62001C0380

Conclusions de l'avocat général Alber présentées le 10 décembre 2002. - Gustav Schneider contre Bundesminister für Justiz. - Demande de décision préjudicielle: Verwaltungsgerichtshof - Autriche. - Directive 76/207/CEE - Égalité de traitement entre hommes et femmes - Promotion professionnelle - Principe d'un contrôle juridictionnel effectif - Irrecevabilité. - Affaire C-380/01.

Recueil de jurisprudence 2004 page 00000


Conclusions de l'avocat général


I - Introduction

1 Dans la présente demande de décision préjudicielle, le Verwaltungsgerichtshof (Autriche) a posé à la Cour une question sur l'interprétation de l'article 6 de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (1) (ci-après la «directive»). La question vise à savoir si, eu égard au principe de l'égalité de traitement, il est suffisamment satisfait à l'exigence de permettre à toute personne de faire valoir ses droits par voie juridictionnelle lorsque la compétence est réservée au seul Verwaltungsgerichtshof, en tant que juridiction de cassation, n'exerçant son contrôle que sur les questions de droit.

2 Dans le cas d'espèce, le demandeur au principal (ci-après le «demandeur») - auquel une femme avait été préférée lors d'une promotion - avait intenté, outre une action prévue par le Bundesgleichbehandlungsgesetz (loi autrichienne fédérale sur l'égalité de traitement, ci-après le «B-GBG») devant l'autorité administrative puis devant le Verwaltungsgerichtshof, où il demandait la réparation du dommage qu'il avait subi du fait de la discrimination alléguée, un recours général en responsabilité de l'État (Amts- und Staatshaftungsklage) devant les tribunaux civils pour faire valoir le droit à réparation qu'il tire de la transposition prétendument insuffisante des dispositions communautaires de l'article 2, paragraphe 4, de la directive. Les tribunaux civils ont confirmé leur compétence à trois niveaux, ont constaté qu'en principe un droit à réparation pour cause de responsabilité de l'État est ouvert en cas de non-application du principe d'égalité, mais ils ont nié que les conditions soient remplies en l'espèce.

3 À cause de cette voie de recours supplémentaire aux tribunaux civils à plusieurs niveaux d'instance, qui pourrait en soi déjà répondre aux exigences de l'article 6 de la directive précitée, on peut se demander si la demande de décision préjudicielle du Verwaltungsgerichtshof, qui part de l'idée qu'il est seul compétent, est même recevable.

II - Cadre juridique

A - Droit communautaire

4 L'article 3, paragraphe 1, de la directive stipule:

«L'application du principe de l'égalité de traitement implique l'absence de toute discrimination fondée sur le sexe dans les conditions d'accès, y compris les critères de sélection, aux emplois ou postes de travail, quel qu'en soit le secteur ou la branche d'activité, et à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle.»

5 L'article 6 de la directive dispose:

«Les États membres introduisent dans leur ordre juridique interne les mesures nécessaires pour permettre à toute personne qui s'estime lésée par la non-application à son égard du principe de l'égalité de traitement au sens des articles 3, 4 et 5 de faire valoir ses droits par voie juridictionnelle après, éventuellement, le recours à d'autres instances compétentes.»

B - Droit national

6 L'article 3 du B-GBG (dans la version applicable à l'époque litigieuse) prévoit:

«Nul ne peut être discriminé ni directement ni indirectement en raison de son sexe dans le cadre d'un rapport de service ou de formation conformément à l'article 1er, paragraphe 1er, notamment pas

1-4 [...]

5. dans le cadre de la progression de carrière, en particulier en cas de promotion et d'affectation à des fonctions mieux rémunérées, [...]».

7 Aux termes de l'article 15, paragraphe 1, du B-GBG:

«Lorsqu'un fonctionnaire, de sexe masculin ou féminin, s'est vu refuser un poste en raison d'une violation par l'État du principe d'égalité de traitement imposé par l'article 3, point 5, l'État est tenu à réparation du préjudice subi.»

