61995A0073

Arrêt du Tribunal de première instance (première chambre) du 19 mars 1997. - Estabelecimentos Isidoro M. Oliveira SA contre Commission des Communautés européennes. - Politique sociale - Fonds social européen - Concours au financement d'actions de formation professionnelle - Nouvelle décision à la suite d'un arrêt de la Cour - Sécurité juridique - Confiance légitime - Interdiction de la reformatio in pejus - Délai raisonnable. - Affaire T-73/95.

Recueil de jurisprudence 1997 page II-00381


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


1 Politique sociale - Fonds social européen - Concours au financement d'actions de formation professionnelle - Décision de réduction d'un concours initialement octroyé - Réduction opérée en raison du non-respect des conditions fixées par la décision d'octroi - Violation du principe de protection de la confiance légitime - Absence - Réduction supérieure à celle opérée par une décision antérieure annulée pour vice important de procédure - Réduction commandée par les résultats du réexamen du dossier - Violation de l'interdiction de reformatio in pejus - Absence

(Règlement du Conseil n_ 2950/83, art. 6, § 1)

2 Recours en annulation - Arrêt d'annulation - Effets - Adoption de mesures d'exécution - Délai raisonnable - Remplacement par une nouvelle décision d'une décision annulée de la Commission portant réduction d'un concours du Fonds social européen octroyé pour des actions de formation professionnelle

(Traité CE, art. 176)

3 Procédure - Dépens - Frais frustratoires ou vexatoires - Absence de diligence de la Commission dans le règlement d'un dossier relatif à l'octroi d'un concours du Fonds social européen

(Règlement de procédure du Tribunal, art. 87, § 3, alinéa 2)

Sommaire


4 Il ressort clairement de l'article 6, paragraphe 1, du règlement n_ 2950/83 que l'octroi du concours du Fonds social européen est subordonné au respect, par le bénéficiaire, des conditions de l'action telles qu'elles résultent de la décision d'agrément. Lorsqu'il n'a pas respecté ces conditions, le bénéficiaire ne saurait prétendre au paiement de l'intégralité du montant octroyé dans la décision d'agrément en invoquant le principe de protection de la confiance légitime. Une entreprise qui s'est rendue coupable d'une violation manifeste de la réglementation en vigueur ne saurait en effet invoquer ce principe, qui lui-même est le corollaire du principe de la sécurité juridique, lequel exige que les règles de droit soient claires et précises et vise à garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques relevant du droit communautaire.

C'est donc en vain qu'une entreprise invoque ce principe, ainsi que celui de l'interdiction de la reformatio in pejus, pour contester la légalité d'une décision de la Commission qui, arrêtée après l'annulation d'une décision précédente ayant le même objet, mais entachée d'un vice de forme important, car l'État membre concerné n'avait pas été mis en mesure de formuler ses observations, se fonde, après reexamen du dossier, sur la violation des conditions d'agrément pour opérer une réduction du concours initialement octroyé. Le fait que la réduction finalement opérée soit plus importante que celle imposée dans la première décision n'est en aucune manière constitutif d'une illégalité. La Commission était, en effet, tenue, en vertu des principes de bonne administration, de légalité et d'égalité de traitement, d'adopter, après le réexamen imposé par l'annulation, une décision tenant compte de tous les éléments à sa disposition au moment de son adoption, lesquels pouvaient, notamment du fait qu'ils incluaient les observations des autorités nationales ayant précédemment fait défaut, être différents de ceux ayant conduit à l'adoption de la décision annulée.

5 L'obligation, pour une institution communautaire, d'exécuter un arrêt d'annulation rendu par le juge communautaire, qui découle de l'article 176 du traité, exige l'adoption d'un certain nombre de mesures administratives et ne peut normalement s'effectuer de manière immédiate, l'institution concernée disposant d'un délai raisonnable pour se conformer à l'arrêt. La question de savoir si ce délai a été raisonnable ou non dépend de la nature des mesures à prendre ainsi que des circonstances contingentes de l'espèce, et notamment des différentes étapes que la procédure de décision a comportées. Le délai pertinent à prendre en considération pour apprécier la régularité d'une décision remplaçant une décision annulée est non pas, comme dans le cas d'un retrait opéré à l'initiative de l'institution, celui qui s'est écoulé entre l'adoption de la première décision et celle de la seconde, mais celui séparant le prononcé de l'arrêt d'annulation de la date d'adoption de la nouvelle décision.

