Affaire C-81/09

Idryma Typou AE

contre

Ypourgos Typou kai Meson Mazikis Enimerosis

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Symvoulio tis Epikrateias)

«Liberté d’établissement — Libre circulation des capitaux — Droit des sociétés — Première directive 68/151/CEE — Société anonyme relevant du secteur de la presse et de la télévision — Société et actionnaire détenant plus de 2,5 % des actions — Amende administrative conjointe et solidaire»

Sommaire de l'arrêt

Libre circulation des personnes — Liberté d'établissement — Libre circulation des capitaux — Restrictions — Droit des sociétés

(Art. 49 TFUE et 63 TFUE; directive du Conseil 68/151)

La première directive 68/151, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l’article 58, deuxième alinéa, du traité, pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale selon laquelle les amendes prévues pour violation de la législation et des règles de déontologie régissant le fonctionnement des chaînes de télévision sont infligées conjointement et solidairement, non seulement à la société titulaire d’une autorisation de créer et d’exploiter une chaîne de télévision, mais aussi à l’ensemble des actionnaires qui détiennent un pourcentage d’actions supérieur à 2,5 %.

En revanche, les articles 49 TFUE et 63 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une telle réglementation nationale.

En effet, une telle réglementation a un effet dissuasif pour les investisseurs, affecte leur accès au marché des participations dans les sociétés et restreint ainsi tant la liberté d'établissement que la libre circulation de capitaux. Même si une telle restriction poursuit l'objectif légitime de faire respecter la législation et la déontologie des journalistes par les sociétés de télévision afin, notamment, d’éviter qu’il soit porté atteinte à l’honneur ou à la vie privée des personnes dont l’image apparaît à l’écran ou dont le nom est cité, il ne peut être considéré que cette restriction est propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit ni surtout qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

(cf. points 46, 56, 60, 63, 65, 70, disp. 1-2)







ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

21 octobre 2010 (*)

«Liberté d’établissement – Libre circulation des capitaux – Droit des sociétés – Première directive 68/151/CEE – Société anonyme relevant du secteur de la presse et de la télévision – Société et actionnaire détenant plus de 2,5 % des actions – Amende administrative conjointe et solidaire»

Dans l’affaire C‑81/09,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Symvoulio tis Epikrateias (Grèce), par décision du 17 octobre 2008, parvenue à la Cour le 25 février 2009, dans la procédure

Idryma Typou AE 

contre

Ypourgos Typou kai Meson Mazikis Enimerosis,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. J. N. Cunha Rodrigues, président de chambre, MM. A. Arabadjiev, A. Rosas (rapporteur), U. Lõhmus et Mme P. Lindh, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 mars 2010,

considérant les observations présentées:

–      pour le gouvernement hellénique, par MM. P. Mylonopoulos et M. Apessos ainsi que par Mme N. Marioli, en qualité d’agents,

–      pour la Commission européenne, par M. G. Braun et M. G. Zavvos, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 2 juin 2010,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la première directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l’article 58 deuxième alinéa du traité, pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers (JO L 65, p. 8, ci-après la «première directive»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Idryma Typou AE, une société anonyme ayant son siège social à Athènes, à l’Ypourgos Typou kai Meson Mazikis Enimerosis (ministre de la Presse et des Médias) au sujet d’une amende infligée à cette société pour infraction à la législation et aux règles déontologiques régissant le fonctionnement des chaînes de télévision.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

3        Les trois premiers considérants de la première directive sont libellés comme suit:

«considérant que la coordination prévue par l’article 54 paragraphe 3 sous g) [du traité CEE] et par le programme général pour la suppression des restrictions à la liberté d’établissement est urgente, notamment à l’égard des sociétés par actions et des sociétés à responsabilité limitée, car l’activité de ces sociétés s’étend souvent au-delà des limites du territoire national;

considérant que la coordination des dispositions nationales concernant la publicité, la validité des engagements de ces sociétés et la nullité de celles-ci revêt une particulière importance, notamment en vue d’assurer la protection des intérêts des tiers;

considérant que, dans ces domaines, des dispositions communautaires doivent être arrêtées simultanément pour ces sociétés, car elles n’offrent comme garantie vis-à-vis des tiers que le patrimoine social».

4        L’article 1er de la première directive, tel qu’il a été modifié par l’acte relatif aux conditions d’adhésion de la République hellénique et aux adaptations des traités (JO 1979, L 291, p. 17), prévoit:

«Les mesures de coordination prescrites par la présente directive s’appliquent aux dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux formes de sociétés suivantes:

[…]

– pour la Grèce:

ανώνυμη εταιρία, εταιρία περιωρισμένης ευθύνης, ετερόρρυθμη κατά μετοχές εταιρία [société anonyme, société à responsabilité limitée, société en commandite par actions]».

