52003DC0734

Communication de la Commission au Conseil et au Parlement Européen - Redynamiser les négociations relatives au programme de Doha pour le développement - l'optique de l'UE /* COM/2003/0734 final */


COMMUNICATION DE LA COMMISSION AU CONSEIL ET AU PARLEMENT EUROPÉEN - Redynamiser les négociations relatives au programme de Doha pour le développement - l'optique de l'UE

Synthèse

La communication ci-jointe évalue l'état actuel des négociations relatives au programme de Doha pour le développement menées dans le cadre de l'OMC, à la lumière de l'évolution de la situation depuis la conférence de Doha et la réunion ministérielle de Cancún, et décrit comment l'UE pourrait contribuer au mieux à relancer avec succès les négociations. Elle se fonde sur les réflexions et les consultations que la Commission a menées depuis Cancún.

Le projet de communication conclut que la logique première du programme de Doha pour le développement reste valable et que les objectifs de l'UE, exposés dans des conclusions antérieures du Conseil, doivent être maintenus. Il ajoute que l'UE doit soutenir la relance rapide de ce programme et, en collaboration avec d'autres membres de l'OMC, participer de manière constructive aux efforts fournis dans ce but. La communication laisse cependant entendre que cette relance ne pourra aboutir que si tous les membres de l'OMC sont disposés à adapter ou à affiner leur approche dans un certain nombre de domaines spécifiques.

La communication invite l'UE à explorer d'autres approches pour la négociation des sujets de Singapour (investissements, concurrence, facilitation des échanges et transparence en matière de passation de marchés publics), en les retirant de l'engagement unique et en les négociant, au besoin, en tant qu'accords plurilatéraux. Si elle maintient les objectifs principaux de l'UE, elle propose toutefois de procéder à une légère adaptation des approches suivies en matière de commerce et d'environnement, d'une part, et d'indications géographiques, d'autre part, en vue de réduire les réticences à négocier dans ces domaines.

Dans le domaine agricole, la communication confirme la volonté de l'UE de prendre des engagements importants, pour autant que ses partenaires commerciaux soient également disposés à réviser leurs positions. Une initiative spécifique concernant le coton, susceptible d'être prise dans le cadre des négociations agricoles, est par ailleurs proposée.

S'agissant des services et de l'accès aux marchés pour les produits non agricoles, l'UE devrait, selon la communication, maintenir son niveau d'ambitions élevé, et les autres délégations devraient apporter une contribution effective aux négociations en fonction de leurs capacités.

La communication propose également que l'UE tende vers des résultats ambitieux en ce qui concerne les accords relatifs aux droits antidumping, aux subventions et aux accords commerciaux régionaux. Pour ce qui est de certains thèmes relatifs au commerce et au développement, l'UE devrait viser à atteindre des résultats qui favorisent réellement l'intégration des pays en développement, plutôt que de continuer à creuser l'écart.

Introduction

Au lendemain de l'échec de la conférence de Cancún, les membres de l'OMC, dont l'UE, n'ont pas ménagé leur temps pour tenter d'en analyser les raisons. Après mûre réflexion, il semble qu'une combinaison de facteurs ait contribué à ce résultat. Le premier tient sans aucun doute aux procédures: d'une certaine manière, la réunion de Cancún a pris un bon départ, en suivant les rails qui avaient été tracés, pour finalement s'en écarter au dernier moment. On peut aussi raisonnablement penser que l'échec de la conférence s'explique par de graves problèmes de fond, qu'il faudra résoudre si l'on veut que la négociation du programme de Doha pour le développement aboutisse. On ne peut pas non plus passer sous silence ou minimiser certains éléments comme l'émergence de nouveaux groupes - le G20 et le G90, par exemple - réunis par la crainte de voir leurs priorités insuffisamment prises en compte, la réticence de certains pays membres de l'OMC à s'engager dans une libéralisation renforcée des échanges ou à étendre le champ des règles de l'Organisation, des divergences fondamentales trop grandes pour parvenir à un rapprochement des positions dans le temps imparti, les préoccupations suscitées par la place et la considérable puissance exportatrice de la Chine, et les dysfonctionnements internes de l'OMC.

Compte tenu de cette combinaison d'éléments et du caractère retentissant du fiasco de Cancún, nombreux sont ceux qui ont aussi consacré énormément de temps à examiner par quels moyens et dans quelles conditions relancer les négociations du programme de Doha pour le développement. De son côté, la Commission a entamé, au cours des deux derniers mois, un vaste processus de réflexion et de consultation, avec les États membres, au sein du comité de l'article 133 et ailleurs, avec le Parlement européen, avec un grand nombre de représentants de la société civile (ONG, entreprises et syndicats) et avec les pays tiers partenaires de l'UE, pour mieux comprendre les points de vue en présence et donner un sens aux mesures à prendre pour redynamiser le processus de Doha. Pour les besoins de cette analyse, la Commission a posé un certain nombre de questions générales: dans quels domaines faut-il définir de nouvelles règles à l'OMC et quelle doit être la relation entre les négociations consacrées à ces règles et celles qui portent sur l'accès au marché; dans quelle mesure faudra-t-il mettre davantage l'accent sur les négociations commerciales bilatérales et régionales; quels sont les meilleurs moyens de réaliser les objectifs de développement fixés par l'OMC et par le programme de Doha; comment améliorer le fonctionnement de l'OMC en tant qu'organisation? Abordons brièvement chacune de ces questions et les conclusions que nous avons tirées de nos consultations:

- En ce qui concerne les règles et leur lien avec les négociations portant sur l'accès aux marchés, la Commission est convaincue que l'UE doit continuer à insister sur le maintien d'un volet réglementaire important dans le système commercial multilatéral. Si nous voulons vraiment "encadrer la mondialisation", nous ne pouvons pas négliger l'importance des règles définies à l'OMC et dans d'autres enceintes de décision internationales. En tout état de cause, les règles en vigueur dans les domaines de l'agriculture ou de la défense commerciale, par exemple, démontrent à quel point réglementation et accès au marché restent profondément imbriqués au sein de l'OMC. L'élaboration de nouvelles règles, conjuguée à l'ouverture des marchés, devrait, à l'échelle internationale, stimuler la croissance économique et contribuer plus efficacement à la réduction de la pauvreté, tout en aidant les pays en développement à mieux s'intégrer dans l'économie mondiale.

- S'agissant de l'équilibre entre les négociations multilatérales et les négociations bilatérales ou régionales, le résultat de nos consultations est sans ambiguïté: l'Europe doit continuer à privilégier le multilatéralisme. Cette idée rallie un vaste consensus auprès des interlocuteurs dont la Commission doit obtenir l'assentiment - États membres, Parlement, entreprises, syndicats et société civile.

- Un travail important a été accompli, avant Doha, à Doha et depuis Doha, pour que le nouveau cycle de négociations contribue à la réalisation des objectifs de développement. Plusieurs pays en développement, en particulier le G90, continuent cependant de douter des avantages que le programme de Doha pourrait leur apporter, notamment sur le plan d'une ouverture accrue des marchés dans des secteurs comme l'agriculture. Ils sont naturellement préoccupés par les conséquences d'une libéralisation intensifiée du commerce multilatéral sur l'accès préférentiel dont ils bénéficient dans un certain nombre de pays industrialisés du "Nord". Certains pays en développement émettent en outre des réserves à l'idée de s'engager dans une libéralisation encore plus poussée ou d'adopter des règles multilatérales plus strictes.

Forte de ces constats, la Commission s'est demandé sur quels résultats devraient déboucher les négociations pour favoriser véritablement le développement. En d'autres termes, quels points un cycle de négociations consacré au développement devrait-il aborder et quels autres écarter pour parvenir à cet objectif? À nos yeux, l'OMC n'est pas un système structurellement inéquitable qui a besoin d'être rééquilibré. Nous pensons que le bilan des négociations menées dans le cadre de l'OMC et précédemment ne va pas à l'encontre des intérêts des pays en développement. Ce cycle de négociations ne devrait pas non plus exonérer l'ensemble des pays en développement de toute responsabilité dans la recherche commune d'une ouverture renforcée des marchés, y compris la dimension importante d'une facilitation du commerce "Sud-Sud". Qui plus est, il ne devrait pas ignorer la nécessité d'actualiser les règles de l'OMC (puisque la sécurité offerte par des règles multilatérales peut bénéficier aux pays en développement autant qu'à tous les autres), ni dispenser les pays en développement des nouvelles règles de l'Organisation, ce qui créerait précisément l'OMC à deux vitesses que redoutent bon nombre d'entre eux. Il s'agit au contraire, grâce au programme de Doha pour le développement, d'accentuer l'intégration des pays en développement dans l'économie mondiale, surtout les plus pauvres, par une ouverture progressive des marchés et l'adoption progressive de règles plus fermes, tout en tenant compte des capacités de mise en oeuvre dont ces pays disposent. Les avancées en termes de développement résulteront après tout d'une ouverture ambitieuse des échanges et d'un renforcement des règles multilatérales. Il faut donc que dans le cadre du programme de Doha, les négociations s'inscrivent plus systématiquement dans une perspective de développement. Ces arguments sont développés ci-après.