Un délai de 38 mois entre le prononcé de l'arrêt annulant une décision de la Commission portant réduction d'un concours du Fonds social européen pour une action de formation professionnelle et l'intervention de la décision la remplaçant, bien que long, ne saurait, à cet égard, être considéré comme déraisonnable, dès lors que, l'exactitude et le caractère suffisamment complet des données utilisées dans la première décision étant devenus douteux, il fallait reconstituer le dossier, ce travail comprenant, en l'occurrence, l'organisation d'une mission de contrôle dans l'État membre, l'analyse des données recueillies et plusieurs consultations des autorités nationales.

En tout état de cause, un retard survenu dans le déroulement de la procédure d'exécution d'un arrêt d'annulation n'est pas de nature à affecter, à lui seul, la validité de l'acte qui en est issu, car, si cet acte était annulé au seul motif de sa tardiveté, l'adoption d'un acte valable deviendrait définitivement impossible, étant donné que l'acte qui devrait remplacer l'acte annulé ne pourrait être lui-même moins tardif que celui-ci.

6 Il y a lieu de faire application de l'article 87, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement de procédure du Tribunal et de condamner la Commission, bien que gagnante, à supporter l'ensemble des dépens de la procédure dans une hypothèse où cette institution, en raison du fait que, appelée à adopter une décision sur le versement du solde d'un concours financier octroyé au titre du Fonds social européen, elle a, dans un premier temps, adopté une décision de réduction du concours sans s'être assurée de l'exactitude et du caractère suffisamment complet des données utilisées et sans avoir, comme elle en avait l'obligation, consulté les autorités nationales, puis, dans un second temps, après annulation de cette décision par le juge, décidé, au terme d'un long délai, de réduire encore davantage ledit concours, doit être considérée comme ayant, par son comportement, favorisé la naissance du litige.

Parties


Dans l'affaire T-73/95,

Estabelecimentos Isidoro M. Oliveira SA, société de droit portugais, établie à Montijo (Portugal), représentée par Me Joaquim Marques de Ascensão, avocat au barreau de Lisbonne, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Alberto de Sousa, União de Bancos Portugueses SA, 12, rue de la Grève,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme Ana Maria Alves Vieira et M. Guenter Wilms, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation partielle de la décision C (94) 1410/9 de la Commission, du 12 juillet 1994, notifiée à la requérante le 28 décembre 1994, relative à un concours financier du Fonds social européen au titre d'une action de formation,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

(première chambre),

composé de M. A. Saggio, président, Mme V. Tiili et M. R. M. Moura Ramos, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 10 décembre 1996,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


Faits à l'origine du recours

1 Le projet concernant une action de formation destinée à 199 stagiaires et contenant une demande de concours financier en faveur de la requérante que le Departamento para os Assuntos do Fundo Social Europeu (département des affaires du Fonds social européen, ci-après «DAFSE») à Lisbonne a proposé en octobre 1986, au titre de l'exercice 1987, et qui a reçu le numéro 870708/P1, a été approuvé par la Commission le 31 mars 1987. Selon la décision d'agrément rectificative prise par la Commission le 30 avril 1987 et notifiée par le DAFSE le 27 mai 1987, un concours financier s'élevant à 80 857 968 ESC a été octroyé à la requérante en vue de la formation de 199 personnes. Dans la communication du DAFSE, il était rappelé que les concours du Fonds social européen (ci-après «FSE») sont des crédits subordonnés à la réalisation de l'action dans le respect des règles communautaires et que l'inobservation de cette condition entraîne le remboursement des avances et le non-paiement du solde. En outre, il était souligné que toute modification par rapport à ce qui est prévu dans le dossier de candidature doit être communiquée au DAFSE.

2 La requérante ayant présenté la demande de paiement du solde, la Commission a décidé, le 27 juin 1989, que le concours du FSE ne pouvait finalement être supérieur à 41 592 218 ESC au motif que certaines dépenses n'étaient pas éligibles (ci-après «première décision»).

3 A la suite d'un recours formé par la requérante, cette première décision a été annulée par la Cour, au motif que la Commission n'avait pas donné à la République portugaise l'occasion de présenter ses observations préalablement à l'adoption de la décision définitive de réduction du concours (arrêt du 7 mai 1991, Oliveira/Commission, C-304/89, Rec. p. I-2283, ci-après «affaire C-304/89»).

4 En vue de prendre une nouvelle décision, la Commission a pris contact avec les autorités portugaises le 10 février 1992 pour demander certaines informations complémentaires. Une mission de contrôle a ensuite été organisée au Portugal du 21 au 24 avril 1992, ayant pour but de «procéder à nouveau au traitement final [du dossier]». La requérante a été informée de la mission de contrôle avant la date de celle-ci. La Commission soutient qu'à la suite de cette mission elle a pris connaissance d'éléments nouveaux. Selon le rapport de mission, il a notamment été constaté que la majorité des 199 stagiaires concernés par le projet de formation n'occupaient pas un poste de travail dans l'entreprise et n'étaient donc pas éligibles dans les conditions de l'agrément initial. Le rapport indiquait également que diverses dépenses devaient être considérées comme non justifiées.

