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Document 62017CO0426

Ordonnance de la Cour (sixième chambre) du 25 octobre 2018.
Elena Barba Giménez contre Francisca Carrión Lozano.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Juzgado de lo Social n° 2 de Terrassa.
Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2 du règlement de procédure de la Cour – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47 – Bénéficiaire de l’aide juridictionnelle – Rémunération des avocats commis d’office – Fixation des tarifs par l’ordre des avocats – Absence d’information préalable sur les tarifs de l’avocate à sa cliente – Réclamation d’honoraires – Contrôle de l’existence de clauses abusives et de pratiques déloyales – Litige principal – Saisine d’un organe compétent – Absence de saisine de la juridiction de renvoi – Réponses aux questions préjudicielles – Utilité – Absence – Irrecevabilité manifeste.
Affaire C-426/17.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2018:858

ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

25 octobre 2018 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2 du règlement de procédure de la Cour – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47 – Bénéficiaire de l’aide juridictionnelle – Rémunération des avocats commis d’office – Fixation des tarifs par l’ordre des avocats – Absence d’information préalable sur les tarifs de l’avocate à sa cliente – Réclamation d’honoraires – Contrôle de l’existence de clauses abusives et de pratiques déloyales – Litige principal – Saisine d’un organe compétent – Absence de saisine de la juridiction de renvoi – Réponses aux questions préjudicielles – Utilité – Absence – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire C‑426/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Juzgado de lo Social no 2 de Terrassa (tribunal du travail n° 2 de Terrassa, Espagne), par décision du 27 juin 2017, parvenue à la Cour le 14 juillet 2017, dans la procédure

Elena Barba Giménez

contre

Francisca Carrión Lozano,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. J.‑C. Bonichot, président de la première chambre, faisant fonction de président de la sixième chambre, MM. C. G. Fernlund et S. Rodin (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour le gouvernement espagnol, par Mme M. García-Valdecasas Dorrego, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. N. Ruiz García et C. Urraca Caviedes ainsi que par Mme C. Valero, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 101 TFUE, de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), ainsi que des directives 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29) et 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) no 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil (« directive sur les pratiques commerciales déloyales ») (JO 2005, L 149, p. 22), et 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Me Elena Barba Giménez, avocate, à Mme Francisca Carrión Lozano au sujet du paiement des honoraires de la première, commise d’office pour représenter la seconde, bénéficiaire d’une aide juridictionnelle.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 93/13

3        L’article 1er de la directive 93/13 dispose :

« 1.      La présente directive a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur.

2.      Les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives ainsi que des dispositions ou principes des conventions internationales, dont les États membres ou la Communauté sont partis, notamment dans le domaine des transports, ne sont pas soumises aux dispositions de la présente directive. »

4        L’article 2 de cette directive est ainsi libellé :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)      “clauses abusives” : les clauses d’un contrat telles qu’elles sont définies à l’article 3 ;

b)      “consommateur” : toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle ;

c)      “professionnel” : toute personne physique ou morale qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu’elle soit publique ou privée. »

5        L’article 3, paragraphes 1 et 2, de ladite directive prévoit :

« 1.      Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

2.      Une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion.

Le fait que certains éléments d’une clause ou qu’une clause isolée aient fait l’objet d’une négociation individuelle n’exclut pas l’application du présent article au reste d’un contrat si l’appréciation globale permet de conclure qu’il s’agit malgré tout d’un contrat d’adhésion.

Si le professionnel prétend qu’une clause standardisée a fait l’objet d’une négociation individuelle, la charge de la preuve lui incombe. »

6        L’article 6, paragraphe 1, de la même directive dispose :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

7        L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 prévoit :

« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »

 La directive 2005/29

8        L’article 2, paragraphe 1, sous a) à d), de la directive 2005/29 est ainsi libellé :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)      “consommateur” : toute personne physique qui, pour les pratiques commerciales relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ;

b)      “professionnel” : toute personne physique ou morale qui, pour les pratiques commerciales relevant de la présente directive, agit à des fins qui entrent dans le cadre de son activité, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, et toute personne agissant au nom ou pour le compte d’un professionnel ;

c)      “produit” : tout bien ou service, y compris les biens immobiliers, les droits et les obligations ;

d)      “pratiques commerciales des entreprises vis-à-vis des consommateurs” (ci-après également dénommées “pratiques commerciales”) : toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d’un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs ».