- Enfin, pour évoquer brièvement la réforme de l'OMC, la Commission a entrepris de vastes consultations pour s'enquérir des améliorations à apporter au fonctionnement de l'Organisation. Nous en avons conclu que pour aller de l'avant, il fallait un train de réformes relativement modeste mais réaliste, principalement axé sur la préparation et la gestion des conférences ministérielles, ainsi que d'autres moyens pour accroître l'efficacité et le caractère intégratif des négociations de l'OMC. La Commission soulèvera en temps utile d'autres questions plus systémiques auprès du groupe consultatif chargé de la réforme de l'OMC qui a été mis en place par le directeur général de l'Organisation.

Au cours de cette période de réflexion, le Conseil européen d'octobre a invité la Commission à s'interroger sur la stratégie de l'UE et à explorer, en collaboration avec les principaux acteurs de l'OMC, les pistes envisageables en vue de faire avancer le programme de Doha pour le développement. Parallèlement, le Conseil européen a clairement fixé le cadre de cet examen: d'une part, l'UE reste résolument favorable à l'approche multilatérale de la politique commerciale et, d'autre part, l'engagement de l'ensemble des membres de l'OMC constitue le préalable indispensable à une reprise prometteuse des négociations.

La Commission conclut ce processus de réflexion et de consultation sur un postulat: l'OMC doit demeurer au coeur de l'ouverture des marchés et du renforcement des règles commerciales, puisque l'approche multilatérale de la coopération commerciale, qui repose sur les principes de transparence et de non-discrimination, reste le moyen le plus efficace et le plus légitime de gérer la mondialisation et les échanges entre les pays. Aux côtés d'autres organisations internationales de premier plan, et en collaboration avec elles, l'OMC continuera à jouer un rôle important dans l'encadrement de la mondialisation et la recherche du développement durable dans tous ses aspects. L'UE, de son côté, devrait s'attacher à favoriser une cohérence renforcée entre l'OMC et ces organisations, afin d'encourager une gouvernance internationale plus harmonieuse sur le plan économique, social et environnemental.

Dans ce cas, quelle doit être l'étape suivante? Il est manifeste qu'à l'intérieur de l'UE, les rangs des opposants à toute forme de négociations commerciales multilatérales sont clairsemés. Pour nous, l'option consistant à renoncer à un cycle de négociations est inenvisageable, contraire aux intérêts essentiels de l'UE et par conséquent à proscrire. Doit-on pour autant en conclure qu'il faut clôturer le programme de Doha pour faire table rase, adopter un tout nouveau mandat et prévoir ensuite une conférence ministérielle anticipée de l'OMC pour lancer un nouveau cycle de négociations? Là aussi, nous sommes farouchement contre cette idée. Ce serait le moyen le plus sûr de retarder considérablement la conclusion d'un cycle de négociations, quel qu'il soit, et même de rendre extrêmement difficile la simple ouverture d'un autre cycle l'année suivante.

Par ailleurs, nous considérons que la déclaration de Doha reste valable sur le fond. Les événements qui se sont produits avant et pendant Cancún n'affectent en rien les motivations à l'origine du cycle de négociations engagé à Doha. Ces négociations offrent toujours une possibilité, précieuse, de favoriser la croissance économique à long terme, de stimuler le commerce et l'investissement, et d'encourager un développement durable, sans oublier que le programme de Doha peut apporter un concours non négligeable à nos efforts pour réaliser les objectifs de développement arrêtés lors du sommet du millénaire.

Nous sommes donc d'avis que l'UE doit soutenir la relance rapide du programme de Doha pour le développement et, en collaboration avec d'autres membres de l'OMC, participer dans un esprit positif aux initiatives prises dans ce sens.

Il est indéniable, toutefois, que les futures négociations échoueront si nous, ou d'autres, ne tirons pas les leçons de Cancún ou si nous nous contentons, sans plus d'analyse, de reprendre telle ou telle question au stade où nous l'avons laissée le 14 septembre. Comme l'a souligné le Conseil européen, il faut que tous les membres de l'OMC manifestent la volonté de réfléchir à leur approche et reviennent à la table des négociations dans un esprit constructif, en redonnant des gages de leur profond engagement en faveur du multilatéralisme. Dans tous les dossiers importants, dont bon nombre sont très sensibles pour les intérêts européens, l'UE a pour sa part revu ses positions, parfois à plusieurs reprises, tant en amont qu'au cours de la conférence de Cancún. Elle doit poursuivre dans cette voie, mais faire un geste, dans une négociation, n'est pas un but en soi. C'est un moyen de faciliter un compromis, pour autant que nos intérêts soient par ailleurs satisfaits. Il faut donc absolument que les autres participants acceptent de faire des concessions de même ampleur, ce qu'ils n'ont malheureusement pas fait ou pas suffisamment, dans l'ensemble. La négociation est un processus à double sens.

Au terme de sa réflexion, la Commission estime aujourd'hui que les grands objectifs que l'UE s'est fixés avant Seattle, tels qu'ils ont été définis dans les conclusions du Conseil d'octobre 1999, puis révisés et réaffirmés lors de Conseils ultérieurs, ont résisté à l'épreuve du temps. Nous devons en revanche légèrement rectifier notre stratégie pour les atteindre, c'est-à-dire affiner et aiguiser notre schéma de négociation dans un certain nombre de domaines, tenir compte de l'évolution des positions au cours des tout derniers mois et à Cancún même, et prendre en considération les événements survenus au sein de l'UE (notamment le bon déroulement de la réforme à mi-parcours de la PAC). Nous devrions alors être en mesure de continuer à jouer pleinement notre rôle constructif dans l'éventuelle reprise des négociations.

En suivant les volets du programme de Doha pour le développement, la présente communication analyse ci-dessous les initiatives nécessaires de la part de l'UE et de ses partenaires qui, eux aussi, doivent démontrer leur volonté de négocier. En ce qui nous concerne, ce document tient compte des échanges qui ont eu lieu avec tous les acteurs européens, en particulier les États membres, dans le cadre du comité de l'article 133, et les députés du Parlement européen. Des débats d'orientation se sont déjà tenus sur divers points. Elle propose notamment des domaines dans lesquels l'UE pourrait concevoir une marche à suivre plus détaillée pour contribuer à la reprise des travaux.

L'agriculture

La plate-forme de négociation vaste et équilibrée mise en place dans le volet agricole de la conférence de Doha regroupait dans un engagement unique d'importantes réductions des aides qui ont un effet de distorsion sur les échanges, les subventions à l'exportation, l'amélioration de l'accès aux marchés, le traitement spécial accordé aux pays en développement et les considérations autres que d'ordre commercial.

L'UE a d'emblée opté pour une attitude dynamique dans ces négociations et soutenu sans réserve la mise en oeuvre de la déclaration de Doha. L'adoption récente de la réforme de la PAC et des propositions de réforme dans d'autres domaines constituent la meilleure preuve que pour l'UE, le passage progressif à des aides ayant moins d'effet de distorsion sur les échanges ne doit pas nécessairement procéder d'une contrainte extérieure, mais d'une orientation politique délibérée. À l'intérieur, le chemin emprunté par l'UE lui permet de relever des défis qui lui sont propres, c'est-à-dire favoriser la compétitivité de l'agriculture communautaire tout en respectant les normes les plus élevées de protection de l'environnement, de qualité et de bien-être animal qu'attendent ses citoyens. À l'extérieur, ce processus de réforme, à son tour, permet à l'UE de participer aux négociations de Doha en suivant une logique de libéralisation accrue du commerce et d'intensification des efforts pour parvenir à un développement durable. La réforme de la PAC a donc d'une certaine manière anticipé la réalisation des objectifs de Doha. Il importe maintenant que d'autres s'engagent aussi dans la voie des réformes, au moins à l'issue des négociations.

