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Document 52008DC0165

Livre blanc sur les actions en dommages et interets pour infraction aux regles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante {SEC(2008) 404} {SEC(2008) 405} {SEC(2008) 406}

/* COM/2008/0165 final */

52008DC0165

Livre blanc sur les actions en dommages et interets pour infraction aux regles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante {SEC(2008) 404} {SEC(2008) 405} {SEC(2008) 406} /* COM/2008/0165 final */


[pic] | COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES |

Bruxelles, le 2.4.2008

COM(2008) 165 final

LIVRE BLANC sur

les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante {SEC(2008) 404}{SEC(2008) 405}{SEC(2008) 406}

LIVRE BLANC sur

les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante

OBJET ET PORTÉE DU LIVRE BLANC

Pourquoi un livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante?

Tout citoyen ou toute entreprise subissant des dommages du fait d'une infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante (articles 81 et 82 du traité CE) doit pouvoir demander réparation à celui qui a causé les dommages. Ce droit des victimes à réparation est garanti par le droit communautaire , comme l'a rappelé la Cour de justice des Communautés européennes en 2001 et 2006[1].

En dépit de l'obligation d'établir un cadre juridique efficace permettant de faire de l'exercice du droit à réparation une possibilité réaliste, et même si quelques signes d'amélioration ont pu être constatés récemment dans certains Etats membres, dans la pratique, les victimes d'infractions aux règles de concurrence communautaires n'obtiennent, à ce jour, que rarement réparation des dommages subis. Le montant des dommages et intérêts dont sont actuellement privées ces victimes est de l'ordre de plusieurs milliards d'euros par an[2].

Dans son livre vert de 2005, la Commission parvenait à la conclusion que cette défaillance était due, en grande partie, à divers obstacles juridiques et procéduraux inscrits dans les règles des États membres régissant les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles de concurrence engagées devant les juridictions nationales. Ces actions en dommages et intérêts présentent, en effet, un certain nombre de caractéristiques particulières qui sont souvent insuffisamment prises en compte dans les règles traditionnelles de responsabilité et de procédure civiles. Il en découle une importante insécurité juridique [3]. Ces particularités ont notamment trait à l'analyse factuelle et économique très complexe qui doit être réalisée, à l'inaccessibilité et la dissimulation fréquentes des éléments de preuve déterminants dont disposent les défendeurs, ainsi qu'au rapport risques/récompenses souvent défavorable aux requérants.

Le meilleur moyen de lutter contre l'inefficacité actuelle des actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles de concurrence consiste à combiner des mesures tant au niveau communautaire qu'au niveau national, en vue de garantir, dans chaque État membre, une protection minimale effective du droit des victimes à obtenir des dommages et intérêts, en application des articles 81 et 82, ainsi que des conditions plus équitables pour tous et une sécurité juridique accrue dans l'ensemble de l'UE.

Le Parlement européen[4] a adhéré aux conclusions du Livre vert, à l'instar d'autres parties prenantes, et a invité la Commission à élaborer un livre blanc comportant des propositions détaillées visant à supprimer les obstacles à l'efficacité des actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles de concurrence.

Objectifs, principes directeurs et portée du livre blanc

Le présent livre blanc envisage et propose des options de politique générale et des mesures spécifiques qui devraient assurer, davantage qu'aujourd'hui, que toutes les victimes d'infractions au droit communautaire de la concurrence ont accès à des mécanismes de réparation efficaces leur permettant d'être totalement indemnisées pour les dommages qu'elles ont subis.

Ce livre blanc doit être consulté conjointement avec deux documents de travail des services de la Commission: a) un document de travail des services de la Commission concernant les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles de concurrence communautaires (le «document de travail»), qui explique de façon plus détaillée les éléments de réflexion sur lesquels repose le livre blanc et fournit également un bref aperçu de l'acquis communautaire en vigueur dans ce domaine; et b) un rapport d'analyse d'impact qui examine les coûts et les avantages potentiels de diverses options de politique générale, accompagné d'une synthèse de ce rapport.

