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Document 62021TO0771

Ordonnance du Tribunal (septième chambre) du 22 mai 2023.
Bategu Gummitechnologie GmbH contre Commission européenne.
Responsabilité non contractuelle – Concurrence – Décision de rejet d’une plainte – Préjudice matériel – Réalité et certitude du dommage – Recours manifestement dépourvu de tout fondement en droit.
Affaire T-771/21.

ECLI identifier: ECLI:EU:T:2023:291

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (septième chambre)

22 mai 2023 (*)

« Responsabilité non contractuelle – Concurrence – Décision de rejet d’une plainte – Préjudice matériel – Réalité et certitude du dommage – Recours manifestement dépourvu de tout fondement en droit »

Dans l’affaire T‑771/21,

Bategu Gummitechnologie GmbH, établie à Vienne (Autriche), représentée par Me G. Maderbacher, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. J. Szczodrowski et A. Keidel, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de Mme K. Kowalik‑Bańczyk, présidente, M. I. Dimitrakopoulos (rapporteur) et Mme B. Ricziová, juges,

greffier : M. T. Henze, greffier faisant fonction,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son recours fondé sur l’article 268 TFUE, la requérante, Bategu Gummitechnologie GmbH, demande réparation des préjudices matériels qu’elle aurait subis du fait des illégalités qu’aurait commises la Commission européenne lors de la procédure « AT.40492 – Sécurité incendie pour les bogies » concernant une plainte déposée au titre de l’article 7 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1) (ci-après la « plainte »).

 Antécédents du litige

2        La requérante fabrique, entre autres, des composants anti‑vibration en métal et en caoutchouc destinés à être utilisés dans les bogies de véhicules ferroviaires.

 La norme EN 45545-2 :2013

3        Le 7 décembre 2012, le Comité européen de normalisation (CEN) a adopté la norme européenne EN 45545-2 :2013 « Applications ferroviaires – Protection contre les incendies dans les véhicules ferroviaires » (ci-après la « norme EN 45545-2 :2013 »). Ladite norme détermine, en substance, des exigences de comportement au feu pour des matériaux et composants utilisés dans la fabrication de véhicules ferroviaires. Elle contient certaines exigences à respecter pour les composants flexibles en métal et en caoutchouc destinés à être utilisés dans les bogies (ci-après les « composants M1 »). 

4        Conformément au tableau 2 du point 4.4 de la norme EN 45545-2 :2013, les composants M1 doivent, en principe, satisfaire l’exigence « R9 » de cette norme (ci-après l’ « exigence R9 »). Selon ce tableau, cette exigence est également applicable à d’autres types de composants.

5        Le point 4.7 de la norme EN 45545-2 :2013, concernant des composants autorisés en raison de leur nécessité fonctionnelle, prévoit une dérogation aux exigences du tableau 2 du point 4.4 de cette norme, selon laquelle, s’il peut être démontré qu’une de ces exigences ne peut pas être remplie avec des matériaux qui sont appropriés à leur destination, les fabricants peuvent utiliser des composants existants dans le commerce aussi longtemps qu’un composant approprié n’a pas été développé. Selon le point 4.7 de ladite norme, l’application de cette dérogation présuppose le respect des exigences essentielles prévues au point 4.1 de la même norme et cela doit être confirmé par une évaluation.

6        Le règlement (UE) no 1302/2014 de la Commission, du 18 novembre 2014, concernant une spécification technique d’interopérabilité relative au sous-système « matériel roulant » – « Locomotives et matériel roulant destiné au transport de passagers » du système ferroviaire dans l’Union européenne (JO 2014, L 356, p. 228) contient, en annexe, la spécification technique d’interopérabilité (STI) relative au sous-système « matériel roulant » - « Locomotives et matériel roulant destiné au transport de passagers ». Le point 4.2.10, intitulé « Sécurité incendie et évacuation », de la STI prévoit, notamment, que « [l]es matériaux utilisés pour construire l’unité de matériel roulant doivent être conformes aux exigences de la spécification mentionnée à l’appendice J-1, index 58 […] » (voir point 4.2.10.2.1 de la STI). L’appendice J-1, index 58, « Mesures de prévention des incendies – exigences relatives aux matériaux », fait référence à la norme EN 45545-2 :2013.

