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Document 61992TO0024(01)

Ordonnance du Président du Tribunal de première instance du 16 juin 1992.
Langnese Iglo GmbH et Schöller Lebensmittel GmbH & Co KG contre Commission des Communautés européennes.
Concurrence - Procédure de référé - Mesures conservatoires.
Affaires T-24/92 R et T-28/92 R.

Recueil de jurisprudence 1992 II-01839

ECLI identifier: ECLI:EU:T:1992:71

61992B0024(01)

Ordonnance du Président du Tribunal de première instance du 16 juin 1992. - Langnese Iglo GmbH et Schöller Lebensmittel GmbH & Co KG contre Commission des Communautés européennes. - Concurrence - Procédure de référé - Mesures conservatoires. - Affaires T-24/92 R et T-28/92 R.

Recueil de jurisprudence 1992 page II-01839


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Dispositif

Mots clés


++++

Référé - Sursis à exécution - Sursis à l' exécution d' une décision prescrivant des mesures provisoires en matière de concurrence - Conditions d' octroi - Préjudice grave et irréparable - Mise en balance de l' ensemble des intérêts en cause

(Traité CEE, art. 85 et 185; règlement de procédure du Tribunal, art. 104, § 2)

Sommaire


Dans une situation où tant l' octroi du sursis à l' exécution d' une décision de la Commission prescrivant des mesures provisoires en matière de concurrence, que le refus du sursis d' une telle décision, reviendraient en pratique à priver d' effets la décision finale du Tribunal, dans la mesure où celle-ci ne pourra vraisemblablement intervenir qu' à un moment où la décision de la Commission aura déjà produit ses effets ou ne les aura pas produits, selon que le juge des référés aura rejeté ou accueilli la demande de sursis, il y a lieu de mettre en balance, d' une part, l' intérêt d' une bonne administration de la justice et, d' autre part, l' intérêt des parties, y compris l' intérêt de la Commission à mettre fin immédiatement à l' infraction aux règles de concurrence du traité qu' elle estime avoir constatée.

Pour éviter tout à la fois la création d' une situation irréversible et la survenance d' un préjudice grave et irréparable dans le chef d' une des parties au litige, il y a lieu de prescrire une solution transitoire, permettant d' éviter que le marché n' évolue de façon irréversible, et consistant à imposer à la requérante de lever certaines barrières à l' accès au marché, sans pour autant mettre en cause de manière sensible le système de distribution qu' elle a mis en place depuis de longues années.

Parties


Dans les affaires T-24/92 R,

Langnese-Iglo GmbH, société de droit allemand, établie à Hambourg (République fédérale d' Allemagne), représentée par Mes Martin Heidenhain, Bernhard M. Maassen et Horst Satzky, avocats au barreau de Francfort-sur-le-Main, ayant élu domicile à Luxembourg en l' étude de Me Jean Hoss, 15, Côte d' Eich,

et T-28/92 R,

Schoeller Lebensmittel GmbH & Co. KG, société de droit allemand, établie à Nuremberg (République fédérale d' Allemagne), représentée par Mes Ulrich Scholz, avocat au barreau de Nuremberg, et Rainer Bechtold, avocat au barreau de Stuttgart, ayant élu domicile à Luxembourg en l' étude de Mes Loesch & Wolter, 8, rue Zithe,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Bernd Langeheine et Berend J. Drijber, membres du service juridique, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Roberto Hayder, représentant du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

soutenue par

Mars GmbH, société de droit allemand, établie à Viersen (République fédérale d' Allemagne), représentée par Me Jochim Sedemund, avocat au barreau de Cologne, et par MM. John Pheasant et Simon Polito, solicitors, du cabinet Lovell, White & Durrant à Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l' étude de Mes Dupong & associés, 14 A, rue des Bains,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande de sursis à l' exécution de la décision de la Commission du 25 mars 1992 relative à une procédure d' application de l' article 85 du traité CEE (IV/34.072 - Mars/Langnese et Schoeller - Mesures provisoires),

le président du Tribunal

rend la présente

Ordonnance

Motifs de l'arrêt


En fait

1 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 avril 1992, Langnese-Iglo GmbH (ci-après "Langnese") a introduit, en vertu de l' article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, un recours visant à l' annulation de la décision de la Commission du 25 mars 1992, relative à une procédure d' application de l' article 85 du traité CEE (IV/34.072 - Mars/Langnese et Schoeller - Mesures provisoires).

