ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

21 mai 2015 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Espace de liberté, de sécurité et de justice — Compétence judiciaire en matière civile et commerciale — Règlement (CE) no 44/2001 — Compétences spéciales — Article 6, paragraphe 1 — Recours dirigé contre plusieurs défendeurs domiciliés dans différents États membres et ayant participé à une entente déclarée contraire à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, aux fins d’obtenir leur condamnation solidaire au paiement de dommages et intérêts et la production de renseignements — Compétence de la juridiction saisie à l’égard des codéfendeurs — Désistement à l’égard du défendeur domicilié dans l’État membre de la juridiction saisie — Compétence en matière délictuelle ou quasi délictuelle — Article 5, paragraphe 3 — Clauses attributives de juridiction — Article 23 — Mise en œuvre efficace de l’interdiction des ententes»

Dans l’affaire C‑352/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Landgericht Dortmund (Allemagne), par décision du 29 avril 2013, parvenue à la Cour le 26 juin 2013, dans la procédure

Cartel Damage Claims (CDC) Hydrogen Peroxide SA

contre

Akzo Nobel NV,

Solvay SA/NV,

Kemira Oyj,

FMC Foret SA,

en présence de:

Evonik Degussa GmbH,

Chemoxal SA,

Edison SpA,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, Mme K. Jürimäe, MM. J. Malenovský, M. Safjan (rapporteur) et Mme A. Prechal, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

pour Cartel Damage Claims (CDC) Hydrogen Peroxide SA, par Me T. Funke, Rechtsanwalt,

pour Akzo Nobel NV, par Mes M. Blaum et T. Paul, Rechtsanwälte,

pour Solvay SA/NV, par Mes M. Klusmann et T. Kreifels, Rechtsanwälte,

pour Kemira Oyj, par Mes U. Börger et R. Lahme, Rechtsanwälte,

pour FMC Foret SA, par M. B. Uphoff, solicitor, et Me S. Woitz, Rechtsanwalt,

pour Evonik Degussa GmbH, par Mes C. Steinle et S. Wilske, Rechtsanwälte,

pour Edison SpA, par Mes A. Rinne et T. Mühlbach, Rechtsanwälte,

pour le gouvernement français, par M. D. Colas et Mme J. Bousin, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mme A.-M. Rouchaud-Joët, MM. M. Wilderspin et G. Meessen, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 décembre 2014,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 5, point 3, 6, point 1, et 23 du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Cartel Damage Claims (CDC) Hydrogen Peroxide SA (ci-après «CDC»), établie à Bruxelles (Belgique), à Akzo Nobel NV, à Solvay SA/NV, à Kemira Oyj et à FMC Foret SA, établies dans des États membres autres que la République fédérale d’Allemagne, au sujet de son action en dommages et intérêts engagée, au titre des créances indemnitaires qui lui ont été cédées directement ou indirectement par 71 entreprises ayant prétendument subi des dommages en raison d’une infraction à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’«accord EEE»).

Le cadre juridique

3

Les considérants 2, 11, 12, 14 et 15 du règlement no 44/2001 énoncent:

«(2)

Certaines différences entre les règles nationales en matière de compétence judiciaire et de reconnaissance des décisions rendent plus difficile le bon fonctionnement du marché intérieur. Des dispositions permettant d’unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale ainsi que de simplifier les formalités en vue de la reconnaissance et de l’exécution rapides et simples des décisions émanant des États membres liés par le présent règlement sont indispensables.

[...]

(11)

Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de juridictions.

(12)

Le for du domicile du défendeur doit être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice.

[...]

(14)

L’autonomie des parties à un contrat autre qu’un contrat d’assurance, de consommation et de travail pour lequel n’est prévue qu’une autonomie limitée quant à la détermination de la juridiction compétente doit être respectée sous réserve des fors de compétence exclusifs prévus dans le présent règlement.

(15)

Le fonctionnement harmonieux de la justice commande de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans deux États membres. [...]»

4

Les articles 2 à 31 dudit règlement, qui figurent sous le chapitre II de celui-ci, traitent des règles de compétence.

5

La section 1 de ce chapitre, intitulée «Dispositions générales», comprend un article 2, paragraphe 1, qui est libellé comme suit:

«Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.»

6

Aux termes de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre «en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire».

7

L’article 6, point 1, dudit règlement prévoit:

«Cette même personne peut aussi être attraite:

1)

s’il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément».

8

L’article 23 du règlement no 44/2001, qui figure dans la section 7 du chapitre II de celui-ci, intitulée «Prorogation de compétence», dispose à son paragraphe 1:

«Si les parties, dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d’un État membre, sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État membre sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. Cette convention attributive de juridiction est conclue:

a)

par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, ou

b)

sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, ou

c)

dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

9

CDC, une société de droit belge établie à Bruxelles, a pour objet le recouvrement, par la voie judiciaire et extrajudiciaire, de créances indemnitaires d’entreprises affectées par une entente. Par acte introductif d’instance du 16 mars 2009, elle a engagé une action en réparation devant la juridiction de renvoi à l’encontre de six entreprises de produits chimiques qui, à l’exception de la partie intervenante et auparavant défenderesse, Evonik Degussa GmbH (ci-après «Evonik Degussa»), dont le siège se situe à Essen (Allemagne), sont établies dans cinq États membres autres que la République fédérale d’Allemagne.

