EUR-Lex Access to European Union law

Back to EUR-Lex homepage

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 61989CC0343

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 25 octobre 1990.
Max Witzemann contre Hauptzollamt München-Mitte.
Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht München - Allemagne.
Droits de douane - Taxe sur le chiffre d'affaires à l'importation - Fausse monnaie.
Affaire C-343/89.

European Court Reports 1990 I-04477

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1990:367

61989C0343

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 25 octobre 1990. - Max Witzemann contre Hauptzollamt München-Mitte. - Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht München - Allemagne. - Droits de douane - Taxe sur le chiffre d'affaires à l'importation - Fausse monnaie. - Affaire C-343/89.

Recueil de jurisprudence 1990 page I-04477
édition spéciale suédoise page 00591
édition spéciale finnoise page 00615


Conclusions de l'avocat général


++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . La présente affaire a été déférée à la Cour par une demande de décision préjudicielle formée par le Finanzgericht Muenchen . Elle porte sur la question de savoir si des droits de douane et la taxe sur la valeur ajoutée ( TVA ) peuvent être perçus sur l' importation de faux billets dans un État membre . A ce titre, elle s' insère dans une série d' affaires qui ont pour origine des tentatives des autorités allemandes et néerlandaises de frapper de droits de douane et d' assujettir à la TVA des opérations portant sur des stupéfiants .

2 . Les faits de la présente affaire sont simples . En juin 1981, M . Max Witzemann a fait l' acquisition en Italie de fausse monnaie pour un montant nominal de 300 000 USD . Il a ensuite transporté cette monnaie en Allemagne en voiture avec l' intention de la vendre à Munich . Il a été arrêté à Munich et les fausses coupures ont été saisies . Trois années plus tard, le Hauptzollamt Muenchen-Mitte a émis un avis d' imposition réclamant à M . Witzemann le paiement de droits de douane et de TVA sur les faux billets . Ni l' ordonnance de renvoi ni le dossier devant la juridiction nationale ne font apparaître clairement sur quelles bases les autorités allemandes entendaient réclamer des droits de douane; elles estimaient peut-être que l' origine communautaire des biens n' était pas prouvée . Nous entendons, en toute hypothèse, insister sur le fait que des droits de douane ne peuvent, en principe, être perçus que sur l' importation de marchandises provenant de pays tiers dans le territoire douanier de la Communauté .

3 . M . Witzemann a attaqué l' avis d' imposition en faisant valoir que la perception de ces droits était contraire à l' article 9 ainsi qu' aux articles 12 à 29 du traité CEE . Il s' est également prévalu de certains arrêts rendus par votre Cour statuant que des droits de douane et la TVA ne sauraient être perçus sur des transactions illégales portant sur des drogues interdites . Il a soutenu que la jurisprudence de la Cour de justice en matière de stupéfiants était également applicable à la fausse monnaie .

4 . Le Finanzgericht Muenchen a déféré la question suivante à la Cour :

"Les dispositions du traité CEE (( article 3, sous b ), article 9, paragraphe 1, articles 12 à 29 )) et de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires ( article 2, paragraphe 2 ) sont-elles à interpréter en ce sens qu' un État membre n' est pas autorisé à percevoir des droits de douane ni des taxes sur le chiffre d' affaires à l' importation sur des marchandises illégalement importées, dont la fabrication et la commercialisation sont interdites dans tous les États membres - telle la fausse monnaie?"

5 . Avant de tenter de fournir une réponse à la question posée, nous résumerons sommairement la jurisprudence existante . Dans l' affaire 50/80, Horvath/Hauptzollamt Hamburg-Jonas ( Rec . 1981, p . 385 ), la Cour a statué que :

"... l' instauration du tarif douanier commun ne laisse plus compétence à un État membre pour appliquer des droits de douane aux stupéfiants importés en contrebande et détruits dès leur découverte, tout en lui laissant pleine liberté de poursuivre les infractions commises par les voies du droit pénal, avec toutes les conséquences que celles-ci impliquent, même dans le domaine pécuniaire ."