9        L’article 6, paragraphe 1, sous d), de cette directive prévoit :

« 1.      Une pratique commerciale est réputée trompeuse si elle contient des informations fausses, et qu’elle est donc mensongère ou que, d’une manière quelconque, y compris par sa présentation générale, elle induit ou est susceptible d’induire en erreur le consommateur moyen, même si les informations présentées sont factuellement correctes, en ce qui concerne un ou plusieurs des aspects ci-après et que, dans un cas comme dans l’autre, elle l’amène ou est susceptible de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement : [...]

d)      le prix ou le mode de calcul du prix, ou l’existence d’un avantage spécifique quant au prix ;

[...] »

10      L’article 7, paragraphes 1, 2 et paragraphe 4, sous c), de la directive 2005/29 est ainsi libellé :

« 1.      Une pratique commerciale est réputée trompeuse si, dans son contexte factuel, compte tenu de toutes ses caractéristiques et des circonstances ainsi que des limites propres au moyen de communication utilisé, elle omet une information substantielle dont le consommateur moyen a besoin, compte tenu du contexte, pour prendre une décision commerciale en connaissance de cause et, par conséquent, l’amène ou est susceptible de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement.

2.      Une pratique commerciale est également considérée comme une omission trompeuse lorsqu’un professionnel, compte tenu des aspects mentionnés au paragraphe 1, dissimule une information substantielle visée audit paragraphe ou la fournit de façon peu claire, inintelligible, ambiguë ou à contretemps, ou lorsqu’il n’indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte et lorsque, dans l’un ou l’autre cas, le consommateur moyen est ainsi amené ou est susceptible d’être amené à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement.

[...]

4.      Lors d’une invitation à l’achat, sont considérées comme substantielles, dès lors qu’elles ne ressortent pas déjà du contexte, les informations suivantes :

[...]

c)      le prix toutes taxes comprises, ou, lorsque la nature du produit signifie que le prix ne peut raisonnablement pas être calculé à l’avance, la manière dont le prix est calculé, ainsi que, le cas échéant, tous les coûts supplémentaires de transport, de livraison et postaux, ou, lorsque ces coûts ne peuvent raisonnablement pas être calculés à l’avance, la mention que ces coûts peuvent être à la charge du consommateur ».

11      L’article 11, paragraphes 1 et 2, de cette directive est ainsi libellé :

« 1.      Les États membres veillent à ce qu’il existe des moyens adéquats et efficaces pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales afin de faire respecter les dispositions de la présente directive dans l’intérêt des consommateurs.

[...]

2.      Dans le cadre des dispositions juridiques visées au paragraphe 1, les États membres confèrent aux tribunaux ou aux autorités administratives des pouvoirs les habilitant, dans les cas où ceux-ci estiment que ces mesures sont nécessaires compte tenu de tous les intérêts en jeu, et notamment de l’intérêt général :

a)      à ordonner la cessation de pratiques commerciales déloyales ou à engager les poursuites appropriées en vue de faire ordonner la cessation desdites pratiques, ou

b)      si la pratique commerciale déloyale n’a pas encore été mise en œuvre mais est imminente, à interdire cette pratique ou à engager les poursuites appropriées en vue de faire ordonner son interdiction,

même en l’absence de preuve d’une perte ou d’un préjudice réels, ou d’une intention ou d’une négligence de la part du professionnel.

[...] »

 La directive 2006/123

12      L’article 15, paragraphe 2, sous g), et paragraphe 3, de la directive 2006/123 prévoit :

« 2.      Les États membres examinent si leur système juridique subordonne l’accès à une activité de service ou son exercice au respect de l’une des exigences non discriminatoires suivantes :

[...]

g)      les tarifs obligatoires minimum et/ou maximum que doit respecter le prestataire ;

[...]