10

Au soutien de son action, dans le cadre de laquelle CDC poursuit la condamnation solidaire des défenderesses au principal au versement de dommages et intérêts et à la production de renseignements, cette société invoque la décision 2006/903/CE de la Commission, du 3 mai 2006, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] et de l’article 53 de l’accord EEE à l’encontre d’Akzo Nobel NV, Akzo Nobel Chemicals Holding AB, EKA Chemicals AB, Degussa AG, Edison SpA, FMC Corporation, FMC Foret SA, Kemira OYJ, L’Air Liquide SA, Chemoxal SA, Snia SpA, Caffaro Srl, Solvay SA/NV, Solvay Solexis SpA, Total SA, Elf Aquitaine SA et Arkema SA (Affaire COMP/F/C.38.620 – Peroxyde d’hydrogène et perborate) (JO L 353, p. 54), dans laquelle la Commission européenne a constaté que, s’agissant du peroxyde d’hydrogène et du perborate de sodium, les défenderesses au principal et d’autres entreprises ont pris part à une infraction unique et continue et violé ainsi l’interdiction des ententes visée à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord EEE. Cette décision indiquait que l’infraction avait débuté, au plus tard, le 31 janvier 1994 pour s’achever, au plus tôt, le 31 décembre 2000. Toujours selon ladite décision, l’infraction a consisté principalement en l’échange d’informations importantes et confidentielles sur les marchés et/ou les entreprises, en une limitation et/ou en un contrôle de la production, en une répartition des parts de marché et des clients et en une fixation et une surveillance des prix dans le cadre de réunions et d’entretiens téléphoniques multilatéraux et/ou bilatéraux qui avaient eu lieu de façon plus ou moins régulière en Belgique, en Allemagne et en France essentiellement.

11

À cet égard, CDC se prévaut d’accords relatifs à la cession de créances indemnitaires, conclus avec 32 entreprises établies dans treize États membres de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen (EEE) différents, certaines de ces entreprises ayant préalablement conclu de tels accords de cession avec 39 autres entreprises. Les entreprises concernées sont actives dans le secteur du traitement de la cellulose et du papier. D’après les indications de CDC, ces entreprises ont acheté entre l’année 1994 et l’année 2006 des quantités considérables de peroxyde d’hydrogène dans différents États membres de l’Union ou de l’EEE, étant entendu que, s’agissant de plusieurs entreprises, le peroxyde d’hydrogène a été livré dans des usines situées dans plusieurs États membres. Selon les défenderesses au principal, certains des contrats de vente concernés contenaient des clauses compromissoires et des clauses attributives de juridiction.

12

Au mois de septembre 2009, CDC a abandonné l’action à l’encontre d’Evonik Degussa à la suite de la conclusion d’une transaction avec cette société. À la fin de l’année 2009, les défenderesses au principal encore parties au procès ont appelé à la cause cette dernière société ainsi que Chemoxal SA et Edison SpA. Les défenderesses au principal ont, par ailleurs, soulevé l’exception d’incompétence de la juridiction de renvoi, excipant notamment de différentes clauses attributives de juridiction et compromissoires stipulées dans certains des contrats de vente les liant aux entreprises prétendument victimes.

13

Dans ce cadre, la juridiction de renvoi considère qu’elle ne pourrait être internationalement compétente qu’en vertu des dispositions des articles 5, point 3, et 6, point 1, du règlement no 44/2001. Si les conditions d’une telle compétence étaient remplies, CDC serait libre d’attraire les défenderesses au principal devant l’une des juridictions compétentes en vertu desdites dispositions, à moins que la compétence de ces juridictions ne soit valablement exclue par l’effet de l’article 23 de ce règlement ou d’une clause compromissoire.

14

C’est dans ces conditions que le Landgericht Dortmund a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Convient-il d’interpréter l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001 en ce sens que, lorsqu’un défendeur établi dans l’État du for et des défendeurs établis dans d’autres États membres se voient réclamer à titre solidaire, dans le cadre d’une action en justice, des renseignements et des dommages et intérêts au sujet d’une infraction unique et continue à laquelle ils ont participé dans plusieurs États membres à des endroits et à des époques différents (cette infraction à l’article 81 CE/101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE ayant été constatée par la Commission), il y a intérêt à instruire et à juger les demandes en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément?

Dans un tel contexte, convient-il de prendre en compte que l’action engagée contre le défendeur établi dans l’État du for a fait l’objet d’un désistement après la notification de l’action à l’ensemble des défendeurs et avant l’expiration du délai fixé par le juge pour le mémoire en défense et le début de la première audience?

