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Document 62008CJ0480

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 23 février 2010.
Maria Teixeira contre London Borough of Lambeth et Secretary of State for the Home Department.
Demande de décision préjudicielle: Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) - Royaume-Uni.
Libre circulation des personnes - Droit de séjour - Ressortissante d’un État membre ayant travaillé dans un autre État membre et y étant demeurée après la cessation de son activité professionnelle - Enfant suivant une formation professionnelle dans l’État membre d’accueil - Absence de moyens de subsistance propres - Règlement (CEE) nº 1612/68 - Article 12 - Directive 2004/38/CE.
Affaire C-480/08.

European Court Reports 2010 I-01107

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2010:83

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

23 février 2010 ( *1 )

«Libre circulation des personnes — Droit de séjour — Ressortissante d’un État membre ayant travaillé dans un autre État membre et y étant demeurée après la cessation de son activité professionnelle — Enfant suivant une formation professionnelle dans l’État membre d’accueil — Absence de moyens de subsistance propres — Règlement (CEE) no 1612/68 — Article 12 — Directive 2004/38/CE»

Dans l’affaire C-480/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni), par décision du 10 octobre 2008, parvenue à la Cour le , dans la procédure

Maria Teixeira

contre

London Borough of Lambeth,

Secretary of State for the Home Department,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts, J.-C. Bonichot et Mme P. Lindh, présidents de chambre, MM. C. W. A. Timmermans, A. Rosas (rapporteur), K. Schiemann, P. Kūris, E. Juhász, L. Bay Larsen, T. von Danwitz et A. Arabadjiev, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 2 septembre 2009,

considérant les observations présentées:

pour Mme Teixeira, par M. R. Gordon, QC, et M. A. Berry, barrister, mandatés par Mme N. Clarkson, solicitor,

pour le London Borough of Lambeth, par M. T. Vanhegan, barrister,

pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme V. Jackson, en qualité d’agent, assistée de M. C. Lewis, QC,

pour le gouvernement danois, par MM. J. Liisberg et R. Holdgaard, en qualité d’agents,

pour le gouvernement portugais, par M. L. Fernandes et Mme M. F. Pinheiro, en qualité d’agents,

pour la Commission des Communautés européennes, par Mme D. Maidani et M. M. Wilderspin, en qualité d’agents,

pour l’Autorité de surveillance AELE, par M. N. Fenger ainsi que par Mmes L. Armati et I. Hauger, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 octobre 2009,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 12 du règlement (CEE) no 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2), tel que modifié par le règlement (CEE) no 2434/92 du Conseil, du (JO L 245, p. 1, ci-après le «règlement no 1612/68»), et de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du , relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO L 158, p. 77, et rectificatifs JO 2004, L 229, p. 35, JO 2005, L 197, p. 34, et JO 2007, L 204, p. 28).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Teixeira au London Borough of Lambeth (municipalité de Lambeth à Londres) et au Secretary of State for the Home Department au sujet du rejet par ladite municipalité de la demande de Mme Teixeira tendant à obtenir le bénéfice d’une aide au logement.

Le cadre juridique

La réglementation de l’Union

3

Le cinquième considérant du règlement no 1612/68 est libellé comme suit:

«considérant que le droit de libre circulation exige, pour qu’il puisse s’exercer dans des conditions objectives de liberté et de dignité, que soit assurée, en fait et en droit, l’égalité de traitement pour tout ce qui se rapporte à l’exercice même d’une activité salariée et à l’accès au logement, et aussi que soient éliminés les obstacles qui s’opposent à la mobilité des travailleurs notamment en ce qui concerne le droit pour le travailleur de se faire rejoindre par sa famille et les conditions d’intégration de cette famille dans le milieu du pays d’accueil».

4

L’article 10 du règlement no 1612/68 énonçait:

«1.   Ont le droit de s’installer avec le travailleur ressortissant d’un État membre employé sur le territoire d’un autre État membre, quelle que soit leur nationalité:

a)

son conjoint et leurs descendants de moins de vingt et un ans ou à charge;

b)

les ascendants de ce travailleur et de son conjoint qui sont à sa charge.

2.   Les États membres favorisent l’admission de tout membre de la famille qui ne bénéficie pas des dispositions du paragraphe 1 s’il se trouve à la charge ou vit, dans le pays de provenance, sous le toit du travailleur visé ci-dessus.

3.   Pour l’application des paragraphes 1 et 2, le travailleur doit disposer d’un logement pour sa famille, considéré comme normal pour les travailleurs nationaux dans la région où il est employé, sans que cette disposition puisse entraîner de discriminations entre les travailleurs nationaux et les travailleurs en provenance d’autres États membres.»

5

L’article 11 du règlement no 1612/68 disposait:

«Le conjoint et les enfants de moins de vingt et un ans ou à charge d’un ressortissant d’un État membre exerçant sur le territoire d’un État membre une activité salariée ou non salariée ont le droit d’accéder à toute activité salariée sur l’ensemble du territoire de ce même État, même s’ils n’ont pas la nationalité d’un État membre.»

6

Les articles 10 et 11 du règlement no 1612/68 ont été abrogés avec effet au 30 avril 2006 en vertu de l’article 38, paragraphe 1, de la directive 2004/38.

7

L’article 12 du règlement no 1612/68, qui ne figure pas parmi les dispositions de ce règlement abrogées par la directive 2004/38, prévoit:

«Les enfants d’un ressortissant d’un État membre qui est ou a été employé sur le territoire d’un autre État membre sont admis aux cours d’enseignement général, d’apprentissage et de formation professionnelle dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État, si ces enfants résident sur son territoire.

Les États membres encouragent les initiatives permettant à ces enfants de suivre les cours précités dans les meilleures conditions.»