8 Selon l'article 19, paragraphe 2, du B-GBG:

«Les fonctionnaires doivent faire valoir les droits qu'ils tirent de l'article 15 [...] à l'encontre de l'État en introduisant une demande auprès de l'autorité dont ils dépendent [...]».

III - Faits et procédure au principal

9 Le demandeur est juge à l'Arbeits- und Sozialgericht Wien. Il a postulé deux fois à un emploi auprès de l'Oberlandesgericht Wien. Compte tenu d'un régime de quota prévu pour la promotion des femmes, à chaque fois la préférence a été donnée à des candidates plus jeunes et ayant moins d'ancienneté.

10 À la suite de ces décisions, le demandeur a intenté un recours général en responsabilité de l'État devant le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien, afin d'obtenir réparation du préjudice subi du fait que, lors de la décision de promotion, une série de motifs liés à sa personne n'avaient pas été pris en compte. Le Landesgericht et l'Oberlandesgericht Wien en tant que juridiction d'appel ont unanimement confirmé la recevabilité de l'action de droit civil, mais ont toutefois déclaré le recours non fondé. En dernière instance, l'Oberster Gerichtshof (ci-après l'«OGH») a, en tant qu'instance chargée de la «Revision», rejeté le recours, en déclarant néanmoins dans sa décision qu'il incombait toujours aux tribunaux civils de se prononcer sur les droits à réparation garantis (par analogie) par l'article 23 du Bundes-Verfassungsgesetz selon l'Amtshaftungsgesetz (loi sur la responsabilité de l'État) ou selon les principes de la responsabilité de l'État. Les articles 15 et 19 B-GBG ne peuvent exclure ces droits - plus larges - ni en tout ni en partie.

11 Lors de l'examen du recours en responsabilité, l'OGH, invoquant la jurisprudence de la Cour sur le principe de droit communautaire de l'égalité de traitement dans le cadre de la directive 76/207 (2), est également parvenu à la conclusion que la mesure autrichienne de promotion des femmes n'est pas compatible avec le droit communautaire à défaut de clause d'ouverture. Il a toutefois rejeté la demande de réparation du demandeur en l'absence du lien de causalité nécessaire entre la violation du droit et le préjudice invoqué. M. Schneider n'avait fait valoir aucune circonstance qui, en présence d'une clause d'ouverture et d'une procédure de sélection transparente et contrôlable, aurait due être prise en compte à son profit.

12 En plus de l'action civile, le demandeur a également demandé, par lettre du 11 janvier 1999, à l'autorité compétente, en l'occurrence le ministre fédéral de la Justice, le dédommagement du préjudice subi du fait de sa non-nomination comme juge à l'Oberlandesgericht en raison d'une discrimination. Il a notamment invoqué, à l'appui de la prétendue illégalité de la décision, que l'article 19 B-GBG l'oblige à demander la réparation précisément à l'autorité qui a causé le préjudice. En outre, le contrôle juridictionnel exercé par le Verwaltungsgerichtshof sur de telles décisions ne satisferait pas aux exigences d'une protection juridictionnelle effective parce que cette juridiction de cassation n'a aucun droit de «contrôler l'appréciation des preuves», de sorte que l'appréciation des faits ne relèverait que de l'autorité administrative.

IV - Demande de décision préjudicielle et procédure devant la Cour

13 Le Verwaltungsgerichtshof a des doutes sur la compatibilité avec le droit communautaire de son propre pouvoir de contrôle limité. C'est pourquoi il a posé à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L'article 6 de la directive 76/207/CEE du Conseil, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail, doit-il être interprété en ce sens qu'il n'est pas suffisamment satisfait à l'exigence, fixée dans l'article précité, de permettre à toute personne lésée de faire valoir ses droits par voie juridictionnelle (en l'espèce un droit à dommages-intérêts), lorsqu'il n'existe que la voie du Verwaltungsgerichtshof autrichien, du fait des compétences juridiques restreintes de celui-ci (qui n'a que la fonction d'une Cour de cassation manquant de compétence pour l'examen des faits)?»

