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Document 62018CJ0092

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 25 juin 2020.
République française contre Parlement européen.
Recours en annulation – Droit institutionnel – Protocole sur la fixation des sièges des institutions et de certains organes, organismes et services de l’Union européenne – Parlement européen – Notion de “session budgétaire” se tenant à Strasbourg (France) – Article 314 TFUE – Exercice du pouvoir budgétaire au cours d’une période de session plénière additionnelle se tenant à Bruxelles (Belgique).
Affaire C-92/18.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2020:506

 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

25 juin 2020 ( *1 )

« Recours en annulation – Droit institutionnel – Protocole sur la fixation des sièges des institutions et de certains organes, organismes et services de l’Union européenne – Parlement européen – Notion de “session budgétaire” se tenant à Strasbourg (France) – Article 314 TFUE – Exercice du pouvoir budgétaire au cours d’une période de session plénière additionnelle se tenant à Bruxelles (Belgique) »

Dans l’affaire C‑92/18,

ayant pour objet un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, introduit le 7 février 2018,

République française, représentée initialement par Mmes E. de Moustier et A.-L. Desjonquères ainsi que par MM. J.-L. Carré, F. Alabrune, D. Colas et B. Fodda, puis par Mmes E. de Moustier, A.-L. Desjonquères et A. Daly ainsi que par M. J.-L. Carré, en qualité d’agents,

partie requérante,

soutenue par :

Grand-Duché de Luxembourg, représenté initialement par Mme D. Holderer ainsi que par MM. C. Schiltz et T. Uri, puis par MM. C. Schiltz et T. Uri, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Parlement européen, représenté par MM. R. Crowe et U. Rösslein ainsi que par Mme S. Lucente, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la deuxième chambre, MM. P. G. Xuereb, T. von Danwitz (rapporteur) et A. Kumin, juges,

avocat général : M. G. Hogan,

greffier : Mme V. Giacobbo-Peyronnel, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 janvier 2020,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

Par sa requête, la République française demande l’annulation de quatre actes du Parlement européen relatifs à l’adoption du budget annuel de l’Union européenne pour l’exercice 2018 (ci-après, conjointement, les « actes attaqués »), à savoir :

l’ordre du jour de la séance plénière du Parlement du 29 novembre 2017 [document P8_0J (2017)11-29], pour autant que des débats sur le projet commun de budget annuel de l’Union pour l’exercice 2018 y sont inscrits ;

l’ordre du jour de la séance plénière du Parlement du 30 novembre 2017 [document P8_0J (2017)11-30], pour autant qu’un vote suivi d’explications de vote sur ce projet commun y sont inscrits ;

la résolution législative du Parlement du 30 novembre 2017 sur ledit projet commun [document P8_TA(2017)0458, P8_TA-PROV(2017)0458], et

l’acte du 30 novembre 2017 par lequel le président du Parlement a constaté que le budget annuel de l’Union pour l’exercice 2018 était définitivement adopté.

Le cadre juridique

2

L’article unique, sous a), du protocole no 6 sur la fixation des sièges des institutions et de certains organes, organismes et services de l’Union européenne, annexé aux traités UE, FUE et CEEA (ci-après le « protocole sur les sièges des institutions »), prévoit :

« Le Parlement européen a son siège à Strasbourg, où se tiennent les douze périodes de sessions plénières mensuelles, y compris la session budgétaire. Les périodes de sessions plénières additionnelles se tiennent à Bruxelles. Les commissions du Parlement européen siègent à Bruxelles. Le secrétariat général du Parlement européen et ses services restent installés à Luxembourg. »

3

L’article 314 TFUE prévoit :

« Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à une procédure législative spéciale, établissent le budget annuel de l’Union conformément aux dispositions ci-après.

[...]

3.   Le Conseil adopte sa position sur le projet de budget et la transmet au Parlement européen au plus tard le 1er octobre de l’année qui précède celle de l’exécution du budget. [...]

