52005DC0152

Communication de la Commission - Mobiliser les cerveaux européens: permettre aux universités de contribuer pleinement à la stratégie de Lisbonne {SEC(2005) 518} /* COM/2005/0152 final */


Bruxelles, le 20.4.2005

COM(2005) 152 final

COMMUNICATION DE LA COMMISSION

Mobiliser les cerveaux européens:permettre aux universités de contribuer pleinement à la stratégie de Lisbonne

{SEC(2005) 518}

COMMUNICATION DE LA COMMISSION

Mobiliser les cerveaux européens: permettre aux universités de contribuer pleinement à la stratégie de Lisbonne

"La quête de connaissances a toujours été au cœur de l'aventure européenne. Elle a contribué à définir notre identité et nos valeurs, et elle est la force motrice de notre future compétitivité" [1].

1. LES UNIVERSITÉS SONT ESSENTIELLES POUR ATTEINDRE LES OBJECTIFS DE LISBONNE

Au cours des vingt prochaines années, le paradigme économique de l'Europe changera fondamentalement. Sa base manufacturière continuera de se rétrécir, la croissance et la protection sociale seront de plus en plus tributaires des industries et services à forte intensité de connaissances et un nombre croissant d'emplois requerront des qualifications de niveau universitaire. Toutefois, les universités[2] européennes, qui sont les moteurs du nouveau paradigme fondé sur la connaissance, ne sont pas en mesure de mettre tout leur potentiel au service de la stratégie de Lisbonne revigorée.

L'Europe doit renforcer les trois pôles du triangle de la connaissance, à savoir l'éducation, la recherche et l'innovation. Les universités sont essentielles dans chacun de ces trois domaines. Investir davantage et mieux dans la modernisation et la qualité des universités revient à investir directement dans l'avenir de l'Europe et des Européens.

Le présent document énonce les possibilités de réaliser ces objectifs. Il résulte de la consultation des parties prenantes, lancée en 2003 par la communication de la Commission intitulée "Le rôle des universités dans l'Europe de la Connaissance"[3], qui a trouvé un double prolongement:

- les résultats de la consultation concernant les questions relatives à la recherche ont été analysés[4] à la lumière de deux rapports traitant des relations entre l'enseignement supérieur et la recherche[5] et à l'occasion d'une grande conférence organisée à Liège en avril 2004[6]; le futur plan d'action relatif à la recherche universitaire (document qui va de pair avec la présente communication) traitera du rôle des universités en matière de recherche;

- les résultats de la consultation concernant les questions relatives à l' enseignement supérieur ont été analysés[7] dans le cadre du programme de travail "Éducation et formation 2010"[8] et examinés lors de la conférence intitulée "Permettre aux universités européennes de contribuer pleinement à la stratégie de Lisbonne" organisée en février 2005[9].

La présente communication se fonde dans une large mesure sur des avis convergents émis dans le cadre du processus de consultation, lequel a permis d'identifier trois principaux défis qui attendent l'enseignement supérieur européen: atteindre un niveau de qualité soutenant la comparaison au niveau international, améliorer la gouvernance, accroître et diversifier le financement. Les mesures suggérées dans ces domaines le sont en tenant compte pleinement du principe de subsidiarité selon lequel les Etats membres sont responsables de l’organisation de leur enseignement supérieur.

2. DES DÉFIS PLUS RUDES

Il convient de lire la présente section parallèlement au document de travail des services de la Commission intitulé "L'enseignement supérieur européen dans une perspective mondiale" , qui la complète en présentant, expliquant et analysant des données et indicateurs statistiques additionnels (notamment dans sa Section III et dans l’annexe statistique, tables 3, 4, 5 et 8).

2.1. Écarts concernant le capital humain et l'innovation

Accomplissement d'études supérieures

Bien que la société européenne soit hautement éduquée, seulement 21% de la population de l'Union en âge de travailler a accompli des études supérieures, ce qui est nettement moins qu'aux États-Unis (38%), au Canada (43%) ou au Japon (36%), voire en Corée du Sud (26%).

Accès à l'enseignement supérieur

Bien que la plupart en Europe voient l'éducation supérieure comme un "bien public" en Europe, les inscriptions dans l'enseignement supérieur ont été plus nombreuses et augmentent plus rapidement dans d'autres régions du monde - grâce surtout à un financement privé nettement plus élevé. Avec un taux brut moyen de participation de 52%, l'Union européenne fait légèrement mieux que le Japon (49%), mais moins bien que le Canada (59%) et nettement moins bien que les États-Unis (81%) et la Corée du Sud (82%).