5        La première directive comporte trois sections. La première section traite de la publicité des actes des sociétés, la deuxième de la validité des engagements de la société par les actes accomplis par ses organes et la troisième de la nullité des sociétés.

 La réglementation nationale

6        L’article 15, paragraphe 2, de la Constitution hellénique, tel qu’il était en vigueur avant la révision constitutionnelle de 2001, prévoyait que la radio et la télévision sont soumises au contrôle direct de l’État.

7        La loi n° 2863/2000 «Conseil national de la radiotélévision et autres autorités ou organismes dans le secteur de la fourniture de services radiotélévisés» (FEK A’ 262) crée le Conseil national de la radiotélévision (Ethniko symvoulio radiotileorasis, ci-après l’«ESR»).

8        La loi n° 2328/1995 «Régime juridique de la télévision privée et de la radio locale, réglementation des questions liées au marché radiotélévisé et autres dispositions» [FEK A’ 159, applicable en l’espèce dans sa version postérieure à sa modification par la loi n° 2644/1998 «relative à la prestation de services radiophoniques et télévisuels à péage» (FEK A’ 233), ci-après la «loi n° 2328/1995»] définit le régime juridique et le cadre de fonctionnement de la télévision privée et de la radio locale.

9        Cette loi réglemente notamment l’octroi des autorisations de création, d’établissement et d’exploitation de chaînes de télévision privées ainsi que les participations dans les sociétés anonymes qui introduisent une telle demande d’autorisation. En principe, ces participations doivent être nominatives. Diverses dispositions de la loi visent à limiter à 25 % le pourcentage maximum du capital social que peut détenir une personne physique ou morale dans une société titulaire d’une autorisation de créer, d’établir et d’exploiter une chaîne de télévision. Par ailleurs, tout transfert de participations supérieures à 2,5 % du capital social doit être notifié à l’ESR.

10      L’article 3 de la loi n° 2328/1995 prévoit:

«1. b) Les émissions de tout type (y compris les publicités) que diffusent les chaînes de radio et de télévision doivent respecter la personnalité, l’honneur, la réputation, la vie privée et familiale, l’activité professionnelle, sociale, scientifique, artistique, politique, ou toute autre activité analogue, de toute personne dont l’image apparaît à l’écran ou dont le nom ou des éléments d’identification suffisants sont diffusés.»

11      L’article 3, paragraphe 15, de la loi n° 2328/1995 prévoit l’élaboration, par l’ESR, de codes de déontologie de la profession de journaliste. L’article 5 du règlement n° 1/1991 de l’ESR dispose qu’«[i]l n’est pas permis de présenter des personnes d’une manière qui peut, dans des conditions données, encourager leur humiliation, leur isolement social ou des discriminations à leur encontre».

12      L’article 4 de la loi n° 2328/1995 prévoit:

«1.       Dans tous les cas de violation a) des dispositions de la législation nationale, [de la législation] de l’Union européenne et du droit international qui régissent, directement ou indirectement, les chaînes de télévision privée et, plus généralement, le fonctionnement de la télévision privée, b) […], c) des règles de déontologie, telles que définies conformément à l’article 3 de la présente loi, les sanctions suivantes sont infligées […]: a) recommandations et avertissements, b) amende de cinq à cinq cent millions de GDR […], c) suspension provisoire jusqu’à trois mois [ou] interruption définitive de la diffusion d’une émission donnée de la chaîne, d) suspension provisoire jusqu’à trois mois de la diffusion de tout programme télévisé, e) retrait de l’autorisation d’exploitation de la chaîne et f) sanctions à caractère éthique (telle la diffusion obligatoire d’un avis concernant les autres sanctions infligées). L’ESR transmet sa décision sans délai à l’Ypourgos Typou kai Meson Mazikis Enimerosis, qui effectue un contrôle de légalité et adopte la décision infligeant la sanction. Le choix du type de sanction administrative visée par le présent article et la fixation du niveau de celle‑ci sont effectués en fonction de la gravité de la violation, de l’audience du programme dans le cadre duquel la violation a été commise, de la part du marché des services radiophoniques et télévisuels qu’a acquise éventuellement le titulaire de l’autorisation, du montant des investissements réalisés ou projetés et de l’existence éventuelle de récidives. La décision de l’ESR prévoyant l’application des sanctions visées au présent paragraphe comporte une motivation complète et spécifique et est adoptée dans tous les cas après que les intéressés ont été entendus au cours d’au moins une réunion de l’assemblée plénière de cette institution.

[…]

3.       Les amendes prévues aux paragraphes précédents sont infligées conjointement et solidairement à la société et personnellement à son représentant légal (ou à ses représentants légaux), à l’ensemble des membres de son conseil d’administration et à l’ensemble de ses actionnaires détenant plus de 2,5 % de ses actions.