2 Par acte séparé enregistré au greffe du Tribunal le même jour, Langnese a également introduit une demande de mesures provisoires, en vertu des articles 185 du traité CEE et 104 du règlement de procédure du Tribunal, visant à obtenir le sursis à l' exécution de la décision litigieuse jusqu' à ce que le Tribunal ait statué sur le recours au fond.

3 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 avril 1992, Schoeller Lebensmittel GmbH & Co. KG (ci-après "Schoeller") a introduit, en vertu de l' article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, un recours visant à l' annulation de la décision précitée de la Commission.

4 Par acte séparé enregistré au greffe du Tribunal le même jour, Schoeller a également introduit une demande de mesures provisoires, en vertu des articles 185 du traité CEE et 104 du règlement de procédure du Tribunal, visant à obtenir le sursis à l' exécution de la décision litigieuse jusqu' à ce que le Tribunal ait statué sur le recours au fond.

5 Par requêtes enregistrées au greffe du Tribunal, respectivement les 16 et 21 avril 1992, Mars GmbH (ci-après "Mars") a demandé à être admise à intervenir dans les affaires T-24/92 R et T-28/92 R au soutien des conclusions de la Commission. Par lettre du 27 avril 1992, le greffe du Tribunal a informé la société Mars qu' elle serait admise à exposer oralement ses moyens à l' audience de référé.

6 La Commission a présenté ses observations écrites sur les demandes en référé introduites par Langnese et Schoeller, respectivement les 23 et 27 avril 1992. Les parties ont été entendues en leurs explications orales le 6 mai 1992.

7 Par ordonnance du 8 mai 1992, le président du Tribunal:

- a admis Mars à intervenir dans les affaires T-24/92 R et T-28/92 R au soutien des conclusions de la partie défenderesse;

- a fait droit, au stade de la procédure de référé, à la demande de traitement confidentiel présentée par Langnese pour certains éléments d' information contenus dans sa demande de mesures provisoires (points 103, 105, 107, 109, 210 et 221), ainsi que pour les observations de la Commission sur ladite demande (page 3, point 1, et page 5, point 3);

- a invité Langnese à communiquer au Tribunal, pour le 15 mai 1992, le nombre total des points de vente de ses "portions individuelles" en Allemagne (1991) et quantités vendues (en litres), ainsi que le nombre - et la répartition selon leur type (supermarchés, stations-service, kiosques, etc.) - des points de vente de ses "portions individuelles" en Allemagne (1991) soumis à des contrats d' exclusivité et quantités vendues (en litres);

- a invité Schoeller à communiquer au Tribunal, pour le 15 mai 1992, les données mentionnées au tableau qui constitue l' annexe 11 à sa requête pour l' année 1991, ainsi que le nombre - et la répartition selon leur type (supermarchés, stations-service, kiosques, etc.) - des points de vente de ses "portions individuelles" en Allemagne (1991) soumis à des contrats d' exclusivité et quantités vendues (en litres);

- a invité la partie intervenante Mars à communiquer au Tribunal, pour le 15 mai 1992, le nombre total des points de vente de ses "portions individuelles" en Allemagne avant l' adoption de la décision de la Commission (données 1991) et quantités vendues (en litres), le nombre des nouveaux points de vente établis après l' adoption de la décision litigieuse, ainsi que la répartition des points de vente selon leur type (supermarchés, stations-service, kiosques, etc.);

- a ordonné le sursis à l' exécution de la décision de la Commission, du 25 mars 1992, relative à une procédure d' application de l' article 85 du traité CEE (IV/34.072 - Mars/Langnese et Schoeller - Mesures provisoires) jusqu' à la date du prononcé de l' ordonnance mettant fin aux procédures de référé.

8 Par lettres enregistrées au greffe du Tribunal le 15 mai 1992, Langnese, Schoeller et Mars ont répondu aux questions qui leur avaient été posées dans l' ordonnance du président du Tribunal du 8 mai 1992.

