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Document 61991CC0096

Conclusions de l'avocat général Gulmann présentées le 12 mai 1992.
Commission des Communautés européennes contre Royaume d'Espagne.
Franchise et détaxation des taxes sur le chiffre d'affaires dans le trafic international des voyageurs.
Affaire C-96/91.

European Court Reports 1992 I-03789

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1992:208

61991C0096

Conclusions de l'avocat général Gulmann présentées le 12 mai 1992. - Commission des Communautés européennes contre Royaume d'Espagne. - Franchise et détaxation des taxes sur le chiffre d'affaires dans le trafic international des voyageurs. - Affaire C-96/91.

Recueil de jurisprudence 1992 page I-03789


Conclusions de l'avocat général


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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. La Commission a introduit le présent recours contre le royaume d' Espagne, en application de l' article 169 du traité CEE, afin de faire constater que le royaume d' Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 6, paragraphe 4, de la directive 69/169/CEE du Conseil, concernant l' harmonisation des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux franchises des taxes sur le chiffre d' affaires et des accises perçues à l' importation dans le trafic international des voyageurs (1).

La Commission a fait valoir qu' il est contraire à l' article 6, paragraphe 4, de la directive de subordonner le remboursement de la TVA (2) lors de l' exportation de marchandises que les voyageurs emportent dans leurs bagages personnels à la présentation d' une facture spéciale rédigée sur un formulaire type spécial approuvé par les autorités.

2. Comme l' indique déjà le titre de la directive 69/169, ses dispositions les plus importantes concernent les franchises de taxes sur le chiffre d' affaires lors de l' importation dans les États membres de marchandises que des voyageurs qui viennent de pays tiers ou d' autres États membres apportent dans leurs bagages personnels. Ces règles ont fait l' objet de plusieurs affaires devant la Cour et partant, cette dernière sait que la franchise de taxes est soumise à un certain nombre de conditions y compris celle que la franchise n' est accordée que pour les marchandises dont la valeur ne dépasse pas un montant déterminé (3).

L' article 6 comporte des règles relatives au remboursement des taxes lors de l' exportation de marchandises apportées par un voyageur dans ses bagages personnels lorsqu' il se rend dans des États tiers ou d' autres États membres. L' objectif premier de ces dispositions est d' éviter la "double imposition", c' est-à-dire qu' un voyageur ait à payer la TVA, à la fois dans le pays d' exportation et dans le pays d' importation. Le remboursement de la TVA à l' exportation prévu par l' article 6 est en effet, s' agissant des exportations vers les autres États membres, limité aux cas dans lesquels la directive n' autorise pas d' exemption lors de l' importation, voir l' article 6, paragraphe 3, deuxième alinéa.

La directive a été modifiée de nombreuses fois, son article 6 l' a été trois fois (4).

L' article 6 a aujourd' hui le libellé suivant:

"1. Les États membres prennent des mesures appropriées pour éviter que des détaxations ne soient accordées pour des livraisons à des voyageurs dont le domicile, la résidence habituelle ou le centre de l' activité professionnelle est situé dans un État membre et qui bénéficient du régime prévu par la présente directive.

2. Sans préjudice du régime applicable aux ventes effectuées dans les comptoirs de vente sous douane des aéroports et aux ventes à bord des avions, les États membres prennent les mesures nécessaires en ce qui concerne les ventes au stade du commerce de détail pour permettre, dans les cas et les conditions précisées aux paragraphes 3 et 4, la détaxation des taxes sur le chiffre d' affaires pour les livraisons de marchandises à emporter dans les bagages personnels des voyageurs qui sortent d' un État membre. Aucune détaxation ne peut être accordée en ce qui concerne les accises.

3. Pour les voyageurs dont le domicile ou la résidence habituelle est situé hors de la Communauté, chaque État membre a la faculté d' établir les limites et conditions d' application de la détaxation.

