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Document 62024CO0504

Ordonnance de la Cour (première chambre) du 20 septembre 2024.
Procédure pénale contre RT.
Demande de décision préjudicielle, introduite par la Corte di Appello di Roma.
Renvoi préjudiciel – Procédure préjudicielle d’urgence – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Coopération judiciaire en matière pénale – Mandat d’arrêt européen – Décision-cadre 2002/584/JAI – Article 1er, paragraphe 3 – Article 4 bis – Procédure de remise entre États membres – Motifs de non-exécution facultative – Article 48, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droits de la défense – Directive 2012/13/UE – Article 6 – Droit à l’information dans le cadre des procédures pénales – Directive 2013/48/UE – Article 3 – Droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales – Décision rendue à l’issue d’un procès sans comparution de la personne poursuivie ni représentation par un avocat – Réglementation nationale ne permettant pas de refuser la remise de l’intéressé – Conformité au droit de l’Union.
Affaire C-504/24 PPU.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2024:779

 ORDONNANCE DE LA COUR (première chambre)

20 septembre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Procédure préjudicielle d’urgence – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Coopération judiciaire en matière pénale – Mandat d’arrêt européen – Décision-cadre 2002/584/JAI – Article 1er, paragraphe 3 – Article 4 bis – Procédure de remise entre États membres – Motifs de non-exécution facultative – Article 48, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droits de la défense – Directive 2012/13/UE – Article 6 – Droit à l’information dans le cadre des procédures pénales – Directive 2013/48/UE – Article 3 – Droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales – Décision rendue à l’issue d’un procès sans comparution de la personne poursuivie ni représentation par un avocat – Réglementation nationale ne permettant pas de refuser la remise de l’intéressé – Conformité au droit de l’Union »

Dans l’affaire C‑504/24 PPU [Anacco] ( i ),

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Corte d’appello di Roma (cour d’appel de Rome, Italie), par décision du 18 juillet 2024, parvenue à la Cour le 19 juillet 2024, dans la procédure pénale contre

RT,

en présence de :

Procura Generale della Repubblica presso la Corte d’appello di Roma,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, MM. T. von Danwitz, P. G. Xuereb, A. Kumin (rapporteur) et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6 TUE, de l’article 48, paragraphe 2, et de l’article 52, paragraphes 3 et 4, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), de l’article 6, paragraphe 3, sous c), de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), de l’article 1er, paragraphe 3, et de l’article 4 bis de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après la « décision-cadre 2002/584 »), de l’article 6 de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (JO 2012, L 142, p. 1), ainsi que de l’article 3 de la directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires (JO 2013, L 294, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre de l’exécution, en Italie, d’un mandat d’arrêt européen émis le 29 avril 2024 par le parquet du procureur du Roi de Bruxelles (Belgique) aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté prononcée contre RT par le tribunal de première instance francophone de Bruxelles (Belgique).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La décision-cadre 2002/584

3

Les considérants 6 et 12 de la décision-cadre 2002/584 énoncent :

« (6)

Le mandat d’arrêt européen prévu par la présente décision-cadre constitue la première concrétisation, dans le domaine du droit pénal, du principe de reconnaissance mutuelle que le Conseil européen a qualifié de “pierre angulaire” de la coopération judiciaire.

[...]

(12)

La présente décision-cadre respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus par l’article 6 [TUE] et reflétés dans la [Charte], notamment son chapitre VI. [...] »

4

L’article 1er de cette décision-cadre, intitulé « Définition du mandat d’arrêt européen et obligation de l’exécuter », dispose, à ses paragraphes 2 et 3 :

« 2.   Les États membres exécutent tout mandat d’arrêt européen, sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de la présente décision-cadre.

3.   La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 [TUE]. »

5

L’article 4 bis de ladite décision-cadre, intitulé « Décisions rendues à l’issue d’un procès auquel l’intéressé n’a pas comparu en personne », prévoit :

« 1.   L’autorité judiciaire d’exécution peut également refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen délivré aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, si l’intéressé n’a pas comparu en personne au procès qui a mené à la décision, sauf si le mandat d’arrêt européen indique que l’intéressé, conformément aux autres exigences procédurales définies dans la législation nationale de l’État membre d’émission :

a)

en temps utile,

i)

soit a été cité à personne et a ainsi été informé de la date et du lieu fixés pour le procès qui a mené à la décision, soit a été informé officiellement et effectivement par d’autres moyens de la date et du lieu fixés pour ce procès, de telle sorte qu’il a été établi de manière non équivoque qu’il a eu connaissance du procès prévu ;

et

ii)

a été informé qu’une décision pouvait être rendue en cas de non-comparution ;

ou

b)

ayant eu connaissance du procès prévu, a donné mandat à un conseil juridique, qui a été désigné soit par l’intéressé soit par l’État, pour le défendre au procès, et a été effectivement défendu par ce conseil pendant le procès ;

ou

c)

après s’être vu signifier la décision et avoir été expressément informé de son droit à une nouvelle procédure de jugement ou à une procédure d’appel, à laquelle l’intéressé a le droit de participer et qui permet de réexaminer l’affaire sur le fond, en tenant compte des nouveaux éléments de preuve, et peut aboutir à une infirmation de la décision initiale :

i)

a indiqué expressément qu’il ne contestait pas la décision ;

ou

ii)

n’a pas demandé une nouvelle procédure de jugement ou une procédure d’appel dans le délai imparti ;

ou

d)

n’a pas reçu personnellement la signification de la décision, mais :

i)

la recevra personnellement sans délai après la remise et sera expressément informé de son droit à une nouvelle procédure de jugement ou à une procédure d’appel, à laquelle l’intéressé a le droit de participer et qui permet de réexaminer l’affaire sur le fond, en tenant compte des nouveaux éléments de preuve, et peut aboutir à une infirmation de la décision initiale ;

et

ii)

sera informé du délai dans lequel il doit demander une nouvelle procédure de jugement ou une procédure d’appel, comme le mentionne le mandat d’arrêt européen concerné.