14 Le gouvernement autrichien et la Commission ont pris part à la procédure devant la Cour.

15 La Cour a posé des questions écrites aux parties.

Le gouvernement autrichien a été invité à répondre à la question suivante:

«Quel est le lien entre le recours en responsabilité de l'État devant le Landesgericht, d'une part, et le recours contre la décision du ministère de la Justice devant le Verwaltungsgerichtshof, d'autre part, intentés en l'occurrence par M. Schneider?»

La Commission a été invitée à répondre aux questions suivantes:

«1) Les exigences en matière de charge de la preuve en vertu de la directive 97/80 peuvent-elles être satisfaites dans le cadre d'un contentieux de légalité?

2) Une procédure de recours administratif telle que celle en cause dans l'affaire au principal rentre-t-elle dans le champ d'application de la directive 97/80? Si tel est le cas, la directive serait-elle applicable à la procédure en cause, étant donné que la décision attaquée du ministre de la Justice a été prise avant l'expiration du délai de transposition de la directive?»

V - Thèse des parties

1) Le gouvernement autrichien

16 Le gouvernement autrichien rappelle que, selon une jurisprudence constante de la Cour (3), en l'absence de dispositions communautaires, il appartient à l'ordre juridique de chaque État membre de désigner la juridiction compétente pour trancher les litiges qui mettent en cause des droits individuels, dérivés de l'ordre juridique communautaire, étant entendu cependant que les États membres portent la responsabilité d'assurer, dans chaque cas, une protection effective à ces droits. La garantie de ces principes et la protection des droits ne sont cependant pas réservées à une procédure de contrôle juridictionnel habilitant les juridictions nationales compétentes à substituer leur appréciation des éléments de fait à celle entreprise par les autorités administratives. Comme le juge communautaire - ainsi qu'il ressort de l'arrêt Upjohn - se limite, en pareil cas, à examiner la matérialité des faits et les qualifications juridiques que cette autorité en déduit et, en particulier, si l'action de cette dernière n'est pas entachée d'une erreur manifeste ou de détournement de pouvoir, le droit communautaire n'exige pas un examen plus approfondi par les juridictions nationales dans des cas comparables.

17 Comme la directive 76/207 prévoit elle-même la possibilité de saisine préalable d'autres instances compétentes, le système mis en place par le législateur autrichien consistant dans un contrôle juridictionnel a posteriori exercé uniquement par le Verwaltungsgerichtshof est conforme aux critères du droit communautaire.

18 En outre, les juridictions civiles compétentes pour l'examen des actions en responsabilité de l'État ont toujours un pouvoir de pleine juridiction. Elles ne sont pas plus liées par la décision des autorités administratives que le contraire. Simplement, un droit à réparation au titre de l'article 15 B-GBG reconnu par la voie administrative a un effet restrictif sur la demande de réparation introduite devant les juridictions civiles parce que, dans cette mesure, le préjudice est inexistant.

19 En conclusion, le gouvernement autrichien estime que l'article 6 de la directive 76/207 doit être interprété en ce sens que le contrôle de la décision des autorités administratives par le Verwaltungsgerichtshof satisfait suffisamment à l'exigence énoncée à cet article de pouvoir faire valoir ses droits par voie juridictionnelle.

2) La Commission

20 La Commission émet, dans ses observations écrites, des doutes à deux égards sur la nécessité du renvoi. En premier lieu, les restrictions liées à la procédure administrative pourraient ne pas avoir d'importance si le recours en responsabilité de l'État formé parallèlement par M. Schneider devant le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien offre la possibilité de contrôler intégralement la décision du ministre fédéral de la Justice sous l'angle tant factuel que juridique. En second lieu, il semble s'agir en l'espèce essentiellement d'une question de droit, consistant à savoir si la clause d'ouverture exigée par la jurisprudence de la Cour (4) en cas de quota réservé aux femmes impose l'obligation de prendre en considération non seulement une qualification supérieure, mais aussi des circonstances propres à la personne du candidat de sexe masculin.