L'objectif premier du présent livre blanc est d'améliorer les conditions juridiques dans lesquelles les victimes exercent leur droit, conféré par le traité, de demander réparation de tous les dommages subis du fait d'une infraction aux règles de concurrence communautaires. En conséquence, l'indemnisation intégrale des victimes est, de loin, le premier principe directeur.

Une efficacité accrue des mécanismes d'indemnisation suppose que les coûts induits par les infractions aux règles de concurrence soient supportés par les auteurs de ces infractions, et non par les victimes ni par les entreprises respectueuses de la législation. Des voies de recours efficaces pour les victimes permettent également d'augmenter la probabilité qu'un plus grand nombre de restrictions illégales de concurrence soient détectées et que les auteurs des infractions soient tenus de répondre de leurs actes[5]. Une amélioration des conditions de réparation des victimes produirait donc aussi, intrinsèquement , des effets bénéfiques du point de vue de la dissuasion d'infractions futures, ainsi qu'un plus grand respect des règles de concurrence communautaires. Le maintien d'une concurrence non faussée fait partie intégrante du marché intérieur et est essentielle à la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne. Une culture de la concurrence contribue à une meilleure allocation des ressources, une plus grande efficience économique, une innovation accrue et des prix plus bas.

La Commission se fonde également sur un deuxième principe directeur, selon lequel le cadre juridique propre à assurer une plus grande efficacité des actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles de concurrence doit reposer sur une approche véritablement européenne. C'est la raison pour laquelle les options de politique générale proposées dans le présent livre blanc sont des mesures équilibrées enracinées dans la culture et les traditions juridiques européennes .

Un autre principe directeur majeur de la politique de la Commission est de préserver la fermeté de l'application des articles 81 et 82 dans la sphère publique par la Commission et les autorités de concurrence des États membres. Aussi, les mesures proposées dans le présent livre blanc visent à mettre en place un système efficace de mise en œuvre des règles par la sphère privée s'appuyant sur les actions en dommages et intérêts qui complète, sans la remplacer ni la compromettre, l'action des pouvoirs publics dans ce domaine.

Compte tenu des éléments qui précèdent et conformément à l'exigence formulée par la Cour de justice selon laquelle toute victime d'une infraction aux règles de concurrence doit pouvoir exercer son droit à réparation de manière effective, les questions abordées dans le livre blanc concernent, en principe, toutes les catégories de victimes , tous les types d'infractions aux articles 81 et 82 et tous les secteurs de l'économie . De l'avis de la Commission, il convient également que les mesures retenues couvrent à la fois les actions en dommages et intérêts qui s'appuient sur la constatation préalable d'une infraction par une autorité de concurrence et celles qui ne font suite à aucune constatation.

LES MESURES ET OPTIONS DE POLITIQUE GÉNÉRALE PROPOSÉES

Qualité pour agir: acheteurs indirects et recours collectifs

En ce qui concerne la qualité pour agir, la Commission se félicite de la confirmation donnée par la Cour de justice que «toute personne» ayant subi un préjudice du fait d'une infraction aux règles de concurrence doit pouvoir demander réparation devant les juridictions nationales[6]. Ce principe s'applique également aux acheteurs indirects , c'est-à-dire aux acheteurs qui sans traiter directement avec l'auteur de l'infraction ont toutefois subi d'importants dommages du fait de la répercussion, le long de la chaîne de distribution, d'un surcoût illégal.

En ce qui concerne les recours collectifs , la Commission estime qu'il existe un besoin évident de mécanismes permettant le regroupement des demandes d'indemnisation individuelles de victimes d'infractions aux règles de concurrence. Les consommateurs individuels, mais aussi les petites entreprises, en particulier celles qui ont subi de manière sporadique des dommages de faible valeur , sont souvent dissuadés d'engager des actions individuelles en dommages et intérêts en raison des coûts, des délais, des incertitudes, des risques et des contraintes que cela suppose. Il en résulte qu'à l'heure actuelle, nombreuses sont les victimes qui ne sont pas indemnisées . Dans les rares cas où une multitude d'actions individuelles sont engagées pour une même infraction, il en résulte des inefficacités procédurales, que ce soit pour les requérants, pour les défendeurs ou pour le système judiciaire lui-même.

