ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

16 juillet 2015 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Propriété intellectuelle et industrielle — Directive 2004/48/CE — Article 8, paragraphe 3, sous e) — Vente de marchandises contrefaisantes — Droit d’information dans le cadre d’une action relative à une atteinte à un droit de propriété intellectuelle — Réglementation d’un État membre autorisant les établissements bancaires à refuser de répondre favorablement à une demande tendant à ce que soient fournies des informations relatives à un compte bancaire (secret bancaire)»

Dans l’affaire C‑580/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesgerichtshof (Allemagne), par décision du 17 octobre 2013, parvenue à la Cour le 18 novembre 2013, dans la procédure

Coty Germany GmbH

contre

Stadtsparkasse Magdeburg,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, Mme K. Jürimäe, MM. J. Malenovský (rapporteur), M. Safjan et Mme A. Prechal, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

pour Coty Germany GmbH, par Me M. Fiebig, Rechtsanwalt,

pour la Stadtsparkasse Magdeburg, par Me N. Gross, Rechtsanwalt,

pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme J. Kemper, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. F. Bulst et F. Wilman, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 avril 2015,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 8, paragraphe 3, sous e), de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO L 157, p. 45, et rectificatif JO L 195, p.16).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Coty Germany GmbH (ci-après «Coty Germany»), société titulaire de droits de propriété intellectuelle, à un établissement bancaire, la Stadtsparkasse Magdeburg (ci-après la «Stadtsparkasse»), au sujet du refus de cette dernière de fournir à Coty Germany des informations relatives à un compte bancaire.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Les considérants 2, 10, 13, 15, 17 et 32 de la directive 2004/48 sont libellés comme suit:

«(2)

La protection de la propriété intellectuelle devrait permettre à l’inventeur ou au créateur de retirer un profit légitime de son invention ou de sa création. Elle devrait également permettre la diffusion la plus large possible des œuvres, des idées et des savoir-faire nouveaux. Dans le même temps, la protection de la propriété intellectuelle ne devrait pas faire obstacle à la liberté d’expression ni à la libre circulation de l’information et à la protection des données personnelles, y compris sur l’Internet.

[...]

(10)

L’objectif de la présente directive est de rapprocher ces législations afin d’assurer un niveau de protection élevé, équivalent et homogène de la propriété intellectuelle dans le marché intérieur.

[...]

(13)

Il est nécessaire de définir le champ d’application de la présente directive de la manière la plus large possible afin d’y inclure l’ensemble des droits de propriété intellectuelle couverts par les dispositions communautaires en la matière et/ou par la législation nationale de l’État membre concerné [...]

[...]

(15)

La présente directive ne devrait pas affecter le droit matériel de la propriété intellectuelle, la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données [(JO L 281, p. 31)], la directive 1999/93/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 1999 sur un cadre communautaire pour les signatures électroniques [(JO 2000, L 13, p. 12)] et la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur [(JO L 178, p. 1)].

[...]

(17)

Les mesures, procédures et réparations prévues par la présente directive devraient être déterminées dans chaque cas de manière à tenir dûment compte des caractéristiques spécifiques de ce cas, notamment des caractéristiques spécifiques de chaque droit de propriété intellectuelle et, lorsqu’il y a lieu, du caractère intentionnel ou non intentionnel de l’atteinte commise.

[...]

(32)

La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus, notamment, par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [(ci-après la ‘Charte’)]. En particulier, la présente directive vise à assurer le plein respect de la propriété intellectuelle, conformément à l’article 17, paragraphe 2, de [la Charte].»

4

Aux termes de l’article 2, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/48:

«La présente directive n’affecte pas:

a)

les dispositions communautaires régissant le droit matériel de la propriété intellectuelle, la directive 95/46/CE, la directive 1999/93/CE et la directive 2000/31/CE en général et les articles 12 à 15 de cette dernière directive en particulier».

