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Document 62011FJ0052

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE DE L’UNION EUROPÉENNE(première chambre) 11 novembre 2014.
Carlo De Nicola contre Banque européenne d’investissement (BEI).
Fonction publique – Personnel de la BEI – Harcèlement moral – Procédure d’enquête – Rapport du comité d’enquête – Définition erronée du harcèlement moral – Décision du président de la BEI de ne pas donner suite à la plainte – Annulation – Recours en indemnité.
Affaire F‑52/11.

ECLI identifier: ECLI:EU:F:2014:243

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (première chambre)

11 novembre 2014 (*)

« Fonction publique – Personnel de la BEI – Harcèlement moral – Procédure d’enquête – Rapport du comité d’enquête – Définition erronée du harcèlement moral – Décision du président de la BEI de ne pas donner suite à la plainte – Annulation – Recours en indemnité »

Dans l’affaire F‑52/11,

ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 270 TFUE,

Carlo De Nicola, membre du personnel de la Banque européenne d’investissement, demeurant à Strassen (Luxembourg), représenté par Me L. Isola, avocat,

partie requérante,

contre

Banque européenne d’investissement (BEI), représentée par M. T. Gilliams et Mme F. Martin, en qualité d’agents, assistés de Me A. Dal Ferro, avocat,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(première chambre),

composé de MM. E. Perillo (rapporteur), faisant fonction de président, R. Barents et J. Svenningsen, juges,

greffier : M. J. Tomac, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 février 2014,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 24 avril 2011, M. De Nicola demande, en substance, d’une part, l’annulation de la décision du 1er septembre 2010 par laquelle le président de la Banque européenne d’investissement (BEI ou ci-après la « Banque ») a rejeté sa plainte pour harcèlement moral et « organisationnel » et, d’autre part, la condamnation de la BEI à réparer les préjudices qu’il estime avoir subis en raison dudit harcèlement.

 Cadre juridique

2        Le 20 avril 1960, le conseil d’administration de la BEI a arrêté le règlement du personnel de la BEI. Dans sa version applicable au litige, l’article 14 du règlement du personnel énonce que le personnel de la BEI se compose de trois catégories d’agents, selon la fonction exercée : la première catégorie vise le personnel de direction et regroupe deux fonctions, la fonction « [c]adre de direction » et la « [f]onction C » ; la deuxième catégorie vise le personnel de conception et regroupe trois fonctions, la « [f]onction D », la « [f]onction E » et la « [f]onction F » ; la troisième catégorie concerne le personnel d’exécution et se compose de quatre fonctions.

3        L’article 22 du règlement du personnel prévoit que « [c]haque membre du personnel fait l’objet d’une appréciation annuelle qui lui est communiquée. La procédure à suivre pour cette appréciation est fixée par une décision intérieure. Pour les fonctions C à K, les avancements d’échelons résultent du mérite professionnel tel qu’il est exprimé par la note globale de l’appréciation annuelle. »

4        L’article 41, premier alinéa, du règlement du personnel dispose :

« Les différends de toute nature d’ordre individuel entre la Banque et les membres de son personnel sont portés devant la Cour de justice [de l’Union européenne]. »

5        Le code de conduite du personnel de la Banque, tel qu’approuvé le 1er août 2006 par le conseil d’administration de la BEI (ci-après le « code de conduite »), dispose à l’article 3.6, intitulé « Dignité au travail » :

« Aucune forme de harcèlement ou d’intimidation n’est acceptable. Toute victime d’un harcèlement ou d’une intimidation peut, conformément à la politique de la Banque en matière de respect de la dignité au travail, s’en ouvrir au directeur d[u département des ressources humaines], sans que cela puisse lui être reproché. La Banque est dans l’obligation de faire montre de sollicitude à l’égard de la personne concernée et de lui proposer son appui.

3.6.1 Harcèlement psychologique

Il s’agit de la répétition, au cours d’une période assez longue, de propos, d’attitudes ou d’agissements hostiles ou déplacés, exprimés ou manifestés par un ou plusieurs membres du personnel envers un autre membre du personnel. Une remarque désobligeante, une querelle accompagnée de mots désagréables lâchés dans un mouvement d’humeur ne sont pas significatives de harcèlement psychologique. En revanche, des accès de colère réguliers, des brimades, des remarques désobligeantes ou des allusions blessantes, répétés de façon régulière, pendant des semaines ou des mois, sont sans aucun doute révélateurs d’un harcèlement au travail.

[…] »

6        La réglementation interne intitulée « Politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail » (ci-après la « politique en matière de dignité au travail »), visée à l’article 3.6 du code de conduite, a été adoptée par la BEI le 18 novembre 2003.

7        Dans sa version applicable au litige, le point 2.1 de la politique en matière de dignité au travail précise :

« Le [code de conduite], [à l’article] 3.6, prévoit que le harcèlement n’est pas acceptable et contient quelques définitions de harcèlement. Il n’existe pas une unique définition du harcèlement, étant donné que le harcèlement et l’intimidation peuvent chacun prendre de nombreuses formes. Physiques ou verbales, leurs manifestations s’exercent souvent dans le temps, même si des incidents ponctuels sérieux peuvent se produire. Que le comportement en cause soit intentionnel ou non n’est pas pertinent. Le principe déterminant est que le harcèlement et l’intimidation sont des comportements indésirables et inacceptables qui portent atteinte à l’estime de soi et à la confiance en soi de celui qui en fait l’objet.

[…] »

8        La politique en matière de dignité au travail institue deux procédures internes visant à traiter les cas d’intimidation et de harcèlement, à savoir, d’une part, une procédure informelle, par laquelle le membre du personnel concerné recherche une solution amiable au problème, et, d’autre part, une procédure formelle d’enquête, par laquelle il dépose officiellement une plainte qui est traitée par un comité d’enquête composé de trois personnes.

9        Le point 5.5 de la politique en matière de dignité au travail prévoit que le comité d’enquête, qui est chargé de mener une enquête objective et indépendante, n’a pas de pouvoir de décision. Il est chargé, après avoir entendu l’ensemble des parties et mené son enquête, d’émettre un avis avec une recommandation motivée pour le président de la Banque, qui décide des mesures à prendre.

10      La politique en matière de dignité au travail prévoit également que l’agent peut déclencher la procédure d’enquête en demandant officiellement au directeur du département des ressources humaines, par écrit, d’ouvrir une procédure d’enquête, en indiquant l’objet de la plainte et l’identité du ou des harceleurs présumés.

 Faits à l’origine du litige

11      Le requérant a été engagé par la BEI le 1er février 1992 au premier échelon, dans la fonction E, sur la base d’un contrat à durée indéterminée assorti d’une période d’essai de neuf mois. Avant son engagement, le requérant avait fait l’objet d’un rapport psychologique établi le 4 octobre 1991 par le Centre de psychologie appliquée de Luxembourg (Luxembourg), lequel précisait que sa candidature était « d’un haut niveau » et que, « du point de vue de la personnalité, l’ensemble appara[issait] plutôt favorable pour le poste […] à pourvoir ».

12      Lors de son engagement, le requérant a été affecté à la division « Études financières » de la direction des études de la BEI. Il a fait l’objet d’appréciations positives dans le rapport intermédiaire établi le 6 mai 1992 par M. G., alors son chef de division ; dans le rapport de fin de période d’essai signé le 1er octobre 1992 par M. G., chef de division, M. S., directeur du département concerné, et M. C., directeur de la direction des études ; dans la décision du président de la BEI du 29 janvier 1993 qui le classait à l’échelon 5 de la fonction E, ainsi que dans le rapport d’appréciation pour l’année 1992, signé les 5 et 20 avril 1993 respectivement par M. G. et par M. S. et le 7 juin 1993 par M. C.

13      En 1993, le requérant a notamment été chargé d’une tâche complexe, consistant à combler une lacune dans la gestion du portefeuille d’obligations de la BEI, à savoir préparer un modèle mathématique et des indicateurs qui permettraient une évaluation rapide et systématique de la performance de ce portefeuille.

14      Dans une note du 3 septembre 1993 concernant l’évaluation de la performance du portefeuille d’obligations de la BEI, le requérant a analysé l’évolution de ce portefeuille, en a critiqué certains aspects et souligné la différence entre les résultats obtenus par la BEI et ceux réalisés sur le marché correspondant.

15      En décembre 1993, le requérant a été transféré de la division « Études financières » à la division « Portefeuille d’obligations » du département « Trésorerie » de la direction générale des finances. Ses supérieurs hiérarchiques étaient M. P., sous-chef de division, M. B., chef de division, M. W., directeur du département « Trésorerie », et M. M., directeur général des finances.

16      Selon le requérant, les responsables du département « Trésorerie » auraient obtenu, tout au moins durant les années 1993 à 1995, des résultats financiers très insuffisants par rapport aux rendements que le marché obligataire permettait d’obtenir. Toujours selon le requérant, ils auraient tenté, en outre, de manière irrégulière, de dissimuler les pertes subies par des stratagèmes comptables ou la diffusion de documents contenant des données fausses ou établis sur des bases méthodologiques erronées et auraient réalisé de nombreuses opérations à terme à des prix de complaisance au bénéfice de cocontractants avec lesquels ils avaient des liens privilégiés.

17      Le requérant précise que depuis son transfert à la division « Portefeuille d’obligations » il aurait « refus[é] d’accepter passivement la stratégie imposée par ses supérieurs directs, [rejeté] les résultats trompeurs […], [résisté] aux pressions opérées afin de réaliser des opérations discutables et peu profitables » et serait « devenu l’objet de vexations permanentes et répétées ».

18      Dans le rapport d’appréciation portant sur l’exercice de ses fonctions pendant l’année 1993, c’est-à-dire avant le transfert susmentionné, rapport établi le 2 juin 1994 par M. C., directeur de la direction des études, le requérant s’est vu attribuer la note C, correspondant à l’évaluation « satisfaisant/aspects à améliorer ». Le requérant a contesté le rapport, en soulignant son mécontentement quant à ses perspectives de carrière. Il a également précisé qu’il avait des difficultés à collaborer avec M. G., son chef de division, à cause notamment de divergences de points de vue sur le rendement du portefeuille d’obligations.

19      Le 9 septembre 1994, M. G. a transmis au vice-président de la BEI, Mme O., une note, datée du 10 août 1994, relative à la restructuration du département « Trésorerie » de la BEI. En septembre 1994, le service d’audit interne de la BEI a présenté un rapport sur les activités de la division « Portefeuille d’obligations » et en a critiqué la gestion sous différents aspects, soulignant notamment un manque de clarté des objectifs. En 1994, les résultats du portefeuille se sont soldés par des pertes. À partir du 1er janvier 1995, la gestion du portefeuille d’obligations a été restructurée, sur le plan fonctionnel et du personnel. En particulier, M. B., chef de la division « Portefeuilles d’obligations », a été suspendu de ses fonctions en juin 1995, puis rétabli à la suite d’un audit externe portant sur la gestion passée du portefeuille.

20      Par une note du 16 janvier 1995 adressée à un collègue, M. Pe., et une note du 12 juin suivant, le requérant a présenté des observations critiques sur l’évaluation de la performance du portefeuille d’obligations et émis des suggestions sur sa restructuration.

21      Au début de 1996, M. B., chef de la division « Portefeuilles d’obligations », a été affecté à une autre direction. En janvier 1996, la division « Portefeuille d’obligations » a été transformée en unité « Gestion des liquidités obligataires ».

22      En juin 1996, le requérant aurait été chargé de la gestion du portefeuille de couverture, sous l’autorité directe du nouveau chef de division, M. W., lui conférant ainsi, selon le requérant, de plus grandes responsabilités.

23      Dans ses rapports d’appréciation pour les années 1994, 1995 et 1996, signés en dernier lieu par M. K., le requérant a obtenu la note globale B correspondant à l’évaluation « performance en conformité avec l’ensemble des attentes ».

24      Le requérant soutient qu’il a pâti, dans ses évaluations annuelles, de son refus de tout compromis avec ses supérieurs, qu’il a été victime de vexations incessantes et que les personnes qui avaient exprimé des critiques sur la gestion du portefeuille d’obligations ont fait elles aussi l’objet d’appréciations négatives dans leurs évaluations annuelles et/ou ont finalement dû démissionner. En revanche, selon le requérant, les personnes responsables des actes critiquables dont il a été le témoin, en particulier le chef de la division « Portefeuille d’obligations », M. B., auraient été mutées, mais auraient, depuis lors, été « dédommagé[es] » par une ou plusieurs promotions.

