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Document 62014TJ0798

Arrêt du Tribunal (sixième chambre) du 13 septembre 2018.
DenizBank A.Ş. contre Conseil de l'Union européenne.
Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine – Inscription du nom de l’entité détenant la requérante sur la liste des entités auxquelles s’appliquent des mesures restrictives – Obligation de motivation – Droits de la défense – Droit à une protection juridictionnelle effective – Accord d’association UE‑Turquie – Droits fondamentaux – Proportionnalité.
Affaire T-798/14.

ECLI identifier: ECLI:EU:T:2018:546

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

13 septembre 2018 ( *1 )

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine – Inscription du nom de l’entité détenant la requérante sur la liste des entités auxquelles s’appliquent des mesures restrictives – Obligation de motivation – Droits de la défense – Droit à une protection juridictionnelle effective – Accord d’association UE-Turquie – Droits fondamentaux – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑798/14,

DenizBank A.Ş., établie à Istanbul (Turquie), représentée par MM. O. Jones, D. Heaton, barristers, R. Mattick, S. Utku, solicitors, et Mme M. Lester, QC,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté initialement par Mme S. Boelaert et M. A. de Elera-San Miguel Hurtado, puis par Mmes Boelaert et P. Mahnič Bruni, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission européenne, représentée par Mme D. Gauci, MM. L. Havas et F. Ronkes Agerbeek, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation, premièrement, de la décision 2014/512/PESC du Conseil, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 13), telle que modifiée par la décision 2014/659/PESC du Conseil, du 8 septembre 2014 (JO 2014, L 271, p. 54), par la décision 2014/872/PESC du Conseil, du 4 décembre 2014 (JO 2014, L 349, p. 58), par la décision (PESC) 2015/2431 du Conseil, du 21 décembre 2015 (JO 2015, L 334, p. 22), par la décision (PESC) 2016/1071 du Conseil, du 1er juillet 2016 (JO 2016, L 178, p. 21), et par la décision (PESC) 2016/2315 du Conseil, du 19 décembre 2016 (JO 2016, L 345, p. 65), et, deuxièmement, du règlement (UE) no 833/2014 du Conseil, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 960/2014 du Conseil, du 8 septembre 2014 (JO 2014, L 271, p. 3), et par le règlement no 1290/2014 du Conseil, du 4 décembre 2014 (JO 2014, L 349, p. 20), en ce que ces actes concernent la requérante,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. G. Berardis (rapporteur), président, D. Spielmann et Z. Csehi, juges,

greffier : M. L. Grzegorczyk, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 16 novembre 2017,

rend le présent

Arrêt

Antécédents du litige

1

La requérante, DenizBank A.Ş., est une banque commerciale turque établie à Istanbul (Turquie), dont le capital est détenu à plus de 50 % par Sberbank of Russia OAO (ci-après « Sberbank »), une banque de détail russe établie à Moscou (Russie).

2

Le 20 février 2014, le Conseil de l’Union européenne a condamné dans les termes les plus fermes le recours à la violence en Ukraine. Il a appelé à l’arrêt immédiat de la violence ainsi qu’au plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales en Ukraine. Le Conseil a également envisagé l’instauration de mesures restrictives à l’encontre des personnes responsables des violations des droits de l’homme, des violences et du recours excessif à la force.

3

Lors d’une réunion extraordinaire qui s’est tenue le 3 mars 2014, le Conseil a condamné les actes d’agression des forces armées russes, qui constituaient une violation manifeste de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine ainsi que l’autorisation donnée par le Soviet Federatsii Federal’nogo Sobrania Rossiskoï Federatsii (Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie), le 1er mars 2014, de recourir aux forces armées sur le territoire de l’Ukraine. L’Union européenne a appelé la Fédération de Russie à ramener immédiatement ses forces armées vers leurs lieux de stationnement permanent, conformément à ses obligations internationales.

4

Le 5 mars 2014, le Conseil a adopté des mesures restrictives axées sur le gel et la récupération de fonds détournés appartenant à l’État ukrainien.

5

Le 6 mars 2014, les chefs d’État ou de gouvernement de l’Union européenne ont entériné les conclusions du Conseil adoptées le 3 mars 2014. Ils ont condamné fermement la violation par la Fédération de Russie, sans qu’il y ait eu provocation, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine et ils ont appelé la Fédération de Russie à ramener immédiatement ses forces armées vers leurs lieux de stationnement permanent, conformément aux accords applicables. Les chefs d’État ou de gouvernement de l’Union ont déclaré que toute autre mesure de la Fédération de Russie qui serait de nature à déstabiliser la situation en Ukraine entraînerait d’autres conséquences, d’une portée considérable, pour les relations entre l’Union et ses États membres, d’une part, et la Fédération de Russie, d’autre part, et ce dans un grand nombre de domaines économiques. Ils ont demandé à la Fédération de Russie de permettre un accès immédiat aux observateurs internationaux, soulignant que la solution à la crise en Ukraine devait être fondée sur l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance du pays ainsi que sur le respect rigoureux des normes internationales.

6

Le 16 mars 2014, le parlement de la République autonome de Crimée et le gouvernement local de la ville de Sébastopol, toutes deux subdivisions de l’Ukraine, ont tenu un référendum sur le statut de la Crimée. Dans le cadre de ce référendum, la population de Crimée était invitée à indiquer si elle souhaitait être rattachée à la Fédération de Russie en qualité de sujet ou si elle souhaitait que soient rétablis la Constitution de 1992 et le statut de la Crimée au sein de l’Ukraine. Le résultat annoncé en République autonome de Crimée indiquait 96,77 % de votes en faveur de l’intégration de la région dans la Fédération de Russie, avec un taux de participation de 83,1 %.

7

Le 17 mars 2014, le Conseil a adopté d’autres conclusions concernant l’Ukraine. Le Conseil a fermement condamné la tenue, le 16 mars 2014, en Crimée, du référendum sur le rattachement à la Fédération de Russie, réalisé selon lui en violation manifeste de la Constitution ukrainienne. Le Conseil a demandé instamment à la Fédération de Russie de prendre des mesures pour apaiser la crise, de ramener immédiatement ses forces aux effectifs et aux bases d’avant la crise, conformément à ses engagements internationaux, d’entamer des discussions directes avec le gouvernement ukrainien et de faire usage de tous les mécanismes internationaux pertinents pour trouver une solution pacifique et négociée, dans le plein respect de ses engagements bilatéraux et multilatéraux de garantir la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine. À cet égard, le Conseil a déploré que le Conseil de sécurité des Nations unies n’ait pas été en mesure d’adopter une résolution, en raison d’un veto opposé par la Fédération de Russie. En outre, il a exhorté la Fédération de Russie à ne rien entreprendre pour annexer la Crimée en violation du droit international.

8

Le même jour, le Conseil a adopté, sur la base de l’article 29 TUE, la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16) ainsi que, sur la base de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6), par lesquels il a imposé des restrictions en matière de déplacements ainsi qu’un gel des avoirs visant les personnes responsables d’actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ainsi que les personnes et les entités qui leur étaient associées.

9

Le 17 mars 2014, la Fédération de Russie a reconnu officiellement les résultats du référendum tenu en Crimée le 16 mars 2014. À la suite de ce référendum, le Conseil suprême de Crimée et le conseil municipal de Sébastopol ont proclamé l’indépendance de la Crimée par rapport à l’Ukraine et ont demandé le rattachement à la Fédération de Russie. Le même jour, le président russe a signé un décret reconnaissant la République de Crimée en tant qu’État souverain et indépendant.

10

Le 21 mars 2014, le Conseil européen a rappelé la déclaration des chefs d’État ou de gouvernement de l’Union du 6 mars 2014 et a demandé à la Commission européenne et aux États membres de réfléchir à d’éventuelles autres mesures ciblées.

11

Le 23 juin 2014, le Conseil a décidé que l’importation dans l’Union de marchandises originaires de Crimée ou de Sébastopol devait être interdite, à l’exception des marchandises originaires de Crimée ou de Sébastopol pour lesquelles le gouvernement ukrainien avait délivré un certificat d’origine.

12

À la suite de l’accident du 17 juillet 2014 ayant entraîné la destruction, à Donetsk (Ukraine), de l’avion de la Malaysia Airlines affrété pour le vol MH17, le Conseil a demandé à la Commission et au Service européen pour l’action extérieure (SEAE) de finaliser leurs travaux préparatoires sur d’éventuelles mesures ciblées et de présenter, le 24 juillet suivant au plus tard, des propositions de mesures, y compris en ce qui concerne l’accès aux marchés des capitaux, la défense, les biens à double usage et les technologies sensibles, notamment dans le secteur énergétique.

13

Le 31 juillet 2014, eu égard à la gravité de la situation en Ukraine malgré l’adoption, au mois de mars 2014, de restrictions en matière de déplacements ainsi que d’un gel des avoirs visant certaines personnes physiques et morales, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/512/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 13), afin d’introduire des mesures restrictives ciblées dans les domaines de l’accès aux marchés des capitaux, de la défense, des biens à double usage et des technologies sensibles, notamment dans le secteur énergétique.

14

Estimant que ces dernières mesures relevaient du champ d’application du traité FUE et que leur mise en œuvre nécessitait une action réglementaire à l’échelle de l’Union, le Conseil a adopté à la même date, sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, le règlement (UE) no 833/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 1), qui contient des dispositions plus détaillées pour donner effet, tant au niveau de l’Union que dans les États membres, aux prescriptions de la décision 2014/512.

15

L’objectif déclaré de ces mesures restrictives était d’accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et de promouvoir un règlement pacifique de la crise. À cette fin, la décision 2014/512 a établi, en particulier, des interdictions d’exportation de certains produits et de technologies sensibles destinés au secteur pétrolier en Russie ainsi que des restrictions à l’accès au marché des capitaux de l’Union à certains opérateurs de ce secteur.

