EUR-Lex Access to European Union law

Back to EUR-Lex homepage

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62016CC0498

Conclusions de l'avocat général M. M. Bobek, présentées le 14 novembre 2017.
Maximilian Schrems contre Facebook Ireland Limited.
Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Oberster Gerichtshof.
Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Règlement (CE) no 44/2001 – Articles 15 et 16 – Compétence judiciaire en matière de contrats conclus par les consommateurs – Notion de “consommateur” – Cession entre consommateurs de droits à faire valoir à l’encontre d’un même professionnel.
Affaire C-498/16.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2017:863

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 14 novembre 2017 ( 1 )

Affaire C‑498/16

Maximilian Schrems

contre

Facebook Ireland Limited

[demande de décision préjudicielle de l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (CE) no 44/2001 – Compétence en matière de contrat conclu par un consommateur – Notion de consommateur – Médias sociaux – Comptes Facebook et pages Facebook – Cession de droits par des consommateurs ayant leur domicile dans le même État membre, dans d’autres États membres et dans des États tiers – Action collective »

I. Introduction

1.

M. Maximilian Schrems a engagé une action contre Facebook Ireland Limited devant une juridiction autrichienne. Il soutient que la société a violé son droit au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles. Sept autres utilisateurs de Facebook lui ont cédé leurs droits basés sur l’invocation des mêmes violations, en réponse à une invitation en ligne de M. Schrems à le faire. Ils ont leur domicile en Autriche, dans d’autres États membres ou dans des États tiers.

2.

La présente affaire soulève deux questions juridiques principales. Premièrement, qui est un « consommateur » ? En droit de l’Union, le consommateur est considéré comme la partie plus faible nécessitant une protection. À cette fin, une solide protection juridique des consommateurs a été mise en place au fil des ans, dont la possibilité d’un for spécial pour les contrats conclus par un consommateur prévu aux articles 15 et 16 du règlement (CE) no 44/2001 ( 2 ). Cela crée effectivement un for du domicile du requérant (forum actoris) pour les consommateurs : un consommateur peut poursuivre l’autre partie au contrat au for de son domicile. M. Schrems soutient que les juridictions de Vienne, Autriche, sont compétentes pour connaître à la fois de ses propres prétentions et des prétentions issues des droits cédés, puisqu’il est un consommateur au sens des articles 15 et 16 du règlement no 44/2001.

3.

La taxonomie est toujours quelque chose de compliqué. Même s’il est possible de se mettre d’accord sur certains éléments de définition, il y aura toujours des cas de figure singuliers qui ne rentrent dans aucune case. Un « consommateur » qui est de plus en plus impliqué dans des litiges peut-il devenir progressivement un « professionnel en matière de protection des consommateurs » et donc ne plus avoir besoin d’une protection spéciale ? C’est l’essence de la première question posée par la juridiction de renvoi, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche).

4.

La seconde question concerne la compétence internationale pour des litiges relatifs à des contrats conclus par un consommateur en cas de cession de droits. À supposer que le requérant soit encore un consommateur à titre personnel, peut-il également invoquer ce for spécial pour les droits cédés par d’autres consommateurs ayant leur domicile dans le même État membre, d’autres États membres ou dans des États tiers ? En d’autres termes, l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 peut-il établir une compétence juridictionnelle supplémentaire spécifique au domicile du cessionnaire et permettre ainsi à des consommateurs du monde entier de rassembler leurs prétentions ?

II. Le cadre juridique

A. La législation de l’Union

1.   Le règlement no 44/2001

5.

L’article 15 du règlement no 44/2001 est rédigé comme suit :

« 1.   En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice des dispositions de l’article 4 et de l’article 5, point 5 :

a)

lorsqu’il s’agit d’une vente à tempérament d’objets mobiliers corporels ;

b)

lorsqu’il s’agit d’un prêt à tempérament ou d’une autre opération de crédit liés au financement d’une vente de tels objets ;

c)

lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités.

[…] »

6.

L’article 16 dudit règlement prévoit que :

« 1.   L’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée soit devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit devant le tribunal du lieu où le consommateur est domicilié.

2.   L’action intentée contre le consommateur par l’autre partie au contrat ne peut être portée que devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domicilié le consommateur.

[…] »

B. Le droit autrichien

7.

Conformément à l’article 227 du Zivilprozessordnung (code de procédure civile autrichien, ci-après le « ZPO ») :

« (1)   Il est possible de faire valoir plusieurs prétentions d’un requérant à l’encontre du même défendeur, même si elles ne doivent pas être additionnées (article 55 de la Juridiktionsnorm, loi relative à la compétence juridictionnelle) dans le cadre d’une même action si, pour toutes les prétentions

1.

la juridiction saisie est compétente et

2.

le même type de procédure est permis.

(2)   Toutefois, les prétentions qui ne dépassent pas le montant indiqué à l’article 49, paragraphe 1, de la jurisdiktionsnorm peuvent être jointes avec des prétentions qui dépassent ce montant et les prétentions dont doit connaître un juge unique avec celles dont doit connaître une chambre. Dans le premier cas, la compétence est déterminée par le montant le plus élevé ; dans le second cas, la chambre doit se prononcer sur toutes les prétentions. »

III. Les faits

8.

D’après les faits tels qu’exposés par la juridiction de renvoi, M. Schrems est spécialisé en droit des technologies de l’information et en droit de la protection des données personnelles. Il prépare une thèse de doctorat concernant les aspects juridiques (droit civil, droit pénal et droit administratif) de la protection des données personnelles.

9.

Le requérant au principal utilise Facebook depuis 2008. Tout d’abord, il a fait cela exclusivement à des fins privées, sous un faux nom. Depuis 2010, il utilise un compte Facebook sous son propre nom, écrit en utilisant l’alphabet cyrillique, pour son usage privé : téléchargement de photographies, affichage en ligne et utilisation du service de messagerie pour converser. Il a environ 250 « amis Facebook ». Depuis 2011, le requérant au principal utilise également une page Facebook. Cette page contient des informations concernant les conférences qu’il donne, ses participations à des débats et ses interventions dans les médias, les livres qu’il a écrits, un appel aux dons qu’il a lancé et des informations sur les actions judiciaires qu’il a introduites contre Facebook Ireland.

10.

En 2011, le requérant au principal a déposé, devant la commission irlandaise pour la protection des données, vingt-deux réclamations contre la défenderesse au principal. En réponse à ces réclamations, cette commission a rédigé un rapport d’examen, comportant des recommandations adressées à la défenderesse au principal, puis un rapport de contrôle a posteriori. En juin 2013, le requérant au principal a déposé une autre réclamation contre la défenderesse au principal, concernant le programme de surveillance PRISM ( 3 ), qui a conduit à l’annulation de la décision de la Commission « Safe Harbour » ( 4 ) par la Cour ( 5 ).

11.

Le requérant au principal a publié deux livres sur ses actions en justice contre la défenderesse au principal, il a donné des conférences (dont certaines rémunérées), enregistré de nombreux sites Internet (des blogs, des pétitions en ligne, des sites de financement participatif des actions contre la défenderesse au principal), il a fondé le Verein zur Durchsetzung des Grundrechts auf Datenschutz (une association visant à faire respecter le droit fondamental à la protection des données, ci-après l’« association ») ( 6 ).

12.

L’objectif déclaré des initiatives du requérant au principal est de faire pression sur Facebook. Ses activités ont suscité l’intérêt des médias. Ses actions judiciaires contre Facebook ont attiré l’attention de nombreuses chaînes de télévision et stations de radio autrichiennes, allemandes et internationales. Il y a eu au moins 184 articles de presse sur le sujet, y compris dans des publications internationales et en ligne.

13.

La juridiction de renvoi indique que le requérant au principal est employé par sa mère. Il tire ses revenus de cet emploi et d’un appartement mis en location. De surcroît, il touche des revenus, dont le montant n’est pas connu, de la vente des livres et des interventions évoquées ci-avant, auxquelles il est invité en raison des actions qu’il a intentées contre la défenderesse au principal.

14.

Dans la présente affaire, le requérant au principal soutient que la défenderesse au principal a commis différentes violations des dispositions en matière de respect de la vie privée et de protection des données personnelles, en infraction au droit autrichien, au droit irlandais et au droit de l’Union ( 7 ). Le requérant au principal introduit des demandes de constatation (concernant la qualité de simple prestataire de service de la défenderesse au principal et subordination de celle-ci aux instructions données ou sa qualité de donneur d’ordre, lorsque le traitement est effectué à des fins propres, invalidité de clauses contractuelles), de cessation (concernant l’utilisation de données), d’information (concernant l’utilisation des données du requérant au principal), de reddition de comptes et de réparation (concernant l’adaptation des clauses contractuelles, dommages et intérêts et enrichissement sans cause).

15.

L’action au principal a été intentée avec le soutien d’une société de financement d’action en justice, en contrepartie d’une rémunération égale à 20 % du bénéfice, et d’une agence de relations publiques. Le requérant au principal a constitué une équipe de dix personnes, avec un noyau dur de cinq personnes, qui le soutiennent dans sa « campagne contre Facebook ». Il n’est pas possible de déterminer si ce soutien est rémunéré. L’infrastructure nécessaire est financée à partir du compte privé du requérant au principal. Ni lui ni l’association n’emploient de personnel.

16.

Suivant l’invitation postée en ligne par le requérant au principal, plus de 25000 personnes ont cédé au requérant au principal leurs droits contre la défenderesse au principal sur l’un des sites Internet enregistrés par celui-ci. Le 9 avril 2015, il y avait déjà une liste d’attente de 50000 personnes. La présente affaire devant la juridiction de renvoi concerne seulement les droits de sept personnes. Ces droits ont été cédés au requérant au principal par des personnes ayant leur domicile en Autriche, en Allemagne et en Inde.

17.