25      Après l’échec d’une tentative de conciliation avec la Banque, le requérant a, le 5 janvier 1998, saisi le Tribunal de première instance des Communautés européennes d’un premier recours, enregistré sous la référence T‑7/98, tendant notamment à l’annulation de son rapport d’appréciation pour l’année 1996 et de la décision de la BEI du 23 juillet 1997 en tant qu’elle ne le promouvait pas à la fonction D, ainsi qu’à la condamnation de la BEI à réparer le préjudice qu’il estimait avoir subi du fait de sa non-promotion et du sentiment de mal-être et d’incertitude pour son avenir, sans cependant faire état de « harcèlement ». Dans sa requête, le requérant a notamment dénoncé de prétendus dysfonctionnements au sein de la BEI de 1993 à 1995. Dans sa réplique, le requérant s’est présenté comme un « lanceur d’alerte ».

26      Le requérant soutient, dans le présent recours, que, à partir du moment où il a introduit le recours susmentionné devant le Tribunal de première instance, il a fait l’objet d’un harcèlement moral visant à le dissuader de poursuivre cette procédure.

27      En avril 1998, M. K. a établi le rapport d’appréciation du requérant pour l’année 1997, lui conférant la note globale B. Dans ce rapport, le requérant s’est plaint d’être mis à l’écart depuis quelques années et de l’aggravation de cette situation depuis l’introduction de son recours devant le Tribunal de première instance. Dans ledit rapport, M. K. a précisé :

« [Le requérant] a poursuivi [dans le cadre de son recours devant le Tribunal de première instance (affaire T‑7/98)] sa prétention à la promotion en faisant un usage personnel de documents confidentiels de la Banque et en cherchant à discréditer plusieurs autres membres du personnel de la Banque ainsi que sa direction. En raison de cette violation de ses devoirs et de ce comportement déloyal, la confiance mutuelle nécessaire à de bonnes relations professionnelles et de travail a été entamée de manière regrettable. Je ne prends pas cet aspect en considération dans la notation, qui se rapporte exclusivement à l’exécution professionnelle de ses tâches par [le requérant], et ne comporte donc aucune appréciation relative aux aspects susmentionnés de son comportement. D’un autre côté, il est évident que, au vu [de ce comportement], et en attendant l’issue de la procédure judiciaire pendante, l’évolution de la carrière [du requérant] au sein de la direction des [f]inances est sujette aux plus grandes incertitudes. »

28      Du 28 septembre 1998 à fin juin 1999, le requérant a été soigné pour un état anxio-dépressif et a été placé en congé de maladie à plusieurs reprises.

29      Par lettre du 26 octobre 1998, le requérant a porté plainte devant le procureur d’État du parquet du tribunal d’arrondissement de Luxembourg contre deux agents de la BEI. Cette plainte sera rejetée le 10 décembre 1998, le procureur précisant que ledit parquet n’était pas compétent pour en connaître.

30      Par télécopie du 30 novembre 1998, alors qu’il était en congé de maladie, le requérant a présenté sa démission dans les termes suivants : « À la suite de l’attitude à mon sens scandaleuse de la Banque lors des événements qui se sont produits à mon égard, et en particulier de la pression destinée à rendre mon travail impossible et des effets sur ma santé, je vous envoie par la présente ma démission. Au vu de l’article 17 du règlement du personnel, je considère que mon contrat prendra fin le 28 février 1999. »

31      Par lettre du 2 décembre 1998, la BEI a pris acte de la déclaration de démission du requérant et a indiqué qu’elle était disposée à l’exonérer, à la fin de son congé de maladie, de l’obligation d’effectuer son service jusqu’au 28 février 1999, pour la période résiduelle après épuisement de ses droits à congé.

32      Le 23 décembre 1998, le requérant a saisi le Tribunal de première instance d’un deuxième recours, enregistré sous la référence T‑208/98, dirigé, notamment, contre une décision du 6 août 1998 de la BEI, en tant qu’elle ne le promouvait pas à la fonction D, et contre son rapport d’appréciation pour l’année 1997, en demandant également réparation du préjudice subi du fait de sa non-promotion, en faisant état de pressions psychologiques, de menaces et d’actes d’intimidation, sans toutefois faire état de « harcèlement ».

33      Par lettre de son avocat du 14 janvier 1999, le requérant a rétracté sa démission. Par lettre du 2 février 1999, la BEI a refusé d’accepter cette rétractation.

34      Le 14 février 1999, le journal écossais Scotland on Sunday a publié un article intitulé « European [Investment] [B]ank whistleblower forced to quit » (« Un lanceur d’alerte de la [B]anque européenne [d’investissement] contraint à la démission ») au sujet de la démission du requérant.

35      Le 30 mars 1999, le vice-président de la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen a invité le requérant à intervenir, les 19 et 20 avril 1999, en qualité d’« expert », en lui demandant de fournir, « in camera », à ladite commission davantage d’informations sur les allégations de mauvaise gestion et de fraude au sein du département « Trésorerie » de la BEI, et ce en prévision d’un entretien à ce sujet de la commission avec le vice-président de la BEI les mêmes jours. Le requérant a eu plusieurs autres entretiens avec le vice-président de la commission du contrôle budgétaire du Parlement et aurait rencontré un représentant de l’Office européen de lutte antifraude le 7 juillet 1999.

36      Par une troisième requête déposée le 2 mai 1999 et enregistrée sous la référence T‑109/99, le requérant a demandé au Tribunal de première instance, notamment, d’annuler la lettre du 2 février 1999 par laquelle la BEI avait refusé d’accepter la rétractation de sa démission. Dans sa requête, le requérant s’est plaint, en faisant référence à sa situation au sein de la Banque de 1993 à sa démission en 1998, de faire l’objet de « harcèlement moral » (« mobbing »), ce que le Tribunal de première instance a considéré comme une « demande de condamner la BEI à réparer le préjudice moral prétendument subi par le requérant du fait du harcèlement moral et de la diffamation dont il aurait été victime ».

37      À la fin de l’année 1999, le Médiateur européen, qui avait été saisi par le requérant, a conclu au rejet de la plainte de ce dernier. Selon le Médiateur, la décision de la BEI de refuser l’autorisation au requérant de saisir les juridictions luxembourgeoises de faits survenus en 1994 et en 1995 ne constituait pas un cas de mauvaise administration.

38      Par arrêt du 23 février 2001, De Nicola/BEI (T‑7/98, T‑208/98 et T‑109/99, ci-après l’« arrêt du 23 février 2001 », EU:T:2001:69), le Tribunal de première instance a statué sur les trois recours dont le requérant l’avait saisi.

39      Par l’arrêt du 23 février 2001 (EU:T:2001:69), le Tribunal de première instance a, en premier lieu, rejeté les conclusions dirigées contre les rapports d’appréciation pour les années 1996 et 1997 et les décisions de refus de promotion au titre de ces exercices. Dans son arrêt, le Tribunal de première instance a notamment estimé, en premier lieu, que le requérant n’avait pas démontré à suffisance de droit que les notes qu’il avait adressées à sa hiérarchie avaient pu être perçues par ses supérieurs comme des contestations de leurs décisions ni qu’elles avaient entraîné des mesures de rétorsion à son encontre, et qu’il n’avait donc pas démontré que ces décisions étaient manifestement erronées ou s’expliqueraient par une partialité de ses évaluateurs liée au fait qu’il aurait dénoncé certaines pratiques ou certains dysfonctionnements. En outre, le Tribunal de première instance a considéré que l’acquisition irrégulière de documents strictement confidentiels par le requérant pouvait constituer un motif de refus de promotion.

40      En deuxième lieu, le Tribunal de première instance a vérifié, dans l’arrêt du 23 février 2001 (EU:T:2001:69), « si les éléments exposés par le requérant permett[aient] de présumer que la Banque ou l’un de ses employés [avaient] adopté vis-à-vis du requérant un comportement de harcèlement, en le discréditant et en dégradant délibérément ses conditions de travail. En particulier, [le Tribunal de première instance a examiné] tour à tour les différents éléments de fait mentionnés par le requérant, pour vérifier si, en raison de leur gravité ou répétition éventuelles, le requérant [avait] été objectivement contraint de démissionner » et a jugé que le requérant n’avait pas été victime de harcèlement moral.

41      Le Tribunal de première instance a néanmoins relevé, au point 285 de l’arrêt du 23 février 2001 (EU:T:2001:69), que certains des faits invoqués par le requérant étaient incompatibles avec le principe de bonne administration et le devoir de sollicitude incombant à la BEI. Il s’agissait de l’accueil du requérant à l’entrée de la BEI par des huissiers porteurs d’une lettre du directeur du personnel contenant la photo du requérant, de l’emploi inapproprié de l’expression « manie de la persécution » dans le cadre de la procédure de conciliation, d’une observation désobligeante sur les tâches confiées au requérant, de la privation de son ordinateur personnel sans l’avoir préalablement consulté et de l’absence d’information immédiate par son supérieur hiérarchique de la suppression d’un groupe de travail dont le requérant assurait la coordination. Le Tribunal de première instance a estimé que de tels faits justifiaient la condamnation de la BEI à verser au requérant un euro symbolique en réparation de son préjudice moral.

42      En troisième lieu, dans l’arrêt du 23 février 2001 (EU:T:2001:69), le Tribunal de première instance a considéré que, en raison d’une altération temporaire de son discernement liée à son état de santé, le requérant n’avait pas pu valablement présenter sa démission et que cette dernière devait être déclarée nulle pour vice du consentement. Le requérant devait donc être replacé dans la situation dans laquelle il se trouvait avant sa démission. La BEI a, en conséquence, été condamnée à verser au requérant l’arriéré des rémunérations non perçues depuis la rétractation de sa démission, majoré d’intérêts moratoires.

43      Enfin, dans l’arrêt du 23 février 2001 (EU:T:2001:69), le Tribunal de première instance a partiellement accueilli les demandes de la Banque tendant à retirer du dossier de l’affaire un certain nombre de documents qui avaient été produits par le requérant dans le cadre de la procédure. Il a en effet constaté, d’une part, que le requérant n’avait pas établi avoir acquis ces documents de manière régulière et, d’autre part, que ces documents étaient privés de pertinence pour la solution du litige.

44      Après le prononcé de l’arrêt du 23 février 2001 (EU:T:2001:69), le requérant a informé la BEI, par télécopies des 28 février et 1er mars 2001, qu’il était prêt à reprendre ses fonctions à Luxembourg. Après avoir avisé le requérant, par lettre du 1er mars 2001, qu’il était temporairement dispensé de prestations professionnelles, le directeur des ressources humaines de la BEI l’a informé, par lettre du 6 mars 2001 (ci-après la « lettre du 6 mars 2001 »), qu’il était réintégré dans la fonction E, avec effet au 23 février 2001, et que, à compter de cette date, il était affecté au département du risque-crédit. En outre, le directeur des ressources humaines de la BEI a souligné que, dans le cadre de cette nouvelle affectation, il était transféré au bureau de la BEI à Rome (Italie) où il travaillerait sous la direction de M. H., chef de ce bureau. Le directeur des ressources humaines de la BEI a, par ailleurs, porté à l’attention du requérant le fait que les conditions générales relatives à ses fonctions à Rome étaient prévues dans l’annexe à sa lettre. Dans cette annexe, il était notamment indiqué : au point 2, que le requérant ne recevrait que des tâches non opérationnelles, appropriées à ses connaissances et à son expérience, au point 3, qu’il disposerait de tous les équipements informatique et de télécommunications accessibles aux membres du personnel et, au point 4, qu’il ne pourrait avoir de contacts avec des interlocuteurs extérieurs à la BEI ayant eu ou susceptibles d’avoir des relations d’affaires avec elle sans l’accord exprès de sa hiérarchie, lequel accord ne pourrait être donné qu’au cas par cas.

45      Par télécopie du 16 mars 2001, le conseil du requérant a dénoncé le fait que de telles restrictions étaient inadmissibles et faisaient obstacle au développement de la carrière du requérant.

46      Par courriel du 19 mars 2001 le requérant a accepté, en substance, les tâches qui lui étaient assignées, tout en protestant contre les conditions de travail qui lui étaient imposées.

47      Par lettre du 22 mai 2001, le président de la BEI a informé le requérant que, compte tenu de sa conduite, portant gravement atteinte à la réputation de certains de ses collègues et à celle de la BEI, ainsi que de l’appropriation et de la diffusion d’information confidentielles, il avait décidé, conformément à l’article 39, premier alinéa, du règlement du personnel, de le suspendre de ses fonctions « avec effet immédiat, pour une durée maximale de trois mois, qui sera[it] mise à profit pour réunir la commission paritaire prévue à l’article 38 du [r]èglement du personnel, laquelle aura[it] à se prononcer sur l’ensemble du dossier ».

48      Le 4 juin 2001, le requérant a introduit un nouveau recours devant le Tribunal de première instance, enregistré sous la référence T‑120/01 et tendant notamment à l’annulation de la lettre du 6 mars 2001 et de la décision de suspension du 22 mai 2001, et a introduit en même temps, par acte séparé, une demande de sursis à l’exécution de ces deux actes. Cette demande de sursis a été rejetée par ordonnance du président du Tribunal de première instance du 9 août 2001 (De Nicola/BEI, T‑120/01 R, EU:T:2001:198).