2)

Convient-il d’interpréter l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 en ce sens que, lorsque des défendeurs établis dans différents États membres se voient réclamer en justice des renseignements et des dommages et intérêts au sujet d’une infraction unique et continue à laquelle ils ont participé dans plusieurs États membres à des endroits et des époques différents (cette infraction à l’article 81 CE/101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE ayant été constatée par la Commission), le fait dommageable s’est produit, à l’égard de chaque défendeur et pour l’ensemble des dommages invoqués ou le dommage total, dans les États membres dans lesquels des arrangements collusoires ont été pris et mis en œuvre?

3)

Dans le cas où des dommages et intérêts sont réclamés en justice au sujet d’une infraction à l’article 81 CE/101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE (interdiction des ententes), le principe de mise en œuvre efficace de l’interdiction des ententes en droit de l’Union permet-il de prendre en compte les clauses compromissoires et les clauses attributives de juridiction contenues dans des contrats de livraison lorsque, pour l’ensemble des défendeurs et/ou pour tout ou partie des droits invoqués, une telle prise en compte a pour effet de déroger aux règles de compétence internationale prévues aux articles 5, point 3, et/ou 6, point 1, du règlement no 44/2001?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

15

Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens que la règle de concentration des compétences en cas de pluralité de défendeurs que cette disposition établit peut s’appliquer à l’égard d’une action visant à la condamnation à titre solidaire à des dommages et intérêts et, dans le cadre de celle-ci, à la production de renseignements, d’entreprises qui ont participé de façon différente, sur les plans géographique et temporel, à une infraction unique et continue à l’interdiction des ententes prévue par le droit de l’Union constatée par une décision de la Commission, et cela même lorsque le demandeur s’est désisté de son action à l’égard du seul des codéfendeurs qui est domicilié dans l’État membre du siège de la juridiction saisie.

16

Afin de répondre à cette question, il convient de rappeler d’emblée que l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001 doit être interprété de façon autonome, en se référant au système et aux objectifs de celui-ci (voir arrêt Reisch Montage, C‑103/05, EU:C:2006:471, point 29).

17

La règle de compétence visée audit article 6, point 1, prévoit qu’un défendeur peut être attrait, s’il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l’un d’entre eux à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément (arrêts Painer, C‑145/10, EU:C:2011:798, point 73, ainsi que Sapir e.a., C‑645/11, EU:C:2013:228, point 40).

18

Cette règle spéciale, en ce qu’elle déroge à la compétence de principe du for du domicile du défendeur énoncée à l’article 2 du règlement no 44/2001, est d’interprétation stricte, ne permettant pas une interprétation allant au-delà des hypothèses envisagées de manière explicite par ledit règlement (voir arrêt Painer, C‑145/10, EU:C:2011:798, point 74).

19

Conformément aux considérants 12 et 15 du règlement no 44/2001, cette règle de compétence répond au souci de faciliter une bonne administration de la justice, de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter ainsi des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément (arrêt Painer, C‑145/10, EU:C:2011:798, point 77).

20

Ainsi, pour l’application de l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001, il y a lieu de vérifier s’il existe entre les différentes demandes, introduites par le même requérant contre différents défendeurs, un lien de connexité tel qu’il y a intérêt à les juger ensemble afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément (voir arrêts Freeport, C‑98/06, EU:C:2007:595, point 39, ainsi que Sapir e.a., C‑645/11, EU:C:2013:228, point 42). À cet égard, pour que des décisions puissent être considérées comme inconciliables, il ne suffit pas qu’il existe une divergence dans la solution du litige, mais il faut encore que cette divergence s’inscrive dans le cadre d’une même situation de fait et de droit (voir arrêts Freeport, C‑98/06, EU:C:2007:595, point 40; Painer, C‑145/10, EU:C:2011:798, point 79, ainsi que Sapir e.a., C‑645/11, EU:C:2013:228, point 43).

21

En ce qui concerne la condition d’existence d’une même situation de fait et de droit, il convient de la considérer comme remplie dans des circonstances telles que celles en cause au principal. Malgré le fait que c’est de façon disparate, tant du point de vue géographique que temporel, que les défenderesses au principal ont participé à la mise en œuvre de l’entente concernée en concluant et en exécutant des contrats conformément à celle-ci, cette entente constituait, aux termes de la décision 2006/903 sur laquelle les demandes au principal s’appuient, une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE. Toutefois, cette décision ne fixe pas les conditions de leur éventuelle responsabilité civile, le cas échéant solidaire, celle-ci étant déterminée par le droit national de chaque État membre.

22

S’agissant, enfin, du risque de solutions inconciliables, dès lors que les différents droits nationaux sont susceptibles de diverger quant aux conditions de la responsabilité civile des participants à l’entente illicite, il découle de cette circonstance un risque de décisions inconciliables au cas où des actions seraient engagées par une prétendue victime de l’entente devant les juridictions de différents États membres.