La juridiction autrichienne de première instance, le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien (Tribunal régional de Vienne, Autriche) a rejeté le recours. Elle a déclaré que, au vu des activités mentionnées plus haut liées à ses prétentions, le requérant au principal aurait changé son usage de Facebook au cours du temps. Il utiliserait Facebook également à des fins professionnelles et cela l’empêcherait d’invoquer le for spécial en matière de contrat conclu par un consommateur. Cette juridiction a également déclaré que le for du consommateur que pouvaient invoquer les cédants ne pouvait pas être transféré au cessionnaire.

18.

La juridiction d’appel, l’Oberlandesgericht Wien (Tribunal régional supérieur de Vienne, Autriche) a modifié partiellement cette décision. Elle a jugé le recours recevable concernant les prétentions « personnelles » du requérant au principal, liées au propre contrat conclu par M. Schrems en tant que consommateur. Cette juridiction a considéré qu’il convient d’apprécier au moment de la conclusion du contrat si les conditions de l’application de l’article 15 du règlement no 44/2001 sont réunies.

19.

Toutefois, la juridiction d’appel a rejeté le recours en ce qu’il concernait les droits cédés. Elle a considéré que les règles régissant le for du consommateur ne bénéficient à un consommateur que lorsqu’il est personnellement partie à un litige. C’est pourquoi le requérant au principal ne pourrait obtenir l’application de l’article 16, paragraphe 1, second cas de figure, du règlement no 44/2001, lorsqu’il fait valoir des droits cédés.

20.

Les deux parties ont formé un pourvoi contre cette décision devant l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême). Cette juridiction a suspendu la procédure nationale et saisi la Cour de deux questions préjudicielles :

« 1)

L’article 15 du [règlement no 44/2001] doit-il être interprété en ce sens qu’un “consommateur” au sens de cette disposition perd cette qualité lorsque, après avoir utilisé pendant relativement longtemps un compte Facebook privé, afin de faire valoir ses droits, il publie des livres, et donne des conférences qui sont parfois également rémunérées, exploite des sites Internet, collecte des dons afin de faire valoir les droits et se fait céder les droits de nombreux consommateurs en contrepartie de l’assurance de leur remettre le montant obtenu, après déduction des frais de justice, au cas où il obtiendrait gain de cause ?

2)

L’article 16 du règlement no 44/2001 doit-il être interprété en ce sens qu’un consommateur peut faire valoir dans un État membre, devant le tribunal du lieu de son domicile, en même temps que ses propres droits issus d’un contrat conclu par un consommateur, également des droits semblables d’autres consommateurs ayant leur domicile

a)

dans le même État membre,

b)

dans un autre État membre ou

c)

dans un État tiers,

lorsque ces droits, issus de contrats conclus par des consommateurs avec la même partie défenderesse dans le même contexte juridique, lui ont été cédés et que l’opération de cession ne relève pas d’une activité professionnelle du requérant mais vise à faire valoir collectivement les droits ? »

21.

M. Schrems, Facebook Ireland, les gouvernements autrichien, allemand et portugais, ainsi que la Commission européenne, ont présenté des observations écrites. M. Schrems, Facebook Ireland, le gouvernement autrichien et la Commission ont participé à l’audience qui s’est tenue le 19 juillet 2017.

IV. Appréciation

22.

Les présentes conclusions sont structurées comme suit : premièrement, j’examinerai si le requérant au principal peut être considéré comme un « consommateur » s’agissant de ses propres prétentions (titre A). Deuxièmement, en supposant qu’il soit effectivement un consommateur, j’examinerai la question de la compétence basée sur le for spécial du consommateur s’agissant des droits cédés au requérant au principal par d’autres consommateurs (titre B).

A. Première question : qui est un consommateur ?

23.

La juridiction de renvoi se demande si le requérant au principal peut être considéré comme un consommateur au sens de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 pour ses propres prétentions à l’encontre de la défenderesse au principal. En particulier, elle demande si le statut de consommateur peut être perdu si, après avoir utilisé un compte Facebook à des fins privées, une personne entreprend des activités de publication, de conférences, de création de sites Internet ou de collecte de dons. La juridiction de renvoi mentionne également que certaines de ces activités liées aux prétentions du requérant au principal (les conférences) ont été rémunérées. De surcroît, le requérant au principal a invité d’autres consommateurs à lui céder des droits. Il est indiqué que tout bénéfice pécuniaire tiré des droits cédés sera reversé aux cédants après déduction des frais de justice.

24.

Toutes les parties qui ont présenté des observations, à l’exception de la défenderesse au principal, estiment que, en ce qui concerne ses propres prétentions à l’encontre de Facebook Ireland, le requérant au principal doit être considéré comme un consommateur.

25.

La défenderesse au principal défend un avis opposé. Selon elle, le requérant au principal ne peut pas invoquer le for spécial du consommateur. Il en irait ainsi, parce que, au moment pertinent, lorsqu’il a introduit le recours, il utilisait Facebook à des fins commerciales. À cet égard, la défenderesse au principal s’appuie sur deux types d’arguments. Premièrement, il serait possible de perdre la qualité de consommateur au cours du temps. La date prise en considération pour apprécier la qualité de consommateur serait celle de l’introduction du recours. Ce ne serait pas la date de début du contrat. Le requérant au principal aurait entrepris des activités professionnelles liées à ses prétentions à l’encontre de la défenderesse au principal. Par conséquent, il ne pourrait plus être considéré comme un consommateur aux fins de ces prétentions. Deuxièmement, la création d’une page Facebook consacrée à ses activités mentionnées ci-dessus impliquerait que le requérant au principal fait de Facebook un usage professionnel ou commercial. Il en irait ainsi, parce que tant le compte Facebook que la page Facebook feraient partie d’une relation contractuelle unique.

26.

Sous réserve de vérifications supplémentaires de la part de la juridiction de renvoi, et à condition que les prétentions du requérant au principal concernant les violations du droit au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles invoquées par celui-ci concernent son compte Facebook, j’ai tendance à convenir que le requérant au principal peut être considéré comme un consommateur s’agissant des droits issus de son propre contrat conclu en tant que consommateur.

27.

Toutefois, avant d’arriver à cette conclusion, il convient de s’attarder sur deux éléments de définition de la notion traditionnelle de « consommateur » qui semble un peu vague en l’espèce. Au titre 1, j’examinerai sur quelle base un particulier peut être qualifié de consommateur aux fins du règlement no 44/2001 [titre a)] et si la qualité de consommateur peut changer dans le temps concernant une même relation contractuelle [titre b)]. J’examinerai ensuite la notion de consommateur dans le contexte spécifique des médias sociaux et de Facebook, ce qui est encore plus problématique du point de vue des définitions traditionnelles d’un consommateur (titre 2).

1.   La notion de consommateur

(a)   L’objet du contrat : professionnel ou privé ?

28.

L’article 15, paragraphe 1, du règlement (CE) no 44/2001 prévoit un for spécial du consommateur seulement « en matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle ».

29.

Deux éléments ressortent de cette disposition : premièrement, le consommateur n’est pas défini en termes généraux et abstraits mais toujours eu égard à « un contrat ». Deuxièmement, ce contrat doit être conclu « pour un usage » étranger à l’activité professionnelle d’une personne.

30.

Le premier élément est important en l’espèce. Il signifie que l’appréciation de la qualité de consommateur est toujours fondée sur un contrat particulier : il convient d’examiner la relation contractuelle particulière en cause. Il ne s’agit pas d’une appréciation abstraite ou globale de la qualité personnelle dominante.

31.

Le second élément « activité professionnelle » fait référence en termes généraux à l’activité économique d’une personne. Cela ne signifie pas que le contrat en cause doive nécessairement être lié à des bénéfices économiques immédiats. Cela signifie plutôt que ce contrat a été conclu en liaison avec une activité économique structurée et continue.

32.

Cette approche de l’interprétation de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 semble résulter d’une jurisprudence constante de la Cour. Dans le passé, la Cour a rejeté une approche de la qualité de consommateur liée à une perception générale des activités ou de la connaissance d’une personne donnée. Afin d’établir la qualité de consommateur d’une personne, il y a lieu de se référer à la position de cette personne dans un contrat déterminé, en rapport avec la nature et la finalité de celui-ci ( 8 ). C’est pourquoi, comme l’ont exprimé avec lucidité plusieurs avocats généraux ( 9 ) et ainsi que l’a confirmé la Cour, la notion de « consommateur » « a un caractère objectif et est indépendante des connaissances concrètes que la personne concernée peut avoir, ou des informations dont cette personne dispose réellement » ( 10 ).

33.

Cela signifie que la même personne peut, le même jour, agir en tant que professionnel et en tant que consommateur, selon la nature et l’objet du contrat conclu. Par exemple, un avocat professionnel spécialisé en droit de la consommation peut encore être un consommateur, malgré son activité professionnelle et ses connaissances, dès lors qu’il engage une relation contractuelle à des fins privées.

34.

Par conséquent, ce qui importe est la finalité du contrat conclu. Il est vrai que, aussi utile soit-il, ce critère ne permet peut-être pas toujours une distinction claire. Il peut y avoir des contrats « à double finalité » conclus à la fois à des fins professionnelles et à des fins privées. La Cour a eu l’occasion d’examiner cette question dans un arrêt bien connu, l’arrêt Gruber, qui concernait la convention de Bruxelles. Il découle de cet arrêt que, s’agissant de contrats à double finalité, la qualité de consommateur ne peut être maintenue que dans l’hypothèse où le lien dudit contrat avec l’activité professionnelle de l’intéressé serait si ténu qu’il deviendrait marginal et, partant, n’aurait qu’un rôle négligeable dans le contexte de l’opération pour laquelle ce contrat a été conclu (considérée dans sa globalité) ( 11 ).

(b)   Le temps : approche statique ou dynamique ?

35.