6 . Dans l' affaire précitée, les stupéfiants interdits avaient été découverts et saisis . Peu de temps après, le même problème s' est posé dans une autre affaire, dans laquelle l' importation illégale n' a pas été découverte avant que les stupéfiants en question n' aient été écoulés . La Cour a néanmoins considéré que le même principe était applicable et qu' aucune dette douanière ne prenait naissance lors de l' importation de stupéfiants qui ne font pas partie du circuit économique strictement surveillé par les autorités compétentes en vue d' une utilisation à des fins médicales et scientifiques, que ces stupéfiants soient découverts et détruits sous le contrôle des autorités ou qu' ils échappent à la vigilance desdites autorités : voir l' affaire 221/81, Wolf/Hauptzollamt Duesseldorf ( Rec . 1982, p . 3681 ), et l' affaire 240/81, Einberger/Hauptzollamt Freiburg (" Einberger I ") ( Rec . 1982, p . 3699 ).

7 . Dans l' affaire 294/82, Einberger/Hauptzollamt Freiburg (" Einberger II ") ( Rec . 1984, p . 1177 ), la Cour a considéré que le même principe s' appliquait à la TVA . Selon la Cour, les importations illégales de drogue étaient tout à fait étrangères aux dispositions de la sixième directive ( directive 77/388, JO 1977, L 145, p . 1 ), et l' article 2 de la directive précitée devait être interprété en ce sens qu' aucune taxe sur le chiffre d' affaires ne pouvait être perçue sur l' importation illégale de stupéfiants dans la Communauté .

8 . Enfin, dans les affaires 269/86, Mol/Inspecteur der Invoerrechten en Accijnzen ( Rec . 1988, p . 3627 ), et 289/86, Happy Family/Inspecteur der Omzetbelasting ( Rec . 1988, p . 3655 ), la Cour a dit pour droit que les livraisons de drogues interdites effectuées à l' intérieur d' un État membre donné ne sont pas assujetties à la TVA, à l' instar des importations .

9 . Ce résumé fait apparaître clairement que les affaires précédentes représentent une progression naturelle . La Cour a commencé par juger que les droits de douane ne pouvaient pas être perçus sur les importations de drogues interdites qui avaient été saisies et détruites . Elle a, ensuite, considéré que la même règle s' appliquait aux drogues qui n' avaient pas été découvertes et qui par conséquent n' avaient pas été saisies . La Cour a ensuite jugé que la règle instituant des droits de douane était également applicable en ce qui concerne la TVA à l' importation . Elle a, enfin, statué que la même règle s' appliquait à la TVA perçue sur les livraisons à l' intérieur d' un État membre . L' ensemble des affaires précitées portait sur des drogues interdites, mais, là encore, il y a eu une progression naturelle . Dans l' affaire Horvath, il s' agissait d' héroïne dont la vente était interdite dans tous les États membres; dans l' affaire Happy Family, il s' agissait de haschisch dont la vente, bien qu' illégale, était en fait tolérée par les autorités nationales de l' État membre en question . La Cour a rejeté les tentatives visant à établir une distinction entre drogues "dures" et "douces" et a estimé que les principes susmentionnés s' appliquaient à toutes les drogues interdites relevant du champ d' application de la convention des Nations unies de 1961 sur les stupéfiants ( voir les points 25 et 26 de l' arrêt Happy Family ).