Plutôt que de camper sur les positions de négociation qu'elle avait initialement proposées, l'UE, en faisant la démonstration de sa capacité de réforme, a ainsi déjà répondu à l'appel lancé par l'OMC dans son ensemble pour qu'une force d'entraînement prenne la tête du mouvement. À la demande d'autres pays membres, elle a aussi présenté, lors de la dernière phase préparatoire à la conférence ministérielle de Cancún, une proposition commune élaborée avec les États-Unis, qui offre des possibilités non négligeables de convergence entre les camps opposés. Les idées nouvelles avancées concernant les moyens de réduire l'effet de distorsion des aides nationales sur les échanges, l'accès aux marchés et les subventions à l'exportation ne devraient pas rester lettre morte, car elles posent les jalons d'un bilan équilibré et équitable des négociations. Malheureusement, d'autres grands acteurs ne se sont pas montrés aussi entreprenants. À eux, désormais, de faire preuve d'une volonté comparable à la nôtre de favoriser de réelles avancées pour que les négociations soient couronnées de succès.

Quelle est notre position dans les divers volets des négociations et que devraient faire les autres pays, selon nous, pour que l'on parvienne à un accord? D'abord et avant tout, ces négociations ne pourront aboutir que si elles sont fidèles à la déclaration de Doha.

Plus précisément, il s'agit, à partir de niveaux consolidés, de réduire sensiblement les mesures de soutien interne qui ont un effet de distorsion sur le commerce. En revanche, les aides nationales sans (grande) incidence sur les échanges qui répondent à des objectifs relevant de politiques essentielles dans l'exercice des droits souverains des pays membres - les soutiens de la "boîte verte", par exemple - ne peuvent être ni limitées ni réduites. L'idée que nous ou d'autres devrions diminuer les aides de la "boîte verte" est inacceptable. Elle reviendrait à appliquer des contraintes extérieures à des politiques internes qui ne faussent pas le commerce.

Il s'agit de mettre véritablement l'accent des négociations sur les facteurs de distorsion des échanges, surtout en ce qui concerne les aides de la "boîte orange" et les subventions à l'exportation. L'UE devrait par conséquent en appeler à d'importantes restrictions des soutiens dépendant de la production ou des prix - la "boîte orange" - qui ont les effets les plus déséquilibrants sur le commerce. Il faudrait aussi abaisser le seuil de minimis pour qu'il reste véritablement une exception. L'UE devrait en outre encourager certaines disciplines - y compris une restriction - pour ce qui est des aides de la "boîte bleue", même si celles-ci donnent lieu à des distorsions moindres puisqu'elles reposent sur des droits fixes. Là encore, il n'est pas inutile de rappeler que l'UE a revu sa position et que la réduction que nous avons proposée - soit 5% du total de la production agricole - devrait constituer la limite. Il revient maintenant aux autres de se montrer conciliants en reconnaissant sans ambiguïté la distinction entre les niveaux de distorsion différents qu'entraînent des politiques différentes.

Toujours à propos des soutiens internes, l'UE accepte que les pays en développement bénéficient de conditions plus souples pour pourvoir à leurs besoins en matière de développement, notamment les aides accordées aux agriculteurs pauvres, et pour continuer de soutenir des politiques rurale, agricole et alimentaire rationnelles. Si, dans ce domaine, l'UE a toujours défendu l'idée d'un traitement spécial à accorder aux pays en développement, elle considère néanmoins qu'il doit surtout s'adresser aux plus pauvres et aux moins compétitifs d'entre eux, et non aux plus avancés. Il s'agit du moyen à nos yeux le plus juste de réaliser les objectifs de développement arrêtés dans la déclaration de Doha.

Au chapitre de l'accès aux marchés, tous les pays, qu'ils soient en développement ou industrialisés, ont intérêt à ce que la libéralisation progressive et substantielle des échanges se poursuive. La principale contribution à ces efforts doit venir des pays industrialisés, mais elle ne suffira pas. Il faut aussi que les relations commerciales entre pays en développement progressent, puisque leur demande alimentaire devrait augmenter et que leur expansion dépendra essentiellement du commerce, dont ils seront probablement les premiers bénéficiaires.

La plupart des pays membres de l'OMC ont des secteurs particulièrement sensibles, si bien qu'une combinaison entre la formule du cycle de l'Uruguay et la formule suisse constitue le bon compromis pour réduire les droits de douane (ce qui devrait être fait à partir de niveaux tarifaires consolidés), et qu'il importe, pour les pays industrialisés comme pour les pays en développement, de concevoir des mesures de sauvegarde répondant à de véritables besoins. Quant aux contingents tarifaires, ils sont très inégalement répartis entre les membres de l'Organisation, puisque leur attribution reflète la situation issue du cycle de négociations de l'Uruguay. Dès lors, les efforts pour ouvrir encore davantage les marchés ne pourront être équitablement partagés que si tous les pays sont placés sur un pied d'égalité, les pays en développement bénéficiant d'un traitement spécial approprié. L'accès préférentiel accordé aux plus faibles d'entre eux, associé à une politique économique rationnelle et à une saine capacité d'offre, peut déterminer leur intégration sur les marchés mondiaux. L'ignorer, c'est ne tirer aucun enseignement de Cancún.

Si l'UE doit redonner des gages de bonne volonté, d'autres pays, y compris les grands pays en développement figurant parmi les plus avancés, doivent aussi accorder un accès préférentiel à leur marché aux pays en développement, les plus nombreux, qui en ont besoin. L'initiative "Tout sauf les armes" lancée par l'UE ne doit pas rester unique. Nous considérons qu'outre les pays de l'OCDE, le G20, par exemple, devrait être invité à concéder des préférences commerciales aux pays du G90. Enfin, et ce n'est pas le moindre aspect, l'UE devrait continuer à exiger qu'il soit mis fin à l'usurpation de certaines de ses indications géographiques. Dans le cas contraire, la négation de cette source d'exportation précieuse, pour elle comme pour d'autres pays, ne pourrait que peser négativement sur les négociations dans ce domaine.

Sur le plan de la concurrence à l'exportation, l'UE a adopté une position tout à fait claire en demandant que toutes les formes de concurrence de cette nature soient soumises en même temps à un examen strict. L'UE a avancé des propositions très élaborées sur ce point, comme celle de supprimer les subventions à l'exportation pour une liste de produits qui présentent un intérêt pour les pays en développement. D'autres membres de l'OMC ont cependant voulu passer outre la déclaration de Doha en tentant de soustraire à des disciplines lourdes et contraignantes leurs propres instruments de concurrence à l'exportation. Au lieu de chercher à reformuler la déclaration de Doha, les autres membres de l'Organisation devraient réserver un accueil favorable aux initiatives de l'UE, y compris à la proposition portant sur les subventions à l'exportation.

En ce qui concerne les considérations autres que de nature commerciale, l'UE devrait poursuivre ses efforts pour tenter de traiter tous les dossiers liés aux règles applicables aux échanges agricoles au lieu de n'aborder que les aspects commerciaux. La protection de l'environnement, le bien-être animal, le développement rural sont autant d'aspirations légitimes de nos sociétés (voir également les observations présentées sous le titre "soutiens internes"). Si l'on n'en tient aucun compte, comme le font certains membres, les citoyens seront fatalement moins nombreux à soutenir une libéralisation plus poussée des échanges. Pour avancer dans la bonne direction, il faut intégrer ces préoccupations sans provoquer d'effet de distorsion sur le commerce.

Dans le dossier du coton, l'UE devrait défendre à l'OMC une solution efficace et adaptée pour enrayer le marasme des pays africains, en tenant compte des débats qui ont eu lieu au Conseil au cours des dernières semaines. L'initiative susceptible d'être prise concernant le coton dans le cadre des négociations agricoles devrait comporter trois éléments essentiels: l'engagement explicite d'accorder un accès en franchise de droits et sans contingentement aux exportations de coton provenant des pays les moins avancés, comme l'UE le fait déjà dans le cadre de l'initiative "Tout sauf les armes"; des réductions notables des formes de soutien interne qui faussent le plus les échanges; et la suppression des subventions à l'exportation selon un calendrier précis. La Commission a proposé de modifier en conséquence les soutiens communautaires internes dans le cadre de la réforme de son organisation commune de marché pour le coton et entend ajouter le coton aux produits présentant un intérêt pour les pays en développement qui figurent sur la liste des produits pour lesquels les subventions à l'exportation de l'UE seront éliminées. Cette initiative, bien qu'intégrée dans les négociations agricoles, pourrait bénéficier d'un traitement particulier, par exemple sous la forme d'un calendrier de mise en oeuvre spécifique.