Résultats dans le domaine de la recherche

Alors que l'Union produit plus de diplômés dans les domaines scientifiques et technologiques et, globalement, plus de titulaires d'un doctorat, elle n'emploie que 5,5 chercheurs pour mille salariés, ce qui constitue un retard marginal par rapport au Canada et la Corée du Sud, mais un retard important par rapport aux Etats-Unis (9,0‰) et au Japon (9,7‰). Deux enquêtes récentes accordant une grande importance à la recherche ont révélé qu'à l'exception d'une poignée d'universités britanniques, il n'y a avait pas d'universités de l'Union européenne dans le classement mondial des vingt meilleures universités et qu'il y en avait relativement peu dans le classement des cinquante meilleures[10]. Grâce à leur croissance rapide, les universités asiatiques, tant publiques que privées, rivalisent désormais aussi avec l'Europe (et les États-Unis) en ce qui concerne le nombre de doctorants dans les domaines scientifiques et techniques[11].

2.2. Les obstacles

L'uniformité

Une tendance à l'uniformité et à l'égalitarisme de nombreux système nationaux a permis que la qualité moyenne des universités, tout en étant généralement homogène, soit comparativement bonne - du moins sur le plan académique. Toutefois, le manque de différenciation est également une source de faiblesses. La plupart des universités ont tendance à proposer les mêmes programmes monodisciplinaires et méthodes traditionnelles orientés vers le même groupe des étudiants ayant le plus d'aptitudes scolaires - ce qui entraîne l'exclusion de ceux qui ne se fondent pas dans le modèle standard. Autres conséquences de l'uniformité: l'Europe compte trop peu de centres d'excellence de niveau mondial et les universités ne sont pas encouragées à expliquer dans leur pays et à l'étranger la valeur spécifique de ce qu’elles produisent pour les étudiants et la société.

L'isolement

L'enseignement supérieur européen reste fragmenté - par pays et même au sein des pays - en groupements de moyenne ou petite taille soumis à des réglementations différentes et, évidemment, utilisant des langues différentes. Il doit gagner en "lisibilité" sur la scène internationale s'il veut regagner son statut de destination privilégiée des étudiants adeptes de la mobilité - privilège cédé aux États-Unis dans les années 1990. Il reste aussi fortement isolé de l'industrie, avec qui le partage de connaissances et la mobilité restent limités. En conséquence, un nombre trop élevé de diplômés (même du niveau le plus élevé de l'enseignement) ne possèdent pas l'esprit d'entreprise et les qualifications dont a besoin le marché du travail. La plupart des universités sont largement dépendantes de l'État et mal préparées à la course mondiale au talent, au prestige et aux ressources.

L'excès de réglementation

L'excès de réglementation de la vie des universités est un obstacle à leur modernisation et à leur efficacité. La réglementation au niveau national des programmes d’étude et des conditions d'emploi du personnel universitaire a tendance à rendre plus difficile la réforme des programmes d'études et l'interdisciplinarité. La rigidité des règles d'admission et de reconnaissance entrave l'éducation et la formation tout au long de la vie ainsi que la mobilité. Des conditions peu attrayantes incitent les jeunes talents à chercher ailleurs un accès plus rapide à l'indépendance et des salaires plus avantageux. Les contrôles ex ante pointilleux empêchent les universités de réagir promptement à l'évolution de leur environnement. Là où le changement exige chaque fois une modification de la législation, les réformes sont forcément rares, perturbatrices et uniformes.

Le sous-financement

Les universités sont confrontées à deux énormes déficits d'investissement dans le secteur de la connaissance:

- dans le domaine de la recherche, les dépenses des pays de l'Union européenne atteignent 1,9% du PIB, alors que celles des États-Unis, du Japon et de la Corée du Sud sont proches de 3%, car l'industrie y investit nettement plus dans la recherche;

- dans le domaine de l'enseignement supérieur, les dépenses des pays de l'Union européenne atteignent seulement 1,1% du PIB en moyenne, ce qui est autant qu'au Japon, mais nettement moins qu'au Canada (2,5%), aux États-Unis (2,7%) et en Corée du Sud (2,7%). Cette différence s'explique presque entièrement par les investissements nettement moins élevés réalisés par l'industrie et les ménages en Europe. Pour égaler les États-Unis, l'Europe devrait consacrer chaque année 150 milliards d'euros en plus à l'enseignement supérieur[12].

Sur un plan stratégique, le sous-financement et la dépendance à l'égard du financement public ne conduisent pas seulement à la paupérisation relative du secteur de l'enseignement supérieur. Les conséquences varient d'un pays à l'autre mais peuvent signifier: un taux de participation bas, l’impossibilité de répondre à la demande, l’incapacité à préparer les étudiants aux besoins du marché du travail européen, des emplois trop rares pour les enseignants/chercheurs ou des difficultés à attirer et à retenir les meilleurs talents.