4.   Si, dans un délai de quarante-deux jours après cette transmission, le Parlement européen :

[...]

c)

adopte, à la majorité des membres qui le composent, des amendements, le projet ainsi amendé est transmis au Conseil et à la Commission. Le président du Parlement européen, en accord avec le président du Conseil, convoque sans délai le comité de conciliation. [...]

5.   Le comité de conciliation, qui réunit les membres du Conseil ou leurs représentants et autant de membres représentant le Parlement européen, a pour mission d’aboutir, sur la base des positions du Parlement européen et du Conseil, à un accord sur un projet commun à la majorité qualifiée des membres du Conseil ou de leurs représentants et à la majorité des membres représentant le Parlement européen, dans un délai de vingt et un jours à partir de sa convocation.

[...]

6.   Si, dans le délai de vingt et un jours visé au paragraphe 5, le comité de conciliation parvient à un accord sur un projet commun, le Parlement européen et le Conseil disposent chacun d’un délai de quatorze jours à compter de la date de cet accord pour approuver le projet commun.

7.   Si, dans le délai de quatorze jours visé au paragraphe 6 :

a)

le Parlement européen et le Conseil approuvent tous deux le projet commun ou ne parviennent pas à statuer, ou si l’une de ces institutions approuve le projet commun tandis que l’autre ne parvient pas à statuer, le budget est réputé définitivement adopté conformément au projet commun, ou

b)

le Parlement européen, statuant à la majorité des membres qui le composent, et le Conseil rejettent tous deux le projet commun, ou si l’une de ces institutions rejette le projet commun tandis que l’autre ne parvient pas à statuer, un nouveau projet de budget est présenté par la Commission, ou

[...]

d)

le Parlement européen approuve le projet commun tandis que le Conseil le rejette, le Parlement européen peut, dans un délai de quatorze jours à compter de la date du rejet par le Conseil et statuant à la majorité des membres qui le composent et des trois cinquièmes des suffrages exprimés, décider de confirmer l’ensemble ou une partie des amendements visés au paragraphe 4, point c). Si l’un des amendements du Parlement européen n’est pas confirmé, la position agréée au sein du comité de conciliation concernant la ligne budgétaire qui fait l’objet de cet amendement est retenue. Le budget est réputé définitivement adopté sur cette base.

[...]

9.   Lorsque la procédure prévue au présent article est achevée, le président du Parlement européen constate que le budget est définitivement adopté.

10.   Chaque institution exerce les pouvoirs qui lui sont dévolus par le présent article dans le respect des traités et des actes adoptés en vertu de ceux-ci, notamment en matière de ressources propres de l’Union et d’équilibre des recettes et des dépenses. »

Les antécédents du litige

4

Le 7 octobre 2015, le Parlement a adopté le calendrier de ses périodes de sessions plénières pour l’année 2017, ce dernier prévoyant, notamment, la tenue de périodes de sessions plénières ordinaires à Strasbourg (France) du 23 au 26 octobre, du 13 au 16 novembre et du 11 au 14 décembre 2017, ainsi que d’une période de session plénière additionnelle les 29 et 30 novembre 2017 à Bruxelles (Belgique).

5

Au mois d’avril 2017, le Conseil, le Parlement et la Commission ont établi le calendrier pragmatique précisant les dates centrales que ces institutions envisageaient pour les différentes étapes de la procédure budgétaire pour l’exercice 2018 et, notamment, pour une éventuelle procédure de conciliation.

6

Le 29 juin 2017, la Commission a publié un projet de budget annuel de l’Union pour l’exercice 2018. Le 13 septembre 2017, le Conseil a transmis au Parlement sa position sur ce projet. Après un vote en commission des budgets et des débats au cours de la période de session plénière ordinaire qui s’est tenue à Strasbourg du 23 au 26 octobre 2017, le Parlement a adopté, le 25 octobre 2017, une résolution législative contenant des amendements audit projet. Le 31 octobre 2017, la procédure de conciliation budgétaire entre le Parlement et le Conseil a débuté. Cette procédure a abouti, le 18 novembre 2017, à un accord sur un projet commun de budget annuel de l’Union pour l’exercice 2018.