L'UE et d'autres partenaires, notamment les organisations internationales compétentes, devraient continuer à appliquer parallèlement des mesures d'accompagnement pour encourager la modernisation et la restructuration de l'exploitation du coton dans les pays les moins avancés producteurs. La Commission donnera prochainement suite aux conclusions du Conseil du 18 novembre et proposera des orientations concrètes pour répondre aux préoccupations des pays en développement dans le secteur du coton.

Plus généralement, la Commission entend s'inspirer de ces idées pour illustrer les traitements possibles de la question des produits de base au sens large. Elle est résolue à apporter son concours à la définition d'une vaste initiative concernant ces produits et élaborera un plan d'action de l'UE dès janvier 2004. À l'intérieur de l'OMC, l'UE devrait soutenir des projets de cette nature qui ont pour objet de mettre en évidence le dossier des produits de base, comme le proposent les textes préparatoires à la conférence de Cancún.

S'agissant de la clause de paix, enfin, des négociations agricoles globales débouchant sur un accord acceptable par tous les membres risqueraient d'être menacées si certains membres ont recours au règlement des différends pour contester des subventions octroyées conformément à l'accord sur l'agriculture. Il s'agit de continuer à protéger ce type de subventions. Dans la mesure où la clause de paix actuelle ne sera plus en vigueur l'année prochaine, cependant, les membres, notamment ceux qui sont orientés vers l'exportation, devront opérer un choix stratégique entre deux options diamétralement opposées: soit ils estiment que c'est par la négociation multilatérale que l'on avancera vers un système commercial équitable et axé sur le marché, soit ils estiment que c'est par la procédure de règlement des litiges.

Pour conclure, les divers points évoqués ci-dessus traduisent une révision sensible de nos positions, qui est largement due aux réformes successives de la PAC. La Commission a utilisé cet argument dans les négociations, mais sans que cela incite jusqu'à présent les autres pays, à l'exception des États-Unis, à sortir de leurs positions retranchées. L'UE ne doit pas cesser de jouer un rôle constructif, dans tous les domaines, et continuera à envoyer des signes positifs en menant à leur terme ses propres réformes agricoles internes, comme le prévoient les récentes orientations relatives à la réforme dans les secteurs du coton, du sucre, de l'huile d'olive et du tabac. Les négociations ne pourront cependant déboucher sur un succès que si d'autres grands acteurs sont prêts à faire preuve de la même détermination à parvenir à un juste compromis.

L'accès aux marchés pour les produits non agricoles

Les négociations sur les obstacles tarifaires et non tarifaires aux échanges de produits non agricoles restent une priorité pour l'industrie communautaire et nos objectifs fondamentaux dans ce secteur restent fondés. Il s'agit d'un domaine dans lequel l'UE compte d'importants avantages potentiels liés au commerce. La dynamique de négociation avant Cancún et à Cancún a cependant été décevante: les modalités de poursuite des négociations qui se sont fait jour à Cancún auraient pu aboutir à une ouverture supplémentaire plutôt modeste du marché en général, avec un très faible écart entre les engagements des différents membres de l'OMC. En fait, les modalités proposées étaient assorties d'un tel nombre d'exclusions et d'exemptions, qu'elles auraient probablement donné lieu à un niveau très faible d'engagement, particulièrement de la part de certains pays en développement influents, notamment les plus avancés et les plus compétitifs d'entre eux. Bien qu'il ne soit nullement question pour les pays en développement de prendre, en matière d'accès au marché, des engagements aboutissant à des niveaux tarifaires généralement semblables à ceux des pays industrialisés, l'ampleur du déséquilibre aurait dénié un accès au marché valable non seulement à nos exportateurs, mais aussi à ceux d'autres pays en développement, même si les principaux gains d'une libéralisation accrue viendront d'une plus grande ouverture du marché Sud-Sud.

Ainsi, des modalités du type proposé à Cancún - mais que certains membres ont refusées - ne sauraient constituer une base équilibrée pour la poursuite des négociations lorsque celles-ci reprendront. Nous et beaucoup d'autres avec nous seront réticents à passer à une phase finale des négociations sur l'accès aux marchés pour les produits non agricoles qui n'offre pas de perspectives réelles d'amélioration effective de l'accès au marché pour nos exportations, en termes de réductions à la fois des droits consolidés et des droits effectivement prélevés et de disciplines strictes en ce qui concerne les mesures non tarifaires. Nous ne pouvons pas accepter non plus une approche qui permettrait aux partenaires de pays industrialisés de soustraire des secteurs importants à la libéralisation. Étant donné que le commerce des pays en développement porte à raison de 70 % sur les produits industriels et que c'est entre eux que ces pays dressent les barrières les plus élevées, il n'y aura des avantages importants en matière de commerce et de développement qu'en cas d'ouverture sérieuse du marché au sein des pays en développement, particulièrement des pays aux économies les plus avancées, qui sont parfaitement capables d'apporter une contribution utile. En effet, les craintes que l'impact de l'érosion des préférences inspire à plusieurs pays en développement plus faibles peuvent être largement atténuées par la création de nouveaux marchés pour leurs marchandises dans le Sud.

Les modalités de reprise des négociations d'accès aux marchés pour les produits non agricoles doivent donc être conçues de telle façon que la notion de réciprocité inférieure à la réciprocité totale n'équivale pas à la non-participation des pays en développement adhérant au processus de libéralisation, mais reflète plutôt la véritable capacité de contribution des membres à différents niveaux de développement. En ce qui concerne plus généralement la question de l'érosion des préférences, s'il est vrai qu'il n'y a aucune solution facile, les pays industrialisés, membres de l'OMC, devraient pour le moins suivre en partie l'exemple de l'UE, en prévoyant l'accès en franchise de droits et libre de tout contingentement à leurs marchés pour les importations en provenance des pays les moins avancés (PMA) ou, au moins, un accès général minimal pour les exportations des pays en développement. (Pour plus d'informations sur la question, voir la rubrique «développement» ci-dessous).

Sur cette base, lorsque les négociations reprendront, la Communauté devrait indiquer clairement que l'approche exposée dans les propositions qu'elle a précédemment transmises au groupe de négociation reste valable. Elle devrait s'en tenir fermement à une approche maintenant légitimement les niveaux élevés d'ambition énoncés dans le mandat de Doha et faisant en sorte que tous les membres contribuent à ce processus selon leur niveau de développement et de capacité économique. Cette approche devrait rester liée à une formule de réduction tarifaire simple, unique et non linéaire appliquée à toutes les lignes tarifaires, et aboutir notamment à la suppression des crêtes tarifaires et à des améliorations significatives des consolidations tarifaires. Elle devrait cependant comprendre également, au-delà des résultats de l'application d'une formule, des négociations sectorielles au sujet de produits présentant un intérêt particulier pour les pays en développement, ainsi que d'autres produits présentant un intérêt particulier pour l'UE. À cet égard, la Communauté devrait maintenir sa proposition de négocier, sur une base réciproque, au-delà de la formule tarifaire convenue, de nouvelles réductions des droits sur les produits textiles et les vêtements de façon à se rapprocher le plus possible de droits nuls. Les modalités doivent aussi refléter dûment l'intérêt de la Communauté et de beaucoup d'autres membres à voir adopter des disciplines utiles dans le domaine des barrières non tarifaires, ainsi que l'engagement pris par tous les participants à Doha de négocier la réduction ou l'élimination des obstacles à l'accès au marché des biens environnementaux. Les objectifs de l'UE devraient rester inchangés à cet égard.

Les services

Les négociations relatives aux services constituent une autre priorité pour l'UE et sont clairement l'un des domaines de négociation où elle a manifestement beaucoup à gagner. Les services devraient donc continuer à figurer parmi les priorités de l'agenda de négociation de l'UE. La poursuite de l'ouverture du commerce des services offre des avantages potentiels importants, non seulement à l'UE mais aussi à tous les pays, quel que soit leur niveau de développement. Cette ouverture peut et devrait être parfaitement compatible avec le maintien et la protection de services publics dans l'UE et ailleurs. Les progrès réalisés dans le cadre des négociations avant Cancún ont cependant été très décevants. Peu de pays en développement se sont engagés dans les négociations de demandes et d'offres, tandis que parmi les pays industrialisés, membres de l'OMC, la qualité des offres a été très insuffisante, l'UE ayant été la seule des membres plus importants à faire une offre valable, y compris pour le mode 4.