2.   Si le mandat d’arrêt européen est délivré aux fins de l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté conformément aux dispositions du paragraphe 1, point d), et si l’intéressé n’a pas été officiellement informé auparavant de l’existence de poursuites pénales à son encontre, ledit intéressé peut, au moment où le contenu du mandat d’arrêt européen est porté à sa connaissance, demander à recevoir une copie du jugement avant d’être remis. Dès que l’autorité d’émission est informée de cette demande, elle fournit la copie du jugement à la personne recherchée par l’intermédiaire de l’autorité d’exécution. La demande de la personne recherchée ne retarde ni la procédure de remise, ni la décision d’exécuter le mandat d’arrêt européen. Le jugement est communiqué à l’intéressé pour information uniquement ; cette communication n’est pas considérée comme une signification officielle du jugement et ne fait courir aucun des délais applicables pour demander une nouvelle procédure de jugement ou une procédure d’appel.

3.   Si la personne est remise conformément aux dispositions du paragraphe 1, point d), et si elle a demandé une nouvelle procédure de jugement ou une procédure d’appel, son maintien en détention jusqu’au terme de ladite procédure de jugement ou d’appel est examiné, conformément au droit de l’État membre d’émission, soit régulièrement, soit à sa demande. Cet examen porte notamment sur la possibilité de suspendre ou d’interrompre la détention. La nouvelle procédure de jugement ou d’appel commence en temps utile après la remise. »

La décision-cadre 2009/299

6

Les considérants 1, 14 et 15 de la décision-cadre 2009/299 énoncent :

« (1)

Le droit de l’accusé de comparaître en personne au procès est inclus dans le droit à un procès équitable, prévu à l’article 6 de la [CEDH], tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour a également déclaré que le droit de l’accusé de comparaître en personne au procès n’était pas absolu et que, dans certaines conditions, l’accusé peut y renoncer, de son plein gré, de manière expresse ou tacite, mais non équivoque.

[...]

(14)

La présente décision-cadre vise uniquement à préciser la définition des motifs de non-reconnaissance dans des instruments mettant en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle. Par conséquent, les dispositions telles que celles relatives au droit à une nouvelle procédure de jugement ont une portée qui est limitée à la définition de ces motifs de non-reconnaissance. Elles ne visent pas à harmoniser les législations nationales. La présente décision-cadre est sans préjudice des futurs instruments de l’Union européenne destinés à rapprocher les législations des États membres en matière pénale.

(15)

Les motifs de refus sont facultatifs. Toutefois, la latitude dont disposent les États membres pour transposer ces motifs en droit national est régie en particulier par le droit à un procès équitable, tout en tenant compte de l’objectif global de la présente décision-cadre qui est de renforcer les droits procéduraux des personnes et de faciliter la coopération judiciaire en matière pénale ».

7

L’article 1er de cette décision-cadre, intitulé « Objectifs et champ d’application », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les objectifs de la présente décision-cadre sont de renforcer les droits procéduraux des personnes faisant l’objet d’une procédure pénale, tout en facilitant la coopération judiciaire en matière pénale et en particulier en améliorant la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires entre les États membres. »

La directive 2012/13

8

L’article 6 de la directive 2012/13, intitulé « Droit d’être informé de l’accusation portée contre soi », est libellé comme suit :

« 1.   Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies soient informés de l’acte pénalement sanctionné qu’ils sont soupçonnés ou accusés d’avoir commis. Ces informations sont communiquées rapidement et de manière suffisamment détaillée pour garantir le caractère équitable de la procédure et permettre l’exercice effectif des droits de la défense.

[...]

3.   Les États membres veillent à ce que des informations détaillées sur l’accusation, y compris sur la nature et la qualification juridique de l’infraction pénale, ainsi que sur la nature de la participation de la personne poursuivie, soient communiquées au plus tard au moment où la juridiction est appelée à se prononcer sur le bien-fondé de l’accusation.

[...] »

La directive 2013/48

9

L’article 3 de la directive 2013/48, intitulé « Le droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales », dispose :

« 1.   Les États membres veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies disposent du droit d’accès à un avocat dans un délai et selon des modalités permettant aux personnes concernées d’exercer leurs droits de la défense de manière concrète et effective.

[...]

4.   Les États membres s’efforcent de rendre disponibles des informations générales afin d’aider les suspects ou les personnes poursuivies à trouver un avocat.

Nonobstant les dispositions du droit national relatives à la présence obligatoire d’un avocat, les États membres prennent les dispositions nécessaires afin que les suspects ou les personnes poursuivies qui sont privés de liberté soient en mesure d’exercer effectivement leur droit d’accès à un avocat, à moins qu’ils n’aient renoncé à ce droit conformément à l’article 9.

[...] »

La directive (UE) 2016/343

10

L’article 8 de la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales (JO 2016, L 65, p. 1), intitulé « Droit d’assister à son procès », prévoit :

« [...]

2.   Les États membres peuvent prévoir qu’un procès pouvant donner lieu à une décision statuant sur la culpabilité ou l’innocence du suspect ou de la personne poursuivie peut se tenir en son absence, pour autant que :

a)

le suspect ou la personne poursuivie ait été informé, en temps utile, de la tenue du procès et des conséquences d’un défaut de comparution ; ou

b)

le suspect ou la personne poursuivie, ayant été informé de la tenue du procès, soit représenté par un avocat mandaté, qui a été désigné soit par le suspect ou la personne poursuivie, soit par l’État.

[...]

4.   Lorsque les États membres prévoient la possibilité que des procès se tiennent en l’absence du suspect ou de la personne poursuivie, mais qu’il n’est pas possible de respecter les conditions fixées au paragraphe 2 du présent article parce que le suspect ou la personne poursuivie ne peut être localisé en dépit des efforts raisonnables consentis à cet effet, les États membres peuvent prévoir qu’une décision peut néanmoins être prise et exécutée. Dans de tels cas, les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies, lorsqu’ils sont informés de la décision, en particulier au moment de leur arrestation, soient également informés de la possibilité de contester cette décision et de leur droit à un nouveau procès ou à une autre voie de droit, conformément à l’article 9.