8

Les troisième et seizième considérants de la directive 2004/38 sont libellés comme suit:

«(3)

La citoyenneté de l’Union devrait constituer le statut de base des ressortissants des États membres lorsqu’ils exercent leur droit de circuler et de séjourner librement. Il est par conséquent nécessaire de codifier et de revoir les instruments communautaires existants qui visent séparément les travailleurs salariés, les non-salariés, les étudiants et autres personnes sans emploi en vue de simplifier et de renforcer le droit à la liberté de circulation et de séjour de tous les citoyens de l’Union.

[…]

(16)

Les bénéficiaires du droit de séjour ne devraient pas faire l’objet de mesures d’éloignement aussi longtemps qu’ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil. En conséquence, une mesure d’éloignement ne peut pas être la conséquence automatique du recours à l’assistance sociale. L’État membre d’accueil devrait examiner si, dans ce cas, il s’agit de difficultés d’ordre temporaire et prendre en compte la durée du séjour, la situation personnelle et le montant de l’aide accordée, afin de déterminer si le bénéficiaire constitue une charge déraisonnable pour son système d’assistance sociale et de procéder, le cas échéant, à son éloignement. En aucun cas, une mesure d’éloignement ne devrait être arrêtée à l’encontre de travailleurs salariés, de non-salariés ou de demandeurs d’emploi tels que définis par la Cour de justice, si ce n’est pour des raisons d’ordre public et de sécurité publique.»

9

L’article 7 de la directive 2004/38 réglemente le droit de séjour pour une durée supérieure à trois mois des citoyens de l’Union dans un État membre dont ils ne sont pas ressortissants. Aux termes du paragraphe 1 de cet article:

«Tout citoyen de l’Union a le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une durée de plus de trois mois:

a)

s’il est un travailleur salarié ou non salarié dans l’État membre d’accueil, ou

b)

s’il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de son séjour, et d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil, ou,

c)

s’il est inscrit dans un établissement privé ou public, agréé ou financé par l’État membre d’accueil sur la base de sa législation ou de sa pratique administrative, pour y suivre à titre principal des études, y compris une formation professionnelle et

s’il dispose d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil et garantit à l’autorité nationale compétente, par le biais d’une déclaration ou par tout autre moyen équivalent de son choix, qu’il dispose de ressources suffisantes pour lui-même et pour les membres de sa famille afin d’éviter de devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de la période de séjour; ou

d)

si c’est un membre de la famille accompagnant ou rejoignant un citoyen de l’Union qui lui-même satisfait aux conditions énoncées aux points a), b) ou c).»

10

L’article 12 de la directive 2004/38, intitulé «Maintien du droit de séjour des membres de la famille en cas de décès ou départ du citoyen de l’Union», énonce à son paragraphe 3:

«Le départ du citoyen de l’Union ou son décès n’entraîne pas la perte du droit de séjour de ses enfants ou du parent qui a effectivement la garde des enfants, quelle que soit leur nationalité, pour autant que ceux-ci résident dans l’État membre d’accueil et soient inscrits dans un établissement scolaire pour y suivre un enseignement, jusqu’à la fin de leurs études.»

11

L’article 16 de ladite directive dispose que les citoyens de l’Union ayant séjourné légalement pendant une période ininterrompue de cinq ans sur le territoire de l’État membre d’accueil acquièrent le droit de séjour permanent sur son territoire.

12

L’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38 dispose, en particulier, que tout citoyen de l’Union qui séjourne sur le territoire de l’État membre d’accueil en vertu de cette directive bénéficie de l’égalité de traitement avec les ressortissants de cet État membre dans le domaine d’application du traité CE.

13

Ainsi qu’il ressort de l’article 40, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2004/38, les États membres devaient mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à celle-ci avant le 30 avril 2006.

La réglementation nationale

14

Les dispositions de la directive 2004/38 ont été transposées dans l’ordre juridique du Royaume-Uni par le règlement de 2006 relatif à l’immigration (Espace économique européen) [Immigration (European Economic Area) Regulations 2006].

15

En ce qui concerne l’aide au logement, la loi de 1996 relative au logement (Housing Act 1996) prévoit, à sa section VII, une aide au logement pour les personnes éligibles qui sont sans abri et qui remplissent certaines conditions.

16

Les détails de cette aide sont décrits dans le règlement de 2006 sur l’attribution de logements et les sans-abri (conditions requises) (Angleterre) [Allocation of Housing and Homelessness (Eligibility) (England) Regulations 2006].

17

Selon les indications de la décision de renvoi, pour avoir droit à l’aide au logement en vertu de l’article 6 de ce dernier règlement, relatif aux personnes venant de l’étranger qui ne sont pas soumises au contrôle de l’immigration, le demandeur doit à la fois avoir un droit de séjour et séjourner habituellement au Royaume-Uni.

18

Dans ce contexte, doivent notamment être considérés comme titulaires d’un droit de séjour au Royaume-Uni, outre les ressortissants britanniques, notamment, les ressortissants des États membres exerçant, au titre du droit de l’Union, un droit d’entrer sur le territoire du Royaume-Uni et d’y séjourner de manière prolongée.

19

Il résulte des dispositions nationales pertinentes que le droit au bénéfice de l’aide au logement de Mme Teixeira dépend du point de savoir si cette dernière bénéficie d’un droit de séjour au Royaume-Uni conféré par le droit de l’Union.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

20

Mme Teixeira, ressortissante portugaise, est arrivée au Royaume-Uni en 1989 avec son mari, également ressortissant portugais, et a travaillé dans cet État membre entre 1989 et 1991. Leur fille, Patricia, y est née le 2 juin 1991. Mme Teixeira et son mari ont ultérieurement divorcé, mais ils sont tous deux demeurés au Royaume-Uni.

21

Après 1991, Mme Teixeira a travaillé par intermittence au Royaume-Uni. Mme Teixeira n’exerçait pas d’activité professionnelle à la date à laquelle Patricia a commencé sa scolarité au Royaume-Uni, mais elle a travaillé au cours de différentes périodes pendant lesquelles sa fille poursuivait sa scolarité. Le dernier emploi qu’elle a occupé au Royaume-Uni remonte au début de l’année 2005.