[…]

5.       Les sanctions administratives susmentionnées sont indépendantes de l’existence d’une éventuelle responsabilité pénale ou civile.»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

13      La demanderesse au principal est une société anonyme actionnaire de Nea Tileorasi AE, propriétaire de la chaîne de télévision Star Channel.

14      Devant le Symvoulio tis Epikrateias, elle conteste la décision no 11840/E/11.5.2001 de l’Ypourgos Typou kai Meson Mazikis Enimerosis, qui lui a infligé une amende d’un montant de 10 000 000 GDR (environ 29 347 EUR) conjointement et solidairement avec Nea Tileorasi AE, ainsi qu’avec les autres actionnaires et les membres du conseil d’administration de celle‑ci, au motif que, au cours du principal bulletin d’information de la chaîne de télévision Star Channel du 14 février 2000, elle aurait commis une violation de l’obligation de respecter la personnalité, l’honneur, la réputation et la vie familiale, ainsi que la présomption d’innocence de diverses personnalités. Elle conteste, en outre, la décision no 122/91/20.4.2000 de l’ESR sur le fondement de laquelle la décision ministérielle attaquée a été adoptée.

15      La quatrième chambre du Symvoulio tis Epikrateias, qui a été saisie du recours, a renvoyé l’affaire devant la formation plénière, en raison de son importance majeure.

16      Le Symvoulio tis Epikrateias effectue un contrôle de constitutionnalité de l’article 4, paragraphe 3, de la loi n° 2328/1995, en ce qu’il impose une sanction aux actionnaires de la société, au regard du principe de la liberté économique prévu à l’article 5 de la Constitution hellénique. Il considère, en substance, que le législateur national est en droit d’adopter des règles dérogatoires au droit commun des sociétés anonymes, et notamment au principe de l’absence de responsabilité de l’actionnaire pour les dettes de la personne morale, principe fondamental et contraignant du droit commun des sociétés anonymes, mais non un principe constitutionnel. Le législateur national a, a fortiori, cette faculté, lorsqu’il s’agit de sociétés particulières, qui servent l’intérêt public et sont soumises au contrôle direct de l’État. La juridiction de renvoi relève que, en tout état de cause, l’article 4, paragraphe 3, de la loi n° 2328/1995 prévoit non pas une responsabilité solidaire des actionnaires pour les «dettes» de la personne morale, mais l’application des sanctions administratives tant à la société qu’aux personnes visées par cette disposition. Enfin, cette dernière ne rendrait pas impossible ou substantiellement difficile l’exercice d’une activité d’entreprise.

17      Le Symvoulio tis Epikrateias fait cependant état d’opinions minoritaires, parmi les conseillers, selon lesquelles la disposition litigieuse imposerait aux actionnaires des sociétés anonymes de télévision de payer une amende administrative imposée à la société en tant que telle, en raison d’une violation de la législation dans l’exercice de son activité, et constituerait donc une dette grevant le passif de la société. Cette disposition violerait les principes fondamentaux du droit des sociétés anonymes – notamment celui de la limitation du risque couru par un actionnaire – et, par conséquent, la liberté économique protégée par l’article 5 de la Constitution hellénique, qui inclut le droit de créer des sociétés commerciales, dès lors que l’économie libre de marché ne pourrait fonctionner sans de telles sociétés. En effet, le principe voulant que la société anonyme soit seule tenue des dettes sociales serait la manifestation essentielle du caractère de société de capitaux qui est celui de la société anonyme. Il importerait peu que la société exerce une activité d’intérêt public ou qu’elle soit soumise au contrôle de l’État.

18      Examinant le respect du principe de proportionnalité, le Symvoulio tis Epikrateias considère que la législation litigieuse poursuit un but légitime et ne constitue pas une restriction à la liberté économique manifestement disproportionnée par rapport aux objectifs qu’elle poursuit, dès lors qu’elle ne pourrait manifestement pas être considérée comme rendant impossible ou substantiellement difficile l’exercice d’une activité d’entreprise dans le secteur de la création et de l’exploitation des chaînes de télévision privées.

19      Le Symvoulio tis Epikrateias expose, notamment, que le législateur national, connaissant les conditions et la situation réelle du paysage télévisuel dans le pays, estime qu’un actionnaire qui détient un pourcentage d’actions supérieur à 2,5 % n’est pas un investisseur ordinaire, mais qu’il s’agit, en substance, d’un investisseur professionnel qui, du fait de cette participation dans la société, est potentiellement en mesure d’influencer l’administration de la personne morale et, de ce fait, l’exploitation de la chaîne de télévision. La juridiction de renvoi estime que cette appréciation de fond du législateur national ne peut être considérée comme manifestement erronée ni inopportune si l’on tient compte du fait que, en vertu de la loi n° 2328/1995, le pourcentage maximum du capital social que peut détenir un actionnaire (personne physique ou morale) ne peut excéder 25 % et que, par conséquent, la collaboration de plusieurs actionnaires à l’administration de la société est absolument nécessaire afin d’influencer la gestion de la société.