C'est pourquoi la Commission propose[7] de combiner deux mécanismes complémentaires de recours collectif afin de remédier efficacement à ces problèmes dans le domaine de la concurrence:

- des actions représentatives , intentées par des entités qualifiées telles que des associations de consommateurs, des organismes publics ou des organisations professionnelles, au nom de victimes identifiées ou, dans des cas plutôt restreints, identifiables. Ces entités sont soit i) officiellement désignées à l'avance soit ii) habilitées par un État membre, au cas par cas pour une infraction donnée aux règles de concurrence, à intenter une action au nom d'une partie ou de la totalité de leurs membres; et

- des actions collectives assorties d'une option de participation explicite , dans lesquelles les victimes décident expressément de mettre en commun leurs demandes d'indemnisation individuelles pour les dommages qu'elles ont subis, afin d'engager une seule action en justice.

Étant donné que les entités qualifiées ne pourront ou ne souhaiteront pas prendre en charge toutes les demandes d'indemnisation, ces deux types d'actions doivent être utilisés de façon complémentaire , afin d'assurer l'efficacité des recours collectifs en faveur des victimes d'infractions aux règles de concurrence. Il importe, en outre, que les victimes ne soient pas privées de leur droit d'intenter une action individuelle en dommages et intérêts si elles le souhaitent. Néanmoins, il convient de prévoir des garde-fous, de façon à éviter qu'un même dommage soit indemnisé plusieurs fois.

Ces propositions relatives aux actions en dommages et intérêts dans le domaine de la concurrence s'inscrivent dans le cadre d'une initiative plus large de la Commission visant à renforcer les mécanismes de recours collectif dans l'UE et sont susceptibles d'évoluer dans ce contexte.

Accès aux preuves: divulgation inter partes

Les affaires de concurrence supposent l'examen d'un nombre particulièrement élevé de données factuelles. Une grande partie des preuves essentielles nécessaires à la réussite d'une action en dommages et intérêts en cas d'infraction aux règles de concurrence sont souvent dissimulées et, du fait qu'elles sont détenues par le défendeur ou des tiers, ne sont généralement pas connues de façon suffisamment détaillée par le requérant.

S'il est essentiel de surmonter cette asymétrie structurelle de l'information et d'améliorer l'accès des victimes aux preuves pertinentes, il importe également d' éviter les effets négatifs qu'entraîneraient des obligations de divulgation trop larges et contraignantes, notamment le risque d'abus susceptible d'en découler.

La Commission propose, dès lors, que dans l'ensemble de l'UE, un niveau minimal de divulgation inter partes soit prescrit pour les affaires de dommages et intérêts pour infraction aux règles de concurrence communautaires. A l'instar de l'approche suivie dans la directive relative au respect des droits de propriété intellectuelle (directive 2004/48/CE), l'accès aux preuves devrait reposer sur l' établissement des faits et un contrôle juridictionnel strict de la plausibilité de la demande d'indemnisation et de la proportionnalité de la demande de divulgation. En conséquence, la Commission propose[8] que:

- les juridictions nationales aient, dans des conditions déterminées , le pouvoir d'enjoindre aux parties à la procédure ou à des tiers de divulguer des catégories bien définies de preuves pertinentes ;

- les conditions préalables à une injonction de divulgation soient notamment que le requérant:

- ait présenté l'ensemble des données factuelles et moyens de preuve qu'il a pu raisonnablement obtenir , pour autant que ces éléments fassent apparaître des raisons plausibles de présumer qu'il a subi un dommage imputable à une infraction aux règles de concurrence commise par le défendeur;

- ait montré, à la satisfaction de la juridiction saisie, qu'il n'est pas en mesure , en dépit des efforts que l'on peut raisonnablement attendre de lui, de produire les preuves requises par d'autres voies ;

- ait défini des catégories suffisamment précises de preuves à divulguer; et

- ait convaincu la juridiction saisie que la mesure de divulgation envisagée est pertinente pour l'affaire en cause, ainsi que nécessaire et proportionnée ;

- les déclarations des entreprises effectuées dans le cadre d'une demande de clémence ainsi que les enquêtes des autorités de concurrence bénéficient d'une protection adéquate;

- les juridictions disposent du pouvoir d'imposer des sanctions suffisamment dissuasives pour éviter la destruction d'éléments de preuves pertinents ou le refus de se conformer à une injonction de divulgation, et notamment de la faculté de tirer des conséquences défavorables dans le cadre de l'action civile en dommages et intérêts.

