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Document 62001CJ0475

    Arrêt de la Cour (assemblée plénière) du 5 octobre 2004.
    Commission des Communautés européennes contre République hellénique.
    Manquement d'État - Violation de l'article 90, premier alinéa, CE - Droits d'accises sur l'alcool et les boissons alcooliques - Application à l'ouzo d'un taux moins élevé que celui appliqué aux autres boissons alcooliques - Conformité de ce taux avec une directive qui n'a pas été attaquée dans le délai prévu à l'article 230 CE.
    Affaire C-475/01.

    Recueil de jurisprudence 2004 I-08923

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2004:585

    Arrêt de la Cour

    Affaire C-475/01


    Commission des Communautés européennes
    contre
    République hellénique


    «Manquement d'État – Violation de l'article 90, premier alinéa, CE – Droits d'accises sur l'alcool et les boissons alcooliques – Application à l'ouzo d'un taux moins élevé que celui appliqué aux autres boissons alcooliques – Conformité de ce taux avec une directive qui n'a pas été attaquée dans le délai prévu à l'article 230 CE»

    Conclusions de l'avocat général M. A. Tizzano, présentées le 15 janvier 2004
        
    Arrêt de la Cour (assemblée plénière) du 5 octobre 2004
        

    Sommaire de l'arrêt

    1.
    Actes des institutions – Présomption de validité – Acte inexistant – Notion

    (Art. 249 CE)

    2.
    Dispositions fiscales – Harmonisation des législations – Droits d'accise – Directive 92/83 – Alcools et boissons alcoolisées – Application de taux d'accises réduits pour certains produits – Absence de violation du droit communautaire

    (Directive du Conseil 92/83, art. 23)

    1.
    Les actes des institutions communautaires jouissent, en principe, d’une présomption de légalité et produisent, dès lors, des effets juridiques aussi longtemps qu’ils n’ont pas été retirés, annulés dans le cadre d’un recours en annulation ou déclarés invalides à la suite d’un renvoi préjudiciel ou d’une exception d’illégalité.
    Par exception à ce principe, les actes entachés d’une irrégularité dont la gravité est si évidente qu’elle ne peut être tolérée par l’ordre juridique communautaire doivent être réputés n’avoir produit aucun effet juridique, même provisoire, c’est-à-dire être regardés comme juridiquement inexistants. Cette exception vise à préserver un équilibre entre deux exigences fondamentales, mais parfois antagonistes, auxquelles doit satisfaire un ordre juridique, à savoir la stabilité des relations juridiques et le respect de la légalité.
    La gravité des conséquences qui se rattachent à la constatation de l’inexistence d’un acte des institutions de la Communauté postule que, pour des raisons de sécurité juridique, cette constatation soit réservée à des hypothèses tout à fait extrêmes.

    (cf. points 18-20)

    2.
    L’article 23 de la directive 92/83, concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur l’alcool et les boissons alcooliques, permet d’appliquer des taux d’accises réduits pour certains types de produits. Ne manque pas aux obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire un État membre qui s’est limité à maintenir en vigueur une réglementation nationale adoptée sur le fondement de cette disposition et conforme à celle-ci, laquelle produit des effets juridiques qui bénéficient d’une présomption de légalité.

    (cf. points 23-25)




    ARRÊT DE LA COUR (assemblée plénière)
    5 octobre 2004(1)


    «Manquement d'État – Violation de l'article 90, premier alinéa, CE – Droits d'accises sur l'alcool et les boissons alcooliques – Application à l'ouzo d'un taux moins élevé que celui appliqué aux autres boissons alcooliques – Conformité de ce taux avec une directive qui n'a pas été attaquée dans le délai prévu à l'article 230 CE»

    Dans l'affaire C-475/01,ayant pour objet un recours en manquement au titre de l'article 226 CE,introduit le 6 décembre 2001,

    Commission des Communautés européennes, représentée par M. E. Traversa et Mme M. Condou Durande, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

    partie requérante,

    soutenue parRoyaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, représenté par M. K. Manji, en qualité d'agent,

    partie intervenante,

    contre

    République hellénique, représentée par Mme A. Samoni-Rantou et M. P. Mylonopoulos, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

    partie défenderesse,



    LA COUR (assemblée plénière),,



    composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas, C. Gulmann, J.-P. Puissochet et J. N. Cunha Rodrigues, présidents de chambre, M. R. Schintgen, Mmes F. Macken et N. Colneric, et M. S. von Bahr (rapporteur), juges,

    avocat général: M. A. Tizzano,
    greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

    vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 16 septembre 2003,

    ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 15 janvier 2004,

    rend le présent



    Arrêt



    1
    Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en maintenant en vigueur pour l’ouzo un droit d’accise inférieur à celui qui est appliqué à d’autres boissons alcooliques, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 90, premier alinéa, CE.