[...] »

11

Aux termes de l’article 9 de cette directive, intitulé « Droit à un nouveau procès » :

« Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies, lorsqu’ils n’ont pas assisté à leur procès et que les conditions prévues à l’article 8, paragraphe 2, n’étaient pas réunies, aient droit à un nouveau procès ou à une autre voie de droit, permettant une nouvelle appréciation du fond de l’affaire, y compris l’examen de nouveaux éléments de preuve, et pouvant aboutir à une infirmation de la décision initiale. À cet égard, les États membres veillent à ce que lesdits suspects et personnes poursuivies aient le droit d’être présents, de participer effectivement, conformément aux procédures prévues par le droit national, et d’exercer les droits de la défense. »

Le droit national

Le droit italien

12

Aux termes de l’article 24 de la Constitution italienne :

« Toute personne a le droit d’ester en justice pour la protection de ses droits et de ses intérêts légitimes.

La défense est un droit inviolable à tous les stades et à tous les degrés de la procédure.

Des mesures appropriées assurent aux indigents les moyens d’agir et de se défendre devant toute juridiction.

[...] »

13

L’article 2 de la legge n. 69 – Disposizioni per conformare il diritto interno alla decisione quadro 2002/584/GAI del Consiglio, del 13 giugno 2002, relativa al mandato d’arresto europeo e alle procedure di consegna tra Stati membri (loi no 69, portant dispositions visant à mettre le droit interne en conformité avec la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres), du 22 avril 2005 (GURI no 98, du 29 avril 2005, p. 6, ci-après la « loi no 69/2005 »), intitulé « Respect des droits fondamentaux et garanties constitutionnelles », prévoit :

« L’exécution du mandat d’arrêt européen ne peut, en aucun cas, entraîner une violation des principes suprêmes de l’ordre constitutionnel de l’État ou des droits inaliénables de la personne reconnus par la Constitution, des droits fondamentaux et des principes juridiques fondamentaux consacrés par l’article 6 [TUE] ou des droits fondamentaux garantis par la [CEDH] et ses protocoles additionnels. »

14

L’article 6 de la loi no 69/2005, intitulé « Contenu du mandat d’arrêt européen dans la procédure de remise passive », dispose, à ses paragraphes 1, 1 bis et 2 :

« 1.   Le mandat d’arrêt européen doit contenir les informations suivantes :

a)

identité et nationalité de la personne recherchée ;

b)

nom, adresse, numéros de téléphone et de télécopieur, adresse de courrier électronique de l’autorité judiciaire d’émission ;

c)

indication de l’existence d’un jugement exécutoire, d’une décision portant des mesures provisoires ou de toute autre décision judiciaire exécutoire ayant la même force entrant dans le champ d’application des articles 7 et 8 de la présente loi ;

d)

nature et qualification juridique de l’infraction ;

e)

description des circonstances de la perpétration de l’infraction, y compris le moment, le lieu et le degré de participation de la personne recherchée ;

f)

peine infligée dans le cas d’une décision définitive ou, dans les autres cas, peines minimale et maximale prévues par la loi de l’État d’émission ;

g)

dans la mesure du possible, les autres conséquences de l’infraction.

1. bis   Lorsqu’il a été émis aux fins de l’exécution d’une peine ou de mesure de sûreté privative de liberté adoptées à l’issue d’un procès auquel l’intéressé n’a pas comparu en personne, le mandat d’arrêt européen doit également contenir l’indication d’au moins une des conditions suivantes :

a)

l’intéressé a été, en temps utile, cité à personne ou selon d’autres modalités permettant néanmoins d’établir de manière non équivoque qu’il avait connaissance de la date et du lieu fixés pour le procès qui a mené à la décision prononcée en son absence et du fait qu’une telle décision pourrait être rendue même en son absence ;

b)

l’intéressé, informé du procès le concernant, a été représenté pendant le procès qui a mené à ladite décision par un conseil juridique désigné par lui-même ou d’office ;

c)

l’intéressé, s’étant vu signifier la décision dont l’exécution est demandée et avoir été informé de son droit d’obtenir une nouvelle procédure de jugement ou une procédure d’appel, à laquelle l’intéressé a le droit de participer et qui permet de réexaminer l’affaire sur le fond, en tenant compte des nouveaux éléments de preuve, et peut aboutir à une infirmation de la décision initiale, a indiqué expressément qu’il ne contestait pas la décision ou n’a pas demandé une nouvelle procédure de jugement ou une procédure d’appel dans le délai imparti ;

d)

l’intéressé n’a pas reçu personnellement la signification de la décision, mais la recevra personnellement sans délai après la remise à l’État membre d’émission et sera expressément informé de son droit à obtenir une nouvelle procédure de jugement ou à une procédure d’appel, à laquelle l’intéressé a le droit de participer et qui permet de réexaminer l’affaire sur le fond, en tenant compte des nouveaux éléments de preuve, et peut aboutir à une réformation de la décision initiale et sera informé du délai dans lequel il doit demander une nouvelle procédure de jugement ou une procédure d’appel.

2.   Si le mandat d’arrêt européen ne contient pas les informations visées au paragraphe 1, sous a), c), d), e), et f) ou n’indique pas l’existence d’au moins une des conditions visées au paragraphe 1 bis, l’autorité judiciaire procède conformément à l’article 16. Elle procède de manière analogue lorsqu’elle juge nécessaire d’obtenir d’autres éléments pour vérifier si l’affaire relève de l’un des cas prévus aux articles 18, 18 bis, 18 ter et 19. »

15

L’article 18 ter de cette loi, intitulé « Décisions rendues en l’absence de la personne poursuivie », prévoit :

« 1.   Lorsque le mandat d’arrêt européen est émis aux fins de l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté adoptée à l’issue d’un procès auquel l’intéressé n’a pas comparu en personne, la cour d’appel peut également refuser la remise si le mandat d’arrêt ne contient l’indication d’aucune des conditions indiquées à l’article 6, paragraphe 1 bis, et que l’État d’émission n’a pas fourni d’indications sur ces conditions même après une demande présentée en vertu de l’article 16.