Un changement de rythme important s'imposera donc à la reprise des négociations, afin de refléter dûment l'importance de ces négociations en elles-mêmes ainsi que pour l'équilibre général du programme de Doha pour le développement. À cet effet, il y a lieu d'exiger de tous les membres de l'OMC un niveau d'engagement beaucoup plus grand, qui devrait se refléter dans la présentation, par les membres qui ne l'ont pas encore fait, d'offres valables, ainsi que dans l'amélioration sensible des offres déjà présentées. Les négociations concernant les services devraient également être davantage axées sur l'accomplissement du mandat de Doha qui vise à négocier la réduction ou l'élimination des obstacles à l'accès au marché des services environnementaux.

Les pays en développement doivent participer pleinement à cet effort, notamment en faisant une plus grande part aux échanges Sud-Sud et en ouvrant davantage les secteurs des services qui fournissent l'infrastructure clef du développement et de la croissance économiques. Ce n'est qu'en prenant part aux négociations, et non en se tenant à l'écart, que les pays en développement peuvent parvenir à une croissance durable. La coopération au développement peut en l'occurrence jouer un rôle important, à la fois en identifiant les intérêts des pays en développement en matière d'exportation et en les aidant, grâce à des mesures de renforcement des capacités, à mettre en place les structures et les politiques de régulation appropriées qui revêtent de l'importance dans divers secteurs des services afin de garantir l'élaboration d'un cadre solide en vue de l'ouverture aux échanges commerciaux. L'UE devra évidemment continuer à y contribuer. Un nouvel élan s'impose aussi dans les négociations en matière d'élaboration de règles relatives aux services, qui présentent un intérêt particulier tant pour l'UE que pour les pays en développement.

Les sujets dits de Singapour

Il est d'une importance cruciale, pour les pays tant industrialisés qu'en développement, de créer des conditions optimales pour le commerce transfrontalier (facilitation des échanges), d'encourager un climat propice aux investissements productifs directs d'origine étrangère, de promouvoir la concurrence loyale et l'acquisition des meilleurs biens et services pour leurs citoyens à des prix raisonnables. Il subsiste cependant un profond désaccord entre les membres de l'OMC en ce qui concerne l'utilité d'établir des règles sur ces quatre sujets à un niveau multilatéral dans le cadre de l'OMC et, depuis Cancún, dans l'engagement unique du programme de Doha pour le développement.

L'UE ne voit aucune raison d'abandonner l'objectif fondamental et à long terme d'élaboration de règles pour ces quatre sujets en tant que moteurs de l'économie mondiale. Nous ne devrions pas non plus, par principe, refuser l'OMC comme forum de négociation de règles. La question est donc désormais de savoir comment des membres de l'OMC peuvent élaborer une base commune pour négocier ces questions au sein de l'Organisation.

Certains ont fait valoir que les quatre sujets devraient, par souci d'apaisement, être retirés du programme de Doha pour le développement: si l'UE devait l'accepter, cela renverrait plusieurs années en arrière l'indispensable élaboration d'une réglementation internationale en la matière. D'autres ont estimé que les membres de l'OMC devraient se limiter aux négociations relatives à la facilitation des échanges, sujet qui ne semble susciter aucune opposition fondamentale, et renoncer totalement aux autres. Si cette appréciation concernant la facilitation des échanges peut être vraie, pour le reste, nous devrions, répétons-le, rejeter comme inacceptable cette modification radicale du programme de Doha.

En cherchant à élaborer un fondement pratique pour les travaux de l'OMC en ce qui concerne les sujets de Singapour, l'UE devrait donc partir du principe qu'il reste souhaitable de poursuivre le débat sur les quatre sujets de Singapour dans le cadre de l'engagement unique. Cependant, si, comme cela semble probable, un accord sur les modalités dans le cadre d'un engagement unique reste difficile à atteindre, l'OMC devra trouver un moyen de traiter ces sujets sur une autre base. L'UE devrait donc explorer avec toute l'ouverture d'esprit nécessaire la possibilité d'accéder encore aux souhaits de certains membres de l'OMC désireux de participer aux négociations sur les sujets dits de Singapour, tout en acceptant que d'autres n'y participent pas, voire s'en excluent expressément.

La Communauté devrait donc procéder à une analyse strictement intrinsèque de chacun des quatre sujets, et ne plus insister pour qu'ils soient abordés d'une manière identique à défaut de consensus. Elle devrait explorer les possibilités de négocier certains, voire la totalité des quatre sujets dits de Singapour, en dehors de l'engagement unique, et dans toute la mesure nécessaire en se fondant sur la participation aux négociations et l'adoption des résultats finaux sur une base volontaire par les seuls membres intéressés. La Commission devra ensuite apprécier, en fonction du degré d'intérêt et du nombre de pays désireux d'y prendre part, si ces négociations apporteraient véritablement une valeur ajoutée. Dans la mesure où l'exécution de tout engagement futur reste une réelle préoccupation pour les pays en développement, notamment les plus faibles d'entre eux, la Communauté et d'autres partenaires devraient continuer à accorder la priorité à l'assistance technique et à l'aide au développement dans ces domaines.

Explorer cette approche nous paraît être la seule manière d'élaborer des règles sur les sujets de Singapour tout en acceptant le fait que les membres ne sont pas tous prêts à adopter cette mesure dès à présent ou dans un avenir proche. Cela semble également être la seule manière de permettre l'engagement des négociations sur ces sujets en éliminant, une fois pour toutes, la fausse logique de l'idée que l'UE devrait, d'une manière ou d'une autre, «payer» pour qu'ils soient abordés.

Le commerce et l'environnement

La relation entre la libéralisation des échanges, l'élaboration de règles commerciales et les actions visant à protéger l'environnement à tous les niveaux est au coeur de nombreuses préoccupations exprimées en Europe au sujet du développement de l'économie mondiale. Certains craignent que l'OMC ne devienne un obstacle à l'élaboration d'une politique de l'environnement. D'autres acteurs européens craignent qu'une réglementation excessive en vue de la protection de l'environnement ne devienne une charge inutile, disproportionnée, voire protectionniste, pour les opérateurs mondiaux, y compris ceux des pays en développement. Certains experts en politique commerciale considèrent que l'interaction entre le commerce et l'environnement ne pose aucun problème réel et, pourtant, cette interaction a cristallisé, à plusieurs reprises au cours de la dernière décennie, l'opposition à l'élaboration d'une politique commerciale et les préoccupations en matière de gouvernance mondiale. Ces inquiétudes ne s'expriment pas seulement en Europe mais dans le monde entier bien que l'UE soit parmi les rares acteurs à en avoir tiré la conclusion que l'OMC devrait clarifier ces questions complexes.

Les membres de l'OMC s'accordent à reconnaître l'importance de la protection de l'environnement ainsi que la nécessité de disposer d'une réglementation nationale et internationale non protectionniste et la moins restrictive possible sur le plan commercial en vue d'assurer la protection de l'environnement. Ils ne sont, en revanche, pas d'accord sur la question de savoir s'il y a lieu d'agir aujourd'hui dans le cadre de l'OMC pour contribuer à améliorer la relation entre les systèmes législatif et politique en matière de commerce et d'environnement et à veiller à ce qu'ils se renforcent mutuellement.

Actuellement, la relation entre les systèmes législatif et politique en matière de commerce et d'environnement est l'expression d'un équilibre instable. Les conclusions de l'organe d'appel de l'OMC ont contribué au fil des années au maintien de cet équilibre, du moins jusqu'à présent. Il reste d'un intérêt capital pour l'UE et pour la poursuite par l'OMC de son objectif de développement durable d'appliquer le mandat de Doha aux questions commerciales et environnementales pour rendre cet équilibre plus stable et plus prévisible. Tout autre choix compromettrait la légitimité et la crédibilité de l'OMC en témoignant d'un manque de confiance dans la capacité des opérateurs de traiter dûment les questions horizontales, ou d'un défaut de la volonté de réaliser dans le cadre de l'OMC les engagements de Johannesburg. Étant donné ce mandat, l'UE ne saurait admettre l'extinction des négociations portant sur le commerce et l'environnement dans le cadre du programme de Doha pour le développement.

En ce qui concerne le lien entre les deux sources de droit international - accords environnementaux multilatéraux (AEM), d'une part, et OMC, d'autre part -, l'UE a avancé des idées tant pour une approche juridique de l'accomplissement de ce mandat que pour des notions politiques plus larges, dont l'acceptation formelle par l'ensemble des membres pourrait contribuer à la définition d'une interface plus stable entre les politiques commerciales et environnementales qui leur permettrait de se renforcer mutuellement. Sans abandonner l'une ou l'autre voie, il semble actuellement utile, vu la dynamique élaborée à Genève, de se concentrer davantage sur les principes politiques et de vérifier s'ils pourraient constituer la base de nouveaux progrès. C'est également le message général que nous adresse la société civile européenne.