20      Le Symvoulio tis Epikrateias fait cependant état d’opinions minoritaires, parmi ses membres, mettant en cause cette forme de responsabilité objective des actionnaires, qui découragerait l’acquisition d’actions des sociétés anonymes de télévision. La mesure ne serait pas de nature à favoriser la réalisation de l’objectif poursuivi, dès lors qu’une participation légèrement supérieure à 2,5 % serait trop peu importante pour pouvoir influencer l’administration des affaires de la société et éviter que celle-ci adopte un comportement contraire à la déontologie. La mesure équivaudrait, en réalité, à infliger une sanction à un actionnaire d’une société anonyme de télévision détenant un pourcentage limité du capital social au seul motif qu’il est actionnaire d’un tel type de société anonyme.

21      Dans ce contexte, la juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité de l’article 4, paragraphe 3, de la loi n° 2328/1995 avec les diverses directives de l’Union relatives aux sociétés, qu’elle énonce.

22      À cet égard, elle estime que le champ d’application de l’article 4, paragraphe 3, de la loi n° 2328/1995 et celui des dispositions des directives relatives aux sociétés ne se recoupent pas. En effet, celles-ci ne contiennent aucune règle concernant et, a fortiori, interdisant l’imputation d’une responsabilité aux actionnaires d’une société anonyme qui détiennent un certain pourcentage d’actions quant au paiement, conjointement et solidairement avec la personne morale que constitue la société, des amendes infligées pour violation de la législation du fait de l’activité de la personne morale que constitue la société anonyme, d’une manière générale, mais aussi, en particulier, dans le cas présent, du fait de l’activité de la personne morale que constitue la société anonyme titulaire d’une autorisation de créer et d’exploiter une chaîne de télévision. Une telle interdiction ne pourrait être déduite de l’article 1er de la première directive, où le législateur de l’Union se borne à recenser les formes de sociétés qui existent déjà dans les États membres et auxquelles s’appliquent les dispositions de la directive en question.

23      Selon la juridiction de renvoi, même si l’on considérait que les champs d’application de la première directive et de l’article 4, paragraphe 3, de la loi n° 2328/1995 couvrent les mêmes domaines, cette dernière disposition ne serait pas contraire à l’article 1er de cette directive. En effet, cet article 1er ne donnerait pas de définition de la société anonyme et se limiterait à recenser les formes de sociétés auxquelles elle s’applique. Par conséquent, le droit de l’Union n’empêcherait pas le législateur national soit d’introduire de nouvelles formes de sociétés, qui ne relèveraient pas du champ d’application des directives relatives aux sociétés, soit de créer des sociétés anonymes (particulières) auxquelles s’appliqueront des dispositions dérogeant au droit de l’Union des sociétés anonymes, dans la mesure, évidemment, où ces dispositions dérogatoires ne sont pas contraires à des dispositions spécifiques des directives relatives aux sociétés et du droit de l’Union en général, comme c’est le cas s’agissant de la disposition de l’article 4, paragraphe 3, de la loi n° 2328/1995.

24      Selon le Symvoulio tis Epikrateias, le fait que l’absence de responsabilité des actionnaires d’une société anonyme quant aux dettes de la personne morale n’est pas garantie par le droit de l’Union ressort du fait que les ordres juridiques de nombreux États membres ont, depuis des décennies, consacré, surtout par la voie jurisprudentielle, le principe de la levée de l’autonomie de la personne morale, qui conduit, sous certaines conditions, à imputer une responsabilité à l’actionnaire quant aux obligations de la société anonyme, sans que se pose la question de savoir si le principe susmentionné est contraire au droit de l’Union, mais aussi du fait que l’on n’a pas entrepris d’harmoniser les conditions d’une telle levée de l’autonomie de la personnalité juridique.

25      Certains conseillers ont cependant émis une opinion minoritaire, considérant que l’expression «société anonyme» utilisée à l’article 1er de la première directive a un contenu minimum obligatoire. Selon eux, les caractéristiques fondamentales d’une société anonyme, auxquelles le législateur national ne pourrait déroger, seraient:

a)       la distinction stricte entre le patrimoine social et celui des actionnaires, ainsi que

b)       l’absence de responsabilité personnelle des actionnaires pour les dettes sociales, étant donné que les actionnaires sont tenus seulement de verser leur apport, qui correspond à la raison de leur participation au capital social global.