22

Le 13 juin 2006, une juridiction a décidé que Patricia devait résider avec son père, mais qu’elle pouvait avoir avec sa mère autant de contacts qu’elle le souhaitait. Au mois de novembre 2006, Patricia s’est inscrite à un cours de puériculture au Vauxhall Learning Centre à Lambeth. Au mois de mars 2007, Patricia est allée vivre avec sa mère.

23

Le 11 avril 2007, Mme Teixeira a sollicité une aide au logement pour personnes sans abri au titre de la section VII de la loi de 1996 relative au logement. Pour prétendre disposer d’un droit de séjour au Royaume-Uni, elle se fondait notamment sur l’article 12 du règlement no 1612/68, tel qu’interprété par la Cour dans l’arrêt du , Baumbast et R (C-413/99, Rec. p. I-7091).

24

Le fonctionnaire compétent du London Borough of Lambeth a estimé que Mme Teixeira ne pouvait pas bénéficier d’une aide au logement et, en conséquence, il a rejeté la demande de cette dernière.

25

Mme Teixeira a contesté cette décision de rejet devant le fonctionnaire chargé d’examiner les recours en révision, lequel a maintenu la décision initiale en considérant que l’article 12 du règlement no 1612/68 avait été modifié par la directive 2004/38 et que, compte tenu de son absence d’autonomie économique, Mme Teixeira ne pouvait pas prétendre obtenir un droit de séjour sur le fondement de cet article.

26

Mme Teixeira a formé un recours contre cette décision devant le County Court.

27

Devant cette juridiction, Mme Teixeira a reconnu qu’elle ne bénéficiait pas d’un droit de séjour au titre de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2004/38, qu’elle ne remplissait pas les conditions prévues à l’article 7, paragraphe 3, de cette directive pour pouvoir être considérée comme ayant conservé la qualité de travailleur et qu’elle ne disposait pas d’un droit de séjour permanent au titre de l’article 16 de ladite directive.

28

Elle a soutenu que la seule base sur laquelle elle estimait être fondée à revendiquer un droit de séjour au Royaume-Uni consistait dans le fait que sa fille y poursuivait des études et disposait d’un droit de séjour autonome résultant de l’article 12 du règlement no 1612/68, tel qu’interprété par la Cour dans l’arrêt Baumbast et R, précité, et que, depuis le mois de mars 2007, elle avait effectivement la garde de sa fille.

29

Le County Court ayant rejeté son recours par un jugement du 16 novembre 2007, Mme Teixeira a interjeté appel de celui-ci devant la juridiction de renvoi.

30

Devant cette juridiction, Mme Teixeira fait notamment valoir que sa fille dispose d’un droit de séjour autonome au Royaume-Uni en vertu de l’article 12 du règlement no 1612/68, qu’elle-même dispose également d’un droit de séjour dans cet État membre, en tant qu’elle assure effectivement la garde de sa fille, et qu’il n’est pas exigé qu’un enfant ou la personne en ayant la garde soit capable de subvenir à ses propres besoins pour pouvoir bénéficier d’un droit de séjour au titre dudit article 12.

31

Les défendeurs au principal soutiennent que la directive 2004/38 définit désormais les conditions régissant le droit de séjour dans les États membres des citoyens de l’Union et des membres de leur famille, en sorte que l’exercice de tout droit de séjour, même si celui-ci résulte de l’article 12 du règlement no 1612/68, présuppose que les personnes concernées remplissent les conditions de séjour énoncées dans cette directive. Puisque Mme Teixeira a elle-même reconnu qu’elle ne remplit pas les conditions auxquelles les articles 7 et 16 de ladite directive subordonnent l’octroi du droit de séjour, le London Borough of Lambeth aurait été fondé à conclure qu’elle n’avait pas acquis un tel droit et ne pouvait donc pas bénéficier d’une aide au logement.

32

À titre subsidiaire, les défendeurs au principal font valoir que, s’il existe une possibilité pour Mme Teixeira de tirer un droit de séjour de l’article 12 du règlement no 1612/68 même si elle ne remplit pas les conditions prévues par la directive 2004/38, un tel droit présuppose alors que la requérante au principal soit capable de subvenir à ses propres besoins, ce qui n’est pas le cas. Par ailleurs, le droit de séjour conféré au parent ayant la garde de l’enfant expirerait à la date à laquelle celui-ci atteint l’âge de 18 ans. Enfin, Mme Teixeira n’ayant pas eu la qualité de travailleur lorsque sa fille a commencé ses études et n’ayant ultérieurement travaillé que pendant de brèves périodes, elle ne serait pas fondée à revendiquer un droit de séjour en invoquant le seul fait que sa fille poursuit des études.

33

La Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division), qui avait déjà saisi la Cour à titre préjudiciel dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de ce jour, Ibrahim et Secretary of State for the Home Department (C-310/08, Rec. p. I-1065), qui concerne le droit de séjour d’un parent qui n’a pas la qualité de citoyen de l’Union, mais dont les enfants sont de nationalité danoise et suivent des études au Royaume Uni, a également décidé de surseoir à statuer dans l’affaire au principal et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«Dans des circonstances où

une citoyenne de l’Union est venue au Royaume-Uni,

elle a travaillé pendant certaines périodes au Royaume-Uni,

elle a cessé de travailler, mais n’a pas quitté le Royaume-Uni,

elle n’a pas conservé la qualité de travailleur et n’a pas de droit de séjour au titre de l’article 7 de la directive 2004/38 […] ni de droit de séjour permanent au titre de l’article 16 de cette même directive,

l’enfant de cette citoyenne de l’Union a commencé des études à un moment où cette dernière ne travaillait pas, mais a poursuivi ses études au Royaume-Uni au cours de périodes où elle travaillait au Royaume-Uni,

la citoyenne de l’Union est la personne qui a effectivement la garde de l’enfant et

la citoyenne de l’Union et son enfant ne sont pas capables de subvenir à leurs propres besoins:

1)

la citoyenne de l’Union ne jouit-elle d’un droit de séjour au Royaume-Uni que si elle satisfait aux conditions définies par la directive 2004/38 […]?

ou

2)

a)

la citoyenne de l’Union jouit-elle d’un droit de séjour résultant de l’article 12 du règlement [… ] no 1612/68 […], tel qu’interprété par la Cour de justice, sans devoir satisfaire aux conditions définies par la directive 2004/38 […]?

et

b)

si oui, doit-elle disposer de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil pendant la période de séjour envisagée ainsi que d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil?

c)

si oui, l’enfant doit-il avoir commencé ses études à un moment où la citoyenne de l’Union travaillait pour pouvoir jouir d’un droit de séjour résultant de l’article 12 du règlement […] no 1612/68 […], tel qu’interprété par la Cour de justice, ou suffit-il que la citoyenne de l’Union ait travaillé à certains moments après que l’enfant a commencé ses études?

d)

le droit de séjour dont la citoyenne de l’Union jouit du fait qu’elle assure effectivement la garde de l’enfant poursuivant des études prend-il fin lorsque l’enfant atteint l’âge de dix-huit ans?

3)

Si la réponse à la première question est affirmative, la situation est-elle différente dans des circonstances telles que celles de l’espèce où l’enfant a commencé ses études avant la date à laquelle la directive 2004/38 […] devait être transposée par les États membres, mais que la mère n’est pas devenue la personne assurant effectivement la garde de l’enfant et n’a pas revendiqué un droit de séjour à ce titre avant le mois de mars 2007, c’est-à-dire après la date à laquelle la directive devait être transposée?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question et la deuxième question, sous a)

34

Par sa première question et sa deuxième question, sous a), qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si, dans des circonstances telles que celles au principal, le ressortissant d’un État membre qui a été employé sur le territoire d’un autre État membre, dans lequel son enfant poursuit des études, peut, en sa qualité de parent assurant effectivement la garde de cet enfant, se prévaloir, sur le seul fondement de l’article 12 du règlement no 1612/68, d’un droit de séjour dans ce dernier État membre, sans qu’il soit tenu de satisfaire aux conditions définies dans la directive 2004/38, ou si un droit de séjour peut uniquement lui être reconnu s’il satisfait auxdites conditions.

35

L’article 12 du règlement no 1612/68 confère aux enfants d’un ressortissant d’un État membre qui est ou a été employé sur le territoire d’un autre État membre le droit d’accéder aux cours d’enseignement général, d’apprentissage et de formation professionnelle dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État, si ces enfants résident sur son territoire.

36

Dans l’arrêt Baumbast et R, précité, la Cour a reconnu, en liaison avec le droit d’accès à l’enseignement énoncé à l’article 12 du règlement no 1612/68 et sous certaines conditions, un droit de séjour à l’enfant d’un travailleur migrant ou d’un ancien travailleur migrant, lorsque cet enfant souhaite poursuivre ses études dans l’État membre d’accueil, ainsi qu’un droit de séjour correspondant en faveur du parent assurant effectivement la garde de cet enfant.

37

Ainsi, en premier lieu, la Cour a jugé que les enfants d’un citoyen de l’Union qui se sont installés dans un État membre alors que leur parent exerçait des droits de séjour en tant que travailleur migrant dans cet État membre sont en droit d’y séjourner afin d’y poursuivre des cours d’enseignement général, conformément à l’article 12 du règlement no 1612/68. Le fait que les parents des enfants concernés ont entre-temps divorcé et le fait que le parent qui exerçait des droits de séjour en tant que travailleur migrant n’exerce plus d’activité économique dans l’État membre d’accueil n’ont à cet égard aucune incidence (voir, en ce sens, arrêt Baumbast et R, précité, point 63).

38

En second lieu, la Cour a également jugé que, lorsque les enfants jouissent, en vertu de l’article 12 du règlement no 1612/68, du droit de continuer leur scolarité dans l’État membre d’accueil, tandis que les parents assurant leur garde risquent de perdre leurs droits de séjour, le refus d’accorder auxdits parents la possibilité de demeurer dans l’État membre d’accueil pendant la scolarité de leurs enfants pourrait être de nature à priver ces derniers d’un droit qui leur a été reconnu par le législateur de l’Union (voir, en ce sens, arrêt Baumbast et R, précité, point 71).

39

Après avoir rappelé, au point 72 dudit arrêt Baumbast et R, qu’il faut interpréter le règlement no 1612/68 à la lumière de l’exigence du respect de la vie familiale prévu à l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, la Cour a conclu, au point 73 du même arrêt, que le droit reconnu par l’article 12 de ce règlement à l’enfant d’un travailleur migrant de poursuivre, dans les meilleures conditions, sa scolarité dans l’État membre d’accueil implique nécessairement que ledit enfant ait le droit d’être accompagné par la personne assurant effectivement sa garde et, dès lors, que cette personne soit en mesure de résider avec lui dans ledit État membre pendant ses études.

40

Il ressort de la décision de renvoi que la juridiction nationale cherche à savoir si les droits qui ont ainsi été reconnus à l’enfant et au parent qui en a effectivement la garde sont fondés sur le seul article 12 du règlement no 1612/68 ou sur une application des dispositions combinées des articles 10 et 12 du même règlement.

41

Dans cette dernière hypothèse, étant donné que ledit article 10 a été abrogé et remplacé par les règles énoncées dans la directive 2004/38, la juridiction de renvoi se demande si l’interprétation consacrée par l’arrêt Baumbast et R, précité, s’applique encore depuis l’entrée en vigueur de la directive 2004/38 et si le droit de séjour en faveur de la personne assurant effectivement la garde de l’enfant n’est pas désormais soumis aux conditions d’exercice du droit de séjour établies par cette directive.