2.   Dans les cas visés au paragraphe 1, la cour d’appel peut néanmoins valider la remise s’il est prouvé avec certitude que l’intéressé avait connaissance du procès ou a volontairement fait en sorte de ne pas avoir connaissance du procès.

3.   Lorsque les conditions prévues à l’article 6, paragraphe 1 bis, sous d), sont remplies, la personne dont la remise est demandée et qui n’a pas été informée antérieurement de la procédure pénale qui s’est déroulée à son encontre peut demander à recevoir une copie du jugement sur lequel le mandat d’arrêt européen se fonde. Cette demande ne constitue en aucun cas une cause justifiant de différer la procédure de remise ou la décision d’exécuter le mandat d’arrêt européen. La cour d’appel veille à transmettre immédiatement cette demande à l’autorité d’émission. »

Le droit belge

16

Aux termes de l’article 186 du code d’instruction criminelle belge :

« Si la personne citée, ou l’avocat qui la représente, ne comparaît pas au jour et à l’heure fixés dans la citation, elle sera jugée par défaut. »

17

L’article 187, paragraphe 1, de ce code dispose :

« La personne condamnée par défaut pourra faire opposition au jugement dans les quinze jours qui suivent celui de la signification de ce dernier.

Lorsque la signification du jugement n’a pas été faite à sa personne, le condamné par défaut pourra faire opposition, quant aux condamnations pénales, dans les quinze jours qui suivent celui où il aura eu connaissance de la signification.

S’il en a eu connaissance par la signification d’un mandat d’arrêt européen ou d’une demande d’extradition ou que le délai en cours de quinze jours n’a pas encore expiré au moment de son arrestation à l’étranger, il pourra faire opposition dans les quinze jours qui suivent celui de sa remise ou de sa remise en liberté à l’étranger.

S’il n’est pas établi qu’il a eu connaissance de la signification, le condamné par défaut pourra faire opposition jusqu’à l’expiration des délais de prescription de la peine. Il pourra faire opposition, quant aux condamnations civiles, jusqu’à l’exécution du jugement.

[...] »

Le litige au principal et la question préjudicielle

18

Le 29 avril 2024, le parquet du procureur du Roi de Bruxelles a émis un mandat d’arrêt européen contre RT (ci-après le « mandat d’arrêt européen en cause »), ressortissante française ainsi que malienne et titulaire d’un passeport diplomatique malien, aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté de deux ans à laquelle celle-ci avait été condamnée par le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, par jugement du 18 octobre 2023, sur le fondement de l’article 100 ter, de l’article 432, paragraphe 1, premier et deuxième alinéas, et paragraphe 3, ainsi que de l’article 432, paragraphe 2, premier alinéa, du code pénal belge, pour non-représentation d’enfant mineur avec retenue à l’étranger pendant plus de cinq jours (ci-après le « jugement du 18 octobre 2023 »).

19

Il ressort de la décision de renvoi que le jugement du 18 octobre 2023 a été rendu par défaut à l’issue d’un procès qui s’est déroulé sans que l’acte d’accusation ait été effectivement signifié à RT et, partant, sans que cette dernière ni un avocat mandaté par elle ou nommé d’office ait été présent lors de l’audience qui s’est tenue dans le cadre de cette procédure.

20

Les faits ayant donné lieu au jugement du 18 octobre 2023, tels qu’ils ressortent de la décision de renvoi, peuvent être résumés comme suit. À la suite de la rupture de sa relation avec JG au cours de l’année 2018, RT aurait déménagé au Mali avec leur fille, UMTG, née à Bruxelles le 3 novembre 2015. En procédant ainsi, RT aurait violé les jugements du tribunal de première instance de Bruxelles, tribunal de la famille (Belgique), des 26 juin et 24 septembre 2019, dont il ressort, notamment, que UMTG devait être hébergée, à titre principal, par JG en Belgique.

21

Le 20 juin 2024, RT a été arrêtée lors de son arrivée en Italie et placée en détention provisoire aux fins de l’exécution du mandat d’arrêt européen en cause. Le 22 juin 2024, la Corte d’appello di Roma (cour d’appel de Rome, Italie), la juridiction de renvoi, a procédé à l’audition de RT, qui n’a pas consenti à être remise aux autorités belges. Celle-ci a notamment fait valoir que les juridictions maliennes lui avaient confié la garde de UMTG et que JG avait marqué son accord avec le transfert de cette dernière vers le Mali. Lors d’une audience du 2 juillet 2024, RT a demandé, notamment, que l’exécution de ce mandat d’arrêt soit refusée et que la levée de son placement en détention provisoire soit ordonnée.

22

Faisant suite à une demande de la juridiction de renvoi, le ministère de la Justice (Belgique) a indiqué, par lettre du 8 juillet 2024, que RT avait été citée à comparaître, par lettre recommandée, à l’audience du 4 octobre 2023 du tribunal de première instance francophone de Bruxelles, dans le cadre de la procédure qui a donné lieu au jugement du 18 octobre 2023. Cette personne n’ayant pas comparu à cette audience ni ayant été représentée à celle-ci par un défenseur, cet arrêt a été rendu par défaut, à la suite d’une procédure non contradictoire. Par ailleurs, la juridiction de renvoi indique qu’il ressort tant de cette lettre que du mandat d’arrêt européen en cause que, en cas de remise aux autorités belges, RT pourrait, dans un délai de quinze jours à compter de sa signification, former opposition contre le jugement du 18 octobre 2023 devant le tribunal de première instance francophone de Bruxelles et que cette opposition, si elle était déclarée recevable, entraînerait tant l’annulation de ce jugement que la tenue d’un nouveau procès dans le cadre duquel elle bénéficierait des mêmes droits que de ceux dont elle aurait bénéficié lors de la procédure qui a donné lieu audit jugement. En outre, RT aurait, dans un délai de 30 jours à compter de sa signification, la possibilité d’interjeter appel du jugement du 18 octobre 2023 devant la cour d’appel de Bruxelles (Belgique). Dans les deux cas, RT serait obligatoirement assistée par un avocat désigné par elle ou nommé par le bureau de l’aide juridictionnelle, elle disposerait d’un délai adéquat pour préparer sa défense et elle pourrait demander sa remise en liberté.