5

L’article 8 de la directive 2004/48, intitulé «Droit d’information», énonce:

«1.   Les États membres veillent à ce que, dans le cadre d’une action relative à une atteinte à un droit de propriété intellectuelle et en réponse à une demande justifiée et proportionnée du requérant, les autorités judiciaires compétentes puissent ordonner que des informations sur l’origine et les réseaux de distribution des marchandises ou des services qui portent atteinte à un droit de propriété intellectuelle soient fournies par le contrevenant et/ou toute autre personne qui:

a)

a été trouvée en possession des marchandises contrefaisantes à l’échelle commerciale;

b)

a été trouvée en train d’utiliser des services contrefaisants à l’échelle commerciale;

c)

a été trouvée en train de fournir, à l’échelle commerciale, des services utilisés dans des activités contrefaisantes,

ou

d)

a été signalée, par la personne visée au point a), b) ou c), comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution des marchandises ou la fourniture des services.

2.   Les informations visées au paragraphe 1 comprennent, selon les cas:

a)

les noms et adresses des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs et autres détenteurs antérieurs des marchandises ou des services, ainsi que des grossistes destinataires et des détaillants;

b)

des renseignements sur les quantités produites, fabriquées, livrées, reçues ou commandées, ainsi que sur le prix obtenu pour les marchandises ou services en question.

3.   Les paragraphes 1 et 2 s’appliquent sans préjudice d’autres dispositions législatives et réglementaires qui:

a)

accordent au titulaire le droit de recevoir une information plus étendue;

b)

régissent l’utilisation au civil ou au pénal des informations communiquées en vertu du présent article;

c)

régissent la responsabilité pour abus du droit à l’information;

d)

donnent la possibilité de refuser de fournir des informations qui contraindraient la personne visée au paragraphe 1 à admettre sa propre participation ou celle de ses proches parents à une atteinte à un droit de propriété intellectuelle,

ou

e)

régissent la protection de la confidentialité des sources d’information ou le traitement des données à caractère personnel.»

6

La directive 95/46 dispose à son article 2, intitulé «Définitions»:

«Aux fins de la présente directive, on entend par:

a)

‘données à caractère personnel’: toute information concernant une personne physique identifiée ou identifiable (personne concernée); est réputée identifiable une personne qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un numéro d’identification ou à un ou plusieurs éléments spécifiques, propres à son identité physique, physiologique, psychique, économique, culturelle ou sociale;

b)

‘traitement de données à caractère personnel’ (traitement): toute opération ou ensemble d’opérations effectuées ou non à l’aide de procédés automatisés et appliquées à des données à caractère personnel, telles que la collecte, l’enregistrement, l’organisation, la conservation, l’adaptation ou la modification, l’extraction, la consultation, l’utilisation, la communication par transmission, diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l’interconnexion, ainsi que le verrouillage, l’effacement ou la destruction;

[...]»

Le droit allemand

7

La loi sur les marques (Markengesetz) du 25 octobre 1994 (BGBl. 1994 I, p. 3082), telle que modifiée par la loi du 19 octobre 2013 (BGBl. 2013 I, p. 3830, ci-après le «Markengesetz»), dispose à son article 19, intitulé «Droit d’information»:

«1.   Le titulaire d’une marque ou d’une désignation commerciale peut, dans les cas visés aux articles 14, 15 et 17, exiger du contrevenant qu’il fournisse immédiatement des informations sur l’origine et le réseau de distribution des marchandises ou services munis d’une indication illicite.