49      Entre-temps, par lettre du 13 juin 2001, le président de la BEI a, en vertu de l’article 40, deuxième alinéa, du règlement du personnel, porté à la connaissance du requérant la liste des faits qui lui étaient reprochés et qui étaient susceptibles de justifier une sanction disciplinaire. Il s’agissait, notamment, de l’appropriation irrégulière des documents dont le Tribunal de première instance avait ordonné le retrait du dossier de l’affaire par son arrêt du 23 février 2001 (EU:T:2001:69) et de la divulgation, sans aucune information ni autorisation de sa hiérarchie, de faits confidentiels dans divers documents dont le requérant était l’auteur – lettres, rapports, articles dans la presse – ou à travers des contacts avec des journalistes. Le président de la BEI a indiqué au requérant que ces manquements aux dispositions du règlement du personnel et du code de conduite étaient graves et susceptibles d’entraîner un licenciement au sens des articles 38 et 39 du règlement du personnel.

50      Par lettre du 6 septembre 2001, le président de la BEI a informé le requérant qu’il était licencié pour motif grave, sans préavis ni allocation de départ.

51      Par requête déposée le 3 décembre 2001, le requérant a introduit un recours devant le Tribunal de première instance, enregistré sous la référence T‑300/01, ayant notamment pour objet l’annulation de la décision de licenciement et l’obtention de dommages et intérêts. Ce recours était accompagné, par acte séparé, d’une demande de sursis à l’exécution de la décision de licenciement. Cette demande a été rejetée par ordonnance du président du Tribunal de première instance du 29 avril 2002 (De Nicola/BEI, T‑300/01 R, EU:T:2002:110) et confirmée sur pourvoi par ordonnance du président de la Cour en date du 25 juillet 2002 [De Nicola/BEI, C‑198/02 P(R), EU:C:2002:463].

52      Dans son arrêt du 16 décembre 2004 statuant au fond sur les recours T‑120/01 et T‑300/01 (arrêt De Nicola/BEI, T‑120/01 et T‑300/01, ci-après l’« arrêt du 16 décembre 2004 », EU:T:2004:367), le Tribunal de première instance a jugé, en premier lieu, que la lettre du 6 mars 2001 n’était pas entachée d’irrégularité. En effet, cette lettre réintégrait le requérant dans la fonction E, à laquelle il appartenait auparavant, et constituait une mesure d’exécution conforme de l’arrêt du 23 février 2001 (EU:T:2001:69). En ce qu’elle communiquait au requérant son transfert à Rome, il y avait lieu de considérer que ledit transfert avait été décidé en accord avec le requérant. S’agissant de l’annexe à ladite lettre, le Tribunal de première instance a considéré que ce document n’avait pas modifié les conditions de travail du requérant, telles que prévues dans le contrat d’engagement que celui-ci avait signé, et que les mesures prévues aux points 2 et 4 de ladite annexe, dont le Tribunal de première instance a relevé le caractère temporaire, n’étaient pas entachées d’erreur manifeste d’appréciation.

53      En deuxième lieu, le Tribunal de première instance a relevé que la décision du président de la BEI du 22 mai 2001 suspendant le requérant de ses fonctions avait été prise sans que celui-ci ait été préalablement entendu et que, en conséquence, cette décision devait être annulée.

54      En troisième lieu, après avoir examiné chacun des éléments factuels invoqués par la BEI à l’encontre du requérant, le Tribunal de première instance a considéré que la BEI n’avait pas établi à suffisance de droit que le requérant s’était approprié irrégulièrement les six documents qu’il avait produits dans le cadre des affaires T‑7/98, T‑208/98 et T‑109/99 ni qu’il aurait été personnellement responsable de la transmission des informations reprises dans les articles de presse litigieux. Quant aux documents dont le requérant était l’auteur, le Tribunal de première instance a estimé qu’ils contenaient effectivement des informations confidentielles et que leur diffusion portait atteinte à la réputation de certains collègues du requérant ainsi qu’à celle de la BEI. Toutefois, le Tribunal de première instance a relevé que la BEI n’avait tenu aucun compte du fait que ces documents avaient été produits à l’attention ou à la demande de membres du Parlement, aux fins de lutte contre la fraude. Le Tribunal de première instance en a déduit que, dans l’appréciation de la gravité des faits reprochés au requérant, la BEI n’avait, à tort, pas pris en considération ces circonstances atténuantes et qu’elle avait ainsi commis une erreur manifeste d’appréciation, justifiant l’annulation de la décision de licenciement.

55      En quatrième lieu, dans l’arrêt du 16 décembre 2004 (EU:T:2004:367), le Tribunal de première instance a condamné la BEI à réparer le préjudice subi par le requérant, notamment en ordonnant à celle-ci de lui verser l’arriéré de ses rémunérations non perçues à compter du 1er septembre 2001, majoré d’intérêts moratoires, ainsi qu’une somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral subi du fait que la BEI avait, à deux reprises, commis une illégalité ayant eu pour effet de mettre un terme, de manière prématurée, à la relation de travail avec le requérant.

56      Le lendemain du prononcé de l’arrêt du 16 décembre 2004 (EU:T:2004:367), soit le 17 décembre 2004, le requérant, accompagné de son avocat, s’est présenté au bureau de la BEI à Rome, où il exerçait ses fonctions avant d’être licencié. Le chef du bureau de la BEI a refusé que le requérant reprenne immédiatement ses fonctions, tout en lui indiquant que la BEI lui ferait connaître les mesures d’exécution de l’arrêt. Dans une télécopie du 17 décembre 2004, le directeur des ressources humaines de la BEI a informé le requérant que la BEI entendait respecter pleinement l’arrêt du 16 décembre 2004 (EU:T:2004:367), mais qu’une étude attentive de l’arrêt serait nécessaire pour en assurer la bonne exécution. Le directeur des ressources humaines assurait également le requérant que le délai d’exécution de l’arrêt serait raisonnable et ne porterait pas atteinte à ses droits.

57      Le requérant indique que la BEI aurait refusé, pendant plusieurs mois, de lui verser son salaire.

58      Par lettre du 14 février 2005, la BEI a fait notamment savoir au requérant que la somme de 312 677,15 euros avait été versée le 10 février 2005 sur son compte bancaire, dont 300 000 euros à titre d’avance sur les arriérés de rémunération, et lui a demandé de lui transmettre divers documents. Par la même lettre, le requérant était informé qu’il reprendrait ses fonctions le 1er avril 2005 auprès du bureau de la BEI à Rome, dans le respect des conditions déjà fixées par la lettre du 6 mars 2001.

59      Par lettre du 9 mars 2005, signée par le directeur général de la direction générale de la gestion des risques, nouvelle direction d’affectation du requérant, et par le directeur des ressources humaines, le requérant a été informé de la nouvelle date fixée pour sa reprise de fonctions à Rome, à savoir le 16 avril 2005, de son affectation à l’unité « Politique du risque » (« Risk Policy ») de la division de la coordination et du support de la direction générale de la gestion des risques, ainsi que de sa rémunération (fonction E, échelon 37). Le requérant était également avisé de ce qu’il serait réaffecté au siège de la BEI à Luxembourg à partir du 1er septembre 2005. Les restrictions mentionnées au point 4 de l’annexe à la lettre du 6 mars 2001, relatives aux contacts avec des interlocuteurs extérieurs à la BEI, seraient assouplies avec l’assentiment du directeur général du requérant au fur et à mesure de l’intégration de ce dernier. La lettre précisait enfin que la BEI ferait preuve de la plus grande flexibilité pour permettre au requérant de bénéficier de son arriéré de jours de congé auxquels il avait droit.

60      Le sujet des restrictions prévues par la lettre du 6 mars 2001 et visées par la lettre susmentionnée du 9 mars 2005 a été évoqué à plusieurs reprises par la suite. D’abord, par un courriel du 18 mai 2006, le requérant a demandé à Mme M., chef de division, si ces limitations allaient être maintenues encore longtemps. Ensuite, par un courriel du 31 juillet 2006, le requérant a demandé à M. Q. si les restrictions « temporaires mais n’ayant jamais été officiellement annulées » étaient « toujours en vigueur ». Par courriel du 5 décembre 2006, adressé à M. Gr., M. N. et M. Q., le requérant a précisé qu’il s’inquiétait de l’absence de réponse quant au maintien officiel des limitations prévues par la lettre du 6 mars 2001 ou à leur retrait officiel, estimant qu’il fallait déduire de cette attitude que la BEI considérait comme « normal » qu’il soit tenu séparé de ses partenaires de travail. Par note du 25 janvier 2007, M. Q. et M. Gr. ont informé le requérant qu’il était mis fin à l’application desdites restrictions.

61      Le requérant a repris ses fonctions à Rome à la date fixée, le 16 avril 2005.

62      En mai 2005, le requérant a proposé à Mme M., chef de division, un planning pour prendre l’arriéré de ses jours de congé. L’arriéré de congés a été mentionné par la suite à plusieurs reprises et notamment dans le rapport d’appréciation pour l’année 2005. En outre, selon le requérant, Mme M. et M. T., chef d’unité, lui auraient demandé s’il était encore possible que la BEI lui paye l’arriéré de jours de congé plutôt qu’il ne les prenne. Par la suite, Mme M. a informé le requérant, par un courriel du 4 août 2006, que la décision de prendre ses congés ou de se les faire payer appartenait exclusivement à ce dernier.

63      En mai 2005, le requérant a également introduit une demande de formation. Dans un courriel du 11 mai 2005, Mme M. lui a précisé qu’elle devait vérifier le budget de la direction générale de la gestion des risques, que d’autres collègues avaient également présenté des demandes dont elle devait tenir compte, mais que, si la formation ne pouvait pas avoir lieu tout de suite, elle pourrait avoir lieu ultérieurement.

64      Le requérant indique qu’en septembre 2005, lorsqu’il a pris ses fonctions au siège de la BEI à Luxembourg, une place de parking lui a été refusée alors qu’il y avait droit compte tenu de son ancienneté. En outre, il aurait été contraint de faire imprimer sur ses cartes de visite « Risk Policy Analyst » au lieu de « Risk Policy Officer ».

65      Fin octobre 2005, le requérant a échangé des messages professionnels avec Mme B., qui, après lui avoir confirmé sa disponibilité pour discuter d’un projet, n’a apparemment pas donné suite à ladite discussion.

66      Le requérant indique qu’en novembre 2005 le chef de division, Mme M., lui aurait précisé qu’il avait été retenu comme candidat pour le poste de directeur de projet pour le projet Bâle II.

67      Au cours de l’année 2006, le requérant s’est vu confier les objectifs suivants : développer la fonction de validation et de maintenance du nouveau modèle de notation financière interne à la Banque, imposé par les réglementations Bâle II et les réglementations subséquentes ; superviser la méthodologie d’utilisation de l’application « Credit metrics », en particulier aux fins de résoudre les incohérences du modèle mathématique utilisé ; développer l’analyse de l’application « Coût des prêts » ; planifier l’analyse de l’impact de défauts de paiement dans le système « Coût des prêts ».

68      Le 21 avril 2006, le requérant a proposé un rendez-vous pour discuter d’un projet de notation financière avec Mme L., laquelle a accepté. Le 22 juin 2006, Mme L. a écrit au requérant « afin de [le] tenir informé », « à la lumière du rendez-vous avec la [commission de surveillance du secteur financier] de la semaine dernière », et lui a précisé que la documentation pertinente, qui devait encore être complétée, lui parviendrait la semaine suivante. Le requérant indique que ladite documentation lui est parvenue la veille de ses congés.

69      En juin 2006, le requérant a posé des questions et échangé des messages avec un membre du personnel de la BEI concernant le remboursement de consultations chez un psychologue.

70      Par courriel du 22 juin 2006 adressé à M. G., directeur général de la direction générale de la gestion des risques, et, en copie, à Mme M. et M. T., le requérant a discuté d’un projet, posé des questions et proposé de contribuer à l’approfondir.

71      Le 30 juin 2006, le requérant a signé son rapport d’appréciation pour l’année 2005, lequel avait été signé le 11 mai 2006, en qualité de notateur, par Mme M., chef de division, et le 15 mai 2006, en sa qualité de directeur général de l’intéressé, par le directeur général de la direction générale de la gestion des risques, M. G. Dans ce rapport, le notateur indiquait, à la rubrique 2 B, relative à l’évaluation de la performance atteinte et à la vue d’ensemble sur l’année écoulée : « [N]ous sommes pleinement satisfaits de la contribution [du requérant]. [Le requérant] a su faire preuve d’intelligence et d’initiative dans les choix méthodologiques proposés et a su convaincre ses interlocuteurs du bien-fondé de ses propositions. » À la rubrique 5, relative au développement futur de carrière du membre du personnel concerné, il était notamment indiqué que le requérant s’était progressivement intégré dans la division de la coordination et du support, et en particulier dans son unité, l’unité « Politique du risque », et que, bien qu’il ait été partiellement absent en raison de son « stock » de congés à prendre, il avait contribué efficacement à la réalisation d’études de paramètres importants dans le cadre du projet Bâle II. Dans ce rapport, qui ne contient aucun commentaire émanant du directeur général, la note globale B a été attribuée au requérant.