23

Par ordonnance du 11 juillet 2024, la juridiction de renvoi a, d’une part, rejeté la demande de RT visant à la levée de sa détention provisoire et, d’autre part, indiqué qu’elle avait fixé une audience le 24 septembre 2024 pour statuer sur le fond concernant l’exécution du mandat d’arrêt européen en cause.

24

Dans la mesure où la loi no 69/2005, qui met en œuvre la décision-cadre 2002/584, ne prévoirait pas la possibilité de refuser la remise de RT dans une situation telle que celle en cause au principal, la juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à la compatibilité de cette loi tant avec le droit constitutionnel italien qu’avec le droit de l’Union. En effet, ainsi qu’il découlerait de la jurisprudence de la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle, Italie) et de la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), en Italie, il ne serait pas possible de tenir un procès pénal sans que l’accusé soit représenté par un avocat, et ce même lorsque cet accusé ne comparaît pas en personne. Il s’agirait d’un principe d’ordre constitutionnel, qui, selon la juridiction de renvoi, est confirmé par l’article 48 de la Charte ainsi que par l’article 6 de la CEDH et qui, lu à la lumière de l’article 6 TUE et de l’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre 2002/584, s’oppose à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté prononcée sans que l’accusé soit représenté par un avocat et, partant, en violation de ses droits de la défense.

25

Dans ce contexte, la juridiction de renvoi mentionne la demande de décision préjudicielle introduite par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation), par décision du 19 décembre 2023, dans l’affaire pendante C‑40/24, Derterti, laquelle vise notamment la même problématique que celle en cause au principal.

26

Dans ces conditions, la Corte d’appello di Roma (cour d’appel de Rome) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les dispositions suivantes :

a.

l’article 6 [TUE], l’article 48, paragraphe 2, et l’article 52, paragraphes 3 et 4, de la [Charte],

b.

l’article 6, paragraphe 3, sous c), de la [CEDH],

c.

l’article 1er, paragraphe 3, et l’article 4 bis de la décision-cadre [2002/584],

d.

l’article 6 de la directive [2012/13], et

e.

l’article 3 de la directive [2013/48],

doivent-elles être interprétées, dans leur ensemble, en ce sens qu’elles font obstacle à une législation nationale telle que la législation italienne figurant aux articles 2, 6 et 18 ter de la loi no 69/2005, qui ne permet pas à la Corte d’appello (cour d’appel, Italie), en tant qu’organe judiciaire compétent de l’État requis, de refuser de remettre une personne à l’État membre d’émission en exécution d’un mandat d’arrêt européen émis sur la base d’un jugement de condamnation à une peine privative de liberté prononcé, dans l’État d’émission, à l’issue d’un procès pénal qui s’est déroulé en l’absence d’un défenseur désigné par la personne poursuivie ou d’office par le tribunal et, en tout état de cause, sans une défense effective, même si, après l’exécution du mandat d’arrêt européen, le condamné a le droit de recevoir signification du jugement de condamnation et peut former opposition ou interjeter appel de ce jugement ? »

Sur la demande d’application de la procédure préjudicielle d’urgence

27

La juridiction de renvoi a demandé que le renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 23 bis, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour.

28

À l’appui de cette demande, la juridiction de renvoi indique que RT se trouve en détention provisoire depuis le 20 juin 2024.

29

À cet égard, il y a lieu de rappeler, en premier lieu, que le présent renvoi préjudiciel porte, notamment, sur l’interprétation de la décision-cadre 2002/584, de la directive 2012/13 et de la directive 2013/48, qui relèvent du titre V de la troisième partie du traité FUE, relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Ce renvoi est, par conséquent, susceptible d’être soumis à la procédure préjudicielle d’urgence.

30

S’agissant, en second lieu, de la condition relative à l’urgence, cette condition est, notamment, remplie lorsque la personne concernée dans l’affaire au principal est actuellement privée de liberté et que son maintien en détention dépend de la solution du litige au principal, étant précisé que la situation de cette personne est à apprécier telle qu’elle se présente à la date de l’examen de la demande tendant à obtenir que le renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure d’urgence (arrêt du 14 mai 2024, Stachev, C‑15/24 PPU, EU:C:2024:399, point 42 et jurisprudence citée).

31

En l’occurrence, d’une part, il ressort de la décision de renvoi que RT est effectivement privée de liberté depuis le 20 juin 2024 et qu’elle se trouvait dans cette condition à la date de l’examen de la demande tendant à obtenir que le renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure d’urgence.

32

D’autre part, la juridiction de renvoi a indiqué, en substance, qu’elle pourrait être amenée, en fonction de la réponse que la Cour apportera à la question préjudicielle, à refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen en cause et à devoir, dès lors, ordonner la libération de RT.

33

Dans ces conditions, la première chambre de la Cour a décidé, le 1er août 2024, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de faire droit à la demande de la juridiction de renvoi tendant à soumettre le présent renvoi préjudiciel à la procédure préjudicielle d’urgence.

Sur la question préjudicielle

34

En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à une telle question ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

35

Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre de la présente affaire.

36

Par son unique question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4 bis de la décision-cadre 2002/584, lu à la lumière de l’article 6 TUE, de l’article 48, paragraphe 2, et de l’article 52, paragraphes 3 et 4, de la Charte, de l’article 6, paragraphe 3, sous c), de la CEDH, de l’article 1er, paragraphe 3, de cette décision-cadre, de l’article 6 de la directive 2012/13 ainsi que de l’article 3 de la directive 2013/48, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui ne permet pas à l’autorité judiciaire d’exécution de refuser la remise d’un intéressé, au titre d’un mandat d’arrêt européen émis aux fins d’exécution d’une peine privative de liberté prononcée contre cet intéressé dans l’État d’émission, si ce dernier n’a pas comparu en personne au procès qui a mené à la décision, sans que ledit intéressé soit représenté par un avocat désigné par lui ou nommé d’office et, en tout état de cause, en l’absence de défense effective, dans une situation dans laquelle, après cette remise, le même intéressé se voit signifier le jugement rendu par défaut et peut former opposition ou interjeter appel de ce jugement.

