61987C0231

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 15 mars 1989. - Ufficio distrettuale delle imposte dirette di Fiorenzuola d'Arda et autres contre Comune di Carpaneto Piacentino et autres. - Demandes de décision préjudicielle: Commissione tributaria di secondo grado di Piacenza et Commissione tributaria di primo grado di Piacenza - Italie. - Taxe sur la valeur ajoutée - Notion d'assujetti - Organismes publics. - Affaires jointes 231/87 et 129/88.

Recueil de jurisprudence 1989 page 03233
édition spéciale suédoise page 00201
édition spéciale finnoise page 00215


Conclusions de l'avocat général


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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Les déclarations présentées par la commune de Carpaneto aux fins de la perception des impôts directs pour les années 1980, 1981, 1982 et 1983 ainsi que celles relatives à la taxe sur la valeur ajoutée de la commune de Rivergaro pour les années 1981, 1982, 1983 et 1985 ont toutes fait l' objet de redressements fiscaux de la part des autorités italiennes compétentes au motif qu' elles ne tiendraient pas compte des sommes d' argent ou redevances reçues au titre de certaines opérations considérées comme activités commerciales au sens de l' article 4 du décret présidentiel n° 633 du 26 octobre 1972 .

2 . Les opérations en cause étaient les suivantes : concession d' emplacements, de niches et de chapelles funéraires, concession de droit de superficie et cession en pleine propriété de terrains dans le cadre de l' aide à la construction d' immeubles d' habitation, privatisation et cession d' un tronçon routier, distribution d' eau, concession de la gestion du pesage public, cession du bois provenant de la taille d' arbres et cession d' accessoires pour niches funéraires .

3 . Devant les juridictions de renvoi, à savoir respectivement la commission fiscale d' appel ( affaire 231/87 ) et la commission fiscale de premier degré de Piacenza ( affaire 129/88 ), les communes concernées, ainsi que 23 autres communes intervenues à l' appui des conclusions de la commune de Rivergaro, ont fait valoir qu' en vertu de l' article 4, paragraphe 5, de la sixième directive du Conseil en matière de TVA ( 1 ), elles n' avaient pas la qualité d' "assujettis" pour les opérations en cause et, partant, auraient été en droit de ne pas y appliquer la TVA .

4 . L' article 4, paragraphe 5, de la sixième directive est rédigé comme suit :

"5 . Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu' ils accomplissent en tant qu' autorités publiques, même lorsque, à l' occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions .

Toutefois, lorsqu' ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d' une certaine importance .

En tout état de cause, les organismes précités ont la qualité d' assujettis notamment pour les opérations énumérées à l' annexe D et dans la mesure où celles-ci ne sont pas négligeables .

Les États membres peuvent considérer comme activités de l' autorité publique les activités des organismes précités exonérées en vertu des articles 13 ou 28 ."

5 . C' est exclusivement sur l' interprétation de cette disposition, et non sur son application concrète aux communes et aux activités en cause dans les litiges au principal, que porte la série de questions préjudicielles posées à la Cour par les juridictions nationales et reproduites au chapitre III du rapport d' audience . Elles concernent, d' une part, le problème de l' "effet direct" de l' article 4, paragraphe 5 ( question 1 dans les deux affaires ), auquel se rattache celui de la portée exacte de l' obligation de transposition en droit national de cette disposition de la directive ( questions 4 et 5 dans l' affaire 231/87 et 2 dans l' affaire 129/88 ) et, d' autre part, la notion d' activités ou opérations accomplies "en tant qu' autorités publiques" ne donnant pas lieu à assujettissement à la TVA ( question 2 dans l' affaire 231/87 ), y compris la question de savoir quelles activités ou opérations sont visées à l' alinéa 2 de la disposition en cause ( question 3 dans l' affaire 231/87 ).

6 . Avant de procéder à l' examen de ces questions dans l' ordre dans lequel elles ont été posées, signalons encore que l' observation préliminaire du gouvernement italien consistant à dire que, dans l' affaire 231/87, le litige au principal n' a pas trait à la TVA, mais aux impôts sur les revenus et que, partant, il ne serait pas "nécessaire" qu' une décision intervienne pour permettre à la juridiction nationale de "rendre son jugement" ( voir les termes de l' article 177 du traité ) ne peut pas être retenue . En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le système de l' article 177 du traité, il appartient aux juridictions nationales d' apprécier la pertinence ou la nécessité des questions préjudicielles qu' elles posent à la Cour au regard des faits de l' affaire dont elles sont saisies ( 2 ). D' ailleurs, dans son ordonnance de renvoi, la juridiction nationale a expressément relevé qu' il existe, entre les réglementations italiennes en matière de TVA et d' impôts directs, "un lien tel que, lorsqu' une opération déterminée n' est pas soumise à la TVA, les revenus qu' elle engendre ne sont pas non plus soumis à l' impôt direct, et inversement" ( voir la fin du chapitre I du rapport d' audience ).

I - L' "effet direct" de l' article 4, paragraphe 5, de la sixième directive

7 . Tandis que la question 1 dans l' affaire 231/87 tend à savoir "si le principe visé à l' article 4, paragraphe 5, alinéa 1, de la sixième directive, selon lequel les activités dites 'institutionnelles' ne sont pas soumises à la TVA, est directement applicable en l' absence d' une réglementation nationale spécifique", celle posée dans l' affaire 129/88 porte sur l' article 4, paragraphe 5, dans son ensemble . Cette façon de voir me semble particulièrement appropriée en l' espèce, tant il est vrai que le "principe" énoncé à l' alinéa 1 se trouve singulièrement aménagé et nuancé aux alinéas suivants .

8 . En effet, il y a lieu de constater que le paragraphe 5 de l' article 4 est construit, pour ainsi dire, en étages, procédant par exceptions et contre-exceptions . En outre, il utilise, à ses alinéas 2 et 3, des expressions telles que "distorsions de concurrence d' une certaine importance" ou "opérations qui ne sont pas négligeables", qui laissent une certaine marge d' appréciation à ceux qui sont appelés à les appliquer . C' est d' ailleurs notamment sur le problème de savoir si les États membres doivent simplement insérer ces critères dans leurs législations nationales ou s' ils doivent préciser les limites quantitatives qui en découlent que portent les questions 4 et 5 dans l' affaire 231/87 et 2, sous a ) et d ), dans l' affaire 129/88 .

9 . Dans l' affaire 8/81, Becker/Finanzamt Muenster-Innenstadt, la Cour avait été appelée à se prononcer sur l' effet direct d' une disposition de la sixième directive, à savoir l' article 13, partie B, sous d ), point 1 .