72      Dans un courriel adressé le 31 juillet 2006 à M. G., le requérant s’est plaint de la note B qui lui avait été attribuée dans le rapport d’appréciation pour l’année 2005, en soulignant qu’elle ne paraissait pas correspondre aux appréciations littérales figurant dans le rapport. Dans son courriel de réponse du 1er août 2006, M. G. a indiqué au requérant que son travail ne suscitait aucune critique de sa part et que la note B était une bonne note.

73      En septembre 2006, le requérant a été prévenu, tardivement selon lui, du report d’une formation.

74      En septembre 2006 également, le requérant a échangé une série de courriels professionnels avec Mme B. au sujet d’un projet professionnel commun. Le requérant indique que « certains d[e ses collègues] s[eraient] […] intervenus en cherchant à piloter le résultat de l’étude ».

75      À cette même période, le requérant a transmis à Mme M. et M. T. deux notes concernant ses travaux sur l’estimation des probabilités de défaut et la responsabilité pour les paramètres de risque.

76      En octobre 2006, le requérant a discuté du planning et des délais prévus pour un projet qui lui avait été confié, estimant que les délais n’étaient pas réalistes, entre autres en raison du fait qu’il lui avait été demandé de prendre plus de deux mois de congés d’été.

77      Par courriel du 17 novembre 2006 adressé au requérant et en copie à M. N., M. Gr., directeur des ressources humaines, a évoqué leur entretien du 14 novembre précédent, lequel « avait comme objectif de faire un point de situation sur [sa] réintégration à la Banque », et a conclu que « [le requérant] [était] satisfait de la situation professionnelle dans laquelle [il] évolu[ait] ». Par courriel du 5 décembre 2006, adressé également à M. N. et M. Q., le requérant a répondu qu’il était satisfait des développements positifs de la politique de gestion des risques (« Risk Management ») de la BEI, mais qu’il n’était pas aussi satisfait de sa situation personnelle, notamment en raison de l’incertitude liée au maintien des restrictions prévues par la lettre du 6 mars 2001 ou à l’absence de retrait officiel de celles-ci. Par la note du 25 janvier 2007, mentionnée au point 60 du présent arrêt, faisant également suite à l’entretien du 14 novembre 2006, il a été mis fin auxdites restrictions.

78      Par courriel du 8 décembre 2006, le requérant a transmis à M. T., et en copie à Mme M. et M. S., son travail intermédiaire sur une étude de validation. Un courriel du 12 janvier 2007 porte également sur ce sujet. L’étude finale date du mois de mars 2007.

79      Par courriel du 20 décembre 2006, le requérant a proposé la tenue de réunions de formation et de mise à jour entre collègues de l’unité « Politique du risque » ou de la direction générale de la gestion des risques et a proposé d’assister à une conférence sur le projet Bâle II en janvier 2007.

80      Par courriel du 21 décembre 2006, le requérant a précisé à Mme M. et M. T. qu’il ne partageait pas leur avis selon lequel la BEI pourrait arrêter le projet Bâle II.

81      Le 15 février 2007, un nouveau système d’évaluation des membres du personnel a été mis en place au sein de la BEI.

82      Le 30 mars 2007, M. T., chef de l’unité « Politique du risque » et supérieur hiérarchique direct du requérant, a signé le rapport d’appréciation du requérant pour l’année 2006. Ce rapport a ultérieurement été signé par Mme M., chef de division, puis, le 21 mai 2007, par M. G., directeur général de la direction générale de la gestion des risques, qui n’y a inséré aucun commentaire, et le 13 juin 2007 par le requérant. Dans le rapport d’appréciation pour l’année 2006, le requérant s’est vu attribuer la note B. Il est écrit dans ce rapport, à la rubrique 1 C, « Évaluation de la progression dans le rôle », que, « [d]ans l’ensemble, les objectifs fixés pour 2006 ont été réalisés et en conformité avec les attentes ». Le requérant a exprimé son désaccord avec cette évaluation, estimant que son apport, ses compétences et son attitude n’étaient pas suffisamment reconnus, ainsi qu’avec la procédure d’évaluation. Il a également précisé que sa carrière était bloquée depuis longtemps, pour des raisons illégitimes.

83      Par courriel du même 30 mars 2007, adressé à Mme M. et M. T., le requérant a également manifesté son mécontentement quant à la manière dont s’était déroulée la procédure d’évaluation pour l’année 2006 et a regretté notamment que la rubrique 3 B du rapport d’appréciation, relative au « développement futur dans le rôle ou vers un autre poste », n’ait pas été remplie par M. T. et qu’aucune discussion n’ait eu lieu à ce sujet, « s’[il] compren[ait] bien, parce que sa carrière [était] de toute façon bloquée ».

84      Par courriel du 3 avril 2007, Mme M. a répondu au courriel du requérant du 30 mars 2007 et précisé qu’elle signerait le rapport d’appréciation s’il était d’accord avec les objectifs pour l’année 2007 et qu’elle aurait préféré qu’il discute de ces questions lors de l’entretien qui avait précédé l’établissement du rapport plutôt que d’écrire à ce sujet par la suite. Selon Mme M., le requérant aurait dû parler avec le chef d’unité, M. T., de son sentiment que sa carrière « [était] de toute façon bloquée ». Elle considérait que, s’il avait agi ainsi, « [il] aurai[t] reçu une explication immédiatement et [serait] par conséquent plus confiant et moins triste au sujet de la procédure d’évaluation et du reste ».

85      Par courriel du 11 avril 2007, le requérant a répondu au courriel de Mme M. du 3 avril précédent, en soulignant notamment qu’il ne voyait « [rien] de mal » au fait d’écrire et que les documents écrits étaient nécessaires pour éviter des malentendus et en cas de recours. Il a demandé une clarification sur l’évolution de sa carrière, estimant « injuste et illégitime » qu’elle soit bloquée, ainsi que sur la position de la BEI à cet égard en ces termes : « Quelle est la position de la Banque ? Je perçois une ambiguïté à ce sujet même au cours des deux dernières années. »

86      Par une communication au personnel du 13 juillet 2007, la BEI a publié la liste des promotions décidées dans le cadre de l’exercice d’évaluation portant sur l’année 2006. Le nom du requérant ne figurait pas sur cette liste.

87      Le 13 juillet 2007, le requérant a saisi le comité de recours de la BEI aux fins d’obtenir une note plus élevée que la note B attribuée dans son rapport d’appréciation pour l’année 2006 ainsi qu’une promotion à la fonction D. Par une note au comité de recours du 4 octobre 2007, M. G., directeur général du requérant, a expliqué que la note B attribuée au requérant au titre de l’exercice d’évaluation portant sur l’année 2006 reflétait, entre autres, le bon travail accompli, et que « [l]e travail d[u requérant] a[vait] été apprécié comme de qualité satisfaisante, mais pas de qualité meilleure par rapport aux autres membres de l’unité ». Il précisait que « [l]es autres membres de l’unité [avaient] été amenés à traiter des sujets de plus grande importance ou plus stratégiques pour la Banque ». Suivaient des exemples desdits travaux. En outre, M. G. a précisé qu’il fallait relativiser l’importance et la complexité des travaux du requérant et a souligné le fait que le requérant préférait rester isolé et qu’il n’échangeait avec ses collègues que par courriel. Par décision du 14 décembre 2007, le comité de recours a rejeté le recours aux motifs, d’une part, que le requérant n’avait pas établi que la BEI avait commis une erreur manifeste d’appréciation en lui attribuant la note B et, d’autre part, que, n’ayant pas obtenu la note A ou la note B+, il ne pouvait, en vertu de la réglementation interne applicable, bénéficier d’une promotion.

88      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 juin 2008, le requérant a introduit un recours, enregistré sous la référence F‑55/08, tendant notamment à l’annulation du rapport d’appréciation pour l’année 2006 et de la décision du comité de recours du 14 décembre 2007 y afférante, ainsi qu’à la réparation des préjudices prétendument subis en raison du harcèlement moral dont il estimait avoir été victime.

89      Entre-temps, en septembre 2007, le requérant et M. Co. ont échangé des courriels au sujet d’un projet professionnel commun, chacun reprochant en fin de compte à l’autre le ton de cet échange de courriels. Le requérant en a référé par courriel au directeur des ressources humaines.

90      À compter du 1er octobre 2007, le requérant a bénéficié du régime du télétravail le lundi.

91      Courant janvier 2008, le requérant a demandé à son chef d’unité, M. T., de recevoir des informations sur les objectifs. Il s’est ensuite adressé à Mme T., qui lui a répondu.

92      Par courriel du 27 février 2008, Mme V. a refusé la prise en charge par la caisse d’assurance maladie d’une dépense de 3 000 euros exposée par le requérant, correspondant au traitement par laser d’une discopathie. Ce refus était fondé sur l’avis du médecin-conseil, lequel estimait qu’un tel traitement n’était pas encore validé scientifiquement.

93      En mars 2008, le requérant a échangé des courriels concernant la documentation et l’organisation du travail avec divers collègues, dont M. S., au sujet du projet Bâle II et avec Mme B. au sujet d’une note concernant l’indicateur interne de risque/rendement. Ce dernier échange s’est poursuivi en avril, en mai et en juin 2008. Le requérant a été convié le 7 mai 2008 à une réunion concernant l’indicateur interne de risque/rendement, soit plus tardivement que ses autres collègues, conviés le 25 avril 2008, alors qu’il s’était manifesté auprès de Mme B. le 11 avril 2008. Après ladite réunion, le requérant a dû solliciter Mme B. pour continuer à participer à la suite du projet.

94      Le 9 mai 2008 a été finalisé le rapport d’appréciation pour l’année 2007, dans lequel le requérant s’est vu attribuer la note globale C, le notateur estimant que les objectifs assignés n’avaient été que partiellement remplis, notamment en raison du fait que le requérant travaillait « presque toujours en isolation » de ses collègues. Par la suite, le requérant ayant saisi le Tribunal d’un recours en annulation dudit rapport, le rapport d’évaluation pour l’année 2007 a été annulé par le Tribunal (arrêt De Nicola/BEI, F‑59/09, EU:F:2011:19). Cet arrêt a été partiellement annulé par le Tribunal de l’Union européenne (arrêt De Nicola/BEI, T‑264/11 P, EU:T:2013:461), qui a ensuite renvoyé l’affaire devant le Tribunal, où elle a été enregistrée sous la référence F‑59/09 RENV. Cette affaire est actuellement pendante.

95      Au cours des mois de mai, juin, juillet et août 2008, le requérant, M. T. et l’un de ses collègues, M. S., ont échangé plusieurs messages et notes au sujet du logiciel F. pour le projet Bâle II (ci-après le « logiciel F. ») et au sujet de la documentation y afférente. M. S. a, dans un premier temps, envoyé une documentation réduite, puis une documentation plus complète. Le requérant a, par ailleurs, appris qu’un employé de la société qui éditait le logiciel F. s’était rendu à la BEI le 24 juillet 2008 et avait rencontré, notamment, M. S. et M. Ca., alors que lui-même n’avait pas été convié à la réunion. Le requérant a obtenu la documentation qu’il recherchait auprès de la société qui éditait le logiciel F. et ensuite, après la lui avoir demandée, de la part de M. Ca. Le requérant considère que ses collègues ont été de mauvaise foi à son égard.

96      Le 20 août 2008, le requérant a transmis une note à M. Gr., directeur des ressources humaines, intitulée « Rapport sur mes activités professionnelles au cours de la période de quatre mois [de] mars [à] juin 2008 », dans laquelle il a précisé qu’il entendait faire état de faits concernant son activité professionnelle qui ne lui paraissaient pas normaux. Dans cette note, le requérant s’est plaint du fait qu’il était exclu des groupes de travail et des travaux en lien avec l’extérieur de la BEI et que ses collègues ne partageaient pas leurs informations, documentations et outils avec lui. Au soutien de ses allégations, le requérant a fourni une copie de plusieurs messages à différents collègues qui seraient restés sans réponse. En outre, dans une autre note adressée à M. Gr. le même jour, le requérant a mis en avant le fait qu’il n’avait pas eu accès à la documentation pertinente ni à la formation relative au logiciel F., alors que son collègue, M. S., en disposait et que cette documentation était également utile pour le travail du requérant (ci-après les « deux notes du 20 août 2008 »).