 La plainte

7        Le 12 décembre 2016, la requérante a déposé auprès de la Commission la plainte.

8        Au cours de la procédure administrative, la requérante a affirmé, en substance, que cinq constructeurs de véhicules ferroviaires et fabricants d’équipement d’origine (ci-après les « OEM ») avaient enfreint les articles 101 et 102 TFUE dans le cadre de l’application de la norme EN 45545-2 :2013.

9        La requérante a notamment fait valoir dans la plainte qu’elle avait développé une solution technique pour les composants M1 respectant l’exigence R9 et qu’elle était la seule entreprise capable de fabriquer lesdits composants conformément à cette exigence. Selon elle, la seule possibilité pour les OEM de se conformer à la norme EN 45545-2 :2013 aurait été d’acquérir les composants de bogies qu’elle fabrique. Elle a fait valoir que, dans le but de contourner les exigences posées par ladite norme, les OEM s’étaient concertés, contrairement à l’article 101 TFUE, pour invoquer à tort le point 4.7 de cette norme et alléguer, vis‑à‑vis de leurs clients et des autorités de certification compétentes, qu’il n’existait pas de composants M1 appropriés, conformes à l’exigence R9. Elle a ajouté que les OEM avaient élaboré et appliqué des lignes directrices trompeuses aux fins de l’application de l’exception prévue audit point.

10      La requérante a ultérieurement fait valoir que les OEM avaient abusé de leur position dominante collective pour boycotter les produits de la requérante, conformes à la norme EN 45545-2 :2013, en restreignant le développement technique et en violant, de ce fait, l’article 102 TFUE.

11      À la suite de la plainte, la Commission a mené une enquête.

12      Par lettre du 17 décembre 2020, la Commission a informé la requérante, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission du 7 avril 2004 relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101] et [102] du traité CE (JO 2004, L 123, p. 18), qu’il n’existait pas de motif suffisant pour donner suite à la plainte.

13      Par lettre du 11 février 2021, la requérante a transmis à la Commission ses observations sur la lettre mentionnée au point 12 ci-dessus.

14      Par décision du 15 février 2023, la Commission a rejeté la plainte.

 Conclusions des parties

15      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner l’Union au paiement de 70 695 720,35 euros ;

–        condamner l’Union aux dépens.

16      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

17      Aux termes de l’article 126 du règlement de procédure du Tribunal, lorsque le recours est manifestement irrecevable ou manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

18      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide de statuer sans poursuivre la procédure, et ce en dépit de la demande de la requérante visant à la tenue d’une audience (voir, en ce sens, ordonnance du 8 novembre 2021, Satabank/BCE, T‑494/20, non publiée, EU:T:2021:797, point 14 et jurisprudence citée).

19      À l’appui du recours, la requérante fait valoir, d’abord, que la Commission a commis plusieurs violations caractérisées du droit de l’Union en n’entreprenant aucune démarche de nature à garantir une pratique de certification des autorités compétentes conforme au droit de l’Union ou à faire cesser les infractions au droit ferroviaire et au droit de la concurrence commises par les OEM.

20      Ensuite, la requérante allègue que, dans le cadre de son activité de fabrication de composants pour bogies, elle a subi un préjudice qui s’élève, au total, au moins à 70 695 720,35 euros. Selon elle, ce préjudice se décompose en quatre chefs de préjudice correspondant, le premier, à des frais de développement et de contrôle d’un matériau élastomère et de composants pour bogies protégés contre les incendies d’un montant de 97 818,87 euros, le deuxième, à des frais de protection, par brevet, de ces matériau et composants d’un montant de 314 842,52 euros, le troisième, de frais de conseil et de représentation juridiques d’un montant de 1 283 058,96 euros et, quatrièmement, à un manque à gagner d’au moins 69 millions d’euros.

21      Enfin, la requérante estime qu’il existe un lien de causalité suffisamment direct entre le comportement de la Commission et le préjudice qu’elle a subi.

22      La Commission conteste l’argumentation de la requérante.

 Sur les conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union

23      En vertu de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, « [e]n matière de responsabilité non contractuelle, l’Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions ».