37

À titre liminaire, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que tant le principe de confiance mutuelle entre les États membres que le principe de reconnaissance mutuelle, qui repose lui-même sur la confiance réciproque entre ces derniers, ont, dans le droit de l’Union, une importance fondamentale, étant donné qu’ils permettent la création et le maintien d’un espace sans frontières intérieures. Plus spécifiquement, le principe de confiance mutuelle impose, notamment en ce qui concerne l’espace de liberté, de sécurité et de justice, à chacun de ces États de considérer, sauf dans des circonstances exceptionnelles, que tous les autres États membres respectent le droit de l’Union et, tout particulièrement, les droits fondamentaux reconnus par ce droit [arrêts du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 93, ainsi que du 21 décembre 2023, GN (Motif de refus fondé sur l’intérêt supérieur de l’enfant), C‑261/22, EU:C:2023:1017, point 33 et jurisprudence citée].

38

Ainsi, lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, les États membres sont tenus de présumer le respect des droits fondamentaux par les autres États membres, de sorte qu’ils ne peuvent ni exiger d’un autre État membre un niveau de protection national des droits fondamentaux plus élevé que celui assuré par le droit de l’Union, ni vérifier, sauf dans des cas exceptionnels, si cet autre État membre a effectivement respecté, dans un cas concret, les droits fondamentaux garantis par l’Union [avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, point 192, et arrêt du 21 décembre 2023, GN (Motif de refus fondé sur l’intérêt supérieur de l’enfant), C‑261/22, EU:C:2023:1017, point 34 ainsi que jurisprudence citée].

39

Dans ce contexte, la décision-cadre 2002/584 tend, par l’instauration d’un système simplifié et efficace de remise des personnes condamnées ou soupçonnées d’avoir enfreint la loi pénale, à faciliter et à accélérer la coopération judiciaire en vue de contribuer à réaliser l’objectif assigné à l’Union de devenir un espace de liberté, de sécurité et de justice en se fondant sur le degré de confiance élevé qui doit exister entre les États membres [arrêt du 21 décembre 2023, GN (Motif de refus fondé sur l’intérêt supérieur de l’enfant), C‑261/22, EU:C:2023:1017, point 35 et jurisprudence citée].

40

Le principe de reconnaissance mutuelle, qui, selon le considérant 6 de la décision-cadre 2002/584, trouve sa première concrétisation dans le mandat d’arrêt européen, prévu par cette décision-cadre, constitue la « pierre angulaire » de la coopération judiciaire en matière pénale. Ce principe trouve son expression à l’article 1er, paragraphe 2, de ladite décision-cadre, qui consacre la règle selon laquelle les États membres sont tenus d’exécuter tout mandat d’arrêt européen sur la base dudit principe et conformément aux dispositions de la même décision-cadre [arrêts du 21 décembre 2023, GN (Motif de refus fondé sur l’intérêt supérieur de l’enfant), C‑261/22, EU:C:2023:1017, point 36 et jurisprudence citée, ainsi que du 21 décembre 2023, G. K. e.a. (Parquet européen), C‑281/22, EU:C:2023:1018, point 59 et jurisprudence citée].

41

Il s’ensuit, d’une part, que les autorités judiciaires d’exécution ne peuvent refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen que pour des motifs procédant de la décision-cadre 2002/584, telle qu’interprétée par la Cour. D’autre part, alors que l’exécution du mandat d’arrêt européen constitue le principe, le refus d’exécution est conçu comme une exception qui doit faire l’objet d’une interprétation stricte [arrêt du 21 décembre 2023, GN (Motif de refus fondé sur l’intérêt supérieur de l’enfant), C‑261/22, EU:C:2023:1017, point 37 et jurisprudence citée].

42

En particulier, l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584 constitue une exception à la règle imposant à l’autorité judiciaire d’exécution de remettre la personne recherchée à l’État membre d’émission et doit, partant, faire l’objet d’une interprétation restrictive [voir, en ce sens, arrêt du 23 mars 2023, Minister for Justice and Equality (Levée du sursis), C‑514/21 et C‑515/21, EU:C:2023:235, point 55].

43

Or, en premier lieu, il ressort du libellé même de cette disposition que l’autorité judiciaire d’exécution dispose de la faculté de refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen délivré aux fins de l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté si l’intéressé n’a pas comparu en personne au procès qui a mené à la décision, sauf si le mandat d’arrêt européen indique que les conditions énoncées, respectivement, à ladite disposition, sous a) à d), sont remplies [arrêt du 23 mars 2023, Minister for Justice and Equality (Levée du sursis), C‑514/21 et C‑515/21, EU:C:2023:235, point 48 et jurisprudence citée].

44

À cet égard, il convient de relever que cet article 4 bis limite, ainsi, la possibilité de refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen en énumérant, de manière précise et uniforme, les conditions dans lesquelles la reconnaissance et l’exécution d’une décision rendue à l’issue d’un procès auquel la personne concernée n’a pas comparu en personne ne peuvent pas être refusées [arrêt du 23 mars 2023, Minister for Justice and Equality (Levée du sursis), C‑514/21 et C‑515/21, EU:C:2023:235, point 49 et jurisprudence citée].

45

Par conséquent, l’autorité judiciaire d’exécution est tenue de procéder à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, nonobstant l’absence de l’intéressé au procès qui a mené à la décision, dès lors que l’existence de l’une des circonstances visées à l’article 4 bis, paragraphe 1, sous a), b), c) ou d), de la décision-cadre 2002/584 est vérifiée (arrêt du 17 décembre 2020, Generalstaatsanwaltschaft Hamburg, C‑416/20 PPU, EU:C:2020:1042, point 41).

