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Document 52013IE2138

Avis du Comité économique et social européen sur le thème «Une stratégie de lutte contre l'économie souterraine et le travail non déclaré» (avis d'initiative)

OJ C 177, 11.6.2014, p. 9–14 (BG, ES, CS, DA, DE, ET, EL, EN, FR, HR, IT, LV, LT, HU, MT, NL, PL, PT, RO, SK, SL, FI, SV)

11.6.2014   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 177/9


Avis du Comité économique et social européen sur le thème «Une stratégie de lutte contre l'économie souterraine et le travail non déclaré» (avis d'initiative)

(2014/C 177/02)

Rapporteur: M. PALMIERI

Le 14 février 2013, le Comité économique et social européen a décidé, conformément à l'article 29, paragraphe 2, de son règlement intérieur, d'élaborer un avis d'initiative sur le thème:

«Une stratégie de lutte contre l'économie souterraine et le travail non déclaré».

La section spécialisée «Emploi, affaires sociales, citoyenneté», chargée de préparer les travaux du Comité en la matière, a adopté son avis le 19 décembre 2013.

Lors de sa 495e session plénière des 21 et 22 janvier 2014 (séance du 21 janvier 2014), le Comité économique et social européen a adopté le présent avis par 129 voix pour, 0 voix contre et 4 abstentions.

1.   Conclusions et recommandations

1.1

Le Comité économique et social européen (CESE) juge indispensable de rappeler l'importance de la lutte contre l'économie souterraine et le travail non déclaré, parallèlement et en synergie avec l'attention que portent à ces thèmes la Commission européenne, les instances spécialisées, comme Eurofound, ainsi que d'autres organisations internationales, à commencer par la Banque mondiale.

1.2

Face à la grave crise économique qui persiste en Europe, le CESE souligne l'incidence négative de ces phénomènes sur la dynamique du développement des entreprises et sur les possibilités d'innovation et d'amélioration du capital humain. À l'inverse, le retour dans l'économie formelle des entreprises et des travailleurs «souterrains» serait un facteur de reprise économique et pourrait constituer le fondement d'un développement plus durable.

1.3

Bien qu'il s'agisse de politiques relevant de la compétence des États membres, il est largement admis qu'une lutte efficace passe également par un échange systématique d'informations, de données et d'analyses au niveau de l'UE, de manière à assurer la participation et la coopération des autorités responsables et des partenaires sociaux concernés.

1.4

Par sa nature, le CESE constitue le lieu idéal pour favoriser et encourager le partage d'instruments, de politiques et de bonnes pratiques en vue d'agir aussi bien sur les facteurs économiques que sur le contexte culturel et social, dans le cadre de la stratégie définie par l'Union européenne pour lutter contre l'emploi irrégulier et l'évasion fiscale, stratégie fondée sur l'inclusion dans le marché du travail formel.

1.5

En premier lieu, le CESE considère comme essentielle une évaluation quantitative et qualitative de ces phénomènes, qui présentent un caractère très hétérogène dans les divers États membres, ainsi que de leurs retombées négatives dans les domaines économique et social, retombées qui ont à leur tour des incidences différentes dans les États membres en fonction des diverses conditions structurelles et contextuelles. L'absence de données et d'informations cohérentes sur les différents États membres affaiblit la stratégie de lutte contre l'économie souterraine, qui doit pouvoir s'appuyer sur des dispositifs permettant de mesurer l'ampleur du problème et sur des évaluations de l'impact des politiques menées.

1.6

Par conséquent, le CESE propose de surmonter le problème méthodologique concernant les estimations de la portée et de l'évolution de l'économie souterraine et du travail non déclaré, qui ne sont toujours ni complètes ni communes, en utilisant une méthode basée sur les informations relatives à la main-d'œuvre recueillies de manière homogène dans tous les États membres. Cette méthode est développée en particulier par l'institut italien de la statistique. Elle est donc testée dans un pays particulièrement exposé à ces phénomènes et qui se caractérise du reste par une grande hétérogénéité régionale.