24      Selon une jurisprudence constante, il ressort de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union et la mise en œuvre du droit à la réparation du préjudice subi dépendent de la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué (voir arrêt du 9 septembre 2008, FIAMM e.a./Conseil et Commission, C‑120/06 P et C‑121/06 P, EU:C:2008:476, point 106 et jurisprudence citée).

25      Ces trois conditions sont cumulatives. Ainsi, l’absence de l’une d’entre elles suffit pour rejeter un recours en indemnité, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions de ladite responsabilité (voir arrêts du 16 décembre 2015, Chart/SEAE, T‑138/14, EU:T:2015:981, point 50 et jurisprudence citée, et du 16 décembre 2020, Bilbaína de Alquitranes/Commission, T‑645/18, non publié, EU:T:2020:629, point 55 et jurisprudence citée).

26      Par ailleurs, le juge de l’Union n’est pas tenu d’examiner ces conditions dans un ordre déterminé (voir arrêt du 13 décembre 2018, Union européenne/Kendrion, C‑150/17 P, EU:C:2018:1014, point 118 et jurisprudence citée).

27      Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu d’examiner d’emblée si la condition relative à la réalité du dommage est manifestement remplie.

 Sur la réalité et la certitude des préjudices matériels invoqués

28      Selon une jurisprudence constante, s’agissant de la condition relative à la réalité du dommage, la responsabilité de l’Union ne saurait être engagée que si la requérante a effectivement subi un préjudice réel et certain (voir arrêt du 21 février 2008, Commission/Girardot, C‑348/06 P, EU:C:2008:107, point 54 et jurisprudence citée). En outre, il appartient à la requérante d’apporter des preuves concluantes tant de l’existence que de l’étendue de ce préjudice (voir arrêt du 16 décembre 2015, Chart/SEAE, T‑138/14, EU:T:2015:981, point 52 et jurisprudence citée).

29      En revanche, un dommage purement hypothétique et indéterminé ne donne pas droit à réparation (voir arrêt du 28 avril 2010, BST/Commission, T‑452/05, EU:T:2010:167, point 165  et jurisprudence citée).

30      À la lumière de ces considérations, il convient d’examiner si la requérante a apporté des éléments de preuve devant le Tribunal afin d’établir l’existence et l’étendue des quatre chefs de préjudice invoqués.

 Sur le premier chef de préjudice

31      La requérante fait valoir qu’elle a supporté des coûts à concurrence de 97 818,87 euros pour le développement d’un matériau élastomère et de composants pour bogies protégés contre les incendies conformes à l’exigence R9 ainsi que pour la soumission de ces matériau et composants à différents tests. Elle soutient qu’elle n’aurait pas initié le développement dudit matériau et desdits composants s’il n’y avait pas eu, conformément au droit de l’Union, une exigence concernant les composants M1. Elle produit, dans l’annexe A.33 de la requête, 22 factures, datant du 15 avril 2011 au 29 septembre 2021, émanant de deux sociétés différentes concernant des tests techniques effectués sur ses produits et accompagnées d’une déclaration sous serment de son gérant, dans laquelle il est indiqué que « les factures ainsi produites concernent exclusivement des prestations liées aux essais EN 45545 des matériaux développés par [elle] » et que « les montants indiqués sur les factures susvisées ont également donné lieu à des versements correspondants de [sa part] ».

32      Tout d’abord, il y a lieu de souligner que, dans le texte de la requête, la requérante se réfère de manière générale et vague à des coûts exposés pour le « développement de son matériau » et pour la « soumission à des tests », sans fournir aucune autre explication, notamment quant à la pertinence de ce matériau. En effet, elle ne fait référence ni aux composants M1, ni à l’exigence R9.

33      Ensuite, en ce qui concerne la déclaration du gérant de la requérante, figurant dans l’annexe A.33 de la requête, il convient d’observer que cette déclaration est vague et se réfère de manière générale aux « essais EN 45545 des matériaux développés par [elle] » et non spécifiquement aux composants M1 ou à l’exigence R9.