5 Par la suite, la requérante a répondu à une demande de renseignements du DAFSE par lettre du 10 juillet 1992, à laquelle étaient jointes les listes des stagiaires qui bénéficiaient de l'action de formation. A cet égard, la défenderesse fait valoir que la requérante n'avait pas fait état, dans sa demande de concours initiale, de la participation de stagiaires n'appartenant pas à l'entreprise et n'avait pas indiqué que seulement 29 des stagiaires étaient effectivement liés à l'entreprise. En revanche, d'après la requérante, les stagiaires faisant partie du personnel de l'entreprise étaient au nombre de 81, mais certains d'entre eux n'ont pas pu ou n'ont pas voulu continuer à travailler dans l'entreprise à l'issue de leur stage.

6 Le FSE a présenté un premier projet de décision finale au DAFSE le 23 octobre 1992. Ce projet a été remplacé par une note n_ 6259 du 30 mars 1993. Cette note contient de nouveaux calculs accompagnés d'explications et des «corrections» effectuées en tenant compte des éléments recueillis lors de la mission de contrôle. Ayant reçu les observations de la requérante sur le projet de décision finale, contenues dans une lettre datée du 1er juin 1993, le DAFSE a, le 22 septembre 1993, transmis une note d'information à la Commission (annexe 4 au mémoire en défense). Cette note marque l'accord du DAFSE avec le projet de la Commission en constatant, premièrement, que le nombre d'heures de formation pratique était trop élevé par rapport au nombre d'heures de formation théorique, deuxièmement, que certaines dépenses relatives à la formation du personnel enseignant et à l'utilisation de certaines machines n'avaient pas été prévues dans la demande de concours initiale et n'avaient aucun rapport avec la formation dispensée, troisièmement, que la réduction effectuée au titre des amortissements normaux résultait de la réduction de la durée du cours et, quatrièmement, que le fait que, selon la demande de concours initiale, les stagiaires devaient appartenir à l'entreprise et que l'action devait se dérouler dans le cadre d'un processus de restructuration avait une incidence sur l'éligibilité des bénéficiaires de l'action de formation. Le 12 octobre 1993, le DAFSE a complété ses observations dans le même sens.

7 La République portugaise ayant été entendue conformément à l'article 6, paragraphe 1, du règlement (CEE) n_ 2950/83 du Conseil, du 17 octobre 1983, portant application à la décision 83/516/CEE concernant les missions du Fonds social européen, modifié par le règlement (CEE) n_ 3823/85 du Conseil, du 20 décembre 1985, en raison de l'adhésion de l'Espagne et du Portugal (respectivement, JO L 289, p. 1, et JO L 370, p. 23, ci-après «règlement n_ 2950/83»), la Commission a pris, le 12 juillet 1994, une nouvelle décision [C (94) 1410/9], par laquelle le concours du FSE a été ramené à 7 843 401 ESC (ci-après «décision litigieuse»). D'après cette décision, l'analyse de la demande de paiement du solde avait relevé qu'une partie du concours du FSE n'avait pas été utilisée dans les conditions fixées par la décision d'agrément pour les raisons exposées dans la note n_ 6259 du 30 mars 1993, susvisée. Cette décision a été notifiée à la requérante le 28 décembre 1994, accompagnée d'une lettre du DAFSE.

Procédure

8 C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 février 1995, la requérante a introduit le présent recours.

9 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions écrites et orales posées par le Tribunal à l'audience qui s'est déroulée le 10 décembre 1996.

Conclusions

10 La requérante conclut, dans la requête, à ce qu'il plaise au Tribunal:

- annuler partiellement la décision de la Commission dans le dossier n_ 870708/P1, qui lui a été notifiée le 28 décembre 1994.

11 Dans sa réplique, elle conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- annuler la décision qui lui a été notifiée le 28 décembre 1994,

- condamner la partie défenderesse aux dépens.

12 La défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- déclarer le recours non fondé,

- condamner la requérante aux dépens.

Sur le fond

13 La requérante invoque à l'appui de son recours en annulation deux moyens dont le premier est tiré d'une violation du principe de la sécurité juridique, sous la forme du non-respect d'un délai raisonnable, et le second d'une violation du principe de la protection de la confiance légitime et de l'interdiction de la reformatio in pejus.