10 . Dans son arrêt du 19 janvier 1982 ( Rec . p . 53 ), elle a rappelé que,

"dans tous les cas où des dispositions d' une directive apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, ces dispositions peuvent être invoquées à défaut de mesures d' application prises dans les délais, à l' encontre de toute disposition nationale non conforme à la directive, ou encore en tant qu' elles sont de nature à définir les droits que les particuliers sont en mesure de faire valoir à l' égard de l' État" ( point 25 ).

11 . Cela est non seulement valable lorsque les dispositions d' une directive sont restées inexécutées à l' expiration du délai fixé pour sa mise en oeuvre, mais également au cas où un État membre n' a pas correctement exécuté une directive ( 3 ).

12 . Or, la règle figurant à l' alinéa 1 du paragraphe 5, considérée en elle-même, est suffisamment précise : les États membres doivent exclure de l' assujettissement à la TVA les activités ou opérations que les organismes de droit public accomplissent "en tant qu' autorités publiques ".

13 . Le fait que l' alinéa 1 ne précise pas quelles sont ces activités n' y change rien . Cette notion fait partie d' une disposition de droit communautaire dont l' interprétation ne saurait être laissée à la discrétion de chaque État membre ( 4 ).

14 . Mais la question est de savoir si, nonobstant les exceptions qui suivent, la règle est inconditionnelle . La Commission attire l' attention sur le fait que ces exceptions sont formulées de façon à conférer aux États membres une marge d' appréciation quant au degré d' importance des distorsions de concurrence ainsi que du caractère plus ou moins négligeable des activités figurant à l' annexe D . Tout comme la Commission, j' estime que cette marge d' appréciation confère inévitablement aux États membres la faculté de conditionner ou de restreindre le champ d' application des exceptions visées aux alinéas 2 et 3 et, par là même, celui de la règle générale visée à l' alinéa 1 de ce même paragraphe .

15 . Mais je partage aussi l' opinion de la Commission, fondée notamment sur l' arrêt Marshall ( 5 ), selon laquelle la règle définie au paragraphe 1 revêt un caractère inconditionnel et précis dans la mesure où une activité donnée ne saurait en aucun cas tomber dans le champ d' application des exceptions ( critère des "exceptions non pertinentes dans le cas d' espèce", point 54 de l' arrêt ).

16 . Tel est le cas pour une activité qui, à la fois :

- ne saurait en aucun cas donner lieu à des distorsions de concurrence parce qu' elle est, de par la loi, exclusivement réservée aux organismes de droit public;

- ne figure pas dans la liste des activités faisant l' objet de l' annexe D de la directive .

17 . En Italie, la concession d' emplacements et de niches funéraires semble remplir ces deux conditions . Par contre, la distribution de l' eau, même si elle est exclusivement réservée aux organismes de droit public, ne remplit pas la seconde condition, puisqu' elle est expressément énumérée à l' annexe D .

18 . Ainsi que nous le verrons plus loin, une activité réservée exclusivement aux organismes de droit public doit être considérée comme une activité accomplie par eux "en tant qu' autorité publique" au sens de l' alinéa 1 de l' article 4, paragraphe 5 .

19 . Nous pouvons donc en tout cas retenir que l' article 4, paragraphe 5, peut être invoqué par un organisme public pour faire valoir qu' une activité précise accomplie par lui ne saurait en aucun cas tomber dans le champ d' application des exceptions prévues aux alinéas 2 et 3 de ce paragraphe et doit dès lors bénéficier de la règle du non-assujettissement prévue au paragraphe 1 .

20 . Peut-on faire un pas de plus et dire, comme la Commission, que le bénéfice du non-assujettissement peut également être invoqué à propos d' une activité pour laquelle "la concurrence du secteur privé est incontestablement insignifiante"? Imaginons par exemple que, dans un État membre, la loi oblige les communes à organiser l' évacuation des ordures ménagères, mais n' interdise pas à des particuliers d' assurer parallèlement ce service . Une commune peut-elle réclamer le non-assujettissement de cette activité à la TVA au motif soit que, dans l' ensemble du pays, très peu de particuliers ont fait usage de cette faculté, soit que, dans sa localité, aucun particulier n' a mis sur pied un tel service et que la distorsion de concurrence qui pourrait résulter du non-assujettissement de cette activité ne revêtirait dès lors pas "une certaine importance", voire qu' elle serait nulle localement?

21 . A cet égard, il me semble tout d' abord qu' un État membre pourrait, sans violer la directive, prévoir qu' en principe cette activité est assujettie à la TVA tout en accordant à l' administration compétente la faculté d' accorder des dérogations, compte tenu des circonstances locales . Mais quelle est la situation si l' État membre n' a pas prévu de possibilité de dérogation à la règle?

22 . J' estime qu' en pareil cas une commune ne pourrait pas invoquer l' absence de distorsions de concurrence au niveau local pour demander au juge de constater que la règle arrêtée par l' État est incompatible avec la directive et doit être écartée par lui . Un État membre ne saurait être obligé de prévoir des dérogations à sa législation pour tenir compte de situations locales particulières . Il dispose à cet égard d' un pouvoir discrétionnaire .

23 . La commune pourrait-elle invoquer l' absence de distorsions de concurrence d' une certaine importance au niveau du pays dans son ensemble? Là encore, je suis de l' avis que l' État dispose d' un pouvoir discrétionnaire pour décider à partir de quel moment une distorsion de concurrence remplit cette condition . Il pourrait considérer que la distorsion est suffisamment importante à certains endroits pour justifier l' assujettissement de cette activité à la TVA dans tout le pays .

24 . Le critère d' une "distorsion de concurrence d' une certaine importance" n' est donc pas suffisamment précis pour pouvoir être invoqué par un organisme de droit public à l' encontre d' une disposition du droit national .

25 . Il nous reste à examiner si, pour l' une des activités énumérées à l' annexe D de la directive, un organisme de droit public pourrait faire valoir devant une juridiction nationale que cette activité revêt un caractère négligeable et ne devrait dès lors pas être assujettie .

26 . Afin de tenir compte de ce critère, les États membres ont plusieurs possibilités . Ils peuvent l' inscrire tel quel dans leur législation nationale et charger l' administration compétente de l' appliquer cas par cas . Ils peuvent aussi désigner les types d' activités énumérés à l' annexe D qui, d' une façon globale et pour l' ensemble du pays, sont censés revêtir une importance négligeable ( les foires locales par exemple ). Ils peuvent enfin aussi assujettir un type d' activité à la TVA tout en prévoyant un seuil en dessous duquel l' activité en question n' est pas assujettie ( par exemple, chiffre d' affaires annuel réalisé par une commune en ce qui concerne la distribution de l' eau ). Le critère du caractère négligeable de l' activité pourra donc, le cas échéant, conduire à des situations différentes de commune à commune .