La question de la prise en considération de l’évolution dans le temps de l’objet et de la finalité d’une relation contractuelle est différente de celle des contrats « à double finalité », dans lesquelles les deux finalités existent au même moment (généralement celui de la conclusion du contrat). L’utilisation d’un contrat peut-elle passer d’un caractère purement privé à un caractère purement professionnel, ou vice-versa ? Est-il par conséquent possible de perdre la qualité de consommateur au cours du temps ?

36.

Le requérant au principal, ainsi que les gouvernements allemand et autrichien, considèrent que le statut de consommateur ne peut pas être perdu. Selon eux, le moment de référence est celui de la conclusion du contrat.

37.

En revanche, la défenderesse au principal plaide en faveur d’une approche « dynamique » de la notion de consommateur, à laquelle la Commission ne s’oppose pas. Selon cette approche, il conviendrait de déterminer la qualité de consommateur au moment de l’introduction de l’action.

38.

Je comprends bien que les considérations de prévisibilité et d’attentes légitimes des parties au contrat sont essentielles. En effet, les parties à un contrat devraient pouvoir se fier à la qualité de l’autre partie déterminée au moment de la conclusion du contrat.

39.

Toutefois, en théorie et dans des cas plutôt exceptionnels, il ne faudrait pas exclure totalement une approche « dynamique » de la qualité de consommateur. Cela pourrait concerner un contrat dont la finalité n’est pas précisée, qui permet des utilisations différentes et qui est de longue durée ou même indéterminé. Il est concevable que, dans de tels cas, la finalité de l’utilisation d’un service contractuel donné puisse changer, non pas seulement partiellement mais même totalement.

40.

Supposons que Mme Smith ait signé un contrat de services de communication électronique, comme un compte de courrier électronique. Une fois le contrat conclu, Mme Smith l’a utilisé à des fins purement privées. Toutefois, ultérieurement, elle a commencé à utiliser ce compte pour son activité. Dix ans plus tard, elle a fini par utiliser les services de communication électronique exclusivement à des fins commerciales. Si les conditions initiales du contrat n’excluent pas une telle utilisation, et s’il n’y a eu ni renouvellement, ni modification du contrat pendant ces dix années, une telle utilisation peut-elle toujours être qualifiée de « privée » ?

41.

C’est pourquoi je propose de ne pas complètement fermer la porte à de telles modifications ultérieures de l’usage. Elles peuvent se produire. Toutefois, il convient de les réserver à des cas de figure exceptionnels. Il reste juste et adéquat de supposer que la finalité initiale du contrat est déterminante. Si, et seulement si, il ressortait clairement des faits de l’affaire que cette supposition ne tient plus, la qualité de consommateur pourrait alors être réexaminée.

(c)   Conclusion intermédiaire

42.

Il découle des considérations qui précèdent que l’élément essentiel sur la base duquel il convient d’apprécier la qualité de consommateur aux fins des articles 15 et 16 du règlement no 44/2001 est la nature et la finalité du contrat auquel les prétentions se rapportent. Dans des cas complexes, lorsque la nature et la finalité du contrat sont mixtes, c’est-à-dire à la fois privées et professionnelles, il faut apprécier si le « contenu » professionnel peut être considéré comme marginal. Si c’est effectivement le cas, il est encore possible de conserver la qualité de consommateur. De surcroît, il ne faudrait pas exclure que, dans certaines situations exceptionnelles, la qualité de l’une des parties puisse changer au fil du temps en raison du contenu indéterminé et de la longue durée éventuelle du contrat.

2.   Un consommateur qui utilise les réseaux sociaux

43.

L’application des principes évoqués ci-avant dans le contexte des médias sociaux n’est pas totalement évidente [titre a)]. De surcroît, en l’espèce, la méconnaissance de la nature exacte des relations contractuelles en cause au principal complique encore l’appréciation [titre b)]. Néanmoins, je vais tenter d’aider la juridiction de renvoi en évoquant les différents cas de figure possibles, sous réserve de vérifications supplémentaires des éléments de fait [titre c)].

(a)   Classifications binaires et statuts mixtes

44.

Les plateformes de médias sociaux comme Facebook ne rentrent pas facilement dans les définitions claires et nettes du règlement no 44/2001. L’article 15, paragraphe 1, de ce règlement opère une distinction entre qui est un consommateur et qui ne l’est pas. Toutefois, un certain nombre d’usages et d’utilisateurs effectifs de Facebook échappent à cette classification binaire.

45.

Bien sûr il y a des cas évidents. D’une part, il y a le profil d’un adolescent avec des selfies bizarres et des commentaires comportant plus d’émoticônes et de points d’exclamation que de mots. Il correspond à un univers social singulier mais certainement non professionnel, dans lequel l’on se mesure au nombre de « likes » reçus et d’amis Facebook. D’autre part, il y a la présentation manifestement commerciale d’une grande société qui, bien qu’elle utilise Facebook à des fins publicitaires, réussit à avoir un nombre surprenant d’« amis » et de « followers ».

46.

Toutefois, entre ces deux extrêmes, l’un clairement privé et l’autre manifestement professionnel, il y a cinquante nuances de bleu (Facebook). Notamment, un compte Facebook qui est privé pourrait aussi être utilisé à des fins d’autopromotion ayant un impact ou une finalité professionnelle. Chacun peut faire des affichages à caractère (quasi-)professionnel relatifs à ses activités et ses succès professionnels et les partager avec une communauté d’« amis ». Un contenu professionnel, sous forme de communication de discours publics ou de publications, peut même devenir dominant et être partagé avec des groupes importants d’« amis », d’« amis d’amis », ou devenir complètement « public ».

47.

Cela concerne non seulement des artistes de musique, des joueurs de football, des femmes et des hommes politiques, des militants sociaux, mais aussi des universitaires et un certain nombre d’autres professions. Imaginez le cas d’un professeur de physique polyvalent, qui, initialement, a ouvert un compte Facebook seulement pour partager des photographies personnelles avec des amis. Toutefois, peu à peu, il commence également à faire des affichages concernant ses nouvelles recherches. Il poste ses nouveaux articles, conférences et autres apparitions publiques. Il est également passionné de cuisine et de photographie et met un certain nombre de recettes en ligne, ainsi que des photographies prises dans des centres de conférences du monde entier. Certaines de ses photographies ont une valeur artistique et sont proposées à la vente. Tout cela est agrémenté de photographies de ses chers chats et de commentaires divertissants sur la situation politique (du moment), ces derniers étant souvent repris par les médias, ce qui l’amène à être invité à des débats et à des interviews dans toute l’Europe.

48.

Selon moi, de tels usages ne confèrent pas un caractère professionnel ou commercial à un compte Facebook. En effet, par nature, un réseau social conçu pour promouvoir le développement personnel et la communication conduit presque inévitablement à une situation dans laquelle l’univers professionnel d’une personne s’infiltre dans le réseau. Néanmoins, toutes ces dimensions sont manifestement l’expression de la personne et de sa personnalité. Même s’il est évident que, d’une manière ou d’une autre, certains de ces usages contribuent bien à une « autopromotion » et à l’amélioration de la situation professionnelle, cela ne peut se produire que sur le long terme. Ils ne visent pas à produire un effet commercial immédiat.

49.

En revanche, de nos jours, la ligne de partage entre connexions privées et professionnelles dans la communication Internet, notamment sur les réseaux sociaux, est floue pour des professions entières. Certains usages pourraient paraître privés mais ont un caractère entièrement commercial. Des influenceurs marketing sur les réseaux sociaux, des « prosommateurs » (consommateurs professionnels), ou des gestionnaires de communauté peuvent utiliser leurs comptes personnels sur les réseaux sociaux comme un outil de travail essentiel ( 12 ).

50.

Bien que cela soit abordé dans le cadre de la présente affaire, je ne suis pas sûr que celle-ci requière de dénouer des situations aussi complexes. D’après les éléments de fait fournis par la juridiction de renvoi, entre 2008 et 2010, le requérant au principal a utilisé le compte Facebook qu’il a ouvert exclusivement à des fins privées. Depuis 2011, il a également utilisé une page Facebook. Par conséquent, il semblerait que l’usage initial et continu du compte Facebook soit essentiellement privé. Toutefois, le rapport exact entre comptes Facebook et pages Facebook n’est pas clair et doit être examiné, comme la nature de la relation contractuelle entre le requérant et la défenderesse au principal.

(b)   Comptes Facebook et pages Facebook

51.

Lors de l’audience, le requérant et la défenderesse au principal ont tous deux été invités à clarifier les particularités contractuelles des comptes Facebook et des pages Facebook. Toutefois, les deux parties concernées ont défendu des positions inconciliables. Le requérant au principal soutient qu’il y a deux contrats différents pour la page Facebook et pour le compte Facebook, puisque l’utilisateur a dû accepter des conditions générales distinctes. De surcroît, il soutient que, si un compte Facebook est personnel, des pages Facebook peuvent être administrées par différentes personnes. En effet, le requérant au principal affirme qu’il a abandonné la page Facebook qu’il a créée et qu’il ne fait plus partie des administrateurs de celle-ci. En revanche, la défenderesse au principal soutient que le compte Facebook et la page Facebook font partie d’une même et unique relation contractuelle. Il est impossible de créer une page Facebook sans profil Facebook et le profil et la page ne peuvent pas exister indépendamment du compte Facebook initial.

52.

Il appartient à la juridiction nationale d’établir si le requérant au principal et la défenderesse au principal sont liés par un ou plusieurs contrats et si les prétentions du requérant au principal, en cause en l’espèce, concernant des violations du droits au respect de la vie privée et de la protection des données personnelles sont liées exclusivement au compte Facebook ou également à la page Facebook. Néanmoins, certains éléments ressortant du dossier dont dispose la Cour et des observations présentées par les différentes parties pourraient aider la juridiction de renvoi à cet égard.

53.