34      En outre, selon une jurisprudence constante, la crédibilité et, partant, la valeur probante d’un document dépendent de son origine, des circonstances de son élaboration, de son destinataire et du caractère sensé et fiable de son contenu. Par ailleurs, il ne peut être attribué de valeur probante à une déclaration sous serment, et, a fortiori, à une déclaration, sauf si elle est corroborée par d’autres éléments de preuve et il convient également de prendre en considération le fait que la déclaration en cause émane d’une personne ou entité qui pourrait avoir un intérêt direct dans l’affaire (voir, en ce sens, arrêt du 28 février 2018, Vakakis kai Synergates/Commission, T‑292/15, EU:T:2018:103, points 136 et 137 et jurisprudence citée). En l’espèce, la déclaration sous serment a été établie par le gérant de la requérante et ne saurait donc présenter le même caractère fiable et crédible qu’une déclaration provenant d’une personne tierce ou indépendante de la société [voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2016, Henkell & Co. Sektkellerei/EUIPO – Ciacci Piccolomini d’Aragona di Bianchini (PICCOLOMINI), T‑20/15, EU:T:2016:218, point 37 et jurisprudence citée].

35      Enfin, les factures datées des 15 avril 2011, 8 octobre 2012, 21 mai, 4 juin, 28 août et 14 octobre 2013, 6 juin 2014, 31 mars et 29 août 2016, 26 janvier, 16 février, 29 novembre et 12 décembre 2017, 26 juin et 13 novembre 2018, 23 janvier, 20 mars, 11 et 25 avril 2019, et 29 septembre 2021, que comporte l’annexe A.33 de la requête, ne contiennent aucune référence aux composants M1 ou à l’exigence R9. À cet égard, il convient d’ajouter que toutes ces factures contiennent des descriptions très limitées des services fournis.

36      Seule une facture figurant dans l’annexe A.33 de la requête et datée du 27 février 2019, comporte la mention « Contenu de commande : EN 45545-2 (R9 -20min) » et pourrait, donc, être considérée comme faisant référence aux services liés à l’exigence R9. Toutefois, elle contient une description laconique des services rendus et ne comporte aucune précision relative au type de matériau ou de produit testé. Étant donné que, comme indiqué au point 4 ci-dessus, ladite exigence peut s’appliquer à plusieurs types de composants, cette facture n’est pas donc de nature d’établir la réalisation des tests concernant les composants M1. Par ailleurs, elle concerne des services fournis à la requérante au cours de l’année 2019, tandis que celle-ci fait valoir, dans le présent recours, avoir développé en 2011 de tels composants conformes à cette exigence, avoir proposé ces composants depuis 2011 et avoir déposé la plainte en 2016.

37      Au vu de ce qui précède et compte tenu du fait que les éléments de preuve sur lesquels se fonde la requérante ne comportent pas de références précises aux composants M1 ou à l’exigence R9, la requérante n’a pas établi la réalité et la certitude du premier chef de préjudice.

 Sur le deuxième chef de préjudice

38      La requérante fait valoir qu’elle a supporté des coûts à concurrence de 314 842,52 euros pour l’obtention et la conservation d’une protection au titre du droit des brevets pour son invention. À cet égard, elle produit, dans l’annexe A.34 de la requête, 137 notes d’honoraires d’un cabinet d’avocats, datant du 14 juin 2012 au 21 septembre 2021, accompagnées d’une déclaration sous serment de son gérant, dans laquelle il est indiqué que « les factures ainsi produites concernent exclusivement des prestations liées à la sauvegarde de [ses droits] sur des matériaux qu’elle a développés et qui satisfont aux exigences de la norme EN 45545-2 :2013 » et que « les montants indiqués dans les factures susvisées ont également donné lieu à des versements correspondants de [sa part] ».

39      Tout d’abord, il y a lieu de constater que la requérante n’a fourni, dans le cadre du présent recours, aucune preuve quant au caractère breveté de son matériau ou des composants pour bogies qu’elle produit. En particulier, elle n’a produit aucun brevet.

40      Ensuite, s’agissant des notes d’honoraires figurant dans l’annexe A.34 de la requête, il convient d’observer que ces notes contiennent des descriptions limitées, pour lesquels la requérante n’a fourni aucune explication dans la requête. En outre et surtout, il ne ressort pas clairement de leur contenu que lesdites notes sont relatives à des services juridiques concernant des composants M1 conformes à l’exigence R9.