23

Néanmoins, il convient de rappeler que, même dans l’hypothèse où différentes lois seraient applicables aux actions en dommages et intérêts introduites par CDC contre les défenderesses au principal en vertu des règles de droit international privé de la juridiction saisie, une telle différence de fondements juridiques ne fait pas, en soi, obstacle à l’application de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, pour autant qu’il était prévisible pour les défendeurs qu’ils risquaient d’être attraits dans l’État membre où au moins l’un d’eux a son domicile (voir arrêt Painer, C‑145/10, EU:C:2011:798, point 84).

24

Or, cette dernière condition est remplie en présence d’une décision contraignante de la Commission constatant une infraction unique au droit de l’Union et fondant de ce fait la responsabilité de chaque participant pour les dommages résultant des actes délictuels de tout participant à cette infraction. En effet, dans ces circonstances, lesdits participants devaient s’attendre à être poursuivis devant les juridictions d’un État membre, dans lequel l’un d’entre eux est domicilié.

25

Il y a donc lieu de considérer que le fait de juger séparément des actions en dommages et intérêts à l’encontre de plusieurs sociétés établies dans des États membres différents ayant participé à une entente unique et continue, en infraction au droit de la concurrence de l’Union, est susceptible de conduire à des solutions inconciliables au sens de l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001.

26

Cela étant précisé, il convient d’examiner encore dans quelle mesure le désistement de la requérante au principal de son action à l’égard de la seule défenderesse qui est domiciliée dans l’État membre du siège de la juridiction saisie est susceptible d’exclure l’applicabilité de la règle de compétence prévue à l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001.

27

Selon une jurisprudence constante, cette règle ne saurait être appliquée de sorte qu’elle puisse permettre à un requérant de former une demande dirigée contre plusieurs défendeurs à la seule fin de soustraire l’un de ceux-ci aux tribunaux de l’État membre où il est domicilié (arrêts Reisch Montage, C‑103/05, EU:C:2006:471, point 32, et Painer, C‑145/10, EU:C:2011:798, point 78).

28

La Cour a néanmoins précisé que, lorsque les demandes formées contre les différents défendeurs sont connexes, au sens de l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001, lors de leur introduction, la règle de compétence énoncée à cette disposition est applicable sans qu’il soit en outre nécessaire d’établir de manière distincte que les demandes n’ont pas été formées à la seule fin de soustraire l’un des défendeurs aux tribunaux de l’État membre où il est domicilié (voir arrêt Freeport, C‑98/06, EU:C:2007:595, point 54).

29

Il s’ensuit que, en présence de demandes qui, lors de leur introduction, sont connexes au sens de l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001, le tribunal saisi ne saurait constater un éventuel détournement de la règle de compétence figurant à cette disposition qu’en présence d’indices probants lui permettant de conclure que le demandeur a créé ou maintenu de manière artificielle les conditions d’application de ladite disposition.

30

Dans l’affaire au principal, il est allégué par certaines parties que, avant l’introduction de l’action au principal, une transaction amiable aurait été conclue entre la requérante au principal et Evonik Degussa, dont le siège est situé en Allemagne, et que ces parties auraient volontairement différé la conclusion formelle de cette transaction amiable après l’introduction de cette action, à la seule fin d’établir la compétence de la juridiction saisie à l’égard des autres défenderesses au principal.

31

Afin de pouvoir exclure l’applicabilité de la règle de compétence figurant à l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001, une telle allégation doit néanmoins être assortie d’indices probants établissant l’existence d’une collusion des parties concernées en vue de créer ou de maintenir, de manière artificielle, les conditions d’application de cette disposition au moment de l’introduction de la demande.

32

S’il incombe à la juridiction saisie d’apprécier lesdits indices, il convient de préciser que le seul fait d’avoir mené des pourparlers en vue d’une éventuelle transaction amiable n’est pas de nature à établir une telle collusion. En revanche, il en serait ainsi s’il s’avérait qu’une telle transaction a effectivement été conclue, mais qu’elle a été dissimulée aux fins de créer l’apparence de ce que les conditions d’application de l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001 étaient réunies.

33

Au vu de ce qui précède, il convient de répondre à la première question que l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens que la règle de concentration des compétences en cas de pluralité de défendeurs que cette disposition établit peut s’appliquer à l’égard d’une action visant à la condamnation à titre solidaire à des dommages et intérêts et, dans le cadre de celle-ci, à la production de renseignements, d’entreprises qui ont participé de façon différente, sur les plans géographique et temporel, à une infraction unique et continue à l’interdiction des ententes prévue par le droit de l’Union constatée par une décision de la Commission, et cela même lorsque le demandeur s’est désisté de son action à l’égard du seul des codéfendeurs qui est domicilié dans l’État membre du siège de la juridiction saisie, à moins que ne soit établie l’existence d’une collusion entre le demandeur et ledit codéfendeur en vue de créer ou de maintenir, de manière artificielle, les conditions d’application de ladite disposition à la date de l’introduction de cette action.