27 . Mais quelle est la situation si un État ignore totalement cette disposition de la directive, c' est-à-dire s' il s' abstient à la fois de reprendre le critère du caractère négligeable tel quel dans sa législation, d' exclure de l' assujettissement des activités nommément désignées qu' il considère comme négligeables et de fixer un seuil minimal pour les activités énumérées à l' annexe D?

28 . J' estime que, dans ce cas, l' État membre n' a pas correctement transposé la directive, car celle-ci prévoit incontestablement le principe du non-assujettissement des activités énumérées à l' annexe D qui revêtent un caractère négligeable . Certes, le Conseil a peut-être ouvert la voie à des complications excessives en inscrivant ce critère dans le paragraphe 5, mais ce critère ne représente pas une faculté dont les États membres seraient libres de faire usage ou non . L' alinéa 3 du paragraphe 5 comporte clairement deux conditions cumulatives : les organismes publics "ont la qualité d' assujettis pour les opérations énumérées à l' annexe D et dans la mesure où celles-ci ne sont pas négligeables ". La conjonction "et" signifie ici "pour autant que ".

29 . Le principe ainsi établi est clair et inconditionnel . Mais il ne résulte pas de ce texte ce qu' il faut entendre par négligeable . En dernière analyse, l' obligation qui est ainsi imposée aux États membres n' est pas suffisamment précise pour pouvoir être invoquée par des organismes de droit public devant les juridictions nationales, même si l' État a été fautif en ignorant totalement cet élément de l' article 4, paragraphe 5, lors de la transposition de la directive dans son droit national . Si tel a effectivement été le cas, il appartient à la Commission d' introduire, le cas échéant, un recours en manquement contre l' État membre en question .

30 . En conséquence, je propose de répondre comme suit à la question 1 posée dans les deux affaires :

"L' article 4, paragraphe 5, de la directive 77/388 peut être invoqué par un organisme de droit public devant les juridictions nationales pour s' opposer à l' application d' une disposition nationale qui l' assujettit à la TVA en ce qui concerne une activité ne figurant pas à l' annexe D de la directive et dont l' exercice est réservé exclusivement aux organismes de droit public ."

II - La notion d' activités ou opérations accomplies "en tant qu' autorités publiques"

31 . Par la question 2 posée dans l' affaire 231/87, la juridiction nationale demande à savoir "si, par l' expression 'activités ou opérations qu' ils accomplissent en tant qu' autorités publiques' visées à l' article 4, paragraphe 5, alinéa 1 ( de la sixième directive ), le législateur communautaire a voulu définir les activités que les autorités publiques exercent directement et exclusivement et en vertu de leur pouvoir de souveraineté, fût-il dérivé ".

32 . Je crois qu' il faut interpréter cette question en ce sens que le juge national voudrait savoir si les activités que les organismes de droit public exercent directement et exclusivement et en vertu de leur pouvoir de souveraineté constituent :

- des activités accomplies en tant qu' autorité publique,

- qui ne peuvent en aucun cas donner lieu à assujettissement à la TVA .

33 . Je vais donc examiner successivement quels sont les critères qui permettent de déterminer ce qu' il faut entendre par "activité accomplie en tant qu' autorité publique" ( section A ) et dans quels cas une telle activité tombe nécessairement sous la règle du non-assujettissement à la TVA établie par l' alinéa 1 du paragraphe 5 de l' article 4 ( section B ).

A - Les activités ou opérations accomplies en tant qu' autorité publique

34 . Dans son arrêt du 26 mars 1987 dans l' affaire "notaires et huissiers de justice" ( 6 ), la Cour a confirmé, par référence à son arrêt du 7 juillet 1985, Commission/Allemagne ( 7 ), que

"les organismes de droit public ne sont pas automatiquement exonérés pour toutes les activités qu' ils accomplissent, mais seulement pour celles qui relèvent de leur mission spécifique d' autorité publique" ( point 21 ).

35 . Il découle accessoirement de cette constatation de la Cour que le fait qu' une activité soit accomplie directement par la commune elle-même ne permet pas, à lui seul, de conclure qu' elle relève de la mission spécifique d' autorité publique de celle-ci . ( Parmi les activités "accomplies directement", il faut, à mon avis, aussi inclure celles accomplies par l' intermédiaire d' entreprises municipales, aussi longtemps que cela se fait au nom et pour le compte de la commune .)

36 . Relèvent, par contre, incontestablement de la mission spécifique d' autorité publique de la commune les activités exercées par elle en vertu du "pouvoir de souveraineté ". Que faut-il entendre par là?

37 . Comme la Commission, je voudrais proposer de retenir, à cet égard, la définition proposée par l' avocat général M . G . F . Mancini dans ses conclusions relatives à l' affaire 307/84, Commission/République française, à savoir que cette notion vise les activités qui se traduisent "par des actes de volonté qui s' imposent aux particuliers en ce sens qu' ils exigent leur obéissance ou, s' ils n' obéissent pas, les contraignent à s' y conformer" ( Rec . 1986, p . 1725, 1732 ).

38 . Le pouvoir de souveraineté s' exprime concrètement par le truchement d' autorisations, licences, permis, concessions, inscriptions dans des registres, délivrance de copies certifiées conformes, sanctions pour non-observation de lois ou de règlements, etc .

39 . Si les "activités exercées en vertu du pouvoir de souveraineté" constituent donc dans tous les cas des "activités accomplies en tant qu' autorité publique", cette dernière notion recouvre cependant encore d' autres types d' activités . La notion d' "activités ou opérations accomplies en tant qu' autorité publique" et celle d' "activités exercées en vertu du pouvoir de souveraineté ou de la puissance publique" ne sont en effet pas synonymes .

40 . Cela résulte clairement des travaux préparatoires de la sixième directive . Dans le commentaire qu' elle avait donné à l' article 4 lors de la présentation de sa proposition de sixième directive ( 8 ), la Commission avait affirmé que

"les personnes de droit public doivent être considérées comme des assujettis dans la mesure où elles exercent des activités économiques, détachables en fait de la notion d' autorité publique, c' est-à-dire des activités qui seraient susceptibles d' être exercées par des personnes de droit privé sans porter atteinte aux attributions fondamentales et au pouvoir des États, des provinces, des communes et des autres collectivités de droit public en matière d' administration générale, de justice, de sécurité ou de défense nationale ".