97      Par courriel du 7 octobre 2008, à la suite d’un entretien, M. G., directeur général du requérant, a informé notamment M. Gr., directeur des ressources humaines, le requérant étant destinataire en copie du courriel en question, que, compte tenu des allégations persistantes de harcèlement de la part du requérant, ce ne serait pas la division de la gestion des risques qui procéderait à son évaluation pour l’année 2008 et qu’il serait bientôt, comme convenu, affecté à une autre division.

98      Par courriels des 3 et 4 décembre 2008, le requérant a évoqué avec un membre du personnel de la BEI le fait qu’il allait être transféré à la division des études économiques et financières de la direction générale de la stratégie et du contrôle de gestion.

99      Par courriel du 18 décembre 2008, le requérant a demandé à M. Gr. les raisons de ce transfert et a contesté la nouvelle affectation envisagée. Il a souligné qu’il voyait ce transfert comme une « punition ». Il souhaitait travailler dans un environnement de travail « dépourvu de harcèlement » et ne pas être isolé, reprochant au travail au sein de la division des études économiques et financières d’être plus individuel et isolé que dans d’autres divisions de la BEI. Enfin, le requérant a demandé « pourquoi [il] [était] toujours affecté à des [départements] où il n’y a[vait] pas pour [lui] d’opportunités normales de carrière ».

100    Le requérant indique avoir été effectivement transféré à la division des études économiques et financières à compter du 7 janvier 2009.

101    En réponse à un courriel du secrétariat du directeur des ressources humaines, M. Gr., du 25 mars 2009 demandant au requérant de renvoyer les deux notes du 20 août 2008 au format électronique, le requérant a, par courriel du 27 mars 2009 (ci-après le « courriel du 27 mars 2009 »), demandé à M. Gr. l’ouverture d’une procédure d’enquête, telle que prévue par la politique en matière de dignité au travail, en joignant cinq séries de documents à sa demande : premièrement, les deux notes du 20 août 2008 ; deuxièmement, ses demandes de 2006 de cesser l’application des restrictions de la lettre du 6 mars 2001 ; troisièmement, le message adressé au directeur des ressources humaines concernant l’incident avec M. Co. en septembre 2007 ; quatrièmement, le message de M. G. du 7 octobre 2008 dont il avait reçu copie ; cinquièmement, sa requête dans l’affaire F‑55/08.

102    Par courriel du 15 avril 2009 (ci-après le « courriel du 15 avril 2009 »), le requérant a demandé à M. Gr. l’ouverture d’une deuxième procédure d’enquête au titre de la politique en matière de dignité au travail, en insistant notamment sur le fait que « [p]our éviter tout malentendu […] [il précisait] que, différemment de la procédure dont [il] a[vait] sollicité l’ouverture [par le courriel du 27 mars 2009], la présente procédure ne concern[ait] que les faits jusqu’au mois de juin 2008, lorsqu’[il] a[vait] introduit le recours dans l’affaire F‑55/08 ». En outre, le requérant a ajouté que, selon lui, « l’affaire [de harcèlement] concern[ait] la Banque en tant que telle, plus que des collègues pris individuellement. Néanmoins, parmi les collègues encore en service, le rôle d’au moins ces personnes a fait l’objet de discussion, [en ce qu’elles ont] concrétisé la stratégie de la Banque : M. Gr., M. N., M. V., M. Q., M. G., Mme M., M. T., Mme B., M. S. ».

103    Le 24 avril 2009, le rapport d’appréciation pour l’année 2008 a été définitivement adopté. Le requérant s’est vu attribuer la note globale B, ainsi qu’un bonus. M. G. a souligné l’amélioration de la productivité du requérant, et, « [s]urtout, [le fait que] [le requérant] s’[était] davantage investi dans des projets communs », bien qu’il continuât à avoir trop peu de contacts directs avec ses collègues et à recourir systématiquement à des échanges par courriels. Par la suite, le requérant a introduit un recours contre, entre autres, le rapport d’appréciation pour l’année 2008, lequel recours a été rejeté par arrêt du Tribunal du 28 septembre 2011, De Nicola/BEI (F‑13/10, EU:F:2011:161). Cet arrêt a été partiellement annulé par arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 16 septembre 2013, De Nicola/BEI (T‑618/11 P, EU:T:2013:479), qui a statué lui-même sur le litige et a rejeté le recours de première instance.

104    Par lettre du 4 juin 2009, le directeur des ressources humaines a demandé au requérant, en faisant référence au courriel du 15 avril 2009, de préciser de quels actes illégaux il accusait ses collègues, ainsi que l’objet exact de sa plainte. À défaut, sa demande devrait être considérée comme incomplète et, par conséquent, rejetée comme manifestement non fondée. Le requérant a répondu à la lettre du 4 juin 2009 par un courriel du 15 juin 2009, visant « l’une [des] procédures » au titre de la politique en matière de dignité au travail, en indiquant que les points 1 à 84 de sa requête dans l’affaire F‑55/08 lui paraissaient suffisamment clairs. Par lettre du 30 juillet 2009, le directeur des ressources humaines a demandé au requérant de préciser quels étaient les faits exacts de harcèlement qu’il reprochait aux neuf personnes visées dans son courriel du 15 avril 2009. Par courriel du 7 août 2009, le requérant a répondu qu’il appartenait à la BEI, en vertu notamment de son devoir de sollicitude, de mener une enquête et qu’elle disposait à cette fin notamment des documents figurant dans les dossiers des recours déposés jusqu’en 2004 et des nombreux documents transmis depuis lors, par exemple les deux notes du 20 août 2008. Par lettre du 6 octobre 2009, le directeur des ressources humaines de la BEI a déclaré que « la procédure d’enquête […] [était] désormais [officiellement] ouverte » et que la question de la conformité de la demande du requérant avec l’exigence de préciser sa plainte serait traitée par le comité d’enquête.

105    Par arrêt du 30 novembre 2009, De Nicola/BEI (F‑55/08, ci-après l’« arrêt du 30 novembre 2009 », EU:F:2009:159), le Tribunal a rejeté le recours dans l’affaire F‑55/08.

106    En particulier, s’agissant des conclusions tendant à la condamnation de la BEI à réparer le dommage causé par le harcèlement prétendument subi, le Tribunal a jugé que ces conclusions devaient être rejetées, le requérant n’ayant pas saisi la BEI d’une demande indemnitaire préalablement au recours devant le Tribunal.

107    Par ailleurs, dans l’arrêt du 30 novembre 2009 (EU:F:2009:159), le Tribunal a considéré que, indépendamment de ses critiques relatives au harcèlement dont il aurait été victime et à la violation du devoir de sollicitude, le requérant pouvait être considéré comme demandant la réparation des préjudices que lui auraient causés d’autres actes : les mesures adoptées par la Banque lors de sa réintégration en 2005 après l’annulation de son licenciement, les décisions de le muter de Luxembourg à Rome puis de Rome à Luxembourg, le refus délibéré de la Banque de lui accorder une promotion depuis de nombreuses années, l’attribution de tâches dévalorisantes, le refus de la Banque de lui permettre de participer à des congrès, séminaires et réunions internationaux nécessaires au maintien de ses qualifications professionnelles. Le Tribunal a appliqué, à titre principal, la solution retenue pour les conclusions indemnitaires visées au point précédent et a considéré, à titre surabondant, que ces prétentions ne pouvaient pas être accueillies sur le fond.

108    Par courriel du 28 décembre 2009, le requérant a précisé au service des ressources humaines de la BEI que « la situation [relative à la procédure au titre de la politique en matière de dignité au travail] [lui] parai[ssait] confuse et [que] la source de cette confusion [lui] sembl[ait] être le fait que [le service des ressources humaines] a[vait] ouvert uniquement une des [deux] procédures qu’[il] a[vait] demandées il y a de nombreux mois, sans expliquer pourquoi […] ». Le service des ressources humaines a répondu, par courriel du 12 janvier 2010, qu’une seule procédure avait été ouverte, car le courriel du 15 avril 2009 ne contenait qu’une seule demande d’ouverture d’une procédure d’enquête formelle et que le service des ressources humaines n’était pas au courant de l’existence d’autres plaintes ou griefs qui auraient pu justifier l’ouverture d’une autre procédure. Il demandait au requérant de soumettre formellement au service des ressources humaines une demande additionnelle d’ouverture d’une autre procédure au titre de la politique en matière de dignité au travail.

109    Le comité d’enquête compétent au titre de la politique en matière de dignité au travail a rédigé un rapport d’enquête en date du 30 juin 2010 (ci-après le « rapport du 30 juin 2010 »), précisant notamment que « [l]es faits de harcèlement moral avancés par le [requérant] dans le cadre de la présente plainte » étaient ceux qui « [avaient] été soumis au Tribunal […] dans [l’]affaire F‑55/08 et [qui avaient] fait l’objet d[e l’]arrêt du 30 novembre 2009 ». Dans le rapport du 30 juin 2010, le comité d’enquête a conclu que la plainte du requérant devait être rejetée, car le requérant n’avait pas démontré avoir été victime d’un harcèlement de la part des agents de la BEI mis en cause ni de la part de la BEI en tant qu’organisation. Le comité d’enquête a formulé des recommandations afin de tenter de répondre au « sentiment d’injustice ressenti par le [requérant] ».

110    Par lettre du 1er septembre 2010, le président de la BEI a informé le requérant de la conclusion du comité d’enquête selon laquelle sa plainte devait être rejetée et qu’« aucune action n’[était] donc à prévoir » (ci-après la « décision du 1er septembre 2010 »).

111    Par courriels des 14 octobre 2010, 7 décembre 2010 et 16 février 2011, le requérant a demandé une copie de tous les actes relatifs aux travaux du comité d’enquête, tels que, par exemple, les procès-verbaux des auditions. Le 9 mars 2011, le service des ressources humaines de la BEI lui a transmis le rapport du 30 juin 2010. Par courriel du 21 mars 2011, le requérant a fait part de ce qu’il considérait la transmission dudit rapport comme tardive et ne répondant pas complètement à sa demande d’avoir accès à l’ensemble des actes relatifs aux travaux du comité d’enquête. Le service des ressources humaines a proposé au requérant, par courriel du 28 mars 2011, de transmettre sa demande au président du comité d’enquête. Par courriel du 30 mars 2011, le requérant a, en substance, accepté cette proposition, tout en s’étonnant de n’avoir pas encore reçu les documents demandés.

112    Entre-temps, le 26 août 2010, le requérant a introduit une troisième plainte au titre de la politique en matière de dignité au travail. Cette plainte a été rejetée par décision du président de la BEI du 20 décembre 2011, décision que le requérant a attaquée devant le Tribunal par un recours enregistré sous la référence F‑37/12. L’affaire est actuellement pendante devant le Tribunal.

113    Par lettre du 26 octobre 2010, le requérant a demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation devant le comité de conciliation de la Banque, relative à la décision du 1er septembre 2010 et au rapport du 30 juin 2010.

114    Par lettre du 17 novembre 2010 (ci-après la « lettre du 17 novembre 2010 »), le président de la BEI a informé le requérant que sa demande de conciliation du 26 octobre 2010 était recevable, notamment s’agissant des conclusions du rapport du 30 juin 2010. Le président de la BEI précisait que le comité de conciliation n’avait pas de pouvoirs d’instruction et ne pourrait pas enquêter à nouveau sur les allégations de harcèlement moral. Il se limiterait à contrôler uniquement si le rapport du 30 juin 2010 était entaché d’une erreur manifeste, d’irrégularité de forme ou de détournement de pouvoir. Enfin, dans la lettre du 17 novembre 2010, le président de la BEI indiquait « [ne pouvoir] accepter [la] proposition [du requérant] de ‘s’auto-représenter’ » dans le cadre de la procédure de conciliation.

115    Par lettre du 30 novembre 2010 (ci-après la « lettre du 30 novembre 2010 »), le président de la BEI a accepté la désignation, par le requérant, de MI. pour le représenter devant le comité de conciliation. Il a, pour sa part, désigné M. Gi. pour représenter la BEI. Le président de la BEI a rappelé au requérant qu’il devait être représenté par un tiers, le précédent existant à cet égard ne pouvant modifier la pratique administrative établie.

116    Par lettre du 27 janvier 2011, le comité de conciliation a informé le président de la BEI qu’il n’était pas parvenu à une solution acceptable pour les deux parties.

117    Par lettre du 23 mars 2011 adressée au requérant, le président de la BEI a « observ[é] que [le requérant] av[ait] initié un certain nombre de procédures [au titre de la politique en matière de dignité au travail] contre des collègues » s’ajoutant aux procédures de conciliation et aux recours juridictionnels. Il a fait part au requérant de sa « préoccupation devant [l’]accumulation de procédures formelles » et de ce qu’il « [s]’interroge[ait] sur la possibilité de trouver un mode moins conflictuel de règlement des différends […] oppos[ant] [le requérant] à la Banque », suggérant d’« explorer la voie de la médiation ».