10 . La question qui se pose dans la présente affaire est de savoir si les principes développés en matière de stupéfiants devraient être étendus à la fausse monnaie . De nombreux autres pas pourraient assurément être faits dans cette direction . L' illégalité se manifeste sous de nombreuses formes, et il existe de nombreux produits qui ne peuvent pas être commercialisés légalement ou dont la commercialisation est soumise à certaines restrictions : les drogues, la fausse monnaie, les armes, la pornographie, les peaux de certains animaux, les marchandises volées et ainsi de suite . Toutes les transactions entachées d' illégalité ne seront pas exonérées . Il convient de tracer une ligne entre, d' une part, les transactions qui se situent si clairement en dehors de la sphère de l' activité économique légale que, au lieu d' être taxées, elles peuvent seulement faire l' objet de poursuites criminelles et, d' autre part, les transactions qui, bien qu' elles soient illégales, doivent néanmoins être taxées, ne serait-ce que pour garantir, au nom de la neutralité fiscale, qu' un délinquant ne soit pas traité plus favorablement qu' un opérateur économique agissant dans la légalité .

11 . Seule la Commission a déposé des observations écrites . Elle est de l' avis que les principes dégagés par la jurisprudence de la Cour sur les stupéfiants doivent également s' appliquer à la fausse monnaie . Comme cela est le cas pour certaines drogues, la fausse monnaie fait l' objet d' une interdiction absolue . En outre, alors qu' il y a un commerce légal de drogues telles que l' héroïne ( à des fins médicales et pharmaceutiques ), un tel commerce n' existe pas pour la fausse monnaie, sauf peut-être, entre collectionneurs, dans des cas très limités . Toutefois, la Commission rappelle qu' elle a toujours émis de sérieuses réserves à l' égard de la jurisprudence de la Cour de justice en ce qui concerne les stupéfiants, et elle souligne que dans l' affaire Horvath elle était favorable à la perception de droits sur les drogues interdites . Néanmoins, la Commission ne suggère pas qu' il y a lieu de remettre en question la jurisprudence de la Cour .

12 . La Commission souligne qu' une modification législative importante est intervenue depuis que la Cour a statué sur les affaires précitées . Le règlement ( CEE ) n° 2144/87 du Conseil relatif à la dette douanière ( JO 1987, L 201, p . 15 ) a remplacé la directive 79/623/CEE ( JO 1979, L 179, p . 31 ). Ce règlement a pris effet à partir du 1er janvier 1989 et n' était donc pas applicable à la date à laquelle sont survenus les faits de la présente affaire . L' article 2, paragraphe 2, dispose comme suit :

"La dette douanière à l' importation prend naissance même si elle concerne une marchandise faisant l' objet d' une mesure de prohibition ou de restriction à l' importation, quelle qu' en soit la nature .

Toutefois, aucune dette douanière ne prend naissance lors de l' introduction irrégulière dans le territoire douanier de la Communauté de stupéfiants qui ne font pas partie du circuit économique strictement surveillé par les autorités compétentes en vue d' une utilisation à des fins médicales et scientifiques . Pour les besoins de la législation pénale applicable aux infractions douanières, la dette douanière est cependant considérée comme ayant pris naissance lorsque la législation pénale d' un État membre prévoit que les droits de douane servent de base à la détermination des sanctions ou que l' existence d' une dette douanière sert de base aux poursuites pénales ."

Il conviendrait aussi de noter que, selon l' article 8, paragraphe 1, du règlement précité, la dette douanière s' éteint par confiscation de la marchandise . Par conséquent, la législation a introduit, s' agissant des marchandises autres que les stupéfiants, une distinction dans le second alinéa de l' article 2, paragraphe 2, que la Cour avait décidé de ne pas faire dans les affaires Wolf et Einberger I : ces marchandises sont assujetties à des droits de douane, mais leur confiscation éteint la dette douanière .