26      Ces conseillers relèvent par ailleurs que, dans aucun ordre juridique d’un État membre de l’Union européenne, ni la législation ni la jurisprudence n’ont admis qu’il soit porté atteinte au principe selon lequel l’actionnaire n’est pas tenu des dettes de la société anonyme sur son patrimoine personnel. La seule chose que la jurisprudence ait admis est que, lorsqu’il y a confusion totale entre le patrimoine de la société anonyme et celui d’un actionnaire et que cet actionnaire a géré le patrimoine désormais unique d’une manière contraire à la bonne foi, par ses actes ou omissions personnels, il ne peut plus invoquer le principe de l’autonomie des deux patrimoines (son patrimoine personnel et celui de la société) à l’égard des créanciers de la société.

27      La juridiction de renvoi constate, par conséquent, une divergence d’opinions, d’une part, quant à la question de savoir si les champs d’application de l’article 1er de la première directive et de l’article 4, paragraphe 3, de la loi n° 2328/1995 se recoupent et, d’autre part, quant à la compatibilité de la législation nationale avec ladite disposition.

28      Dans ces conditions, le Symvoulio tis Epikrateias a considéré que, conformément à l’article 234, alinéa 3, CE et à l’arrêt du 6 octobre 1982, Cilfit e.a. (283/81, Rec. p. 3415), il était tenu de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«La directive 68/151/CEE, qui dispose, à l’article 1er, que ‘[l]es mesures de coordination prescrites par la présente directive s’appliquent aux dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux formes de sociétés suivantes: […] – pour la Grèce: ανώνυμη εταιρία [société anonyme], […]’, comporte‑t‑elle une règle interdisant l’adoption d’une disposition nationale telle que celle de l’article 4, paragraphe 3, de la loi n° 2328/1995, dans la partie où elle dispose que les amendes prévues aux paragraphes précédents de cet article pour violation de la législation et des règles de déontologie régissant le fonctionnement des chaînes de télévision sont infligées conjointement et solidairement, non seulement à la société titulaire d’une autorisation de créer et d’exploiter une chaîne de télévision, mais aussi à l’ensemble des actionnaires qui détiennent un pourcentage d’actions supérieur à 2,5 %?»

29      La Cour a invité les intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne qui souhaitaient participer à l’audience de plaidoiries à s’exprimer notamment sur la pertinence des articles 49 TFUE, relatif à la liberté d’établissement, et 63 TFUE, relatif à la libre circulation des capitaux, pour la réponse à la question posée par le Symvoulio tis Epikrateias.

 Sur la question préjudicielle

30      La question posée par la juridiction de renvoi porte sur l’interprétation de la première directive.

31      Il y a lieu de rappeler, toutefois, que la circonstance qu’une juridiction nationale a, sur un plan formel, formulé la question préjudicielle en se référant à certaines dispositions du droit de l’Union ne fait pas obstacle à ce que la Cour fournisse à cette juridiction tous les éléments d’interprétation qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, qu’elle y ait fait référence ou non dans l’énoncé de ses questions. Il appartient à cet égard à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (voir arrêt du 27 octobre 2009, ČEZ, C‑115/08, Rec. p. I‑10265, point 81).

32      Au vu des faits du litige au principal et de la réglementation hellénique applicable, il importe, outre la première directive, d’interpréter les articles 49 TFUE et 63 TFUE.

 Sur la première directive

33      Par sa question, la juridiction de renvoi demande si la première directive doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale telle que l’article 4, paragraphe 3, de la loi n° 2328/1995, selon lequel les amendes prévues aux paragraphes précédents de cet article pour violation de la législation et des règles de déontologie régissant le fonctionnement des chaînes de télévision sont infligées conjointement et solidairement, non seulement à la société titulaire d’une autorisation de créer et d’exploiter une chaîne de télévision, mais aussi à l’ensemble des actionnaires qui détiennent un pourcentage d’actions supérieur à 2,5 %.

34      Le gouvernement hellénique fait observer que l’article 4, paragraphe 3, de la loi n° 2328/1995 prévoit non pas la responsabilité solidaire des actionnaires de la société qui détiennent un pourcentage d’actions supérieur à 2,5 % d’une manière générale pour les dettes de la personne morale, mais bien que les amendes administratives pour violation de la législation et des règles de fonctionnement régissant l’exploitation des chaînes de télévision sont infligées tant à la société titulaire de l’autorisation de créer et d’exploiter une chaîne de télévision qu’aux actionnaires susmentionnés, qui ont une importance particulière pour la création et le fonctionnement de la personne morale.

35      Il importe cependant de rappeler que, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, la procédure établie à l’article 267 TFUE se base sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, cette dernière étant uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation ou la validité des actes du droit de l’Union visés audit article. Dans ce cadre, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier l’interprétation des dispositions du droit national ou de juger si l’interprétation que la juridiction nationale en donne est correcte (voir arrêt du 18 janvier 2007, Auroux e.a., C‑220/05, Rec. p. I‑385, point 25).

36      Il y a dès lors lieu de s’en tenir à l’interprétation de la loi hellénique telle qu’elle est synthétisée au point 17 du présent arrêt, et qui constitue la prémisse de la question posée à la Cour.