Effet contraignant des décisions des ANC

Lorsque la Commission européenne constate une infraction à l'article 81 ou 82 du traité CE, les victimes de ladite infraction peuvent, en vertu d'une jurisprudence constante et de l'article 16, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1/2003, utiliser cette décision comme une preuve irréfutable lors d'une action civile en dommages et intérêts. Des règles analogues pour les décisions des autorités nationales de concurrence ( ANC ) constatant une infraction à l'article 81 ou 82 existent actuellement dans certains États membres uniquement.

Selon la Commission, il n'existe aucune raison pour qu'une décision définitive[9] prise sur le fondement de l'article 81 ou 82 par une ANC du réseau européen de la concurrence (REC), de même qu'un jugement définitif d'une instance de recours confirmant la décision de l'ANC ou constatant elle-même une infraction, ne soient pas acceptés dans tout État membre comme preuves irréfutables de l'infraction aux règles de concurrence dans le cadre d'actions civiles en dommages et intérêts engagées par la suite.

Une règle à cet effet permettrait de garantir une application plus cohérente des articles 81 et 82 par les divers organes nationaux ainsi que d'accroître la sécurité juridique . Elle aurait également pour effet d'accroitre significativement l'efficacité des actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles de concurrence, tout en répondant au souci d 'économie de procédure : si les défendeurs peuvent remettre en question leur propre violation de l'article 81 ou 82 établie dans une décision d'une ANC, et, éventuellement, confirmée par une instance de recours, les juridictions saisies d'une action en dommages et intérêts seront tenues de réexaminer les éléments factuels et les questions juridiques déjà examinés et analysés par une autorité publique spécialisée (et une instance de recours). Une telle duplication de l'analyse factuelle et juridique entraîne des coûts et délais supplémentaires considérables, de même qu'une incertitude accrue pour l'action en dommages et intérêts de la victime.

Aussi, la Commission propose la règle suivante[10]:

- les juridictions nationales devant statuer sur des actions en dommages et intérêts concernant une pratique visée à l'article 81 ou 82 sur laquelle une ANC du REC a déjà rendu une décision définitive concluant à l'existence d'une infraction à ces articles, ou sur laquelle une instance de recours a rendu un jugement définitif confirmant la décision de l'ANC ou constatant elle-même une infraction, ne peuvent prendre des décisions qui iraient à l'encontre de cette décision ou de ce jugement.

Cette obligation doit être appliquée sans préjudice du droit, et de l'éventuelle obligation, des juridictions nationales de demander des éclaircissements sur l'interprétation de l'article 81 ou 82 en vertu de l'article 234 du traité.

La règle énoncée ci-dessus confère un effet contraignant aux seules décisions définitives, c'est-à-dire aux décisions pour lesquelles le défendeur a épuisé toutes les voies de recours , et ne s'applique qu' aux pratiques et entreprises à propos desquelles l'ANC ou l'instance de recours a constaté une infraction.

Nécessité de l'existence d'une faute

Lorsque l'infraction à l'article 81 ou 82 est prouvée , les États membres adoptent des approches divergentes en ce qui concerne la nécessité de l'existence d'une faute pour obtenir réparation.

Dans certains d'entre eux, l'existence d'une faute n'est pas une condition de la réparation des dommages subis du fait d'une infraction aux règles de concurrence, ou la faute est présumée de manière irréfragable une fois que l'infraction a été prouvée. Selon la Commission, il n'y a pas de raison de principe de s'opposer à une telle approche.

En ce qui concerne les autres États membres, il ressort de la jurisprudence de la Cour relative aux conditions de la responsabilité civile pour les infractions aux règles directement applicables du traité, telles que les articles 81 et 82, de même que du principe d'effectivité, que toute exigence, en droit national, de la preuve de l'existence d'une faute doit être limitée. Selon la Commission, il n'y a aucune raison de décharger les auteurs d'infractions de leur responsabilité au motif qu'ils n'ont pas commis de faute, excepté dans le cas où l'auteur de l'infraction a commis une erreur excusable.