2.   En cas d’infraction manifeste ou dans les cas où le titulaire d’une marque ou d’une désignation commerciale a formé un recours contre le contrevenant, ce droit existe également, sans préjudice du paragraphe 1, à l’égard d’une personne qui, à l’échelle commerciale,

1)

était en possession de marchandises contrefaisantes,

2)

a eu recours à des services contrefaisants,

3)

a fourni des services utilisés dans des activités contrefaisantes ou

4)

a été signalée, par la personne visée au point 1, 2 ou 3, comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution des marchandises ou la fourniture des services,

à moins que cette personne ne soit autorisée, en vertu des articles 383 à 385 du code de procédure civile [(Zivilprozessordnung)], à refuser de témoigner dans le procès engagé contre le contrevenant. En cas de revendication du droit d’information en justice conformément à la première phrase, le Tribunal peut, sur demande, suspendre le litige en cours contre le contrevenant jusqu’à la résolution du litige relatif au droit d’information. La personne tenue de fournir des informations peut exiger de la personne lésée qu’elle la dédommage des frais occasionnés par la fourniture desdites informations.

[...]»

8

L’article 383 du code de procédure civile, dans sa version publiée le 5 décembre 2005 (BGBl. 2005 I, p. 3202), intitulé «Refus de témoigner pour raisons personnelles», dispose, à son paragraphe 1:

«Sont autorisées à refuser de témoigner:

[...]

6.

les personnes qui, de par leur fonction, leur état ou leur profession, se voient confier des faits qui, en raison de leur nature ou de dispositions légales, doivent être tenus confidentiels, et ce uniquement en ce qui concerne les faits auxquels s’applique l’obligation de réserve».

Le litige au principal et la question préjudicielle

9

Coty Germany fabrique et distribue des parfums et détient une licence exclusive sur la marque communautaire Davidoff Hot Water, enregistrée, sous le numéro 968661, pour des articles de parfumerie.

10

Au mois de janvier 2011, Coty Germany a acheté, par l’intermédiaire d’une plateforme de ventes aux enchères par Internet, une bouteille de parfum de la marque Davidoff Hot Water. Elle a versé la somme correspondant au prix de ce produit sur le compte bancaire ouvert auprès de la Stadtsparkasse qui lui avait été indiqué par le vendeur.

11

Après avoir constaté qu’elle avait acheté un produit contrefaisant, Coty Germany a demandé à cette plateforme de ventes aux enchères de lui communiquer le véritable nom du titulaire du compte de ladite plateforme à partir duquel ce parfum avait été vendu, la vente ayant été effectuée sous un pseudonyme. La personne désignée a admis être le titulaire de ce compte, mais a nié être le vendeur du produit concerné et, en se prévalant de son droit de ne pas s’exprimer, a refusé de fournir davantage d’informations.

12

Coty Germany s’est adressée à la Stadtsparkasse pour lui demander, sur le fondement de l’article 19, paragraphe 2, du Markengesetz, le nom et l’adresse du titulaire du compte bancaire sur lequel elle avait versé le montant correspondant au prix de la marchandise contrefaisante achetée. La Stadtsparkasse, en invoquant le secret bancaire, a refusé de lui fournir cette information.

13

Coty Germany a engagé une action devant le Landgericht Magdeburg (tribunal régional de Magdebourg), lequel a enjoint à la Stadtsparkasse de communiquer les informations demandées.

14

L’Oberlandesgericht Naumburg (tribunal régional supérieur de Naumbourg), juridiction d’appel saisie par la Stadtsparkasse, a infirmé le jugement rendu en première instance en estimant que la demande de communication des informations concernées n’était pas fondée, au regard de l’article 19, paragraphe 2, première phrase, point 3, du Markengesetz.

15

L’Oberlandesgericht Naumburg a, en effet, estimé que, si les services fournis par la Stadtsparkasse, en l’occurrence la tenue d’un compte courant, avaient été utilisés pour exercer l’activité contrefaisante, la Stadtsparkasse, en tant qu’établissement bancaire, était en droit, en vertu de l’article 19, paragraphe 2, première phrase, du Markengesetz, lu en combinaison avec l’article 383, paragraphe 1, du code de procédure civile, de refuser de témoigner dans le cadre d’une procédure civile.

16

Ladite juridiction a estimé que cette conclusion n’était pas infirmée par l’interprétation qu’il convient de faire de ces dispositions au regard de la directive 2004/48.