41 . Toutefois, l' article 4, paragraphe 5, tel que la Commission l' avait proposé, était différent de celui qui a été finalement adopté . Il était libellé comme suit :

"Les États, les provinces, les communes et les organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités qu' ils exercent en tant qu' autorités publiques . Toutefois, s' ils effectuent des opérations visées au paragraphe 1, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces opérations ..." ( 9 ).

42 . Les "opérations visées au paragraphe 1" étaient des "opérations relevant d' une activité économique mentionnée au paragraphe 2", qui, lui, définissait les "activités économiques visées au paragraphe 1" dans les mêmes termes que le paragraphe 2 de l' article 4 actuel, c' est-à-dire "toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services ". La proposition de la Commission distinguait ainsi clairement entre les activités exercées en tant qu' autorités publiques et les activités économiques, et elle donnait à la première notion le sens d' activités relevant de l' exercice de la puissance publique ou du pouvoir de souveraineté .

43 . Force est donc de constater que, en adoptant l' article 4, paragraphe 5, dans sa forme actuelle, le Conseil s' est délibérément écarté de cette distinction nette et qu' il a donné à la notion d' "activités ou opérations accomplies en tant qu' autorités publiques" une signification plus large, englobant d' autres activités que celles relevant des seules attributions fondamentales de la puissance publique dans les domaines de l' administration générale, de la justice, de la sécurité ou de la défense nationale . Le Conseil a ainsi opté pour une solution médiane entre, d' une part, la proposition extrême de la Commission, visant à assujettir à la TVA l' ensemble des activités à caractère économique des organismes de droit public et, d' autre part, la deuxième directive en matière de TVA ( 10 ), dans le cadre de laquelle les États membres avaient la faculté de ne pas assujettir à la TVA les organismes de droit public pour ces mêmes activités ( voir les deux derniers alinéas du point 2 de l' annexe A de cette directive, annexe qui, en vertu de l' article 20, en faisait partie intégrante ).

44 . Il est donc clair que certaines des activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services ( voir les paragraphes 1 et 2 de l' article 4 ), accomplies par les communes, doivent être considérées comme des "activités accomplies en tant qu' autorités publiques ". Mais comment peut-on les reconnaître?

45 . A cet égard, plusieurs critères ont été proposés par les différentes parties au litige, les gouvernements italien et néerlandais et la Commission .

46 . La commune de Rivergaro a avancé celui du but poursuivi . Mais, à l' audience, la Commission a, à juste titre, relevé que, dans son arrêt "notaires et huissiers de justice", précité, la Cour a constaté que la notion d' activité économique a un "caractère objectif, en ce sens que l' activité est considérée en elle-même, indépendamment de ses buts ou de ses résultats" ( point 8 ). Cela doit également valoir pour une activité économique accomplie par un organisme public en tant qu' autorité publique . Pratiquement toute activité accomplie par une commune poursuit un but d' intérêt général, y compris la fourniture d' eau ou la mise en place d' un réseau de transport . L' alinéa 3 du paragraphe 5 et l' annexe D prévoient cependant que, pour de telles activités, les communes ont le caractère d' assujettis . D' autre part, parmi les exonérations prévues à l' article 13 figure un nombre appréciable d' activités pouvant être entreprises également par des organismes publics (( voir la partie A, paragraphe 1, sous b ), g ) et h ) )) dans un but d' intérêt général pour satisfaire des besoins essentiels des individus ( 11 ) ou de la collectivité ( 12 ) (( sous i ) )). L' article 4, paragraphe 5, dernier alinéa, ne fait que permettre aux États membres de les considérer comme activités de l' autorité publique, et ne le leur impose pas .

47 . Je ne suis pas non plus convaincu que le renvoi à l' arrêt de la Cour du 8 mai 1988, Apple and Pear Development Council ( 102/86, Rec . 1988, p . 0000 ), que la Commission a fait dans ses observations écrites dans l' affaire 129/88 à l' appui des critères qu' elle avait proposés dans le cadre de l' affaire 231/87, soit nécessairement pertinent en l' occurrence .

48 . Dans l' affaire Apple and Pear, il s' agissait d' interpréter l' article 2 de la sixième directive afin de déterminer si l' exercice par le Development Council des fonctions qui lui sont assignées par la loi et le fait d' imposer à ses membres une taxe annuelle obligatoire pour subvenir aux frais administratifs et autres encourus ou qui seront encourus dans l' exercice de ces fonctions constituent des "... prestations de services, effectuées à titre onéreux", c' est-à-dire une des opérations imposables au sens dudit article . Dans les présentes affaires, il s' agit d' interpréter l' article 4, paragraphe 5, afin de savoir si un organisme public a ou n' a pas la qualité d' assujetti pour certaines activités qu' il accomplit .

49 . Il est vrai que, dans ses conclusions du 28 octobre 1987 dans l' affaire Apple and Pear, l' avocat général Sir Gordon Slynn a estimé qu' il y a un lien entre les notions d' opérations imposables et d' assujettis en ce sens que, "pour qu' il y ait assujettissement à la TVA, il doit y avoir à la fois une transaction et une personne imposables" ( 13 ). Mais il a toutefois précisé que ce sont des "notions distinctes" ( p . 7 du texte ronéotypé ) et, plus loin, a souligné leur caractère autonome en constatant que, si, comme il l' a proposé, les transactions en question ne sont pas des prestations de services effectuées à titre onéreux, "il n' y a alors pas d' assujettissement à la TVA, même si la personne impliquée dans les activités est une personne assujettie" ( p . 18 du texte ronéotypé ).

50 . D' ailleurs, contrairement à ce que semble penser la Commission, je ne crois pas que ce soit le caractère obligatoire, c' est-à-dire non contractuel, mais légal, des taxes en question ni même le fait que leur montant ne reflète pas la valeur économique des services fournis qui ont été déterminants pour la décision de la Cour . D' une part, en effet, il résulte de la deuxième partie du point 15 de l' arrêt que ce n' est pas parce que le producteur individuel est obligé de payer la taxe, mais parce qu' il doit la payer "indépendamment de la question de savoir si un service spécifique du Council lui confère ou non un avantage" que la Cour a conclu à l' absence d' un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue . D' autre part, selon la jurisprudence de la Cour ( 14 ), qui vient encore d' être confirmée dans un arrêt du 23 novembre 1988 ( 15 ), "cette contre-valeur est une valeur subjective, puisque la base d' imposition est la contrepartie réellement reçue, et non une valeur estimée selon des critères objectifs" ( point 16 ). C' était donc plutôt en raison de l' absence de relation nécessaire entre les avantages et leur contre-valeur qu' en raison du déséquilibre entre le niveau des deux que la Cour a jugé que "des taxes obligatoires telles que celles imposées aux producteurs ne constituent pas une contre-valeur ayant un lien direct avec les avantages qui reviennent aux producteurs individuels en raison de l' exercice de ses fonctions par le Council" ( point 16 de l' arrêt Apple and Pear ). Cela me semble d' autant plus vrai que le premier argument sur lequel la Cour s' est basée tenait précisément au fait que lesdits avantages profitent à l' ensemble du secteur concerné, et non nécessairement à chaque producteur individuel ( voir le point 14 ).