13 . Le premier alinéa de l' article 2, paragraphe 2, du règlement en cause définit une règle générale, mais le second alinéa introduit une exception conforme à la jurisprudence de la Cour . La Commission fait observer que le second alinéa de l' article 2, paragraphe 2, a été inséré dans le règlement parce qu' une incertitude subsistait sur le point de savoir si la jurisprudence relative aux stupéfiants relevait du droit communautaire primaire - auquel cas elle était obligatoire pour le législateur - ou du droit dérivé . Puisque la première possibilité ne pouvait pas être exclue, il avait été décidé d' adopter une législation allant dans le sens de la jurisprudence de la Cour de justice, bien que la Commission et certains États membres eussent préféré une solution différente . La Commission fait également valoir que, lors des travaux préparatoires à l' adoption du règlement précité, personne n' avait pensé au problème de la fausse monnaie; si tel avait été le cas, ce problème aurait été traité de la même manière que les stupéfiants .

14 . La Commission propose que la jurisprudence de la Cour en matière de stupéfiants soit étendue à la fausse monnaie, mais, selon elle, la Cour devrait indiquer clairement qu' elle se fonde sur le droit communautaire dérivé, c' est-à-dire sur la législation plutôt que sur le traité lui-même . La législation applicable dans la présente affaire serait le tarif douanier commun, l' article 2 de la directive 79/623 ( disposition qui avait précédé le règlement n° 2144/87 ) et, s' agissant de la TVA, la sixième directive . Il conviendrait toutefois de noter que le délai limite pour la mise en oeuvre de la directive 79/623 n' a pas expiré avant le 1er janvier 1982; ainsi, il convient de douter de son applicabilité à la présente affaire . Mais ce point n' est pas d' une importance cruciale puisque la directive n' a pas traité expressément de la question de savoir si des droits de douane devaient être perçus sur des marchandises importées illégalement . A cet égard, il ne semble pas y avoir de différence importante entre la législation applicable dans la présente affaire et celle applicable dans les affaires antérieures précitées .

15 . C' est à juste titre que la Commission soulève la question de la base juridique de la jurisprudence de la Cour . Il est important que le législateur sache dans quelle mesure il est libre d' intervenir dans ce domaine . La présente affaire fournit à la Cour une bonne occasion de clarifier le point de savoir si sa jurisprudence était fondée sur le traité lui-même, auquel cas le législateur ne peut pas intervenir, ou si cette jurisprudence se fondait sur le droit dérivé, auquel cas le législateur communautaire peut naturellement procéder à une modification .

16 . L' arrêt Horvath se fondait principalement sur le fait que la méthode utilisée pour déterminer les droits de douane prévus dans le tarif douanier commun et le règlement ( CEE ) n° 803/68 du Conseil relatif à la valeur en douane des marchandises ( JO L 148 du 28.6.1968, p . 6 ) tablait sur l' hypothèse que les marchandises importées pouvaient être mises sur le marché et écoulées . La Cour a été aussi influencée par le fait que le règlement ( CEE ) n° 1430/79 relatif au remboursement ou à la remise des droits à l' importation ou à l' exportation ( JO 1979, L 175, p . 1 ) prévoyait le remboursement des droits lorsque les marchandises étaient détruites sous le contrôle des autorités compétentes . La seule disposition du traité mentionnée dans l' affaire Horvath était l' article 18, qui, selon nous, n' est pas directement pertinent .

17 . Dans les arrêts Wolf et Einberger I, la Cour a fait une nouvelle fois référence au règlement n° 803/68 ainsi qu' au préambule de la directive 79/623 relative à la dette douanière . Mais l' arrêt reposait principalement sur l' idée que :

"L' instauration du tarif douanier commun ... se situe dans la perspective des buts que l' article 2 assigne à la Communauté et des lignes de conduite que l' article 29 fixe pour la gestion de l' union douanière . Des importations de produits stupéfiants dans la Communauté, qui ne peuvent donner lieu qu' à des mesures répressives, sont tout à fait étrangères à ces buts et à ces lignes de conduite ."