7

Le 30 novembre 2017, le Conseil a approuvé le projet commun de budget annuel de l’Union pour l’exercice 2018. Le Parlement a inscrit le débat et le vote sur ce projet à l’ordre du jour de la période de session plénière additionnelle des 29 et 30 novembre 2017 se tenant à Bruxelles. Par la résolution législative du 30 novembre 2017, le Parlement a approuvé ledit projet. À cette même date, le président du Parlement a constaté, en séance plénière, que le budget annuel de l’Union pour l’exercice 2018 était définitivement adopté.

8

Postérieurement à l’introduction du présent recours, la Cour a rejeté, par l’arrêt du 2 octobre 2018, France/Parlement (Exercice du pouvoir budgétaire) (C‑73/17, EU:C:2018:787), le recours de la République française tendant à l’annulation d’actes pris par le Parlement dans le cadre de la procédure ayant conduit à l’adoption du budget de l’Union pour l’exercice 2017. À la suite du prononcé de cet arrêt, la République française a, sur demande de la Cour, confirmé qu’elle entendait maintenir son recours concernant le budget de l’Union pour l’exercice 2018.

La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

9

La République française demande à la Cour :

d’annuler les actes attaqués ;

de maintenir les effets de l’acte par lequel le président du Parlement a constaté que le budget annuel de l’Union pour l’exercice 2018 était définitivement adopté, et ce jusqu’à ce que ce budget soit définitivement adopté par un acte conforme aux traités, dans un délai raisonnable à compter de la date du prononcé de l’arrêt que la Cour rendra dans la présente affaire, et

de condamner le Parlement aux dépens.

10

Le Parlement demande à la Cour :

de rejeter le recours ;

de condamner la République française aux dépens, et

à titre subsidiaire, de maintenir les effets de l’acte par lequel le président du Parlement a constaté que le budget annuel de l’Union pour l’exercice 2018 était définitivement adopté, et ce jusqu’à l’entrée en vigueur, dans un délai raisonnable, d’un nouvel acte destiné à le remplacer.

11

Par décision du président de la Cour du 26 avril 2019, le Grand-Duché de Luxembourg a été admis à intervenir au soutien des conclusions de la République française.

Sur le recours

Argumentation des parties

12

La République française, soutenue par le Grand-Duché de Luxembourg, soulève un moyen unique, tiré de la violation, par les actes attaqués, du protocole sur les sièges des institutions. Conformément à l’article unique, sous a), de ce protocole, le Parlement serait tenu d’exercer le pouvoir budgétaire que lui confère l’article 314, paragraphes 5, 6 et 9, TFUE, en principe, dans son intégralité au cours des périodes de sessions plénières ordinaires qui se tiennent à Strasbourg. En l’occurrence, cette institution aurait méconnu la conciliation nécessaire entre les exigences résultant de ces articles en inscrivant les débats et le vote portant sur le projet commun de budget annuel de l’Union pour l’exercice 2018, au titre de l’article 314, paragraphe 6, TFUE, à l’ordre du jour de sa période de session plénière additionnelle qui s’est tenue à Bruxelles les 29 et 30 novembre 2017 et en constatant, par l’acte du président du Parlement fondé sur l’article 314, paragraphe 9, TFUE, l’adoption définitive de ce budget lors de la même période de session plénière additionnelle.

13

À cet égard, la République française soutient que le Parlement a commis une erreur d’appréciation, en ce qu’il a fixé, puis maintenu son calendrier des périodes de sessions plénières ordinaires pour l’année 2017 de telle façon qu’il ne pouvait se prononcer sur le projet commun de budget annuel pour l’exercice 2018 dans le délai prévu à l’article 314, paragraphe 6, TFUE qu’au cours de la période de session plénière additionnelle mentionnée au point précédent, ayant eu lieu à Bruxelles, et non pas lors d’une période de session plénière ordinaire se tenant à Strasbourg.