118    Le requérant et M. Gr. ont discuté le 31 mars 2011 et le 13 avril 2011 d’une éventuelle médiation. Par courriel du 14 avril 2011, le requérant a transmis à M. Gr. l’évaluation des préjudices qu’il estimait avoir subis, en demandant si la BEI était prête à payer la somme indiquée. Par courriel du même jour (ci-après le « courriel du 14 avril 2011 »), M. Gr. a répondu au requérant que, comme discuté la veille, la BEI n’était pas disposée à payer le montant de dommages et intérêts demandé et que, comme convenu, le service des ressources humaines de la BEI avait préparé une note informant le président de la BEI que la procédure de médiation était « arrêtée ».

119    Le 29 août 2011, le requérant a introduit une quatrième plainte au titre de la politique en matière de dignité au travail. Cette plainte a été rejetée par décision du président de la BEI du 29 avril 2013, décision que le requérant a attaquée devant le Tribunal par un recours enregistré sous la référence F‑104/13. L’affaire est actuellement pendante devant le Tribunal.

120    Par arrêt du 27 avril 2012, De Nicola/BEI (T‑37/10 P, ci-après l’« arrêt du 27 avril 2012 », EU:T:2012:205), le Tribunal de l’Union européenne a partiellement annulé l’arrêt du 30 novembre 2009 (EU:F:2009:159), notamment en ce qu’il a rejeté les conclusions du requérant tendant à la reconnaissance de la responsabilité de la BEI en raison du harcèlement qu’elle aurait exercé à son égard et tendant à la réparation des préjudices allégués à ce titre, et a renvoyé l’affaire au Tribunal, où elle a été enregistrée sous la référence F‑55/08 RENV. En effet, le Tribunal de l’Union européenne a estimé, en substance, qu’une demande indemnitaire ne devait pas obligatoirement être précédée d’une procédure précontentieuse. En revanche, le Tribunal de l’Union européenne a confirmé l’arrêt du 30 novembre 2009 (EU:F:2009:159) quant aux conclusions en réparation de divers autres préjudices subis par le requérant.

 Procédure et conclusions des parties

121    Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 24 avril 2011, le requérant a introduit le présent recours. Le mémoire en défense a été déposé le 29 septembre 2011.

122    Par lettre du 18 mars 2013, le Tribunal a interrogé les parties quant à la possibilité de tenter un règlement amiable des sept affaires qui les opposaient et qui, à cette date, étaient pendantes devant lui, à savoir les affaires F‑55/08 RENV, F‑45/11, F‑52/11, F‑128/11, F‑37/12, F‑63/12 et F‑82/12. Par lettres des 19 et 21 mars 2013, les parties ont, en substance, décliné cette proposition.

123    Le 16 septembre 2013, le Tribunal de l’Union européenne a prononcé l’arrêt De Nicola/BEI (EU:T:2013:461), l’arrêt De Nicola/BEI (T‑418/11 P, EU:T:2013:478) et l’arrêt De Nicola/BEI (EU:T:2013:479).

124    Le 23 janvier 2014, le rapport préparatoire d’audience dans la présente affaire a été transmis aux parties. L’ensemble des faits exposés dans la partie « Faits à l’origine du litige » du présent arrêt figuraient en substance dans ledit rapport préparatoire d’audience. Lors de l’audience, les parties n’ont formulé aucune observation à cet égard, exception faite d’une observation de la BEI portant sur le point 102 du rapport préparatoire d’audience dont le Tribunal a pris note.

125    Le 23 janvier 2014, le Tribunal a également demandé aux parties, par des mesures d’organisation de la procédure, de lui transmettre divers documents et de répondre à plusieurs questions. Les parties ont déféré à ces mesures dans les délais impartis.

126    Le 25 février 2014, à l’issue de l’audience de plaidoiries dans la présente affaire, les parties ont donné leur accord pour que le Tribunal procède, à la lumière notamment des arrêts De Nicola/BEI (EU:T:2013:461), De Nicola/BEI (EU:T:2013:478) et De Nicola/BEI (EU:T:2013:479) rendus le 16 septembre 2013 par le Tribunal de l’Union européenne, à une tentative de règlement amiable de l’ensemble des neuf affaires qui les opposaient et qui, à cette date, étaient pendantes devant lui, à savoir les affaires F‑55/08 RENV, F‑59/09 RENV, F‑45/11, F‑52/11, F‑128/11, F‑37/12, F‑82/12, F‑55/13 et F‑104/13.

127    La tentative de règlement amiable s’est déroulée du 25 février 2014 au 4 juillet 2014. Le Tribunal en a constaté l’échec par compte rendu du 4 juillet 2014.

128    Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision du 1er septembre 2010 ;

–        annuler le rapport du 30 juin 2010 ;

–        annuler la lettre du 17 novembre 2010 et la lettre du 30 novembre 2010 ;

–        annuler le courriel du 14 avril 2011 ;

–        annuler « tous les actes connexes, consécutifs et préalables, dont […] ceux utilisés par le comité [d’enquête], qui ont été réclamés en vain les 14 octobre et 7 décembre 2010 […] et à nouveau les 16 février, 21 mars et 30 mars 2011 […] » ;

–        constater le harcèlement mis en œuvre à l’encontre du requérant ;

–        condamner la BEI à mettre fin au harcèlement mis en œuvre à l’encontre du requérant ;

–        condamner la BEI à indemniser le requérant pour les préjudices résultant dudit harcèlement ;

–        prendre diverses mesures d’instruction ;

–        condamner la BEI aux dépens.

129    La BEI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur les premier et deuxième chefs de conclusions, tendant à l’annulation de la décision du 1er septembre 2010 et à l’annulation du rapport du 30 juin 2010

 Arguments des parties

130    Le requérant soutient, en premier lieu, que dans le rapport du 30 juin 2010 le comité d’enquête a adopté une définition erronée du harcèlement.

131    En deuxième lieu, le comité d’enquête aurait ignoré certains faits significatifs que le requérant avait dénoncés et se serait illégalement limité aux faits visés dans l’arrêt du 30 novembre 2009 (EU:F:2009:159). Le comité d’enquête aurait également omis d’examiner le comportement de certains membres du personnel de la BEI.

132    En troisième lieu, serait injustifiée la décision du comité d’enquête de ne pas prendre en considération les faits visés dans les procédures ayant donné lieu aux arrêts du 23 février 2001 (EU:T:2001:69) et du 16 décembre 2004 (EU:T:2004:367) au motif que ces arrêts auraient force de chose jugée. Ces deux arrêts ne feraient, selon le requérant, nullement mention de harcèlement.

133    En quatrième lieu, le comité d’enquête se serait, en substance, erronément abstenu de considérer l’ensemble des faits cumulés et aurait exigé, en pratique, une reconnaissance du harcèlement de la part des personnes mises en cause, se trompant ainsi sur la nature de la preuve exigée afin de démontrer l’existence d’un harcèlement.

134    En cinquième lieu, le fait que le requérant n’ait jamais été promu, bien qu’ayant atteint chaque année l’ensemble des objectifs qui lui avaient été assignés, contribuerait à démontrer l’existence d’un harcèlement et aurait dû être pris en considération par le comité d’enquête.

135    En sixième lieu, le comité d’enquête ne serait pas impartial, car il serait au service de la BEI qui le rémunère et n’aurait pris en compte que les faits pouvant être favorables à la BEI.

136    La BEI estime, en réponse au premier argument du requérant, que, selon la jurisprudence en matière de fonction publique de l’Union européenne, le harcèlement moral consiste en un comportement visant, « objectivement, à discréditer ou à dégrader délibérément les conditions de travail » d’un individu. Le comportement en question devrait présenter objectivement un caractère intentionnel. Dans le rapport du 30 juin 2010, le comité d’enquête se serait conformé à cette jurisprudence. Au cours de l’audience, la BEI a précisé, en réponse à une question du Tribunal, que, selon la politique en matière de dignité au travail, peu importe que le comportement soit intentionnel ou non pour déterminer s’il y a harcèlement moral. La BEI a également reconnu que, dans le rapport du 30 juin 2010, le comité d’enquête avait effectivement mis l’accent sur l’adjectif « intentionnel », mais a soutenu que cette expression devait être comprise à la lumière de l’arrêt Bermejo Garde/CESE (F‑41/10, EU:F:2012:135) comme exigeant que le harceleur ait « volontairement » adopté un certain comportement, même sans intention de harceler.

137    En deuxième lieu, la BEI considère que le comité d’enquête a respecté les indications fournies par le requérant dans le courriel du 15 avril 2009.

138    En troisième lieu, contrairement à ce que soutient le requérant, le comité d’enquête n’aurait pas ignoré les faits qu’il avait dénoncés, mais les aurait considérés à la lumière et dans le respect des arrêts du 23 février 2001 (EU:T:2001:69) et du 16 décembre 2004 (EU:T:2004:367). Le requérant ne saurait, en outre, tenter de parvenir au résultat auquel il n’était pas parvenu dans les affaires ayant donné lieu à ces deux arrêts sans se heurter à l’autorité de la chose jugée.

139    En quatrième lieu, le comité d’enquête aurait vérifié le caractère fondé des affirmations des personnes mises en cause.

140    En cinquième lieu, le comité d’enquête aurait pris en considération le fait que le requérant n’a pas été promu et aurait considéré, à juste titre, que l’avancement de carrière n’était pas automatique au sein de la BEI, mais fondé sur le mérite de chacun des agents.

141    Enfin, la BEI s’interroge sur l’obligation du comité d’enquête d’enquêter sur des faits ayant eu lieu très longtemps avant leur dénonciation et sur le respect du délai de prescription de cinq ans en matière de responsabilité extracontractuelle.

 Appréciation du Tribunal

142    À titre préliminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, applicable mutatis mutandis également aux différends entre la BEI et les membres de son personnel, seules font grief les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter directement et immédiatement les intérêts du requérant, en modifiant, de façon caractérisée, la situation juridique de ce dernier. Lorsqu’il s’agit d’actes ou de décisions dont l’élaboration s’effectue en plusieurs phases, notamment au terme d’une procédure interne, en principe ne constituent des actes attaquables que les mesures qui fixent définitivement la position de l’administration au terme de cette procédure, à l’exclusion des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale. Les actes préparatoires d’une décision ne font pas grief et ce n’est qu’à l’occasion d’un recours contre la décision prise au terme de la procédure que le requérant peut faire valoir l’irrégularité des actes antérieurs qui lui sont étroitement liés (voir arrêt D/BEI, T‑275/02, EU:T:2005:81, points 43 à 46, et la jurisprudence citée).

143    En l’espèce, il y a lieu de rappeler que la politique en matière de dignité au travail, qui constitue une réglementation interne à la BEI ayant un caractère juridique contraignant, prévoit, au point 5.5, que le comité d’enquête n’a pas de pouvoir de décision et qu’il émet un avis avec une recommandation motivée destinée au président de la Banque. Au vu de cet avis, et en vertu du point 5.5 précité, c’est précisément ce dernier qui, au terme de la procédure d’enquête, décide des mesures à prendre.

144    Dès lors, compte tenu des dispositions précitées de la politique en matière de dignité au travail et à la lumière de la jurisprudence rappelée au point 142 du présent arrêt, il y a lieu de considérer que l’avis du comité d’enquête, en l’espèce le rapport du 30 juin 2010, constitue un acte préparatoire de la décision finale prise par le président de la BEI, en l’occurrence la décision du 1er septembre 2010 (voir, par analogie, arrêt Donati/BCE, F‑63/09, EU:F:2012:193, point 139). Le rapport du 30 juin 2010 n’étant par conséquent pas un acte attaquable en tant que tel, les conclusions tendant à son annulation doivent être rejetées comme irrecevables.

145    En revanche, l’illégalité du rapport du 30 juin 2010 peut être invoquée à l’appui des conclusions tendant à l’annulation de la décision du 1er septembre 2010. En effet, il découle des dispositions précitées de la politique en matière de dignité au travail que l’avis du comité d’enquête constitue une formalité substantielle dont, par voie de conséquence, le non-respect, du fait d’irrégularités d’ordre matériel ou procédural, constitue un vice entachant la légalité de la décision du président de la Banque prise sur la base dudit avis.

146    Il y a lieu, dès lors, d’examiner la légalité de la décision du 1er septembre 2010 au regard des griefs soulevés par le requérant à l’encontre du rapport du 30 juin 2010.

147    En premier lieu, le requérant conteste la définition du harcèlement moral retenue par le comité d’enquête dans le rapport du 30 juin 2010.