3. L'ATTRAIT, LA GOUVERNANCE ET LE FINANCEMENT AU CENTRE DU PROGRAMME DE MODERNISATION

Les problèmes susmentionnés sont plus ou moins importants selon les États membres, mais il est essentiel pour l'Union européenne qu'ils soient résolus partout dans l'Union. Le processus de consultation a montré que des solutions existent et nécessitent de mener des actions dans trois directions.

3.1. Attrait: un impératif de qualité et d'excellence

Pour améliorer leur qualité et leur attrait, les universités devront entreprendre des transformations profondes. Les personnes qui procèdent à ces transformations au sein des universités ont besoin d'un soutien spécifique (y compris un financement) de la part de leur environnement. Les universités qui ne parviendront pas à introduire ces changements - par manque de volonté, de capacité d'action ou de ressources disponibles - aggraveront leur handicap ainsi que celui de leurs diplômés et de leur pays.

3.1.1. Se différencier par la qualité et l'excellence

Il sera nécessaire, pour mobiliser les cerveaux européens et faire de l'économie et de la société leur champ d'action, d'accroître nettement la diversité en ce qui concerne les groupes cibles, les méthodes d'enseignement, les points d'entrée et de sortie, le panachage des disciplines et des compétences dans les programmes, etc.

La qualité ne peut atteindre un très haut niveau que dans un environnement caractérisé par une "culture de l'excellence" généralisée. L'excellence n'est jamais une chose acquise: elle doit constamment être remise en question. Il est possible qu'un petit nombre d'universités considérées dans leur globalité atteignent un niveau aussi élevé d'excellence, mais ce sera beaucoup plus souvent le cas de facultés individuelles ou d'équipes travaillant au sein d'établissements ou de réseaux. La nature et l'intensité de la recherche (comme d'autres activités) varient considérablement selon le pays, le type d'institution et l'université. Chaque université doit exploiter tout son potentiel en tenant compte de ses forces et priorités propres et elle doit dès lors être capable d'identifier celles-ci et de se concentrer sur elles.

Il en résulte la nécessité de concentrer dans une certaine mesure le financement non seulement sur les centres et réseaux dont l'excellence est d'ores et déjà avérée (dans un certain type/domaine de recherche, d'enseignement/formation ou de service à la communauté), mais aussi sur ceux qui ont le potentiel de devenir excellents et de défier les premiers de classe.

3.1.2. Moyens d'attirer davantage les étudiants

Un enseignement et un apprentissage plus flexibles et ouverts sur le monde

Si l'on veut rendre les universités plus attrayantes sur les plans local et mondial, il sera nécessaire de réviser en profondeur les programmes de formation, pas seulement pour assurer le plus haut niveau académique du contenu des cours, mais aussi pour répondre à l'évolution des besoins des marchés du travail. L'intégration des diplômés dans la vie professionnelle, et par voie de conséquence dans la société, est une responsabilité sociale essentielle de l'enseignement supérieur. Les programmes doivent permettre aux étudiants d'acquérir non seulement des connaissances dans des domaines spécialisés, mais aussi des compétences transversales telles que travailler en équipe et entreprendre. Le caractère européen et interdisciplinaire de l'enseignement a besoin d’être renforcé. Le potentiel qu'offrent les TIC devrait être pleinement exploité dans l'enseignement et la formation, y compris l'éducation et la formation tout au long de la vie. La division en deux cycles (licence et master) permet de diversifier le contenu des programmes et les méthodes d'apprentissage (apprentissage fondé sur la recherche, ou basé sur les TIC, etc.).

Un accès élargi

Vu l'émergence de nouvelles catégories d'étudiants, la diversification des programmes et l’accroissement de la mobilité en Europe, l'amélioration de l'accompagnement et de l'orientation (avant et pendant les études supérieures), les politiques d'admission souples et les parcours d'apprentissage personnalisés gagnent encore en importance. Il s'agit de facteurs essentiels dont dépendent l'élargissement de l'accès, la motivation des étudiants et l'amélioration des taux de succès et d'efficacité - que l'admission se fasse ou non sur la base d'un concours. Les systèmes de bourses et de prêts, la disponibilité de logements abordables et d'emplois à temps partiels ou d'assistanats sont également importants pour rendre les universités attrayantes et accessibles à une population d'étudiants suffisamment large – cassant ainsi le lien qui continue d’exister entre origine sociale et niveau d’études atteint.

Une meilleure communication

Alors que les universités ont tendance à estimer que la qualité est en elle-même la meilleure des publicités, l'attrait est une question de perception. La mise sur pied d'une structure cohérente de diplômes, les crédits ECTS, des labels de qualité crédibles et le supplément au diplôme favoriseront la reconnaissance des diplômes européens. Cela ne suffira toutefois pas: il est nécessaire que les universités fassent mieux connaître à la société la valeur de ce qu’elles produisent et qu'elles investissent davantage dans leur présence et leur communication au plan national et international. Toutes n’y sont pas bien préparées.