14

La République française estime qu’il est possible d’anticiper la date de l’accord trouvé au cours de la procédure de conciliation. À cet égard, elle relève, tout d’abord, que, en pratique, le vote sur le projet de budget, prévu à l’article 314, paragraphe 4, TFUE, intervient toujours au cours de la seconde période de session plénière ordinaire d’octobre, dite « période de session d’“octobre II” ». Ensuite, cet État membre soutient que, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, il a systématiquement été recouru à une procédure de conciliation. Enfin, il ajoute que, dans le cas hautement probable du recours à une telle procédure, un éventuel accord de conciliation intervient selon toute probabilité dans les derniers jours de la période de conciliation prévue à l’article 314, paragraphe 5, TFUE. Dans ces conditions, la République française considère que le Parlement est tenu de programmer la période de session plénière ordinaire du mois de novembre dans la quatrième ou la cinquième semaine après la période de session d’« octobre II », dès lors qu’une telle programmation maximise, selon elle, la probabilité que cette institution puisse se prononcer sur le projet commun de budget au cours d’une période de session plénière ordinaire se tenant à Strasbourg, dans le délai de quatorze jours prévu à l’article 314, paragraphe 6, TFUE. Toutefois, en l’occurrence, ladite institution aurait programmé la période de session plénière ordinaire du mois de novembre 2017 pour la troisième semaine après la période de session d’« octobre II » 2017, ce qui l’aurait empêchée d’exercer ses pouvoirs budgétaires, au titre de l’article 314, paragraphes 6, 7 et 9, TFUE, à Strasbourg.

15

En tout état de cause, la République française soutient que le Parlement aurait pu modifier le calendrier des périodes de sessions plénières ordinaires, à la suite de l’établissement du calendrier pragmatique programmant, d’un commun accord entre les institutions, le déroulement de la procédure budgétaire. Après l’établissement de ce dernier calendrier, le Parlement aurait eu confirmation des dates auxquelles se déroulerait la procédure de conciliation ainsi que celles des réunions du comité de conciliation, dans le cas hautement probable où il aurait été recouru à une telle procédure, à la suite de la période de session d’« octobre II ».

16

Le Parlement soutient que c’est sans commettre d’erreur d’appréciation qu’il a exercé ses pouvoirs budgétaires au titre de l’article 314, paragraphes 6, 7 et 9, TFUE, au cours de la période de session plénière additionnelle qui s’est tenue le 29 et le 30 novembre 2017. Compte tenu des imprévisibilités inhérentes à la procédure budgétaire, tant le recours à la procédure de conciliation que la date à laquelle cette procédure serait déclenchée et prendrait fin, le cas échéant, en raison d’un accord sur un projet commun de budget annuel, auraient été, par principe, incertains au moment de la fixation du calendrier des sessions plénières pour l’année 2017.

Appréciation de la Cour

17

Le Parlement est, comme le confirme l’article 314, paragraphe 10, TFUE, tenu d’exercer les pouvoirs budgétaires qui lui sont dévolus, dans le respect des traités et des actes adoptés en vertu de ceux-ci.

18

En premier lieu, cette institution doit respecter le protocole sur les sièges des institutions, qui, en vertu de l’article 51 TUE, fait partie intégrante des traités. L’article unique, sous a), de ce protocole dispose que « [l]e Parlement européen a son siège à Strasbourg, où se tiennent les douze périodes de sessions plénières mensuelles, y compris la session budgétaire ».