Pour les voyageurs dont le domicile, la résidence habituelle ou le centre de l' activité professionnelle est situé dans un État membre, la détaxation n' est admise que pour les objets dont la valeur unitaire, taxes comprises, s' élève à un montant supérieur à celui fixé à l' article 2, paragraphe 1.

Les États membres ont la faculté d' exclure de la détaxation leurs résidents.

4. La détaxation est subordonnée:

a) pour les cas visés au paragraphe 3, premier alinéa, à la présentation d' un exemplaire de la facture ou d' une pièce justificative en tenant lieu, revêtu d' un visa de la douane de l' État membre de l' exportation certifiant la sortie de la marchandise;

b) pour les cas visés au paragraphe 3, deuxième alinéa, à la présentation d' un exemplaire de la facture ou d' une pièce justificative en tenant lieu, revêtu d' un visa de la douane de l' État membre de l' importation définitive ou d' une autre autorité de cet État membre compétente en matière de taxes sur le chiffre d' affaires prouvant que la taxe sur le chiffre d' affaires a été ou sera appliquée.

5. Pour l' application du présent article, il faut entendre par:

- domicile ...

- objet ..." .

Dans sa version originale, la directive ne comportait que la disposition qui constitue aujourd' hui son paragraphe 1. Les paragraphes 2 à 5 ont été introduits par la deuxième directive 72/230/CEE du Conseil, du 12 juin 1972 (5). Par la suite, les paragraphes 2 et 3 ont été modifiés sur certains points par la troisième directive 78/1032/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978 (6), entre autres, de manière à obliger les États membres à accorder la détaxation lorsque les conditions visées aux paragraphes 3 et 4 sont remplies. Enfin, la directive 85/348/CEE du Conseil, du 8 juillet 1985, a ajouté une condition de moindre importance au paragraphe 4, sous b) (7).

3. Il est constant dans la présente affaire que le gouvernement espagnol a mis en place un régime qui prévoit que la détaxation ne peut être obtenue qu' en utilisant un formulaire spécial - que le gouvernement espagnol a dénommé facture spéciale - que l' on peut obtenir en s' adressant aux autorités espagnoles compétentes et contre paiement de 25 PTA par exemplaire.

4. Le gouvernement espagnol fait valoir que l' utilisation de ces factures spéciales garantit que l' administration fiscale dispose de l' ensemble des éléments pertinents pour prendre sa décision lorsqu' elle doit accorder la détaxation et que l' obligation d' utiliser le formulaire en cause ne présente que des avantages pour les voyageurs qui souhaitent bénéficier du remboursement de la TVA dans la mesure où cette utilisation garantit que le remboursement puisse être effectué sans problème.

5. La Commission ne conteste pas que le formulaire en cause ne comporte aucune demande de renseignements autres que ceux qui sont appropriés pour garantir que le remboursement puisse être effectué.

La Commission fait valoir, en revanche, qu' il est contraire à l' article 6, paragraphe 4, que le droit espagnol impose obligatoirement d' utiliser ce formulaire qui devient ainsi le seul moyen de preuve pouvant être utilisé lorsqu' un voyageur souhaite une détaxation. La Commission fait valoir qu' il résulte de l' article 6, paragraphe 4, qu' une facture ordinaire qui remplit les conditions posées en matière de factures par la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977 (8), et par la législation nationale en matière de TVA doit également être acceptée comme base pour le remboursement de la TVA.

6. Le problème posé est partant simple. Sa solution se trouve dans l' interprétation de l' article 6, paragraphe 4. Cette disposition subordonne la détaxation lors de l' exportation vers des États tiers à un visa délivré par les autorités douanières de l' État membre d' exportation, certifiant qu' elle a bien été effectuée et en ce qui concerne l' exportation vers d' autres États membres à un visa d' une autorité de l' État membre d' importation certifiant que l' importation a eu lieu. Dans les deux cas, la détaxation est, en outre, subordonnée à la "présentation d' un exemplaire de la facture ou d' une pièce justificative en tenant lieu".