18 . L' arrêt rendu par la Cour dans l' affaire Einberger II se fondait en apparence sur une interprétation de la sixième directive, mais la préoccupation qui a sous-tendu cet arrêt semble avoir été de garantir que la règle qui avait été fixée pour les droits de douane s' applique aussi à la TVA sur les importations . La Cour a nettement senti qu' il serait illogique d' appliquer des règles différentes à deux taxes qui présentaient des "traits essentiels comparables" ( voir point 18 ). Reprenant les formules utilisées dans les arrêts Wolf et Einberger I, la Cour a jugé que :

"... des importations illégales de stupéfiants dans la Communauté, qui ne peuvent donner lieu qu' à des mesures répressives, sont tout à fait étrangères aux dispositions de la sixième directive concernant la définition de l' assiette et, par voie de conséquence, à la naissance d' une dette fiscale en matière de taxe sur le chiffre d' affaires" ( point 20 ).

19 . Dans les arrêts Mol et Happy Family, la Cour a admis que ce raisonnement s' appliquait également à la TVA perçue sur des opérations effectuées à l' intérieur d' un État membre ( Mol, point 16; Happy Family, point 18 ). La Cour a aussi constaté dans les arrêts Mol et Happy Family que la sixième directive était fondée sur les articles 99 et 100 du traité CEE et qu' elle avait pour objectif l' harmonisation ou le rapprochement des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires "dans l' intérêt du marché commun" ( Mol, point 14; Happy Family, point 16 ). La Cour semble avoir considéré que, si l' objectif de l' harmonisation législative en matière de taxes sur le chiffre d' affaires était de faciliter la libre circulation des marchandises, il était illogique de percevoir la TVA sur un type de commerce que la législation de l' ensemble des États membres s' efforçait de supprimer .

20 . Dans aucun des arrêts précités, la Cour n' a, selon nous, entendu suggérer que la règle excluant la perception de droits de douane ou de la TVA sur l' importation ou la vente de substances interdites résultait directement du traité CEE ou d' un principe général du droit et qu' elle ne pourrait pas être modifiée par le législateur . Nous admettons qu' il est difficile de discerner sur quoi se fonde vraiment la règle en question . La Cour a renvoyé à la fois au droit primaire et au droit dérivé . Son raisonnement a été le suivant : la législation passe sous silence ce point particulier, de sorte qu' il est nécessaire d' examiner les dispositions du traité sur lesquelles la législation en cause se fonde pour voir si elles fournissent une indication . Il s' agit là assurément d' une technique d' interprétation adéquate, mais il n' y a pas de raison de supposer que la règle à laquelle on a ainsi abouti constitue une interprétation directe du traité qui lie le pouvoir législatif et ne peut être modifié que par une modification au traité . En outre, nous ne pensons pas qu' il puisse être soutenu qu' il existe un principe fondamental du droit faisant obstacle à la taxation des transactions illicites . Nous estimons, pour cette raison, que le législateur communautaire peut intervenir librement dans ce domaine et disposer, s' il le souhaite, qu' il y a lieu de percevoir des droits de douane et la TVA sur les stupéfiants et autres produits interdits .

21 . Quant à la question de savoir si la législation applicable aux faits de la présente affaire devrait être interprétée comme faisant obstacle à la perception de droits de douane et de la TVA sur l' importation de fausse monnaie, nous ne doutons pas que les principes établis par la Cour en ce qui concerne les stupéfiants s' appliquaient également à la fausse monnaie avant l' entrée en vigueur du règlement n° 2144//87 .

22 . Il est vrai que la Cour a toujours admis qu' il n' y avait pas lieu de traiter toutes les marchandises interdites de la même manière ( voir point 9 de l' arrêt Horvath ). C' est à juste titre que la Commission a insisté dans la présente affaire sur le fait que la liste des produits interdits varie d' un État membre à l' autre et que l' application uniforme du tarif douanier commun et de la sixième directive serait compromise si chaque État membre s' abstenait de percevoir des droits de douane et la TVA sur les produits qui sont interdits par sa législation nationale . C' est pourquoi nous avons des doutes sérieux sur la question de savoir si les règles instaurées par la Cour en ce qui concerne les stupéfiants devraient être appliquées aux transactions qui sont contraires à la législation nationale, comme le commerce des armes à feu, d' articles pornographiques ou de peaux d' animaux . La législation dans ces domaines varie considérablement d' un État membre à un autre . En outre, il existe normalement un commerce licite de ces produits, qui ne peut être clairement distingué du commerce illicite . Par exemple, le même type d' armes à feu peut être acheté et vendu de manière licite par un négociant autorisé et illégalement par un fournisseur au marché noir . Il serait illogique d' octroyer un privilège fiscal à ce dernier .