19

À cet égard, la Cour a jugé, aux points 32, 35 et 37 de l’arrêt du 2 octobre 2018, France/Parlement (Exercice du pouvoir budgétaire) (C‑73/17, EU:C:2018:787), que, en l’absence de précision à l’article unique, sous a), de ce protocole, les termes « la session budgétaire » doivent être considérés comme renvoyant à l’ensemble des périodes de sessions plénières au cours desquelles le Parlement exerce ses pouvoirs budgétaires et à l’ensemble des actes adoptés par cette institution à cette fin. En effet, l’exercice, par le Parlement, de sa compétence budgétaire en séance plénière constitue un moment fondamental de la vie démocratique de l’Union et nécessite notamment un débat public, en séance plénière, permettant aux citoyens de l’Union de prendre connaissance des diverses orientations politiques exprimées et, de ce fait, de se former une opinion politique sur l’action de l’Union. En outre, la transparence du débat parlementaire en séance plénière est susceptible de renforcer la légitimité démocratique de la procédure budgétaire à l’égard des citoyens de l’Union et la crédibilité de l’action de celle-ci. Dans ces conditions, les termes « la session budgétaire », figurant à l’article unique, sous a), du protocole sur les sièges des institutions, couvrent non pas seulement la période de session plénière ordinaire consacrée à l’examen du projet de budget en première lecture au titre de l’article 314, paragraphe 4, TFUE, mais également la deuxième lecture, en vertu de l’article 314, paragraphe 6, de ce traité, assurant un débat et un vote publics, en séance plénière, sur le projet commun de budget annuel issu de la procédure de conciliation.

20

En deuxième lieu, le Parlement est tenu de respecter les exigences que l’article 314 TFUE lui impose pour l’exercice de ses pouvoirs budgétaires en séance plénière. Les échéances et les délais établis à cette disposition visent à assurer l’adoption du budget annuel de l’Union avant la fin de l’année précédant l’exercice en cause, leur méconnaissance pouvant, le cas échéant, conduire à l’application de l’article 315 TFUE, relatif au budget provisoire [arrêt du 2 octobre 2018, France/Parlement (Exercice du pouvoir budgétaire), C‑73/17, EU:C:2018:787, point 38].

21

En l’absence d’un débat et d’un vote du Parlement sur le projet commun de budget annuel dans le délai de quatorze jours établi à l’article 314, paragraphe 6, TFUE, ce projet peut être adopté par le Conseil seul, dans les conditions prévues au paragraphe 7, sous a), de cet article. Or, il est d’une importance particulière pour la transparence et la légitimité démocratique de l’action de l’Union, lesquelles se manifestent au travers de la procédure d’adoption du budget annuel, que le Parlement exerce la compétence lui incombant au titre de l’article 314, paragraphe 6, TFUE et se prononce en séance plénière sur ce projet commun [arrêt du 2 octobre 2018, France/Parlement (Exercice du pouvoir budgétaire), C‑73/17, EU:C:2018:787, point 40].

22

En troisième lieu, dans la mesure où l’article unique, sous a), du protocole sur les sièges des institutions et l’article 314 TFUE ont la même valeur juridique, les exigences résultant du premier de ces articles ne sauraient, en tant que telles, prévaloir sur celles résultant du second, et inversement. Leur application doit être effectuée, au cas par cas, dans le respect de la conciliation nécessaire de ces exigences et d’un juste équilibre entre celles-ci [arrêt du 2 octobre 2018, France/Parlement (Exercice du pouvoir budgétaire), C‑73/17, EU:C:2018:787, point 42].

23

Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que le protocole sur les sièges des institutions est régi par le respect mutuel des compétences respectives des États membres et du Parlement ainsi que par un devoir réciproque de coopération loyale [arrêt du 2 octobre 2018, France/Parlement (Exercice du pouvoir budgétaire), C‑73/17, EU:C:2018:787, point 43 et jurisprudence citée].

24

Ainsi, le Parlement est tenu d’exercer ses pouvoirs budgétaires au cours d’une période de session plénière ordinaire se tenant à Strasbourg, sans que, toutefois, cette obligation résultant de l’article unique, sous a), du protocole sur les sièges des institutions fasse obstacle à ce que le budget annuel soit, si des impératifs liés au bon déroulement de la procédure budgétaire telle que prévue à l’article 314 TFUE l’exigent, débattu et voté lors d’une période de session plénière additionnelle se tenant à Bruxelles. Un déroulement de cette procédure faisant prévaloir, de manière absolue, le respect de l’article unique, sous a), de ce protocole au détriment de la pleine participation du Parlement à ladite procédure serait incompatible avec la conciliation nécessaire des exigences résultant de ces dispositions, rappelée au point 22 du présent arrêt [arrêt du 2 octobre 2018, France/Parlement (Exercice du pouvoir budgétaire), C‑73/17, EU:C:2018:787, point 44].