42

En ce qui concerne une personne telle que la requérante au principal, qui a cessé de travailler et n’a pas conservé la qualité de travailleur, ces conditions résultent de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, selon lequel un ressortissant d’un État membre a le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une durée de plus de trois mois sans exercer une activité économique s’il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes et d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil.

43

Il convient, dans ce contexte, d’examiner si, ainsi que le soutiennent Mme Teixeira, le gouvernement portugais, la Commission des Communautés européennes et l’Autorité de surveillance AELE, même après l’entrée en vigueur de la directive 2004/38, l’article 12 du règlement no 1612/68 permet de reconnaître un droit de séjour à la personne qui, dans l’État membre d’accueil, assure effectivement la garde de l’enfant d’un travailleur migrant poursuivant des études sur le territoire de cet État.

44

En premier lieu, le droit des enfants des travailleurs migrants à l’égalité de traitement dans l’accès à l’enseignement, au titre de l’article 12 du règlement no 1612/68, ne bénéficie qu’aux enfants qui résident sur le territoire de l’État membre dans lequel l’un de leurs parents est ou a été employé.

45

L’accès à l’enseignement dépend ainsi de l’installation préalable de l’enfant dans l’État membre d’accueil. Les enfants qui se sont installés dans l’État membre d’accueil en leur qualité de membres de la famille d’un travailleur migrant de même que, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 39 de ses conclusions, l’enfant d’un travailleur migrant qui, comme la fille de Mme Teixeira dans l’affaire au principal, réside depuis sa naissance dans l’État membre dans lequel son père ou sa mère est ou a été employé peuvent se prévaloir du droit d’accès à l’enseignement dans cet État.

46

Contrairement à ce que soutiennent le London Borough of Lambeth ainsi que les gouvernements du Royaume-Uni et danois, l’article 12 du règlement no 1612/68, tel qu’interprété par la Cour dans l’arrêt Baumbast et R, précité, permet de reconnaître à l’enfant, en liaison avec son droit d’accès à l’enseignement, un droit de séjour autonome. En particulier, l’exercice du droit d’accès à l’enseignement n’était pas subordonné à la condition que l’enfant conserve, pendant toute la durée de ses études, un droit de séjour spécifique en vertu de l’article 10, paragraphe 1, sous a), dudit règlement, lorsque cette disposition était encore en vigueur.

47

Aux points 21 à 24 de son arrêt du 4 mai 1995, Gaal (C-7/94, Rec. p. I-1031), la Cour a rejeté l’argumentation selon laquelle il existait un lien étroit entre les articles 10 et 11 du règlement no 1612/68, d’une part, et l’article 12 du même règlement, d’autre part, en sorte que cette dernière disposition n’accorderait le droit à l’égalité de traitement pour l’accès à l’enseignement dans l’État membre d’accueil qu’aux enfants remplissant les conditions énoncées à ces articles 10 et 11. Au point 23 dudit arrêt Gaal, la Cour a explicitement relevé que l’article 12 ne contient aucune référence auxdits articles 10 et 11.

48

En effet, il irait à l’encontre du contexte dans lequel vient s’insérer l’article 12 du règlement no 1612/68 ainsi que des finalités que cet article poursuit de faire dépendre l’exercice du droit d’accès à l’enseignement de l’existence d’un droit de séjour distinct de l’enfant apprécié au regard d’autres dispositions du même règlement (voir, en ce sens, arrêt Gaal, précité, point 25).

49

Il en résulte que, dès lors qu’est acquis le droit d’accès à l’enseignement tiré par l’enfant de l’article 12 dudit règlement en raison de son installation sur le territoire de l’État membre dans lequel l’un de ses parents est ou a été employé, le droit de séjour demeure dans le chef de l’enfant et ne peut plus être remis en cause du fait du non-respect des conditions qui étaient énoncées à l’article 10 du même règlement.

50

En second lieu, le droit des enfants à l’égalité de traitement en ce qui concerne l’accès à l’enseignement ne dépend pas de la circonstance que leur père ou leur mère conserve la qualité de travailleur migrant dans l’État membre d’accueil. Ainsi qu’il ressort du libellé même dudit article 12, ce droit n’est pas limité aux enfants des travailleurs migrants et s’applique également aux enfants des anciens travailleurs migrants.

51

Au point 69 de l’arrêt Baumbast et R, précité, la Cour a d’ailleurs expressément relevé que l’article 12 du règlement no 1612/68 vise particulièrement à assurer que les enfants d’un travailleur ressortissant d’un État membre puissent, même si celui-ci n’exerce plus une activité salariée dans l’État membre d’accueil, entreprendre et, le cas échéant, terminer leur scolarité dans ce dernier État.

52

Selon une jurisprudence bien établie, l’article 12 du règlement no 1612/68 exige uniquement que l’enfant ait vécu avec ses parents ou avec l’un d’eux dans un État membre pendant que l’un de ses parents au moins y résidait en qualité de travailleur (arrêts du 21 juin 1988, Brown, 197/86, Rec. p. 3205, point 30, et Gaal, précité, point 27).

53

L’application de l’article 12 du règlement no 1612/68 doit ainsi être effectuée de manière autonome au regard des dispositions du droit de l’Union qui régissent expressément les conditions d’exercice du droit de séjour dans un autre État membre.

54

Une telle autonomie de l’article 12 du règlement no 1612/68 au regard de l’article 10 du même règlement, aujourd’hui abrogé, a constitué le fondement de la jurisprudence de la Cour rappelée aux points 37 à 39 du présent arrêt et n’a pas été remise en cause par l’entrée en vigueur de la directive 2004/38.

55

Le London Borough of Lambeth ainsi que les gouvernements du Royaume-Uni et danois soutiennent que la directive 2004/38 constitue, depuis son entrée en vigueur, le fondement unique des conditions régissant l’exercice du droit de séjour dans les États membres pour les citoyens de l’Union et les membres de leur famille et que, par conséquent, aucun droit de séjour ne saurait désormais être déduit de l’article 12 du règlement no 1612/68.