En conséquence, la Commission propose[11] une mesure destinée à clarifier, pour les États membres qui exigent que la preuve d'une faute soit rapportée, que:

- lorsque la victime a rapporté la preuve d'une infraction à l'article 81 ou 82 , l'auteur de cette infraction doit être tenu responsable des dommages causés, sauf s'il prouve que l'infraction résulte d' une erreur véritablement excusable ;

- une erreur est considérée comme excusable dans le cas où une personne raisonnable appliquant un degré élevé de diligence ne pouvait pas avoir connaissance du fait que le comportement en cause restreignait la concurrence.

Dommages et intérêts

La Commission se félicite de la confirmation apportée par la Cour de justice concernant les types de dommages pour lesquels les victimes d'infractions aux règles de concurrence devraient pouvoir obtenir réparation[12]. La Cour a insisté sur le fait que les victimes doivent, au minimum, obtenir réparation intégrale du dommage subi à sa valeur réelle . Ce droit à la réparation intégrale du dommage s'étend donc non seulement au dommage réel imputable à une augmentation anticoncurrentielle des prix, mais aussi au manque à gagner résultant de toute diminution des ventes, et donne droit à la perception d'intérêts .

Pour des raisons de sécurité juridique, et afin de sensibiliser les auteurs et victimes potentiels d'infractions, la Commission propose de codifier dans un instrument législatif communautaire l' acquis communautaire actuel relatif aux types de dommages que les victimes d'infractions aux règles de concurrence peuvent se voir indemniser.

Une fois les types de dommages indemnisables clairement définis, il convient de calculer le quantum des dommages et intérêts. Ce calcul, qui nécessite une comparaison avec la situation économique de la victime dans le scénario hypothétique d'un marché compétitif, constitue souvent un exercice très compliqué. Il peut se révéler excessivement difficile , voire pratiquement impossible, si le principe selon lequel le montant exact du dommage subi doit toujours être calculé avec précision est appliqué strictement. En outre, des exigences contraignantes dans ce domaine peuvent se révéler disproportionnées au regard du montant des dommages subis.

En conséquence, pour faciliter le calcul des dommages et intérêts , la Commission a l'intention[13]:

- d'établir un cadre contenant des orientations pragmatiques et non contraignantes pour l'évaluation des dommages et intérêts dans les affaires d'ententes et d'abus de position dominante, par exemple au moyen de méthodes d'approximation ou de règles simplifiées pour l'estimation des dommages subis.

Répercussion des surcoûts

Si le client direct de l’auteur d'une infraction a répercuté, en tout ou en partie, les surcoûts illégaux sur ses propres clients (les acheteurs indirects), plusieurs questions de droit peuvent se poser. Ces questions génèrent actuellement des difficultés et une grande insécurité juridique dans le cadre des actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles de concurrence.

Des problèmes peuvent se poser, d'une part, si l' auteur de l'infraction invoque la répercussion des surcoûts comme moyen de défense contre un requérant ayant engagé une action en dommages et intérêts, en faisant valoir que ce dernier n'a pas subi de perte puisqu'il a répercuté l'augmentation des prix sur ses clients.

La Commission rappelle l'insistance de la Cour sur le principe de réparation et sur son postulat selon lequel des dommages et intérêts doivent pouvoir être alloués à toute personne lésée qui peut rapporter la preuve d'un lien de causalité suffisant avec l'infraction. A la lumière de ce qui précède, les auteurs d'infractions devraient être autorisés à invoquer la possibilité que le surcoût ait été répercuté. En effet, la négation de ce moyen de défense pourrait entraîner l' enrichissement sans cause des acheteurs qui ont répercuté le surcoût et une réparation multiple injustifiée, par le défendeur, pour les surcoûts illégaux imposés. En conséquence, la Commission propose[14] que:

- les défendeurs soient en droit d'invoquer la répercussion des surcoûts comme moyen de défense contre une demande d'indemnisation desdits surcoûts. Le niveau de preuve requis pour ce moyen de défense ne devrait pas être inférieur à celui imposé au requérant pour prouver les dommages subis.