3.1.3. Moyens de renforcer les ressources humaines

Les ressources humaines sont un facteur déterminant de la qualité de l'enseignement supérieur et de la recherche. Les universités doivent par conséquent s'efforcer de renforcer leur potentiel humain, tant qualitativement que quantitativement, en attirant, en faisant progresser et en retenant les meilleurs talents dans la carrière d'enseignant/chercheur. L'excellence ne peut être atteinte que dans un environnement professionnel favorable qui se fonde en particulier sur des procédures ouvertes, transparentes et concurrentielles. Les postes vacants, en tout cas pour les fonctions de recteur, de doyen, de professeur et de chercheur, devraient être publiés, si possible au niveau international. Les chercheurs devraient être considérés comme des professionnels dès le début de leur carrière[13]. La mobilité physique et virtuelle (qu'il s'agisse de mobilité transfrontalière ou de mobilité entre l'université et l'industrie) et l'innovation débouchant, par exemple, sur la création d'entreprises issues de la recherche universitaire devraient être encouragées et récompensées[14]. La rémunération devrait récompenser la qualité et les bons résultats dans tous les types de tâches, y compris sous forme d'une participation aux revenus provenant des contrats de recherche, des services de conseil, des brevets, etc. Ces mesures renforceraient au fil du temps l'excellence internationale des universités européennes et réduiraient ainsi leur moindre attrait par rapport aux universités d'autres régions du monde, ce qui profiterait à l'ensemble de l'Europe, car des diplômés hautement qualifiés iraient ou retourneraient dans des universités plus régionales soit immédiatement, soit à un stade ultérieur de leur carrière.

3.1.4. La diversité implique une organisation au niveau européen

L'enseignement supérieur européen est divers et il doit garder sa diversité de langues, de cultures, de systèmes et de traditions. Parallèlement, il est indispensable que les différentes réglementations nationales soient suffisamment compatibles pour éviter de jeter la confusion et pour offrir aux citoyens de nouvelles perspectives de choix et de mobilité. La reconnaissance mutuelle des qualifications et des compétences implique la mise en place d'un cadre organisationnel minimum au niveau européen sous forme de références et de normes de base communes.

L'un des objectifs majeurs du processus de Bologne a été l'élaboration d'un cadre européen des qualifications de l'enseignement supérieur[15]. Si elle est adoptée, la proposition qui sera soumise aux ministres lors de leur prochaine réunion de Bergen contiendra un référentiel commun non seulement pour tous les types de licences, masters et doctorats, mais aussi pour les études postsecondaires plus "courtes" s'articulant autour d'un niveau notionnel de 120 crédits ECTS. Elle s'intégrerait ainsi dans le Cadre européen des qualifications, de portée générale, préconisé dans la stratégie de Lisbonne afin de couvrir tous les types et tous les niveaux de qualifications[16].

La qualité est avant tout fonction d'une "culture de la qualité" et de l'existence de mécanismes d'assurance qualité (AQ) internes aux universités, surtout lorsque l'université accomplit sa mission aux confins de la connaissance. Toutefois la responsabilité des universités devant la société nécessite aussi la mise en place d'un système externe de garantie de la qualité. En Europe, ce système devrait être fondé sur un réseau d'agences de garantie de la qualité (responsables chacune d'un pays/d'une région ou d'une discipline/profession) qui se mettraient d'accord sur des critères de base qui faciliteraient la reconnaissance mutuelle des labels de qualité dans toute l'Union[17]. À l'exception des quelques universités qui ont développé leur propre image de marque, les universités européennes ont besoin de labels de qualité crédibles au niveau international. Faute de développer de tels labels, ces universités conserveront leur handicap par rapport à la concurrence.

3.2. Gouvernance: de la nécessité d'améliorer la gestion du système et des établissements

La demande d'autonomie accrue des universités n'est pas un appel au désengagement de l'État: bien au contraire, il existe en Europe un large consensus sur la nécessité de confirmer, voire de renforcer la responsabilité de l'État dans le domaine de l'enseignement supérieur.

Ce que demandent les universités est accord (ou un "contrat") fondamentalement nouveau avec la société, aux termes duquel les universités seraient responsables de leurs programmes, de leur personnel et de leurs ressources, alors que les pouvoirs publics se concentreraient sur l'orientation stratégique du système dans son ensemble.

3.2.1. Renforcer la responsabilité des pouvoirs publics à l'égard de l'enseignement supérieur en tant que système

En se concentrant sur l'orientation stratégique du système dans son ensemble, l'État pourrait renforcer sa responsabilité publique en matière d'enseignement supérieur à l'ère de la connaissance - principalement en établissant un cadre réglementaire dans lequel l’orientation stratégique combinée à l'autonomie et à la diversité conduit à une accessibilité plus large et à une qualité accrue.