3.      Les États membres vérifient que les exigences visées au paragraphe 2 remplissent les conditions suivantes :

a)      non-discrimination : les exigences ne sont pas directement ou indirectement discriminatoires en fonction de la nationalité ou, en ce qui concerne les sociétés, de l’emplacement de leur siège statutaire ;

b)      nécessité : les exigences sont justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général ;

c)      proportionnalité : les exigences doivent être propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi, ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif et d’autres mesures moins contraignantes ne doivent pas permettre d’atteindre le même résultat. »

 Le droit espagnol

13      L’article 35 de la Ley 1/2000 de Enjuiciamiento Civil (loi 1/2000 portant code de procédure civile), du 7 janvier 2000 (BOE no 7, du 8 janvier 2000, p. 575, ci-après la « LEC »), est ainsi libellé :

« 1.      Les avocats peuvent réclamer à la partie qu’ils défendent le paiement des honoraires qui leur sont dus dans le cadre de l’affaire, en présentant une note détaillée et en déclarant expressément que ces honoraires leur sont dus et sont demeurés impayés.

2.      Sur présentation de cette demande, le secretario judicial enjoint au débiteur de payer cette somme, ainsi que les frais de recouvrement, ou de contester la note dans un délai de dix jours, sous peine de saisie si le débiteur ne paye pas la note et ne formule pas de contestation.

Si, dans ce délai, les honoraires sont contestés au motif qu’ils ne sont pas dus, l’article 34, paragraphe 2, deuxième et troisième alinéas, s’applique.

S’ils sont contestés au motif qu’ils sont excessifs, ces honoraires sont révisés au préalable conformément aux articles 241 et suivants, sauf si l’avocat prouve l’existence d’un devis écrit préalable accepté par l’auteur de la contestation, et une décision motivée fixant la somme due est rendue, sous peine de saisie si le paiement n’est pas effectué dans les cinq jours suivant la notification.

Cette décision motivée n’est pas susceptible de recours, mais ne préjuge aucunement du jugement susceptible d’être rendu par la suite dans le cadre de la procédure juridictionnelle ordinaire.

3.      Si le débiteur des honoraires ne formule pas de contestation dans le délai imparti, la note fait l’objet d’une exécution forcée à raison du montant auquel elle s’élève, assorti des frais de recouvrement. »

14      L’article 242, paragraphe 5, de la LEC prévoit :

« Les avocats, experts et autres professionnels et fonctionnaires qui ne sont pas soumis à un tarif spécifique fixent le cas échéant leurs honoraires conformément aux règles gouvernant leur statut professionnel. »

15      L’article 243, paragraphe 2, troisième alinéa, de la LEC dispose :

« Le greffier procède à la réduction des honoraires des avocats et autres professionnels non soumis à un tarif spécifique, lorsque lesdits honoraires dépassent le plafond visé à l’article 394, paragraphe 3 et que le plaideur condamné aux dépens n’a pas été déclaré imprudent. »

16      L’article 245, paragraphe 2, de la LEC énonce :

« La contestation peut être fondée sur le fait qu’ont été inclus dans la fixation des honoraires, des postes, des droits ou des frais indus. Toutefois, en ce qui concerne les honoraires des avocats, des experts ou des professionnels qui ne sont pas soumis à un tarif spécifique, la fixation des honoraires peut également être contestée au motif que le montant des honoraires en cause est excessif. »

17      L’article 552, paragraphe 1, de la LEC est ainsi libellé :

« Si le Tribunal estime que les conditions et exigences légalement requises aux fins de l’exécution forcée ne sont pas satisfaites, il rend une ordonnance de refus d’exécution forcée.