14 Le Tribunal estime qu'il convient d'examiner d'abord le second moyen.

Sur le moyen tiré d'une violation du principe de la protection de la confiance légitime et de l'interdiction de la reformatio in pejus

Exposé sommaire des arguments des parties

15 Dans le cadre de ce moyen, la requérante fait valoir d'abord que la décision litigieuse est beaucoup plus sévère que la première décision alors que les faits sont les mêmes. Elle affirme dans ses mémoires qu'elle ne peut pas accepter de nouvelles réductions «alors que plus de cinq années se sont écoulées depuis la décision de 1989».

16 La requérante compare les réductions opérées dans la décision litigieuse avec les montants considérés comme non éligibles dans la première décision. Quant au point 14.5.1 de la demande de paiement du solde - formation du personnel enseignant -, ce montant était de 4 276 914 ESC dans la première décision, tandis que dans la décision litigieuse c'est une somme de 7 092 914 ESC que la Commission a considérée comme non éligible et cela, selon la requérante, pour des raisons nouvelles. Sous les rubriques 14.6 - amortissements normaux - et 14.1 - rémunération des stagiaires - il y aurait également une aggravation des réductions opérées par rapport à la première décision. La requérante se plaint aussi du fait que la défenderesse a considéré, dans la décision litigieuse, 170 des 199 stagiaires comme non éligibles, au motif qu'il s'agissait de stagiaires externes, et ce bien qu'elle ait été au courant dès la demande de versement du solde présentée en 1988 que l'action de formation couvrait des stagiaires externes et que ces personnes n'aient pas été exclues de ladite action dans la première décision. La requérante n'accepte pas non plus qu'une réduction au titre de l'un ou de l'autre poste se répercute automatiquement sur les autres postes. Par conséquent, elle conteste la correction faite par la Commission à ce stade en raison du changement du nombre des stagiaires éligibles.

17 Lors de l'audience, suite à une question posée par le Tribunal, elle a reformulé et précisé le premier chef de ses conclusions de façon à demander l'annulation de la décision litigieuse dans la mesure où celle-ci contient de nouvelles réductions par rapport à la première décision, résultant de l'exclusion des stagiaires externes de l'action de formation. Elle a précisé qu'elle attaque la réduction proportionnelle des dépenses éligibles opérée à ce titre dans la décision litigieuse, tout en maintenant que le montant des dépenses éligibles est celui approuvé dans la première décision.

18 La requérante conteste le point de vue selon lequel tous les éléments peuvent faire l'objet d'une nouvelle appréciation lorsqu'une décision a été annulée par la Cour. Il serait contraire au principe de la protection de la confiance légitime que la décision litigieuse soit plus sévère que celle qui a été annulée par l'arrêt de la Cour dans l'affaire C-304/89. La requérante soutient aussi que la décision litigieuse constitue une «reformatio in pejus» sur une matière tranchée depuis longtemps dans la première décision.

19 Lors de l'audience, la requérante a encore souligné que la défenderesse, selon elle, avait, dès avant la première décision, connaissance de la participation à l'action de formation de stagiaires externes. Cela serait démontré par les affirmations de la défenderesse dans le mémoire en défense selon lesquelles «il était évident, d'après les éléments du dossier en question, que les bénéficiaires des actions de formation professionnelle - les stagiaires - étaient en grande majorité des gens de l'extérieur. Cette conclusion découle de la demande de versement du solde, point 11.2, contrairement à ce qui était indiqué dans la demande de concours initiale».

20 Dans sa réplique, elle a ajouté que la défenderesse a méconnu aussi les principes de loyauté et de régularité de la procédure en adoptant un nouveau point de vue dans des matières qu'elle connaissait bien et qu'elle avait défendues devant la Cour dans l'affaire C-304/89.

21 La défenderesse soutient que la seule obligation qu'elle a eue en prenant les mesures que comportait l'exécution de l'arrêt de la Cour dans l'affaire C-304/89 a été de donner aux autorités portugaises la possibilité de présenter leurs observations avant la décision finale de réduction du concours. Elle se réfère à la jurisprudence du Tribunal selon laquelle, lorsqu'un acte est annulé pour vice de forme, la seule obligation résultant de l'arrêt est d'éliminer les vices qui avaient entaché la procédure d'adoption de la décision visée par l'annulation (arrêt du 14 février 1990, Hochbaum/Commission, T-38/89, Rec. p. II-43).

