61991J0097

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 3 décembre 1992. - Oleificio Borelli SpA contre Commission des Communautés européennes. - Recours en annulation de la décision de la Commission refusant l'octroi du concours du FEOGA au titre du règlement (CEE) n. 355/77 du Conseil - Retrait de l'avis favorable de l'État membre concerné - Demande de dommages-intérêts. - Affaire C-97/91.

Recueil de jurisprudence 1992 page I-06313
édition spéciale suédoise page I-00205
édition spéciale finnoise page I-00215


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


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1. Recours en annulation - Compétence de la Cour - Examen de la légalité d' un acte national ayant conditionné l' acte communautaire attaqué - Exclusion

(Traité CEE, art. 173)

2. Agriculture - Politique agricole commune - Réforme des structures - Actions communes - Amélioration des conditions de transformation et de commercialisation des produits agricoles - Règlement n 355/77 - Décision de la Commission refusant le concours du FEOGA - Validité ne pouvant être mise en cause à raison d' irrégularités ayant affecté l' avis des autorités nationales

(Règlement du Conseil n 355/77, art. 13, § 3)

3. Droit communautaire - Principes - Droit à un recours juridictionnel - Obligations des juridictions nationales - Examen, nonobstant d' éventuelles règles procédurales nationales y faisant obstacle, de la légalité d' un avis des autorités nationales s' insérant dans un processus aboutissant à une décision communautaire

(Règlement du Conseil n 355/77, art. 13, § 3)

4. Recours en indemnité - Objet - Recours visant à obtenir réparation de dommages résultant d' un acte pris par les autorités nationales dans le cadre d' une procédure aboutissant à une décision communautaire - Incompétence de la Cour

(Traité CEE, art. 178 et 215, alinéa 2; règlement du Conseil n 355/77, art. 13, § 3)

Sommaire


1. Dans le cadre d' un recours en annulation dirigé contre une décision d' une institution, la Cour n' est pas compétente pour statuer sur la légalité d' un acte pris par une autorité nationale. Peu importe à cet égard que l' acte national s' intègre dans le processus communautaire de décision, en ce sens qu' il lie l' instance communautaire de décision et détermine de ce fait les termes de la décision communautaire à intervenir.

2. Les irrégularités dont peut éventuellement être entaché l' avis négatif émis par les autorités nationales, dans le cadre de l' octroi des concours du Fonds européen d' orientation et de garantie agricole au titre de l' amélioration des conditions de transformation et de commercialisation des produits agricoles, ne peuvent en aucun cas affecter la validité de la décision par laquelle la Commission refuse le concours demandé, en dépit du fait que ledit avis lie la Commission.

3. L' exigence d' un contrôle juridictionnel de toute décision d' une autorité nationale constitue un principe général du droit communautaire qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a trouvé sa consécration dans les articles 6 et 13 de la convention européenne des droits de l' homme.

Cette exigence doit être respectée par un État membre s' agissant de l' avis, s' insérant dans la procédure aboutissant à une décision communautaire, que donnent les autorités nationales sur les demandes de concours du Fonds européen d' orientation et de garantie agricole.

Il appartient, en conséquence, aux juridictions nationales de statuer, le cas échéant après renvoi préjudiciel à la Cour, sur la légalité d' un tel avis, dans les mêmes conditions de contrôle que celles réservées à tout acte définitif qui, pris par la même autorité nationale, est susceptible de faire grief à des tiers, et donc d' admettre, même si les règles de procédure internes ne le prévoient pas en pareil cas, la recevabilité du recours introduit à cette fin.

4. Les dispositions combinées des articles 178 et 215 du traité ne donnent compétence à la Cour que pour réparer les dommages causés par les institutions communautaires ou les agents de celles-ci agissant dans l' exercice de leurs fonctions.

Ne saurait de ce fait être examiné par la Cour un recours visant à obtenir réparation d' un dommage résultant d' un acte pris par les autorités nationales dans le cadre de l' instruction des demandes de concours du Fonds européen d' orientation et de garantie agricole.