41      Enfin, en ce qui concerne la déclaration du gérant de la requérante figurant au début de l’annexe A.34 de la requête, elle est vague et se réfère de manière générale aux « prestations liées à la sauvegarde des droits de [celle-ci] sur des matériaux [que celle-ci] a développés et qui satisfont aux exigences de la norme EN 45545-2 :2013 » et non spécifiquement à des composants M1 satisfaisant à l’exigence R9, et encore moins à des brevets spécifiques concernant de tels composants. En tout état de cause, pour les mêmes raisons que celles relevées au point 34 ci-dessus, ladite déclaration a une valeur probante limitée.

42      Au vu de ce qui précède, la requérante n’a pas établi la réalité et la certitude du deuxième chef de préjudice.

 Sur le troisième chef de préjudice

43      La requérante fait valoir qu’elle a supporté des frais juridiques de 1 283 058,96 euros en rapport avec la revendication de ses droits devant des autorités et des juridictions nationales. À cet égard, elle produit, dans l’annexe A.35 de la requête, 162 notes d’honoraires d’un grand nombre de cabinets d’avocats différents, datant du 22 octobre 2014 au 29 octobre 2021, accompagnés d’une déclaration sous serment de son gérant dans laquelle il est indiqué que « les factures ainsi produites concernent exclusivement des prestations liées à la sauvegarde de [ses] droits de sur des matériaux qu’elle a développés et qui satisfont aux exigences de la norme EN 45545-2 :2013 » et que « les montants indiqués dans les factures susvisées ont également donné lieu à des versements correspondants de [sa part] ».

44      Tout d’abord, il convient d’observer que le texte de la requête ne contient pas de précision quant à la nature des frais juridiques invoqués.

45      Ensuite, les notes d’honoraires figurant dans l’annexe A.35 de la requête, comme corrigé par la requérante dans sa réplique, sont laconiques et la plupart d’entre elles ne contiennent pas de description précise des services fournis. Seules certaines d’entre elles font référence à la norme EN 45545-2 :2013, sans pour autant comporter de mention spécifique aux composants M1, à l’exigence R9 ou à des procédures liées à ces composants ou à cette exigence. De plus, une partie d’entre elles concernent différents types de conseils juridiques, comme, par exemple, des conseils juridiques en droit des médias, dont le caractère pertinent n’est aucunement démontré.

46      De même, en ce qui concerne la déclaration du gérant de la requérante figurant dans l’annexe A.35 de la requête, elle est vague et se réfère de manière générale aux « prestations liées à la sauvegarde des droits de [celle-ci] sur des matériaux [que celle-ci] a développés et qui satisfont aux exigences de la norme EN 45545-2 :2013 » et non spécifiquement aux composants M1, ni à l’exigence R9, ni à des procédures juridiques spécifiques concernant des composants satisfaisant à cette exigence. En tout état de cause, pour les mêmes raisons que celles relevées au point 34 ci-dessus, ladite déclaration a une valeur probante limitée.

47      Enfin, au stade de la réplique, la requérante a fourni un nouveau tableau récapitulatif comportant des références à l’objet de chacune des notes d’honoraires (annexe C.8 de la réplique). Toutefois, ce tableau se borne à mentionner des prestations juridiques qui seraient liées à la norme EN 45545-2 :2013, sans jamais préciser si ces prestations portaient spécifiquement sur des droits relatifs à des composants M1 satisfaisant à l’exigence R9. À cet égard, au lieu de fournir des explications et des éléments de preuve établissant la pertinence desdites prestations juridiques, la requérante se borne, dans la réplique, à renvoyer à nouveau à la déclaration sous serment de son gérant.

48      Il convient donc de constater que la requérante n’a pas établi la pertinence des frais de conseil et de représentation juridiques invoqués.

49      Au vu de ce qui précède, la requérante n’a pas établi la réalité et la certitude du troisième chef de préjudice.

 Sur le quatrième chef de préjudice

50      La requérante fait état d’un manque à gagner résultant du fait que, en l’absence des infractions au droit ferroviaire et au droit de la concurrence commises par les OEM, elle aurait pu leur vendre son matériau et ses composants pour bogies ou, à tout le moins, concéder des licences de brevets sur l’utilisation de ceux-ci. Elle avance que le préjudice qui en découle s’élève, au total, à au moins 69 millions d’euros pour les cinq années passées, « en se fondant sur une redevance de licence, en tout état de cause, appropriée de 5 % par an ».