1.7

Le principal facteur d'hétérogénéité est l'ampleur de l'économie souterraine, qui dans certains États membres et certaines régions atteint 30 % de la production totale. Dès lors, cette économie ne représente pas un problème résiduel mais constitue au contraire une partie intégrante du système de production. Le CESE rappelle donc la nécessité de recourir à un ensemble diversifié de politiques, déployées en fonction des différents territoires, secteurs de production et types de travail en cause, de façon à appréhender de manière appropriée les facteurs spécifiques — économiques, mais aussi culturels et sociaux — qui alimentent l'économie souterraine et le travail non déclaré.

1.8

Les partenaires sociaux peuvent contribuer à faire émerger l’économie souterraine, en particulier là où il ne s’agit pas d’un simple escamotage destiné à réduire les coûts de production, mais où le phénomène apparaît comme une partie intégrante du tissu productif. Les politiques de lutte contre ce phénomène exigent en effet la mise en œuvre de réseaux entre les opérateurs européens, nationaux et locaux, conscients du problème et aptes à engager des actions pour faire en sorte que les activités souterraines ne soient plus avantageuses. C'est possible en pénalisant ceux qui les pratiquent au moyen de mesures efficaces de dissuasion et en les incitant à les régulariser à l'aide de mesures préventives et curatives, probablement plus utiles dans le contexte de la crise économique actuelle.

1.9

Le CESE plaide pour la mise en place dans les territoires d’observatoires de l’économie souterraine au niveau régional, réunissant des représentants des employeurs, des syndicats et des pouvoirs publics compétents, dont la mission serait d’étudier le phénomène et son évolution dans le temps, d'en déterminer les principales caractéristiques, d’évaluer les mesures d’intervention les plus efficaces et de suivre l’application concrète de celles-ci.

1.10

Le CESE demande de ne pas limiter la lutte contre l’économie souterraine aux frontières de l’UE, mais d'appliquer également la responsabilité sociale des entreprises au non-respect des normes minimales d’un travail décent dans des pays tiers qui effectuent de la sous-traitance pour l’UE. Il s’agit d’une pratique qui non seulement nuit à la concurrence entre entreprises, mais qui expose au recours au travail de mineurs et met en danger la sécurité même des travailleurs concernés, lorsque les mesures élémentaires de sécurité sont négligées, comme cela est arrivé récemment lors de l’effondrement d’une usine au Bangladesh.

2.   L'engagement de l'Union européenne dans la lutte contre l'économie souterraine et le travail non déclaré

2.1

La stratégie Europe 2020 de l'Union européenne (UE) — qui vise à mettre en œuvre une croissance intelligente, durable et inclusive — assortit les orientations économiques destinées aux États membres de lignes directrices pour les politiques de l'emploi, parmi lesquelles la lutte contre l'économie souterraine et son corollaire, le travail non déclaré, illégal ou informel, qui restent de la compétence des États membres (1). Le concept générique d'économie souterraine regroupe diverses activités, qui vont des activités légales réalisées illégalement aux activités illégales. Le travail non déclaré est défini comme «toute activité rémunérée de nature légale, mais non déclarée aux pouvoirs publics, compte tenu des différences existant entre les systèmes réglementaires des États membres. Cette définition (...) recouvre diverses activités allant de la prestation de services informels aux ménages aux travaux clandestins effectués par des résidents en situation irrégulière; elle exclut cependant toute activité criminelle» (2).

2.1.1

Le travail non déclaré pèse sur le bon fonctionnement des activités de production et la qualité de la main-d'œuvre, en faisant obstacle aux politiques économiques, sociales et budgétaires orientées vers la croissance et en compromettant les efforts consentis pour atteindre les objectifs ambitieux en matière d'économie et d'emploi poursuivis dans le cadre de la stratégie Europe 2020. Son impact négatif est encore aggravé par les retombées de la crise économique sur la situation sociale et sur l'emploi, qui restreignent les possibilités d'emploi et mettent en péril les perspectives de profit et de revenus pour les entreprises et les travailleurs.

2.1.2

Dans le cadre de la stratégie européenne pour l'emploi (SEE), l'attention portée à ces phénomènes (3) a de fait gagné en importance ces dernières années, qu'ils soient abordés directement ou dans le cadre de considérations plus générales quant à la nécessité de réformer le marché du travail, ou encore en relation avec des questions connexes telles que l'immigration illégale dans l'UE et le travail décent dans les pays tiers.