Le tribunal examine d’office la question de savoir si une clause figurant dans l’un des titres exécutoires cités à l’article 557, paragraphe 1, peut être qualifiée d’abusive. Lorsqu’il estime qu’une clause peut être qualifiée d’abusive, il entend les parties dans les quinze jours. Après avoir entendu les parties, il adopte la décision adéquate dans le délai de cinq jours ouvrables conformément aux dispositions de l’article 561, paragraphe 1, point 3. »

18      L’article 557, paragraphe 1, de la LEC qui concerne l’exécution de titres non judiciaires, renvoie, à son tour, à l’article 517, paragraphe 2, point 9, de la LEC qui inclut parmi de tels titres :

« Les autres décisions procédurales et documents qui, en vertu d’une disposition de la présente loi ou d’une autre loi, entraînent exécution. »

19      L’article 36, paragraphes 3 et 5, de la Ley 1/1996 de Asistencia Jurídica Gratuita (loi 1/1996 relative à l’aide juridictionnelle), du 10 janvier 1996 (BOE no 11, du 12 janvier 1996, p. 793, ci-après la « loi 1/1996 »), prévoit :

« 3.      Lorsque la décision qui met fin au procès ne statue pas expressément sur les dépens et que le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle obtient gain de cause, ce dernier paie les dépens exposés pour sa défense, pour autant qu’ils ne dépassent pas le tiers de la somme qu’il a obtenue lors dudit procès. Si les dépens sont plus élevés, ils sont réduits au tiers de cette somme, leurs diverses composantes étant soumises à la règle proportionnelle.

[...]

5.      Les professionnels désignés d’office qui ont obtenu un paiement conformément aux règles visées aux paragraphes précédents sont obligés de rembourser les montants éventuellement perçus à charge de fonds publics au titre de leur intervention dans le procès.

Le calcul des honoraires et des droits des professionnels est régi par les règles relatives aux honoraires d’avocat de chaque barreau ainsi qu’aux barèmes des avoués en vigueur lors du déroulement du procès. »

20      La quatrième disposition supplémentaire de la Ley 2/1974 sobre Colegios Profesionales (loi 2/1974 sur les ordres professionnels), du 13 février 1974 (BOE n º40, du 15 février 1974), intitulée « Évaluation des ordres pour la fixation des dépens », dispose :

« Les ordres peuvent formuler des critères indicatifs aux fins exclusives de la fixation des dépens et de l’action en paiement des honoraires des avocats.

Ces critères servent également au calcul des honoraires et des droits correspondants dans le cadre de la fixation des dépens au titre de l’aide juridictionnelle. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

21      Lors d’une procédure portant sur la reconnaissance d’incapacité permanente totale de Mme Carrión Lozano, cette dernière a bénéficié d’une aide juridictionnelle. Me Barba Giménez, avocate inscrite au barreau de Terrassa (Espagne), a été désignée d’office afin de représenter Mme Carrión Lozano dans cette procédure à l’issue de laquelle il a été fait droit à la demande de Mme Carrión Lozano. L’arrêt ne portait pas sur les dépens, la fixation de ces derniers étant soumise à une procédure relevant de la compétence du greffe.

22      Me Barba Giménez a perçu des honoraires au titre des services qu’elle a rendus en sa qualité d’avocate commise d’office, pour un montant fixé par la réglementation nationale. Toutefois, il ressort de la décision de renvoi que, selon le droit national, le bénéficiaire d’une aide juridictionnelle est tenu de payer les dépens exposés pour la défense, à hauteur du tiers de la somme obtenue, dans le cas où il est fait droit à sa demande et s’il n’y a pas eu de condamnation aux dépens de la partie qui succombe dans l’arrêt rendu par la juridiction nationale. Le calcul des honoraires dans un tel cas est effectué conformément aux règles relatives aux honoraires d’avocat établies par chaque barreau.

23      De ce fait, Me Barba Giménez a présenté à sa cliente un mémoire d’honoraires d’un montant de 9 289,65 euros au titre des services fournis. Mme Carrión Lozano n’avait pas été avertie du tarif des honoraires avant la présentation de ce mémoire et a refusé de payer le montant facturé considérant que celui-ci était abusif.

24      Le 20 avril 2016, Me Barba Giménez a introduit une action en paiement d’honoraires, dite de « jura de cuentas », devant le Letrado de la Administración de Justicia del Juzgado de lo Social no 2 de Terrassa (greffier du tribunal du travail no 2 de Terrassa, Espagne) contre Mme Carrión Lozano, pour le montant de 9 289,65 euros.