16

Par la suite, le Conseil a adopté, le 8 septembre 2014, la décision 2014/659/PESC modifiant la décision 2014/512 (JO 2014, L 271, p. 54) et le règlement (UE) no 960/2014 modifiant le règlement no 833/2014 (JO 2014, L 271, p. 3) afin d’étendre l’interdiction portant sur certains instruments financiers qui avait été décidée le 31 juillet 2014 et d’imposer des restrictions supplémentaires relatives à l’accès au marché des capitaux.

17

L’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/512, telle que modifiée par la décision 2014/659, est rédigé en ces termes :

« 1.   Sont interdits l’achat direct ou indirect ou la vente directe ou indirecte, la fourniture directe ou indirecte de services d’investissement ou l’aide à l’émission ou toute autre opération portant sur des obligations, actions ou instruments financiers similaires dont l’échéance est supérieure à 90 jours s’ils ont été émis après le 1er août 2014 et jusqu’au 12 septembre 2014, ou dont l’échéance est supérieure à 30 jours, s’ils ont été émis après le 12 septembre 2014 par :

a)

les principaux établissements de crédit ou institutions financières de développement établis en Russie, détenus ou contrôlés à plus de 50 % par l’État à la date du 1er août 2014, dont la liste figure à l’annexe I ;

b)

toute personne morale, toute entité ou tout organisme établi en dehors de l’Union qui est détenu à plus de 50 % par une entité figurant à l’annexe I ; ou

c)

toute personne morale, toute entité ou tout organisme agissant pour le compte ou sur les instructions d’une entité de la catégorie visée [sous b] du présent paragraphe ou figurant à l’annexe I. »

18

Le nom de Sberbank figure au point 1, de l’annexe I, de la décision 2014/512 telle que modifiée par la décision 2014/659.

19

L’article 5, paragraphes 1 et 3, du règlement no 833/2014, tel que modifié par le règlement no 960/2014, se lit comme suit :

« 1.   Sont interdites les opérations, directes ou indirectes, d’achat, de vente, de prestation de services d’investissement ou d’aide à l’émission de valeurs mobilières et d’instruments du marché monétaire dont l’échéance est supérieure à 90 jours, émis après le 1er août 2014 jusqu’au 12 septembre 2014, ou dont l’échéance est supérieure à 30 jours, émis après le 12 septembre 2014, ou toute autre transaction portant sur ceux-ci, par :

a)

un établissement de crédit principal ou tout autre établissement principal ayant un mandat explicite pour promouvoir la compétitivité de l’économie russe et sa diversification et favoriser les investissements, établi en Russie et détenu ou contrôlé à plus de 50 % par l’État à la date du 1er août 2014, figurant à l’annexe III ; ou

b)

une personne morale, une entité ou un organisme établi en dehors de l’Union, dont plus de 50 % des droits de propriété sont détenus, directement ou indirectement, par une entité figurant à l’annexe III ; ou

c)

une personne morale, une entité ou un organisme agissant pour le compte ou selon les instructions d’une entité visée [sous b] du présent paragraphe ou figurant sur la liste de l’annexe III.

[…]

3.   Il est interdit de conclure un accord ou d’en faire partie, directement ou indirectement, en vue d’accorder de nouveaux prêts ou crédits dont l’échéance est supérieure à 30 jours à toute personne morale, toute entité ou tout organisme visé au paragraphe 1 ou 2, après le 12 septembre 2014, à l’exception des prêts ou des crédits ayant pour objectif spécifique et justifié de fournir un financement pour des importations ou des exportations non soumises à interdiction de biens et de services non financiers entre l’Union et la Russie ou des prêts ayant pour objectif spécifique et justifié de fournir un financement d’urgence visant à répondre à des critères de solvabilité et de liquidité à des personnes morales établies dans l’Union, dont les droits de propriété sont détenus à plus de 50 % par une entité visée à l’annexe III. »

20

Le nom de Sberbank figure à l’annexe III du règlement no 833/2014.

21

Le 4 décembre 2014, le Conseil a adopté la décision 2014/872/PESC modifiant la décision 2014/512 et la décision 2014/659 (JO 2014, L 349, p. 58) ainsi que le règlement (UE) no 1290/2014 modifiant le règlement no 833/2014 et le règlement no 960/2014 (JO 2014, L 349, p. 20).

22

À la suite de l’adoption du règlement no 1290/2014, l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 833/2014 a été modifié dans les termes suivants :

« 3.   Il est interdit de conclure un accord ou d’en faire partie, directement ou indirectement, en vue d’accorder de nouveaux prêts ou crédits dont l’échéance est supérieure à 30 jours à toute personne morale, toute entité ou tout organisme visé au paragraphe 1 ou 2, après le 12 septembre 2014.

L’interdiction ne s’applique pas :

a)

aux prêts ou aux crédits ayant pour objectif spécifique et justifié de fournir un financement pour des importations ou des exportations non soumises à interdiction de biens et de services non financiers entre l’Union et un État tiers, y compris aux dépenses consenties par un autre État tiers pour des biens et services qui sont nécessaires à l’exécution des contrats d’exportation ou d’importation ; ni

b)

aux prêts ayant pour objectif spécifique et justifié de fournir un financement d’urgence visant à répondre à des critères de solvabilité et de liquidité à des personnes morales établies dans l’Union, dont les droits de propriété sont détenus à plus de 50 % par une entité visée à l’annexe III. »

23

Le 21 décembre 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/2431 modifiant la décision 2014/512 (JO 2015, L 334, p. 22). Le 1er juillet 2016, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2016/1071 modifiant la décision 2014/512 (JO 2016, L 178, p. 21). Enfin, le 19 décembre 2016, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2016/2315 modifiant la décision 2014/512 (JO 2016, L 345, p. 65).

Procédure et conclusions des parties

24

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 décembre 2014, la requérante a introduit le présent recours.

Intervention

25

Par acte déposé au greffe du Tribunal le 14 avril 2015, la Commission a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions du Conseil.

26

Par ordonnance du 30 juin 2015, le président de la neuvième chambre du Tribunal a décidé de faire droit à cette demande.

27

Le 24 août 2015, la Commission a produit un mémoire en intervention.

28

La requérante et le Conseil ont formulé des observations sur ce mémoire dans le délai imparti à cet effet, respectivement le 9 octobre et le 1er septembre 2015.

Suspension de la procédure

29

Le 12 mars 2015, le président de la neuvième chambre du Tribunal a décidé d’entendre les parties sur une éventuelle suspension de la procédure dans l’attente de la décision de la Cour mettant fin à l’instance dans l’affaire C‑72/15, Rosneft. Par lettre du greffe du Tribunal du 23 mars 2015, un délai a été fixé aux parties à cette fin.

30

Le Conseil et la requérante ont formulé des observations sur cette éventuelle suspension par actes déposés au greffe du Tribunal, respectivement le 27 mars et le 7 avril 2015.

31

Par décision du 29 octobre 2015, adoptée sur le fondement de l’article 69, sous a), du règlement de procédure du Tribunal, le président de la neuvième chambre du Tribunal a décidé de suspendre l’affaire au motif qu’il existait une coïncidence au moins partielle entre les dispositions dont la Cour était appelée à apprécier la portée et la validité dans l’affaire C‑72/15, Rosneft, et celles qui étaient pertinentes dans la présente affaire.

32

À la suite de l’arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, (C‑72/15, EU:C:2017:236), la suspension de la procédure a pris fin, conformément à l’article 71, paragraphe 3, du règlement de procédure.

33

Les parties principales ont été invitées, dans ce contexte, à présenter leurs observations sur les conséquences à tirer de l’arrêt du 28 mars 2017, Rosneft (C‑72/15, EU:C:2017:236), en ce qui concerne les moyens et les arguments soulevés dans le cadre du présent recours. Elles ont répondu à cette demande dans le délai imparti.

Adaptations de la requête

34

Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 16 février 2015, la requérante a adapté la requête afin de viser également l’annulation de la décision 2014/872 et du règlement no 1290/2014.

35

Le Conseil a formulé des observations sur ce mémoire par acte déposé au greffe du Tribunal le 24 février 2015.

36

Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 24 décembre 2015, la requérante a adapté sa requête afin de viser également l’annulation de la décision 2015/2431, en ce que celle-ci prolonge l’applicabilité des mesures restrictives prévues par la décision 2014/512.

37

Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 13 avril 2017, la requérante a adapté sa requête afin de viser également l’annulation de la décision 2016/1071 et de la décision 2016/2315, en ce que celles-ci prolongent l’applicabilité des mesures restrictives prévues par la décision 2014/512.

38

Le Conseil n’a pas formulé d’observations sur ces mémoires.

Modification de la composition des chambres

39

La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la sixième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée, conformément à l’article 27, paragraphe 5 du règlement de procédure.

Conclusions des parties

40

La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler la décision 2014/512 telle que prorogée ou modifiée par la décision 2014/659, la décision 2014/872, la décision 2015/2431, la décision 2016/1071 et la décision 2016/2315 (ci-après la « décision attaquée »), d’une part, et le règlement no 833/2014 tel que modifié par le règlement no 960/2014 et par le règlement no 1290/2014 (ci-après le « règlement attaqué »), d’autre part (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »), dans la mesure où ces actes la concernent et dans la mesure où ils ne peuvent pas être interprétés dans un sens qui l’exclut de leur champ d’application ;

condamner le Conseil aux dépens.

41

Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours comme échappant partiellement à sa compétence et comme irrecevable ou, en tout état de cause, comme non fondé ;

condamner la requérante aux dépens.