56

À cet égard, aucun élément ne permet de penser que, en adoptant la directive 2004/38, le législateur communautaire a entendu modifier la portée dudit article 12 tel qu’il était interprété par la Cour pour en limiter dorénavant le contenu normatif à un simple droit d’accéder à l’enseignement.

57

Il importe de souligner dans ce contexte que, à la différence des articles 10 et 11 du règlement no 1612/68, l’article 12 de celui-ci n’a pas été abrogé ni même modifié par la directive 2004/38. Le législateur de l’Union n’a donc pas entendu introduire, avec celle-ci, des restrictions au champ d’application de cet article 12, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour.

58

Une telle interprétation est confortée par le fait qu’il ressort des travaux préparatoires de la directive 2004/38 que celle-ci a été conçue de manière à être cohérente avec l’arrêt Baumbast et R, précité [COM(2003) 199 final, p. 7].

59

En outre, si l’article 12 du règlement no 1612/68 devait être interprété comme se limitant, depuis l’entrée en vigueur de la directive 2004/38, à conférer le droit à l’égalité de traitement en ce qui concerne l’accès à l’enseignement sans prévoir aucun droit de séjour au profit des enfants des travailleurs migrants, son maintien apparaîtrait comme superflu depuis l’entrée en vigueur de cette directive. En effet, l’article 24, paragraphe 1, de celle-ci prévoit que tout citoyen de l’Union qui séjourne sur le territoire de l’État membre d’accueil bénéficie de l’égalité de traitement avec les ressortissants de cet État dans le domaine d’application du traité et, à cet égard, il a été jugé que l’accès à l’enseignement relève du champ d’application du droit de l’Union (voir, notamment, arrêt du 13 février 1985, Gravier, 293/83, Rec. p. 593, points 19 et 25).

60

Enfin, il convient de relever que, selon son troisième considérant, la directive 2004/38 a notamment pour objet de simplifier et de renforcer le droit à la liberté de circulation et de séjour de tous les citoyens de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2008, Metock e.a., C-127/08, Rec. p. I-6241, point 59). Or, dans des circonstances telles que celles au principal, subordonner l’application de l’article 12 du règlement no 1612/68 au respect des conditions énoncées à l’article 7 de cette directive aurait pour effet que le droit de séjour des enfants de travailleurs migrants dans l’État membre d’accueil en vue d’y entreprendre ou d’y poursuivre leurs études et le droit de séjour du parent qui en a effectivement la garde seraient soumis à des conditions plus strictes que celles qui leur étaient applicables avant l’entrée en vigueur de ladite directive.

61

Il convient donc de répondre à la première question et à la deuxième question, sous a), que le ressortissant d’un État membre qui a été employé sur le territoire d’un autre État membre, dans lequel son enfant poursuit des études, peut, dans des circonstances telles que celles au principal, se prévaloir, en sa qualité de parent assurant effectivement la garde de cet enfant, d’un droit de séjour dans l’État membre d’accueil sur le seul fondement de l’article 12 du règlement no 1612/68, sans qu’il soit tenu de satisfaire aux conditions définies dans la directive 2004/38.

Sur la deuxième question, sous b)

62

Par sa deuxième question, sous b), la juridiction de renvoi demande en substance si le droit de séjour dans l’État membre d’accueil dont bénéficie le parent qui a effectivement la garde d’un enfant exerçant le droit de poursuivre des études conformément à l’article 12 du règlement no 1612/68 est soumis à la condition selon laquelle ce parent doit disposer de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de cet État membre au cours de son séjour et d’une assurance maladie complète dans celui-ci.

63

Le London Borough of Lambeth ainsi que les gouvernements du Royaume-Uni et danois soutiennent que la possibilité pour les parents de bénéficier d’un droit de séjour sur le fondement de l’article 12 du règlement no 1612/68 n’a été reconnue dans l’arrêt Baumbast et R, précité, qu’en raison des circonstances particulières des deux affaires ayant donné lieu à cet arrêt, dans lesquelles était remplie la condition exigeant que les citoyens de l’Union disposent de ressources suffisantes pour eux-mêmes et pour les membres de leur famille. Cette jurisprudence ne saurait par conséquent être appliquée dans des situations où cette condition n’est pas remplie.

64

De tels arguments ne sauraient toutefois être retenus.

65

Dans l’une des affaires ayant donné lieu à l’arrêt Baumbast et R, précité, M. Baumbast, père des enfants dont le droit de séjour dans l’État membre d’accueil, au titre de l’article 12 du règlement no 1612/68, était en cause, disposait certes de ressources lui permettant, ainsi qu’à sa famille, de ne pas être une charge pour le système d’assistance sociale de cet État. Toutefois, le point de savoir si M. Baumbast était capable de subvenir à ses propres besoins n’a été abordé que dans le cadre de la troisième question posée par la juridiction de renvoi dans l’affaire propre à ce dernier, en relation avec son droit de séjour au regard de l’article 18 CE et de la directive 90/364/CEE du Conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour (JO L 180, p. 26).

66

En revanche, les réponses apportées par la Cour aux deux premières questions préjudicielles, qui visaient le droit de séjour des enfants et de leur mère qui en avait la garde, ont été fondées non pas sur l’autonomie économique de ceux-ci, mais sur le fait que l’objectif du règlement no 1612/68, à savoir la libre circulation des travailleurs, exige des conditions optimales d’intégration de la famille du travailleur dans l’État membre d’accueil et que le refus d’accorder aux parents assurant la garde des enfants la possibilité de demeurer dans l’État membre d’accueil pendant la scolarité de ces derniers pourrait être de nature à les priver d’un droit qui leur est reconnu par le législateur de l’Union (arrêt Baumbast et R, précité, points 50 et 71).