21 S'appuyant sur la réponse du gouvernement autrichien à la question posée par la Cour et sur l'arrêt, joint à cette réponse, rendu par l'OGH dans la procédure parallèle de droit civil, la Commission a soutenu à l'audience que l'action en responsabilité de l'État remplit toutes les exigences procédurales requises en droit communautaire pour un litige en matière de discrimination sexuelle. Ses doutes quant à la recevabilité de la demande de décision préjudicielle se seraient donc transformés en certitude de son irrecevabilité.

22 Ce n'est que pour le cas où la Cour ne partagerait pas cet avis que le représentant de la Commission renvoie aux développements plus détaillés de celle-ci dans ses observations écrites. On peut les résumer ainsi: le principe de l'effectivité du droit communautaire imposerait, même en l'absence de disposition spéciale comme celle de l'article 6 de la directive 76/207, d'assurer une protection juridictionnelle effective pour imposer les droits conférés par le droit communautaire. La situation juridique autrichienne ne remplit pas ces exigences parce qu'il est interdit au Verwaltungsgerichtshof de vérifier et d'apprécier les faits et de corriger les erreurs de l'administration. Le déficit de protection juridictionnelle est particulièrement manifeste, l'instance chargée de la décision dans l'administration étant en même temps compétente pour les plaintes dirigées contre sa décision.

23 Il résulte en particulier de la directive 97/80/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe (5) qu'une protection juridictionnelle effective n'est assurée que si le tribunal peut apprécier pleinement tous les faits pertinents pour la décision. Si l'article 4, paragraphe 1, de la directive 97/80 enjoint aux États membres de prendre, conformément à leur système judiciaire, les mesures nécessaires afin que, en cas de plainte pour violation du principe d'égalité de traitement, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation de ce principe, cela suppose que la partie défenderesse se réfère devant le tribunal à tous les faits pertinents pour la décision et que le juge puisse les apprécier intégralement. Cela ressort notamment de l'article 4, paragraphe 3, qui prévoit que les États membres peuvent ne pas appliquer le paragraphe 1 que si l'instruction des faits incombe à la juridiction compétente. La référence aux faits dans cette disposition met en évidence que le tribunal ne doit pas seulement effectuer un contrôle en droit mais qu'il doit aussi vérifier l'instruction et l'appréciation correcte des faits.

24 Dans le cadre de la réponse à la question posée par la Cour, la Commission ajoute que le ministre fédéral de la Justice ne peut par ailleurs pas être qualifié d'«instance compétente» au sens de l'article 4, paragraphe 1, de la directive 97/80, parce qu'il est lui-même responsable de la procédure de promotion litigieuse. En ce qui concerne l'applicabilité de la directive, la Commission est d'avis qu'il est décisif que le délai de transposition a expiré alors que le cas du demandeur n'était pas encore tranché définitivement.

25 La Commission est donc d'avis que l'article 6 de la directive 76/207 et l'article 4 de la directive 97/80 doivent être interprétés en ce sens que l'obligation qu'ils consacrent d'assurer une protection juridictionnelle effective en cas de discrimination prétendument fondée sur le sexe ne doit pas seulement permettre au tribunal saisi de vérifier si le droit pertinent a été interprété et appliqué correctement par l'instance concernée, mais aussi de déterminer si tous les faits pertinents ont été instruits correctement et pris en considération de manière appropriée.

VI - Appréciation juridique

Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

26 Dans la présente affaire, la question se pose d'abord de savoir si la demande de décision préjudicielle est recevable. Dans ses observations écrites, la Commission avait déjà émis quelques doutes à cet égard. L'étendue du problème et les circonstances qui permettent de l'apprécier ne sont en l'espèce parvenues à la connaissance de la Cour que par les réponses du gouvernement autrichien à la question qui lui avait été posée.

27 Le gouvernement autrichien a, en réponse à la question de la Cour à ce sujet, d'une part, déclaré que les décisions des instances visées n'ont pas d'effet obligatoire les unes pour les autres, et, d'autre part, joint et expliqué l'arrêt de l'Oberster Gerichtshof devant trancher en dernière instance l'action en responsabilité de l'État.