7. Le gouvernement espagnol soutient qu' il résulte de la lecture des dispositions combinées de l' article 22, paragraphe 3, sous c), et paragraphe 8 de la sixième directive TVA du Conseil que les États membres ont la faculté de fixer des conditions spécifiques en matière de factures à utiliser dans le cadre du fonctionnement du régime de la TVA. A cet égard, le gouvernement espagnol attire l' attention sur l' arrêt rendu par la Cour dans les affaires 123/87 et 330/87, Jeunehomme (9), dans lequel la Cour a dit pour droit que les dispositions susmentionnées de la sixième directive TVA du Conseil donnent aux États membres une base juridique leur permettant d' exiger que les factures qui doivent être utilisées pour l' exercice du droit à déduction comportent d' autres mentions que celles qui sont énoncées à l' article 22, paragraphe 3, sous b), de la directive. Selon le gouvernement espagnol, cette possibilité peut également être utilisée par les États membres pour imposer des conditions particulières aux factures qui doivent être utilisées en relation avec la détaxation prévue par la directive 69/169. L' utilisation de factures spéciales en vue de bénéficier de la détaxation n' est pas seulement justifiée au motif que ces factures ont en pratique pour effet d' en rendre plus facile la mise en oeuvre de la détaxation pour le voyageur mais également parce que ce formulaire facilite le traitement de ces dossiers par l' administration et qu' il contribue à éviter une utilisation frauduleuse du système de détaxation.

8. Nous souhaitons d' abord examiner brièvement le point de savoir si la Commission a raison de soutenir que la règle litigieuse a des conséquences telles que l' on peut considérer, à première vue, qu' elle est contraire à l' article 6, paragraphe 4, interprété à la lumière de l' objectif de la disposition citée. Nous verrons ensuite s' il est possible d' accueillir l' argument du gouvernement espagnol selon lequel la règle litigieuse trouve sa base juridique dans les dispositions précitées de la sixième directive TVA du Conseil.

9. Nous n' avons pas de doute à cet égard qu' il peut être utile pour le voyageur qui souhaite le remboursement de la taxe qu' il a acquittée que le vendeur d' une marchandise assujettie à cette taxe utilise le formulaire spécial prévu à cet effet lorsqu' il établit la facture. D' autre part, nous ne doutons pas non plus que la Commission a raison de soutenir que l' exigence de l' utilisation exclusive de cette facture spéciale peut aussi avoir pour conséquence que les voyageurs ne peuvent obtenir le remboursement dans des cas dans lesquels ils peuvent démontrer à l' aide d' une facture ordinaire qu' ils remplissent les conditions matérielles y ouvrant droit. Il paraît évident que dans la pratique, il peut très bien y avoir des cas dans lesquels ni l' acheteur ni le vendeur ne sont attentifs à l' existence de cette obligation d' utiliser des factures spéciales ou que le vendeur, pour une raison ou une autre, n' est pas en possession du formulaire spécial. Par conséquent, nous ne doutons pas que l' exigence litigieuse peut comporter des obstacles pour la mise en oeuvre du remboursement de la TVA déjà versée auquel le voyageur a droit, conformément à l' article 6, paragraphes 2 et 3. La condition imposée par le gouvernement espagnol peut avoir pour conséquence que le voyageur en vienne à payer la TVA à la fois dans le pays d' exportation et dans le pays d' importation, ce qui est contraire à l' objectif du régime de remboursement introduit par la directive 69/169.

10. Il est exact qu' il résulte de la jurisprudence de la Cour que l' article 22, paragraphe 3, sous c), de la sixième directive TVA du Conseil donne aux États membres une base juridique leur permettant d' imposer d' autres conditions que celles qui résultent directement de l' article 22 pour ce qui est du contenu d' une facture. Nous ne pensons pourtant pas que cette base juridique - que les autorités espagnoles ont du reste utilisée pour imposer des obligations dépassant le contenu d' une facture ordinaire - puisse être étendue de manière à donner aux États membres le droit d' imposer des exigences spécifiques allant au-delà de ce qui est prévu dans la directive pour des factures qui doivent être utilisées comme moyen de preuve dans le cadre du remboursement de la TVA dans le trafic international de voyageurs. L' interprétation la plus naturelle de l' article 6, paragraphe 4, de la directive 69/169, compte tenu de son objectif, est celle que les voyageurs doivent pouvoir prouver leur droit au remboursement de la TVA, aussi à l' aide d' une facture ordinaire.