51 . Enfin, la thèse de la Commission ne me semble pas exempte de toute contradiction, car, tout en voulant voir un indice du caractère d' autorité publique d' une activité dans le fait que des redevances ou cotisations payées ne représentent pas la contre-valeur de la prestation servie, "mais la quote-part des dépenses inhérentes à la prestation de services que le législateur a entendu mettre unilatéralement à la charge du destinataire sur la base de considérations de nature fiscale, sociale ou autres" ( p . 29 du rapport d' audience, version ronéotypée ), elle s' est opposée à l' audience - à juste titre - au critère lié aux modalités de calcul de la contrepartie proposée par la commune de Rivergaro, selon lequel relèverait d' une activité de puissance publique l' activité pour laquelle un organisme public obtient une contrepartie "régie de manière autoritaire, ( et dès lors ) qu' il s' agit d' un prix imposé ou politique, fixé non pas en tenant compte de la valeur de marché du service rendu, mais sur la base de critères politiques sans rapport direct avec la valeur du marché de ce service" ( p . 21 du rapport d' audience, version ronéotypée ).

52 . J' ajoute que, si l' on voulait retenir ce critère, une commune ne pourrait jamais être soumise à la TVA pour les services de transport, les piscines, les théâtres et les musées qu' elle crée, car le prix demandé à l' utilisateur est presque toujours un "prix politique", c' est-à-dire un prix qui ne correspond pas au coût de revient de la prestation fournie .

53 . Pour les raisons que je viens d' indiquer et pour celles mentionnées dans le contexte de l' examen du critère du but poursuivi ( 16 ), je suis donc d' avis qu' il ne faudrait pas voir, dans les modalités de fixation ( unilatérale et autoritaire ) ou de calcul de la contre-valeur obtenue par l' organisme public, un critère décisif en vue de la définition des activités accomplies "en tant qu' autorité publique ".

54 . Qu' en est-il du critère du caractère obligatoire de l' exercice des activités par l' organisme de droit public mis en avant par la Commission? Cette institution propose de considérer comme activités accomplies en tant qu' autorité publique par un organisme de droit public celles "qui entrent dans les attributions absolument nécessaires aux fins de l' objectif public pour lequel l' organisme a été constitué" (( voir le point 10, partie B, sous a ), de ses observations écrites dans l' affaire 231/87, p . 35 )) ou bien celles qui résultent d' "obligations imposées par l' ordre juridique de l' État à laquelle il ( lui ) est impossible de se soustraire" ( réponse proposée à la question 2 dans l' affaire 231/87 ).

55 . J' estime moi aussi que les activités ainsi définies ou, pour reprendre l' expression utilisée par le gouvernement néerlandais, celles qui sont exercées en vertu d' un "mandat conféré par le législateur" constituent en tout cas des activités accomplies "en tant qu' autorité publique", même si elles ne sont pas exclusivement réservées aux organismes de droit public .

56 . Du moment que le législateur estime qu' une activité donnée revêt une telle importance du point de vue du bien du public qu' elle doit en tout cas être assurée par les communes ou par d' autres organismes de droit public, elle devient nécessairement une activité accomplie par ces organismes en tant qu' autorité publique .

57 . La Commission a encore évoqué les activités accomplies au moyen d' actes ou de comportements unilatéraux qui sont l' expression de prérogatives exorbitantes du droit commun ( concessions par exemple ). Là encore, je partage l' avis de la Commission que de telles activités sont accomplies par les organismes de droit public "en tant qu' autorités publiques ".

58 . Enfin, il y a lieu de considérer que toute activité - même non obligatoire ou non accomplie au moyen de prérogations de droit public - dont l' exercice est réservé exclusivement aux communes ou à d' autres organismes de droit public, par la Constitution, la loi ou une autre disposition d' une force équivalente, doit être considérée comme accomplie par eux "en tant qu' autorités publiques ". On est en effet en droit de considérer que ces activités ont été réservées aux organismes de droit public en raison des missions spécifiques qui leur incombent ou en raison des garanties particulières qu' ils offrent en ce qui concerne la bonne exécution de ces activités .

59 . Je vous propose ainsi de retenir quatre critères alternatifs qui permettent de "reconnaître" qu' on est en présence d' une telle activité, à savoir :

- l' exercice du pouvoir de souveraineté;

- le caractère obligatoire de l' activité;

- l' utilisation de prérogatives exorbitantes du droit commun;

- le caractère de monopole légal de l' activité en question .

60 . Mais ce que les juridictions nationales voudraient savoir, c' est s' il existe aussi des critères qui permettent de déterminer de façon certaine qu' une activité ressortissant à l' une de ces catégories ne saurait donner lieu à assujettissement à la TVA .

B - Les activités accomplies en tant qu' autorité publique qui ne sauraient en aucun cas donner lieu à assujettissement

61 . Rappelons-nous tout d' abord que l' article 4, paragraphe 5, de la sixième directive établit un principe général et une exception .

62 . Le principe général, c' est que, pour les activités ou opérations qu' ils accomplissent en tant qu' autorité publique, les organismes de droit public ne sont pas assujettis à la TVA .

63 . L' exception, c' est qu' ils y sont quand même assujettis dans les cas où leur non-assujettissement serait de nature à conduire à des distorsions de concurrence d' une certaine importance .

64 . Il appartient donc aux États membres de déterminer quelles sont les activités pour lesquelles des distorsions de concurrence d' une certaine importance seraient à craindre si les organismes publics qui les accomplissent n' étaient pas assujettis à cet égard à la TVA . En règle générale, le problème ne peut donc être résolu qu' au moyen d' une appréciation faite par l' État membre pour chacune de ces activités . Cette appréciation peut d' ailleurs aboutir à des résultats différents selon les États membres .

65 . Il existe cependant une hypothèse dans laquelle aucune distorsion de concurrence ne saurait apparaître, à savoir celle où la Constitution, la loi ou une disposition ayant une force équivalente réserve l' exercice de l' activité en question exclusivement aux organismes de droit public .