2.1.3

De manière plus spécifique, l'économie souterraine et le travail non déclaré font partie des domaines couverts par le paquet emploi présenté en avril 2012, de l'examen annuel de la croissance 2012 et 2013, et des recommandations adressées à certains États membres concernant la lutte contre l'emploi illégal et la fraude fiscale. Dans le programme de travail de la Commission (4) figure, parmi les initiatives législatives à réaliser d'ici à 2014, la «Plateforme européenne de lutte contre le travail non déclaré», qui a pour objet de renforcer la coopération entre les autorités compétentes des États membres, de diffuser les meilleures pratiques et de définir certains principes communs.

2.2

La participation des organisations patronales et syndicales au processus décisionnel constitue un élément essentiel: «Les partenaires sociaux jouent un rôle important, au niveau national, dans la définition des règles du marché du travail» (5). Le Comité économique et social européen a donc lui aussi examiné de son côté et encouragé l'évolution des politiques de l'UE dans le domaine de la lutte contre l'économie souterraine et le travail non déclaré, en adoptant deux avis en 1999 et en 2005 (6).

2.2.1

Dans le premier avis, le CESE évaluait positivement la stratégie de lutte fondée sur l'insertion dans le marché du travail formel et sur une combinaison de politiques adaptables aux diverses réglementations et conditions de production en vigueur dans les États membres. Cet avis mettait également en évidence certains aspects ambigus ou sous-estimés en rapport avec la définition du travail non déclaré, la distinction à opérer entre ceux qui sont contraints de ne pas régulariser leur situation et ceux qui choisissent délibérément de ne pas le faire, le poids des charges administratives et fiscales pesant sur les petites et moyennes entreprises et l'artisanat, la gestion des immigrants en situation irrégulière, la régularisation des nouvelles formes de travail, l'hétérogénéité de l'ensemble des travailleurs non déclarés, ainsi que l'inefficacité éventuelle de certaines contre-mesures prévues.

2.2.2

Le deuxième avis, adopté par le CESE en 2005 de sa propre initiative (7), revient sur les problèmes déjà mentionnés dans l'avis précédent et aborde d'autres aspects. Parmi ceux-ci figurent le renforcement des incitations à régulariser l'emploi, l'allégement des formalités administratives lors de la création de nouvelles entreprises, l'attention spécifique portée aux travailleuses à faible revenu, la promotion de campagnes d'information et d'éducation à l'intention des entreprises et des travailleurs, la mise en œuvre d'un système efficace de dissuasion reposant sur des contrôles et des sanctions, la prise en compte des normes de travail appliquées dans les pays tiers, et le lien avec le chômage.

3.   Observations générales: la nécessité d'une intervention

3.1

Les activités souterraines ne résultent pas seulement des coûts, perçus comme excessifs (en particulier du travail), et ne visent donc pas uniquement à réduire de manière illicite les coûts de production par la fraude fiscale et la fraude à la sécurité sociale. Elles ont également pour but de se soustraire à la réglementation et aux normes en matière de travail (salaire minimum, durée maximale du travail, sécurité, certifications). Suivant cette logique, les activités criminelles et les activités légales mais réalisées par des opérateurs non autorisés ne font pas partie de l'économie souterraine. En revanche, elle englobe les travaux informels occasionnels accomplis dans le cadre domestique ou dans celui de relations de voisinage, lesquels toutefois sont généralement mieux acceptés socialement.

3.1.1

La complexité du phénomène est telle que la main d'œuvre concernée recouvre des cas de figure extrêmement diversifiés (8): travailleurs indépendants choisissant de ne pas régulariser leur situation, salariés non couverts par la sécurité sociale, sans contrat ou encore payés en partie «de la main à la main», travailleurs familiaux, travailleurs ne déclarant pas une deuxième ou une troisième activité, immigrés en situation irrégulière, travailleurs qui ne bénéficient pas des normes minimales d'un travail décent dans leurs pays qui effectuent de la sous-traitance pour l'UE.