22 La défenderesse fait remarquer que les autorités portugaises ont accepté dans leur intégralité les réductions proposées par la Commission après nouvelle appréciation du dossier, ainsi que les motifs de celles-ci. L'accord du DAFSE serait la manifestation du droit d'audition de l'État membre prévu par la réglementation et exigé par l'arrêt de la Cour dans l'affaire C-304/89. La défenderesse considère que, si elle avait été tenue de prendre la même décision en ce qui concerne les réductions initialement proposées, la possibilité pour la République portugaise de présenter ses observations aurait été limitée par la décision initiale entachée d'un vice de forme.

23 Par ailleurs, l'arrêt dans l'affaire C-304/89 aurait eu pour effet de rendre la décision initiale nulle et non avenue ex tunc. Les parties se seraient trouvées dans la même situation qu'au moment de l'adoption de la décision annulée. Dans ces circonstances, il aurait été parfaitement licite pour la Commission de réexaminer ou de réapprécier la situation à partir du dossier complet. La défenderesse rappelle que les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d'une situation existante qui peut être modifiée dans le cadre du pouvoir d'appréciation des institutions communautaires (arrêt de la Cour du 5 octobre 1994, Crispoltoni e.a., C-133/93, C-300/93 et C-362/93, Rec. p. I-4863, point 57).

24 Au surplus, la défenderesse invoque la jurisprudence communautaire selon laquelle un particulier ne peut invoquer la protection de la confiance légitime que lorsque l'administration a pris à son égard des engagements précis et sans équivoque pouvant justifier des espérances fondées (voir, par exemple, les arrêts du Tribunal du 27 mars 1990, Chomel/Commission, T-123/89, Rec. p. II-131 et du 17 décembre 1992, Holtbecker/Commission, T-20/91, Rec. p. II-2599). Elle constate que la requérante avait été informée dès 1992 qu'une nouvelle décision serait prise par la Commission. L'administration n'aurait donné à la requérante aucune indication précise lui permettant de croire que le montant des réductions serait le même que dans la décision initiale.

Appréciation du Tribunal

25 Il convient de constater, à titre liminaire, que, par le présent recours, la requérante conteste une décision prise par la Commission pour remplacer une première décision au sujet de sa demande de paiement du solde d'un concours du FSE, la première décision ayant été annulée par la Cour dans l'affaire C-304/89. En vertu de l'article 174 du traité, cet arrêt a rendu la première décision nulle et non avenue ex tunc.

26 La décision litigieuse a été prise en application de l'article 6, paragraphe 1, du règlement n_ 2950/83, qui dispose que, lorsque le concours du FSE n'est pas utilisé dans les conditions fixées par la décision d'agrément, la Commission peut suspendre, réduire ou supprimer ce concours, après avoir donné à l'État membre concerné l'occasion de présenter ses observations.

27 Il ressort clairement de cette disposition que l'octroi du concours du FSE est subordonné au respect, par le bénéficiaire, des conditions de l'action énoncées, par la Commission, dans la décision d'agrément ou, par le bénéficiaire, dans la demande de concours qui a fait l'objet de cette décision d'agrément. En cas de violation de ces conditions, le bénéficiaire ne peut donc pas légitimement s'attendre au paiement de l'intégralité du montant octroyé dans la décision d'agrément. Dans cette hypothèse, il ne saurait dès lors se prévaloir du principe de la protection de la confiance légitime en vue d'obtenir le paiement du solde du montant total du concours initialement accordé dans la décision d'agrément.

28 En effet, il convient de rappeler que le principe de la protection de la confiance légitime ne peut pas être invoqué par une entreprise qui s'est rendue coupable d'une violation manifeste de la réglementation en vigueur (arrêt de la Cour du 12 décembre 1985, Sideradria/Commission, 67/84, Rec. p. 3983, point 21, et arrêt du Tribunal du 24 avril 1996, Industrias Pesqueras Campos e.a./Commission, T-551/93, T-231/94, T-232/94, T-233/94 et T-234/94, Rec. p. II-247, point 76).

29 Par ailleurs, la Cour a constaté que le principe de la protection de la confiance légitime est le corollaire du principe de la sécurité juridique, qui exige que les règles de droit soient claires et précises et vise à garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques relevant du droit communautaire (arrêt de la Cour du 15 février 1996, Duff e.a., C-63/93, Rec. p. I-569, point 20).

30 Or, en l'espèce, l'article 6, paragraphe 1, du règlement n_ 2950/83 subordonne de manière claire et précise l'obtention de l'intégralité du concours en cause au respect des conditions dont l'octroi du concours est assorti, ainsi qu'il ressort des points précédents.