Dans sa réponse écrite à la question du Tribunal faisant suite à l’arrêt du 28 mars 2017, Rosneft (C 72/15, EU:C:2017:236), le Conseil a précisé qu’il ne remettait plus en cause la compétence du Tribunal pour contrôler la légalité de la décision attaquée, dans la mesure où celle-ci comporte des mesures restrictives au sens de l’article 275, second alinéa, TFUE, ce qui a été confirmé lors de l’audience.

42

La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours.

En droit

43

À l’appui de son recours, la requérante invoque quatre moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’obligation de motivation prévue à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, incombant au Conseil, le deuxième, d’une violation des droits de la défense et le droit à un contrôle juridictionnel effectif, le troisième, de la violation de l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, signé le 12 septembre 1963 (ci-après « l’accord d’Ankara »), ainsi que du protocole additionnel et du protocole financier, signés le 23 novembre 1970 (ci-après, pris ensemble, « les accords d’Ankara ») et, le quatrième, d’une violation injustifiée des droits fondamentaux et des principes de non-discrimination et de proportionnalité. La requérante invoque, en outre, une exception d’illégalité fondée sur l’article 277 TFUE en ce qui concerne l’article 1er de la décision attaquée et l’article 1, paragraphe 5, du règlement no 960/2014.

44

Il convient, à titre liminaire, d’examiner la recevabilité du recours.

Sur la recevabilité

45

Le Conseil fait valoir que la demande de la requérante visant à obtenir l’annulation des actes attaqués doit être rejetée au motif qu’elle ne satisfait pas aux conditions de recevabilité prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

46

Premièrement, le Conseil considère que la requérante n’est pas « directement concernée » par les mesures prévues à l’article 1er, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision attaquée et à l’article 5, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement attaqué (ci-après, pris ensemble, les « dispositions pertinentes des actes attaqués »), au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Il soutient, à cet égard, que le fait que la requérante relève du champ d’application de ces mesures ne signifie pas qu’elle est directement visée par ces mesures. L’article 5, paragraphe 1, du règlement attaqué n’interdirait pas l’émission d’instruments financiers par les entités visées, mais l’achat ou la vente de services d’investissement ou d’aide à l’émission des instruments financiers concernés par les personnes physiques ou morales relevant de la compétence de l’Union. La requérante serait une entité qui peut émettre des instruments financiers, mais elle n’aurait pas démontré qu’elle est active sur le marché des services lié à l’interdiction de l’émission des instruments financiers en question, tout comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 6 septembre 2011, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (T‑18/10, EU:T:2011:419).

47

Deuxièmement, le Conseil fait valoir, à titre subsidiaire, que la requérante n’est pas non plus individuellement concernée par les dispositions pertinentes des actes attaqués. En effet, elle ne serait pas nommément désignée dans les annexes de ces actes. En outre, le fait que les entités auxquelles les mesures sont applicables soient identifiables ne serait pas déterminant. Par ailleurs, le fait qu’une mesure de portée générale soit applicable à un petit nombre d’entités ou que certains opérateurs soient plus touchés que leurs concurrents ne suffirait pas pour démontrer que les entités en question sont individuellement concernées par la mesure.

48

La requérante conteste ces arguments.

49

Il convient de rappeler, à cet égard, que, selon l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution. La deuxième branche de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE précise ainsi que, si la personne physique ou morale introduisant le recours en annulation n’est pas le destinataire de l’acte attaqué, la recevabilité du recours est soumise à la condition que la partie requérante soit directement et individuellement concernée par celui-ci. Le traité de Lisbonne a en outre ajouté à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE une troisième branche qui a assoupli les conditions de recevabilité des recours en annulation introduits par des personnes physiques et morales. En effet, cette branche, sans soumettre la recevabilité des recours en annulation introduits par les personnes physiques et morales à la condition relative à l’affectation individuelle, ouvre cette voie de recours à l’égard des « actes réglementaires » ne comportant pas de mesures d’exécution et concernant une partie requérante directement (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, points 56 et 57).

50

Premièrement, s’agissant de la condition relative à l’affectation directe de la requérante, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée, telle que prévue à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, requiert que la mesure de l’Union contestée produise directement des effets sur la situation juridique du particulier et ne laisse aucun pouvoir d’appréciation à ses destinataires qui sont chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2008, Commission/Infront WM, C‑125/06 P, EU:C:2008:159, point 47 et jurisprudence citée).

51

En l’espèce, l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la décision attaquée et l’article 5, paragraphe 1, sous a), du règlement attaqué interdisent à tous les opérateurs de l’Union d’effectuer certains types d’opérations financières avec des établissements de crédit établis en Russie, qui remplissent les conditions fixées auxdits articles et dont le nom figure à l’annexe I de la décision attaquée ou à l’annexe III du règlement attaqué. L’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la décision attaquée et l’article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement attaqué interdisent auxdits opérateurs d’effectuer ces opérations avec toute personne morale, toute entité ou tout organisme établi en dehors de l’Union qui est détenu à plus de 50 % par une entité dont le nom figure aux annexes correspondantes des actes attaqués.

52

Il convient de constater, dès lors, que la requérante est directement concernée par les dispositions pertinentes des actes attaqués. En effet, les mesures restrictives en cause s’appliquent directement à son égard, en conséquence immédiate du fait que son capital est détenu à plus de 50 % par Sberbank, dont le nom figure en annexe à ces actes, sans laisser aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de leur mise en œuvre. Il importe peu, à cet égard, que lesdites dispositions n’interdisent pas à la requérante d’effectuer les opérations visées en dehors de l’Union. En effet, il est constant que les dispositions pertinentes des actes attaqués imposent des restrictions à l’accès au marché des capitaux de l’Union à la requérante.

53

De même, il convient de rejeter l’argumentation du Conseil selon laquelle la requérante ne serait pas directement affectée dans sa situation juridique, étant donné que les mesures instaurées par les actes attaqués s’appliquent uniquement aux organismes établis dans l’Union. S’il est vrai que les actes attaqués énoncent des interdictions qui s’appliquent en premier lieu aux établissements de crédit et autres organismes financiers établis dans l’Union, ces interdictions ont pour objectif et pour effet d’affecter directement les entités, telles que la requérante, qui se voient limitées dans leur activité économique du fait de l’application de ces mesures à leur égard. Il va de soi qu’il appartient aux organismes établis dans l’Union d’appliquer lesdites mesures, étant donné que les actes adoptés par les institutions de l’Union n’ont, en principe, pas vocation à s’appliquer en dehors du territoire de l’Union. Cela ne signifie pas pour autant que les entités affectées par les actes attaqués ne sont pas directement concernées par les mesures restrictives appliquées à leur égard. En effet, le fait d’interdire aux opérateurs de l’Union d’effectuer certains types d’opérations avec des entités établies en dehors de l’Union équivaut à interdire à ces entités d’effectuer les opérations en cause avec des opérateurs de l’Union. En outre, accueillir la thèse du Conseil à cet égard reviendrait à considérer que, même dans les cas de gel de fonds individuels, les personnes listées auxquelles s’appliquent les mesures restrictives ne sont pas directement concernées par de telles mesures, étant donné qu’il appartient en première ligne aux États membres de l’Union et aux personnes physiques ou morales relevant de leur compétence de les appliquer.

54

Par ailleurs, c’est en vain que le Conseil se fonde, à cet égard, sur l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 6 septembre 2011, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (T‑18/10, EU:T:2011:419). En effet, dans cette affaire, le Tribunal a considéré que le règlement (CE) no 1007/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, sur le commerce des produits dérivés du phoque (JO 2009, L 286, p. 36) affectait uniquement la situation juridique des parties requérantes qui étaient actives dans la mise sur le marché de l’Union des produits dérivés du phoque et qui étaient concernées par l’interdiction générale de mise sur le marché de ces produits, à la différence des parties requérantes dont l’activité n’était pas la mise sur le marché de ces produits ou de celles qui relevaient de l’exception prévue par le règlement no 1007/2009, puisque, en principe, la mise sur le marché de l’Union des produits dérivés du phoque provenant de formes de chasse traditionnellement pratiquées par les communautés inuit et par d’autres communautés indigènes à des fins de subsistance restait autorisée (voir, en ce sens, ordonnance du 6 septembre 2011, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, T‑18/10, EU:T:2011:419, point 79). En l’espèce, en revanche, force est de constater que la requérante est active sur le marché des services financiers visés par les dispositions pertinentes des actes attaqués, et non sur un quelconque marché en amont ou en aval de ces services, comme le fait valoir le Conseil. En effet, c’est en raison des actes attaqués que la requérante s’est vue dans l’impossibilité d’effectuer certaines transactions financières prohibées avec des organismes établis dans l’Union, alors qu’elle aurait été en droit d’effectuer de telles transactions en l’absence de ces actes.

55

Il y a lieu de conclure, dès lors, que la requérante est directement concernée par les dispositions pertinentes des actes attaqués, en tant qu’elles la concernent.

56

Deuxièmement, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les actes attaqués comportent ou non des mesures d’exécution, il convient de relever que la condition relative à l’affectation individuelle, prévue par le deuxième cas de figure de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, est également remplie en l’espèce.

57

En effet, il convient de rappeler à cet égard que toute inscription sur une liste de personnes ou d’entités visées par des mesures restrictives ouvre à cette personne ou à cette entité, en ce qu’elle s’apparente à son égard à une décision individuelle, l’accès au juge de l’Union, en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, auquel renvoie l’article 275, second alinéa, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 50 ; du 1er mars 2016, National Iranian Oil Company/Conseil, C‑440/14 P, EU:C:2016:128, point 44, et du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 103 et jurisprudence citée).