Cela signifie que les ministères d'un grand nombre de pays devraient revoir leur approche, avec moins de contrôles ex ante et plus de responsabilité ex post des universités pour leur qualité, leur efficacité et la réalisation des objectifs convenus. Pour que ces évolutions soient possibles, un vaste effort de formation sera nécessaire afin de donner aux dirigeants universitaires la capacité de planifier et de gérer le changement de manière stratégique et dans une perspective européenne/internationale.

3.2.2. Permettre aux établissements d'appliquer des stratégies de modernisation

Une majorité d'universités estiment que leurs réglementations nationales ne leur permettent pas, à l'heure actuelle, d'entreprendre les changements nécessaires pour assurer leur avenir. Dans un environnement ouvert, concurrentiel et évolutif, l'autonomie est indispensable pour permettre aux universités de répondre aux besoins changeants de la société et d'assumer pleinement la responsabilité de ces réponses.

Les universités devraient être chargées:

- de fixer des priorités spécifiques à moyen terme (en définissant notamment les types/domaines de recherche, d'enseignement et de services dans lesquels elles atteindront un niveau de qualité remarquable) et d'orienter l'effort collectif de son personnel vers ces priorités;

- de gérer et de développer leurs ressources humaines (cf. point 3.1.3);

- de définir leurs programmes – eu égard au système d’assurance qualité interne et aux principes communs de l'Espace européen de l'enseignement supérieur;

- de gérer professionnellement leurs installations et équipements (les posséder, les exploiter et les développer), leurs ressources financières (budgets, investissements et emprunts) et la communication extérieure (création d'une image institutionnelle).

3.3. Financement: de la nécessité d'investir davantage et plus efficacement

Vu la durée trop longue des études, les taux élevés de décrochage et/ou de chômage des diplômés, investir davantage dans le système actuel pourrait être vu comme improductif, voire contre-productif. Toutefois, le sous-financement et les rigidités du système sont tels dans certains pays qu'ils entravent le processus de réforme des universités, lesquelles se trouvent dès lors dans un cercle vicieux.

Pour attirer davantage de moyens financiers, les universités doivent avant tout convaincre les parties prenantes - pouvoirs publics, sociétés, ménages - que les ressources existantes sont utilisées efficacement et que des ressources nouvelles créeraient de la valeur ajoutée qui leur profiterait. Un financement plus important ne peut se justifier sans changement profond: permettre un tel changement est la principale justification et le premier objectif de tout nouvel investissement.

3.3.1. Investissements prioritaires pour moderniser l'enseignement supérieur

Les universités insistent sur le fait que des réformes aussi importantes que celles dont l'Europe a besoin ne pourront être réalisées durablement sans ressources nouvelles (et ciblées)[18]. Ces réformes nécessitent entre autres des ressources humaines spécifiques, une formation, le développement des TIC et, de ce fait, des moyens financiers spécifiques (s'ajoutant aux moyens couvrant les activités courantes).

Les moyens de financement supplémentaires doivent avant tout permettre de donner des incitations et des moyens aux universités (il y en a dans tous les systèmes) et aux groupes/individus (il y en a dans toutes les universités) qui ont la volonté et la capacité d'innover, de réformer et d'atteindre un haut niveau de qualité dans les domaines de l'enseignement, de la recherche et des services. À cet effet, le financement doit être davantage fondé sur la concurrence dans le domaine de la recherche et davantage lié aux résultats dans le domaine de l'éducation.

3.3.2. Contributions des étudiants et de l'industrie

Le débat sur le rendement social et privé de l'enseignement supérieur a mis en évidence le rôle de ce dernier en tant qu'investissement bénéficiant à la fois à l'individu (à qui il procure un revenu et une situation plus intéressants) et à la société dans son ensemble (car il contribue à l'augmentation des taux d'emploi, à l'abaissement des coûts sociaux et à la prolongation de la carrière professionnelle[19]). Il a également été démontré que la seule gratuité de l'enseignement supérieur ne suffisait pas pour garantir l'égalité d'accès et une maximisation des inscriptions. Cet élément place la question des droits d'inscription sous un jour nouveau. Dans la consultation, les universités qui préconisent la perception de droits d'inscription majorés font principalement valoir comme argument que cela augmenterait la qualité de l’éducation supérieure. Certains analystes relèvent également que la majoration des droits d'inscription pourrait dans la pratique rendre les études plus accessibles aux étudiants provenant des groupes de la population ayant les revenus les plus bas si les fonds supplémentaires étaient utilisés pour alimenter un système d'aide efficace destiné aux étudiants[20]. Compte tenu des différences entre systèmes nationaux, il ne peut pas y avoir de réponse unique à cette question: chaque Etat membre a besoin de choisir l’approche la mieux adaptée à ses particularités.