D'autre part, des difficultés peuvent également survenir si un acheteur indirect se fonde sur la répercussion des surcoûts pour établir le préjudice subi . Les acheteurs se trouvant à l'extrémité de la chaîne de distribution - ou proches de ladite extrémité - sont souvent les plus affectés par les infractions aux règles de concurrence, mais ils estiment particulièrement difficile, compte tenu de leur éloignement par rapport à l'infraction , de produire des preuves suffisantes de l'existence et de l'ampleur de la répercussion du surcoût illégal tout au long de la chaîne de distribution. Si ces requérants ne sont pas en mesure de produire ces preuves, ils ne seront pas indemnisés et l'auteur de l'infraction, qui peut avoir utilisé avec succès le moyen de défense portant sur la répercussion des surcoûts contre un autre requérant en amont, conserverait le bénéfice d'un enrichissement sans cause .

Pour éviter un tel scénario, la Commission propose par conséquent d'alléger la charge de la preuve incombant à la victime et propose[15] que:

- les acheteurs indirects puissent se fonder sur la présomption réfragable que le surcoût illégal a été répercuté sur eux dans sa totalité.

Dans le cas d'actions conjointes, parallèles ou consécutives intentées par des acheteurs à différents niveaux de la chaîne de distribution, les juridictions nationales sont encouragées à faire plein usage de tous les mécanismes qui sont à leur disposition en vertu du droit national, du droit communautaire et du droit international, afin d'éviter une sous-indemnisation ainsi qu'une sur-indemnisation des dommages causés par les infractions au droit de la concurrence.

Délais de prescription

Si les délais de prescription jouent un rôle important pour la sécurité juridique , ils peuvent également constituer un obstacle considérable à la réparation des dommages, que ce soit pour les actions autonomes ou pour les actions qui s'appuient sur la constatation préalable d'une infraction par une autorité de concurrence.

En ce qui concerne la date à laquelle les délais de prescription commencent à courir , les victimes peuvent se heurter à des difficultés d'ordre pratique en cas d'infraction continue ou répétée ou lorsqu'elles ne peuvent raisonnablement pas avoir eu connaissance de l'infraction. Cette dernière situation se produit fréquemment pour les violations les plus graves et les plus dommageables du droit de la concurrence, telles que les ententes, qui restent souvent secrètes aussi longtemps qu'elles durent, mais également une fois qu'elles ont pris fin.

C'est pourquoi la Commission propose[16] que le délai de prescription ne commence pas à courir :

- avant le jour où l'infraction prend fin , en cas d' infraction continue ou répétée ;

- avant le moment où la victime de l'infraction peut raisonnablement être considérée comme ayant connaissance de cette infraction et des dommages qu'elle lui cause .

Afin de préserver la possibilité d'engager des actions faisant suite à une décision d'une autorité de concurrence, il convient de prendre des mesures pour éviter que les délais de prescription expirent alors que les actions engagées dans la sphère publique pour la mise en œuvre des règles de concurrence, par les autorités de concurrence (et les instances de recours), sont encore en cours . À cet effet, la Commission préconise d'ouvrir un nouveau délai de prescription commençant à courir à la date d'adoption par l'autorité de concurrence ou l'instance de recours de la décision constatant l'infraction, plutôt que de suspendre le délai de prescription pour la durée de la procédure publique.

Dans ce dernier cas, les requérants (et les défendeurs) éprouveront parfois des difficultés à calculer avec précision la période qui reste à courir, étant donné que l'ouverture et la clôture des procédures par les autorités de concurrence ne sont pas toujours connues publiquement. De plus, si la suspension devait intervenir longtemps après le commencement du délai de prescription, le laps de temps restant à courir risquerait d'être trop court pour préparer une demande d'indemnisation.

En conséquence, la Commission propose[17]:

- qu'un nouveau délai de prescription de deux ans minimum commence à courir le jour où la décision constatant l'infraction, sur laquelle le requérant s'appuie pour intenter une action, est devenue définitive .