58

Or, en l’espèce, dès lors que la requérante est détenue à plus de 50 % par Sberbank, dont le nom figure sur les listes de l’annexe I de la décision attaquée et de l’annexe III du règlement attaqué, elle fait partie des entités auxquelles les mesures restrictives prévues aux dispositions pertinentes des actes attaqués s’appliquent.

59

Par ailleurs, il convient de rappeler que, lorsqu’un acte affecte un groupe de personnes identifiées ou identifiables au moment où cet acte a été pris et en fonction de critères propres aux membres du groupe, ces personnes peuvent être individuellement concernées par cet acte en tant qu’elles font partie d’un cercle restreint d’opérateurs économiques (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2008, Commission/Infront WM, C‑125/06 P, EU:C:2008:159, point 71 et jurisprudence citée).

60

Or, en l’espèce, la requérante fait partie d’un cercle restreint d’opérateurs dont les droits ont été affectés par l’adoption des actes attaqués, dès lors que les restrictions à l’accès au marché des capitaux de l’Union s’appliquent à elle en raison du fait qu’elle est une personne morale, une entité ou un organisme établi en dehors de l’Union, qui est détenu à plus de 50 % par une entité figurant à l’annexe I de la décision attaquée ou à l’annexe III du règlement attaqué.

61

Partant, il y a lieu de conclure que la requérante est recevable à demander l’annulation des mesures restrictives instaurées par les dispositions pertinentes des actes attaqués en tant qu’elles la concernent.

Sur le fond

62

S’agissant des moyens d’annulation, le Tribunal estime opportun d’examiner, tout d’abord, le premier moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation, ensuite, le deuxième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense et du droit à un contrôle juridictionnel effectif, puis le quatrième moyen, tiré d’une violation injustifiée des droits fondamentaux de la requérante et des principes de non-discrimination et de proportionnalité et, enfin, le troisième moyen, tiré de la violation des accords d’Ankara.

Sur le premier moyen, tiré, en substance, d’une violation de l’obligation de motivation prévue à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE

63

Dans le cadre de son premier moyen, la requérante fait valoir que le Conseil n’a pas fourni une motivation appropriée ou suffisante pour l’inclure dans le champ d’application des actes attaqués, en violation de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE.

64

La requérante soutient ne pas avoir reçu de lettre ni de notification du Conseil pour l’informer de son inclusion dans le champ d’application des actes attaqués, encore moins l’informant des motifs pour lesquels le Conseil souhaitait l’inclure dans le champ d’application de ces actes, accompagnés de preuves les étayant. À cet égard, la requérante estime qu’il est sans incidence que les dispositions pertinentes des actes attaqués ne puissent pas être qualifiées de mesures de gel des avoirs, puisque ces dispositions représentent des mesures restrictives affectant négativement des personnes physiques ou morales ciblées individuellement. Le Conseil aurait donc été tenu de fournir à la requérante les motifs justifiant de l’inclure dans le champ d’application des actes attaqués et la publication des mesures en cause au Journal Officiel de l’Union européenne serait insuffisante.

65

Le Conseil estime, à titre principal, que les critères jurisprudentiels relatifs à l’obligation de motivation, auxquels se réfère la requérante, ne sont pas applicables en l’espèce. En effet, les mesures en cause ne s’apparenteraient pas à un gel des avoirs, mais à des mesures ou des actes de portée générale. Dans ce contexte, l’obligation de motivation serait remplie lorsque le préambule de l’acte indique, d’une part, la situation d’ensemble qui a conduit à son adoption et, d’autre part, les objectifs généraux qu’il se propose d’atteindre. Le Conseil fait valoir que le préambule du règlement attaqué répond à ces critères jurisprudentiels.

66

À titre subsidiaire, le Conseil affirme avoir respecté l’obligation de motivation, conformément à la jurisprudence citée par la requérante. Le Conseil soutient que les allégations formulées par la requérante tout au long de sa requête montrent qu’elle connaissait parfaitement le contexte dans lequel les mesures ont été adoptées ainsi que les raisons qui l’ont conduit à l’inclure dans le champ d’application des actes attaqués.

67

La Commission partage l’avis du Conseil selon lequel les actes attaqués satisfont à l’obligation de motivation. Elle soutient que les motifs ayant conduit à l’adoption des mesures restrictives à l’égard de la requérante sont détaillés aux considérants 1 à 12 de la décision attaquée. La Commission fait par ailleurs valoir que l’application des mesures restrictives à la requérante est justifiée par le fait que, par son statut et dans les faits, celle-ci répond aux critères énoncés dans les dispositions pertinentes des actes attaqués. Seul compterait le fait qu’elle remplisse ces conditions et il ne serait dès lors pas nécessaire de justifier individuellement l’inscription des entités visées dans les annexes des actes attaqués.

68

Aux termes de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, « [l]es actes juridiques sont motivés […] ».

69

Par ailleurs, en vertu de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), à laquelle l’article 6, paragraphe 1, TUE reconnaît la même valeur juridique que les traités, le droit à une bonne administration comprend notamment « l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions ».

70

Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296 TFUE et l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte doit être adaptée à la nature de l’acte attaqué et au contexte dans lequel celui-ci a été adopté. Elle doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre à l’intéressé de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce (voir arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 94 et jurisprudence citée).

71

Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE et de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Ainsi, d’une part, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard. D’autre part, le degré de précision de la motivation d’un acte doit être proportionné aux possibilités matérielles et aux conditions techniques ou de délai dans lesquelles celui-ci doit intervenir (voir arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 95 et jurisprudence citée).

72

En premier lieu, s’agissant de l’argumentation de la requérante selon laquelle les actes attaqués auraient dû faire l’objet d’une communication individuelle, il convient de relever qu’un tel grief relève davantage du moyen tiré d’une violation des droits de la défense et sera dès lors examiné dans ce cadre.

73

En second lieu, s’agissant, plus particulièrement, de l’étendue de l’obligation de motivation pesant sur le Conseil en l’espèce, il convient de rappeler que la requérante demande uniquement l’annulation des dispositions pertinentes des actes attaqués, en ce que celles-ci la concernent. À cet égard, il y a lieu de relever que l’objet des mesures restrictives résultant de ces dispositions est défini par référence à des entités spécifiques, étant donné qu’elles interdisent, notamment, l’exécution de diverses opérations financières à l’égard d’entités inscrites à l’annexe I de la décision attaquée et à l’annexe III du règlement attaqué, parmi lesquelles figure Sberbank, ainsi qu’à l’égard des personnes morales, des entités et des organismes qui sont détenus à plus de 50 % par une entité figurant dans ces annexes, ce qui est manifestement le cas de la requérante par rapport à Sberbank. Il s’agit donc, à l’égard de la requérante, de mesures restrictives individuelles (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, points 100 et 119).

74

La jurisprudence a précisé que la motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure restrictive individuelle ne devait pas seulement identifier la base juridique de cette mesure, mais également les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considérait, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé devait faire l’objet d’une telle mesure (voir, en ce sens, arrêt du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, point 38 et jurisprudence citée).

75

Partant, il y a lieu d’écarter l’argumentation du Conseil selon laquelle les critères jurisprudentiels relatifs à l’obligation de motivation d’actes imposant des mesures restrictives individuelles ne seraient pas applicables en l’espèce.

76

Il convient néanmoins, conformément à la jurisprudence énoncée au point 71 ci-dessus, de tenir compte du contexte dans lequel les mesures restrictives ont été adoptées ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée.

77

En l’espèce, premièrement, il convient de constater que les mesures restrictives découlant des dispositions pertinentes des actes attaqués s’inscrivent dans le contexte, connu de la requérante, de tension internationale ayant précédé l’adoption des actes attaqués, rappelé aux points 2 à 12 ci-dessus. Il ressort des considérants 1 à 8 de la décision attaquée et du considérant 2 du règlement attaqué que l’objectif déclaré des actes attaqués est d’accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et de promouvoir un règlement pacifique de la crise. Ces actes indiquent ainsi la situation d’ensemble qui a conduit à leur adoption et les objectifs généraux qu’ils se proposent d’atteindre (arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 123).

78

Deuxièmement, s’agissant plus particulièrement des dispositions pertinentes des actes attaqués, il convient de rappeler que celles-ci interdisent, pour les opérateurs de l’Union, l’achat, la vente ou la fourniture, directe ou indirecte, de services d’investissement ou l’aide à l’émission ou toute autre opération portant sur des obligations, actions ou instruments financiers similaires dont l’échéance est supérieure à 90 jours s’ils ont été émis après le 1er août 2014 et jusqu’au 12 septembre 2014, ou dont l’échéance est supérieure à 30 jours, s’ils ont été émis après le 12 septembre 2014, par des personnes morales remplissant les conditions établies à ces dispositions, parmi lesquelles figure celle d’être détenues ou contrôlées à plus de 50 % par l’État russe, et dont le nom figure dans l’annexe I de la décision attaquée et dans l’annexe III du règlement attaqué, ou par des personnes morales, des entités et des organismes qui sont détenus à plus de 50 % par une entité figurant à ces annexes (voir points 17 et 19 ci-dessus). Ces annexes, quant à elles, ne contiennent aucune motivation spécifique concernant chacune des entités listées.

79

Il y a lieu de considérer, cependant, que les « raisons spécifiques et concrètes » pour lesquelles le Conseil a estimé, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que la requérante devait faire l’objet des mesures en cause, au sens de la jurisprudence mentionnée au point 74 ci-dessus, correspondent en l’espèce aux critères qui sont fixés dans les dispositions pertinentes des actes attaqués.

80

En effet, c’est en raison de sa qualité d’entité détenue à plus de 50 % par une entité figurant dans les annexes des actes attaqués, en l’occurrence Sberbank, que la requérante s’est vu imposer des mesures restrictives en vertu de ces actes.