Sur la deuxième question

34

Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens que, lorsque des défendeurs établis dans différents États membres se voient réclamer en justice des dommages et intérêts en raison d’une infraction unique et continue à laquelle ils ont participé dans plusieurs États membres à des dates et à des endroits différents, cette infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE ayant été constatée par la Commission, le fait dommageable est réputé s’être produit, à l’égard de chaque défendeur et pour l’ensemble des dommages invoqués, dans les États membres dans lesquels des arrangements collusoires ont été pris et mis en œuvre.

35

Les circonstances de l’affaire au principal étant caractérisées par le regroupement, dans le chef de la requérante au principal, d’une pluralité d’éventuelles créances indemnitaires cédées à cette dernière par plusieurs entreprises prétendument victimes du cartel du peroxyde d’hydrogène, il convient de rappeler, d’emblée, qu’une cession de créances, opérée par le créancier initial, ne saurait, en elle-même, avoir d’incidence sur la détermination de la juridiction compétente aux termes de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 (arrêt ÖFAB, C‑147/12, EU:C:2013:490, point 58).

36

Il s’ensuit que la localisation du fait dommageable doit être examinée pour chaque créance indemnitaire indépendamment d’une cession ou d’un regroupement dont elle a fait l’objet.

37

À cet égard, il convient de rappeler que l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 doit être interprété de manière autonome et stricte (arrêt Kolassa, C‑375/13, EU:C:2015:37, point 43).

38

Il n’en demeure pas moins que l’expression «lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire», figurant à l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, vise à la fois le lieu de la matérialisation du dommage et le lieu de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage, de telle sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l’un ou de l’autre de ces deux lieux (arrêts Melzer, C‑228/11, EU:C:2013:305, point 25, et Kolassa, C‑375/13, EU:C:2015:37 point 45).

39

Aux termes d’une jurisprudence constante, la règle de compétence prévue à l’article 5, point 3, dudit règlement est fondée sur l’existence d’un lien de rattachement particulièrement étroit entre la contestation et les juridictions du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire, qui justifie une attribution de compétence à ces dernières pour des raisons de bonne administration de la justice et d’organisation utile du procès (arrêts Melzer, C‑228/11, EU:C:2013:305, point 26, et Hi Hotel HCF, C‑387/12, EU:C:2014:215, point 28).

40

En effet, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, le juge du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire est normalement le plus apte à statuer, notamment pour des motifs de proximité du litige et de facilité d’administration des preuves (arrêt Melzer, C‑228/11, EU:C:2013:305, point 27).

41

L’identification de l’un des points de rattachement reconnus par la jurisprudence rappelée au point 38 du présent arrêt doit donc permettre d’établir la compétence de la juridiction objectivement la mieux placée pour apprécier si les éléments constitutifs de la responsabilité de la personne attraite sont réunis, si bien que ne peut être valablement saisie que la juridiction dans le ressort de laquelle se situe le point de rattachement pertinent (arrêts Coty Germany, C‑360/12, EU:C:2014:1318, point 48, et Kolassa, C‑375/13, EU:C:2015:37, point 47).

42

Il convient d’examiner où, dans les circonstances de l’affaire au principal, les points de rattachement susceptibles d’établir la compétence judiciaire en matière délictuelle ou quasi délictuelle se situent.

Le lieu de l’événement causal

43

S’agissant du lieu de l’événement causal, il convient de relever d’emblée que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, les acheteurs se sont certes approvisionnés dans le cadre de relations contractuelles avec différents participants à l’entente concernée. Toutefois, le fait générateur du dommage allégué réside non pas dans une éventuelle violation des obligations contractuelles, mais dans la limitation de la liberté contractuelle du fait de cette entente, cette limitation emportant l’impossibilité pour l’acheteur de s’approvisionner à un prix déterminé selon les lois du marché.

44

Dans ces circonstances, le lieu de l’événement causal d’un dommage consistant en des surcoûts qu’un acheteur a dû payer en raison du fait qu’une entente a faussé les prix sur le marché peut être identifié, dans l’abstrait, comme celui de la conclusion de cette entente. En effet, une fois celle-ci conclue, les participants assurent par leurs actions ou leurs abstentions que le jeu de la concurrence est bloqué et que les prix sont faussés. Dans l’hypothèse où ce lieu serait connu, l’attribution de la compétence aux juridictions dudit lieu répondrait aux objectifs rappelés au point 39 du présent arrêt.

45

Cette considération n’est cependant pas pertinente dans des circonstances telles que celles en cause au principal, où, selon les constatations de la Commission, exposées dans la décision de renvoi, il ne serait pas possible d’identifier un lieu unique où l’entente en cause aurait été conclue, cette entente ayant été constituée d’un nombre d’arrangements collusoires pris lors de différentes réunions et consultations qui se sont déroulées en divers lieux dans l’Union.