17

Coty Germany a introduit un recours en «Revision» devant le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) en maintenant ses conclusions. Éprouvant des doutes quant à l’interprétation qu’il convient de faire de la directive 2004/48, en particulier de l’article 8 de celle-ci, le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Convient-il d’interpréter l’article 8, paragraphe 3, sous e), de la directive 2004/48 en ce sens que cette disposition s’oppose à une réglementation nationale qui, dans un cas tel que celui en cause en l’espèce, autorise un établissement bancaire à exciper du secret bancaire pour refuser de fournir, dans le cadre de l’article 8, paragraphe 1, sous c), de ladite directive, des informations portant sur le nom et l’adresse du titulaire d’un compte?»

Sur la recevabilité

18

La Stadtsparkasse excipe de l’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle en faisant valoir que le litige dont est saisie la juridiction de renvoi est régi non pas par la directive 2004/48, mais uniquement par le droit national, dès lors que la demande d’information en cause au principal ne relève pas d’une procédure relative à une infraction à un droit de propriété intellectuelle, mais est relative à un cas de violation manifeste des droits attachés à une marque communautaire. Or, un tel cas ne relèverait pas de la directive 2004/48.

19

À cet égard, il convient de constater, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 20 de ses conclusions, qu’une demande d’informations présentée dans le cadre d’une procédure relative à une violation manifeste des droits attachés à une marque relève bien du champ d’application de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2004/48.

20

Cette conclusion est corroborée par le considérant 13 de la directive 2004/48, selon lequel il est nécessaire de définir le champ d’application de celle-ci de la manière la plus large possible afin d’y inclure l’ensemble des droits de propriété intellectuelle couverts pas les dispositions communautaires en la matière et/ou par la législation nationale de l’État membre concerné. Il y a donc lieu de considérer que cette directive est également applicable à une procédure relative à une violation des droits attachés à une marque communautaire.

21

Partant, la demande de décision préjudicielle doit être considérée comme recevable.

Sur la question préjudicielle

22

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, s’il convient d’interpréter l’article 8, paragraphe 3, sous e), de la directive 2004/48 en ce sens qu’il s’oppose à une disposition qui, dans une situation telle que celle en cause au principal, autorise un établissement bancaire à exciper du secret bancaire pour refuser de fournir, dans le cadre de l’article 8, paragraphe 1, sous c), de ladite directive, des informations portant sur le nom et l’adresse du titulaire d’un compte.

23

En premier lieu, il ressort du libellé de l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la directive 2004/48 que les États membres doivent veiller à ce que, dans le cadre d’une action relative à une atteinte à un droit de propriété intellectuelle et en réponse à une demande justifiée et proportionnée du requérant, les autorités judiciaires compétentes puissent ordonner que des informations sur l’origine et les réseaux de distribution des marchandises ou des services qui portent atteinte à un droit de propriété intellectuelle soient fournies par toute personne qui a été trouvée en train de fournir, à l’échelle commerciale, des services utilisés dans des activités contrefaisantes.

24

Il convient de lire cette disposition à la lumière du considérant 17 de celle-ci, selon lequel les mesures, les procédures et les réparations prévues par cette directive devraient être déterminées dans chaque cas de manière à tenir dûment compte des caractéristiques spécifiques de chaque droit de propriété intellectuelle et, lorsqu’il y a lieu, du caractère intentionnel ou non intentionnel de l’atteinte commise.

25

En second lieu, il découle de l’article 8, paragraphe 3, sous e), de la directive 2004/48 que l’article 8, paragraphe 1, de celle-ci s’applique sans préjudice d’autres dispositions législatives et réglementaires qui régissent la protection de la confidentialité des sources d’information ou le traitement des données à caractère personnel.