81

À cet égard, il y a lieu de relever que le fait d’avoir recours aux mêmes considérations pour adopter des mesures restrictives visant plusieurs personnes n’exclut pas que lesdites considérations donnent lieu à une motivation suffisamment spécifique pour chacune des personnes concernées (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 115).

82

Il ressort, par ailleurs, des éléments de preuve fournis par la requérante en annexe à la requête que celle-ci a parfaitement compris que c’est en sa qualité d’entité détenue à plus de 50 % par Sberbank qu’elle s’est vu imposer les mesures restrictives en cause.

83

Au vu de ces considérations, il y a lieu de conclure que le Conseil a suffisamment motivé les dispositions pertinentes des actes attaqués en ce que celles-ci s’appliquent à la requérante, de sorte que le premier moyen doit être rejeté comme non fondé.

Sur le deuxième moyen, tiré, en substance, d’une violation des droits de la défense et du droit à un contrôle juridictionnel effectif

84

Dans le cadre de son deuxième moyen, la requérante invoque une violation des droits de la défense, y compris le droit d’être entendu, et du droit à un contrôle juridictionnel effectif par le Tribunal, eu égard, d’une part, au fait qu’elle n’a pas reçu de notification individuelle des actes attaqués et, d’autre part, que le Conseil n’a présenté aucun élément de preuve pour étayer les motifs dont il disposait pour justifier les mesures restrictives à son égard et ne lui a pas permis de formuler des observations à ce sujet. Le Conseil aurait communiqué des documents relatifs à la décision d’inclusion de la requérante dans le champ d’application des actes attaqués qui n’apporteraient pas le moindre fondement factuel à l’égard de cette décision.

85

Le Conseil conteste les arguments de la requérante et estime que, étant donné que les dispositions pertinentes des actes attaqués ne constituent pas des mesures restrictives « ciblées » et ne concernent pas directement et individuellement la requérante, il n’était pas tenu d’informer individuellement celle-ci. La requérante n’aurait par ailleurs pas démontré en quoi l’absence de notification individuelle aurait porté atteinte à ses droits de la défense en l’espèce. De plus, elle aurait demandé à avoir accès aux documents la concernant le jour même de l’introduction de son recours, c’est-à-dire le 5 décembre 2014. Le Conseil aurait répondu à cette demande le 29 janvier 2015, soit un mois et demi après avoir reçu cette demande. Le Conseil estime dès lors pouvoir s’appuyer sur la jurisprudence du Tribunal admettant la possibilité de prendre en compte des documents communiqués à la partie requérante après l’introduction du recours.

86

Il convient de rappeler que le respect des droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective sont des droits fondamentaux, qui font partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, au regard desquels les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 24 mai 2016, Good Luck Shipping/Conseil, T‑423/13 et T‑64/14, EU:T:2016:308, points 47 et 48 et jurisprudence citée).

87

Le respect des droits de la défense, qui est expressément consacré à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, comporte au cours d’une procédure précédant l’adoption de mesures restrictives le droit d’être entendu et le droit d’accès au dossier dans le respect des intérêts légitimes de la confidentialité (voir, en ce sens, arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 60, et du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 139 et jurisprudence citée).

88

Le droit à une protection juridictionnelle effective, qui est affirmé à l’article 47 de la Charte, exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard soit par la lecture de la décision elle-même, soit par une communication de ces motifs faite sur sa demande, sans préjudice du pouvoir du juge compétent d’exiger de l’autorité en cause qu’elle les communique, afin de lui permettre de défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge compétent, ainsi que pour mettre ce dernier pleinement en mesure d’exercer le contrôle de la légalité de la décision en cause (voir arrêt du 24 mai 2016, Good Luck Shipping/Conseil, T‑423/13 et T‑64/14, EU:T:2016:308, point 50 et jurisprudence citée).

89

Lors de cette communication, l’autorité compétente de l’Union doit permettre à cette personne de faire connaître utilement son point de vue à l’égard des motifs retenus à son égard (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 112).

90

C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner les arguments de la requérante.

91

À titre liminaire, il convient de rejeter l’argument du Conseil selon lequel la jurisprudence en matière de mesures restrictives individuelles ne serait pas applicable en l’espèce, dès lors qu’il s’agirait de mesures de portée générale et non de mesures restrictives ciblées. En effet, la compétence du Tribunal en ce qui concerne la décision attaquée découle précisément du fait que le présent recours porte sur le contrôle de la légalité de mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales, au sens de l’article 275, second alinéa, TFUE, comme l’a jugé la Cour dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 28 mars 2017, Rosneft (C‑72/15, EU:C:2017:236).

92

En premier lieu, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel le Conseil aurait dû lui notifier individuellement les actes attaqués, dans la mesure où ces actes prévoient des mesures restrictives à son égard, il convient de noter que l’absence de communication individuelle des actes attaqués, si elle a une incidence sur le moment auquel le délai de recours a commencé à courir, ne justifie pas, à elle seule, l’annulation des actes en question. À cet égard, la requérante n’invoque aucun argument tendant à démontrer que, dans le cas d’espèce, l’absence de notification individuelle de ces actes a eu pour conséquence une atteinte à ses droits qui justifierait leur annulation pour autant qu’ils la concernent (voir, en ce sens, arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 122 et jurisprudence citée).

93

En deuxième lieu, s’agissant de la prétendue absence de communication, par le Conseil, des éléments de preuve étayant l’adoption des mesures restrictives à son égard, il convient d’examiner séparément les actes initiaux, par lesquels la requérante s’est vu imposer des mesures restrictives pour la première fois, du fait de l’inscription du nom de Sberbank sur les listes en annexe des actes attaqués (ci-après les « actes initiaux ») et les actes subséquents qui confirment ces mesures.

94

Premièrement, s’agissant des actes initiaux, il convient de rappeler que la jurisprudence a reconnu que, dans le cas d’une décision initiale de gel de fonds, le Conseil n’était pas tenu de communiquer au préalable à la personne ou à l’entité concernée les motifs sur lesquels cette institution entendait fonder l’inclusion du nom de cette personne ou de cette entité dans la liste pertinente. En effet, une telle mesure, afin de ne pas compromettre son efficacité, doit, par sa nature même, pouvoir bénéficier d’un effet de surprise et s’appliquer immédiatement. Dans un tel cas, il suffit, en principe, que l’institution procède à la communication des motifs à la personne ou à l’entité concernée et ouvre le droit à l’audition de celle-ci concomitamment avec ou immédiatement après l’adoption de la décision (arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 61).

95

Interrogé à ce sujet lors de l’audience, le Conseil a fait valoir que la jurisprudence citée au point 94 ci-dessus ne trouvait pas à s’appliquer en l’espèce, étant donné que les mesures restrictives en cause portaient sur des restrictions à l’accès au marché des capitaux de l’Union, de portée générale, et non sur des mesures de gel de fonds individuels au sens strict. À titre subsidiaire, le Conseil estime que, même si cette jurisprudence était applicable en l’espèce, il n’avait aucune obligation d’entendre la requérante préalablement à l’adoption des actes initiaux ni de lui communiquer les éléments retenus à son égard dès ce stade.

96

Une telle interprétation ne saurait être retenue.

97

En effet, il convient de rappeler que le droit fondamental au respect des droits de la défense au cours d’une procédure précédant l’adoption d’une mesure restrictive découle directement de l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte (voir point 87 ci-dessus et jurisprudence citée).

98

Dès lors, dans la mesure où les restrictions imposées à la requérante en vertu des dispositions pertinentes des actes attaqués constituent des mesures restrictives de portée individuelle à son égard (voir point 73 ci-dessus) et en l’absence de nécessité démontrée d’octroyer un effet de surprise à ces mesures afin de garantir leur efficacité, le Conseil aurait dû communiquer les motifs concernant l’application de ces mesures à l’égard de la requérante préalablement à l’adoption des actes attaqués.

99

Il convient de rappeler toutefois que, en l’espèce, les motifs retenus par le Conseil pour imposer des mesures restrictives à l’égard de la requérante, qui figurent dans les dispositions pertinentes des actes attaqués elles-mêmes, consistent dans le fait qu’elle est une personne morale, une entité ou un organisme établi en-dehors de l’Union, dont au moins 50 % des droits de propriété sont détenus par une entité figurant dans les annexes des actes attaqués.

100

Or, la requérante reste en défaut d’expliquer dans quelle mesure l’absence de communication préalable, par le Conseil, de certains éléments du dossier concernant ces motifs aurait affecté ses droits de la défense ou son droit à une protection juridictionnelle effective de façon à entraîner l’annulation des actes initiaux.

101

En effet, il y a lieu de rappeler que, pour qu’une violation des droits de la défense entraîne l’annulation d’un acte, il faut que, en l’absence de cette irrégularité, la procédure ait pu aboutir à un résultat différent (voir, en ce sens, arrêts du 18 septembre 2014, Georgias e.a./Conseil et Commission, T‑168/12, EU:T:2014:781, point 106 et jurisprudence citée, et du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 153).

102

En l’espèce, la requérante reste en défaut d’expliquer quels sont les arguments ou les éléments qu’elle aurait pu faire valoir si elle avait reçu les documents en cause plus tôt et elle n’a pas non plus démontré que ces arguments ou ces éléments auraient pu conduire à un résultat différent dans son cas. En effet, la requérante ne saurait valablement prétendre qu’elle ignorait, au moment de l’adoption des actes initiaux, qu’elle était détenue à plus de 50 % par Sberbank. Ainsi, le présent grief ne peut entraîner l’annulation des actes initiaux.