31 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la Commission était habilitée par le règlement n_ 2950/83 à vérifier si le concours du FSE avait été utilisé conformément aux conditions résultant de la demande de concours en faveur de la requérante qui lui avait été présentée et qui avait fait l'objet de la décision d'agrément du 30 avril 1987, octroyant un concours financier d'un montant de 80 857 968 ESC en vue de la formation de 199 personnes. C'est sur la base d'un tel contrôle que, saisie de la demande de paiement du solde, la Commission devait apprécier, après avoir entendu l'État membre concerné, si, le cas échéant, d'éventuelles violations des conditions susvisées justifiaient la réduction du concours, en application de l'article 6 du règlement n_ 2950/83.

32 Dans cette optique, le Tribunal relève d'abord que l'arrêt de la Cour dans l'affaire C-304/89 a eu pour effet juridique que tant la décision finale prise en juin 1989 par la Commission, sur la demande de paiement du solde de la requérante, que la reconstruction des faits ayant préparé cette décision sont devenues inexistantes ex tunc. La Commission a ainsi été obligée de réexaminer les éléments du dossier et de prendre une nouvelle décision sur la demande de paiement du solde de la requérante. Ce faisant, elle était tenue de prendre en considération tous les éléments de fait et de droit disponibles au moment de l'adoption de l'acte. L'obligation de la Commission de préparer une décision avec toute la diligence requise et de prendre sa décision sur la base de toutes les données pouvant avoir une incidence sur le résultat découle notamment du principe de bonne administration, du principe de légalité et de celui de l'égalité de traitement. Dans ces circonstances, on ne saurait reprocher à la Commission d'avoir repris son enquête et d'avoir établi un dossier complet.

33 Par ailleurs, comme le suggère la défenderesse, s'il avait été exclu que des éléments complémentaires puissent être versés au dossier, les effets éventuels des observations de la République portugaise auraient été limités par la décision initiale entachée d'un vice de forme important. En effet, l'importance de ce vice procédural a été soulignée par la Cour qui a constaté que, «eu égard à son rôle central et à l'importance des responsabilités qu'il assume dans la présentation et le contrôle du financement des actions de formation, la possibilité pour l'État membre concerné de présenter ses observations préalablement à l'adoption d'une décision définitive de réduction constitue une formalité substantielle» (arrêt dans l'affaire C-304/89, point 21). Même si, en l'espèce, l'État membre a considéré les réductions proposées par la Commission comme justifiées, l'avis des autorités nationales aurait, en théorie, pu avoir un contenu différent, de sorte que la Commission aurait éventuellement été amenée, en conséquence, à modifier son projet. Les autorités portugaises auraient effectivement pu faire remarquer à la Commission, par exemple, que, contrairement à son appréciation, certaines dépenses leur semblaient non éligibles ou éligibles, et la Commission aurait dû prendre ces observations en considération avant d'adopter la décision finale.

34 Or, en examinant l'ensemble des données disponibles, y compris celles recueillies lors de la mission de contrôle, la Commission a détecté des irrégularités dans l'action mise en oeuvre par la requérante. Les irrégularités constatées par les services de la Commission ont été confirmées par le DAFSE. En effet, dans la note d'information qu'il a transmise à la Commission (voir ci-dessus point 6), le DAFSE a confirmé que la demande de paiement du solde présentée par la requérante contenait certaines dépenses qui n'avaient pas été approuvées dans la décision d'agrément du concours et qui n'avaient aucun rapport avec la formation dispensée. Par ailleurs, le nombre d'heures de formation pratique était trop élevé par rapport au nombre d'heures de formation théorique, compte tenu d'une circulaire du DAFSE qui avait été notifiée à la requérante. Enfin, la majorité des stagiaires ne faisaient pas partie du personnel de la requérante, contrairement à ce qui avait été indiqué dans la demande de concours, et l'action ne s'était donc pas déroulée dans le cadre d'un processus de restructuration comme cela était pourtant prévu dans la demande de concours et avait été approuvé dans la décision d'agrément. Le Tribunal constate à cet égard, en ce qui concerne le nombre réel de stagiaires appartenant à l'entreprise, que la requérante s'est limitée à affirmer, sans fournir le moindre élément à l'appui de sa thèse, que les stagiaires remplissant cette condition étaient au nombre de 81 et que le chiffre de 29 avancé à cet égard par la Commission était inexact. Elle n'a ainsi pas justifié l'éligibilité des dépenses relatives à certains stagiaires.

35 Il s'ensuit que la requérante n'a manifestement pas respecté les conditions auxquelles était subordonné l'octroi du concours du FSE. Par conséquent, elle ne saurait se prévaloir du principe de la protection de la confiance légitime pour demander l'annulation de la décision litigieuse au motif que celle-ci réduit le montant du concours initialement octroyé en raison des irrégularités qu'elle a commises.