148    À cet égard, il convient d’observer que, dans le rapport du 30 juin 2010, le comité d’enquête précise que, aux fins de son mandat, il entend par harcèlement moral « toute conduite abusive [en italique dans le texte] se manifestant de façon durable, répétitive ou systématique par des comportements, des paroles, des actes, des gestes et des écrits qui sont intentionnels [en italique dans le texte] et qui portent atteinte à la personnalité, la dignité ou l’intégrité physique ou psychique d’une personne ». Le comité d’enquête poursuit en énonçant qu’une situation de harcèlement moral « implique nécessairement une conduite abusive et intentionnelle dans le chef de personnes identifiées par le plaignant ».

149    Or, aux termes de l’article 3.6.1 du code de conduite, le harcèlement moral est défini comme « la répétition, au cours d’une période assez longue, de propos, d’attitudes ou d’agissements hostiles ou déplacés, exprimés ou manifestés par un ou plusieurs membres du personnel envers un autre membre du personnel ». La politique en matière de dignité au travail précise que le fait que le « comportement en cause soit intentionnel ou non n’est pas pertinent. Le principe déterminant est que le harcèlement et l’intimidation sont des comportements indésirables et inacceptables qui portent atteinte à l’estime de soi et à la confiance en soi de celui qui en fait l’objet ».

150    Il s’ensuit que, par rapport à la réglementation interne en vigueur au sein de la BEI à l’époque des faits objet du présent litige, et notamment par rapport aux dispositions de l’article 3.6.1 du code de conduite et du point 2.1 de la politique en matière de dignité au travail, il y a harcèlement moral, donnant lieu à une obligation d’assistance dans le chef de la BEI, lorsque les propos, les attitudes ou les agissements du harceleur ont entraîné objectivement, et donc par leur contenu, une atteinte à l’estime de soi et à la confiance en soi de la personne qui en a fait l’objet au sein de la BEI (voir, en ce sens, arrêt CG/BEI, F‑103/11, EU:F:2014:185, point 69).

151    Interrogée à l’audience sur la notion de harcèlement moral telle qu’appliquée dans le rapport du 30 juin 2010, la BEI a d’ailleurs admis que le comité d’enquête avait effectivement mis l’accent, dans ledit rapport, sur l’adjectif « intentionnel » alors que la politique en matière de dignité au travail précise que le caractère intentionnel des comportements en cause n’est pas pertinent pour la définition du harcèlement. Néanmoins, selon la BEI, l’emploi de l’adjectif « intentionnel » par le comité d’enquête devrait être compris, à la lumière de l’arrêt Bermejo Garde/CESE (EU:F:2012:135), comme exigeant que le harceleur ait « volontairement » adopté un certain comportement, même sans intention de harceler.

152    Une telle compréhension de l’emploi de l’adjectif « intentionnel » par le comité d’enquête n’est toutefois nullement corroborée par le contenu du rapport du 30 juin 2010, et l’arrêt Bermejo Garde/CESE (EU:F:2012:135), cité par la Banque, n’est en tout cas pas pertinent, puisqu’il ne concerne pas la réglementation de la BEI applicable en l’espèce.

153    En effet, il convient en premier lieu de constater que rien, dans le rapport du 30 juin 2010, ne permet de considérer que le comité d’enquête ait donné un tel sens à l’adjectif « intentionnel », mentionné par ce même comité comme étant en revanche un élément qui doit nécessairement subsister pour que le comportement en cause puisse être juridiquement qualifié de harcèlement (voir point 148 du présent arrêt). En effet, le comité d’enquête a expressément cherché à vérifier s’il existait des « conduites abusives et intentionnelles constitutives de harcèlement » en recherchant successivement, par exemple, comme cela ressort des termes mêmes du rapport du 30 juin 2010, si la mutation du requérant de Rome à Luxembourg avait été « décidée pour des raisons étrangères aux besoins du service » ; si M. N. avait tenté « par des manœuvres » de convaincre le requérant de ne pas reprendre ses fonctions après le prononcé de l’arrêt du 16 décembre 2004 ; si MM. V. et Gr. étaient intervenus « en vue de [retarder] abusivement le remboursement de frais médicaux dus [au requérant] » ; si une place de parking et des cartes de visites lui avaient été refusées « dans le but de porter atteinte à sa dignité » et avec la « volonté délibérée de porter atteinte à [son] image » ; si le refus d’autoriser le requérant à participer à des formations était « motiv[é] par une volonté de la BEI d’amoindrir ses compétences » ; si les erreurs et négligences commises dans le cadre de l’évaluation du requérant au titre de l’année 2006 « démontr[aient] un comportement volontairement abusif […] en vue de porter atteinte à [sa] dignité » ; si les irrégularités de procédure commises lors de ce même exercice d’évaluation démontraient, de la part des supérieurs hiérarchiques du requérant « une volonté délibérée d’abuser de leur position hiérarchique ou une intention de nuire au [requérant] en le dévalorisant ou en le poussant à la démission […] [dans l’objectif de] porter atteinte à [s]a dignité ».

154    Il découle de l’ensemble de ce qui précède que le premier grief soulevé à l’encontre du rapport du 30 juin 2010 est fondé, la notion de harcèlement moral retenue et appliquée dans ledit rapport étant erronée. Le rapport du 30 juin 2010 a été adopté en violation des dispositions internes à la BEI régissant les conditions de protection contre tout acte susceptible de porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychique d’un membre de son personnel.

155    En deuxième lieu, le requérant fait valoir, notamment, que le comité d’enquête s’est illégalement limité aux faits visés dans l’arrêt du 30 novembre 2009 (EU:F:2009:159).

156    À cet égard, il convient de rappeler (voir point 101 du présent arrêt) que le requérant a, par le courriel du 27 mars 2009, expressément demandé l’ouverture d’une procédure d’enquête au titre de la politique en matière de dignité au travail, en joignant à sa demande cinq séries de documents. En outre, il est constant que quatre de ces cinq séries de documents portaient sur des faits qui n’étaient pas visés dans l’arrêt du 30 novembre 2009 (EU:F:2009:159), à savoir, premièrement, les deux notes du 20 août 2008, deuxièmement, ses demandes de 2006 de cesser l’application des restrictions prévues par la lettre du 6 mars 2001, troisièmement, un message adressé au directeur des ressources humaines concernant l’incident avec M. Co. en septembre 2007 et, quatrièmement, le message, dont il avait reçu copie, de M. G. du 7 octobre 2008.

157    Dans le courriel du 15 avril 2009 (voir point 102 du présent arrêt), le requérant a demandé l’ouverture d’une deuxième procédure d’enquête au titre de la politique en matière de dignité au travail, en insistant précisément sur le fait que « [p]our éviter tout malentendu, [et] différemment de la procédure dont [il] a[vait] sollicité l’ouverture le vendredi 27 mars [2009], la présente procédure ne concern[ait] que les faits jusqu’au mois de juin 2008, lorsqu’[il] a[vait] introduit le recours dans l’affaire F‑55/08 ».

158    Or, dans le rapport du 30 juin 2010, le comité d’enquête a clairement indiqué qu’il considérait que « [l]es faits de harcèlement moral avancés par le [requérant] dans le cadre de la présente plainte » étaient ceux qui « [avaient] été soumis au Tribunal […] dans [l’]affaire F‑55/08 et [qui avaient] fait l’objet de [l’]arrêt du 30 novembre 2009 ».

159    Il découle de ce qui précède que, contrairement à ce que prévoit la politique en matière de dignité au travail, aucune suite n’a été donnée à la plainte du requérant figurant dans le courriel du 27 mars 2009. Le deuxième grief soulevé par le requérant est donc également fondé.

160    Le rapport du 30 juin 2010 étant entaché d’irrégularités, il y a lieu, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres griefs soulevés par le requérant, d’annuler la décision du 1er septembre 2010 que le président de la BEI a précisément adoptée sur la base dudit rapport.

 Sur les troisième et quatrième chefs de conclusions, tendant respectivement à l’annulation de la lettre du 17 novembre 2010 et de la lettre du 30 novembre 2010 et à l’annulation du courriel du 14 avril 2011

161    En vertu de l’article 35, paragraphe 1, sous e), du règlement de procédure en vigueur à la date de dépôt du recours, la requête doit contenir l’exposé des moyens et des arguments de fait et de droit invoqués. Ces éléments doivent être suffisamment clairs et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autres informations. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il est nécessaire, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit, sur lesquels celui-ci se fonde, ressortent d’une façon cohérente et compréhensible du texte de la requête elle-même (arrêt AH/Commission, F‑76/09, EU:F:2011:12, point 29, et la jurisprudence citée).

162    Il importe d’ajouter que le rôle essentiel de l’avocat, en tant qu’auxiliaire de justice, est précisément celui de faire reposer les conclusions de la requête sur le fondement d’une argumentation en droit suffisamment compréhensible et cohérente, compte tenu du fait que la procédure écrite devant le Tribunal ne comporte en principe qu’un seul échange de mémoires (voir arrêt AH/Commission, EU:F:2011:12, point 31).

163    En l’espèce, premièrement, même en supposant pour les besoins du raisonnement que les lettres des 17 novembre 2010 et 30 novembre 2010 soient des actes faisant grief, il y a lieu de constater que la demande d’annulation desdites lettres n’est assortie d’aucune argumentation en droit. En effet, le requérant se contente d’indiquer que la BEI lui aurait refusé la possibilité d’assurer seul sa défense dans le cadre de la procédure de conciliation au titre de l’article 41 du règlement du personnel alors qu’elle-même se serait fait représenter par un membre de son personnel, ce qui lui aurait causé un préjudice matériel, sans expliquer pour quels motifs ces lettres devraient être annulées.

164    Par ailleurs, le requérant soutient que, par les lettres des 17 novembre 2010 et 30 novembre 2010, le président de la BEI aurait refusé de désigner le représentant de la Banque au sein du comité de conciliation. À cet égard, il suffit de constater que cette affirmation manque en fait, le président de la BEI ne refusant pas, dans lesdites lettres, de désigner un représentant au sein du comité de conciliation.

165    Quant à la demande tendant à l’annulation du courriel du 14 avril 2011, il y a lieu de constater que la requête ne contient aucun moyen, grief ou argument qui l’étayerait.

166    Il découle de ce qui précède que les conclusions tendant à l’annulation de la lettre du 17 novembre 2010, de la lettre du 30 novembre 2010 et du courriel du 14 avril 2011 ne répondent pas aux exigences de l’article 35, paragraphe 1, sous e), du règlement de procédure et qu’elles doivent, dès lors, être rejetées comme irrecevables.

 Sur le cinquième chef de conclusions, tendant à l’annulation de « tous les actes connexes, consécutifs et préalables, dont […] ceux utilisés par le comité [d’enquête], qui ont été réclamés en vain les 14 octobre et 7 décembre 2010 […] et à nouveau les 16 février, 21 mars et 30 mars 2011 […] »

167    Si le requérant demande au Tribunal d’annuler « tous les actes connexes, consécutifs et préalables », il ne précise nullement quels actes sont ainsi visés. Selon une jurisprudence constante, de telles conclusions ne répondent pas aux exigences de clarté et de précision requises par l’article 35, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure en vigueur à la date de dépôt du recours et doivent, dès lors, être rejetées comme irrecevables (voir, en ce sens, ordonnance Nijs/Cour des comptes, F‑136/07, EU:F:2008:87, point 24, et la jurisprudence citée).

 Sur les sixième et septième chefs de conclusions, tendant respectivement à la constatation du harcèlement et à la condamnation de la BEI à cesser ledit harcèlement

168    Dans ses sixième et septième chefs de conclusions, le requérant sollicite du Tribunal, d’une part, qu’il constate le harcèlement et, d’autre part, qu’il enjoigne à la BEI de cesser ce harcèlement.

169    Or, il est de jurisprudence constante qu’il n’appartient au juge de l’Union ni de faire des constatations de principe (arrêts du 16 décembre 2004, EU:T:2004:367, point 136, et De Nicola/BEI, EU:T:2013:461, point 63) ni d’adresser des injonctions à l’administration (arrêts Psarras/ENISA, F‑118/10, EU:F:2012:138, point 31, et Cerafogli/BCE, F‑43/10, EU:F:2012:184, point 43, faisant l’objet d’un pourvoi pendant devant le Tribunal de l’Union européenne, affaire T‑114/13 P).

170    Il s’ensuit que les présentes conclusions aux fins de constatation du harcèlement et aux fins d’injonction doivent être rejetées comme irrecevables.

 Sur le huitième chef de conclusions, tendant à la condamnation de la BEI à indemniser le requérant pour les préjudices résultant du harcèlement

171    Au vu de la requête, les présentes conclusions indemnitaires doivent être comprises comme fondées non seulement sur l’existence d’un harcèlement moral, mais aussi sur la violation du devoir de diligence et de divers autres principes qui s’imposeraient à la BEI.

172    Dans sa réponse aux mesures d’organisation de la procédure, la BEI a indiqué qu’elle renonçait, compte tenu de l’arrêt du 27 avril 2012 (EU:T:2012:205), à soulever l’irrecevabilité de ces conclusions indemnitaires, faute de demande préalable d’indemnisation.