67

En tout état de cause, dans la mesure où, au point 74 de l’arrêt Baumbast et R, précité, la Cour a rappelé que, compte tenu du contexte et des finalités poursuivies par le règlement no 1612/68, et notamment son article 12, celui-ci ne saurait être interprété de façon restrictive et ne doit pas être privé de son effet utile, il ne saurait être soutenu sur la base de cet arrêt que l’octroi du droit de séjour en cause est soumis à une condition d’autonomie financière, la Cour n’ayant aucunement, même de manière implicite, fondé son raisonnement sur une telle condition.

68

L’interprétation selon laquelle le droit de séjour dans l’État membre d’accueil des enfants qui y suivent des études et du parent qui en a effectivement la garde n’est pas subordonné à la condition de disposer de ressources suffisantes et d’une assurance maladie complète est confortée par l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2004/38, qui dispose que le départ du citoyen de l’Union ou son décès n’entraîne pas la perte du droit de séjour de ses enfants ou du parent qui a effectivement la garde de ces derniers, quelle que soit leur nationalité, pour autant que ceux-ci résident dans l’État membre d’accueil et soient inscrits dans un établissement scolaire pour y suivre un enseignement, jusqu’à la fin de leurs études.

69

Cette disposition, même si elle n’est pas applicable au litige au principal, illustre l’importance particulière que la directive 2004/38 attache à la situation des enfants qui poursuivent des études dans l’État membre d’accueil et des parents qui en ont la garde.

70

Il convient donc de répondre à la deuxième question, sous b), que le droit de séjour dans l’État membre d’accueil dont bénéficie le parent qui a effectivement la garde d’un enfant exerçant le droit de poursuivre des études conformément à l’article 12 du règlement no 1612/68 n’est pas soumis à la condition selon laquelle ce parent doit disposer de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de cet État membre au cours de son séjour et d’une assurance maladie complète dans celui-ci.

Sur la deuxième question, sous c)

71

Par sa deuxième question, sous c), la juridiction de renvoi demande en substance si le droit de séjour dans l’État membre d’accueil dont bénéficie le parent qui a effectivement la garde d’un enfant d’un travailleur migrant, lorsque cet enfant poursuit des études dans cet État, est soumis à la condition que l’un des parents de l’enfant ait exercé, à la date à laquelle ce dernier a commencé ses études, une activité professionnelle en tant que travailleur migrant dans ledit État membre.

72

Selon son libellé, l’article 12 du règlement no 1612/68 s’applique tant aux enfants dont le parent «est employé» sur le territoire de l’État membre d’accueil qu’à ceux dont le parent y «a été employé». Rien dans le texte de cet article n’indique que le champ d’application de celui-ci serait limité aux situations dans lesquelles l’un des parents de l’enfant avait la qualité de travailleur migrant au moment précis où cet enfant a commencé ses études ni que les enfants d’anciens travailleurs migrants n’auraient qu’un droit d’accès limité à l’enseignement dans l’État membre d’accueil.

73

Ainsi qu’il a été indiqué au point 50 du présent arrêt, le droit d’accès de l’enfant à l’enseignement au titre dudit article 12 ne dépend pas du maintien de la qualité de travailleur migrant du parent concerné. Les enfants d’anciens travailleurs migrants peuvent donc se prévaloir des droits découlant de cet article 12 au même titre que les enfants de citoyens de l’Union qui ont la qualité de travailleurs migrants.

74

Eu égard à la jurisprudence rappelée au point 37 du présent arrêt, il suffit que l’enfant qui poursuit des études dans l’État membre d’accueil se soit installé dans ce dernier alors que l’un de ses parents y exerçait des droits de séjour en tant que travailleur migrant. Le droit pour l’enfant de séjourner dans cet État pour y suivre des études, conformément à l’article 12 du règlement no 1612/68, et, par voie de conséquence, le droit de séjour du parent qui en assure effectivement la garde ne sauraient donc être soumis à la condition que l’un des parents de l’enfant ait exercé, à la date à laquelle ce dernier a commencé ses études, une activité professionnelle en tant que travailleur migrant dans l’État membre d’accueil.

75

Par conséquent, il convient de répondre à la deuxième question, sous c), que le droit de séjour dans l’État membre d’accueil dont bénéficie le parent qui a effectivement la garde d’un enfant d’un travailleur migrant, lorsque cet enfant poursuit des études dans cet État, n’est pas soumis à la condition que l’un des parents de l’enfant ait exercé, à la date à laquelle ce dernier a commencé ses études, une activité professionnelle en tant que travailleur migrant dans ledit État membre.

Sur la deuxième question, sous d)

76

Par sa deuxième question, sous d), la juridiction de renvoi demande en substance si le droit de séjour dans l’État membre d’accueil dont bénéficie le parent assurant effectivement la garde d’un enfant d’un travailleur migrant, lorsque cet enfant poursuit des études dans cet État, prend fin à la majorité de cet enfant.

77

Il ressort du dossier soumis à la Cour que cette question de l’incidence de la majorité de l’enfant sur le droit de séjour dont son parent est titulaire en qualité de personne en ayant effectivement la garde est motivée par la circonstance que la fille de Mme Teixeira était âgée de 15 ans lors de l’introduction de la demande d’aide au logement et a entre-temps atteint l’âge de 18 ans, devenant donc majeure selon la législation en vigueur au Royaume-Uni. Cette question doit être examinée au regard de l’article 12 du règlement no 1612/68, cette disposition étant, ainsi qu’il ressort de la réponse à la première question et à la deuxième question, sous a), celle qui permet de fonder un droit de séjour en faveur d’une personne dans la situation de Mme Teixeira.

78

En premier lieu, il convient d’observer que la survenance de la majorité n’a pas d’incidence directe sur les droits conférés à l’enfant par l’article 12 du règlement no 1612/68, tel qu’interprété par la Cour.