103

Deuxièmement, s’agissant des actes subséquents par lesquels les mesures restrictives ont été maintenues à l’égard de la requérante, la jurisprudence a précisé que, dans le cadre de l’adoption d’une décision maintenant le nom d’une personne ou d’une entité sur une liste de personnes ou d’entités visées par des mesures restrictives, le Conseil devait respecter le droit de cette personne ou de cette entité de se voir communiquer des éléments retenus à sa charge et le droit d’être entendue préalablement à l’adoption de cette décision lorsqu’il retenait à son égard de nouveaux éléments, à savoir des éléments qui ne figuraient pas dans la décision initiale d’inscription de son nom sur cette liste (voir, en ce sens, arrêts du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 63, et du 18 juin 2015, Ipatau/Conseil, C‑535/14 P, EU:C:2015:407, point 26 et jurisprudence citée).

104

Or, en l’espèce, les critères retenus pour l’imposition de mesures restrictives à l’égard de la requérante figurent depuis leur origine à l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la décision attaquée et à l’article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement attaqué. En effet, c’est en raison du fait qu’elle est détenue à plus de 50 % par Sberbank, qui est elle-même un établissement de crédit principal établi en Russie, détenu ou contrôlé à plus de 50 % par l’État à la date du 1er août 2014, et dont le nom est inscrit sur la liste de l’annexe I de la décision attaquée et sur la liste de l’annexe III du règlement attaqué, que la requérante est visée par les mesures restrictives en cause. Ces éléments étaient bien connus de la requérante et ne sauraient donc être considérés comme des éléments nouveaux au sens de la jurisprudence susmentionnée.

105

Il convient de rappeler enfin que, lorsque des informations suffisamment précises, permettant à la personne intéressée de faire connaître utilement son point de vue sur les éléments retenus à sa charge par le Conseil, ont été communiquées, le principe du respect des droits de la défense n’implique pas l’obligation pour cette institution de donner spontanément accès aux documents contenus dans son dossier. Ce n’est que sur demande de la partie intéressée que le Conseil est tenu de donner accès à tous les documents administratifs non confidentiels concernant la mesure en cause (voir arrêt du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, EU:T:2009:401, point 97 et jurisprudence citée).

106

En l’espèce, force est de constater que le Conseil a respecté cette obligation et a répondu à la demande d’information de la requérante du 5 décembre 2014 par lettre du 29 janvier 2015. Dans ce cadre, le Conseil a donné accès aux documents en sa possession relatifs à sa décision d’imposer des mesures restrictives à l’égard de la requérante.

107

Dès lors, il y a lieu de considérer que la communication de ces éléments a eu lieu dans un délai raisonnable et était suffisante pour permettre à la requérante de faire valoir ses droits de manière effective et de respecter ses droits de la défense.

108

Partant, il y a lieu de rejeter le troisième moyen dans son ensemble.

Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation des principes de non‑discrimination et de proportionnalité et d’une atteinte injustifiée et disproportionnée aux droits fondamentaux de la requérante

109

La requérante soutient qu’il incombe au Conseil d’établir que les actes attaqués sont des moyens non discriminatoires et proportionnés d’atteindre un objectif légitime. Par ailleurs, la requérante soutient que les mesures restrictives résultant des actes attaqués constituent une atteinte disproportionnée à ses droits fondamentaux, dès lors qu’elles l’empêchent d’exercer librement une activité économique, et sans que cette limitation de ses droits soit nécessaire ou appropriée pour atteindre les objectifs poursuivis par le Conseil.

110

Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste ces allégations.

111

Premièrement, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 16 de la Charte, « [l]a liberté d’entreprise est reconnue conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales ».

112

Deuxièmement, l’article 17, paragraphe 1, de la Charte prévoit ce qui suit :

« Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général. »

113

Il est certes vrai que des mesures restrictives comme celles en cause en l’espèce limitent incontestablement les droits dont la requérante bénéficie en vertu des articles 16 et 17 de la Charte (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 22 septembre 2016, NIOC e.a./Conseil, C‑595/15 P, non publié, EU:C:2016:721, point 50 et jurisprudence citée).

114

Toutefois, les droits fondamentaux invoqués par la requérante ne constituent pas des prérogatives absolues et peuvent, en conséquence, faire l’objet de limitations, dans les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte (voir, en ce sens, arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 121, et du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 195 et jurisprudence citée).

115

À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, d’une part, toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la Charte doit être « prévue par la loi » et « respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés » et, d’autre part, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont « nécessaires » et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

116

Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une limitation de l’exercice des droits fondamentaux en cause doit répondre à trois conditions. Premièrement, la limitation doit être prévue par la loi. En d’autres termes, la mesure dont il s’agit doit avoir une base légale. Deuxièmement, la limitation doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Troisièmement, la limitation ne doit pas être excessive. D’une part, elle doit être nécessaire et proportionnelle au but recherché. D’autre part, le « contenu essentiel », c’est-à-dire la substance du droit ou de la liberté en cause ne doit pas être atteint (voir arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, points 170 à 173 et jurisprudence citée).

117

Or, force est de constater que ces trois conditions sont remplies en l’espèce.

118

En premier lieu, les mesures restrictives en cause sont « prévues par la loi », puisqu’elles sont énoncées dans des actes ayant notamment une portée générale et disposant d’une base juridique claire en droit de l’Union ainsi que d’une motivation suffisante (voir points 78 à 93 ci-dessus).

119

En deuxième lieu, il ressort des considérants 1 à 8 de la décision attaquée et du considérant 2 du règlement attaqué que l’objectif déclaré de ces actes est d’accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et de promouvoir un règlement pacifique de la crise. Un tel objectif cadre avec celui consistant à préserver la paix et la sécurité internationale, conformément aux objectifs de l’action extérieure de l’Union énoncés à l’article 21 TUE (arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 115).

120

En troisième lieu, s’agissant du principe de proportionnalité, il doit être rappelé que celui-ci, en tant que principe général du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Ainsi, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 178 et jurisprudence citée).

121

La jurisprudence précise à cet égard que, s’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lesquels celui-ci est appelé à effectuer des appréciations complexes. Dès lors, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée dans ces domaines, au regard de l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 146 et jurisprudence citée).

122

Premièrement, la requérante estime que les mesures restrictives qui lui ont été imposées en vertu des actes attaqués ne permettent pas d’atteindre l’objectif poursuivi par ces actes, qui est d’exercer des pressions sur le gouvernement russe en restreignant l’accès aux marchés des capitaux des banques publiques russes identifiées par le Conseil, puisqu’elle n’a pas le moindre rôle dans les actions de la Fédération de Russie déstabilisant la situation en Ukraine.

123

Cependant, la circonstance que la requérante n’aurait pas eu le moindre rôle dans les actions de la Fédération de Russie déstabilisant la situation en Ukraine est sans pertinence, puisqu’elle ne s’est pas vu imposer des mesures restrictives pour cette raison, mais en raison du fait qu’elle est détenue à plus de 50 % par Sberbank, qui est elle-même une banque publique russe dont le nom figure en annexe aux actes attaqués.

124

En outre, il est certes vrai que les mesures restrictives comportent, par définition, des effets qui affectent les droits de propriété et le libre exercice des activités professionnelles, causant ainsi des préjudices à des parties qui n’ont aucune responsabilité quant à la situation ayant conduit à l’adoption des sanctions. Tel est a fortiori l’effet des mesures restrictives ciblées pour les entités visées par celles-ci (voir arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 149 et jurisprudence citée).

125

Toutefois, il y a lieu de relever que l’importance des objectifs poursuivis par les actes attaqués, à savoir la protection de l’intégrité territoriale, de la souveraineté et de l’indépendance de l’Ukraine ainsi que la promotion d’un règlement pacifique de la crise dans ce pays, qui s’inscrivent dans l’objectif plus large du maintien de la paix et de la sécurité internationale, conformément aux objectifs de l’action extérieure de l’Union énoncés à l’article 21 TUE, est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs qui n’ont aucune responsabilité quant à la situation ayant conduit à l’adoption des sanctions (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, points 149 et 150 et jurisprudence citée).

126

Deuxièmement, contrairement à ce que soutient la requérante, il existe un rapport raisonnable entre les mesures restrictives en cause et l’objectif poursuivi par le Conseil en adoptant celles-ci. En effet, dans la mesure où cet objectif est, notamment, d’accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, l’approche consistant à cibler des banques publiques russes répond, de manière cohérente, audit objectif et ne saurait, en tout état de cause, être considéré comme étant manifestement inapproprié au regard de l’objectif poursuivi (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 147).

127

En effet, le Conseil pouvait légitimement estimer que, afin d’atteindre cet objectif, il convenait de cibler non seulement les principaux établissements de crédit ou institutions financières de développement établis en Russie, détenus ou contrôlés à plus de 50 % par l’État à la date du 1er août 2014, et dont le nom était inscrit sur la liste de l’annexe I [article 1er, paragraphe 1, sous a), de la décision attaquée], mais aussi toute personne morale, entité ou organisme établi en dehors de l’Union détenu à plus de 50 % par une entité figurant à l’annexe I [article 1er, paragraphe 1, sous b), de la décision attaquée] ou toute personne morale, entité ou organisme agissant pour le compte ou sur les instructions d’une entité visée à l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la décision attaquée, ou figurant à l’annexe I [article 1er, paragraphe 1, sous c), de la décision attaquée]. Si les entités telles que la requérante n’étaient pas incluses dans le champ d’application des mesures prévues par les actes attaqués, les entités russes visées en annexe de ces actes pourraient aisément contourner les interdictions en les faisant exécuter par leurs filiales ou par des entités agissant pour leur compte (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2012, Melli Bank/Conseil, C‑380/09 P, EU:C:2012:137, point 58).