28 Il ressort de cet arrêt que, lors de l'examen de l'action en responsabilité de l'État, les juridictions civiles compétentes ont examiné dans le détail une violation du principe de l'égalité de traitement posé par la directive 76/207. Cela vaut tant sur le plan factuel, pour les circonstances personnelles invoquées par le demandeur, que sur le plan du droit, eu égard à l'importante jurisprudence de la Cour relativement au principe d'égalité de traitement. Quant à leur contenu, tant l'action en responsabilité de l'État que la demande au titre de l'article 15 B-GBG visent à la réparation du préjudice subi en raison de la violation du principe de l'égalité de traitement dans le cadre de la promotion, même si la violation alléguée dans l'action en responsabilité de l'État est à rechercher dans la situation légale nationale, contraire au droit communautaire, alors que la procédure devant le VGH a pour objet la prétendue illégalité de la décision du ministre fédéral de la Justice. Le B-GBG ne semble contenir aucune exclusion expresse d'autres actions en réparation. Conformément à cela, l'Oberster Gerichtshof a, en tant que juridiction suprême nationale, constaté dans un arrêt définitif que l'article 15 B-GBG n'exclut pas les actions en réparation plus larges, garanties par la constitution, selon le droit de la responsabilité de l'État ou selon les principes de la responsabilité de l'État. Même s'il s'agit en la forme de deux actions en réparation distinctes, elles visent toutes les deux à une compensation financière du manque à gagner pour cause de non-promotion.

29 Il y a dans cette mesure lieu de partir de l'idée que, au cours de la période litigieuse et dans les circonstances du cas d'espèce, le demandeur pouvait intenter une action en réparation de façon parallèle à la fois par la voie civile et par la voie administrative.

30 Quant à la recevabilité de la demande de décision préjudicielle, la Cour a déclaré de façon constante que la procédure prévue à l'article 234 CE est un instrument de coopération entre la Cour et les juges nationaux (6).

31 Dans le cadre de la répartition des fonctions juridictionnelles entre les juridictions nationales et la Cour, prévue par l'article 234 CE, la Cour statue à titre préjudiciel sans qu'elle ait, en principe, à s'interroger sur les circonstances dans lesquelles les juridictions nationales ont été amenées à lui poser les questions et se proposent de faire application de la disposition de droit communautaire qu'elles lui ont demandé d'interpréter (7). Il appartient en principe aux seules juridictions nationales, qui sont saisies du litige et doivent assumer la responsabilité de la décision judiciaire à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu'elles posent à la Cour (8). En conséquence, dès lors que les questions posées par les juridictions nationales portent sur l'interprétation d'une disposition de droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (9).

32 La Cour ne peut cependant pas statuer sur une question préjudicielle lorsqu'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation du droit communautaire demandée par une juridiction nationale n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige, ou encore lorsque le problème est de nature hypothétique (10). Dans l'arrêt Meilicke (11), la Cour a déclaré à cet égard:

«qu'il lui appartenait, en vue de vérifier sa propre compétence, d'examiner les conditions dans lesquelles elle était saisie par le juge national. En effet, l'esprit de collaboration qui doit présider au fonctionnement du renvoi préjudiciel implique que, de son côté, le juge national ait égard à la fonction confiée à la Cour, qui est de contribuer à l'administration de la justice dans les États membres et non de formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques».

33 Les dispositions autrichiennes garantissent - indépendamment du libellé de la question préjudicielle - que toute personne qui s'estime lésée par la non-application du principe d'égalité de traitement au sens de la directive 76/207 puisse faire valoir ses droits par voie juridictionnelle, comme l'exige l'article 6 de cette même directive. Il ne résulte pas de cet article qu'il ne doit s'agir que de juridictions administratives. Il n'est pas davantage douteux que les juridictions civiles autrichiennes du Landesgericht à l'Oberster Gerichtshof possèdent le caractère d'une juridiction au sens des critères développés dans le cadre de l'article 234 CE (12).