46

Quant à l’article 4 bis, paragraphe 1, sous d), de la décision-cadre 2002/584, pertinent en l’occurrence étant donné qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle que RT n’a pas comparu en personne au procès qui a mené à la décision, soit au jugement du 18 octobre 2023, ni reçu personnellement la signification de ce jugement et que le mandat d’arrêt européen en cause indique qu’elle pourra faire opposition audit jugement ou interjeter appel de celui-ci respectivement dans les quinze ou trente jours à compter de sa signification, cette disposition ne fait pas référence à l’assistance par un avocat lors de ce procès.

47

En particulier, il ne résulte pas du libellé de cet article 4 bis, paragraphe 1, sous d), que l’autorité judiciaire d’exécution pourrait refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen lorsque la personne fait l’objet de ce mandat à la suite d’un procès auquel elle n’a pas comparu en personne au motif qu’elle n’a pas été représentée par un avocat désigné par elle ou nommé d’office. Ainsi, en convenir autrement reviendrait à ajouter à la décision-cadre 2002/584 une condition pour l’exécution d’un mandat d’arrêt européen que le législateur de l’Union n’a pas prévue.

48

En deuxième lieu, s’agissant de la genèse et des objectifs de l’article 4 bis de la décision-cadre 2002/584, la Cour a déjà constaté que cette disposition vise à garantir un niveau de protection élevé et à permettre à l’autorité d’exécution de procéder à la remise de l’intéressé en dépit de son absence au procès qui a mené à sa condamnation, tout en respectant pleinement ses droits de la défense. Plus particulièrement, ainsi qu’il ressort expressément de l’article 1er de la décision-cadre 2009/299, lu à la lumière des considérants 1 et 15 de celle-ci, cet article 4 bis a été inséré dans la décision-cadre 2002/584 afin de protéger le droit de l’accusé de comparaître en personne au procès pénal diligenté contre lui tout en améliorant la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires entre les États membres [arrêt du 23 mars 2023, Minister for Justice and Equality (Levée du sursis), C‑514/21 et C‑515/21, EU:C:2023:235, point 50 et jurisprudence citée].

49

La décision-cadre 2009/299 a, en parallèle, supprimé l’article 5, point 1, de la décision-cadre 2002/584, lequel permettait, dans le cas d’un mandat d’arrêt européen délivré aux fins d’exécution d’un jugement prononcé par défaut et lorsque la personne concernée n’avait pas été informée de la date et du lieu de l’audience ayant mené à la décision rendue par défaut, à l’autorité judiciaire d’exécution de subordonner la remise à la condition que l’autorité judiciaire d’émission lui fournisse des assurances jugées suffisantes que cette personne aurait la possibilité de demander une nouvelle procédure de jugement dans l’État membre d’émission et d’être jugée en sa présence.

50

C’est donc pour assurer la protection des droits de la défense et d’accès à un avocat que l’article 4 bis, paragraphe 1, sous d), i), de la décision-cadre 2002/584 exige que la personne condamnée par défaut ait droit « à une nouvelle procédure de jugement ou à une procédure d’appel, à laquelle [elle] a le droit de participer et qui permet de réexaminer l’affaire sur le fond, en tenant compte des nouveaux éléments de preuve, et peut aboutir à une infirmation de la décision initiale ».

51

Il importe d’ailleurs de relever, d’une part, que la décision-cadre 2002/584 introduit un système de reconnaissance mutuelle fondé sur le principe de confiance mutuelle et que, comme il ressort du considérant 14 de la décision-cadre 2009/299, elle ne vise pas, ce faisant, à harmoniser les législations nationales.

52

D’autre part, il convient d’observer que cette exigence d’un droit à une nouvelle procédure de jugement ou à une procédure d’appel permettant de réexaminer l’affaire sur le fond correspond à celle figurant à l’article 8, paragraphe 4, et à l’article 9 de la directive 2016/343 dans le cas où les États membres prévoient la possibilité que des procès se tiennent en l’absence du suspect ou de la personne poursuivie, mais qu’il n’est pas possible de respecter les conditions prévues à l’article 8, paragraphe 2, de cette directive, notamment celle qu’elle ait été informée de la tenue du procès, parce qu’elle ne peut être localisée en dépit des efforts raisonnables consentis à cet effet.

53

Il découle de ce qui précède que l’article 4 bis, paragraphe 1, sous d), de la décision-cadre 2002/584 ne saurait être interprété en ce sens que l’autorité judiciaire d’exécution pourrait refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen au motif que la personne concernée n’a pas été représentée par un avocat désigné par elle ou nommé d’office lors du procès qui a mené à la décision ni, a fortiori, en ce sens que cette disposition s’oppose à la réglementation italienne en cause au principal, en ce qu’elle ne permet pas un tel refus, et ce bien que cette réglementation prévoie que, en Italie, un jugement par défaut ne peut être prononcé en l’absence de désignation d’office d’un avocat.

54

En troisième lieu, cette interprétation n’est infirmée ni par la directive 2012/13 ni par la directive 2013/48, également citées par la juridiction de renvoi, sans que celle-ci ait explicité les doutes qu’elle nourrissait à cet égard. Pour autant que cette juridiction se demande si ces directives imposent aux États membres une obligation de s’assurer que les suspects ou les personnes poursuivies sont assistés par un avocat commis d’office dans un procès pouvant mener à leur condamnation par défaut, cette question n’est pas pertinente pour déterminer les cas dans lesquels le refus d’exécution d’un mandat d’arrêt européen est autorisé en vertu de l’article 4 bis de la décision-cadre 2002/584.

55

Il suffit en effet de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, une éventuelle non-conformité du droit national de l’État membre d’émission aux dispositions d’une directive ne saurait constituer un motif pouvant conduire à un refus d’exécution du mandat d’arrêt européen. En effet, invoquer les dispositions d’une directive pour faire obstacle à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen permettrait de contourner le système mis en place par la décision-cadre 2002/584 qui prévoit de manière exhaustive les motifs de non-exécution (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2020, Generalstaatsanwaltschaft Hamburg, C‑416/20 PPU, EU:C:2020:1042, points 46 et 47).