Les universités européennes doivent également devenir des partenaires plus attrayants pour l'industrie. Des partenariats durables sont nécessaires pour permettre les échanges structurés de personnel et l'élaboration de programmes de formation répondant au besoin de l'industrie de disposer de diplômés et chercheurs bien formés. Toutefois, il est nécessaire d'investir durant plusieurs années dans la mise sur pied de services de formation/recyclage, de recherche et de conseil commercialement intéressants avant que ceux-ci commencent à être rentables - surtout au cas où les subventions publiques sont réduites proportionnellement. Cela signifie que le développement de partenariats durables avec l'industrie peut dépendre (du moins au début) de l'existence d'incitations fiscales.

4. PRIORITÉS D'ACTION

Les principales pistes à suivre en matière de modernisation des universités européennes ont été identifiées. Les Ministres pourront les affiner lors de leur réunion de Bergen dans le cadre du processus de Bologne. Dans celui de la Stratégie de Lisbonne, la priorité est maintenant de mener sans tarder des actions reposant sur trois piliers, à savoir la prise d'initiative des universités, les actions nationales permettant aux universités de s'adapter et le soutien européen.

4.1. Libérer le potentiel des universités dans le contexte national

Plusieurs États membres ont d'ores et déjà entrepris la réforme du statut, de l'organisation interne et du financement des universités. Toutefois, la stratégie de Lisbonne met les gouvernements devant la nécessité d'aller plus loin en mettant sur pied un nouveau partenariat avec les universités - fondé moins sur le contrôle par l'État et davantage sur la responsabilité des universités devant la société - et en investissant dans la modernisation du secteur de la connaissance.

4.1.1. Permettre aux universités de changer

La Commission exhorte tous les États membres à faire le nécessaire pour que leur cadre réglementaire autorise et encourage les dirigeants d'université à entreprendre de véritables réformes et à se fixer des priorités stratégiques.

Ces cadres réglementaires devraient prévoir au moins trois aspects essentiels:

- des règles et des mesures d'incitation relatives à la modernisation du système dans le contexte européen: réformes de Bologne et ajustement au référentiel commun défini au niveau européen, par exemple pour le Cadre européen des qualifications, la validation de l'apprentissage non formel, la Charte européenne du chercheur et le code de conduite pour le recrutement de chercheurs ou pour la construction d’un système de garantie de qualité ou d’accréditation crédible au plan européen;

- l'État (et/ou la Région) devrait conclure avec chaque université des accords pluriannuels fixant des objectifs stratégiques approuvés, confirmant l'engagement de la direction de l'université à les atteindre et précisant le montant des financements publics fixe et conditionnel;

- le cadre réglementaire devrait habiliter effectivement les universités à prendre et à appliquer des décisions par le biais d'une équipe dirigeante ayant une autorité et une capacité de gestion suffisantes, exerçant ses fonctions suffisamment longtemps et ayant une expérience européenne/internationale suffisante. C'est d'autant plus important que la qualité de la direction d'une université a une incidence positive sur ses résultats[21].

4.1.2. Veiller à ce que le financement total soit suffisant

Les pouvoirs publics ont la responsabilité importante de veiller à ce qu'aucun système d'enseignement supérieur européen ne reste à la traîne en raison de ressources totales insuffisantes. L'Union européenne n’a pas besoin de reproduire le système existant aux Etats-Unis, où la concurrence pour les grands noms universitaires a entraîné une inflation des salaires. Toutefois, la Commission estime qu'un investissement total de quelque 2% du PIB (contre 2,7% aux États-Unis) constitue le minimum requis dans des économies à forte intensité de connaissances, et cela même dans un système universitaire modernisé.

La Commission exhorte les responsables de tous les ministères nationaux à reconnaître qu'il est indispensable de combler l'important déficit de financement de l'enseignement supérieur pour réaliser la stratégie de Lisbonne. Le dosage des types de financement (public et privé, de base ou fondé sur des concours ou des résultats) restera cependant différent d'un pays à l'autre, compte tenu de la diversité des cultures, des économies et des traditions universitaires.

Il est évident qu'une partie nettement plus importante du financement des universités européennes doit provenir de l'industrie, mais les universités doivent reconnaître que cela passe nécessairement par la mise sur pied de partenariats bénéfiques pour les deux parties, et elles doivent commencer à s'y préparer.

La Commission invite dès lors les États membres à veiller à ce que les règles fiscales autorisent et encouragent les partenariats entre les entreprises et les universités et à ce que les universités soient capables d'utiliser les fonds ainsi obtenus de manière à se renforcer continuellement.