66 . Comme nous venons de le voir, de telles activités doivent de toute façon aussi être considérées comme étant accomplies par les organismes de droit public "en tant qu' autorités publiques ". Nous détenons ainsi un critère sûr qui permet de déterminer les activités au titre desquelles un organisme de droit public ne saurait jamais être assujetti à la TVA . En Italie, les concessions pour emplacements ou niches funéraires semblent constituer un exemple typique à cet égard .

67 . Il existe cependant aussi une exception au critère de l' exclusivité . L' annexe D à la sixième directive énumère en effet des activités qui doivent en tout état de cause être assujetties à la TVA ( sauf si elles sont négligeables ). Or, il se peut que, dans un État membre, l' une ou l' autre de ces activités soit réservée exclusivement aux communes . Tel semble être le cas en Italie en ce qui concerne la distribution de l' eau . Dans pareil cas, le critère de l' exclusivité n' est donc pas déterminant pour savoir s' il y a assujettissement ou non . L' alinéa 3 du paragraphe 5 constitue ainsi une disposition très particulière qui énumère, d' un côté, les cas pour lesquels l' existence d' une distorsion de concurrence est pour ainsi dire présumée, mais, d' un autre côté, aussi des cas qui donnent lieu à assujettissement même si aucune distorsion de concurrence n' est à craindre . En fait, il est assez évident que l' article 4, paragraphe 5, à force de faire l' objet d' amendements au cours de la négociation, a perdu toute structure logique rigoureuse . Cela résulte aussi de l' utilisation, dans les versions française, grecque, néerlandaise et portugaise de l' alinéa 3, de l' expression "notamment", qui n' a guère de sens dans une phrase qui se réfère aux activités qui doivent "en tout état de cause" être assujetties à la TVA . Comme, de plus, une expression équivalant à "notamment" ne figure pas dans les versions allemande, anglaise, danoise, espagnole et italienne, j' estime qu' il n' y a pas lieu d' y attacher beaucoup d' importance .

68 . On pourrait encore se demander si les activités exercées en vertu du pouvoir de souveraineté ne doivent pas - ipso facto - être considérées comme non assujetties . Tel ne me semble pas pouvoir être le cas, même si ces activités ne donneront que très rarement lieu à assujettissement .

69 . En effet, la plupart de ces activités ne sont pas des activités économiques et elles ne sauraient dès lors, pour ce motif déjà, donner lieu à assujettissement . Elles sont aussi pour la plupart réservées exclusivement aux organismes de droit public et, dans ce cas, le critère susmentionné joue . Mais, ainsi que l' a montré l' affaire 235/85, dite des "notaires et huissiers de justice", il n' est pas exclu que certaines activités relevant de l' exercice de la puissance publique soient accomplies parallèlement par des personnes privées et par des organismes de droit public . Il pourrait donc devenir nécessaire d' assujettir ces derniers organismes à la TVA pour éviter une distorsion de concurrence d' une certaine importance . Le critère de l' exercice du pouvoir de souveraineté ou de la puissance publique ne saurait donc suffire à lui seul .

70 . Quant aux activités obligatoires, celles que la loi impose aux organismes de droit public d' exercer, il n' est pas non plus possible de conclure qu' elles doivent nécessairement être exclues d' un assujettissement à la TVA puisque l' initiative privée pourrait entrer en concurrence avec l' organisme public ( la loi pourrait, par exemple, obliger les départements ou autres entités régionales à organiser un service de liaison par bateau entre le continent et les îles avoisinantes, sans défendre à des particuliers de mettre sur pied un service concurrent ).

71 . L' appréciation est plus difficile en ce qui concerne les activités accomplies au moyen d' actes ou de comportements unilatéraux qui sont l' expression de prérogatives exorbitantes du droit commun . Les cas où la même activité peut être accomplie par des particuliers à l' aide des instruments de droit privé sont probablement assez rares . Il ne me semble cependant pas possible d' exclure a priori que de tels cas puissent exister et que des distorsions de concurrence puissent dès lors se produire .

72 . On est donc en fin de compte obligé de constater que le seul critère qui permet d' affirmer à coup sûr qu' une activité accomplie par un organisme de droit public ne saurait être assujettie à la TVA est le fait que cette activité est réservée exclusivement à de tels organismes . Si j' ai bien compris la Commission, celle-ci propose d' utiliser cet indice cumulativement avec deux autres . Or, si le critère de l' exclusivité est réalisé, d' autres critères ne sont plus nécessaires, car il ne saurait y avoir, dans ce cas, distorsion de concurrence .

73 . La même remarque vaut en ce qui concerne le libellé de la question 2 posée par la juridiction nationale qui nous occupe ici . Celle-ci se réfère à des activités qui sont exercées par les organismes publics directement, exclusivement et en vertu de leur pouvoir de souveraineté .

74 . Si, par l' expression "exclusivement", la juridiction a entendu se référer à des activités réservées aux organismes de droit public par la loi ( exclusivité "de jure" et non "de facto "), alors cette question doit certainement recevoir une réponse affirmative . Mais il me semble possible de donner à la juridiction nationale une réponse plus large en lui indiquant qu' il suffit qu' une activité soit réservée exclusivement aux organismes de droit public pour qu' elle ne puisse pas donner lieu à assujettissement, même si cette activité n' est pas exercée en vertu de pouvoir de souveraineté .

75 . Comme nous l' avons vu ci-dessus, il faut cependant mettre à part les activités énumérées à l' annexe D qui, à condition d' être non négligeables, sont toujours assujetties à la TVA même si l' une ou l' autre d' entre elles est exclusivement réservée aux organismes de droit public .

76 . En conséquence, je vous propose de donner la réponse suivante à la question 2 posée dans le cadre de l' affaire 231/87 :

"L' article 4, paragraphe 5, alinéa 1, est à interpréter en ce sens que les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sauraient en aucun cas être considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations dont l' exercice leur est réservé à titre exclusif, sauf si ces activités ou opérations sont énumérées à l' annexe D de la sixième directive ."

III - La question 3 posée dans le cadre de l' affaire 231/87

77 . Cette question tend à savoir

"si, ayant établi que les activités institutionnelles sont exercées exclusivement par les autorités publiques, l' expression 'de telles activités' employée à l' alinéa 2 de l' article 4, paragraphe 5, vise les opérations résiduelles relatives aux services publics qui sont réglées en Italie par le décret royal n° 2578 du 15 octobre 1925 ".