46

Ce qui précède est sans préjudice de l’hypothèse où la prise d’un arrangement particulier parmi ceux qui ont, dans leur ensemble, constitué l’entente illicite concernée serait à elle seule l’événement causal du dommage prétendument causé à un acheteur, auquel cas la juridiction dans le ressort de laquelle l’arrangement en cause a été pris serait alors compétente pour connaître du dommage ainsi causé audit acheteur.

47

Dans cette dernière hypothèse ainsi que dans celle où la juridiction de renvoi devrait conclure que l’entente en cause au principal a tout de même été définitivement conclue dans son ressort, il convient encore d’aborder le point de savoir si plusieurs participants à cette entente peuvent être attraits devant une même juridiction.

48

Dans un autre contexte, la Cour a certes jugé que l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 ne permet pas d’établir, au titre du lieu du fait générateur imputé à l’un des auteurs supposés d’un dommage, qui n’est pas partie au litige, une compétence juridictionnelle pour connaître d’une action dirigée contre un autre auteur supposé dudit dommage qui n’a pas agi dans le ressort de la juridiction saisie (arrêt Melzer, C‑228/11, EU:C:2013:305, point 41).

49

En revanche, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, rien ne s’opposerait à ce que plusieurs coauteurs soient attraits ensemble devant une même juridiction.

50

Il s’ensuit que l’attribution, en vertu de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, de la compétence pour connaître, au titre de l’événement causal et à l’égard de tous les auteurs d’une entente illicite, d’un dommage prétendument causé par celle-ci dépend de l’identification, dans le ressort de la juridiction saisie, d’un événement concret lors duquel soit cette entente a été définitivement conclue, soit un arrangement étant à lui seul l’événement causal du dommage prétendument causé à un acheteur a été pris.

Le lieu de la matérialisation du dommage

51

Ainsi qu’il a été rappelé au point 41 du présent arrêt, l’identification du lieu de la matérialisation du dommage doit permettre d’établir la compétence de la juridiction objectivement la mieux placée pour apprécier si les éléments constitutifs de la responsabilité de la personne attraite sont réunis.

52

Il ressort de la jurisprudence de la Cour que le lieu de la matérialisation du dommage est celui où le dommage allégué se manifeste concrètement (voir arrêt Zuid-Chemie, C‑189/08, EU:C:2009:475, point 27). S’agissant d’un dommage consistant en des surcoûts payés en raison d’un prix artificiellement élevé, tel que celui du peroxyde d’hydrogène ayant fait l’objet de l’entente en cause au principal, ce lieu n’est identifiable que pour chaque prétendue victime prise individuellement et se trouvera, en principe, au siège social de celle-ci.

53

Ledit lieu présente toutes les garanties en vue de l’organisation utile d’un éventuel procès, étant donné que l’examen d’une demande de réparation d’un dommage prétendument causé à une entreprise déterminée par une entente illicite qui a déjà été constatée, de manière contraignante, par la Commission dépend pour l’essentiel d’éléments propres à la situation de cette entreprise. Dans ces circonstances, la juridiction du lieu où celle-ci a son siège social est à l’évidence la mieux à même pour connaître d’une telle demande.

54

La juridiction ainsi identifiée est compétente pour connaître, au titre de l’ensemble du dommage causé à ladite entreprise du fait des surcoûts qu’elle a payés pour s’approvisionner en produits faisant l’objet de l’entente concernée, d’une action introduite à l’encontre soit d’un quelconque auteur de cette entente, soit d’une pluralité de ceux-ci.

55

En revanche, la compétence de la juridiction saisie au titre de la matérialisation du dommage se limitant au préjudice subi par l’entreprise dont le siège se situe dans son ressort, un demandeur tel que CDC, rassemblant en son chef les créances indemnitaires de plusieurs entreprises, serait partant tenu, conformément à la jurisprudence rappelée au point 35 du présent arrêt, d’introduire des demandes distinctes pour le préjudice subi par chacune de ces entreprises devant les juridictions dans le ressort desquelles se situent leurs sièges respectifs.

56

Au vu de ce qui précède, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens que, lorsque des défendeurs établis dans différents États membres se voient réclamer en justice des dommages et intérêts en raison d’une infraction unique et continue à laquelle ils ont participé dans plusieurs États membres à des dates et à des endroits différents, cette infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE ayant été constatée par la Commission, le fait dommageable s’est produit à l’égard de chaque prétendue victime prise individuellement, chacune d’entre elles pouvant, en vertu dudit article 5, point 3, choisir d’introduire son action soit devant la juridiction du lieu où l’entente concernée a été définitivement conclue ou, le cas échéant, du lieu où un arrangement spécifique et identifiable comme étant à lui seul l’événement causal du dommage allégué a été pris, soit devant la juridiction du lieu de son propre siège social.