3.2

S'il est nécessaire de s'attaquer sérieusement à l'économie souterraine et au travail non déclaré, c'est en raison de leurs multiples effets, tant sur les entreprises que sur les travailleurs, ainsi que sur les budgets publics:

la compétition entre les entreprises est faussée en raison de la concurrence déloyale qui s'exerce entre celles qui respectent les règles et celles qui ne le font pas, ce qui contribue à maintenir en vie des activités qui auraient probablement été écartées du marché; en outre, le fait que des entreprises ne s'agrandissent pas afin de rester dans l'économie souterraine et ne disposent pas d'un accès adéquat au crédit est source d'inefficacité dynamique;

les travailleurs souffrent de conditions d'insécurité sur le plan physique, sur celui des revenus et de la sécurité sociale, avec des conséquences non seulement éthiques sur leur dignité, mais aussi du point de vue de la production, en l'absence de possibilités de formation permanente, de recyclage professionnel, de réévaluation des fonctions, des processus de production et des produits;

les finances publiques accusent ainsi une perte de recettes, ce qui a pour effet de faire baisser les rentrées fiscales et les prélèvements sociaux (manque à gagner fiscal) et de contribuer à une répartition inéquitable du coût des services publics et de l'État providence (parasitisme).

3.3

Par ailleurs, le processus de mondialisation économique et les changements sociaux et démographiques créent — du moins potentiellement — plus d'espace pour l'économie souterraine et le travail non déclaré, raison pour laquelle les politiques de lutte doivent pouvoir évoluer en conséquence, en s'adaptant aux nouvelles conditions et en affrontant les phénomènes émergents. Sont ici visés la demande accrue de services à la famille et de services de soins, le déclin des formes de travail classiques et la flexibilité croissante des relations contractuelles, le développement du travail indépendant et des externalisations, le renforcement des groupements de sociétés multinationales. Cela exige de prêter davantage attention à la définition des réglementations, aux instruments de surveillance et de contrôle, ainsi qu'aux modalités de coordination internationale.

3.4

D'un point de vue statistique, les activités souterraines font partie intégrante du PIB et leur estimation exige des méthodologies adaptées. Mais il est difficile d'obtenir au sein de l'UE des informations fiables et comparables quant à l'ampleur et à la structure de ces activités, et ce pour trois raisons au moins: i) la nature de ces phénomènes, qui par définition ne peuvent être observés directement; ii) la multiplicité des orientations des États membres, qui donne lieu à des réglementations nationales disparates; iii) l'utilisation de différentes méthodes de calcul. Des approches divergentes donnent bien entendu lieu à des quantifications divergentes, qui peuvent différer de manière très significative, y compris au sein d'un même pays (tableau 1). Généralement, les valeurs publiées par les sources nationales officielles sont sous-estimées par rapport aux travaux des experts et des organisations internationales.

3.4.1

Il existe trois façons de mesurer la portée de l'économie souterraine, qui peuvent du reste s'appliquer à différents objets d'analyse (valeur ajoutée ou emploi):

études directes réalisées au niveau micro-économique (par exemple Eurobaromètre et enquête sociale européenne), au moyen d'enquêtes par sondage épisodiques ou régulières, dans le cadre desquelles les intéressés sont interrogés sur certaines caractéristiques de leur relation de travail (9);

estimations indirectes réalisées au niveau macro-économique, sur la base d'autres grandeurs connues et corrélées de manière stable à l'économie souterraine, telles que les comptes nationaux, la dynamique du marché de l'emploi, la consommation et la demande monétaire;

modèles économétriques traitant l'économie souterraine comme une variable non observable et s'appuyant sur les principaux facteurs qui la favorisent et les indicateurs d'activité irrégulière.

3.5

Une étude européenne préconise, pour obtenir des estimations homogènes et comparables entre États membres, de recourir à la méthodologie indirecte développée par l'Institut national de statistique italien, qui repose sur les données largement accessibles et fiables de l'apport de main-d'œuvre (10). Dans une perspective à moyen terme, l'UE pourrait ainsi disposer d'une base commune et partagée d'analyse, de comparaison et d'évaluation, indépendante des travaux des centres d'études ou d'organisations extérieures.