25      Considérant que la réglementation nationale pouvait enfreindre le droit de l’Union, le Letrado de la Administración de Justicia del Juzgado de lo Social no 2 de Terrassa (greffier du tribunal du travail no 2 de Terrassa) a, le 13 mai 2016, saisi la Cour d’une demande de décision préjudicielle.

26      À la suite de l’arrêt du 16 février 2017, Margarit Panicello (C‑503/15, EU:C:2017:126), dans lequel la Cour a conclu qu’elle n’est pas compétente pour répondre aux questions posées par le Secretario Judicial del Juzgado de Violencia sobre la Mujer Único de Terrassa (greffier du tribunal en matière de violence envers les femmes de Terrassa, Espagne), la demande du 13 mai 2016 a été retirée et l’affaire a été radiée par une ordonnance du président de la Cour du 24 mars 2017, Barba Giménez (C‑269/16, non publiée, EU:C:2017:263).

27      Le 27 avril 2017, la juridiction de renvoi a organisé une audience afin de débattre de la pertinence de l’introduction d’une demande de décision préjudicielle.

28      D’une part, cette juridiction considère, tout en s’appuyant sur les conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 16 février 2017, Margarit Panicello (C‑503/15, EU:C:2017:126), et à l’arrêt du 18 février 2016, Finanmadrid EFC (C‑49/14, EU:C:2016:98), que la législation nationale peut porter atteinte à l’effectivité du droit de l’Union en rendant excessivement difficile l’application de la protection des consommateurs dans la mesure où elle ne prévoit pas la possibilité du contrôle des clauses abusives jusqu’à la phase d’exécution de la décision relative aux dépens rendue par le greffier. D’autre part, la juridiction de renvoi estime que, dans la mesure où l’avocate concernée n’a jamais informé Mme Carrión Lozano du prix de ses services avant de lui présenter la facture, une telle pratique peut éventuellement être qualifiée de « trompeuse », au sens de l’article 7, paragraphe 4, sous c), de la directive 2005/29.

29      En outre, ladite juridiction demande à la Cour si un avocat désigné d’office relève de la notion de « professionnel », au sens de l’article 2, sous c), de la directive 93/13 et de l’article 2, sous b), de la directive 2005/29. À cet égard, elle observe que, si la Cour a statué dans l’arrêt du 15 janvier 2015, Šiba (C‑537/13, EU:C:2015:14), que les contrats conclus entre les avocats et leurs clients sont soumis à la directive 93/13, la situation en cause au principal concerne non pas un contrat entre l’avocat et son client librement négocié, mais une situation dans laquelle un avocat a été commis d’office.

30      Dans le même sens, elle demande si l’article 6, paragraphe 1, sous d), et l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/29 s’opposent à une disposition nationale qui prévoit l’obligation d’appliquer le régime tarifaire établi par le barreau même si le professionnel s’est rendu coupable d’omissions ou de pratiques trompeuses concernant le calcul du prix de ses services en n’informant pas préalablement son client de ce prix.

31      La juridiction de renvoi estime que, compte tenu du fait que le tarif des avocats, obligatoire pour les bénéficiaires d’une aide juridictionnelle et les parties condamnées aux dépens, est établi par le barreau, une organisation composée exclusivement d’avocats, ce système peut s’avérer incompatible avec l’article 101 TFUE. Selon cette juridiction, même si l’avocat n’a pas été choisi librement dans le cadre de la procédure d’aide juridictionnelle, le prix de ses services est fixé par une organisation des entreprises sans intervention de l’État et sans que les juridictions puissent s’écarter de ce barème. En conséquence, ladite juridiction se demande si la réglementation nationale en cause remplit les exigences de nécessité et de proportionnalité visées à l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2006/123.

32      Finalement, la juridiction de renvoi nourrit des doutes sur la compatibilité du système espagnol avec l’article 47 de la Charte. À cet égard, elle observe que l’article 36 de la loi 1/1996 permet, en l’espèce, à Me Barba Giménez d’exiger de Mme Carrión Lozano le versement d’honoraires s’élevant à près de 80 % de la prestation annuelle accordée à cette dernière. Selon cette juridiction, une telle situation est susceptible de dissuader les classes les moins favorisées d’exercer leurs droits devant les tribunaux, puisque leurs faibles revenus ne leur permettraient pas de payer les honoraires de leur avocat.