23 . Mais de telles considérations ne s' appliquent pas à la fausse monnaie, qui fait l' objet d' une interdiction au moins aussi générale et aussi importante que l' interdiction des stupéfiants . Comme les stupéfiants, la fausse monnaie fait l' objet d' une convention internationale, à savoir la convention internationale pour la répression du faux-monnayage ( Recueil des traités de la Société des nations, vol . 111 et 112, 1930-1931, vol . CXII, p . 371 ). Cette convention lie tous les États membres sauf le Luxembourg, qui, tout en étant une des parties signataires à cette convention, ne l' a pas ratifiée . Fabriquer ou faire circuler de faux billets, y compris des billets étrangers, n' en constitue pas moins un délit, selon la législation applicable au Luxembourg ( code pénal, articles 173 à 178 ). Tous les États membres ayant au moins signé la convention en cause, la situation dans la présente affaire est différente de la situation dans l' affaire Mol, dans laquelle le traité en cause, la convention de 1971 sur les substances psychotropes, n' avait pas été signé par certains des États membres et ne constituait donc pas, selon l' arrêt lui-même ( point 24 ), une base pour l' interprétation du droit communautaire .

24 . A certains égards, les arguments militant en faveur de l' exclusion de la fausse monnaie du champ d' application du tarif douanier commun et de la sixième directive sont même encore plus sérieux que dans le cas de drogues interdites . Alors qu' il est bien possible que certaines drogues qui sont à l' heure actuelle interdites dans tous les États membres soient, un jour, autorisées dans certains d' entre eux, l' idée que l' interdiction touchant la fausse monnaie puisse, un jour, être assouplie est à peine concevable . Par ailleurs, alors qu' il y a un commerce licite des drogues telles que l' héroïne pour des motifs médicaux et pharmaceutiques, il n' y en a pas pour la fausse monnaie . La Commission fait état de la possibilité que les faux billets soient négociés par des collectionneurs à des fins de collection, mais même cette hypothèse semble exclue par les termes de la convention internationale susmentionnée, qui prévoit que la fausse monnaie soit confisquée et remise sur sa demande à la banque d' émission de la monnaie en cause .

25 . Il résulte de ce qui précède que les réflexions qui ont inspiré la jurisprudence de la Cour sur les stupéfiants s' appliquent aussi à la fausse monnaie et que la législation applicable, avant l' entrée en vigueur du règlement n° 2144/87, devait être interprétée comme faisant obstacle à la perception de droits de douane et de la TVA sur l' importation de fausse monnaie .

26 . La question de savoir si l' importation de fausse monnaie fait naître une dette douanière après l' entrée en vigueur du règlement n° 2144/87 n' appelle, bien entendu, pas de réponse dans la présente affaire . Dans l' intérêt de la sécurité juridique, il peut toutefois être utile d' envisager la question .

27 . Aux termes de l' article 2, paragraphe 2, du règlement n° 2144/87 :

"La dette douanière à l' importation prend naissance même si elle concerne une marchandise faisant l' objet d' une mesure de prohibition ou de restriction à l' importation, quelle qu' en soit la nature ."