25

En ce qui concerne le contrôle juridictionnel du respect des exigences résultant des points 22 à 24 du présent arrêt, la Cour a précisé, au point 45 de l’arrêt du 2 octobre 2018, France/Parlement (Exercice du pouvoir budgétaire) (C‑73/17, EU:C:2018:787), que le Parlement dispose, lorsqu’il procède à la conciliation nécessaire entre les exigences résultant de l’article unique, sous a), du protocole sur les sièges des institutions et celles de l’article 314 TFUE, d’un pouvoir d’appréciation découlant des impératifs liés au bon déroulement de la procédure budgétaire. Dès lors, ce contrôle juridictionnel porte sur le point de savoir si le Parlement, en exerçant une partie de ses pouvoirs budgétaires au cours d’une période de session plénière additionnelle, a commis, à cet égard, des erreurs d’appréciation.

26

C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner si les actes attaqués respectent la conciliation nécessaire des exigences résultant, d’une part, de l’article unique, sous a), du protocole sur les sièges des institutions et, d’autre part, de l’article 314 TFUE.

27

À cet égard, si la République française admet que, dans le cadre fixé par le calendrier des périodes de sessions plénières ordinaires pour l’année 2017, la période de session plénière additionnelle qui s’est tenue à Bruxelles les 29 et 30 novembre 2017 constituait la seule possibilité pour le Parlement de se prononcer sur le projet commun de budget annuel pour l’exercice 2018 dans le délai prévu à l’article 314, paragraphe 6, TFUE, elle fait valoir, soutenue par le Grand-Duché de Luxembourg, que l’aménagement de ce calendrier parlementaire par ladite institution est entaché d’une erreur d’appréciation. Selon ces États membres, il aurait été possible d’aménager ledit calendrier de manière à permettre le débat et le vote du projet commun de budget annuel de l’Union pour l’exercice 2018 à Strasbourg dans le respect de ce délai. En effet, la possibilité d’un tel aménagement, voire d’une modification du calendrier des périodes de sessions plénières ordinaires pour l’année 2017, se serait présentée tant lors de la fixation de ce calendrier, le 7 octobre 2015, qu’à la suite de l’établissement du calendrier pragmatique, au mois d’avril 2017.

28

S’agissant, premièrement, de la fixation du calendrier parlementaire pour l’année 2017, intervenue le 7 octobre 2015, l’argumentation de la République française, soutenue par le Grand-Duché de Luxembourg, est fondée sur la prémisse selon laquelle la date à laquelle le comité de conciliation est parvenu à un accord sur un projet commun de budget annuel était raisonnablement prévisible pour le Parlement au moment de la fixation de ce calendrier.

29

Toutefois, la Cour a déjà rejeté une telle prémisse en jugeant, au point 50 de l’arrêt du 2 octobre 2018, France/Parlement (Exercice du pouvoir budgétaire) (C‑73/17, EU:C:2018:787), que, au moment de la fixation du calendrier des sessions plénières ordinaires, tant le recours à la procédure de conciliation que la date à laquelle cette procédure serait déclenchée et prendrait fin, le cas échéant, en raison d’un accord sur un projet commun de budget annuel, étaient par principe incertains.

30

Aucun des éléments avancés par la République française et par le Grand-Duché de Luxembourg n’est de nature à remettre en cause les considérations relatives aux imprévisibilités inhérentes à la procédure budgétaire, sur lesquelles se fonde la jurisprudence rappelée au point précédent.