11. Selon nous, il n' y a pas de motif d' examiner plus concrètement les différences qui ressortent de la comparaison entre une facture ordinaire et la facture spéciale. Comme nous l' avons déjà indiqué, il est clair que le formulaire prévoit la fourniture de plus de renseignements que ceux que comporte la facture ordinaire et que ces renseignements supplémentaires sont utiles dès lors qu' il y a lieu de procéder à un remboursement. Par contre, le gouvernement espagnol n' a pas démontré que le remboursement de la taxe ne peut en pratique avoir lieu sur la base d' une facture ordinaire ni qu' il existe une nécessité particulière d' utiliser un formulaire spécial en vue d' éviter les fraudes au système de remboursement prévu. On peut considérer qu' il a été démontré qu' une facture ordinaire est un moyen de preuve adapté et suffisant du seul fait que, selon les renseignements recueillis par la Commission, les autres États membres admettent qu' une facture ordinaire est un moyen de preuve suffisant en vertu de l' article 6, paragraphe 4, de la directive 69/169 (10).

12. Nous concluons de ce qui précède que le royaume d' Espagne est tenu d' accepter une facture ordinaire comme moyen de preuve dans le cadre de la détaxation prévue à l' article 6 de la directive 69/169. Pour autant que nous pouvons le voir, il n' existe aucun élément faisant obstacle à ce que les autorités espagnoles mettent, en outre, à la disposition des commerçants et des voyageurs un formulaire spécial que ceux-ci peuvent choisir d' utiliser comme une base alternative leur permettant de faire valoir leur droit au remboursement. L' exigence de présentation d' une facture spéciale imposée par l' Espagne n' est ainsi contraire à la directive que dans la mesure où elle exclut qu' une facture ordinaire puisse être également utilisée comme moyen de preuve.

Conclusion

13. Nous proposons dès lors à la Cour d' accueillir les conclusions de la Commission, c' est-à-dire:

- de constater que, en exigeant obligatoirement et à titre exclusif la présentation d' un formulaire intitulé "facture spéciale", conforme à un modèle officiel pour l' obtention de la détaxation de la TVA dans le trafic international de voyageurs, faisant ainsi obstacle à l' exercice de ce droit par les voyageurs en possession d' une facture ordinaire dûment conforme à la législation espagnole et à la sixième directive TVA 77/388/CEE du Conseil, le royaume d' Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 69/169/CEE du Conseil, et

- de condamner le royaume d' Espagne aux dépens.

(*) Langue originale: le danois.

(1) JO L 133, p. 6.

(2) La directive traite à la fois des franchises de taxe sur le chiffre d' affaires et des accises, mais l' article 6 de la directive, à la fin du paragraphe 2, exclut expressément la détaxation lors de l' exportation en ce qui concerne les accises.

(3) La Cour de justice a interprété entre autres la directive dans son arrêt du 14 février 1984, Rewe II (278/82, Rec. p. 721).

(4) Selon nous, il serait souhaitable d' établir d' une manière ou d' une autre un texte coordonné de la directive. Ce texte augmenterait la sécurité juridique des citoyens et améliorerait l' application effective de la directive dans les États membres.

(5) JO L 139, p. 28.

(6) JO L 366, p. 28.

(7) JO L 183, p. 24.

(8) En matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après "sixième directive TVA du Conseil").

(9) Arrêt du 14 juillet 1988 (Rec. p. 4517).

(10) Aucun élément n' indique que cette situation est due au fait que les autres États membres posent des conditions plus sévères que l' Espagne en ce qui concerne les factures ordinaires.

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