3.6

À l'heure actuelle, les informations comparables recueillies pour l'ensemble des États membres proviennent de modèles économétriques relatifs à l'économie souterraine ainsi que d'enquêtes par sondage portant sur le pourcentage de main-d'œuvre (salariée et indépendante) travaillant de manière informelle. Les résultats ainsi obtenus sont parfois contradictoires car ils se réfèrent à des dimensions différentes (voir tableau 2). En outre, peu d'États membres disposent de relevés périodiques concernant ce phénomène au niveau national.

3.6.1

La méthode économétrique fait apparaître des valeurs maximales dans certains États membres du centre et de l'est de l'Europe (jusqu'à des valeurs supérieures à 30 % en Bulgarie), élevées dans le sud, intermédiaires dans le reste de l'Europe centrale et orientale et dans les pays nordiques, minimales dans les États membres continentaux et anglo-saxons (11).

3.6.2

La méthode directe donne quant à elle un tableau plus varié, avec des valeurs maximales dans le sud (en particulier à Chypre et en Grèce), mais aussi en Irlande et en Pologne, et des valeurs minimales dans certains États membres du centre et de l'est de l'Europe, d'Europe du nord et d'Europe continentale (12).

4.   Observations particulières: impact de la crise et mesures politiques préconisées

4.1

L'impact de la crise et des politiques d'austérité n'est pas évident a priori. Du côté de l'offre, la récession devrait accentuer la baisse, y compris par des moyens illicites, des coûts de production, pour compenser la diminution des profits et des revenus, alors que les chômeurs devraient se montrer plus disposés à accepter un travail non régulier. Mais du côté de la demande, il y a contraction des possibilités d'emploi pour les personnes faiblement qualifiées, en raison du ralentissement de la consommation et des investissements dans des secteurs comme la construction, le commerce, l'hôtellerie, la restauration et les services à la famille.

4.1.1

Et de fait, les observations empiriques ne sont pas concluantes (13). Selon les modèles économétriques, l'évolution récente suit une courbe uniformément descendante, à l'exception d'une légère hausse en 2009, en pleine crise économique, suivie d'une rapide retombée entre 2010 et 2012 (tableau 3). Les enquêtes directes font au contraire apparaître une image plus contrastée, avec certains États membres qui affichent un recul de l'emploi informel pour les travailleurs salariés et d'autres qui au contraire enregistrent une augmentation de l'activité informelle en ce qui concerne les indépendants.

4.2

Ce ne sont pas seulement la portée, mais aussi la structure de l'économie souterraine et du travail non déclaré qui diffèrent selon les États membres, en raison de la disparité des structures de production et des systèmes d'État providence (14). Les catégories de travailleurs les plus touchées par ces phénomènes — qui en temps normal déjà connaissent des conditions économiques moins favorables que la moyenne — sont en outre affectés par la limitation de ces possibilités en temps de crise et voient leurs perspectives de revenus s'amenuiser (15).

4.3

Il apparaît ainsi que les dynamiques de l'économie souterraine et du travail non déclaré — surtout à la suite de la crise — n'affectent pas la main-d'œuvre de manière homogène, que ce soit d'un État membre à l'autre ou au sein des différentes économies. Il y a lieu de tenir compte de ces effets hétérogènes lors de l'élaboration des politiques de lutte contre l'économie souterraine et de la mise en œuvre des politiques sociales anticycliques.

4.4

Étant donné la complexité et le caractère multidimensionnel de l'économie souterraine et du travail non déclaré, tout le monde s'accorde sur la nécessité de combiner divers instruments de lutte, allant de la dissuasion, pratiquée au moyen de contrôles et de sanctions, aux incitations à respecter les réglementations. Le CESE souscrit à l'importance croissante qui a été donnée au cours des dernières années aux mesures préventives et curatives visant à prévenir l'apparition des facteurs alimentant l'économie souterraine ou à encourager la régularisation de ces pratiques, probablement plus utiles pour contribuer à la sortie de la crise économique (16) (voir tableau 4).