37      La première directive a été adoptée sur le fondement de l’article 54, paragraphe 3, sous g), du traité CEE, devenu l’article 50, paragraphe 2, sous g), TFUE.

38      Cette dernière disposition prévoit que, pour réaliser la liberté d’établissement, le législateur de l’Union adopte des directives pour coordonner, dans la mesure nécessaire et en vue de les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l’article 54, deuxième alinéa, TFUE, pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers. Conformément à l’article 54, deuxième alinéa, TFUE, on entend par «sociétés» les sociétés de droit civil ou commercial, y compris les sociétés coopératives, et les autres personnes morales relevant du droit public ou privé, à l’exception des sociétés qui ne poursuivent pas de but lucratif.

39      Ainsi qu’il ressort des deux premiers considérants de la première directive, celle-ci a pour objet de coordonner les dispositions nationales concernant la publicité, la validité des engagements et la nullité des sociétés par actions et des sociétés à responsabilité limitée. Les règles qui devraient être reprises dans chaque droit national sont décrites aux articles 2 à 12 de la première directive.

40      Même si le troisième considérant de la première directive laisse entendre qu’il existerait un principe selon lequel seules les sociétés seraient tenues de répondre de leurs dettes envers les tiers sur leur patrimoine social, ladite directive ne prévoit pas une notion uniforme de société par actions ni de société à responsabilité limitée fondée sur un tel principe. L’article 1er de la première directive énumère, en revanche, pour chaque État membre, les différents types de sociétés du droit de cet État membre auxquelles les règles prévues aux articles 2 à 12 devront être appliquées.

41      Il s’ensuit que la première directive ne prescrit pas ce que doit être une société par actions ou à responsabilité limitée, mais se borne à prévoir des règles qui doivent être appliquées à certains types de sociétés identifiées comme sociétés par actions ou à responsabilité limitée par le législateur de l’Union.

42      Par ailleurs, s’il ressort d’un examen du droit des États membres, tel que celui auquel a procédé Mme l’avocat général au point 34 de ses conclusions, que, dans la plupart des cas, les actionnaires des sociétés énumérées à l’article 1er de la première directive ne sont pas tenus de répondre personnellement des dettes d’une société par actions ou d’une société à responsabilité limitée, on ne saurait en conclure qu’il s’agit d’un principe général du droit des sociétés applicable en toutes circonstances et sans exception.

43      De même, s’agissant des engagements d’une société, aucun principe général ne saurait être déduit des articles 7 à 9 de la première directive, qui se limitent à énoncer un certain nombre de règles à cet égard.

44      Il ne résulte donc ni de la lecture de la première directive ni d’une interprétation de celle-ci à la lumière de son objet ou du droit des États membres que cette directive imposerait une règle selon laquelle un actionnaire ne pourrait jamais être tenu d’une amende infligée à une société, notamment dans l’hypothèse où cette amende serait infligée conjointement et solidairement à une société anonyme et à cet actionnaire.

45      Par ailleurs, l’existence d’une telle règle dans un droit national ne porterait pas atteinte à l’objet de la première directive, vu le caractère limité de celui-ci.

46      Par conséquent, il y a lieu de répondre à la question posée que la première directive doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale telle que l’article 4, paragraphe 3, de la loi n° 2328/1995, selon lequel les amendes prévues aux paragraphes précédents de cet article pour violation de la législation et des règles de déontologie régissant le fonctionnement des chaînes de télévision sont infligées conjointement et solidairement, non seulement à la société titulaire d’une autorisation de créer et d’exploiter une chaîne de télévision, mais aussi à l’ensemble des actionnaires qui détiennent un pourcentage d’actions supérieur à 2,5 %.

 Sur la liberté d’établissement et la libre circulation des capitaux

47      Relèvent du champ d’application matériel de l’article 49 TFUE, relatif à la liberté d’établissement, les dispositions nationales qui trouvent à s’appliquer à la détention par un ressortissant d’un État membre, dans le capital d’une société établie dans un autre État membre, d’une participation lui permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions de cette société et d’en déterminer les activités (voir en ce sens, notamment, arrêts du 13 avril 2000, Baars, C‑251/98, Rec. p. I‑2787, point 22; du 23 octobre 2007, Commission/Allemagne, C‑112/05, Rec. p. I‑8995, point 13, et du 26 mars 2009, Commission/Italie, C‑326/07, Rec. p. I‑2291, point 34).

48      Relèvent des dispositions de l’article 63 TFUE, relatif à la libre circulation des capitaux, notamment les investissements directs sous forme de participation à une entreprise par la détention d’actions qui confère la possibilité de participer effectivement à sa gestion et à son contrôle, ainsi que les investissements de portefeuille, c’est-à-dire l’acquisition de titres sur le marché des capitaux effectuée dans la seule intention de réaliser un placement financier sans intention d’influer sur la gestion et le contrôle de l’entreprise (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2009, Glaxo Wellcome, C‑182/08, Rec. p. I‑8591, point 40).