Ce règlement prévoit ensuite une exception pour "les stupéfiants qui ne font pas partie du circuit économique strictement surveillé par les autorités compétentes en vue d' une utilisation à des fins médicales et scientifiques ". La Commission a suggéré, au moins dans ses observations écrites, que cette exception devrait être appliquée par analogie de manière à englober la fausse monnaie, au motif que le législateur communautaire aurait réglé le problème de la fausse monnaie de manière analogue s' il avait envisagé la question .

28 . Nous ne pouvons partager l' avis de la Commission sur ce point . Le libellé de l' article 2, paragraphe 2, est parfaitement clair et nous ne voyons pas de raison d' y lire une signification qu' il ne peut pas avoir . Il n' incombe pas à la Cour de rectifier les omissions du législateur communautaire ou de spéculer sur la façon dont le législateur communautaire aurait légiféré s' il avait examiné ce problème précis qui a manifestement échappé à son attention . Dans le domaine du droit douanier où le besoin de sécurité juridique est extrêmement grand, aucun élément ne permet, par ailleurs, d' interpréter la législation de manière extensive, par analogie, de la manière proposée par la Commission . Nous concluons par conséquent qu' après l' entrée en vigueur du règlement précité des droits à l' importation sont dus sur l' importation de fausse monnaie dans le territoire douanier de la Communauté . En même temps, la Cour pourrait, selon nous, utilement préciser dans son arrêt que sa jurisprudence sur les stupéfiants ne s' étend à la fausse monnaie que jusqu' à l' entrée en vigueur du règlement précité; cette précision ferait apparaître clairement que la jurisprudence de la Cour ne se fondait pas sur une règle supérieure de droit, mais pouvait être modifiée par le législateur .

29 . La dernière question qui se pose ( bien qu' encore une fois elle n' appelle pas de réponse dans la présente affaire ) est celle de savoir si le lien entre les droits de douane et la TVA sur les importations est si important que, depuis l' entrée en vigueur du règlement n° 2144/87, l' importation de fausse monnaie est assujettie non seulement à des droits de douane, mais également à la TVA . On pourrait argumenter qu' il y a lieu de percevoir la TVA toutes les fois que naît une dette douanière . Comme la Cour l' a noté dans l' arrêt Einberger II, l' article 10, paragraphe 3, de la sixième directive a autorisé les États membres à lier le fait générateur et l' exigibilité de la taxe sur le chiffre d' affaires à l' importation à ceux des droits de douane . Il nous semble toutefois que le seul objet de l' article 10 est de déterminer la date à laquelle l' obligation de payer la TVA prend naissance; l' article 10 ne traite pas de la question de savoir si une transaction est assujettie à la TVA ou non . Par ailleurs, l' article 10, paragraphe 3, ne fait qu' autoriser les États membres à lier la TVA et les droits de douane à ces fins; il ne le leur impose pas . Nous ne pensons pas que la sixième directive instaure un lien absolu entre la dette douanière et l' assujettissement à la TVA . Le principe énoncé par la Cour dans l' affaire Einberger II excluant les importations de stupéfiants du champ d' application de la sixième directive s' applique aussi à la fausse monnaie et continue à s' y appliquer, même si le règlement n° 2144/87 a assujetti l' importation de fausse monnaie à des droits de douane . S' il semble au législateur communautaire que cette application a pour conséquence de créer une différence inacceptable entre les droits de douane et la TVA, la solution à envisager doit être une modification de la législation en cause .

30 . Nous concluons que la question déférée à la Cour par le Finanzgericht Muenchen appelle la réponse suivante :

"Selon les dispositions de la législation communautaire en matière douanière en vigueur jusqu' au 1er janvier 1989, date à laquelle le règlement ( CEE ) n° 2144/87 a pris effet, l' importation illégale de fausse monnaie dans le territoire douanier de la Communauté ne donnait naissance à aucune dette douanière .

Les dispositions de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires sont à interpréter en ce sens que l' importation illégale de fausse monnaie dans un État membre n' est pas assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée ."

(*) Langue originale : l' anglais .

Top