L'éventail des possibilités de financement est vaste entre les deux pôles que constituent un enseignement gratuit subventionné et un enseignement financé totalement par les droits d'inscription. Dans tous les cas, le principe de l’égalité des chances doit être garanti. Si des droits d'inscription sont instaurés, une partie substantielle de ceux-ci devrait être redistribuée sous forme d'aides/prêts accordés en fonction des revenus afin de garantir l'accès aux études pour tous et sous forme de bourses de mérite permettant d’encourager l'excellence. Des systèmes d'aides et de droits d'inscription différenciés pourraient être utilisés pour assurer l'attrait des études présentant la plus grande valeur sociale, pour éviter, par exemple, les pénuries de main-d'œuvre dans certains domaines et le chômage des diplômés dans d'autres; ces systèmes devraient aller jusqu'à permettre de rémunérer certaines catégories en les assimilant à des professionnels en formation, par exemple les chercheurs en début de carrière qui accomplissent un doctorat.

La Commission invite les États membres à examiner si leur modèle de financement actuel (avec ou sans droits d'inscription, aides et/ou prêts) garantit effectivement un accès équitable à l'enseignement, permettant à tous les étudiants qualifiés d'aller au bout de leurs capacités.

4.2. Répondre à la demande des universités pour davantage de soutien européen

Les réformes et le financement relèvent principalement des États, des régions et des universités dans leur contexte national. La Commission a néanmoins l'intention de répondre à la demande de soutien européen accru émanant des universités, et cela de trois manières.

4.2.1. Mobiliser toutes les sources de financement européen en faveur de la modernisation des universités

L'enseignement supérieur n'est pas que la somme de ses activités d'éducation, de formation et de recherche. Il s'agit également d'un secteur économique et social fondamental qui a besoin de ressources pour assurer son redéploiement. L'Union européenne a soutenu le processus de reconversion de secteurs tels que la sidérurgie et l'agriculture; elle doit maintenant faire face à la nécessité de moderniser son "industrie de la connaissance", en particulier ses universités.

Actuellement, l'enseignement supérieur ne fait pourtant pas partie des principaux bénéficiaires des fonds structurels européens ou des prêts de la Banque européenne d'investissement. Or, le cofinancement ou les prêts à long terme permettraient de réduire ou d'échelonner le coût des investissements dans l'enseignement supérieur, qu'ils concernent les infrastructures matérielles et immatérielles, les programmes de formation ou les pôles de connaissance régionaux.

La Commission invite dès lors les États membres à recourir autant que possible aux instruments financiers de l'Union dans le but de développer leur secteur de la connaissance. Les fonds de développement structurel et rural offrent des possibilités de stimuler la modernisation de l'enseignement supérieur par le biais de mesures sectorielles. L'enseignement supérieur est également un secteur prioritaire pour la BEI et il est souhaitable qu'il bénéficie davantage de ses prêts.

4.2.2. Renforcer la coopération dans le cadre du programme "Éducation & formation 2010"

Le programme de travail "Éducation & formation 2010" reconnaît l'extrême importance de la modernisation de l'enseignement supérieur[22] - au-delà des réformes préconisées par le processus de Bologne qui, a fortiori , sont aussi essentielles pour atteindre les objectifs de Lisbonne.

La Commission exploitera pleinement toutes les possibilités prévues par le programme de travail pour soutenir les efforts accomplis par les États membres en vue de moderniser leurs universités et soutiendra, par exemple, les échanges des meilleures pratiques, des enquêtes et des études, l'apprentissage mutuel entre décideurs, etc.). Une analyse par indicateurs peut également permettre de mesurer les performances en matière de financement et de résultats[23], mais la Commission ne propose pas de points de référence européens spécifiques pour l'enseignement supérieur.

Le programme d'action intégré dans le domaine de l'éducation et de la formation tout au long de la vie[24] proposé pour la période 2007-2013 sera davantage orienté vers les priorités politiques de l'Union, étant donné, en particulier, qu'il encouragera la mobilité et la coopération entre l'université et l'industrie.

Deux grands objectifs sont fixés pour 2006: adopter le projet de cadre européen des qualifications (EQF) et commencer la mise en œuvre de la recommandation sur la garantie de la qualité (une fois qu'elle aura été adoptée), laquelle introduit de nouveaux outils importants tel un registre européen des agences qui satisfont aux normes définies au niveau européen[25]. La Commission prévoit également de soutenir en 2005 un certain nombre de nouvelles initiatives d'accréditation à l'échelle de l'Union dans des disciplines spécifiques.

4.2.3. Investir dans la qualité et l'excellence

La Commission a l'intention de répondre à la demande d'investir davantage d'efforts et de moyens financier dans la qualité de haut niveau, tout en veillant à ce que le terrain sur lequel l'excellence se développe reste ouvert et fertile dans toute l'Union. Pour réussir, deux conditions essentielles devront être remplies: il faudra surmonter les effets de l'isolement et aider les régions les moins développées à parvenir à un haut niveau de qualité dans des types/domaines d'activités spécifiques.