4.5

Diverses mesures sont généralement proposées, qui agissent sur des aspects différents:

réduire le coût de l'application des réglementations pour les entreprises et la rendre plus facile, en révisant et en simplifiant les procédures administratives et fiscales;

augmenter le risque d'être découverts, en renforçant les contrôles, en particulier au moyen d'inspections tripartites associant des représentants des pouvoirs publics compétents (17), des employeurs et des syndicats, et en rendant les sanctions déjà existantes plus effectives et plus efficaces;

encourager le développement des petites et moyennes entreprises et mettre en œuvre des politiques industrielles favorisant les secteurs productifs à haute intensité de travail qualifié;

réduire l'attrait du travail non déclaré pour les travailleurs, en octroyant des aides ciblées aux revenus et en établissant un lien plus évident entre les cotisations et les prestations sociales;

réglementer les nouvelles formes de travail de manière à ce qu'elles ne fassent pas l'objet d'abus, mais permettent de combiner les exigences des entreprises et des travailleurs;

contrôler la régularité des contributions au moyen d'indicateurs de l'adéquation du coût de la main-d'œuvre (18) (qui peut varier selon le secteur, la catégorie d'entreprise et le territoire), concertés avec les partenaires sociaux;

réduire l'acceptation sociale de l'économie souterraine et diffuser l'éthique fiscale, en sensibilisant l'opinion publique, en recherchant une meilleure équité de la pression fiscale et en développant la confiance à l'égard de l'administration publique et des pouvoirs politiques;

instaurer des rapports périodiques de suivi afin d'évaluer les dynamiques en cours et l'efficacité des mesures adoptées;

renforcer la coopération entre les États membres concernant les sociétés multinationales, notamment au moyen d'agences ou de structures institutionnelles spécifiques (19).

4.6

Toutes ces mesures poursuivent néanmoins un objectif commun: pour les entreprises, faire en sorte que les coûts en termes de sanctions économiques et d'image sociale dépassent les bénéfices potentiels découlant de la fraude ou des irrégularités, et donc que le risque soit moins payant; pour les travailleurs, veiller à ce que le travail régulier soit plus rémunérateur que le travail non déclaré, en termes de revenus mensuels et de perspectives d'avenir. Cette stratégie passe nécessairement par l'adoption de mesures visant à accompagner la transformation du travail non déclaré en emploi régulier.

Bruxelles, le 21 janvier 2014.

Le Président du Comité économique et social européen

Henri MALOSSE


(1)  «Vers une reprise génératrice d’emplois», COM(2012) 173 final, par. 1.1; décision 2010/707/UE du Conseil relative aux lignes directrices pour les politiques de l’emploi des États membres, ligne directrice no 7.

(2)  COM(2007) 628. L'OCDE utilise une définition analogue. La Banque mondiale propose quant à elle de prendre en compte les salariés sans contrat et les travailleurs indépendants employant cinq salariés ou moins sans activité professionnelle.

(3)  Document de travail de l'OIT 2013 «Labour Inspection and Undeclared Work in the EU» (Inspection du travail et travail non déclaré dans l'UE).

Base de données et rapport Eurofound 2013 «Le travail non déclaré dans les 27 États membres de l’UE et en Norvège. Approches et mesures depuis 2008».

«Paquet Emploi 2012»: Communication de la Commission «Vers une reprise riche en emplois».

Communications de la Commission sur l'examen annuel de la croissance 2012 et 2013

Recommandations par pays 2012 et 2013.

Programme PROGRESS 2012 d'apprentissage mutuel; examen par des pairs sur le thème «Combatting undeclared work as a growing challenge in the context of high unemployment» (Lutte contre le travail non-déclaré, un défi grandissant dans le contexte d'un chômage élevé).

Communication de la Commission de 2010 «Une stratégie pour des compétences nouvelles et des emplois: une contribution européenne au plein emploi», COM(2010) 682 final.

Décision du Conseil 2010/707/CE du 21 octobre 2010 relative aux lignes directrices pour les politiques de l'emploi des États membres.

Communication de la Commission du 24 octobre 2007«Intensifier la lutte contre le travail non déclaré» COM(2007) 628 final.

Enquête spéciale Eurobaromètre de 2007 sur le travail non-déclaré.

Communication de la Commission sur l'issue de la consultation publique sur le livre vert de la Commission «Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIe siècle», COM(2007)627,

Livre vert — Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIe siècle, COM(2006) 708.