128

Il importe peu, à cet égard, que la requérante ne puisse pas réaliser des transferts de fonds en faveur de Sberbank, étant donné qu’elle est sous la supervision de l’autorité de régulation bancaire turque. En effet, à supposer que ce soit le cas, il n’en reste pas moins que le Conseil pouvait légitimement estimer que le fait de restreindre l’accès au marché des capitaux de l’Union à Sberbank et aux entités qu’elle détient à plus de 50 %, telles que la requérante, était susceptible de contribuer à atteindre l’objectif des actes attaqués, consistant à accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et à promouvoir un règlement pacifique de la crise. En effet, en cas de difficultés financières encourues par la requérante du fait des mesures restrictives en cause, il incomberait aux actionnaires de celle-ci et, in fine, à l’État russe, de la renflouer, ce qui serait conforme audit objectif.

129

Troisièmement, il convient de relever que les mesures adoptées par le Conseil en l’espèce consistent en des sanctions économiques ciblées, qui ne sauraient être considérées comme une interruption totale des relations économiques et financières avec un pays tiers, alors même que le Conseil dispose d’un tel pouvoir en vertu de l’article 215 TFUE.

130

Dans ces conditions, et eu égard, notamment, à l’évolution progressive de l’intensité des mesures restrictives adoptées par le Conseil en réaction à la crise en Ukraine, l’ingérence dans la liberté d’entreprise et le droit de propriété de la requérante ne saurait être considérée comme disproportionnée (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 150).

131

Aucun des autres arguments de la requérante n’est de nature à remettre en cause cette conclusion.

132

Premièrement, la requérante fait valoir qu’elle n’a pas été en mesure de bénéficier de l’exception prévue à l’article 5, paragraphe 3, du règlement attaqué, étant donné que celle-ci s’appliquerait uniquement aux importations ou exportations entre l’Union et la Russie. Cela démontrerait qu’elle n’aurait pas dû être incluse dans le champ d’application des mesures restrictives et que ces mesures la discriminent par rapport à Sberbank et sont disproportionnées.

133

À cet égard, il est vrai que l’exception prévue à l’article 5, paragraphe 3, sous a), du règlement no 833/2014 s’appliquait, dans sa version résultant du règlement no 960/2014 (voir point 19 ci-dessus), uniquement aux prêts ou aux crédits ayant pour objectif spécifique et justifié de fournir un financement pour des importations ou des exportations non soumises à interdiction de biens et de services non financiers entre l’Union et la Russie, et non entre l’Union et d’autres pays tiers tels que la République de Turquie. Cependant, il convient de relever que cette disposition est restée en vigueur, dans sa version initiale, du 8 septembre au 6 décembre 2014 uniquement, date d’entrée en vigueur du règlement no 1290/2014. En effet, par ce dernier règlement, le Conseil a décidé qu’il convenait de modifier le texte de cette disposition afin d’en élargir le champ d’application et d’y inclure également les prêts ou les crédits ayant pour objectif spécifique et justifié de fournir un financement pour des importations ou des exportations non soumises à interdiction de biens et de services non financiers entre l’Union et un État tiers. Or, à supposer que cette disposition ait pu être, dans sa version résultant du règlement no 960/2014, discriminatoire ou disproportionnée, la requérante n’explique pas en quoi son application pendant moins de trois mois serait susceptible de conduire à l’annulation des dispositions pertinentes des actes attaqués, dans la mesure où ces dispositions sont conformes et proportionnées à leur objectif (voir points 121 à 130 ci-dessus). Un tel grief doit donc, en tout état de cause, être rejeté comme inopérant.

134

En outre, à supposer qu’un tel argument soit opérant, c’est à tort que la requérante estime que, même dans sa version modifiée découlant du règlement no 1290/2014 (voir point 22 ci-dessus), l’article 5, paragraphe 3, sous b), du règlement attaqué serait discriminatoire dans la mesure où il permettrait à une filiale de Sberbank établie dans l’Union de bénéficier d’un financement d’urgence tandis qu’une de ses filiales ne pourrait pas en bénéficier. En effet, il convient de relever qu’un tel argument repose sur une lecture hypothétique de cette disposition, en vertu de laquelle seules les entités de l’Union directement détenues par une entité visée dans les annexes des actes attaqués seraient visées, et non les entités détenues de façon indirecte. Or, il convient de rappeler que, lorsque plusieurs interprétations d’une même disposition sont possibles, il convient d’interpréter celle-ci, dans la mesure du possible, à la lumière de ses objectifs et en conformité avec le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 141, et du 13 juillet 2011, Schindler Holding e.a./Commission, T‑138/07, EU:T:2011:362, point 149 et jurisprudence citée).

135

Par ailleurs, dans la mesure où la requérante fait valoir qu’une telle limitation du champ d’application de cette exception signifie qu’elle ne devrait pas faire partie du champ d’application des dispositions pertinentes des actes attaqués, il convient de constater qu’une telle demande implique une constatation ou une déclaration de la part du Tribunal. Or, il convient de de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante que le Tribunal n’est pas compétent, dans le cadre du contrôle de légalité fondé sur l’article 263 TFUE, pour prononcer des arrêts déclaratoires (voir arrêt du 12 février 2015, Akhras/Conseil, T‑579/11, non publié, EU:T:2015:97, point 51 et jurisprudence citée).

136

Deuxièmement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel, quel que soit l’objectif légitime poursuivi par ces mesures, les graves effets négatifs subis par elle, ayant un effet préjudiciable sur sa position concurrentielle en Turquie, seraient en tout état de cause disproportionnés, il suffit de relever que le seul fait que les mesures restrictives en cause puissent avoir des effets négatifs pour la requérante, en particulier sur sa position concurrentielle en Turquie, ne saurait suffire pour démontrer leur caractère disproportionné (voir point 124 ci-dessus).

137

Troisièmement, la requérante estime qu’il n’était pas nécessaire d’imposer des mesures si préjudiciables, dans la mesure où toute entité agissant au nom ou selon les instructions de Sberbank était soumise à des restrictions en vertu de l’article 5, paragraphe 1, sous c), du règlement attaqué. Le seul fait que la requérante serait détenue à plus de 50 % par Sberbank ne saurait donc justifier l’imposition de mesures restrictives à son égard.

138

À cet égard, le fait que, en vertu de l’article 5, paragraphe 1, sous c), du règlement attaqué, toute entité agissant au nom ou selon les instructions de Sberbank est soumise à des restrictions ne suffit pas pour conclure que le Conseil ne pouvait pas prévoir également, à l’article 5, paragraphe 1, sous b), dudit règlement, que toute entité détenue à plus de 50 % par une des entités figurant à l’annexe III dudit règlement serait également visée par les mesures restrictives en cause. En effet, au regard de la large marge d’appréciation dont le Conseil dispose à cet égard, il n’était pas manifestement disproportionné de restreindre l’accès au marché des capitaux de l’Union à Sberbank et aux entités dont elle détient plus de 50 % des droits de propriété, au regard de l’objectif des actes attaqués (voir point 15 ci-dessus).

139

Quatrièmement, c’est à tort que la requérante estime que l’exception prévue à l’article 5, paragraphe 3, sous b), du règlement attaqué est discriminatoire par rapport aux entités établies dans l’Union. En effet, il convient de relever que la situation de la requérante n’est pas comparable à celle des entités ou organismes de l’Union. Ceux-ci relèvent directement du droit de l’Union et ont l’obligation de respecter et de mettre en œuvre les dispositions du règlement attaqué, qui est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre. Ils ne peuvent dès lors, notamment, prendre des mesures visant à contourner les interdictions énoncées par ces actes, conformément à l’article 12 du règlement attaqué, ce qui n’est pas le cas des entités, telles que la requérante, qui ne relèvent pas du droit de l’Union. En tout état de cause, à supposer qu’une violation du principe d’égalité de traitement puisse être établie, il convient de relever que le principe d’égalité de traitement doit se concilier avec le principe de légalité, selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui (voir arrêt du 16 octobre 2014, LTTE/Conseil, T‑208/11 et T‑508/11, EU:T:2014:885, point 71 et jurisprudence citée).

140

Cinquièmement, c’est à tort que la requérante fait valoir que le Conseil avait l’obligation de tenir compte de sa situation particulière, du fait qu’elle opère depuis la Turquie. En effet, dès lors qu’elle est une entité détenue à plus de 50 % par Sberbank, qui figure en annexe aux actes attaqués, c’est à bon droit que la requérante a été incluse dans le champ d’application des mesures restrictives en cause, conformément aux dispositions pertinentes des actes attaqués. Par ailleurs, la question de savoir si les dispositions des accords d’Ankara invoquées par la requérante sont susceptibles de remettre en cause la validité des actes attaqués sera examinée dans le cadre du troisième moyen.

141

Sixièmement, il ressort de l’examen des premier et deuxième moyens ci-dessus que le Conseil n’a pas violé son obligation de motivation ni les droits de la défense et le droit à un contrôle juridictionnel effectif de la requérante en imposant les mesures restrictives en cause. Il ne saurait, dès lors, être conclu à une atteinte disproportionnée aux droits de la requérante de ce fait.

142

S’agissant, enfin, du droit à la réputation de la requérante, il convient de relever qu’une atteinte à la réputation d’une personne visée par des mesures restrictives résultant des motifs justifiant ces mesures ne saurait, par elle-même, constituer une atteinte disproportionnée au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre de cette personne. Ainsi, faute de précisions sur le lien entre les atteintes à sa réputation alléguées par la partie requérante et les atteintes aux droits fondamentaux qui font l’objet du présent moyen, cet argument est inopérant. D’autre part, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, tout comme le droit de propriété et la liberté d’entreprise, le droit à la protection de sa réputation ne constitue pas une prérogative absolue et son exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union. Ainsi, l’importance des objectifs poursuivis par les mesures restrictives en cause est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour la réputation des personnes ou des entités concernées (voir arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, points 167 et 168 et jurisprudence citée).

143

Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen.