51      Cependant, en premier lieu, il y a lieu de rappeler que, comme indiqué au point 39 ci-dessus, la requérante n’a fourni, dans le cadre du présent recours, aucune preuve concernant le caractère breveté de son matériau et de ses composants, et, plus généralement, l’existence d’un droit de propriété intellectuelle susceptible de faire l’objet d’une licence et d’une redevance d’exploitation.

52      De plus, la requérante n’a fourni aucune preuve étayant sa thèse selon laquelle elle produisait le seul matériau et les seuls composants M1 existant sur le marché qui satisfaisaient à l’exigence R9, de sorte que, pour respecter la norme EN 45545-2 :2013, les OEM n’auraient pas eu d’autre possibilité que d’acheter son matériau et ses composants pour bogies.

53      Dans ces conditions, la requérante n’a pas démontré que, si la Commission avait donné suite à la plainte, les OEM auraient nécessairement acheté son matériau et ses composants pour bogies. Dès lors, les ventes de ces produits et l’octroi des licences de brevets sur ceux-ci ne présentent pas un caractère certain et demeurent purement hypothétiques et indéterminés. Il s’ensuit que la réalité et la certitude du manque à gagner allégué ne sont pas établies.

54      En second lieu, à titre surabondant, il convient d’observer que la quantification du préjudice proposée par la requérante est fondée sur des éléments et des calculs arbitraires et non étayés. En effet, la requérante se réfère à un « prix minimum pour les composants M1 » et à un « intervalle normal des entretiens et réparations de véhicules », sans fournir aucun élément de preuve à cet égard. De plus, ses calculs concernant le nombre total des unités de bogies et de chariots dans l’Union ne sont pas davantage étayés. Ainsi, indépendamment de la question de savoir si le mode de calcul proposé par la requérante est pertinent, force est de constater que cette dernière ne présente de preuves ou d’offres de preuves pour aucune des allégations factuelles susmentionnées sur lesquelles elle fonde son calcul.

55      À cet égard, il convient de rappeler que, même si le chiffrage et l’estimation d’un manque à gagner peuvent présenter certaines particularités, cela ne dispense pas la partie requérante de toute obligation de preuve quant au préjudice invoqué. Il lui échoit en effet, également pour ce type de préjudice matériel, d’apporter la preuve tant de l’existence de ce préjudice que des données sur lesquelles se fonde l’évaluation de celui-ci, laquelle ne saurait être effectuée simplement en équité (arrêt du 16 juillet 2009, SELEX Sistemi Integrati/Commission, C‑481/07 P, non publié, EU:C:2009:461, point 37).

56      Ainsi, si la valeur d’un manque à gagner représente nécessairement une donnée hypothétique qui doit être estimée, toujours est-il que les données sur lesquelles se fonde cette estimation peuvent, et doivent, dans toute la mesure du possible, être prouvées par la partie qui s’en prévaut (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2010, BST/Commission, T‑452/05, EU:T:2010:167, point 168 et jurisprudence citée).

57      Néanmoins, au lieu de fournir des preuves pour corroborer ses calculs, la requérante se borne à inviter le Tribunal à ordonner un rapport d’expertise conformément à l’article 91, sous e), du règlement de procédure. Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter la demande de la requérante tendant à ce que le Tribunal ordonne un rapport d’expertise.

58      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que le caractère réel et certain du quatrième chef de préjudice n’est pas établi.

59      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la requérante n’a pas démontré la réalité et la certitude des préjudices matériels qu’elle invoque, et que, par conséquent, la condition relative à la réalité du dommage n’est manifestement pas remplie et que, partant, sa demande en réparation ne peut qu’être rejetée dans son intégralité.

60      Par conséquent, le recours doit être rejeté comme manifestement dépourvu de tout fondement en droit.

 Sur les dépens

61      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Bategu Gummitechnologie GmbH est condamnée à supporter, outre ses dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

Fait à Luxembourg, le 22 mai 2023.

Le greffier faisant fonction

 

Le président

T. Henze

 

K. Kowalik-Bańczyk


*      Langue de procédure : l’allemand.

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