33      Dans ces conditions, le Juzgado de lo Social no 2 de Terrassa (tribunal du travail no 2 de Terrassa, Espagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La directive 93/13, lue en combinaison avec la directive 2005/29, et avec l’article 47 de la [Charte], doit–elle être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale, telle que l’article 35 de la [LEC], dans laquelle les organes chargés d’instruire les procédures servant à trancher les réclamations d’honoraires (dossiers concernant des actions en paiement d’honoraires, dits de “jura de cuentas”) ne peuvent pas vérifier d’office, avant de délivrer un titre exécutoire, si le contrat conclu entre un avocat et un consommateur contient des clauses abusives ou a donné lieu à des pratiques commerciales déloyales ?

2)      Les avocats inscrits sur la liste des avocats disponibles pour assurer la défense des personnes bénéficiant de l’aide juridictionnelle, dénommée “turno de oficio”, sont–ils des “professionnels” au sens de l’article 2, sous c), de la directive 93/13, et de l’article 2, sous b), de la directive 2005/29 ? L’article 6, paragraphe 1, sous d), et l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/29 sont–ils applicables aux situations dans lesquelles les tarifs d’un professionnel sont réglementés par une disposition juridique ?

3)      En cas de réponse affirmative à la question précédente, la directive 2005/29 doit–elle être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation telle que celle établie à l’article 36 de la loi 1/1996, aux termes duquel l’application du régime tarifaire prévu par la loi est obligatoire, même si le professionnel se rend coupable d’omissions ou de pratiques trompeuses concernant la fixation du prix de ses services ?

4)      L’article 101 TFUE doit–il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation telle que l’article 36 de la loi 1/1996 qui, dans l’hypothèse où la demande serait accueillie, soumet la rémunération des avocats qui fournissent des services dans le cadre du système d’aide juridictionnelle à un barème d’honoraires préalablement adopté par ces avocats, sans que les autorités de l’État membre puissent s’écarter de ce barème ?

5)      Cette réglementation remplit–elle les conditions de nécessité et de proportionnalité visées à l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2006/123 ?

6)      L’article 47 de la [Charte] doit–il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation telle que l’article 36 de la loi 1/1996, qui impose aux personnes bénéficiant de l’aide juridictionnelle, si elles obtiennent gain de cause sans qu’il y ait de condamnation aux dépens, l’obligation de payer à leur avocat des honoraires qui sont déterminés par un barème approuvé par un organisme professionnel et dépassent 50 % du montant annuel d’une prestation de sécurité sociale ? »

 Sur la recevabilité

34      En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque celle-ci est manifestement incompétente pour connaître d’une affaire ou lorsqu’une demande préjudicielle est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

35      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

36      Selon une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (ordonnances du 8 septembre 2016, Google Ireland et Google Italy, C‑322/15, EU:C:2016:672, point 14, ainsi que du 25 avril 2018, Secretaria Regional de Saúde dos Açores, C‑102/17, EU:C:2018:294, point 23).

37      Dans le cadre de cette coopération, il appartient à la juridiction nationale saisie du litige, qui seule possède une connaissance directe des faits à l’origine de celui-ci et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’elle pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (ordonnance du 24 mars 2011, Abt e.a., C‑194/10, non publiée, EU:C:2011:182, point 29 ainsi que jurisprudence citée).

38      Toutefois, la Cour a estimé qu’il lui appartient, afin de vérifier sa propre compétence, d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national. En effet, l’esprit de collaboration qui doit présider au fonctionnement du renvoi préjudiciel implique également que, de son côté, le juge national ait égard à la fonction confiée à la Cour, qui est de contribuer à l’administration de la justice dans les États membres et non de formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques (ordonnance du 24 mars 2011, Abt e.a., C‑194/10, non publiée, EU:C:2011:182, point 30 ainsi que jurisprudence citée).