26

Il est constant qu’un établissement bancaire, tel que celui en cause au principal, est susceptible de relever de l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la directive 2004/48. Il est également constant que la communication, par un tel établissement bancaire, des nom et adresse de l’un de ses clients constitue un traitement des données à caractère personnel, tel que défini à l’article 2, sous a) et b), de la directive 95/46.

27

Une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, autorisant un établissement bancaire à ne pas communiquer les informations demandées dans le cadre d’une procédure civile, en invoquant le secret bancaire, est donc susceptible de relever du champ d’application de l’article 8, paragraphe 3, sous e), de la directive 2004/48.

28

L’article 8, paragraphe 1, sous c), de la directive 2004/48 et l’article 8, paragraphe 3, sous e), de celle-ci, lus conjointement, exigent le respect de différents droits. Il convient, en effet, que soient respectés, d’une part, le droit d’information et, d’autre part, le droit à la protection des données à caractère personnel.

29

Le droit d’information dont est censé bénéficier le requérant dans le cadre d’une action relative à une atteinte à son droit de propriété vise ainsi, dans le domaine concerné, à rendre applicable et à concrétiser le droit fondamental à un recours effectif garanti à l’article 47 de la Charte et à assurer de la sorte l’exercice effectif du droit fondamental de propriété, dont fait partie le droit de propriété intellectuelle protégé à l’article 17, paragraphe 2, de celle-ci. En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 31 de ses conclusions, le premier de ces droits fondamentaux constitue un instrument nécessaire aux fins de protéger le second.

30

Le droit à la protection des données à caractère personnel, dont bénéficient les personnes visées à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2004/48, fait partie du droit fondamental de toute personne de voir protégées les données à caractère personnel la concernant, ainsi que le garantissent l’article 8 de la Charte et la directive 95/46.

31

En ce qui concerne ces droits, il ressort du considérant 32 de la directive 2004/48 que celle-ci respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus par la Charte. En particulier, cette directive vise à assurer le plein respect de la propriété intellectuelle, conformément à l’article 17, paragraphe 2, de la Charte.

32

Dans le même temps, ainsi qu’il ressort de l’article 2, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/48 ainsi que des considérants 2 et 15 de cette dernière, la protection de la propriété intellectuelle ne devrait pas faire obstacle, notamment, à la protection des données personnelles, de sorte que la directive 2004/48 ne saurait, en particulier, affecter la directive 95/46.

33

Ainsi, la présente demande de décision préjudicielle induit la question de la conciliation nécessaire des exigences liées à la protection de différents droits fondamentaux, à savoir, d’une part, le droit à un recours effectif et le droit de propriété intellectuelle ainsi que, d’autre part, le droit à la protection des données personnelles (voir, en ce sens, arrêt Promusicae, C‑275/06, EU:C:2008:54, point 65).

34

À cet égard, il y a lieu de rappeler, en premier lieu, que, selon la jurisprudence de la Cour, le droit de l’Union exige des États membres que, lors de la transposition des directives, ils veillent à se fonder sur une interprétation de celles-ci qui permette d’assurer un juste équilibre entre les différents droits fondamentaux protégés par l’ordre juridique de l’Union. Par la suite, lors de la mise en œuvre des mesures de transposition desdites directives, il incombe aux autorités et aux juridictions des États membres non seulement d’interpréter leur droit national d’une manière conforme à ces mêmes directives, mais également de ne pas se fonder sur une interprétation de celles-ci qui entrerait en conflit avec lesdits droits fondamentaux ou avec les autres principes généraux du droit de l’Union (voir arrêt Promusicae, C‑275/06, EU:C:2008:54, point 70).

35

En second lieu, il convient de relever que l’article 52, paragraphe 1, de la Charte précise, notamment, que toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus doit respecter le contenu essentiel de ces droits et libertés, et qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une mesure qui entraîne une atteinte caractérisée à un droit protégé par la Charte doit être considérée comme ne respectant pas l’exigence que soit assuré un tel juste équilibre entre les droits fondamentaux qui doivent être conciliés (voir, en ce qui concerne une injonction, arrêts Scarlet Extended, C‑70/10, EU:C:2011:771, points 48 et 49, ainsi que Sabam, C‑360/10, EU:C:2012:85, points 46 et 47).