Premièrement, pour créer un compte Facebook, il faut accepter les conditions générales d’utilisation. Deuxièmement, Facebook propose d’autres services qui sont accessibles aux utilisateurs qui ont déjà un compte Facebook. L’un de ces services permet d’ouvrir des pages Facebook qui sont supposées avoir une finalité d’affaires, commerciale ou professionnelle. Si un compte Facebook est nécessaire pour pouvoir créer une page Facebook, il semblerait qu’il faille accepter des conditions générales supplémentaires à cette fin. Troisièmement, un compte Facebook de base (un profil Facebook avec le « journal » ou le « mur », des images, des amis) peut généralement être utilisé à des fins privées mais un usage professionnel n’est pas exclu. Toutefois, comme le soutient la défenderesse au principal dans ses observations écrites, conformément au point 4.4 des conditions d’utilisation de 2013, les utilisateurs acceptent de ne pas utiliser « [leur] journal personnel principalement à des fins commerciales, mais [d’utiliser] plutôt à ces fins une page Facebook ».

(c)   Les cas de figure possibles

54.

Par conséquent, sur la base des conclusions finales de la juridiction de renvoi, il y a deux cas de figure possibles. Premièrement, il y a eu deux contrats distincts (l’un pour le compte Facebook et l’autre pour la page Facebook). Deuxièmement, il y a eu un seul contrat couvrant les deux « produits ».

55.

S’il y a eu deux contrats distincts et si les prétentions en cause concernent le compte Facebook, la qualité de consommateur du requérant devrait être déterminée exclusivement en prenant en considération la nature et la finalité du contrat concernant ce compte. L’utilisation de la page Facebook ne modifie pas l’appréciation de la qualité de consommateur s’agissant du compte Facebook.

56.

C’est pourquoi le requérant au principal aurait la qualité de consommateur si, comme cela ressort de la décision de renvoi, il a utilisé son compte Facebook à des fins privées pendant la période pertinente. En effet, il ressort de l’appréciation objective et propre au contrat de la qualité de consommateur que le fait que le requérant au principal ait une spécialisation universitaire et ait entrepris des activités dans un domaine qui est lié à ses propres prétention à l’encontre de Facebook n’est pas déterminant en soi. La connaissance, l’expérience, l’engagement social ou le fait d’avoir acquis une certaine renommée en raison d’actions en justice n’empêchent pas en soi d’être un consommateur.

57.

Selon moi, cette conclusion resterait également valable si les deux contrats étaient liés sous forme de contrat principal (le compte Facebook) et de contrat lié additionnel (la page Facebook). En effet, s’il s’agit de deux contrats distincts, même étroitement liés, la nature du contrat accessoire ne peut pas modifier la nature de contrat principal ( 13 ).

58.

S’il y a eu seulement un contrat unique incluant le compte Facebook et la page Facebook, alors le critère de l’arrêt Gruber devient pertinent. Conformément à ce critère, la juridiction nationale devrait examiner dans quelle mesure le contenu professionnel peut être jugé négligeable.

59.

Toutefois, concernant l’arrêt Gruber, il convient de souligner deux autres points. Premièrement, ce que l’arrêt Gruber vise, selon moi, et devrait rester négligeable dans le cadre d’un contrat unique, ce sont les activités ayant une finalité et un impact commerciaux immédiats, au sens d’une activité structurée et lucrative constituant le but motivant un tel usage. Deuxièmement, dans le cas où la nature et la finalité du contrat ne ressortiraient pas des conditions générales de celui-ci et où, selon les faits établis, il y aurait eu une évolution claire de la qualité en laquelle le requérant a utilisé un tel contrat unique, il conviendrait d’apprécier la dynamique éventuelle de la relation contractuelle.

60.

Toutefois, pour ces deux types d’appréciation, une certaine souplesse est requise dans le contexte particulier des médias sociaux ( 14 ), dans lequel un certain nombre d’usages concernant le nom et de réputation professionnels découlent de la personnalité de l’utilisateur. S’il n’y a pas d’impact commercial direct et immédiat, ils continuent à relever de l’utilisation privée.

(d)   Conclusion intermédiaire

61.

Au vu des considérations qui précèdent et sous réserve de vérification de la part de la juridiction nationale, il semblerait que le requérant au principal puisse être considéré comme un consommateur eu égard à ses propres prétentions issues de l’usage privé de son propre compte Facebook.

62.

C’est pourquoi je suggère à la Cour de répondre à la première question que « l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’un consommateur ne perd pas cette qualité lorsqu’il exerce des activités telles que publier des livres, donner des conférences, exploiter des sites Internet, collecter des dons afin de faire valoir les droits concernant son propre compte Facebook utilisé à des fins privées ».

B. Seconde question : la compétence juridictionnelle pour les droits cédés

63.

Par sa seconde question, la juridiction de renvoi a demandé à la Cour si un consommateur peut invoquer le for spécial du consommateur prévu à l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, non seulement eu égard à ses propres prétentions mais aussi à celles qui lui ont été cédées par d’autres consommateurs ayant leur domicile dans le même État membre, dans d’autres États membres et dans des États tiers. En particulier, la juridiction de renvoi demande si cela est possible lorsque les droits cédés au requérant au principal concernent des prestations de services fournies par la même défenderesse au principal dans le même contexte juridique.

64.

Le requérant au principal, ainsi que les gouvernements autrichien, allemand et portugais, soutiennent que M. Schrems peut invoquer son propre for du consommateur pour ses propres prétentions, ainsi que pour tous les droits qui lui ont été cédés par d’autres consommateurs (indépendamment du lieu où les cédants ont leur domicile).

65.

La défenderesse au principal soutient le contraire : le for du consommateur n’est pas applicable aux droits cédés. Seule une partie à la relation contractuelle peut bénéficier du for spécial prévu à l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001. Même en admettant que le requérant au principal est consommateur, il n’aurait pas cette qualité concernant les droits cédés.

66.

À l’instar de la défenderesse au principal, la Commission considère que le requérant au principal ne peut pas faire valoir devant la juridiction du lieu de son domicile les droits qui lui ont été cédés par des consommateurs qui ont leurs domiciles dans d’autres États membres ou dans des États tiers. Toutefois, selon la Commission, le for spécial prévu à l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 pourrait s’appliquer aux droits cédés par d’autres consommateurs autrichiens, même s’ils ont leur domicile ailleurs dans cet État membre.

67.

Je dois reconnaître que je ne vois pas comment l’interprétation de l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 proposée par le requérant au principal pourrait être compatible avec la lettre et l’esprit de cette disposition. Certes, dans ses observations, le requérant au principal fait un certain nombre de propositions intéressantes concernant le besoin d’une action collective pour protéger les consommateurs de l’Union. Cependant, selon moi, aussi forts soient‑ils sur un plan politique, la plupart de ces arguments participent plutôt d’une réflexion sur l’avenir du droit et trouvent peu d’appui dans le droit tel qu’il est actuellement.

68.

Je commencerai par proposer une clarification courte mais particulièrement nécessaire dans le contexte de l’espèce relativement à la nature de l’affaire au principal et à la portée de la seconde question posée à la Cour (titre 1). Ensuite, je proposerai mon appréciation de la question, fondée sur une interprétation littérale, systématique et téléologique des dispositions en cause (titre 2), avant d’examiner les arguments à caractère politique du requérant au principal (titre 3).

1.   Clarifications liminaires

(a)   Les actions collectives « à l’autrichienne »

69.

La perception de ce qui caractérise une action collective peut évidemment changer en fonction de la définition précise qui a été adoptée. Toutefois, en examinant attentivement le libellé et la mise en œuvre de la disposition nationale concernant la présente affaire, à savoir l’article 227 du ZPO, j’ai quelque difficulté à y voir un instrument d’« action collective » ( 15 ), pour le moins s’agissant des règles relatives à la compétence territoriale.

70.

Comme cela a été expliqué dans les différentes observations présentées à la Cour, l’article 227, paragraphe 1, du ZPO permet d’examiner ensemble dans le cadre de la même procédure différentes prétentions d’un requérant contre le même défendeur si deux conditions sont réunies. Premièrement, la juridiction saisie doit être compétente pour connaître de chacune des prétentions, y compris territorialement. Deuxièmement, il faut que toutes les prétentions puissent être examinées dans le cadre du même type de procédure.

71.

La mise en œuvre pratique de cette disposition peut être illustrée par les faits d’une affaire dans laquelle, à ma connaissance, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) a rendu une décision majeure en la matière ( 16 ). Dans cette affaire, 684 consommateurs qui soutenaient que les taux d’intérêt de leurs crédits à la consommation enfreignaient la législation applicable avaient cédé leurs prétentions à l’encontre de la banque concernée à une personne morale, la « Bundeskammer für Arbeiter und Angestellte » (Chambre fédérale du travail, Autriche). En se prononçant sur un point de droit au niveau du pourvoi, l’Oberster Gerichtshof a admis que ces prétentions pouvaient être jointes dans le cadre d’une seule procédure. Toutefois, l’arrêt concernait exclusivement la question de la compétence matérielle. Comme l’indiquait clairement l’Oberster Gerichtshof, la compétence territoriale de la juridiction autrichienne saisie n’avait jamais été contestée ( 17 ).

72.

Par conséquent, si les conditions énoncées à l’article 227, paragraphe 1, du ZPO sont réunies, ce qu’il devient possible de traiter avec une certaine flexibilité sont les questions de compétence matérielle, et non pas territoriale, ainsi que le suggère l’article 227, paragraphe 2, du ZPO.

73.

En somme, en vertu du droit national, l’article 227 du ZPO ne constitue selon moi une base légale suffisante ni pour modifier la compétence internationale, ni pour créer un nouveau for pour le consommateur cessionnaire de droits.

(b)   L’approche retenue dans la présente affaire

74.