    2
    Par ordonnance du Président de la Cour du 25 juillet 2002, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord a été admis à intervenir à l'appui des conclusions de la Commission. Il n'a pas déposé de mémoire écrit et n'était pas représenté à l'audience des plaidoiries.


    Le cadre juridique

    La réglementation communautaire

    3
    La directive 92/83/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur l’alcool et les boissons alcooliques (JO L 316, p. 21), fixe les règles d’établissement du taux d’accise pour chaque produit relevant de son champ d’application. Celui-ci est précisé aux articles 19 et 20 de cette directive.

    4
    L’article 19 de la directive 92/83 prévoit:

    «1.     Les États membres appliquent une accise à l’alcool éthylique conformément à la présente directive.

    2.       Les États membres fixent leurs taux conformément à la directive 92/84/CEE.»

    5
    Aux termes de l’article 20 de la directive 92/83:

    «Aux fins de la présente directive, on entend par alcool éthylique:

    tous les produits qui ont un titre alcoométrique acquis excédant 1,2 % vol et qui relèvent des codes NC 2207 et 2208, même lorsque ces produits font partie d’un produit relevant d’un autre chapitre de la nomenclature combinée,

    les produits qui ont un titre alcoométrique acquis excédant 22 % vol et qui relèvent des codes NC 2204, 2205 et 2206,

    les eaux-de-vie contenant des produits en solution ou non.»

    6
    Le montant de l’accise est déterminé conformément aux articles 21 à 26 de la directive 92/83, l’article 23 permettant, dans certaines conditions et pour certains types de produits, d’appliquer des taux d’accises réduits. Cette dernière disposition est libellée comme suit:

    «Les États membres suivants peuvent appliquer des taux réduits, pouvant être inférieurs au taux minimal, mais non inférieurs de plus de 50 % au taux d’accise national normal sur l’alcool éthylique pour les produits suivants:

    […]

    2)
    la République hellénique, en ce qui concerne la boisson spiritueuse anisée définie dans le règlement (CEE) n° 1576/89, qui est incolore et a une teneur en sucre égale ou inférieure à 50 grammes par litre et dans laquelle l’alcool aromatisé par distillation dans des alambics traditionnels discontinus en cuivre, d’une capacité égale ou inférieure à 1 000 litres, doit représenter au moins 20 % du titre alcoométrique acquis du produit final.»

    La réglementation nationale

    7
    La loi nº 2127/93 a pour objet de transposer dans l’ordre juridique grec la directive 92/83.

    8
    Elle a fixé le taux de base de l’accise à environ 294 000 GRD par cent litres d’alcool pur.

    9
    L’article 26 de la même loi prévoit, toutefois, une réduction de 50 % dudit taux de base sur l’ouzo, le montant de l’accise frappant ce produit ne s’élevant qu’à environ 147 000 GRD par cent litres d’alcool pur.


    La procédure précontentieuse

    10
    La Commission a reçu différentes plaintes concernant l’application par les autorités helléniques d’un taux d’accise réduit à l’ouzo, alors que, s’agissant d’autres boissons alcooliques telles que le gin, la vodka, le whisky, le rhum, la tequila et l’arak, le taux appliqué est moins favorable.

    11
    La Commission, estimant que cette différence de taux est incompatible avec l’article 90 CE, a engagé la procédure en manquement. Après avoir mis la République hellénique en demeure de présenter ses observations, elle a, le 10 août 1999, émis un avis motivé invitant cet État membre à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de sa notification. Les autorités grecques ayant contesté la violation du droit communautaire qui leur est reprochée, la Commission a introduit le présent recours.


    Sur le recours

    12
    À titre liminaire, il convient de rappeler que la Commission a souligné que son recours se fonde exclusivement sur l’article 90 CE et qu’il ne vise pas l’article 23 de la directive 92/83. Dans ces conditions, la circonstance que la Commission n’a pas introduit un recours en annulation contre cette dernière disposition n’affecte pas la recevabilité du présent recours en manquement.

    13
    La Commission fait valoir en substance que les actes communautaires de droit dérivé doivent être interprétés et transposés dans l’ordre juridique interne des États membres d’une manière compatible avec le traité CE. Selon elle, ceci implique que l’existence d’une disposition de droit dérivé, autorisant les États membres à frapper un produit national d’un taux d’accise réduit, ne dispense nullement ces derniers de leur obligation de respecter les principes fondamentaux consacrés par ledit traité, au nombre desquels figure celui énoncé à l’article 90 CE. La Commission considère que la République hellénique a violé l’article 90, premier alinéa, CE, en appliquant un taux d’accise réduit au seul ouzo. En effet, il résulterait d’une jurisprudence réitérée de la Cour que, pour être compatible avec l’article 90 CE, un système national de taxation doit exclure, en toute hypothèse, que les produits étrangers soient taxés plus lourdement que les produits nationaux similaires.