49      Une législation nationale qui n’a pas vocation à s’appliquer aux seules participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions d’une société et d’en déterminer les activités, mais qui s’applique indépendamment de l’ampleur de la participation qu’un actionnaire détient dans une société, est susceptible de relever aussi bien de l’article 49 TFUE que de l’article 63 TFUE (voir, arrêt Commission/Italie, précité, point 36).

50      Dans l’affaire au principal, la législation hellénique limite à 25 % la participation maximale qu’une personne physique ou morale peut détenir dans le capital social d’une société titulaire d’une autorisation de créer, d’établir et d’exploiter une chaîne de télévision. Par ailleurs, l’article 4, paragraphe 3, de la loi n° 2328/1995, prévoit qu’une amende peut être infligée à un actionnaire dès qu’il détient plus de 2,5 % des parts d’une telle société.

51      Selon la manière dont le reste du capital social est réparti, notamment s’il est dispersé parmi un grand nombre d’actionnaires, une participation de 25 % peut être suffisante pour détenir le contrôle d’une société ou à tout le moins exercer une influence certaine sur les décisions de cette société et en déterminer les activités au sens de la jurisprudence Baars, rappelée au point 47 du présent arrêt (voir, en ce sens, arrêt Commission/Italie, précité, point 38). La législation hellénique est donc susceptible de relever de l’article 49 TFUE.

52      Par ailleurs, en ce qu’elle vise des actionnaires qui détiennent plus de 2,5 % des participations mais dont la participation ne serait pas suffisante pour leur permettre d’exercer le contrôle ou une influence certaine sur les décisions de la société, cette législation est également susceptible de relever de l’article 63 TFUE.

53      Il y a dès lors lieu d’interpréter ces deux dispositions.

54      Il est de jurisprudence constante que la notion de «restriction» au sens de l’article 49 TFUE porte sur les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de la liberté d’établissement (arrêt du 28 avril 2009, Commission/Italie, C-518/06, Rec. p. I‑3491, point 62).

55      De même, doivent être qualifiées de «restrictions» au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE des mesures nationales qui sont susceptibles d’empêcher ou de limiter l’acquisition d’actions dans les entreprises concernées ou qui sont susceptibles de dissuader les investisseurs des autres États membres d’investir dans le capital de celles-ci (arrêt Commission/Allemagne, précité, point 19).

56      Dans l’espèce au principal, il convient de constater que la mesure nationale en cause a un effet dissuasif pour les investisseurs et affecte ainsi leur accès au marché des participations dans les sociétés.

57      En effet, la mesure nationale permet de tenir les actionnaires d’une société anonyme de télévision responsables des amendes infligées à cette société afin que ces actionnaires fassent en sorte que ladite société respecte la législation et les règles de déontologie helléniques, alors que les pouvoirs qui sont reconnus à ces actionnaires par les règles applicables au fonctionnement des organes des sociétés anonymes ne leur en donnent pas la possibilité matérielle.

58      En outre, bien que la mesure soit indistinctement applicable aux investisseurs helléniques et à ceux d’autres États membres, l’effet dissuasif de cette dernière est plus important pour les investisseurs d’autres États membres que pour les investisseurs helléniques.

59      En effet, dès lors que l’objectif de la loi est d’induire les actionnaires à conclure des alliances avec d’autres actionnaires afin d’être en mesure d’influencer les décisions de l’administration de la société, même si cette option s’impose à tous les actionnaires, il est sans conteste qu’elle est bien plus difficile à respecter pour des investisseurs d’autres États membres, moins au courant des réalités de la vie des médias en Grèce et ne connaissant pas nécessairement les différents groupes ou alliances représentés au sein du capital d’une société titulaire d’une autorisation de créer, d’établir et d’exploiter une chaîne de télévision.

60      Il s’ensuit qu’une mesure nationale telle que celle en cause dans l’affaire au principal restreint tant la liberté d’établissement que la libre circulation des capitaux.

61      Il en serait ainsi même si une telle mesure était interprétée dans le sens indiqué par le gouvernement hellénique et exposé au point 34 du présent arrêt.

62      Une restriction à la liberté d’établissement et à la libre circulation des capitaux peut être admise s’il s’avère qu’elle répond à des raisons impérieuses d’intérêt général, qu’elle est propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (pour la liberté d’établissement, voir, en ce sens, arrêt Commission/Italie, C-518/06, précité, point 72, et pour la libre circulation des capitaux, voir, en ce sens, arrêt Commission/Allemagne, précité, points 72 et 73).