Un recentrage sur les principes de bonne gouvernance pourrait également présenter l'avantage d'ouvrir la voie au dialogue sur les moyens d'améliorer le mécanisme de règlement des différends concernant les accords environnementaux multilatéraux, notamment par un apport meilleur et plus clair des experts en matière d'environnement, apport qui est depuis longtemps à l'ordre du jour du comité du commerce et de l'environnement. À cet égard, les options à explorer pourraient comprendre un recours plus systématique à l'article 13 du mémorandum d'accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends (DSU) (selon lequel chaque groupe spécial a le droit de demander à toute personne ou à tout organisme qu'il jugera approprié des renseignements et des avis techniques). Le rapport 1996 du comité du commerce et de l'environnement à la réunion ministérielle de Singapour admettait déjà «l'avantage de disposer de toute l'expertise nécessaire à tous les panels de l'OMC dans les cas impliquant des mesures environnementales liées au commerce, y compris des mesures commerciales prises conformément aux accords environnementaux multilatéraux». En outre, les invitations à observer les sessions de négociation que le comité du commerce et de l'environnement transmet régulièrement aux secrétariats des accords environnementaux multilatéraux marquent une amélioration utile des pratiques de l'OMC depuis Doha. Le mandat du programme de Doha pour le développement concernant les observateurs, qui prévoit que le comité du commerce et de l'environnement négocie les critères d'octroi du statut d'observateur aux secrétariats des accords environnementaux multilatéraux, est cependant beaucoup plus vaste. Le débat sur ce point organisé au comité du commerce et de l'environnement devrait se tenir dans un cadre indépendant de l'actuel débat du Conseil général sur le statut d'observateur auprès de l'OMC, qui n'a pas progressé depuis longtemps (en raison des incidences politiques liées au statut de la Ligue arabe). Notre point de vue sur la façon de traiter ce vaste mandat doit encore faire l'objet d'une analyse détaillée à Genève: les travaux devraient dorénavant se concentrer davantage sur ce point.

En ce qui concerne les questions d'accès aux marchés, les travaux relatifs aux services environnementaux ont besoin d'une impulsion politique. Pour ce qui est des biens environnementaux, il y a lieu d'exposer clairement à nos partenaires commerciaux que l'UE cherche des résultats acceptables reflétant les intérêts des pays industrialisés et des pays en développement. Il n'est nullement question pour l'Union européenne de mettre directement en cause l'orthodoxie des méthodes dans le domaine des marchandises à Genève pas plus que d'inviter les pays importateurs à sacrifier l'intégrité de leur autonomie réglementaire nationale pour encourager des importations en provenance d'autres pays en violation de règles environnementales ou autres. Il conviendrait cependant de moduler entre ces extrêmes pour améliorer les conditions des échanges de biens environnementaux dans le cadre des négociations d'accès aux marchés pour les produits non agricoles.

La CE entend également contribuer activement aux discussions sur l'assistance liée au commerce et à l'environnement, que ce soit dans le cadre du comité du commerce et de l'environnement ou de celui du commerce et du développement, afin d'encourager les activités de l'OMC dans ce domaine particulier, en étroite collaboration avec d'autres organisations internationales.

En matière de règles, les travaux concernant les subventions aux pêcheries sont primordiaux dans notre philosophie du commerce et de l'environnement et sont généralement considérés comme des activités essentielles pour l'OMC. L'UE doit continuer à jouer un rôle déterminant en la matière.

Enfin, la CE devrait également continuer à examiner comment parvenir à rendre le paragraphe 51 de la déclaration de Doha plus opérationnel, qui prévoit que le comité du commerce et du développement et le comité du commerce et de l'environnement servent de cadre à la mise en évidence et à l'examen des aspects des négociations qui touchent au développement et à l'environnement, de manière à vérifier si et comment les objectifs environnementaux sont correctement reflétés dans les négociations.

Les indications géographiques

L'économie mondiale n'a pas donné lieu à une demande de produits identiques partout dans le monde. Au contraire, de nombreux produits, allant des produits alimentaires et boissons aux articles artisanaux, sont fabriqués pour refléter des savoir-faire locaux et pour répondre aux besoins spécifiques des marchés locaux.

L'idée qu'un produit local devrait porter la marque de son origine est universellement admise comme un outil potentiellement utile au développement d'entreprises. Elle est même au coeur du développement de la production vinicole chez beaucoup de nouveaux opérateurs mondiaux au cours des vingt dernières années. Elle est également au coeur de la politique de développement rural de bon nombre de pays, l'exemple récent le plus notable étant la Thaïlande. Les indications géographiques sont un outil de commercialisation, une réserve de valeur et une source de fierté légitime pour ceux qui produisent en se fondant sur la force de leurs traditions locales. Cette idée est largement partagée par les pays en développement et les pays industrialisés.

Plus controversée est la question de définir le meilleur cadre juridique mondial pour permettre aux entreprises de développer des stratégies d'indications géographiques si elles le souhaitent. Encore plus controversés sont les coûts potentiels d'ajustement lorsque l'élaboration d'un meilleur cadre juridique présente non seulement des avantages à long terme pour tout le monde, mais des défis d'ajustement à court terme pour ceux qui peuvent être empêchés de développer certaines stratégies ou tenus d'ajuster des stratégies établies.

Nul ne peut donc prétendre que les indications géographiques font l'objet d'un consensus universel. Mais elles représentent un potentiel économique mondial, et une négociation visant à développer davantage le cadre existant de l'OMC peut permettre à tous les acteurs d'équilibrer les coûts et avantages afin que tous puissent y gagner. Trois questions essentielles se présentent à nous: le régime actuel de protection des indications géographiques en matière de vins et de spiritueux, qui a résisté au temps depuis la création de l'OMC, peut-il être maintenant développé sur une période de transition appropriée par l'établissement d'un registre des indications géographiques pour tous les vins et spiritueux dans le monde entier. Une deuxième question vise à savoir si le régime éprouvé des vins et des spiritueux ne devrait pas être étendu à d'autres produits. Enfin, dans le contexte agricole, il y a lieu de se demander si nous pouvons chercher une réponse multilatérale à la diminution de certains types d'utilisation d'indications géographiques dans des pays dont elles n'étaient pas originaires: cela a été prévu dans l'accord ADPIC, mais n'a pas fait l'objet de négociations bilatérales ni multilatérales à ce jour.

L'UE a mené une stratégie commerciale claire et cohérente sur cet ensemble de questions. Il subsiste néanmoins un écart considérable entre les ambitions de l'UE dans ce domaine et la volonté d'un nombre important de membres de l'OMC d'accepter un résultat significatif. Comme il est clair que l'UE ne peut accepter les propositions de certains partenaires visant à abandonner cette partie du programme de négociation convenu à Doha, dans le contexte des droits de propriété intellectuelle proprement dit, ou dans celui de l'agriculture, nous devons intensifier nos travaux pour inspirer suffisamment confiance à nos partenaires afin de les convaincre de faire preuve de la flexibilité nécessaire. La persuasion et le pragmatisme sont les outils que nous devons employer dans cette tâche.

L'UE a déjà manifesté sa volonté de faire preuve d'une grande souplesse quant aux modalités précises de création d'un registre multilatéral. Notre position est claire: nous souhaitons un registre contraignant, mais accompagné d'une phase soigneusement définie de démarrage d'une durée appropriée. Nous pensons que nous devrions être en mesure de combler l'écart avec d'autres membres de l'OMC, qui limitent actuellement leurs ambitions à un registre non contraignant assorti d'un mécanisme permettant son évolution ultérieure vers un statut juridique à part entière. Le lancement de négociations sur l'extension est un objectif important de l'UE en soi, mais c'est également le moyen de susciter un intérêt plus vaste pour le régime général des indications géographiques dans le cadre de l'OMC. Les pays en développement notamment sont en train de définir un nombre croissant d'indications géographiques qui pourraient être intéressantes pour eux, à la fois sur leur marché national et sur les marchés d'exportation. Il importera de leur signaler que l'UE continuera à soutenir les négociations relatives à l'extension de la protection des indications géographiques qui offre aux pays en développement une occasion concrète de défendre leurs propres intérêts dans ce domaine, et n'est pas exclusivement destiné à garantir la protection des intérêts de l'UE.

En ce qui concerne la liste des indications géographiques transmises à nos partenaires avant Cancún, il est important que l'UE finalise rapidement les ajouts qui s'imposent pour tenir compte de l'élargissement et pour poursuivre une approche raisonnable et modérée de cette négociation. Nous devrons cependant indiquer clairement que les progrès en ce qui concerne cette liste ne sauraient remplacer les progrès concernant un registre multilatéral, ou l'extension de la protection des droits de propriété intellectuelle à d'autres produits protégés par une indication géographique et que des résultats concrets doivent être atteints sur les trois ensembles de questions.