Un deuxième élément doit être souligné. L’affaire devant la juridiction nationale est conçue comme la cession d’un droit issu d’un contrat : le requérant au principal s’est fait céder plusieurs droits au contenu identique à ses propres prétentions à l’encontre de la défenderesse au principal. Par conséquent, il prend la place d’autres utilisateurs de Facebook uniquement en ce qui concerne les droits spécifiques cédés. Néanmoins, les contrats entre ces utilisateurs et la défenderesse au principal sont maintenus pour toutes les autres questions entre les parties contractantes initiales. Du point de vue procédural, le requérant au principal (qui est le cessionnaire) est le seul requérant dans l’affaire au principal.

75.

Dans ces conditions, le requérant au principal plaide en substance pour la création d’un deuxième niveau de for spécial uniquement en vertu de l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001. Il ne soutient pas que le for spécial initial du « consommateur » du cédant ne serait pas maintenu, ce qui signifie que les cédants initiaux pourraient encore poursuivre la défenderesse au principal au for de leur domicile concernant d’autres éléments non cédés du contrat. Ce que soutient en réalité le requérant au principal est qu’il peut réutiliser le for spécial du consommateur prévu à l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, afin de créer un nouveau for spécial, cette fois-ci pour le cessionnaire et les droits cédés.

76.

Compte tenu de ce qui précède, il est quelque peu surprenant que, à l’appui de sa thèse, le requérant au principal invoque les principes d’effectivité et d’équivalence concernant le mécanisme autrichien décrit ci-avant. Ces principes limitent l’autonomie procédurale des États membres. Je ne vois pas comment, en l’espèce, ils seraient pertinents pour établir une compétence juridictionnelle. D’autant moins que le droit national ne prévoit pas l’établissement de la compétence internationale pour laquelle il plaide.

2.   Interprétation du droit tel qu’il est à l’heure actuelle

77.

En gardant à l’esprit les deux clarifications liminaires effectuées au titre 1, il est clair que la validité de la thèse du requérant au principal dépend uniquement de l’interprétation de l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001. Cette disposition peut-elle en soi créer un nouveau chef de compétence spéciale pour un autre consommateur qui n’était pas partie au contrat en cause conclu par un consommateur initial ?

(a)   Le libellé

78.

Le requérant au principal soutient que le consommateur qui introduit l’action ne doit pas nécessairement être le même que celui qui est partie au contrat. Avec le gouvernement allemand, il soutient que l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 indique que la personne qui peut intenter l’action est « un consommateur » et non pas « le consommateur ». Selon le requérant au principal, exiger une identité entre les parties au contrat et les parties à la procédure reviendrait à subordonner l’application de l’article 16, paragraphe 1, à une condition non-écrite, contra legem, qui n’est pas permise par le règlement.

79.

Cet argument ne convainc pas. Le libellé de l’article 15 et de l’article 16 du règlement no 44/2001 souligne clairement l’importance de l’identité des parties à la relation contractuelle concrète pour déterminer l’applicabilité de ces dispositions.

80.

Premièrement, tirer une conclusion aussi importante de la simple utilisation d’un article indéfini au début d’une phrase paraît un peu tiré par les cheveux. Cette conclusion est remise en cause par l’examen d’autres versions linguistiques, comme les versions dans les langues slaves, qui n’utilisent pas d’articles (indéfinis) et qui ne font donc pas une telle distinction. Toutefois et surtout, même dans les langues qui utilisent des articles et font cette distinction, il serait assez logique que, comme le mot « consommateur » apparaît pour la première fois dans la phrase, il soit accompagné de l’article indéfini, « un » consommateur, alors que la deuxième référence au même consommateur dans cette phrase est accompagnée de l’article défini, « le » consommateur.

81.

Deuxièmement, le libellé de l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 est clair : « l’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée […] » ( 18 ). Dans le même esprit, l’article 16, paragraphe 2, du règlement no 44/2001 prévoit que « l’action intentée contre le consommateur par l’autre partie au contrat ne peut être portée que devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domicilié le consommateur » ( 19 ).

82.

Le libellé de ces dispositions fait clairement référence à l’autre partie à un contrat. Cela montre que le for spécial est toujours limité aux parties concrètes et spécifiques du contrat. Par conséquent, la dissociation des parties au contrat et du contrat irait à l’encontre de la lecture naturelle de ces dispositions. C’est pourquoi je suis entièrement d’accord avec l’avocat général Darmon lorsque celui-ci considère que les expressions « l’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée […] » et « l’action intentée contre le consommateur par l’autre partie au contrat ne peut être portée que […] » indiquent que la protection n’est accordée « expressément [au] consommateur qu’en tant qu’il est personnellement demandeur ou défendeur dans une procédure » ( 20 ).

(b)   Le contexte

83.

Trois arguments systémiques supplémentaires s’opposent également à la proposition du requérant au principal de dissocier les parties à la procédure des parties à la relation contractuelle.

84.

Premièrement, assez logiquement, l’article 16 doit être interprété conjointement avec l’article 15 du règlement no 44/2001. Ce dernier définit le champ d’application de la section 4, consacrée à la compétence en matière de contrats conclu par les consommateurs. La Cour a jugé que « l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 trouve à s’appliquer dans l’hypothèse où trois conditions sont remplies, à savoir, premièrement, une partie contractuelle a la qualité de consommateur qui agit dans un cadre pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, deuxièmement, le contrat entre un tel consommateur et un professionnel a été effectivement conclu et, troisièmement, un tel contrat relève de l’une des catégories visées au paragraphe 1, sous a) à c), dudit article 15 » ( 21 ).

85.

Une interprétation selon laquelle l’article 16, du règlement no 44/2001 vise également les prétentions que fait valoir un consommateur sur la base de contrats conclus par d’autres consommateurs couperait le lien logique entre les articles 15 et 16 du règlement no 44/2001. Elle étendrait le champ du for spécial au-delà des cas de figure expressément prévus par ces dispositions.

86.

En effet, comme nous l’avons examiné aux points 28 à 34 des présentes conclusions à propos de la première question préjudicielle, et ainsi que l’a admis le requérant au principal, le for spécial du consommateur vise à protéger une personne en sa qualité de consommateur dans le cadre d’un contrat donné. C’est pourquoi il serait un peu paradoxal de permettre qu’un lien aussi étroit entre la qualité de consommateur et un contrat donné soit affaibli en accordant le for spécial du consommateur conformément au droit issu d’un contrat conclu par une autre personne.

87.

Deuxièmement, contrairement à l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, dans lequel est employée l’expression « en matière contractuelle », sans aucune autre indication concernant l’identité des parties au contrat susceptibles de l’invoquer, l’article 16, paragraphe 1, de ce règlement est beaucoup plus précis et limité. Cette dernière disposition mentionne expressément le consommateur et l’autre partie au contrat. En effet, l’interprétation de l’article 5, paragraphe 1, permet davantage de latitude et de souplesse relativement à l’identité du requérant au principal, à condition qu’une obligation librement assumée existe ( 22 ). Dans certains cas, elle permet de faire exécuter des obligations contractuelles par un tiers qui n’est pas la partie contractuelle initiale. Toutefois, le libellé clairement différent et plus étroit de l’article 16, paragraphe 1, ne permet pas une telle interprétation.

88.

Troisièmement, le for du consommateur prévu aux articles 15 et 16 du règlement no 44/2001 constitue une dérogation non seulement à la règle générale de compétence édictée à l’article 2, paragraphe 1, de ce règlement, attribuant la compétence aux juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur est domicilié, mais aussi à la règle de compétence spéciale en matière de contrats, énoncée à l’article 5, point 1, de ce même règlement, selon laquelle le tribunal compétent est celui du lieu où l’obligation qui sert de fondement à la demande a été ou doit être exécutée. Par conséquent, les articles 15 et 16 du règlement no 44/2001 ne devraient pas être interprétés comme étendant le privilège du for du requérant au principal au-delà des situations pour lesquelles il a été expressément prévu ( 23 ).

(c)   La finalité

89.

Les arguments principaux du requérant au principal sont fondés sur l’interprétation téléologique. Ces arguments peuvent être regroupés en trois points.

90.

Premièrement, le requérant au principal soutient que, comme le cédant et le cessionnaire sont des consommateurs, ils méritent tous deux une protection. L’objectif de la disposition en cause, qui est de protéger la partie la plus faible, interdirait une interprétation selon laquelle les parties au contrat devraient être les mêmes que les parties au litige.

91.

Deuxièmement, concernant l’objectif de prévisibilité du for que poursuit de manière générale le règlement no 44/2001, le requérant au principal soutient que la défenderesse au principal n’a pas d’attentes légitimes quant à l’existence d’un for particulier. La certitude du for du consommateur serait limitée, car le consommateur peut toujours changer de domicile. C’est pourquoi il importerait peu que le for change en raison d’un changement de domicile ou d’un transfert de droits par cession. De surcroît, Facebook dirige ses activités [au sens de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement no 44/2001] vers le monde entier, y compris l’Autriche. Par conséquent, la défenderesse au principal aurait pu prévoir que des actions seraient introduites devant des juridictions autrichiennes.

92.

Troisièmement, le requérant au principal soutient que l’article 16 du règlement no 44/2001 devrait être interprété en ce sens qu’il permet que le for du consommateur cessionnaire favorise des actions collectives visant à faire valoir des prétentions cédées, pour des motifs liés à la vulnérabilité des consommateurs, à la protection juridictionnelle effective et au souci d’éviter la multiplication des affaires parallèles.

93.

Les arguments concernant l’objectif de protection du consommateur en tant que partie la plus faible (titre 1) et ceux concernant la prévisibilité du for et le souci d’éviter des procédures parallèles (titre 2) sont des arguments qui, selon moi, sont pertinents dans le cadre du règlement no 44/2001 tel qu’il est actuellement. C’est pourquoi je les examinerai l’un après l’autre ci-après, avant de présenter une conclusion relative à la question de compétence territoriale (titre 3).

(1) L’objectif de protection de la partie la plus faible

94.