2010 «Étude de faisabilité relative à l'établissement d'une plate-forme européenne de coopération entre les inspections du travail et d'autres organismes de surveillance et de contrôle afin de prévenir et de combattre le travail non déclaré» (Étude Regioplan).

(4)  COM(2012) 629 final

(5)  COM(2012) 173 final, par. 3.2.

(6)  JO C 101, du 12.4.1999, pp. 30-37, en liaison avec le document COM(98) 219; JO C 255, du 14.10.2005, pp. 61-66. Cette question est par ailleurs traitée dans d'autres avis portant plus généralement sur le marché du travail ou sur des phénomènes connexes à l'économie souterraine: parmi ces derniers, JO C 175, du 27.7.2007, pp. 65-73 et JO C 204, du 9.8.2008, pp.-70-76.

(7)  Sur la base de la résolution du Conseil no 13538/1/03 sur le travail non déclaré et de la décision du Conseil du 22 juillet 2003 relative aux lignes directrices pour les politiques de l'emploi.

(8)  Document de travail de l'OIT «Labour Inspection and Undeclared Work in the EU» (Inspection du travail et travail non déclaré dans l'UE), Genève, 2013, ch. 1.

(9)  Même s'il existe un risque de sous-représentation de l'économie souterraine en raison du manque de sincérité des réponses, l'intérêt est de recueillir quantité de données socio-économiques.

(10)  Ciccarone G. et al., Étude sur les méthodes indirectes destinées à évaluer l'ampleur du travail non déclaré au sein de l'UE, GHK & Fondazione G. Brodolini, rapport final à la Commission européenne, DG «Emploi, affaires sociales et égalité des chances», décembre 2009.

(11)  Schneider F., The Shadow Economy and Work in the Shadow: What Do We (Not) Know? (L'économie souterraine et le travail au noir: que (ne) savons-nous (pas)?), Note de discussion IZA, no 6423, mars 2012; Schneider F., Taille et développement de l’économie parallèle de 31 pays européens et 5 autres pays de l’OCDE, de 2003 à 2012: certains faits nouveaux, document de travail, 2012.

(12)  Hazans M., Informal Workers across Europe (Travailleurs informels en Europe). Evidence from 30 European Countries, Policy Research Working Paper (Travailleurs informels en Europe. Données concernant 30 pays européens), no 5912, Banque mondiale, décembre 2011; Packard T. — Koettl J. — Montenegro C.E., In From the Shadow. Integrating Europe’s Informal Labor (Intégration du travail informel en Europe), Banque mondiale, 2012, chap. 1. 1.

(13)  Schneider F., cit.; Hazans M., cit., Packard T. — Koettl J. — Montenegro C.E., cit.

(14)  Dans les pays nordiques, qui investissent davantage dans les politiques en faveur de l'emploi, de la protection sociale et de la redistribution, et qui assurent par conséquent une meilleure égalité des revenus, l'incidence du travail non déclaré est également moindre et concerne principalement les seconds emplois, exercés à titre de complément de revenus. Dans le sud de l'Europe au contraire, l'économie souterraine joue un rôle de substitution pour compenser l'insuffisance des politiques actives de l'emploi et du bien-être, de sorte qu'elle occupe une place particulièrement importante pour les chômeurs et les personnes marginalisées par rapport au marché du travail formel. Voir Eurofound «Le travail non déclaré dans les 27 États membres de l’UE et en Norvège. Approches et mesures depuis 2008», juin 2013, chap. 1 et 4.

(15)  Hazans M., pag. 22.-39.

(16)  Eurofound, chap. 2 et 3.

(17)  OIT, Opus cit., chap. 3.

(18)  Il est possible de mettre en évidence l'emploi éventuel d'une main-d'œuvre au noir si les vérifications comptables font apparaître un coût du travail (salaires + cotisations sociales) inférieur aux planchers estimés. Cité parmi les bonnes pratiques par la communication COM(2007) 628 final.

(19)  Dekker H. et al., Joining up the fight against undeclared work in Europe (Participer à la lutte contre le travail non déclaré en Europe), Regioplan, Rapport final à la Commission européenne, DG «Emploi, affaires sociales et égalité des chances», décembre 2010, chap. 5.


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