39      C’est en considération de cette mission que la Cour estime ne pas pouvoir statuer sur une question préjudicielle soulevée devant une juridiction nationale lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation d’une règle du droit de l’Union, demandée par une juridiction nationale, n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige, ou encore lorsque le problème est de nature hypothétique et que la Cour ne dispose pas des éléments de fait ou de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (ordonnance du 24 mars 2011, Abt e.a., C‑194/10, non publiée, EU:C:2011:182, point 31 ainsi que jurisprudence citée).

40      En l’occurrence, premièrement, il ressort tant du cadre juridique soumis à la Cour par la juridiction de renvoi, que des observations écrites du gouvernement espagnol, que la procédure portant sur le montant des honoraires des avocats peut être engagée tant devant un juge que devant un greffier et que, si la procédure est engagée devant un greffier, la décision de ce dernier ne préjuge aucunement la possibilité d’introduction d’une demande portant sur le même objet devant une juridiction.

41      Deuxièmement, il ressort des éléments du dossier soumis à la Cour qu’une procédure dite de « jura de cuentas » a été engagée devant le Letrado de la Administración de Justicia del Juzgado de lo Social no 2 de Terrassa (greffier du tribunal du travail no 2 de Terrassa) et que celui-ci n’a pas rendu la décision par laquelle il mettait fin à ladite procédure.

42      Troisièmement, il ressort du point 42 de l’arrêt du 16 février 2017, Margarit Panicello (C‑503/15, EU:C:2017:126), que, dans le cadre des procédures relevant de la compétence du greffier, telles que celle en cause au principal, il incombe au juge de l’exécution compétent pour ordonner la saisie de la somme due d’examiner, au besoin d’office, l’éventuel caractère abusif d’une clause contractuelle figurant dans le contrat conclu entre un avoué ou un avocat et son client.

43      Compte tenu des considérations qui précèdent, la Cour a, le 26 février 2018, adressé à la juridiction de renvoi une demande d’information sur l’existence d’un litige pendant devant celle-ci et portant sur le montant des honoraires dus à un avocat.

44      Dans sa réponse du 23 avril 2018, la juridiction de renvoi a précisé que, à la suite des questions soulevées par le Letrado de la Administración de Justicia del Juzgado de lo Social no 2 de Terrassa (greffier du tribunal du travail no 2 de Terrassa) relatives à la compatibilité de la législation espagnole avec le droit de l’Union, elle avait ouvert une procédure d’office, sans toutefois citer le fondement juridique sur lequel reposait cette procédure. Selon cette juridiction, l’objectif de ladite procédure est, en substance, d’examiner l’existence de clauses abusives et de pratiques déloyales afin de ne pas reporter cet examen à la phase d’exécution de la décision du greffier.

45      À cet égard, il ressort en effet des éléments du dossier soumis à la Cour que la procédure devant le Letrado de la Administración de Justicia del Juzgado de lo Social no 2 de Terrassa (greffier du tribunal du travail no 2 de Terrassa) est toujours pendante et qu’elle a pour objet de déterminer le montant des honoraires dus à un avocat, dont la fixation dépend de l’existence éventuelle de clauses abusives et de pratiques déloyales dans le rapport juridique des parties en cause au principal, de sorte que les réponses aux questions préjudicielles pourraient être utiles pour mettre fin à une telle procédure.

46      En revanche, la procédure devant la juridiction de renvoi porte non pas sur le montant des honoraires dus à un avocat, mais, ainsi qu’il est admis par la juridiction de renvoi, sur l’existence de clauses abusives et de pratiques déloyales dans les relations juridiques entre les parties. Dans la mesure où la juridiction de renvoi ne statue pas sur le montant des honoraires, la réponse aux questions posées ne lui paraît donc pas nécessaire pour résoudre le litige pour lequel elles sont posées.

47      Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent que la demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable.

 Sur les dépens

48      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) ordonne :

La demande de décision préjudicielle introduite par le Juzgado de lo Social no 2 de Terrassa (tribunal du travail no 2 de Terrassa, Espagne), par décision du 27 juin 2017, est manifestement irrecevable.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.

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