Parties


Dans l' affaire C-97/91,

Oleificio Borelli SpA, société de droit italien, établie à Pontedassio, Imperia, représentée par Me Maria Luisa Sarni Florino, avocat au barreau de Gênes, ayant élu domicile à Luxembourg en l' étude de Me Ernst Arendt, 8-10, rue Mathias Hardt,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Eugenio De March, conseiller juridique, en qualité d' agent, assisté de Me Giuseppe Marchesini, avocat à la Cour de cassation d' Italie, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Roberto Hayder, représentant du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, à titre principal, l' annulation de la décision de la Commission, communiquée par la note n 69915 du 21 décembre 1990, par laquelle celle-ci a fait savoir à Oleificio Borelli SpA qu' elle ne pouvait pas faire droit à sa demande de concours du Fonds européen d' orientation et de garantie agricole, section "orientation", exercice 1990, au titre du règlement (CEE) n 355/77 du Conseil, du 15 février 1977, concernant une action commune pour l' amélioration des conditions de transformation et de commercialisation des produits agricoles (JO L 51, p. 1), ainsi que l' annulation de tous les actes de procédure qui ont abouti à ladite décision et, à titre subsidiaire, la condamnation de la Commission et/ou de la région de Ligurie à la réparation des dommages qui ont été causés à la requérante,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président de chambre, M. Zuleeg, R. Joliet, J. C. Moitinho de Almeida et D. A. O. Edward, juges,

avocat général: M. M. Darmon

greffier: M. D. Triantafyllou, administrateur

vu le rapport d' audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l' audience du 14 mai 1992,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 9 juin 1992,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 18 mars 1991, la société Oleificio Borelli (ci-après "requérante") a, en vertu des articles 173, deuxième alinéa, 178 et 215, deuxième alinéa, du traité CEE, demandé, à titre principal, l' annulation de la décision de la Commission, communiquée par note n 69915 du 21 décembre 1990, par laquelle cette institution lui a fait savoir qu' elle ne pouvait pas faire droit à sa demande de concours du Fonds européen d' orientation et de garantie agricole (ci-après "FEOGA"), section "orientation", exercice 1990, formulée au titre du règlement (CEE) n 355/77 du Conseil, du 15 février 1977, concernant une action commune pour l' amélioration des conditions de transformation et de commercialisation des produits agricoles (JO L 51, p. 1), ainsi que l' annulation de tous les actes de procédure qui ont abouti à ladite décision et, à titre subsidiaire, la condamnation de la Commission et/ou de la région de Ligurie à la réparation des dommages qui lui ont été causés.

2 Il ressort du dossier que, le 16 décembre 1988, la requérante a présenté à la Commission, par l' intermédiaire du gouvernement italien, une demande en vue d' obtenir, sur la base du règlement n 355/77, le concours du FEOGA, section "orientation", pour la construction d' une huilerie à Pontedassio (Imperia). Cette demande, qui avait alors obtenu l' avis favorable de la région de Ligurie, n' a pas pu bénéficier du concours du FEOGA en 1989 aux motifs que, au cours de cet exercice, le nombre des demandes avait été largement supérieur aux moyens financiers disponibles et que, compte tenu des critères de sélection applicables, elle n' avait pu être jugée prioritaire. Conformément aux dispositions de l' article 21 du règlement n 355/77, la demande de concours de la requérante a été reportée par l' administration italienne à l' exercice 1990.

3 Par lettre du 19 janvier 1990, les autorités italiennes ont informé la Commission de l' intervention de l' avis négatif n 109 que le conseil régional de Ligurie avait émis le 18 janvier 1990 au sujet de la même demande de concours formulée par la requérante.

4 Par note n 69915 de la direction générale de l' agriculture du 21 décembre 1990 (ci-après "décision attaquée"), la Commission a informé la requérante que son projet ne pouvait pas être admis à la procédure d' octroi du concours, car, eu égard à l' avis négatif susmentionné, les conditions requises à cet effet, selon l' article 13, paragraphe 3, du règlement n 355/77, n' étaient pas remplies.

5 Par ordonnance du 25 février 1992, la Cour s' est déclarée incompétente pour connaître du recours, pour autant qu' il est dirigé contre la région de Ligurie et vise l' annulation des actes de procédure nationaux qui ont abouti à la décision de la Commission.

6 Pour un plus ample exposé des faits du litige, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d' audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Quant aux conclusions aux fins d' annulation

7 La requérante fait valoir que la décision attaquée est illégale en raison de l' illégalité de l' avis négatif de la région de Ligurie, sur le fondement duquel cette décision a été prise. Elle estime que cet avis a été pris en violation de l' article 9 du règlement n 355/77, dans la mesure où la région de Ligurie a procédé à une appréciation erronée des contrats de fourniture conclus avec les producteurs, qu' elle avait joints à la demande de concours. Cet avis serait en outre entaché d' un détournement de pouvoir, car les termes de sa motivation seraient différents des raisons qui ont présidé à son adoption.

8 La requérante considère que si l' irrégularité de l' avis du conseil régional de Ligurie n' avait aucune incidence sur la validité de la décision attaquée, elle serait privée de toute protection juridictionnelle, étant donné que l' avis est un acte préparatoire qui n' est pas susceptible de recours en droit italien.

9 Il convient de rappeler que, dans le cadre d' un recours introduit au titre de l' article 173 du traité, la Cour n' est pas compétente pour statuer sur la légalité d' un acte pris par une autorité nationale.