36 De même, comme l'article 6, paragraphe 1, du règlement n_ 2950/83 prévoit la possibilité d'une suspension, d'une réduction ou d'une suppression du concours en cas de non-observation des conditions, la requérante ne peut non plus se prévaloir du principe de l'interdiction de la reformatio in pejus lorsque la Commission a décidé, en raison d'irrégularités de la part de la requérante, de réduire le concours.

37 Pour toutes les raisons exposées ci-dessus, ce moyen ne saurait être retenu.

Sur le moyen tiré d'une violation du principe de la sécurité juridique, sous la forme du non-respect d'un délai raisonnable

Exposé sommaire des arguments des parties

38 Dans le cadre de ce moyen, la requérante fait valoir que la décision litigieuse a été prise huit ans après le dépôt de la demande de concours financier, sept ans après la réalisation de l'action de formation, plus de cinq ans après la première décision et près de quatre ans après l'arrêt d'annulation. La décision aurait été prise en dehors d'un délai raisonnable, ce qui constituerait également une violation du droit communautaire, notamment du principe de la sécurité juridique (arrêt de la Cour du 13 juillet 1965, Lemmerz-Werke/Haute Autorité, 111/63, Rec. p. 835). La requérante ajoute que ce retard ne peut pas lui être imputé.

39 La défenderesse nie l'existence de la violation alléguée. Elle fait valoir que chaque cas concret doit être apprécié séparément. Elle se serait employée rapidement à exécuter l'arrêt de la Cour dans l'affaire C-304/89. La procédure de décision comportant différentes étapes prendrait nécessairement du temps. Lors de la mission de contrôle organisée au Portugal, la Commission aurait pris connaissance de données complémentaires qui lui auraient été communiquées par les autorités nationales. Elle aurait dû les étudier en détail. Il aurait, entre autres, fallu entreprendre une analyse de la comptabilité de la requérante. Les autorités nationales auraient, elles aussi, eu besoin de temps pour étudier le dossier et demander les observations de la requérante avant de rendre leur avis sur les projets de la Commission.

Appréciation du Tribunal

40 Le Tribunal constate que, selon la requérante, après l'écoulement d'un délai aussi long que celui qui s'est écoulé en l'espèce la Commission ne peut plus légitimement revenir sur son appréciation d'une situation particulière. Or, la jurisprudence distingue le délai d'exécution d'un arrêt du délai dans lequel le retrait d'un acte illégal par l'institution dont il émane est, en principe, permis.

41 L'obligation de l'institution communautaire d'exécuter un arrêt d'annulation rendu par le juge communautaire découle de l'article 176 du traité. Il a été reconnu par la Cour que cette exécution exige l'adoption d'un certain nombre de mesures administratives et ne peut normalement s'effectuer de manière immédiate, et que l'institution dispose d'un délai raisonnable pour se conformer à un arrêt annulant une de ses décisions. La question de savoir si le délai a été raisonnable ou non dépend de la nature des mesures à prendre ainsi que des circonstances contingentes de l'espèce (arrêt de la Cour du 12 janvier 1984, Turner/Commission, 266/82, Rec. p. 1, points 5 et 6; voir aussi, dans un contexte législatif, arrêt de la Cour du 5 juillet 1995, Parlement/Conseil, C-21/94, Rec. p. I-1827, point 33).

42 Quant au retrait d'un acte administratif par l'institution dont émane l'acte concerné, la Cour a reconnu aux institutions communautaires le droit de retirer un acte entaché d'une illégalité si le retrait intervient dans un délai raisonnable (arrêts de la Cour du 3 mars 1982, Alpha Steel/Commission, 14/81, Rec. p. 749, point 10, du 26 février 1987, Consorzio Cooperative d'Abruzzo/Commission, 15/85, Rec. p. 1005, point 12, et du 20 juin 1991, Cargill/Commission, C-248/89, Rec. p. 2987, point 20). Cette jurisprudence concerne les situations dans lesquelles l'autorité elle-même découvre l'illégalité d'un acte, le délai courant à compter de la date de l'adoption de l'acte illégal.

43 En ce qui concerne le cas d'espèce, l'argumentation de la requérante, qui englobe la période antérieure à l'annulation de la première décision, ne saurait être accueillie. Comme le Tribunal l'a déjà jugé (voir ci-dessus point 32), la Commission était tenue, à la suite de l'annulation de la première décision par la Cour, de réexaminer l'ensemble des données disponibles au moment de l'adoption de l'acte et d'adopter une nouvelle décision sur la demande de paiement du solde. Il ne s'agit donc pas, en l'espèce, du retrait d'un acte par l'institution au sens de la jurisprudence citée au point précédent. Dans ces conditions, la période écoulée avant l'annulation de la première décision est privée de toute pertinence dans le cadre de l'appréciation de la régularité de la seconde décision mise en cause en l'espèce.

