre, le Grand-Duché de Luxembourg, la République de Malte, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, la République portugaise, la République de Slovénie, la République slovaque et la République de Finlande, conclu à Bruxelles le 2 février 2012 (ci-après le «traité MES»).

( 73 )   Sur le rôle institutionnel de la BCE dans les programmes de sauvetage, voir Beukers, T., «The new ECB and its relationship with the eurozone Member States: Between central bank independence and central bank intervention», Common Market Law Review, Issue 6, 2013, 50, p. 1588 et suiv.

( 74 )   Voir, concrètement, article 13, paragraphes 3 et 7, du traité MES.

( 75 )   Voir, à titre d’exemple, les conditions générales des conventions d’assistance financière, adoptées par le conseil d’administration du MES le 22 novembre 2012 (disponibles sur la page www.esm.europa.eu), qui confirment le rôle de la BCE dans le contrôle des programmes d’assistance financière (voir, concrètement, articles 3.3.2, 3.4.2, 5.3.4, 5.12.1, 6.2.6, 9.6, 9.8.2 et 12.2).

( 76 )   De fait, le texte du traité MES permettrait un tel mode d’intervention. L’expression «en liaison avec la BCE», utilisée par le traité MES dans ses articles 13 et 14, permettrait un large éventail d’actions de la BCE dans le cadre d’un programme d’assistance financière, y compris les actions «passives» que l’on propose ici.

( 77 )   Selon la jurisprudence de la Cour, l’obligation de motivation prévue dans le TFUE «ne répond pas seulement à un souci formel, mais vise à donner aux parties la possibilité de défendre leurs droits, à la Cour d’exercer son contrôle et aux États membres, comme à tout ressortissant intéressé, de connaître les conditions dans lesquelles [l’institution] a fait application du traité». Voir, entre autres, arrêts Allemagne/Commission (24/62, EU:C:1963:14, point 143) ainsi que DIR International Film e.a./Commission (C‑164/98 P, EU:C:2000:48, point 33).

( 78 )   Déclaration du président de la BCE, Mario Draghi, lors de la conférence de presse du 6 septembre 2012, disponible à la page suivante: http://www.ecb.europa.eu/press/pressconf/2012/html/is120906.en.html.

( 79 )   Voir, en ce sens, arrêts National Panasonic/Commission (136/79, EU:C:1980:169, points 28 à 30) et Roquette Frères (C‑94/00, EU:C:2002:603, point 77).

( 80 )   Voir, notamment, arrêts Fedesa e.a. (C‑331/88, EU:C:1990:391, point 13) ainsi que Pays‑Bas/Commission (C‑180/00, EU:C:2005:451, point 103).

( 81 )   Observations écrites de la République française, faisant référence à la nature «ciblée et provisoire» du programme OMT (point 40).

( 82 )   Outre qu’il vise la conditionnalité des programmes d’assistance financière en tant que «condition nécessaire», le communiqué de presse du 6 septembre 2012 souligne que la suspension du programme OMT sera laissée à la «discrétion» du conseil des gouverneurs, lequel agira cependant «conformément à son mandat de politique monétaire».

( 83 )   Voir Tridimas, T., The General Principles of EU Law, 2e éd., Éd. Oxford University Press, Oxford, 2010, chapitre 3.

( 84 )   Voir, à cet égard, Sunkel, O., et Griffith-Jones, S., Debt and Development Crises in Latin America: The End of an Illusion, Éd. Oxford University Press, Oxford, 1989.

( 85 )   Voir rapport Delors, précité à la note 51, point 30 en particulier.

( 86 )   Voir Siekmann, H., «Law and Economics of Monetary Union», dans Eger, T., et Schäfer, H.-B., Research Handbook, on the Economics of European Union Law, Éd. E. Elgar, Cheltenham-Northampton, 2012, p. 370 et suiv.

( 87 )   Arrêt Pringle (EU:C:2012:756, point 135).

( 88 )   Ibidem (point 132).

( 89 )   Comparer la rédaction proposée de l’ancien article 104 A, paragraphe 1, sous a), dans le projet de traité portant révision du traité instituant la Communauté économique européenne en vue de la mise en place d’une Union économique et monétaire, Bulletin des Communautés européennes, supplément 2/91, p. 22 et 52, avec la rédaction finale de cet article, qui correspond à celle de l’article 123 TFUE actuellement en vigueur. Sur les négociations qui ont débouché sur la rédaction de l’actuel article 123 TFUE, voir Conthe, M., «El Tratado de la Unión Europea: la Unión Económica y Monetaria», dans VVAA, España y el Tratado de la Unión Europea. Una aproximación al Tratado elaborada por el equipo negociador en las Conferencias Intergubernamentales sobre la Unión Política y la Unión Económica y Monetaria, Éd. Colex, 1994, p. 295 à 297.

( 90 )   Sur les opérations d’open market autorisées par l’article 18.1, voir orientation de la BCE du 20 septembre 2011 concernant les instruments et procédures de politique monétaire de l’Eurosystème, dans sa version refondue (BCE/2011/14).

( 91 )   L’article 1er, paragraphe 1, sous b), du règlement no 3603/93 ajoute, sous ii), que constitue également un «autre type de crédit»«tout financement d’obligations du secteur public à l’égard de tiers».

( 92 )   En vertu des clauses conventionnelles prévues pour les cas de restructuration (Collective Action Clauses,«CAC»), la restructuration est subordonnée à une règle de majorité entre créanciers. Voir, sur les clauses CAC et le rôle de la BCE, Hofmann, C., «Enfranchisement and Disenfranchisement in Collective Action Clauses», dans Bauer, K.‑A., Cahn, A., et Kenadjian, S. (eds.), Collective Action Clauses and the Reestructuring of Sovereign Debt, Institute for Law and Finance Series, Éd. De Gruyter, 2013, p. 56 et suiv.

( 93 )   Non seulement aucune obligation de conserver les titres jusqu’à leur maturité n’est fixée, mais encore, selon la BCE, le projet de décision relative aux OMT prévoit expressément la possibilité que la BCE vende les titres à une date antérieure.

( 94 )   Ce serait le cas, selon la BCE, du SMP, dans lequel les titres n’ont pas nécessairement été conservés jusqu’à leur maturité.

( 95 )   Selon ce que déclare la BCE dans ses observations écrites, le programme SMP, antérieur au programme OMT, prévoyait également une période d’embargo.