31

En outre, l’argumentation de ces États membres, selon laquelle le Parlement doit programmer la période de session plénière ordinaire du mois de novembre alternativement pendant la quatrième ou la cinquième semaine après la période de session d’« octobre II », implique nécessairement que cette institution dispose d’un pouvoir d’appréciation à cet effet. En particulier, dans la mesure où la République française se fonde sur le constat qu’une telle programmation « maximise la probabilité » d’un débat et d’un vote sur le projet commun de budget lors de la période de session plénière ordinaire du mois de novembre se tenant à Strasbourg, elle admet, en substance, qu’une telle programmation ne peut assurer que ce débat et ce vote puissent effectivement avoir lieu à Strasbourg et, partant, confirme que la programmation du calendrier parlementaire n’est pas de nature à lever les imprévisibilités inhérentes à la procédure budgétaire.

32

Partant, il y a lieu de considérer que le Parlement est demeuré dans les limites du pouvoir d’appréciation rappelé au point 25 du présent arrêt, lorsqu’il a fixé, le 7 octobre 2015, son calendrier de sessions plénières ordinaires pour l’année 2017.

33

Deuxièmement, la République française reproche au Parlement de ne pas avoir modifié ce calendrier à la suite de l’établissement, au mois d’avril 2017, du calendrier pragmatique relatif à la procédure budgétaire pour l’exercice 2018, au motif que ce calendrier pragmatique aurait confirmé les dates de la procédure de conciliation, dans le cas hautement probable où il aurait été recouru à une telle procédure.

34

Or, ledit calendrier pragmatique précisait les dates que le Conseil, le Parlement et la Commission envisageaient, au mois d’avril 2017, pour la procédure budgétaire relative à l’exercice 2018 et, notamment, pour une éventuelle procédure de conciliation, nonobstant la possibilité que les imprévisibilités inhérentes à la procédure budgétaire puissent empêcher ces institutions de respecter les dates envisagées.

35

S’agissant de ces imprévisibilités, le Parlement a relevé, sans être contredit sur ce point, que le sort de la période de conciliation est incertain, ainsi qu’il ressort notamment de la circonstance que cette période a expiré sans accord dans trois des cinq procédures achevées sous le régime de l’article 314 TFUE avant la fixation du calendrier parlementaire pour l’année 2017, si bien que le budget annuel de l’Union n’a pu être adopté qu’au mois de décembre de l’année précédant l’exercice en cause dans ces trois procédures. En outre, en réponse à une question posée par la Cour lors de l’audience, le Parlement a précisé, ce qui est également demeuré incontesté, que le point de départ précis de la période de conciliation ne peut être fixé qu’au dernier moment, par rapport aux calendriers actualisés du Parlement, du Conseil et de la Commission.

36

Ainsi, à la suite de l’établissement, au mois d’avril 2017, du calendrier pragmatique relatif à la procédure budgétaire pour l’exercice 2018, demeurait toujours incertaine la réponse à la question de savoir si et à quelle date le comité de conciliation pourrait effectivement parvenir à un accord de conciliation.

37

Dans ces conditions, le Parlement n’a pas non plus commis d’erreur d’appréciation en ayant maintenu le calendrier des sessions plénières ordinaires pour l’année 2017, à la suite de l’établissement du calendrier pragmatique au mois d’avril de cette même année.

38

Partant, les actes attaqués ne sont pas entachés de l’erreur d’appréciation invoquée par la République française.

39

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’écarter le moyen unique de la République française et, partant, de rejeter le recours.

Sur les dépens

40

Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Parlement ayant conclu à la condamnation de la République française et celle-ci ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux du Parlement. En application de l’article 140, paragraphe 1, du même règlement, le Grand-Duché de Luxembourg, qui est intervenu au litige, supportera ses propres dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête :

 

1)

Le recours est rejeté.

 

2)

La République française est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux du Parlement européen.

 

3)

Le Grand-Duché de Luxembourg supporte ses propres dépens.

 

Arabadjiev

Lenaerts

Xuereb

von Danwitz

Kumin

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 juin 2020.

Le greffier

A. Calot Escobar

Le président de la IIème chambre

A. Arabadjiev


( *1 ) Langue de procédure : le français.

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