34 La possibilité exigée par l'article 6 de la directive 76/207 de pouvoir faire valoir ses droits par voie juridictionnelle est donc donnée en Autriche par le biais de l'action de responsabilité de l'État qui doit être intentée devant les juridictions civiles. En droit communautaire, il n'importe pas à cet égard qu'il existe ou non une autre voie pour faire valoir une violation du principe de l'égalité de traitement ni que cette voie remplisse les critères d'une protection juridictionnelle effective. Une possibilité de protection juridictionnelle effective suffit.

35 La question préjudicielle est en l'espèce hypothétique dans la mesure où il y est dit que la possibilité de faire valoir par voie juridictionnelle ses droits à réparation pour non-application du principe d'égalité de traitement n'est assurée que devant le Verwaltungsgerichtshof. Comme nous l'avons exposé ci-dessus, l'ordre juridique autrichien, à travers les dispositions de la loi sur la responsabilité de l'État et les principes de la responsabilité de l'État, dont l'application est contrôlée tant en fait qu'en droit par les juridictions civiles à trois niveaux d'instance, offre au particulier une voie de recours par laquelle faire valoir par voie juridictionnelle le non-respect à son égard du principe d'égalité de traitement, comme l'exige l'article 6 de la directive 76/207. La question de savoir ce qu'il en aurait été si seul le Verwaltungsgerichtshof avait été compétent pour le contrôle juridictionnel de l'application du principe d'égalité de traitement - dans ce cas il conviendrait de partager les doutes du Verwaltungsgerichtshof et les réflexions de la Commission dans ses observations écrites - , est, dans les circonstances décrites, de nature hypothétique.

36 Il en résulte que la Cour n'est pas compétente pour répondre à la question préjudicielle. La demande de décision préjudicielle est donc à considérer comme irrecevable. Il n'est, par conséquent, plus nécessaire d'examiner d'autres points allant plus loin, comme l'applicabilité de la directive 97/80.

VI - Conclusion

37 Sur la base des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit à la juridiction de renvoi:

«La demande de décision préjudicielle est irrecevable.»

(1) - JO L 39, p. 40.

(2) - Arrêts du 17 octobre 1995, Kalanke (C-450/93, Rec. p. I-3051), du 11 novembre 1997, Marschall (C-409/95, Rec. p. I-6363), du 28 mars 2000, Badeck e.a. (C-158/97, p. I-1875), et du 6 juillet 2000, Abrahamsson e.a. (C-407/98, Rec. p. I-5539).

(3) - Arrêts du 17 septembre 1997, Dorsch Consult (C-54/96, Rec. p. I-4961, point 40), et du 21 janvier 1999, Upjohn (C-120/97, Rec. p. I-223, points 32 à 35).

(4) - Arrêts Marschall, précité note 3, Badeck e.a., précité note 3, et Abrahamsson e.a., précité note 3.

(5) - JO 1998, L 14, p. 6.

(6) - Arrêts de la Cour du 1er décembre 1965, Schwarze (16/65, Rec. p. 1081), du 25 juin 1992, Ferrer Laderer (C-147/91, Rec. p. I-4097, point 6), et du 16 juillet 1992, Meilicke (C-83/91, Rec. p. I-4871, point 22).

(7) - Arrêt du 8 novembre 1990, Gmurzynska-Bscher (C-231/89, Rec. p. I-4003, point 22).

(8) - Arrêts du 3 mars 1994, Eurico Italia e.a. (C-332/92, C-333/92 et C-335/92, Rec. p. I-711, point 17), du 26 octobre 1995, Furlanis (C-143/94, Rec. p. I-3633, point 12), et du 16 juillet 1998, ICI (C-264/96, Rec. p. I-4695, point 15).

(9) - Arrêt du 18 juin 1991, Piageme e.a. (C-369/89, Rec. p. I-2971, point 10).

(10) - Ordonnance du 25 mai 1998, Rouhollah Nour (C-361/97, Rec. p. I-3101).

(11) - Précité note 7, point 25, avec renvoi à l'arrêt du 16 décembre 1981, Foglia (244/80, Rec. p. 3045, points 18 à 21).

(12) - Arrêt Dorsch Consult, précité note 4, point 23.