44 Le délai pertinent en l'espèce, aux fins de l'examen du présent moyen, est celui qui s'est écoulé entre le prononcé de l'arrêt d'annulation, le 7 mai 1991, et la date de l'adoption de la nouvelle décision, le 12 juillet 1994, à savoir un délai de 38 mois ou plus de trois ans. Plus précisément, c'est neuf mois après le prononcé de l'arrêt d'annulation que le FSE a commencé la reconstitution et le réexamen du dossier qui, après la mission de contrôle et la consultation des autorités nationales, a abouti à une décision finale 29 mois plus tard.

45 La question de savoir si le délai dans lequel a été exécuté l'arrêt d'annulation a été raisonnable doit être apprécié cas par cas. Le caractère raisonnable du délai dépend de la nature des mesures à prendre ainsi que des circonstances contingentes propres à chaque cas. Partant, en l'espèce, il faut tenir compte des différentes étapes que la procédure de décision a comportées.

46 Or, l'arrêt de la Cour dans l'affaire C-304/89 a, comme il a déjà été relevé, rendu inexistante la reconstruction des faits ayant préparé la première décision. De plus, l'exactitude et le caractère suffisamment complet des données utilisées dans la première décision étaient devenues douteuses. Dans ces circonstances, il a fallu rétablir les éléments du dossier. Ce travail, qui a été orienté et conditionné par des soupçons d'irrégularités, a compris l'organisation d'une mission de contrôle au Portugal, l'analyse des données recueillies et plusieurs consultations des autorités portugaises. Les autorités nationales ont également entendu la requérante sur les projets de décision de la Commission. Le Tribunal estime, au vu des circonstances particulières exposées ci-dessus, que la procédure a été longue, mais que sa durée n'est pas allée au-delà d'un délai raisonnable.

47 En tout état de cause, lorsqu'il s'agit d'un recours en annulation, un délai même déraisonnable ne saurait en soi rendre la décision litigieuse illégale et ainsi justifier son annulation en raison d'une violation du principe de la sécurité juridique. Un retard survenu dans le déroulement de la procédure d'exécution d'un arrêt n'est pas de nature à affecter, à lui seul, la validité de l'acte qui en est issu, puisque, si cet acte était annulé au seul motif de sa tardiveté, il resterait impossible d'adopter un acte valable, étant donné que l'acte qui devrait remplacer l'acte annulé ne pourrait être moins tardif que celui-ci (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 18 juin 1996, Vela Palacios/CES, T-150/94, RecFP p. II-877, point 44).

48 Le Tribunal conclut pour toutes ces raisons que le délai qui s'est écoulé en l'espèce n'a pas eu pour conséquence une méconnaissance du principe de la sécurité juridique.

49 Ce moyen doit également être écarté.

50 Il découle de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

51 Bien que la requérante ait succombé dans ses prétentions, il convient toutefois de tenir compte, pour le règlement des dépens, de l'absence de diligence de la défenderesse et, en particulier, de la circonstance qu'elle ne s'était pas assurée de l'exactitude et du caractère suffisamment complet des données utilisées dans la première décision et du fait qu'elle n'avait pas consulté les autorités nationales dans ce contexte. En effet, les développements de la procédure de décision, ainsi que décrits ci-dessus, ont été de nature à avoir pour effet que la requérante a longtemps été dans l'incertitude quant à son droit d'obtenir la totalité du concours financier qui lui a été accordé. Dans de telles circonstances, on ne saurait tenir rigueur à la requérante d'avoir saisi le Tribunal en vue d'apprécier ce comportement et d'en tirer des conclusions. Il y a donc lieu de constater que la naissance du litige a été favorisée par le comportement de la défenderesse.

52 Ainsi, il convient d'appliquer l'article 87, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement de procédure, selon lequel le Tribunal peut condamner une partie, même gagnante, à rembourser à l'autre partie les frais d'une procédure occasionnée par son propre comportement (voir, mutatis mutandis, l'arrêt de la Cour du 27 janvier 1983, List/Commission, 263/81, Rec. p. 103, points 30 et 31, et l'arrêt du Tribunal du 16 octobre 1996, Efisol/Commission, T-336/94, Rec. p. II-0000, points 38 et 39), et de condamner la Commission à supporter l'ensemble des dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL

(première chambre)

déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) La Commission supportera l'ensemble des dépens.