56

En quatrième lieu, l’article 4 bis de la décision-cadre 2002/584 doit, encore, être interprété et appliqué de manière conforme à l’article 47, deuxième et troisième alinéas, ainsi qu’à l’article 48 de la Charte qui, comme le précisent les explications relatives à la charte des droits fondamentaux (JO 2007, C 303, p. 17), correspondent à l’article 6 de la CEDH. Dès lors, la Cour doit veiller à ce que l’interprétation qu’elle effectue de l’article 47, deuxième et troisième alinéas, et de l’article 48 de la Charte assure un niveau de protection qui ne méconnaît pas celui garanti à l’article 6 de la CEDH, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme [arrêt du 23 mars 2023, Minister for Justice and Equality (Levée du sursis), C‑514/21 et C‑515/21, EU:C:2023:235, point 51 et jurisprudence citée].

57

Or, conformément à cette jurisprudence, la Cour a déjà jugé que, dans chacun des cas de figure visés à l’article 4 bis, paragraphe 1, sous a) à d), de la décision-cadre 2002/584, l’exécution du mandat d’arrêt européen ne porte pas atteinte aux droits de la défense de la personne concernée ni au droit à un recours effectif et à un procès équitable, tels qu’ils sont consacrés à l’article 47 et à l’article 48, paragraphe 2, de la Charte [voir, en ce sens, arrêts du 26 février 2013, Melloni, C‑399/11, EU:C:2013:107, points 47 à 54, ainsi que du 23 mars 2023, Minister for Justice and Equality (Levée du sursis), C‑514/21 et C‑515/21, EU:C:2023:235, point 73 et jurisprudence citée].

58

La Cour a également constaté que l’adoption de la décision-cadre 2009/299, qui a inséré cette disposition dans la décision-cadre 2002/584, visait à remédier aux difficultés de la reconnaissance mutuelle des décisions rendues en l’absence de la personne concernée à son procès résultant de l’existence, dans les États membres, de différences dans la protection des droits fondamentaux. À cet effet, cette décision-cadre procède à une harmonisation des conditions d’exécution d’un mandat d’arrêt européen en cas de condamnation par défaut, qui reflète le consensus auquel sont parvenus les États membres dans leur ensemble au sujet de la portée qu’il convient de donner, au titre du droit de l’Union, aux droits procéduraux dont bénéficient les personnes condamnées par défaut qui font l’objet d’un mandat d’arrêt européen (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2013, Melloni, C‑399/11, EU:C:2013:107, point 62).

59

Ainsi, s’agissant de l’argument invoqué par la juridiction de renvoi selon lequel l’obligation de respecter les droits fondamentaux, tels qu’ils sont consacrés à l’article 6 TUE, autoriserait les autorités judiciaires d’exécution à refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen, y compris dans l’hypothèse visée à l’article 4 bis, paragraphe 1, sous d), de la décision-cadre 2002/584, lorsque l’intéressé n’a pas été représenté par un avocat lors du procès qui a mené au jugement de condamnation par défaut, qui revient, en réalité, à s’interroger sur la compatibilité de cette disposition avec les droits fondamentaux protégés dans l’ordre juridique de l’Union, cet argument doit être écarté.

60

Enfin, dans la mesure où la juridiction de renvoi paraît estimer que le droit italien assurerait un standard de protection des droits de la défense, et, notamment, du droit à se faire assister d’un avocat, plus élevé que celui découlant des droits fondamentaux définis par le droit de l’Union, notamment de l’article 47 et de l’article 48, paragraphe 2, de la Charte, il y a lieu de rappeler qu’une autorité judiciaire d’exécution ne peut subordonner la remise, à l’autorité judiciaire d’émission, de la personne concernée par un mandat d’arrêt européen qu’au respect des exigences découlant de ces dernières dispositions et non au respect de celles découlant de son droit national. En effet, la solution contraire aboutirait, en remettant en cause l’uniformité du standard de protection des droits fondamentaux définis par le droit de l’Union, à porter atteinte aux principes de confiance et de reconnaissance mutuelles que la décision-cadre 2002/584 tend à conforter et, partant, à compromettre son effectivité (voir, en ce sens, arrêts du 26 février 2013, Melloni, C‑399/11, EU:C:2013:107, point 63, et du 15 octobre 2019, Dorobantu, C‑128/18, EU:C:2019:857, point 79).

61

Au regard de l’ensemble des motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 4 bis de la décision-cadre 2002/584, lu à la lumière de l’article 6 TUE ainsi que de l’article 47 et de l’article 48, paragraphe 2, de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui ne permet pas à l’autorité judiciaire d’exécution de refuser la remise d’un intéressé, au titre d’un mandat d’arrêt européen émis aux fins d’exécution d’une peine privative de liberté prononcée contre cet intéressé dans l’État d’émission, si ce dernier n’a pas comparu en personne au procès qui a mené à la décision, sans que ledit intéressé soit représenté par un avocat désigné par lui ou nommé d’office, et si les conditions prévues à cet article 4 bis, paragraphe 1, sous d), sont remplies.

Sur les dépens

62

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

 

L’article 4 bis de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, lu à la lumière de l’article 6 TUE ainsi que de l’article 47 et de l’article 48, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

 

doit être interprété en ce sens que :

 

il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui ne permet pas à l’autorité judiciaire d’exécution de refuser la remise d’un intéressé, au titre d’un mandat d’arrêt européen émis aux fins d’exécution d’une peine privative de liberté prononcée contre cet intéressé dans l’État d’émission, si ce dernier n’a pas comparu en personne au procès qui a mené à la décision, sans que ledit intéressé soit représenté par un avocat désigné par lui ou nommé d’office, et si les conditions prévues à cet article 4 bis, paragraphe 1, sous d), sont remplies.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’italien.

( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.

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