    14
    La République hellénique conteste l’allégation selon laquelle sa législation serait contraire au droit communautaire. Selon elle, la Commission, en fondant son recours sur le seul article 90 CE, a omis de tenir compte de la lex specialis applicable en l’espèce, à savoir l’article 23 de la directive 92/83, disposition qui permettrait à cet État membre d’appliquer à l’ouzo un taux d’accise réduit. La République hellénique conteste également que l’ouzo et les autres boissons alcooliques, telles que le gin, la vodka, le whisky, soient similaires.

    15
    À cet égard, il y a lieu de rappeler d’emblée que l’article 23, point 2, de la directive 92/83 autorise la République hellénique à appliquer un taux d’accise à l’ouzo inférieur au taux minimal, sans toutefois qu’il soit inférieur de plus de 50 % au taux d’accise normal sur l’alcool éthylique.

    16
    Il est constant que la République hellénique s’est fondée sur l’article 23, point 2, de la directive 92/83 lorsqu’elle a fixé le taux d’accise applicable à l’ouzo à 50 % du taux prévu pour les autres boissons alcooliques et que, ce faisant, elle a respecté les termes de cette disposition.

    17
    Dans ces conditions, le recours de la Commission, qui vise directement à remettre en cause le taux d’accise que la République hellénique a été autorisée à appliquer à l’ouzo sur le fondement de l’article 23, point 2, de la directive 92/83, revient indirectement, mais nécessairement, à contester la légalité de cette disposition.

    18
    Les actes des institutions communautaires jouissent, en principe, d’une présomption de légalité et produisent, dès lors, des effets juridiques aussi longtemps qu’ils n’ont pas été retirés, annulés dans le cadre d’un recours en annulation ou déclarés invalides à la suite d’un renvoi préjudiciel ou d’une exception d’illégalité (voir, en ce sens, arrêts du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a., C‑137/92 P, Rec. p. I‑2555, point 48, et du 8 juillet 1999, Chemie Linz/Commission, C‑245/92 P, Rec. p. I‑4643, point 93).

    19
    Par exception à ce principe, les actes entachés d’une irrégularité dont la gravité est si évidente qu’elle ne peut être tolérée par l’ordre juridique communautaire doivent être réputés n’avoir produit aucun effet juridique, même provisoire, c’est-à-dire être regardés comme juridiquement inexistants. Cette exception vise à préserver un équilibre entre deux exigences fondamentales, mais parfois antagonistes, auxquelles doit satisfaire un ordre juridique, à savoir la stabilité des relations juridiques et le respect de la légalité (arrêts précités Commission/BASF e.a., point 49, et Chemie Linz/Commission, point 94).

    20
    La gravité des conséquences qui se rattachent à la constatation de l’inexistence d’un acte des institutions de la Communauté postule que, pour des raisons de sécurité juridique, cette constatation soit réservée à des hypothèses tout à fait extrêmes (arrêts précités Commission/BASF e.a., point 50, et Chemie Linz/Commission, point 95).

    21
    Or, la directive 92/83 ne saurait, ni dans sa totalité ni en ce qui concerne son article 23, point 2, être considérée comme un tel acte inexistant.

    22
    Il convient d’ajouter que ladite directive n’a pas été retirée par le Conseil et que son article 23, point 2, n’a été ni annulé ni déclaré invalide par la Cour.

    23
    Dans ces conditions, l’article 23, point 2, de la directive 92/83 produit des effets juridiques qui bénéficient d’une présomption de légalité.

    24
    Il en résulte que, dès lors que la République hellénique s’est limitée à maintenir en vigueur une réglementation nationale adoptée sur le fondement de l’article 23, point 2, de la directive 92/83 et conforme à cette disposition, elle n’a pas manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire.

    25
    Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de constater que la République hellénique n’a pas manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire en maintenant en vigueur pour l’ouzo un taux d’accise qui est inférieur à celui qui est appliqué aux autres boissons alcooliques.

    26
    Il convient dès lors de rejeter comme non fondé le recours en manquement de la Commission.


    Sur les dépens

    27
    Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La République hellénique ayant conclu à la condamnation de la Commission et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens. Conformément à l'article 69, paragraphe 4, premier alinéa, du même règlement, le Royaume-Uni, partie intervenante, supporte ses propres dépens.

    Par ces motifs, la Cour (assemblée plénière) déclare et arrête:

    1)
    Le recours est rejeté.

    2)
    La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.

    3)
    Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord supporte ses propres dépens.

    Signatures.


    1
    Langue de procédure: le grec.

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