79

En effet, eu égard à leur objet et à leur finalité, tant le droit d’accéder à l’enseignement prévu à l’article 12 du règlement no 1612/68 que le droit de séjour corrélatif de l’enfant perdurent jusqu’à ce que ce dernier ait terminé ses études.

80

Dans la mesure où, selon une jurisprudence bien établie, le champ d’application de l’article 12 du règlement no 1612/68 inclut également les études supérieures (voir, notamment, arrêts du 15 mars 1989, Echternach et Moritz, 389/87 et 390/87, Rec. p. 723, points 29 et 30, ainsi que Gaal, précité, point 24), la date à laquelle l’enfant termine ses études peut se situer après la majorité de celui-ci.

81

Dans l’arrêt Gaal, précité, la Cour s’est prononcée sur le point de savoir si la notion d’«enfant» au sens de l’article 12 du règlement no 1612/68 se limite aux enfants âgés de moins de 21 ans ou à charge du travailleur migrant, afin de juger si le droit à l’égalité de traitement énoncé à cet article pouvait être invoqué, en liaison avec l’allocation d’une aide à la formation, par l’enfant d’un tel travailleur âgé de 21 ans ou plus qui n’était plus à la charge de ce dernier.

82

Après avoir rappelé, au point 24 de l’arrêt Gaal, précité, que le principe d’égalité de traitement énoncé à l’article 12 du règlement no 1612/68 exige que l’enfant d’un travailleur migrant puisse poursuivre ses études en vue de les terminer avec succès, la Cour a jugé, au point 25 du même arrêt, que cet article 12 couvre les aides financières dont peuvent bénéficier les étudiants qui se trouvent déjà à un stade avancé de leurs études, même s’ils ont déjà atteint l’âge de 21 ans ou plus et ne sont plus à la charge de leurs parents.

83

Selon cette jurisprudence, soumettre l’application dudit article 12 à une limite d’âge ou au statut d’enfant à charge irait à l’encontre non seulement de la lettre de cette disposition, mais également de son esprit (arrêt Gaal, précité, point 25).

84

En second lieu, il convient d’examiner si la circonstance que les droits découlant pour l’enfant de l’article 12 du règlement no 1612/68 ont ainsi été reconnus, sans condition d’âge, à des enfants majeurs ou qui ne sont plus à la charge du travailleur migrant permet au parent prenant soin d’un enfant majeur de séjourner avec lui dans l’État membre d’accueil jusqu’à la fin de ses études.

85

Au point 73 de l’arrêt Baumbast et R, précité, la Cour a jugé qu’il serait porté atteinte au droit pour l’enfant d’un travailleur migrant de poursuivre, dans les meilleures conditions, sa scolarité dans l’État membre d’accueil si la personne assurant effectivement sa garde n’était pas en mesure de résider avec lui dans ledit État membre pendant ses études.

86

Même si un enfant qui atteint l’âge de la majorité est en principe présumé apte à satisfaire à ses propres besoins, le droit de séjour du parent ayant la garde d’un enfant qui exerce son droit de poursuivre ses études dans l’État membre d’accueil peut néanmoins se prolonger au-delà de cet âge lorsque l’enfant continue d’avoir besoin de la présence et des soins de ce parent afin de pouvoir poursuivre et terminer ses études. Il incombe à la juridiction de renvoi d’apprécier si tel est effectivement le cas dans l’affaire au principal.

87

Par conséquent, il y a lieu de répondre à la deuxième question, sous d), que le droit de séjour dans l’État membre d’accueil dont bénéficie le parent assurant effectivement la garde d’un enfant d’un travailleur migrant, lorsque cet enfant poursuit des études dans cet État, prend fin à la majorité de cet enfant, à moins que l’enfant ne continue d’avoir besoin de la présence et des soins de ce parent afin de pouvoir poursuivre et terminer ses études.

Sur la troisième question

88

Cette question est posée par la juridiction de renvoi uniquement dans le cas où la première question recevrait une réponse affirmative, c’est-à-dire dans l’hypothèse où une personne dans la situation de Mme Teixeira ne pourrait se prévaloir d’un droit de séjour qu’en application de la directive 2004/38.

89

Eu égard à la réponse apportée à la première question et à la deuxième question, sous a), il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question.

Sur les dépens

90

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

 

1)

Le ressortissant d’un État membre qui a été employé sur le territoire d’un autre État membre, dans lequel son enfant poursuit des études, peut, dans des circonstances telles que celles au principal, se prévaloir, en sa qualité de parent assurant effectivement la garde de cet enfant, d’un droit de séjour dans l’État membre d’accueil sur le seul fondement de l’article 12 du règlement (CEE) no 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, tel que modifié par le règlement (CEE) no 2434/92 du Conseil, du , sans qu’il soit tenu de satisfaire aux conditions définies dans la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du , relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE.

 

2)

Le droit de séjour dans l’État membre d’accueil dont bénéficie le parent qui a effectivement la garde d’un enfant exerçant le droit de poursuivre des études conformément à l’article 12 du règlement no 1612/68 n’est pas soumis à la condition selon laquelle ce parent doit disposer de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de cet État membre au cours de son séjour et d’une assurance maladie complète dans celui-ci.

 

3)

Le droit de séjour dans l’État membre d’accueil dont bénéficie le parent qui a effectivement la garde d’un enfant d’un travailleur migrant, lorsque cet enfant poursuit des études dans cet État, n’est pas soumis à la condition que l’un des parents de l’enfant ait exercé, à la date à laquelle ce dernier a commencé ses études, une activité professionnelle en tant que travailleur migrant dans ledit État membre.

 

4)

Le droit de séjour dans l’État membre d’accueil dont bénéficie le parent assurant effectivement la garde d’un enfant d’un travailleur migrant, lorsque cet enfant poursuit des études dans cet État, prend fin à la majorité de cet enfant, à moins que l’enfant ne continue d’avoir besoin de la présence et des soins de ce parent afin de pouvoir poursuivre et terminer ses études.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’anglais.

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