Les règles de l'OMC, notamment en matière d'accords commerciaux régionaux

Les négociations portant sur les règles (mesures antidumping, subventions et accords commerciaux régionaux) n'ont pas été abordées à Cancún. Elles devront donc entrer dans une phase plus intensive, conformément au mandat de Doha, lorsque le travail sur le programme de Doha pour le développement reprendra.

Dans le domaine des mesures antidumping comme dans celui des subventions, il est toujours d'un intérêt économique essentiel pour l'Union européenne de renforcer les disciplines établies, afin de réduire la multiplication éventuelle des mesures protectionnistes et des mesures faussant les échanges qui a été constatée ces dernières années. Nous devons donc maintenir cette approche dans les négociations. L'UE s'est depuis longtemps fixé pour objectif d'établir des règles de défense commerciale équilibrées, afin de protéger l'industrie européenne des effets des pratiques déloyales, sans toutefois tomber dans le piège consistant à combattre une distorsion commerciale par une autre. C'est pourquoi les mécanismes de défense commerciale mis en place par l'UE ont toujours été régis, et continuent à l'être, par des critères et des dispositions plus stricts que ceux des autres membres de l'OMC (comme par exemple la «règle du moins droit»). Les positions adoptées par d'autres membres sur cette question et le résultat de Cancún ne font que confirmer la nécessité de négocier pour ces règles des améliorations ambitieuses et visant à la libéralisation des échanges. Nous avons des objectifs semblables dans le domaine des subventions, où nous aspirons également à une amélioration et à une plus grande transparence des disciplines, notamment en ce qui concerne la pêche. Il est temps, là aussi, d'entrer dans le vif du sujet.

En ce qui concerne les accords commerciaux régionaux, l'expérience de l'UE démontre que ces accords, s'ils observent strictement les conditions établies dans l'article XXIV du GATT et l'article V de l'AGCS, peuvent contribuer au bon fonctionnement du système commercial multilatéral. Toutefois, la création de plus en plus fréquente, entre certains membres, de zones très partielles de «libre-échange», couvrant un secteur spécifique, est source de préoccupation. La position adoptée par l'UE dans ce domaine repose sur la nécessité de clarifier les zones d'ambiguïté que présentent ces règles, afin de renforcer la complémentarité entre la libéralisation régionale et bilatérale et la libéralisation multilatérale. Il semblerait que, dans le prolongement de Cancún, un nombre croissant de membres de l'OMC soit tenté de préférer la conclusion d'accords de libre-échange et d'accords commerciaux régionaux au processus de libéralisation multilatérale. Et, fait plus inquiétant encore, on constate que cette tendance gagne un certain nombre d'accords tarifaires bilatéraux, jusqu'ici conclus au titre de la clause d'habilitation. Il conviendrait de réexaminer le rôle de cette clause, afin de garantir une plus grande transparence et un contrôle multilatéral plus strict des accords conclus dans ce cadre. Cette situation rend encore plus impérieuse la nécessité de clarifier les normes applicables et de resserrer la surveillance multilatérale de ces éventuels futurs accords commerciaux régionaux, pour s'assurer que tout accord de ce type vise réellement à libéraliser les échanges, qu'il favorise le multilatéralisme et n'a pas pour conséquence de fausser les marchés, de limiter les échanges avec d'autres membres ou de fragiliser le processus de libéralisation reposant sur le principe de la nation la plus favorisée. Il est essentiel que l'UE rejette fermement toute tentative visant à affaiblir les règles qui régissent les accords commerciaux régionaux ou à prétendre que ces accords doivent échapper aux disciplines multilatérales.

Plus généralement, l'Union s'est interrogée, après Cancún, sur l'opportunité de donner une plus grande priorité aux accords de libre-échange bilatéraux et régionaux. De nombreux membres de l'OMC - dont les États-Unis et certains pays en développement d'Asie - ont annoncé leur intention d'étendre leur réseau d'accords de libre-échange, qu'ils développeront parallèlement aux négociations menées au sein de l'OMC, ou en dehors de l'Organisation, compte tenu de l'absence de progrès enregistré au niveau multilatéral. La question est de savoir s'il serait souhaitable que l'UE suive ce mouvement, ou si une réorientation radicale de notre politique ne risque pas de déstabiliser le multilatéralisme ou de desservir nos propres intérêts. Nous sommes arrivés à la conclusion qu'il convient de maintenir les grande lignes de notre politique et de notre programme de négociation actuels et que, pour éviter de freiner les progrès réalisés dans le cadre du programme de Doha pour le développement, il nous faut prendre garde à ne pas faire pencher davantage la balance en faveur du bilatéralisme. Parallèlement, nous avons aussi conclu que ce souci de conserver la même approche était compatible avec un éventuel développement de notre réseau d'accords régionaux et bilatéraux, si des raisons déterminantes, d'ordre économique ou autre, venaient à se présenter. Pour cela, un processus de réévaluation régulière sera nécessaire.

Les questions de développement

Au lendemain de Cancún, certaines voix se sont élevées pour remettre en cause la capacité du programme de Doha pour le développement à atteindre ses objectifs en matière de développement et/ou s'interroger sur l'adhésion des membres de l'OMC à ce volet du programme. L'intégration des pays en développement dans l'économie mondiale est une condition nécessaire du développement. Or, cette intégration sera plus juste et plus durable si elle s'inscrit dans le système commercial multilatéral. La contribution que le programme de Doha pour le développement peut y apporter conserve tout son poids. Il faut toutefois reconnaître que le processus s'est pour l'instant révélé pour le moins ardu et que les États membres de l'OMC, aussi bien parmi les pays industrialisés que les pays en développement, sont, au moins en partie, tombés dans le piège consistant à voir le volet développement du programme de Doha à travers le prisme très réducteur du «traitement spécial et différencié» qui prévalait dans le cadre du GATT et a démontré son inefficacité au fil des années. Or, la remise en cause de cette notion n'a progressé qu'au niveau théorique au sein de l'OMC et ne s'est pas encore suffisamment imposée dans le processus de négociation.

L'Union européenne devra donc déployer des efforts importants pour que les négociations, lorsqu'elles auront repris, parviennent à des résultats réellement favorables au développement dans tous les domaines du programme de travail de Doha, comme l'y enjoint le Conseil dans ses conclusions. Pour atteindre cet objectif, les lignes d'action demeurent celles que la Commission a exposées en septembre 2002 dans sa communication sur le commerce et le développement et que le Conseil a approuvées: accès aux marchés; règles multilatérales; aide liée au commerce et renforcement des capacités - et notamment, intégration de l'aide liée au commerce dans les cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté et dans les autres stratégies du même type. Il est évident que les effets les plus positifs du programme de Doha sur le développement naîtront d'une politique ambitieuse de libéralisation des échanges et du renforcement des règles multilatérales. Cancún a néanmoins souligné les difficultés rencontrées par les pays en développement les plus pauvres pour négocier efficacement et dans les délais, même sur des questions capitales pour eux.

En ce qui concerne l'accès aux marchés, il est de plus en plus manifeste, comme il ressort des paragraphes ci-dessus consacrés à l'agriculture, aux services et à l'accès aux marchés pour les produits non agricoles, que les pays en développement ne pourront récolter les fruits du développement que s'ils contribuent eux aussi au processus de libéralisation, en fonction de leurs capacités, et s'ils commencent à s'ouvrir les uns aux autres. Ce n'est pas en restant à l'écart qu'ils assureront leur croissance et leur intégration économiques.

Pour ces pays, à l'évidence, la meilleure façon de favoriser leur développement consiste à s'engager progressivement à respecter des règles multilatérales plus strictes, tout en tirant parti des engagements semblables pris par d'autres pays, plutôt qu'à vouloir obtenir des dérogations permanentes aux disciplines de l'OMC. Les dérogations et les périodes transitoires ont été accordées à l'origine aux pays en développement pour leur laisser le temps de mettre en oeuvre des règles qui devaient leur être aussi profitables qu'aux pays industrialisés, mais qui, à court terme, risquaient de peser indûment sur leurs ressources. Cette fonction initiale a été trop souvent oubliée. Les pays en développement se sont trop fréquemment servi des dérogations et des périodes transitoires pour reporter à l'infini la prise en charge de nouvelles obligations. Les pays industrialisés, de leur côté, ont trop souvent jugé préférable d'accéder à la demande des pays en développement, plutôt que d'examiner si les règles négociées convenaient véritablement à tous les membres, même à des échéances différentes.