78 . Dans le cadre d' un recours préjudiciel, la Cour ne saurait qualifier les dispositions d' un texte de droit national au regard du droit communautaire . Il est par contre possible de fournir aux juridictions nationales des critères leur permettant de déterminer dans quels cas une activité relève d' une certaine disposition du droit communautaire .

79 . Or, il résulte de l' analyse faite à propos de la question 2 que l' expression "de telles activités", utilisée à l' alinéa 2, se réfère aux activités ou opérations accomplies par les organismes de droit public en tant qu' autorités publiques, c' est-à-dire celles impliquant l' exercice du pouvoir de souveraineté, celles accomplies en vertu d' une obligation imposée par l' ordre juridique de l' État auxquelles il leur est impossible de se soustraire ou celles accomplies au moyen d' actes ou de comportements unilatéraux impliquant des prérogatives qui sont exorbitantes du droit commun, pour autant que ces activités ne sont pas exclusivement réservées à ces organismes . C' est ce que je propose de répondre à cette question .

80 . Il va, à mon avis, de soi que l' alinéa 2 du paragraphe 5 de l' article 4 ne vise que des activités ou des opérations pour lesquelles un organisme public perçoit une contre-valeur de quelque nature que ce soit, car seules "les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux à l' intérieur du pays" tombent dans le champ d' application de la TVA ( article 2 de la sixième directive ).

IV - Obligations des États membres relatives au mode de transposition de la directive

81 . Les questions 4 et 5 posées par la commission fiscale de deuxième degré de Piacenza ( affaire 231/87 ) et la question 2 posée par la commission fiscale de premier degré de Piacenza ( affaire 129/88 ) concernent la façon dont les États membres devaient transposer dans le droit national les dispositions de l' article 4, paragraphe 5 . En substance, toutes ces questions soulèvent les quatre problèmes suivants .

82 . a ) Les États membres étaient-ils tenus de poser le principe général énoncé à l' article 4, paragraphe 5, alinéa 1, en précisant les critères spécifiques permettant de déterminer les activités exercées par les communes "en tant qu' autorités publiques"?

83 . En vertu de l' article 189, alinéa 3, du traité, les États membres ont le devoir de prendre toutes les mesures qui sont nécessaires afin d' assurer que le résultat visé par la directive puisse être atteint . Par contre, ils sont seuls compétents pour choisir la forme et les moyens à l' aide desquels cette obligation doit être respectée .

84 . L' un des moyens en vue d' atteindre le résultat visé par l' article 4, paragraphe 5, de la sixième directive en matière de TVA peut consister à reprendre tout simplement dans la législation nationale le principe posé à l' alinéa 1 de cette disposition . L' État membre est libre d' y ajouter ou non des critères spécifiques permettant de déterminer non seulement quelles sont les activités qui sont accomplies par les organismes de droit public "en tant qu' autorités publiques", mais surtout celles d' entre elles qui doivent donner lieu à assujettissement à la TVA .

85 . Une méthode plus simple peut dès lors consister à arrêter une liste des activités en question . Cela peut se faire cumulativement avec la reprise du principe général ou alternativement à une telle reprise .

86 . b ) Les États membres étaient-ils tenus d' exclure de l' imposition les activités publiques qui, bien qu' elles puissent être qualifiées de commerciales selon la législation nationale, revêtent le caractère d' activités de puissance publique?

87 . Nous avons vu que la notion d' "activités ou opérations accomplies en tant qu' autorité publique" a pris, dans le texte adopté par le Conseil, une portée plus large que celle qu' elle avait dans la proposition de la Commission et qu' elle couvre à la fois des activités exercées par les organismes publics en vertu de leur pouvoir de souveraineté ( iure imperii ) et des activités pouvant être qualifiées d' économiques, c' est-à-dire des activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, selon la définition figurant au paragraphe 2 de l' article 4 .

88 . Il résulte de l' article 4, paragraphe 5, que les États membres sont également tenus de ne pas assujettir à la TVA des activités qualifiées de commerciales par la législation nationale si ces activités remplissent les critères dégagés en réponse à la question 2 posée dans le cadre de l' affaire 231/87 .

89 . c ) Les États membres avaient-ils l' obligation d' insérer dans leur législation fiscale le critère de "distorsion de concurrence d' une certaine importance" ( question 4 dans l' affaire 231/87 ) ou étaient-ils tenus de ne pas soumettre à l' impôt les activités accomplies par les organismes de droit public en tant qu' autorités publiques lorsqu' elles ne conduisent pas à des distorsions de concurrence d' une certaine importance en précisant les limites quantitatives qui s' imposent (( question 2, sous c ), dans l' affaire 129/88 ))?

90 . Ainsi que je l' ai déjà signalé plus haut, la disposition qui nous occupe pose un principe et prévoit une exception . Le principe impose aux États membres l' obligation de prendre toutes les dispositions appropriées afin que les activités correspondant à la définition de l' alinéa 1 du paragraphe 5 ne soient pas assujetties à la TVA, à moins que ce non-assujettissement ne soit susceptible de conduire à des distorsions de concurrence d' une certaine importance .

91 . Les États membres sont évidemment libres de rappeler cette exception dans leurs législations nationales, mais, à lui seul, un tel rappel laisserait trop d' incertitudes à la fois pour l' administration compétente et pour les organismes de droit public concernés .

92 . D' autre part, il n' est guère concevable que la simple fixation d' une limite quantitative, sans autre précision, soit de nature à lever ces incertitudes . La distorsion de concurrence est en effet une notion qui ne se prête guère à une évaluation chiffrée valable pour toutes les activités économiques susceptibles d' être exercées par des organismes de droit public . Je ne vois pas comment les États membres pourraient faire autre chose que d' arrêter soit une liste positive des activités non-assujetties à la TVA, soit une liste négative des activités assujetties ( formule choisie par le ministère italien des Finances ), soit les deux . La liste négative est évidemment celle des activités censées créer des distorsions importantes de la concurrence . S' il devait néanmoins apparaître que l' une des activités inscrites sur cette liste ne saurait en aucun cas donner lieu à une distorsion ( tout en constituant une activité accomplie "en tant qu' autorité publique "), l' État membre aurait, à cet égard, mal exécuté les obligations découlant de la directive .

93 . d ) Les États membres doivent-ils insérer dans leur législation fiscale le critère du caractère "non négligeable" de certaines activités ( question 5 dans l' affaire 231/87 ) ou sont-ils tenus de fixer un seuil de non-assujettissement pour les activités énumérées à l' annexe D (( question 2, sous d ), dans l' affaire 129/88 ))?