Sur la troisième question

57

Par sa troisième question, la juridiction de renvoi souhaite savoir, en substance, si l’article 23, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 et le principe de mise en œuvre efficace de l’interdiction des ententes en droit de l’Union doivent être interprétés en ce sens qu’il permettent, dans le cas où des dommages et intérêts sont réclamés en justice en raison d’une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE, de prendre en compte les clauses attributives de juridiction contenues dans des contrats de livraison lorsqu’une telle prise en compte a pour effet de déroger aux règles de compétence internationale prévues aux articles 5, point 3, et/ou 6, point 1, dudit règlement.

58

Avant d’aborder cette question, il convient de préciser que, s’agissant de certaines clauses dérogatoires qui seraient également contenues dans lesdits contrats, mais qui ne relèveraient pas du champ d’application du règlement no 44/2001, la Cour ne dispose pas de suffisamment d’informations aux fins de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi.

59

S’agissant des clauses visées par la troisième question et relevant bien du champ d’application dudit règlement, il convient de rappeler que, dans le cadre de la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Bruxelles le 27 septembre 1968 (JO 1972, L 299, p. 32), la Cour a précisé que, en concluant un accord d’élection de for conformément à l’article 17 de cette convention, les parties ont la faculté de déroger non seulement à la compétence générale prévue à l’article 2 de celle-ci, mais aussi aux compétences spéciales prévues aux articles 5 et 6 de la même convention (voir arrêt Estasis Saloti di Colzani, 24/76, EU:C:1976:177, point 7).

60

Or, l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de ladite convention valant également pour celles du règlement no 44/2001, lorsque les dispositions de ces instruments peuvent être qualifiées d’équivalentes, il convient de relever que tel est le cas en ce qui concerne l’article 17, premier alinéa, de la même convention et l’article 23, paragraphe 1, de ce règlement, qui sont rédigés en des termes quasi identiques (arrêt Refcomp, C–543/10, EU:C:2013:62, points 19 et 20).

61

Il y a donc lieu de considérer que la juridiction saisie peut en principe se voir lier par une clause attributive de juridiction dérogeant aux compétences prévues aux articles 5 et 6 du règlement no 44/2001 que les parties ont conclue conformément à l’article 23, paragraphe 1, de celui-ci.

62

Cette conclusion ne saurait être remise en cause au regard de l’exigence de mise en œuvre efficace de l’interdiction des ententes. En effet, d’une part, la Cour a déjà jugé que les règles de droit matériel applicables au fond d’un litige ne sauraient avoir d’influence sur la validité d’une clause attributive de juridiction conforme à l’article 17 de la convention mentionnée au point 59 du présent arrêt (voir, en ce sens, arrêt Castelletti, C‑159/97, EU:C:1999:142, point 51). Conformément à la jurisprudence rappelée au point 60 du présent arrêt, cette interprétation est également pertinente pour l’article 23 du règlement no 44/2001.

63

D’autre part, il y a lieu de considérer que la juridiction saisie ne saurait, sous peine de remettre en cause la finalité du règlement no 44/2001, refuser de prendre en compte une clause attributive de juridiction conforme aux exigences de l’article 23 de ce règlement au seul motif qu’elle estime que la juridiction désignée par cette clause n’assurerait pas le plein effet du principe de mise en œuvre efficace de l’interdiction des ententes en ne permettant pas à la victime d’une entente d’obtenir la réparation intégrale du préjudice qu’elle a subi. Il importe, au contraire, de considérer que le système des voies de recours mis en place dans chaque État membre, complété par le mécanisme du renvoi préjudiciel prévu à l’article 267 TFUE, fournit aux justiciables une garantie suffisante à cet égard (voir, par analogie, arrêt Renault, C–38/98, EU:C:2000:225, point 23).

64

Dans une affaire telle que celle au principal, la juridiction saisie devra néanmoins s’assurer, avant d’examiner les conditions de forme que ledit article 23 établit, que les clauses en question sont effectivement opposables à la requérante au principal. En effet, ainsi que la Cour l’a déjà précisé, une clause attributive de juridiction insérée dans un contrat ne peut, en principe, produire ses effets que dans les rapports entre les parties qui ont donné leur accord à la conclusion de ce contrat. Pour qu’une telle clause puisse être opposable à un tiers, il est, en principe, nécessaire que celui-ci ait donné son consentement à cet effet (arrêt Refcomp, C‑543/10, EU:C:2013:62, point 29).

65

En effet, ce serait uniquement dans le cas où, conformément au droit national applicable au fond, tel que déterminé en application des règles de droit international privé de la juridiction saisie, le tiers aurait succédé au contractant initial dans tous ses droits et obligations qu’une clause attributive de juridiction à laquelle ce tiers n’a pas consenti pourrait néanmoins jouer à l’encontre de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt Coreck, C‑387/98, EU:C:2000:606, points 24, 25 et 30).