63      Ainsi que l’a exposé la juridiction de renvoi, la mesure en cause dans l’affaire au principal a pour objectif de faire respecter la législation et la déontologie des journalistes par les sociétés de télévision afin, notamment, d’éviter qu’il soit porté atteinte à l’honneur ou à la vie privée des personnes dont l’image apparaît à l’écran ou dont le nom est cité. Il s’agit sans conteste d’un objectif légitime.

64      À l’audience, la Commission a considéré qu’aucun élément du dossier ne permettait de déterminer pourquoi un actionnaire possédant plus de 2,5% des participations d’une société de télévision devrait être considéré comme étant en mesure d’influencer l’administration de la société. Interrogé sur ce point, le gouvernement hellénique a exposé que, à l’époque de l’adoption de la loi n° 2328/1995, de nombreux journalistes étaient de tels actionnaires, et que l’objectif de cette loi était, d’une part, de fragmenter le capital social des sociétés de télévision, afin d’éviter un pouvoir trop important dans le chef d’un seul actionnaire, et, d’autre part, d’inciter les actionnaires à se regrouper pour adopter les décisions relatives aux programmes.

65      À cet égard, quand bien même aurait-il existé, à l’époque de l’adoption de la loi n° 2328/1995, une corrélation statistique entre la qualité d’actionnaire possédant 2,5 % de participation d’une société de télévision et le métier de journaliste, un tel lien n’apparaît pas suffisant pour considérer que la mesure en cause est propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit ni surtout qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

66      En effet, si la profession de journaliste peut être considérée comme un critère adéquat pour identifier les personnes susceptibles d’influencer la gestion d’une société de télévision, tel n’est pas le cas de la simple qualité d’actionnaire possédant un peu plus de 2,5 % de participation ou même suffisamment d’actions pour exercer une influence certaine au sens de l’arrêt Baars, précité, dans les organes de la société de télévision.

67      À cet égard, si l’objectif de la mesure est que les journalistes respectent les lois et la déontologie de leur profession, il pourrait être approprié qu’ils soient personnellement sanctionnés pour les infractions qu’ils commettent, plutôt que d’infliger des sanctions à des actionnaires qui ne sont pas nécessairement journalistes.

68      Dans ce contexte, il y a lieu de relever que la loi hellénique contient d’autres possibilités de sanctions plus appropriées à l’objectif qu’elle poursuit, en ce qu’elles frappent l’activité de télévision et non la simple détention du capital social, telle que la suspension ou l’interruption de la diffusion d’une émission donnée, la suspension provisoire jusqu’à trois mois de la diffusion de tout programme télévisé, le retrait de l’autorisation d’exploitation de la chaîne ou des sanctions à caractère éthique.

69      Par ailleurs, supposer que tous les actionnaires d’une société anonyme sont des professionnels du secteur dont relève l’objet social de la société est la négation même de la libre circulation des capitaux, qui vise notamment les investissements de portefeuille, c’est-à-dire l’acquisition de titres sur le marché des capitaux effectuée dans la seule intention de réaliser un placement financier sans intention d’influer sur la gestion et le contrôle de l’entreprise (arrêt du 28 septembre 2006, Commission/Pays-Bas, C-282/04 et C-283/04, Rec. p. I‑9141, point 19). Or, c’est précisément ce type d’investissements que seraient susceptibles de réaliser les investisseurs d’autres États membres qui cherchent à diversifier leurs placements.

70      Il résulte de tout ce qui précède que les articles 49 TFUE et 63 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale telle que l’article 4, paragraphe 3, de la loi n° 2328/1995, selon lequel les amendes prévues aux paragraphes précédents de cet article pour violation de la législation et des règles de déontologie régissant le fonctionnement des chaînes de télévision sont infligées conjointement et solidairement, non seulement à la société titulaire d’une autorisation de créer et d’exploiter une chaîne de télévision, mais aussi à l’ensemble des actionnaires qui détiennent un pourcentage d’actions supérieur à 2,5 %.

 Sur les dépens

71      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

1)      La première directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l’article 58 deuxième alinéa du traité, pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale telle que l’article 4, paragraphe 3, de la loi n° 2328/1995 «Régime juridique de la télévision privée et de la radio locale, réglementation des questions liées au marché radiotélévisé et autres dispositions», telle que modifiée par la loi n° 2644/1998 «relative à la prestation de services radiophoniques et télévisuels à péage», selon lequel les amendes prévues aux paragraphes précédents de cet article pour violation de la législation et des règles de déontologie régissant le fonctionnement des chaînes de télévision sont infligées conjointement et solidairement, non seulement à la société titulaire d’une autorisation de créer et d’exploiter une chaîne de télévision, mais aussi à l’ensemble des actionnaires qui détiennent un pourcentage d’actions supérieur à 2,5 %.

2)      Les articles 49 TFUE et 63 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une telle réglementation nationale.

Signatures


* Langue de procédure: le grec.