94 . Ainsi que je l' ai déjà constaté ci-dessus à propos du problème de l' "effet direct", les activités énumérées à l' annexe D ne doivent être assujetties à la TVA que pour autant qu' elles ne sont pas négligeables . Quant à la mise en oeuvre de ce principe, les États membres disposent de plusieurs possibilités . L' une de celles-ci consiste dans la fixation d' un seuil de non-assujettissement .

95 . Je propose dès lors de donner aux deux juridictions italiennes les réponses additionnelles figurant aux points 4, 5 et 6 de la conclusion générale .

Conclusion

Pour toutes les raisons exposées ci-dessus, je propose de répondre comme suit aux questions posées :

"1 ) L' article 4, paragraphe 5, de la directive 77/388 peut être invoqué par un organisme de droit public devant les juridictions nationales pour s' opposer à l' application d' une disposition nationale qui l' assujettit à la TVA en ce qui concerne une activité ne figurant pas à l' annexe D de la directive et dont l' exercice est réservé exclusivement aux organismes de droit public .

2 ) L' article 4, paragraphe 5, alinéa 1, est à interpréter en ce sens que les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sauraient en aucun cas être considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations dont l' exercice leur est réservé à titre exclusif, sauf si ces activités ou opérations sont énumérées à l' annexe D de la sixième directive .

3 ) L' expression 'de telles activités' utilisée à l' alinéa 2 se réfère aux activités ou opérations accomplies par les organismes de droit public en tant qu' autorités publiques, c' est-à-dire celles impliquant l' exercice du pouvoir de souveraineté, celles accomplies en vertu d' une obligation imposée par l' ordre juridique de l' État auxquelles il leur est impossible de se soustraire ou celles accomplies au moyen d' actes ou de comportements unilatéraux impliquant des prérogatives qui sont exorbitantes du droit commun, pour autant que ces activités ne sont pas exclusivement réservées à ces organismes .

4 ) L' article 4, paragraphe 5, alinéa 1, doit être interprété en ce sens qu' il oblige les États membres à prendre les dispositions qu' ils jugent les plus appropriées afin que les activités ou opérations accomplies par les organismes publics en tant qu' autorités publiques ne soient pas assujetties à la TVA pour autant qu' elles ne tombent pas sous les exceptions prévues aux alinéas 2 et 3 .

5 ) L' article 4, paragraphe 5, alinéa 2, de la sixième directive TVA ne comporte pas, pour les États membres, l' obligation de transposer littéralement dans leur droit national le critère relatif aux 'distorsions de concurrence d' une certaine importance' . Par contre, ils sont tenus d' appliquer dans la pratique ce critère et de procéder à une appréciation concrète de la situation de la concurrence selon les formes et avec les moyens jugés les mieux appropriés en assujettissant à la TVA les activités ou opérations accomplies par les organismes de droit public en tant qu' autorités publiques chaque fois que le non-assujettissement de telles activités ou de telles opérations serait susceptible de provoquer des distorsions de concurrence d' une certaine importance .

6 ) L' article 4, paragraphe 5, alinéa 3, ne comporte pas l' obligation, pour les États membres, de transposer littéralement dans leur droit national le critère relatif à l' importance 'négligeable' des activités énumérées à l' annexe D de la directive; la disposition susmentionnée oblige cependant les États membres à ne pas assujettir à la TVA, selon les formes et les moyens qu' ils jugent les plus appropriés, celles des activités accomplies par les organismes de droit public visées à l' annexe D qui sont négligeables ."

(*) Langue originale : le français .

( 1 ) Sixième directive du Conseil ( 77/388/CEE ), du 17 mai 1977, en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires - système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme ( JO L 145 du 13.6.1977, p . 1 ).

( 2 ) Voir, notamment, arrêt du 14 juillet 1988, Smanor, 298/87, Rec . 1988, p . 0000, point 9, et arrêt du 29 septembre 1987, Gimenez Zaera, 126/86, Rec . 1987, p . 3697, point 7 .

( 3 ) Voir, en ce sens, outre le point 20 de l' arrêt Becker, l' arrêt Marshall du 26 février 1986, 152/84, Rec . 1986, p . 723, 748, point 46, et l' arrêt Borrie Clarke du 24 juin 1987, 384/85, Rec . 1987, p . 2865, point 11 .

( 4 ) Voir, à titre de précédent, pour la notion de "contre-valeur" utilisée à l' article 8, sous a ), de la deuxième directive, l' arrêt de la Cour du 5 février 1981 dans l' affaire 154/80, Staatssecretaris van Financiën/Cooperatieve Aardappelenbewaarplaats, Rec . 1981, p . 445, point 9 . Voir aussi, pour la notion d' "évasion fiscale" figurant à l' article 27, paragraphe 1, de la sixième directive, l' arrêt de la Cour du 12 juillet 1988 dans les affaires jointes 138 et 139/86, Direct Cosmetics Ltd et Laughtons Photographs Ltd/Commissioners of Customs and Excise, Rec . 1988, p . 0000, point 20 .

( 5 ) Arrêt du 26 février 1986, 152/84, Rec . 1986, p . 723, 750 .

( 6 ) Affaire 235/85, Commission/Pays-Bas, Rec . 1987, p . 1471 .

( 7 ) Affaire 107/84, Rec . 1985, p . 2655 .

( 8 ) Bulletin des Communautés européennes - Supplément 11/73, p . 9 .

( 9 ) Bulletin des Communautés européennes - Supplément 11/73, p . 36 .

( 10 ) Deuxième directive du Conseil ( 67/228/CEE ), du 11 avril 1967, en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires - Structure et modalités d' application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée ( JO du 14.4.1967, p . 1303 ).

( 11 ) Voir en haut de la page 22 du rapport d' audience, version ronéotypée .

( 12 ) Voir en haut de la page 19 du rapport d' audience, version ronéotypée .

( 13 ) Pour les opérations imposables effectuées à l' intérieur du pays, cela résulte clairement du texte même de l' article 2 . Par ailleurs, les importations de biens sont taxables sans qu' elles doivent être effectuées par un assujetti au sens de l' article 4 .

( 14 ) Voir arrêt du 5 février 1981, 154/80, Staatssecretaris van Financiën/Cooeperatieve Aardappelenbewaarplaats, Rec . 1981, p . 445, point 13 .

( 15 ) Affaire 230/87, Naturally Yours Cosmetics Ltd/Commissioners of Customs and Excise, Rec . 1988, p . 0000 .

( 16 ) Il y a également lieu de noter que l' article 4, paragraphe 1, vise les activités économiques "quels que soient les buts ou les résultats de cette activité" et que le paragraphe 2 parle de "recettes" sans préciser qu' elles doivent correspondre à la valeur économique réelle de l' opération entreprise .