Sur le troisième moyen, tiré de la violation des accords d’Ankara

144

Par son troisième moyen, la requérante invoque une violation de l’article 19 de l’accord d’Ankara, de l’article 41, paragraphe 1, de l’article 50, paragraphe 3, et de l’article 58 de son protocole additionnel ainsi que de l’article 6 de son protocole financier. Ces dispositions auraient un effet direct dans la mesure où elles comporteraient des obligations suffisamment claires et précises qui ne seraient subordonnées, dans leur exécution ou dans leurs effets, à l’intervention d’aucun acte ultérieur.

145

Premièrement, la requérante estime que la libre prestation de services telle qu’énoncée à l’article 41, paragraphe 1, de l’accord d’Ankara, qui serait analogue à l’article 56 TFUE, est compromise lorsqu’une mesure est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice de cette liberté, ce qui serait clairement le cas en l’espèce. Deuxièmement, la requérante soutient que, dans le cas où il existerait une dérogation justifiant la restriction d’une liberté, celle-ci devrait être appliquée de manière non discriminatoire au sens de l’article 9 de l’accord d’Ankara et de l’article 58 de son protocole additionnel, qui interdisent toute discrimination en raison de la nationalité. Troisièmement, les mesures restrictives en cause violeraient les dispositions relatives à la libre circulation des capitaux au sens de l’article 50, paragraphe 3, du protocole additionnel de l’accord d’Ankara. Quatrièmement, ces mesures iraient à l’encontre de l’article 6, paragraphe 1, du protocole financier de l’accord d’Ankara en matière d’accès aux financements accordés par la Banque européenne d’investissement (BEI).

146

Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste ces arguments.

147

Il ressort de l’article 216, paragraphe 2, TFUE que les accords conclus par l’Union, tels que l’accord d’Ankara et ses protocoles additionnels, lient les institutions de l’Union et les États membres. Par conséquent, ces accords bénéficient de la primauté sur les actes de droit dérivé de l’Union. Il s’ensuit que la validité d’un acte de droit dérivé de l’Union peut être affectée du fait de l’incompatibilité de ce dernier avec de telles règles du droit international (voir, par analogie, arrêt du 3 juin 2008, Intertanko e.a., C‑308/06, EU:C:2008:312, points 42 et 43 et jurisprudence citée).

148

Dès lors, la validité des actes attaqués en l’espèce peut être appréciée au regard de l’accord d’Ankara et de ses protocoles additionnels, à condition cependant que, d’une part, la nature et l’économie de l’accord en cause ne s’y opposent pas et, d’autre part, que les dispositions invoquées apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises (voir, en ce sens, arrêts du 3 juin 2008, Intertanko e.a., C‑308/06, EU:C:2008:312, points 43 et 45, et du 4 février 2016, C & J Clark International et Puma, C‑659/13 et C‑34/14, EU:C:2016:74, point 84).

149

Or, en l’espèce, à supposer que l’économie de l’accord d’Ankara et de ses protocoles additionnels ne s’oppose pas à l’examen de la validité des actes attaqués au regard de ces accords et que l’ensemble des dispositions invoquées apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les arguments de la requérante doivent être écartés.

150

En effet, il est de jurisprudence constante que les accords internationaux conclus par l’Union en vertu des dispositions des traités constituent, en ce qui la concerne, des actes pris par les institutions de celle-ci (voir, en ce sens, arrêts du 16 juin 1998, Racke, C‑162/96, EU:C:1998:293, point 41, et du 25 février 2010, Brita, C‑386/08, EU:C:2010:91, point 39). À ce titre, de tels accords font, à compter de leur entrée en vigueur, partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 1974, Haegeman, 181/73, EU:C:1974:41, point 5). De ce fait, leurs dispositions doivent être pleinement compatibles avec les dispositions des traités et avec les principes constitutionnels qui en découlent (voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, point 285). Ainsi, la primauté des accords internationaux conclus par l’Union sur les actes de droit dérivé de l’Union ne s’étend pas au droit primaire de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, point 308).

151

Partant, même en l’absence de disposition expresse dans les accords d’Ankara permettant à une partie de prendre les mesures qu’elle estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité, le Conseil a la faculté de restreindre les droits qui découlent des accords d’Ankara en raison des pouvoirs que lui confèrent l’article 29 TUE et l’article 215 TFUE, à condition que de telles restrictions soient non discriminatoires et proportionnées, comme la requérante l’admet d’ailleurs elle-même.

152

À cet égard, premièrement, l’argument, fondé sur l’article 9 de l’accord d’Ankara et l’article 58 de son protocole additionnel, selon lequel les mesures en cause seraient discriminatoires ne saurait prospérer. En effet, la situation de la requérante, en tant qu’entité détenue à plus de 50 % par Sberbank, n’est pas comparable à celle d’autres banques opérant en Turquie qui ne sont pas détenues par une entité russe visée par les mesures restrictives en cause. Par ailleurs, la situation de la requérante ne saurait non plus être comparée à celle d’autres établissements financiers établis sur le territoire de l’Union (voir point 139 ci-dessus).

153

Deuxièmement, s’agissant des arguments de la requérante relatifs aux restrictions aux libertés d’établissement, de prestation de service et de circulation des capitaux, tirés de l’article 19 de l’accord d’Ankara et de l’article 41, paragraphe 1, et de l’article 50, paragraphe 3, de son protocole additionnel ainsi que de l’article 6, paragraphe 1, de son protocole financier, ceux-ci ne sauraient davantage prospérer.

154

Il y a lieu de vérifier, dans ce contexte, si le Conseil a agi dans le respect du principe de proportionnalité, tel que défini dans la jurisprudence (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 4 décembre 2015, Emadi/Conseil, T‑274/13, non publié, EU:T:2015:938, point 206).

155

Or, force est de constater que les restrictions invoquées en l’espèce, à les supposer établies, sont justifiées par les objectifs visés par les actes attaqués, adoptés sur la base de l’article 29 TUE et de l’article 215 TFUE, à savoir d’accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et de promouvoir un règlement pacifique de la crise. Un tel objectif cadre avec celui consistant à préserver la paix et la sécurité internationale, conformément aux objectifs de l’action extérieure de l’Union énoncés à l’article 21 TUE (arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 115).

156

En outre, il convient d’observer que les mesures restrictives en cause ne prévoient pas l’interruption, en tout ou en partie, des relations économiques et financières avec la République de Turquie, mais bien avec la Fédération de Russie, en tant qu’instrument légitime de politique étrangère, conformément aux objectifs de l’action extérieure de l’Union énoncés à l’article 21 TUE. En d’autres termes, les mesures restrictives en cause s’appliquent à la requérante uniquement en raison du fait qu’elle est une entité détenue à plus de 50 % par Sberbank, qui est elle-même une entité russe dont le nom est inscrit sur les listes en annexe aux actes attaqués, et non en sa qualité d’entreprise établie en Turquie.

157

De telles mesures étant ciblées et limitées dans le temps, la requérante ne saurait faire valoir que les effets négatifs qui en découlent devraient être considérés comme disproportionnés. En effet, l’importance des objectifs poursuivis au titre de l’article 29 TUE est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs qui n’ont aucune responsabilité quant à la situation ayant conduit à l’adoption des sanctions (voir, en ce sens, arrêt du 30 juillet 1996, Bosphorus, C‑84/95, EU:C:1996:312, point 23). Du reste, il ressort de l’examen du quatrième moyen ci-dessus que les mesures restrictives en cause sont propres à garantir la réalisation de l’objectif légitime poursuivi et qu’elles ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (voir points 115 à 142 ci-dessus).

158

Partant, les violations, par l’Union, des dispositions pertinentes des accords d’Ankara invoquées en l’espèce, à les supposer établies, sont justifiées au regard des objectifs poursuivis par les mesures en cause et proportionnées auxdits objectifs.

159

Il y a lieu, dès lors, de rejeter le troisième moyen comme non fondé.

Sur l’exception d’illégalité de l’article 1er de la décision attaquée et de l’article 1er, paragraphe 5, du règlement no 960/2014

160

La requérante demande au Tribunal de constater l’illégalité, sur le fondement de l’article 277 TFUE, de l’article 1er de la décision attaquée et de l’article 1er, paragraphe 5, du règlement no 960/2014, modifiant l’article 5 du règlement no 833/2014.

161

Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste cette demande.

162

Il est de jurisprudence constante que lorsqu’une entité entend contester la proportionnalité des mesures restrictives la visant, il lui appartient d’invoquer, dans le cadre du recours visant à l’annulation des actes par lesquels lesdites mesures ont été adoptées ou maintenues, l’inapplicabilité des dispositions générales sur lesquelles ces actes sont fondés, par le biais d’une exception d’illégalité au sens de l’article 277 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, point 57 et jurisprudence citée).

163

En l’espèce, il convient d’observer cependant que la requérante n’a fait valoir aucun argument distinct de ceux qu’elle a déjà invoqués précédemment.

164

Dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner la recevabilité de ce moyen, il convient nécessairement de renvoyer aux considérations énoncées ci-dessus et de rejeter, pour les mêmes motifs, l’exception d’illégalité invoquée par la requérante.

165

Partant, l’exception d’illégalité doit être rejetée, ainsi que le recours dans son ensemble, sans qu’il soit besoin de statuer sur la recevabilité des conclusions en adaptation de la requête.

Sur les dépens

166

Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

167

Par ailleurs, en vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La Commission supportera donc ses propres dépens.

 

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

 

1)

Le recours est rejeté.

 

2)

DenizBank A. Ş. est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, les dépens encourus par le Conseil de l’Union européenne.

 

3)

La Commission européenne supportera ses propres dépens.

 

Berardis

Spielmann

Csehi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 septembre 2018.

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.

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