36

En l’occurrence, la disposition nationale en cause au principal autorise un établissement bancaire à exciper du secret bancaire pour refuser de fournir, dans le cadre de l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la directive 2004/48, des informations portant sur le nom et l’adresse du titulaire d’un compte, étant entendu que, si l’article 8, paragraphe 1, de cette directive ne reconnaît certes pas un droit d’information autonome, que les particuliers pourraient directement exercer auprès du contrevenant ou des personnes visées à l’article 8, paragraphe 1, sous a) à d), de ladite directive, il impose néanmoins aux États membres l’obligation de garantir que cette information puisse être obtenue par la voie d’une instruction judiciaire.

37

Il apparaît que la disposition du droit national en cause au principal, prise isolément, permet un tel refus de manière illimitée, dès lors que son libellé ne contient ni condition ni précision, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.

38

Ainsi, une telle disposition du droit national, prise isolément, est susceptible de faire échec au droit à l’information reconnu à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2004/48 et, est dès lors, ainsi qu’il découle du point 29 du présent arrêt, de nature à ne pas respecter le droit fondamental à un recours effectif et le droit fondamental de propriété intellectuelle.

39

À cet égard, cette autorisation illimitée et inconditionnelle d’exciper du secret bancaire est de nature à faire échec à ce que les procédures prévues par la directive 2004/48 et les mesures prises par les autorités nationales compétentes, notamment lorsque ces dernières souhaitent ordonner la communication d’informations nécessaires en vertu de l’article 8, paragraphe 1, de cette directive, puissent tenir dûment compte des caractéristiques spécifiques de chaque droit de propriété intellectuelle et, lorsqu’il y a lieu, du caractère intentionnel ou non intentionnel de l’atteinte portée.

40

Il s’ensuit qu’une telle autorisation est susceptible de porter une atteinte caractérisée, dans le cadre de l’article 8 de la directive 2004/48, à l’exercice effectif du droit fondamental de propriété intellectuelle, et ce au profit du droit des personnes visées à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2004/48 à la protection des données à caractère personnel les concernant, par l’obligation, pour un établissement bancaire, de respecter le secret bancaire.

41

Il découle de ce qui précède qu’une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, prise isolément, est de nature à entraîner une atteinte caractérisée au droit fondamental à un recours effectif et, en définitive, au droit fondamental de propriété intellectuelle, dont bénéficient les titulaires de ces droits, et qu’elle ne respecte pas, dès lors, l’exigence consistant à assurer un juste équilibre entre les différents droits fondamentaux mis en balance à l’article 8 de la directive 2004/48.

42

Il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier l’existence, le cas échéant, dans le droit interne concerné, d’autres moyens ou d’autres voies de recours qui permettraient aux autorités judiciaires compétentes d’ordonner que les informations nécessaires portant sur l’identité de personnes qui relèvent de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2004/48 soient fournies, en fonction des caractéristiques spécifiques de chaque cas, conformément au considérant 17 de cette dernière.

43

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il convient de répondre à la question posée que l’article 8, paragraphe 3, sous e), de la directive 2004/48 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, qui autorise, de manière illimitée et inconditionnelle, un établissement bancaire à exciper du secret bancaire pour refuser de fournir, dans le cadre de l’article 8, paragraphe 1, sous c), de cette directive, des informations portant sur le nom et l’adresse du titulaire d’un compte.

Sur les dépens

44

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

 

L’article 8, paragraphe 3, sous e), de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, qui autorise, de manière illimitée et inconditionnelle, un établissement bancaire à exciper du secret bancaire pour refuser de fournir, dans le cadre de l’article 8, paragraphe 1, sous c), de cette directive, des informations portant sur le nom et l’adresse du titulaire d’un compte.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’allemand.