Coûts des actions en dommages et intérêts

Les coûts afférents aux actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles de concurrence, de même que les règles de répartition des coûts, peuvent constituer un frein décisif à l'introduction de demandes d'indemnisation, du fait que ces actions peuvent se révéler particulièrement onéreuses et sont généralement plus complexes et plus longues que d'autres formes d'actions civiles.

La Commission considère qu'il serait utile que les États membres se penchent sur leurs règles en matière de coûts et examinent les pratiques en vigueur à travers l'UE afin de permettre aux requérants dont les demandes sont fondées d'intenter une action en réparation sans que les frais de procédure ne les en empêchent, surtout lorsque leur assise financière est sensiblement moins solide que celle du défendeur.

Il convient d'accorder une attention particulière aux mécanismes favorisant un règlement rapide des litiges , tels que les accords transactionnels. Ce type de mécanisme pourrait réduire sensiblement voire supprimer les frais liés au contentieux pour les parties ainsi que les coûts supportés par le système judiciaire.

Les États membres pourraient également envisager, dans des cas appropriés, de plafonner les frais de procédure applicables aux actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles de concurrence.

Enfin, les États membres sont invités à réfléchir à leurs règles de répartition des coûts afin de réduire pour les requérants potentiels l'incertitude relative aux coûts qu'ils pourraient avoir à prendre en charge. La règle selon laquelle la partie qui succombe est condamnée aux dépens, prévalant dans les États membres de l'UE, joue un rôle important pour prévenir les demandes infondées. Néanmoins, dans certaines circonstances, ce principe pourrait également décourager des victimes dont les actions sont justifiées. Par conséquent, il peut être nécessaire d'habiliter les juridictions nationales à déroger à cette règle par exemple en donnant l'assurance qu'un requérant, s'il est débouté, n'aura pas à supporter les frais exposés par les défendeurs qui seraient jugés frustratoires, vexatoires ou autrement excessifs.

C'est pourquoi la Commission encourage[18] les États membres à:

- élaborer des règles de procédure favorisant les accords transactionnels , afin de réduire les coûts;

- fixer les frais de procédure de telle manière qu'ils ne constituent pas un frein excessif à l'introduction d'actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles de concurrence;

- donner aux juridictions nationales la possibilité de statuer sur les dépens par ordonnance, de préférence au stade initial de la procédure, en dérogeant, dans certains cas le justifiant, aux règles habituellement appliquées. Une telle ordonnance permettrait d'assurer que le requérant, même s'il était débouté, n'aurait pas à supporter tous les frais exposés par l'autre partie.

Interaction entre les programmes de clémence et les actions en dommages et intérêts

Il est important, pour l'application du droit de la concurrence tant dans la sphère publique que dans la sphère privée, de garantir l'attractivité des programmes de clémence.

Il convient d'assurer une protection adéquate aux déclarations effectuées par une entreprise dans le cadre d'une demande de clémence contre la divulgation de ces déclarations dans des actions privées en dommages et intérêts , afin d'éviter de placer l'entreprise à l'origine de cette demande dans une situation moins favorable que celle des co-auteurs de l'infraction. Dans le cas contraire, la crainte de voir ses aveux divulgués pourrait avoir une influence négative sur la qualité des informations communiquées par l'entreprise demandant à bénéficier des mesures de clémence, voire même dissuader les auteurs d'infraction de solliciter de telles mesures.

En conséquence, la Commission propose[19] que cette protection s'applique:

- à toutes les déclarations d'entreprises soumises par tout demandeur de clémence en rapport avec une infraction à l'article 81 du traité CE (y compris lorsque le droit national de la concurrence est appliqué en parallèle);

- que la demande de clémence soit acceptée, rejetée ou ne donne lieu à aucune décision de la part de l'autorité de concurrence.

Cette protection s'applique lorsque la divulgation est ordonnée par un tribunal tant avant qu' après l'adoption d'une décision par l'autorité de concurrence. La divulgation volontaire des déclarations des entreprises par les auteurs de demandes d'immunité ou de réduction d'amendes devrait être interdite au moins jusqu'à ce qu'une communication des griefs soit adressée dans l'affaire.