Le requérant au principal soutient que son avis sur l’interprétation correcte de l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 s’appuie également sur la jurisprudence de la Cour selon laquelle l’aptitude théorique à être protégé détermine l’application du for spécial du consommateur ( 24 ).

95.

Au niveau de l’affirmation générale, je dois bien convenir que la Cour a toujours accordé une importance centrale à l’objectif de protection du consommateur en tant que partie la plus faible lors de l’interprétation des dispositions relatives au for spécial du consommateur du règlement no 44/2001. Toutefois, au niveau des propositions juridiques concrètes, je ne peux pas souscrire à la présentation de la jurisprudence faite par le requérant au principal.

96.

Premièrement, la Cour a effectivement déjà eu l’occasion d’examiner si le for du requérant des consommateurs est applicable à des cessionnaires de droits de consommateurs qui ne sont pas eux‑mêmes parties à un contrat. Dans les arrêts Henkel et Shearson Lehman Hutton, la Cour a jugé que le for spécial du consommateur n’est pas applicable à des personnes morales agissant en tant que cessionnaires des droits d’un consommateur. Toutefois, la Cour est parvenue à cette conclusion non seulement parce que, comme le soutient le requérant au principal, ces personnes morales (une société privée et une association de consommateurs) n’étaient pas des « parties plus faibles » mais aussi, comme cela est indiqué clairement dans les deux arrêts, parce que ces personnes n’étaient pas elles-mêmes parties au contrat ( 25 ).

97.

Deuxièmement, selon le requérant au principal, la jurisprudence de la Cour est basée sur un besoin abstrait de protection du consommateur comme motif déterminant la création du for, et le fait que les droits soient cédés ne changerait rien à cela. À cet égard, tant le requérant au principal que le gouvernement autrichien ont renvoyé à l’arrêt de la Cour Vorarlberger Gebietskrankenkasse, dans lequel il était indiqué que, contrairement à un organisme de sécurité sociale, « un tel cessionnaire légal des droits de la personne directement lésée, qui peut être lui-même considéré comme partie faible, devrait pouvoir profiter des règles spéciales de compétence juridictionnelle définies auxdites dispositions. Il en serait notamment ainsi […] des héritiers de la victime d’un accident » ( 26 ).

98.

Dans la mesure où une référence à cet arrêt peut encore être pertinente après le récent arrêt de la Cour MMA IARD ( 27 ), qui a considérablement nuancé l’approche adoptée dans l’arrêt Vorarlberger Gebietskrankenkasse, l’analogie avec la présente affaire n’est pas appropriée, et ce pour deux raisons. Premièrement, la conception du for spécial en matière d’assurance est différente et, en soi, beaucoup plus large ( 28 ). Deuxièmement, et plus important encore, dans l’arrêt Vorarlberger Gebietskrankenkasse, il était demandé de conserver le for spécial déjà existant et de pouvoir le transférer à un tiers. Ce que le requérant au principal demande en réalité, c’est la création d’un nouveau for spécial spécifique au cessionnaire ou successeur en droit de prétentions cédées uniquement aux fins d’une action.

(2) Prévisibilité et souci d’éviter des actions parallèles

99.

Le requérant au principal, ainsi que les gouvernements allemand et autrichien, ont souligné que l’application du for spécial du consommateur cessionnaire à tous les droits cédés (par des consommateurs ayant leur domicile soit dans le même État membre, soit dans un autre État membre, soit dans un État tiers) ne porterait pas atteinte aux objectifs de sécurité juridique et de prévisibilité. Premièrement, la certitude quant au for du consommateur serait de toute façon limitée, puisque le consommateur peut toujours changer de domicile. Deuxièmement, Facebook dirigerait ses activités [au sens de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement no 44/2001] vers le monde entier, y compris l’Autriche. Par conséquent, il serait prévisible pour cette société que des actions seraient intentées devant des juridictions autrichiennes. Troisièmement, le « regroupement » de prétentions représenterait même un avantage pour la défenderesse au principal qui ne serait pas confrontée à des prétentions différentes dans différents États membres. De surcroît, le risque de décisions divergentes serait évité. En outre, le requérant au principal fait valoir qu’il ne demande pas la reconnaissance d’un nouveau for auquel il n’aurait pas déjà droit, puisqu’il bénéficierait déjà du for du consommateur concernant ses propres droits.

100.

En effet, il est vrai que, conformément au considérant 11 du règlement no 44/2001, les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité. De surcroît, conformément au considérant 15, « le fonctionnement harmonieux de la justice commande de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans deux États membres ».

101.

Je dois admettre que, selon moi, l’exigence de prévisibilité de la compétence prévue dans le règlement no 44/2001 devrait être basée sur les faits d’une relation juridique concrète. La question qui se pose alors est en substance : si je m’engage dans telle ou telle relation juridique, quelle pourra être la compétence internationale ?

102.

L’interprétation de la « prévisibilité » défendue par le requérant au principal repose clairement sur une approche différente. Elle reprend en fait la logique déjà suivie au niveau sémantique, consistant à affirmer qu’en termes de prévisibilité aussi, si un professionnel a un « consommateur » dans un for, il doit également pouvoir prévoir raisonnablement qu’il est susceptible d’être poursuivi par « tout consommateur » ou effectivement par « tous ses consommateurs » de ce for.

103.

Je ne suis pas d’accord. Toutefois, à supposer même que l’on accepte l’approche défendue par le requérant au principal, ce qui n’est pas le cas, il reste un certain nombre de problèmes.

104.

Premièrement, comme le soutient la défenderesse au principal, il y a des considérations importantes de sécurité juridique, à l’image du risque de recherche de la juridiction la plus favorable.

105.

Il est vrai que le lieu du domicile du consommateur n’est pas fixé de manière permanente. Comme c’est le cas avec la règle de l’État membre où le défendeur est domicilié, il peut changer ( 29 ). Toutefois, cela ne signifie pas que la prévisibilité et la sécurité juridique soient complètement dénuées de pertinence. La solution proposée par le requérant au principal permettrait de regrouper des prétentions et de choisir, aux fins d’actions collectives, le lieu de la juridiction la plus favorable en cédant tous ces droits à un consommateur domicilié en ce lieu. Comme le dit la défenderesse au principal, une telle solution pourrait conduire à une multiplication de cessions ciblées à des consommateurs relevant d’une juridiction ayant une jurisprudence plus favorable, des frais de justice moins élevés et une aide judiciaire plus généreuse, ce qui pourrait conduire à surcharger certaines juridictions ( 30 ).

106.

Deuxièmement, la création d’un nouveau for du consommateur pour le cessionnaire consommateur concernant des droits cédés par d’autres consommateurs pourrait conduire à une fragmentation et à une multiplication des fors. D’une part, le cessionnaire ne prend pas la place du cédant dans le contrat. Il n’y a subrogation ni dans la position du consommateur ni des droits essentiels liés au contrat. Les droits cédés sont spécialement séparés du contrat et cela est fait aux fins spécifiques du litige. Le for du consommateur du cédant initial serait maintenu pour d’autres prétentions issues du contrat, ce qui pourrait entraîner une fragmentation de ces prétentions. D’autre part, il serait évidemment possible que le cédant cède différents droits issus de son contrat de consommateur à différents cessionnaires. Si chacun de ces cessionnaires était un consommateur, alors cela créerait de nombreux fors spéciaux parallèles.

107.

Ces craintes sont encore plus fortes concernant des droits cédés par des consommateurs domiciliés dans des États tiers ( 31 ). La possibilité de faire valoir au for du consommateur cessionnaire des prétentions issues de contrats conclus par des consommateurs domiciliés dans des États tiers est difficilement compatible avec le texte du règlement no 44/2001. Certes, la Cour a jugé que le règlement no 44/2001 s’applique que le requérant soit ou non domicilié dans un État tiers ( 32 ). Cependant, l’article 15, paragraphe 1, sous c), qui est pertinent en l’espèce, requiert que le contrat ait été « conclu […] avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités ». Par conséquent, même si l’article 16 fait référence uniquement au « lieu où le consommateur est domicilié », les remarques qui précèdent indiquent clairement que le « lieu » doit être dans un État membre.

108.

Enfin, le requérant au principal a invoqué l’arrêt CDC Hydrogen Peroxide ( 33 ) pour soutenir que la Cour a reconnu expressément qu’une action collective n’empêche pas l’application des fors spéciaux prévus par le règlement no 44/2001.

109.

Toutefois, dans cet arrêt, la Cour a déclaré expressément concernant l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 44/2001 qu’« une cession de créances, opérée par le créancier initial, ne saurait, en elle-même, avoir d’incidence sur la détermination de la juridiction compétente » ( 34 ). Par conséquent, la Cour a conclu que la condition de l’application de ce chef de compétence (la localisation du fait dommageable) « doit être examinée pour chaque créance indemnitaire indépendamment d’une cession ou d’un regroupement dont elle a fait l’objet » ( 35 ).

110.

En somme, les affirmations du requérant au principal en l’espèce ne sont pas étayées par la jurisprudence. Encore une fois, la principale différence réside dans le fait que, ce que le requérant au principal demande en réalité, c’est non pas le transfert d’un for spécial mais la création d’un nouveau for pour un autre consommateur qui n’était pas partie au contrat initial.

111.

Cette position est contraire à la logique même de la règle en matière de cession et de succession. La jurisprudence invoquée par le requérant au principal concernait le point de savoir si le for spécial (du consommateur) peut être conservé ou s’il est perdu. Or, clairement, prétendre qu’un nouveau for spécial doit être créé pour le cessionnaire sort totalement du cadre de ce débat.

112.

De surcroît, dans le contexte du règlement no 44/2001, la question de la cession de droits et de la succession dans des droits est une question transversale, qui concerne différents chefs de compétence. Partant, toute solution adoptée par la Cour relativement aux règles de cession de prétentions régies par l’article 16, paragraphe 1, aurait évidemment des répercussions sur l’ensemble du règlement.

(3) Conclusion intermédiaire (et épilogue concernant la compétence territoriale)

113.