 Sur le premier moyen, tiré de l’existence d’un harcèlement moral à l’encontre du requérant

173    Selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’administration est subordonné à la réunion de trois conditions cumulatives, à savoir l’illégalité d’un acte administratif ou d’un comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre l’illégalité ou le comportement et le dommage invoqué (arrêt Skoulidi/Commission, F‑4/07, EU:F:2008:22, point 43, et la jurisprudence citée).

174    Le requérant fait valoir, en substance, qu’il a subi d’importants préjudices matériel et moral du fait du harcèlement moral dont il fait l’objet de la part de la Banque et de certains membres de son personnel depuis 1993.

175    Or, en l’espèce, il convient de rappeler qu’il a été constaté, au point 160 du présent arrêt, que le rapport du 30 juin 2010 était entaché d’irrégularités et que, par conséquent, il y avait lieu d’annuler la décision du 1er septembre 2010.

176    Le requérant ayant valablement saisi la BEI, par les courriels du 27 mars 2009 et du 15 avril 2009, de deux demandes de procédure d’enquête au titre de la politique de dignité au travail relatives précisément au harcèlement dont il s’estime victime, il appartient désormais à la BEI, conformément à l’article 266 TFUE, de prendre toutes les mesures que comporte l’exécution du présent arrêt.

177    Le Tribunal ne pouvant pas préjuger des mesures d’exécution qui seront prises par la BEI à cet égard, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de rejeter comme prématurées les présentes conclusions indemnitaires pour autant qu’elles reposent sur l’existence du harcèlement (voir, en ce sens, arrêt CG/BEI, EU:F:2014:185, point 115).

178    À titre surabondant, il y a lieu d’indiquer que, dans le cadre de l’exécution du présent arrêt et afin de déterminer si le requérant a fait l’objet de harcèlement moral, il appartiendra à la BEI de tenir compte, entre autres, des éléments suivants.

179    En premier lieu, force est de constater que, dans l’arrêt du 23 février 2001 (EU:T:2001:69), qui est définitif, le Tribunal de première instance a vérifié si les éléments exposés par le requérant permettaient de présumer que la Banque ou l’un de ses employés avaient adopté vis-à-vis de lui un comportement de harcèlement et a jugé que le requérant n’avait pas été victime de harcèlement moral.

180    En deuxième lieu, s’il est démontré, y compris au moyen d’un faisceau d’indices concordants, qu’une personne a fait l’objet, au fil du temps, d’une atteinte unique et continue à sa dignité, la prescription quinquennale ne court qu’à compter de la cessation dudit harcèlement.

181    S’agissant d’évaluer si l’atteinte à la dignité a un caractère « continu », il conviendra de tenir compte notamment du fait que du 30 novembre 1998, date de sa démission, jusqu’à la date du prononcé de l’arrêt du 16 décembre 2004 (EU:T:2004:367), soit une période de près de six ans, le requérant n’a travaillé pour la BEI que pendant trois mois, du mois de mars à la fin du mois de mai 2001.

182    S’agissant du caractère « unique » de l’atteinte à la dignité, le Tribunal considère que rien n’exclut que le harcèlement puisse être le fait sinon d’une institution, du moins de plusieurs personnes, relevant d’une même institution, qui agissent de manière coordonnée ou, à tout le moins, univoque. C’est d’ailleurs dans ce sens que l’article 3.6.1 du code de conduite prévoit que le harcèlement peut consister en des propos, des attitudes ou des agissements hostiles ou déplacés, « exprimés ou manifestés par un ou plusieurs membres du personnel » de la BEI.

 Sur le second moyen, tiré de la violation du devoir de diligence, du principe de bonne administration et de divers autres principes

183    Les conclusions indemnitaires de la requête peuvent être comprises, en substance, comme tendant également à la réparation de divers préjudices matériel et moral prétendument subis par le requérant du fait de la violation par la BEI du devoir de diligence, du principe de bonne administration et d’autres principes tels que l’exécution de bonne foi en matière contractuelle, en ce que, premièrement, elle aurait imposé au requérant plusieurs transferts de Luxembourg à Rome et inversement, ne l’aurait jamais promu, lui aurait fait perdre des compétences professionnelles et l’aurait empêché d’en acquérir de nouvelles ; deuxièmement, l’aurait isolé professionnellement, notamment par les restrictions imposées par la lettre du 6 mars 2001, et, troisièmement, l’aurait obligé à faire appel à un professionnel pour le représenter dans le cadre de la tentative de conciliation qui s’est achevée le 27 janvier 2011.

184    S’agissant de la première série de chefs de préjudice, il convient de rappeler que, aux points 260 à 269 de l’arrêt du 30 novembre 2009 (EU:F:2009:159), le Tribunal a considéré que, indépendamment de ses critiques relatives au harcèlement et à la violation du devoir de sollicitude, le requérant pouvait être considéré comme demandant la réparation des préjudices que lui auraient causés d’autres actes, à savoir : les mesures adoptées par la Banque lors de sa réintégration en 2005 après l’annulation de son licenciement, les décisions de le muter de Luxembourg à Rome puis de Rome à Luxembourg, le refus délibéré de la Banque de lui accorder une promotion depuis de nombreuses années, l’attribution de tâches dévalorisantes, le refus de la Banque de lui permettre de participer à des congrès, séminaires et réunions internationaux nécessaires au maintien de ses qualifications professionnelles. Le Tribunal a estimé à titre surabondant que, sur le fond, ces prétentions, qu’il a jugées à titre principal irrecevables pour défaut de demande préalable, ne pouvaient pas être accueillies. Par l’arrêt du 27 avril 2012 (EU:T:2012:205), le Tribunal de l’Union européenne a rejeté le moyen du pourvoi visant à contester les conclusions du Tribunal, lesquelles sont donc devenues définitives. Le requérant n’apportant aucun élément nouveau, les conclusions de sa requête tendant à la réparation de tels préjudices doivent être rejetées comme irrecevables.

185    Quant au deuxième chef de préjudice invoqué, il y a lieu de constater que la question du maintien des restrictions figurant dans la lettre du 6 mars 2001 ne fait pas l’objet de l’arrêt du 30 novembre 2009 (EU:F:2009:159). En revanche, au point 91 de l’arrêt du 16 décembre 2004 (EU:T:2004:367), le Tribunal de première instance a jugé que la lettre du 6 mars 2001 n’était pas entachée d’irrégularité au motif, en particulier, qu’« il conven[ait] […] de tenir compte des circonstances particulières [entourant] l’adoption de cette mesure, à savoir que, d’une part, le différend ayant abouti à l’arrêt du 23 février 2001 [(EU:T:2001:69)] avait sérieusement ébranlé la relation de confiance entre la Banque et le requérant et, d’autre part, la Banque disposait d’indices dont il ne saurait être exclu, à première vue, qu’ils aient pu l’amener à la conclusion que le requérant avait divulgué à des tiers des informations confidentielles sur ses activités et avait tenu des propos diffamants à l’égard de la Banque et de certains membres de son personnel. Dans de telles conditions, la défenderesse pouvait considérer, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, que la seule manière de concilier les intérêts du service avec ceux du requérant était de limiter les contacts que ce dernier pouvait avoir avec des tiers dans le cadre de l’exécution de ses fonctions. En outre, […] en soumettant de tels contacts à un régime d’autorisation préalable plutôt qu’à un régime d’interdiction totale, la défenderesse s’[était] tenue dans les limites raisonnables de ce qu’exige[ait] l’intérêt du service. Cette conclusion s’impos[ait] d’autant plus que, à l’instar des autres mesures prévues dans la lettre du 6 mars 2001 et son annexe, cette mesure, bien que fortement contraignante, a[vait] un caractère temporaire. »

186    Il découle de ce qui précède que, à la suite de la réintégration du requérant, la BEI pouvait limiter les contacts que le requérant pouvait avoir avec des tiers dans le cadre de l’exécution de ses fonctions et soumettre de tels contacts à un régime d’autorisation préalable uniquement en raison de circonstances particulières et pendant une période de temps limitée.

187    Or, il y a lieu de constater que la BEI n’a pas démontré l’existence de circonstances particulières permettant, une fois passée la période d’adaptation à la suite de la réintégration du requérant, de maintenir les restrictions prévues dans la lettre du 6 mars 2001 et son annexe. Il est, en outre, constant que, malgré les demandes répétées du requérant, il n’a été formellement mis un terme à l’application desdites restrictions que par la note du 25 janvier 2007 de M. Q. et de M. Gr.

188    Force est dès lors de constater que, ce faisant, la BEI a maintenu, pour une période de temps allant bien au-delà du caractère temporaire pouvant justifier leur adoption, des restrictions à l’encontre du requérant « fortement contraignante[s] », comme le Tribunal de première instance avait tenu d’ailleurs à les qualifier, dépassant ainsi « les limites raisonnables de ce qu’exige[ait] l’intérêt du service ». En effet, le Tribunal de première instance avait considéré ces limites comme « raisonnables » précisément dans la mesure où ces restrictions ne devaient avoir qu’« un caractère temporaire ». En outre, la BEI n’a pas justifié le retard avec lequel elle a répondu aux demandes du requérant de mettre fin à ces restrictions. Un tel comportement fautif est de nature à engager la responsabilité de la BEI.

189    Compte tenu de ce qui précède, il sera fait une juste appréciation, dans les circonstances particulières de l’espèce, du préjudice moral subi par le requérant, vu l’état d’incertitude et d’attente dans lequel le comportement de la BEI l’a placé, en fixant, ex aequo et bono, la réparation dudit chef de préjudice à la somme de 3 000 euros.

190    Enfin, quant au troisième chef de préjudice invoqué, il y a lieu de constater que, dans le silence de la réglementation applicable, le requérant ne fournit aucun argument ni élément tendant à démontrer que la BEI devait lui permettre de s’« auto-représenter » dans le cadre de la tentative de conciliation qui s’est achevée le 27 janvier 2011.

 Sur le neuvième chef de conclusions, tendant à l’adoption de diverses mesures d’instruction

191    Le requérant demande au Tribunal d’ordonner à la BEI de verser au dossier tous les actes reçus et examinés dans le cadre de l’enquête diligentée par le comité d’enquête au titre de la politique en matière de dignité au travail ; de verser l’ensemble de ses rapports d’appréciation depuis son entrée en fonction ; de verser l’organigramme de certaines directions de la BEI ; de verser un rapport détaillé montrant les grades et les promotions obtenus par certains des membres du personnel de la BEI depuis 1992 et un rapport détaillé sur les procédures et les mesures prises à l’égard de certains membres du personnel de la BEI ; d’interroger le représentant légal de la BEI et de lui poser une série de questions visées dans la requête ; d’ordonner une expertise pour évaluer le travail du requérant et constater le préjudice causé à sa santé.

192    Premièrement, le Tribunal ayant, par mesure d’organisation de la procédure, posé les questions et demandé les documents dont il estimait avoir besoin pour la solution du litige et ayant entendu les parties à l’audience, il n’y a plus lieu de statuer sur les présentes conclusions en ce qu’elles tendent à l’adoption d’une série de mesures d’instruction.

193    Deuxièmement, eu égard, d’une part, aux éléments du dossier et, d’autre part, aux motifs du présent arrêt, les expertises demandées ne présentent pas d’utilité pour la solution du présent litige. Par conséquent, la demande visant à ce que le Tribunal ordonne ces expertises doit être rejetée.

 Sur les dépens

194    Aux termes de l’article 101, paragraphe 1, du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe supporte ses propres dépens et est condamnée aux dépens exposés par l’autre partie, s’il est conclu en ce sens. En vertu de l’article 102, paragraphe 1, du même règlement, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe supporte ses propres dépens mais n’est condamnée que partiellement aux dépens exposés par l’autre partie, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

195    Il résulte des motifs énoncés dans le présent arrêt que, le recours ayant été pour l’essentiel accueilli, la BEI est la partie qui succombe. En outre, le requérant a, dans ses conclusions, expressément demandé que la BEI soit condamnée aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 102, paragraphe 1, du règlement de procédure, il y a lieu de décider que la BEI doit supporter ses propres dépens et être condamnée à supporter les dépens exposés par le requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision du 1er septembre 2010 par laquelle le président de la Banque européenne d’investissement a rejeté la plainte pour harcèlement moral de M. De Nicola est annulée.

2)      La Banque européenne d’investissement est condamnée à payer à M. De Nicola la somme de 3 000 euros.

3)      Le recours est rejeté pour le surplus.

4)      La Banque européenne d’investissement supporte ses propres dépens et est condamnée à supporter les dépens exposés par M. De Nicola.

Perillo

Barents

Svenningsen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 novembre 2014.

Le greffier

 

       Le président

W. Hakenberg

 

       R. Barents


* Langue de procédure : l’italien.

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