Une autre mesure afin de garantir que les programmes de clémence restent pleinement attractifs consisterait à limiter la responsabilité civile des auteurs d'infraction auxquels a été accordé le bénéfice d'une immunité d'amendes. La Commission propose par conséquent d'examiner plus avant[20] la possibilité de limiter la responsabilité civile des bénéficiaires d'une immunité d'amendes aux demandes d'indemnisation de leurs partenaires contractuels directs et indirects . Cette mesure contribuerait à limiter et à rendre plus prévisible le montant des dommages et intérêts auxquels les bénéficiaires d'une immunité d'amendes pourraient être condamnés, sans pour autant les soustraire inconsidérément à leur responsabilité civile encourue du fait de leur participation à une infraction. Il appartiendrait aux bénéficiaires de l'immunité d'amendes d'établir la mesure dans laquelle il y aurait lieu de limiter leur responsabilité. Il conviendra cependant d'examiner plus particulièrement la nécessité d'une telle mesure ainsi que ses effets sur la pleine indemnisation des victimes d'ententes et sur la position des co-auteurs de l'infraction, notamment celle des autres entreprises ayant demandé à bénéficier de mesures de clémence.

La Commission souhaiterait recevoir des observations sur le présent livre blanc. Celles-ci peuvent lui être envoyées, pour le 15 juillet 2008 au plus tard, soit par courrier électronique, à l'adresse:

comp-damages-actions@ec.europa.eu,

soit par courrier à l'adresse postale:

Commission européenneDirection générale de la concurrence, unité A 5Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles de concurrence communautairesB-1049 Bruxelles.

La DG Concurrence a pour pratique de publier les observations reçues dans le cadre d’une consultation publique. Il est cependant possible de demander qu'elles restent totalement ou partiellement confidentielles. Si tel est votre souhait, veuillez l’indiquer clairement sur la première page de votre contribution et envoyer également une version non confidentielle de vos observations à la DG Concurrence en vue de leur publication.

[1] Arrêt du 20 septembre 2001 dans l'affaire C-453/99, Courage et Crehan , Recueil 2001, page I-6297, et arrêt du 13 juillet 2006 dans les affaires jointes C-295–298/04, Manfredi, Recueil 2006, page I-6619.

[2] Voir le point 2.2 du rapport d'analyse d'impact.

[3] Ibidem, au point 2.3.

[4] Résolution du 25 avril 2007 [2006/2207(INI)].

[5] Voir le point 2.1 du rapport d'analyse d'impact.

[6] Arrêt Manfredi (voir la note 1), point 61.

[7] Pour les raisons qui motivent cette proposition, voir le chapitre 2 du document de travail.

[8] Pour les raisons qui motivent cette proposition, voir le chapitre 3 du document de travail.

[9] Dans tous les États membres, les décisions des ANC sont soumises à un contrôle juridictionnel. Les décisions des ANC sont considérées comme définitives lorsqu'elles ne peuvent plus faire l'objet d'un contrôle juridictionnel, c'est-à-dire lorsqu'il n'en a pas été fait appel dans les délais applicables et qu'elles ont, de ce fait, été acceptées par leurs destinataires, ou lorsqu'elles ont été confirmées par les juridictions compétentes.

[10] Pour les raisons qui motivent cette proposition, voir le chapitre 4 du document de travail.

[11] Pour les raisons qui motivent cette proposition, voir le chapitre 5 du document de travail.

[12] Arrêt Manfredi (voir la note 1), points 95 et 97.

[13] Pour les raisons qui motivent cette proposition, voir le chapitre 6 du document de travail.

[14] Pour les raisons qui motivent cette proposition, voir le chapitre 7 du document de travail.

[15] Pour les raisons qui motivent cette proposition, voir ibidem.

[16] Pour les raisons qui motivent cette proposition, voir le chapitre 8 du document de travail.

[17] Pour les raisons qui motivent cette proposition, voir ibidem.

[18] Pour les raisons qui motivent cette proposition, voir le chapitre 9 du document de travail.

[19] Pour les raisons qui motivent cette proposition, voir le chapitre 10, partie B.1 du document de travail.

[20] Pour les raisons qui motivent cette proposition, voir le chapitre 10, partie B.2 du document de travail.

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