Dans une certaine mesure, le principe du «traitement spécial et différencié» a été dénaturé, au point que le volet développement de l'OMC est perçu comme une dispense permanente pour les pays en développement de s'acquitter d'obligations importantes, aussi bien en matière de règles que d'accès aux marchés. Ce raisonnement a particulièrement gêné les discussions menées à Doha sur les questions de mise en oeuvre et de traitement spécial et différencié - situation d'autant plus regrettable que les programmes de travail portant sur ces deux domaines peuvent grandement contribuer au développement, s'ils sont abordés de façon critique et rationnelle. Cette logique a aussi affecté les négociations sur l'agriculture et l'accès aux marchés pour les produits non agricoles.

À la lumière des deux années de travail qui ont suivi Doha, il apparaît que les questions du traitement spécial et différencié et de la mise en oeuvre se sont écartées de leur axe. Il convient donc de les recentrer sur les objectifs à long terme qui les guident, faute de quoi les membres de l'OMC continueront à se plaindre du manque d'avancées concrètes en la matière. Ce constat a au moins trois conséquences. Premièrement, ces deux programmes de travail ne pourront aboutir qu'en cas de véritables négociations. L'Union européenne était prête à encourager ces négociations à Cancún. Elle doit être tout aussi ouverte à la relance d'un programme de Doha pour le développement plus équilibré, dans laquelle les groupes de négociation se verront confier les différentes questions liées au traitement spécial et différencié et à la mise en oeuvre.

Deuxièmement, il faudrait accorder une plus grande attention à la résolution des problèmes rencontrés par les membres les plus vulnérables de l'OMC - les pays les moins avancés, les petites économies, les pays en développement enclavés et tous ceux qui sont particulièrement vulnérables aux chocs économiques, possèdent une économie ou des infrastructures fragiles, ou demeurent fortement dépendants des régimes préférentiels et des recettes douanières. Ces membres ont impérativement besoin de souplesse dans l'application des règles de l'OMC, mais aussi de mesures d'aide au développement pour remédier aux faiblesses de l'offre et de mesures visant à améliorer l'accès aux marchés. Le travail entrepris dans ce cadre devrait être guidé par le principe, consacré par les règles de l'OMC, qu'à mesure qu'ils se développent, les membres peuvent assumer des engagements plus importants et apporter une plus grande contribution au système multilatéral. Par ailleurs, ces engagements ne doivent pas concerner uniquement les relations commerciales avec les pays industrialisés. Il n'y a aucune raison, par exemple, pour qu'au moins les plus robustes des économies en développement n'étendent pas leurs préférences tarifaires à d'autres pays en développement, ou n'accordent pas de traitement en franchise de droits et sans contingentement aux pays les moins avancés. Les pays du G 20 pourraient être invités à envisager quelles préférences ils sont disposés à étendre aux pays du G 90. Ce meilleur accès aux marchés, combiné à des mesures de soutien des réformes axées sur l'offre, contribuera à modérer l'éventuel impact de la réduction des marges de préférence qu'entraîne une libéralisation multilatérale accrue des échanges.

Troisièmement, en ce qui concerne la négociation, en faveur des pays en développement, d'un assouplissement des conditions d'application des règles de l'OMC, qui est au coeur du programme de travail relatif au traitement spécial et différencié, l'UE ne devrait appuyer le principe d'exemption et de dérogation permanente à ces règles que dans des cas exceptionnels, limités aux pays les moins avancés, à d'autres membres économiquement fragiles, et aux situations dans lesquelles une telle mesure contribue à stimuler, et non à freiner, le développement.

Enfin, l'UE et les États membres ne peuvent se contenter de réaffirmer, à l'OMC comme ailleurs, leur engagement - politique et financier - en faveur de l'aide liée au commerce et du renforcement des capacités. Il s'agit là d'une condition nécessaire, mais, de loin, insuffisante. Le programme d'assistance technique de l'OMC a connu un certain nombre de problèmes de mise en route: décalage entre les ressources financières engagées par ses membres, capacité de l'OMC elle-même, sur le plan des ressources humaines et de l'organisation, à mettre en oeuvre le programme et manque de clarté dans les orientations politiques des membres de l'OMC quant à la direction stratégique du programme.

La nécessité d'une continuité de l'engagement financier des pays industrialisés doit être réaffirmée. En outre, il faut que l'UE insiste pour que l'OMC, en tant qu'organisation, soit dotée des outils nécessaires pour accomplir sa tâche, en commençant par des ressources humaines plus importantes et de meilleure qualité. Il importe que l'OMC renforce sa capacité à identifier les besoins des pays en développement dans ce domaine. Pour cela, elle doit s'appuyer davantage sur le travail réalisé par ses organes et comités, et notamment sur les conclusions des examens des politiques commerciales, tout en gardant à l'esprit que les pays en développement ayant le plus grand besoin d'assistance sont ceux qui sont le moins à même de le formuler de façon convaincante. L'aide liée au commerce instituée par l'OMC doit s'orienter, non plus vers des actions d'explication et de sensibilisation, mais vers le traitement, à très court terme, de la véritable difficulté de ces pays à prendre part aux négociations et au travail de l'Organisation, tout en jetant les bases de la mise en oeuvre de futurs accords, en collaboration avec d'autres institutions multilatérales et d'autres sources de financement bilatérales.

L'amélioration du fonctionnement de l'OMC

Enfin, même si l'échec de la conférence ministérielle de Cancún est due pour une large part, comme indiqué plus haut, à des divergences importantes entre ses membres, les sérieuses lacunes constatées sur le plan de l'organisation et des procédures y ont aussi contribué. Les membres de l'OMC ont commencé à reconnaître que, si ces lacunes ne sont pas rapidement comblées, elles continueront à entraver tous les efforts déployés pour reprendre et mener à bien de futures négociations. L'Union européenne, quant à elle, a demandé s'il était nécessaire - question tout sauf rhétorique - d'apporter des améliorations au fonctionnement de l'OMC. Elle devrait maintenant avancer un certain nombre de propositions, visant notamment à améliorer la préparation et la gestion des conférences ministérielles, afin de renforcer l'efficacité des négociations et du processus de décision entre des membres de plus en plus nombreux. L'Union a axé sa réflexion sur des changements qui pourraient être introduits rapidement, sans modifier les règles fondamentales ni la constitution de l'OMC et sans interférer en aucune manière avec les négociations de fond. Il devrait être possible, par exemple, de convenir à brève échéance d'une meilleure définition des fonctions remplies par le pays qui accueille une conférence ministérielle, d'un rôle plus important à accorder au directeur général ou de la nécessité de désigner des "facilitateurs" au niveau ministériel à un stade plus précoce du processus. De même, il convient d'améliorer la capacité des petites délégations (non résidentes) de négocier efficacement, tant dans le cadre du processus en cours à Genève qu'aux réunions ministérielles. La solution se trouve certainement en partie dans l'assistance technique. Il est souhaitable que l'UE présente ces propositions à l'OMC dans les prochaines semaines, afin que les changements à apporter à l'organisation et aux procédures soient réalisés en temps voulu et que, loin d'être un frein, ils facilitent réellement le consensus.

Conclusions

Le présent document a pour objet de tenter de tirer des conclusions globales de la réflexion et des consultations menées par la Commission ces deux derniers mois, en tenant pleinement compte des avis exprimés au sein du comité de l'article 133, par les députés du Parlement européen et ailleurs. Il répond également au souhait exprimé par le Conseil européen d'engager l'UE dans une réflexion sur sa stratégie multilatérale, dans le cadre de son action pour relancer le cycle de Doha. L'Union a tenté d'identifier, dans les différents domaines du programme de Doha pour le développement, les actions qu'elle et ses partenaires commerciaux doivent mener - partenaires dont elle attend également qu'ils manifestent leur engagement en faveur du processus de négociation. Enfin, le présent document tente de répondre, au moins en partie, aux quatre questions de fond posées par la Commission au lendemain de l'échec de la conférence de Cancún.

La Commission estime que les orientations définies dans le présent document permettront à l'UE de jouer son rôle en contribuant à remettre les négociations sur la bonne voie, cette fois-ci sur une base plus solide. Tel doit être notre objectif. La Commission souhaiterait s'appuyer sur cette approche, après son examen au Conseil et au Parlement européen et en tenant compte de tous les avis exprimés, pour parvenir à une relance des négociations de Doha, en collaboration avec nos partenaires de l'OMC.