C’est pourquoi je ne crois pas que l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 puisse être interprété en ce sens qu’il crée un nouveau for spécial du consommateur pour des prétentions ayant le même objet qui lui ont été cédées par d’autres consommateurs domiciliés dans un autre État membre ou dans des États tiers.

114.

Toutefois, la juridiction de renvoi a également posé sa seconde question pour une troisième catégorie de droits cédés : ceux qui l’ont été par des consommateurs domiciliés dans le même État membre. Comme l’a indiqué la juridiction de renvoi, certains des droits cédés sont ceux d’autres consommateurs domiciliés en Autriche. En outre, il est vrai que le libellé de l’article 16, paragraphe 1, fait référence à la compétence territoriale : « devant le tribunal du lieu où le consommateur est domicilié ». Ainsi, contrairement à la convention de Bruxelles, l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 définit non seulement la compétence internationale mais aussi la compétence interne, dans le but d’offrir une protection plus étendue aux consommateurs.

115.

Dans ses observations, la Commission partage les craintes concernant la sécurité juridique et la prévisibilité du for concernant des droits cédés par des consommateurs domiciliés dans des États tiers et dans d’autres États membres. Cependant, elle reconnaît la possibilité d’appliquer le for du domicile du consommateur cessionnaire, à condition que le cédant et le cessionnaire soient des consommateurs, que les droits soient identiques et que tous deux puissent choisir le for à l’intérieur du même État membre. La Commission explique que cette solution, bien que contraire en apparence au libellé de l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, est une meilleure façon d’atteindre l’objectif des dispositions relatives au for spécial du consommateur.

116.

Je trouve difficile d’admettre pourquoi, uniquement sur la base du règlement no 44/2001, il conviendrait de parvenir à une conclusion différente concernant les droits cédés par des consommateurs domiciliés dans le même État membre que le consommateur cessionnaire, compte tenu du libellé de l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 qui désignent en tant que juridictions compétentes celles du « lieu où le consommateur est domicilié ». En l’absence de tout autre argument convaincant, en vertu de l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, la conclusion devrait être la même pour les trois catégories de consommateurs évoquées dans la seconde question de la juridiction de renvoi (droits cédés par des consommateurs domiciliés dans d’autres États membres, dans des États tiers et dans le même État membre).

117.

Toutefois, selon moi, le fait que l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 ne crée pas une nouvelle juridiction spéciale ne signifie pas qu’il empêcherait de le faire si cela était prévu par le droit national. La logique de la compétence territoriale prévue à l’article 16, paragraphe 1, est de ne pas en priver le consommateur. En tout cas, si le droit national prévoyait une juridiction spéciale supplémentaire à l’intérieur de l’État membre, j’estime que cela ne serait contraire ni à la lettre ni à la finalité du règlement. Néanmoins, il ne semble pas qu’il en aille ainsi en l’espèce, dans la mesure où les arguments du requérant au principal pour déterminer la compétence juridictionnelle (même à l’intérieur de l’État membre) paraissent reposer exclusivement sur l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 ( 36 ).

118.

C’est pourquoi je suggère à la Cour de répondre à la seconde question que « sur la base de l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, un consommateur ne peut pas faire valoir, en même temps que ses propres droits, des droits ayant le même objet cédés par d’autres consommateurs domiciliés dans le même État membre, dans d’autres États membres ou dans des États tiers ».

3.   De la nécessité d’actions collectives en matière de contrats conclus par les consommateurs dans l’Union européenne (et des dangers de la législation juridictionnelle)

119.

Un certain nombre d’arguments avancés par le requérant au principal dans la présente affaire sont, au moins selon moi, essentiellement des arguments à caractère politique Ils laissent entendre, d’une manière ou d’une autre, que, au nom d’un ensemble de valeurs plutôt abstraites, comme la nécessité d’actions collectives en matière de contrats conclus par les consommateurs dans l’Union ou la promotion d’une protection juridictionnelle effective en la matière, la Cour devrait interpréter l’article 16, paragraphe 1, de la manière proposée par le requérant au principal.

120.

Il ne fait aucun doute que le recours collectif contribue à une protection juridictionnelle effective. S’il est bien conçu et mis en œuvre, il peut aussi être bénéfique pour le système judiciaire, par exemple en diminuant le nombre de procédures parallèles nécessaires ( 37 ). Cependant, comme la défenderesse au principal le fait remarquer à juste titre, ces arguments du requérant au principal sont plutôt de lege ferenda.

121.

Le règlement no 44/2001 ne prévoit ni de dispositions spécifiques relatives à la cession de droits ( 38 ) ni de procédures d’action collective. Cette lacune (supposée ou réelle) a suscité de longs débats de doctrine en considérant que le règlement ne constitue pas une base suffisante pour des actions collectives transfrontalières dans l’Union ( 39 ). L’application du for du consommateur dans des affaires d’action collective fait l’objet de débats houleux ( 40 ).

122.

En outre, et cela est peut-être encore plus important, ces problèmes ont été reconnus par la Commission qui a fait plusieurs tentatives pour promouvoir l’adoption d’instruments de l’Union relatifs aux actions collectives ( 41 ). Ces propositions n’ont encore conduit à l’adoption d’aucun instrument législatif contraignant. Jusqu’à présent seule une recommandation de la Commission, également invoquée par le requérant au principal dans la présente affaire, a été adoptée ( 42 ).

123.

Je ne crois pas qu’il appartienne aux juridictions, y compris la Cour de chercher à créer d’un trait de plume une action collective en matière de contrats conclus par les consommateurs dans un tel contexte. Il ne serait pas sage de procéder de cette façon et ce pour trois raisons. Premièrement, cela serait clairement contraire à la lettre et à la logique du règlement, et conduirait donc à le réécrire. Deuxièmement, cette question est trop délicate et complexe. Elle requiert une législation détaillée et non pas une intervention juridictionnelle isolée dans le cadre d’un instrument qui est apparenté mais quelque peu éloigné et n’est manifestement pas approprié à cet effet. En fin de compte, cela risquerait de poser plus de problèmes que cela n’apporterait de solutions. Troisièmement, bien qu’elles ne soient peut-être ni rapides ni faciles, des discussions et des délibérations législatives sont en cours au niveau de l’Union. Il ne faudrait pas qu’une décision de justice préempte le résultat de cette procédure législative ou la rende inutile.

V. Conclusion

124.

À la lumière des éléments qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question posée par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) de la manière suivante :

1)

L’article 15, paragraphe 1, du règlement (CE) no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’un consommateur ne perd pas cette qualité lorsqu’il exerce des activités telles que publier des livres, donner des conférences, exploiter des sites Internet, collecter des dons afin de faire valoir les droits concernant son propre compte Facebook utilisé à des fins privées.

2)

En vertu de l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, un consommateur ne peut pas faire valoir, en même temps que ses propres droits, des droits ayant le même objet cédés par d’autres consommateurs domiciliés dans le même État membre, dans d’autres États membres ou dans des États tiers.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Règlement du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).

( 3 ) Programme accordant aux autorités des États-Unis l’accès à des données stockées sur des serveurs situés aux États-Unis qui appartiennent ou sont contrôlés par des sociétés Internet, dont Facebook USA.

( 4 ) Décision de la Commission 2000/520/CE du 26 juillet 2000 conformément à la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil relative à la pertinence de la protection assurée par les principes de la « sphère de sécurité » et par les questions souvent posées y afférentes, publiés par le ministère du Commerce des États-Unis d’Amérique (JO 2000, L 215, p. 7).

( 5 ) Arrêt du 6 octobre 2015, Schrems (C‑362/14, EU:C:2015:650).

( 6 ) D’après la juridiction de renvoi, l’association est une organisation à but non lucratif visant à faire respecter le droit fondamental à la protection des données. Elle soutient des affaires pilotes d’intérêt général contre des entreprises qui menacent potentiellement ce droit, les frais sont couverts par des dons.

( 7 ) D’après la juridiction de renvoi, le requérant au principal invoque plusieurs violations de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (JO 1995, L 281, p. 31).

( 8 ) Voir, concernant la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1978, L 304, p. 36, ci-après la « convention de Bruxelles »), arrêt du 3 juillet 1997, Benincasa (C‑269/95, EU:C:1997:337, point 16).

( 9 ) Voir par exemple conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Gruber (C‑464/01, EU:C:2004:529, point 34) et conclusions de l’avocat général Cruz Villalón dans l’affaire Costea (C‑110/14, EU:C:2015:271, points 29 et 30). Même si cette dernière affaire concernait la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29), la Cour cherche généralement à tenir compte de la notion de « consommateur » contenue dans d’autres réglementations « pour assurer le respect des objectifs poursuivis par le législateur européen dans le domaine des contrats conclus par les consommateurs ainsi que la cohérence du droit de l’Union », voir arrêt du 5 décembre 2013, Vapenik (C‑508/12, EU:C:2013:790, point 25).

( 10 ) Arrêt du 3 septembre 2015, Costea (C‑110/14, EU:C:2015:538, point 21).

( 11 ) Arrêt du 20 janvier 2005, Gruber (C‑464/01, EU:C:2005:32, point 39), relatif aux articles 13 à 15 de la convention de Bruxelles.

( 12 ) Il est possible de définir ces « influenceurs » comme des « utilisateurs quotidiens ordinaires d’Internet qui accumulent un assez grand nombre de followers sur les blogs et les médias sociaux en narrant leur vie personnelle en texte et en images, qui entrent en relation avec leurs followers dans des espaces numériques et physiques et créent de la valeur avec leurs followers en insérant des “publireportages” sur leur blog ou leurs posts dans les médias sociaux ». Abidin, C., « Communicative Intimacies : Influencers and Perceived Interconnectedness », Ada : A Journal of Gender, New Media, and Technology, numéro 8, 2015, p. 29.