Les établissements et réseaux postuniversitaires/doctoraux de calibre européen et mondial seront une priorité importante, considérés sous l'angle de leur double fonction de sommet de l'enseignement supérieur et de premier échelon dans la carrière des chercheurs. La Commission examinera la possibilité d'accorder un soutien plus important à de telles structures et à leurs étudiants/chercheurs, à condition qu'elles remplissent certaines conditions: masse critique; interdisciplinarité; forte dimension européenne; soutien des autorités régionales/nationales et participation directe de l'industrie; domaines d'excellence identifiés et déclarés , etc. Un soutien spécifique peut être envisagé en faveur de doctorats conjoints ou "européens" et de mécanismes de garantie de la qualité ou d'accréditation au niveau doctoral.

Le programme Marie-Curie pour le développement de la carrière et de la mobilité des chercheurs[26] ou l'Institut universitaire européen de Florence (au sein duquel la Commission soutiendra un programme postdoctoral pilote) apportent déjà un soutien important à ce niveau.

La Commission est en train d’explorer les possibilités pour faire avancer sa proposition d’un Institut européen de technologie. Il devra combiner une vraie réputation mondiale avec une forte identité européenne et devra soutenir la connaissance comme vecteur de croissance et d’emplois. Il devrait s’appuyer sur un réseau rassemblant les meilleurs cerveaux et les meilleures entreprises et diffusant l’innovation dans toute l’Europe.

4.3. Du besoin de soutien pour les actions urgentes proposées

La présente communication sera complétée par le futur plan d'action relatif à la recherche universitaire [27] de la Commission. Ces deux documents donneront les moyens de veiller, en ce moment crucial, à ce que les instruments financiers et stratégiques de l'Union européenne accordent à la modernisation des universités la priorité qu'il convient au cours de la période 2007-2013.

La Commission invite le Conseil à adopter une résolution qui appuie son appel à créer un nouveau type de partenariats entre l'État et les universités et à investir suffisamment pour permettre la modernisation de l'enseignement supérieur. La Commission espère également que le Conseil européen et le Parlement européen soutiendront explicitement le programme pour le changement présenté dans la présente communication.

[1] Examen à mi-parcours de la stratégie de Lisbonne - COM(2005) 24 du 2.2.2005 (§ 3.3.2).

[2] Le terme "universités" couvre tous les établissements d'enseignement supérieur.

[3] COM(2003)5 8 du 5.2.2003.

[4] http://europe.eu.int/comm/research/conferences/2004/univ/pdf/univ_outcome_consult_fr.pdf

[5] Rapports rédigés par le groupe d'experts STRATA-ETAN en octobre 2002 et novembre 2003.

[6] http://europa.eu.int/comm/research/conferences/2004/univ/index_en.html

[7] http://europa.eu.int/comm/education/policies/2010/consultation_en.html

[8] Document 6365/02 du Conseil du 20 février 2002.

[9] http://europa.eu.int/comm/education/policies/2010/lisbon_en.html

[10] Enquêtes effectuée par la Shanghai Jiao Tong University (http://ed.sjtu.edu.cn/ranking.htm) et le Times Higher Education Supplement , 5 novembre 2004.

[11] International graduate admissions survey, US Council of Graduate Schools, décembre 2004.

[12] Document de travail des services de la Commission, § 44.

[13] Cf. recommandation de la Commission du 11 mars 2005 concernant la charte européenne du chercheur et un code de conduite pour le recrutement des chercheurs - http://europa.eu.int/eracareers/europeancharter.

[14] Cf. idem.

[15] Cf. communiqué des ministres, Berlin, 19 septembre 2003 - http://www.bologna-bergen2005.no.

[16] Rapport intermédiaire conjoint, document du Conseil 6905/04 du 3 mars 2004, point 2.3.1.

[17] Le projet de la Commission relatif à une recommandation concernant la poursuite de la coopération européenne visant la garantie de la qualité dans l’enseignement supérieur - COM(2004) 642 du 12.10.2004, se fonde exactement sur ce principe.

[18] Cf. consultation des parties prenantes et étude Trends IV des réformes de Bologne, EUA, mars 2005.

[19] Document de travail des services de la Commission, section II.

[20] Conférence du 10 février 2005, sessions consacrées au financement.

[21] Conférence du 10 février 2005, sessions consacrées à la gouvernance.

[22] Rapport intermédiaire conjoint, point 1.1.2.

[23] Document de travail des services de la Commission, section IV.

[24] Cf. COM(2004) 474 du 14.7.2004.

[25] Cf. COM(2004) 642 du 12.10.2004.

[26] http://europa.eu.int/comm/research/fp6/mariecurie-actions/action/fellow_en.html

[27] Plan d'action relatif à la recherche universitaire, fondé principalement sur le rapport du Forum sur la recherche universitaire.