10 Cette constatation ne saurait être infirmée par la circonstance que l' acte en cause s' intègre dans le cadre d' un processus de décision communautaire, dès lors qu' il résulte clairement de la répartition des compétences opérée dans le domaine considéré, entre les autorités nationales et les institutions communautaires, que l' acte pris par l' autorité nationale lie l' instance communautaire de décision et détermine, par conséquent, les termes de la décision communautaire à intervenir.

11 Tel est le cas lorsque l' autorité nationale compétente émet un avis négatif sur une demande de concours FEOGA. Il résulte, en effet, de l' article 13, paragraphe 3, du règlement n 355/77 qu' un projet ne peut bénéficier du concours du FEOGA que s' il recueille l' avis favorable de l' État sur le territoire duquel il doit être exécuté et que, par conséquent, en cas d' avis négatif, la Commission ne peut ni poursuivre la procédure d' examen du projet, selon les règles posées par ce même règlement, ni a fortiori contrôler la régularité de l' avis ainsi émis.

12 Dans ces conditions, les irrégularités dont cet avis est éventuellement entaché ne peuvent, en aucun cas, affecter la validité de la décision par laquelle la Commission refuse le concours demandé.

13 Il appartient, dès lors, aux juridictions nationales de statuer, le cas échéant après renvoi préjudiciel à la Cour, sur la légalité de l' acte national en cause, dans les mêmes conditions de contrôle que celles réservées à tout acte définitif qui, pris par la même autorité nationale, est susceptible de faire grief à des tiers, et, par conséquent, de considérer comme recevable le recours introduit à cette fin, même si les règles de procédure internes ne le prévoient pas en pareil cas.

14 En effet, ainsi que la Cour l' a relevé notamment dans les arrêts du 15 mai 1986, Johnston, point 18 (222/84, Rec. p. 1651), et du 15 octobre 1987, Heylens, point 14 (222/86, Rec. p. 4097), l' exigence d' un contrôle juridictionnel de toute décision d' une autorité nationale constitue un principe général de droit communautaire, qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a trouvé sa consécration dans les articles 6 et 13 de la convention européenne des droits de l' homme.

15 Or, étant donné que l' avis de l' État membre sur le territoire duquel le projet doit être exécuté est inséré dans une procédure qui conduit à l' adoption d' une décision communautaire, cet État membre est tenu de respecter l' exigence du contrôle juridictionnel susmentionné.

16 Enfin, dans la réplique, la requérante invoque à titre de moyen nouveau la violation et l' application erronée des dispositions combinées des articles 13 et 21 du règlement n 355/77, fondé sur des éléments de fait dont elle affirme n' avoir pris connaissance qu' au cours de la présente procédure.

17 A cet égard, elle fait valoir que, lors de l' introduction du recours, elle ignorait le fait que l' avis négatif du 18 janvier 1990 était intervenu non pas au terme de l' examen de la demande de concours, mais à l' occasion du report du projet à l' exercice 1990. Or, selon la requérante, aucune disposition du règlement n 355/77 ne prévoit l' intervention, à ce stade de la procédure, d' un nouvel avis sur la demande de concours. Par conséquent, la Commission n' aurait pas dû prendre en considération l' avis exprimé en 1990 comme une condition de mise en oeuvre de la procédure visée à l' article 21 de ce même règlement.

18 Il convient de relever que, contrairement à ce que soutient la requérante, l' avis négatif concernait la demande de concours et non le report du projet à l' exercice 1990. Dans ces conditions, le moyen invoqué par la requérante, qui procède non pas de l' intervention d' un élément nouveau en cours de procédure, mais d' une interprétation erronée de l' avis négatif et des articles 13 et 21 du règlement n 355/77, aurait dû être invoqué dans la requête, conformément à l' article 38, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure. Il ne saurait, dès lors, être regardé comme un moyen nouveau, au sens de l' article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure.

19 Ce moyen doit, dès lors, être rejeté et, partant, les conclusions aux fins d' annulation dans leur ensemble.

Quant aux conclusions aux fins de responsabilité non contractuelle

20 Il convient de rappeler que les dispositions combinées des articles 178 et 215 du traité ne donnent compétence à la Cour que pour réparer les dommages causés par les institutions communautaires ou leurs agents agissant dans l' exercice de leurs fonctions. Or, il est constant qu' en l' espèce le dommage allégué résulte d' un acte pris par les autorités nationales.

21 Il y a donc lieu de rejeter les conclusions tendant à voir engager la responsabilité de la Communauté comme, par conséquent, le recours dans son ensemble.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

22 Aux termes de l' article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) La requérante est condamnée aux dépens.