( 13 ) Voir par analogie, arrêt du 3 septembre 2015, Costea (C‑110/14, EU:C:2015:538, point 29).

( 14 ) Voir points 44 à 50 des présentes conclusions.

( 15 ) Il a été avancé que, bien que cette disposition n’ait pas été conçue dans le but de créer un système d’action collective, en pratique, elle a servi à développer un mécanisme de recours collectif sui generis grâce à la cession de prétentions similaires de nombreuses personnes à un tiers qui les regroupe et les fait valoir dans le cadre d’une procédure unique. Même si ce système est couramment utilisé pour des cessions à des organisations de consommateurs, des prétentions peuvent également être cédées à des particuliers. Voir en outre, par exemple, Micklitz, H.‑W., et Purnhagen, K. P., Evaluation of the effectiveness and efficiency of collective redress mechanism in the European Union – Country report Austria, 2008 et Steindl, B. H., « Class Action and Collective Action in Arbitration an Litigation – Europe and Austria », NYSBA International Section seasonal Meeting 2014, Rebuilding the Transatlantic Marketplace : Austria and Central Europe as Catalysts for Entrepreneurship and Innovation, http://www.nysba.org

( 16 ) OGH 12.7.2005, 4 Ob 116/05w.

( 17 ) OGH 12.7.2005, 4 Ob 116/05w, point 1 (p. 3 à 5). L’Oberster Gerichtshof a également ajouté que le regroupement des prétentions de différentes personnes par cession de droits (« Inkassozession ») à un requérant en vertu de l’article 227 du ZPO est possible si, et seulement si, les prétentions ont une base juridique commune et si les points à examiner concernent les mêmes questions de fait ou de droit qui concernent la question principale ou une question préliminaire commune à toutes les prétentions.

( 18 ) C’est moi qui souligne.

( 19 ) C’est moi qui souligne. Il est possible d’ajouter qu’il serait intéressant de savoir ce que la proposition du requérant au principal signifierait pour l’interprétation de l’article 16, paragraphe 2, du règlement, dont la version anglaise commence également avec un article indéfini, mais prévoit un cas de figure inverse à celui de l’article 16, paragraphe 1 : « Proceedings may be brought against a consumer by the other party to the contract only in the courts of the Member State in which the consumer is domiciled ». Toutefois, il apparaît que des articles définis sont employés dans d’autres versions linguistiques. Cela montre bien qu’il est impossible d’exprimer des affirmations de principe sur la base du caractère indéfini ou défini de l’article employé dans ce contexte.

( 20 ) Conclusions de l’avocat général Darmon dans l’affaire Shearson Lehman Hutton (C‑89/91, EU:C:1992:410, point 26 et note 9), concernant l’article 14 de la convention de Bruxelles.

( 21 ) Par exemple, arrêts du 14 mars 2013, Česká spořitelna (C‑419/11, EU:C:2013:165, point 30), et du 28 janvier 2015, Kolassa (C‑375/13, EU:C:2015:37, point 23). C’est moi qui souligne.

( 22 ) Concernant l’article 5, paragraphe 1, de la convention de Bruxelles : voir par exemple arrêt du 5 février 2004, Frahuil (C‑265/02, EU:C:2004:77, point 24 et jurisprudence citée). Concernant l’article 5, paragraphe 1, sous a), du règlement no 44/2001, voir arrêts du 14 mars 2013, Česká spořitelna (C‑419/11, EU:C:2013:165, point 46) ; du 28 janvier 2015, Kolassa (C‑375/13, EU:C:2015:37, point 39), et du 21 avril 2016, Austro-Mechana (C‑572/14, EU:C:2016:286, point 36). [Voir également mes conclusions dans les affaires jointes flightright e.a. (C‑274/16, C‑447/16 et C‑448/16, EU:C:2017:787, points 53 à 55)].

( 23 ) Voir en ce sens, par exemple, arrêt du 14 mars 2013, Česká spořitelna (C‑419/11, EU:C:2013:165, point 26 et jurisprudence citée).

( 24 ) Le requérant fait précisément référence à quatre arrêts de la Cour : arrêts du 19 janvier 1993, Shearson Lehman Hutton (C‑89/91, EU:C:1993:15) ; du 1er octobre 2002, Henkel (C‑167/00, EU:C:2002:555) ; du 15 janvier 2004, Blijdenstein (C‑433/01, EU:C:2004:21), et du 17 septembre 2009, Vorarlberger Gebietskrankenkasse (C‑347/08, EU:C:2009:561).

( 25 ) Arrêts du 19 janvier 1993, Shearson Lehman Hutton (C‑89/91, EU:C:1993:15, point 23), et du 1er octobre 2002, Henkel (C‑167/00, EU:C:2002:555, points 33 et 38).

( 26 ) Arrêt du 17 septembre 2009, Vorarlberger Gebietskrankenkasse (C‑347/08, EU:C:2009:561, point 44).

( 27 ) Arrêt du 20 juillet 2017, MMA IARD (C‑340/16, EU:C:2017:576).

( 28 ) L’affaire concernait le for spécial pour la victime au sens de l’article 11, paragraphe 2, du règlement no 44/2001. L’objectif de cette disposition est d’ajouter à la liste des demandeurs, contenue dans l’article 9, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, les personnes ayant subi un dommage, « sans que le cercle de ces personnes eût été restreint à celles l’ayant subi directement ». C’est pourquoi la notion de « victimes » est appropriée pour désigner en soi les personnes qui peuvent être considérées comme ayant subi un préjudice. De surcroît, la Cour a confirmé que la notion de « partie plus faible » a une acception plus large en matière d’assurances qu’en matière de contrats conclus par les consommateurs ou en matière de contrats individuels de travail, voir arrêt du 20 juillet 2017, MMA IARD (C‑340/16, EU:C:2017:576, points 32 et 33).

( 29 ) Voir à cet égard, arrêt du 17 novembre 2011, Hypoteční banka (C‑327/10, EU:C:2011:745, point 42).

( 30 ) En outre, cela pourrait être intéressant pour un certain nombre d’entreprises spécialisées qui pourraient modifier leur structure en conséquence (en faisant céder les droits non pas à une personne morale mais à une personne physique, un autre consommateur).

( 31 ) En laissant entièrement de côté la question du droit applicable régissant les contrats conclus par des utilisateurs de pays tiers qui, effectivement, ne serait pas décisive en matière de compétence juridictionnelle (mais aurait une certaine pertinence du point de vue d’une bonne administration de la justice).

( 32 ) Voir, dans le cadre de la convention de Bruxelles, arrêt du 13 juillet 2000, Group Josi (C‑412/98, EU:C:2000:399, point 57).

( 33 ) Arrêt du 21 mai 2015, CDC Hydrogen Peroxide (C‑352/13, EU:C:2015:335).

( 34 ) Arrêt du 21 mai 2015, CDC Hydrogen Peroxide (C‑352/13, EU:C:2015:335, point 35). De même, voir arrêt du 18 juillet 2013, ÖFAB (C‑147/12, EU:C:2013:490, point 58).

( 35 ) Arrêt du 21 mai 2015, CDC Hydrogen Peroxide (C‑352/13, EU:C:2015:335, point 36).

( 36 ) Comme cela a été précisé précédemment aux points 74 à 76.

( 37 ) Voir par exemple Resolution No 1/2008 on Transnational Group Actions de la International Law Association, adoptée lors de la Conférence de Rio. Le point 3 de la résolution est consacré à la compétence. Conformément au point 3.1 : « Une action collective transnationale peut être intentée devant le for du défendeur ». Conformément au point 3.3 : « Une action collective transnationale peut aussi être intentée devant les juridictions d’un autre pays étroitement lié aux parties aux transactions, à condition que le procès dans ce pays soit raisonnablement en mesure de servir les intérêts de l’action collective et n’ait pas été choisi pour contrecarrer ces intérêts ».

( 38 ) Voir conclusions de l’avocat général Sharpston dans l’affaire Flight Refund (C‑94/14, EU:C:2015:723, point 60).

( 39 ) Voir, notamment, Hess, B., « Collective Redress and the Jurisdictional Model of the Brussels I Regulation », dans Nuyts, A., et Hatzimihail, N. E., Cross-Border Class Actions. The European Way, SELP, 2014, p. 59 à 68, à la p. 67 ; Nuyts, A., « The Consolidation of Collective Claims under Brussels I », dans Nuyts, A., et Hatzimihail, N. E., Cross-Border Class Actions. The European Way, SELP, 2014, p. 69 à 84 ; Danov, M., « The Brussels I Regulation : Cross-Border Collective Redress Proceedings and Judgments », Journal of Private International Law, 2010, vol. 6, p. 359 à 393, à la p. 377.

( 40 ) Voir par exemple Tang, Z. S., « Consumer collective Redress in European Private International Law », Journal of Private International Law, 2011, vol. 7, p. 101 et 147, Tang, Z. S., Electronic Consumer Contracts in the Conflict of Laws, 2e édition, Hart, 2015, p. 284 et suiv. ; Lein, E., « Cross-border Collective redress and Jurisdiction under Brussels I : A mismatch », dans Fairgrieve, D., et Lein, E., Extraterritoriality and Collective Redress, Oxford University Press, Oxford, 2012, p. 129.

( 41 ) Voir notamment livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final ; livre vert sur les recours collectifs pour les consommateurs, COM(2008) 794 final ; document de consultation de la Commission en vue d’une discussion concernant le suivi du livre vert sur les recours collectifs pour les consommateurs, 2009 ; document de consultation de la Commission, « Renforcer la cohérence de l’approche européenne en matière de recours collectifs » SEC(2011) 173 final ; communication de la Commission, « Vers un cadre horizontal européen pour les recours collectifs », COM(2013) 401/2.

( 42 ) Recommandation de la Commission du 11 juin 2013 relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectif en cessation et en réparation dans les États membres en cas de violation de droits conférés par le droit de l’Union (JO 2013, L 201, p. 60).

Top