66

Si les clauses en question s’avéraient opposables à la requérante au principal, il y aurait lieu d’examiner si elles portent effectivement dérogation à la compétence de la juridiction de renvoi en ce qui concerne le litige au principal.

67

À cet égard, il convient de rappeler que l’interprétation d’une clause attributive de juridiction, afin de déterminer les différends qui relèvent de son champ d’application, incombe au juge national devant lequel elle est invoquée (arrêts Powell Duffryn, C‑214/89, EU:C:1992:115, point 37, et Benincasa, C‑269/95, EU:C:1997:337, point 31).

68

Une clause attributive de juridiction ne peut concerner que des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce qui limite la portée d’une convention attributive de juridiction aux seuls différends qui trouvent leur origine dans le rapport de droit à l’occasion duquel cette clause a été convenue. Cette exigence a pour objectif d’éviter qu’une partie ne soit surprise par l’attribution à un for déterminé de l’ensemble des différends qui surgiraient dans les rapports qu’elle entretient avec son cocontractant et qui trouveraient leur origine dans des rapports autres que celui à l’occasion duquel l’attribution de juridiction a été convenue (voir, en ce sens, arrêt Powell Duffryn, C‑214/89, EU:C:1992:115 point 31).

69

Au vu de cet objectif, la juridiction de renvoi devra notamment considérer qu’une clause qui se réfère de manière abstraite aux différends surgissant dans les rapports contractuels ne couvre pas un différend relatif à la responsabilité délictuelle qu’un cocontractant a prétendument encourue du fait de son comportement conforme à une entente illicite.

70

En effet, un tel litige n’étant pas raisonnablement prévisible pour l’entreprise victime au moment où elle a consenti à ladite clause, l’entente illicite impliquant son cocontractant lui étant inconnue à cette date, il ne saurait être considéré comme ayant son origine dans les rapports contractuels. Une telle clause ne porterait donc pas valablement dérogation à la compétence de la juridiction de renvoi.

71

En revanche, en présence d’une clause faisant référence aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d’une infraction au droit de la concurrence et désignant une juridiction d’un État membre autre que celui de la juridiction de renvoi, celle-ci devrait décliner sa propre compétence, même lorsque cette clause conduit à écarter les règles de compétence spéciales prévues aux articles 5 et/ou 6 du règlement no 44/2001.

72

Il y a donc lieu de répondre à la troisième question que l’article 23, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il permet, dans le cas où des dommages et intérêts sont réclamés en justice en raison d’une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE, de prendre en compte les clauses attributives de juridiction contenues dans des contrats de livraison, même si une telle prise en compte a pour effet de déroger aux règles de compétence internationale prévues aux articles 5, point 3, et/ou 6, point 1, dudit règlement, à la condition que ces clauses se réfèrent aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d’une infraction au droit de la concurrence.

Sur les dépens

73

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

 

1)

L’article 6, point 1, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution de décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que la règle de concentration des compétences en cas de pluralité de défendeurs que cette disposition établit peut s’appliquer à l’égard d’une action visant à la condamnation à titre solidaire à des dommages et intérêts et, dans le cadre de celle-ci, à la production de renseignements, d’entreprises qui ont participé de façon différente, sur les plans géographique et temporel, à une infraction unique et continue à l’interdiction des ententes prévue par le droit de l’Union constatée par une décision de la Commission européenne, et cela même lorsque le demandeur s’est désisté de son action à l’égard du seul des codéfendeurs qui est domicilié dans l’État membre du siège de la juridiction saisie, à moins que ne soit établie l’existence d’une collusion entre le demandeur et ledit codéfendeur en vue de créer ou de maintenir, de manière artificielle, les conditions d’application de ladite disposition à la date de l’introduction de cette action.

 

2)

L’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens que, lorsque des défendeurs établis dans différents États membres se voient réclamer en justice des dommages et intérêts en raison d’une infraction unique et continue à laquelle ils ont participé dans plusieurs États membres à des dates et à des endroits différents, cette infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992, ayant été constatée par la Commission européenne, le fait dommageable s’est produit à l’égard de chaque prétendue victime prise individuellement, chacune d’entre elles pouvant, en vertu dudit article 5, point 3, choisir d’introduire son action soit devant la juridiction du lieu où l’entente concernée a été définitivement conclue ou, le cas échéant, du lieu où un arrangement spécifique et identifiable comme étant à lui seul l’événement causal du dommage allégué a été pris, soit devant la juridiction du lieu de son propre siège social.

 

3)

L’article 23, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il permet, dans le cas où des dommages et intérêts sont réclamés en justice en raison d’une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992, de prendre en compte les clauses attributives de juridiction contenues dans des contrats de livraison, même si une telle prise en compte a pour effet de déroger aux règles de compétence internationale prévues aux articles 5, point 3, et/ou 6, point 1, dudit règlement, à la condition que ces clauses se réfèrent aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d’une infraction au droit de la concurrence.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’allemand.