9 Avant d' examiner le bien-fondé des demandes en référé introduites devant le Tribunal, il convient de rappeler le contexte des présentes affaires et, en particulier, les faits essentiels qui sont à l' origine des litiges dont le Tribunal est saisi, tels qu' ils résultent des mémoires déposés par les parties et des explications orales données au cours de l' audience du 6 mai 1992.

10 Le 18 septembre 1991, Mars a déposé une plainte auprès de la Commission contre Langnese et Schoeller, pour infraction aux articles 85 et 86 du traité CEE, et a demandé que des mesures conservatoires soient prises afin de prévenir le préjudice grave et irréparable qui résulterait, selon elle, du fait que la vente de ses glaces de consommation serait fortement entravée en Allemagne par la mise en oeuvre d' accords contraires aux règles de concurrence que Langnese et Schoeller auraient conclus avec un grand nombre de détaillants.

11 Par sa décision du 25 mars 1992, la Commission, à titre de mesures conservatoires, a interdit à Langnese et à Schoeller de faire valoir leurs droits contractuels résultant d' accords conclus par ces sociétés ou en leur faveur, dans la mesure où des détaillants s' engagent à acheter, proposer à la vente et/ou vendre exclusivement de la glace de consommation de ces producteurs, à l' égard des articles de glace de consommation "Mars", "Snickers", "Milky Way" et "Bounty", lorsque ceux-ci sont proposés au consommateur final en portions individuelles. La Commission a, en outre, retiré le bénéfice de l' application de son règlement (CEE) n 1984/83, du 22 juin 1983, concernant l' application de l' article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories d' accords d' achat exclusif (JO L 173, p. 5, ci-après "règlement n 1984/83"), aux accords d' exclusivité conclus par Langnese, dans la mesure nécessaire à l' application de l' interdiction ci-dessus mentionnée. Par ailleurs, la Commission a ordonné à Langnese et à Schoeller d' informer, dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision, tous les détaillants qui leur étaient liés par des accords d' exclusivité, des obligations imposées par la décision, et a décidé d' infliger à Langnese et à Schoeller une astreinte d' un montant de mille écus pour chaque jour de retard dans l' exécution des obligations découlant de la décision.

En droit

12 En vertu des dispositions combinées des articles 185 et 186 du traité CEE et de l' article 4 de la décision du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes, le Tribunal peut, s' il estime que les circonstances l' exigent, ordonner le sursis à l' exécution de l' acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

13 L' article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal prévoit que les demandes relatives à des mesures provisoires visées aux article 185 et 186 du traité CEE doivent spécifier les circonstances établissant l' urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l' octroi de la mesure à laquelle elles concluent. Les mesures demandées doivent présenter un caractère provisoire en ce sens qu' elles ne doivent pas préjuger de la décision sur le fond.

14 Dans les motifs de sa décision, la Commission considère que les accords examinés, auxquels Langnese et Schoeller sont parties, constituent à première vue une infraction à l' article 85, paragraphe 1, du traité CEE et qu' une exemption n' est pas envisageable au titre de l' article 85, paragraphe 3, ne serait-ce que parce que l' effet cumulatif de ces accords exclut toute concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. Selon la décision, sans une intervention immédiate de la Commission, il serait impossible de prévenir le préjudice grave et irréparable résultant pour Mars des entraves mises, en violation des règles de concurrence du traité CEE, à la commercialisation de ses bâtons de glace de consommation en portions individuelles. En raison du caractère saisonnier du marché de la glace de consommation en portions individuelles, seule la prise de mesures immédiates par la Commission en vue d' ouvrir le marché pourrait permettre à Mars et à ses distributeurs de procéder aux investissements nécessaires au maintien de la chaîne de froid et éviterait que Mars ne perde l' avantage concurrentiel qu' elle s' est assurée, selon la Commission, sur le marché grâce à son nouveau concept de commercialisation de bâtons de glace.

Arguments des parties

15 Les requérantes Langnese et Schoeller font valoir que leurs demandes de sursis à l' exécution de la décision litigieuse présentent un caractère urgent et sont justifiées par des motifs de fait et de droit. Les arguments avancés par les parties peuvent être résumés comme suit.

16 En ce qui concerne l' urgence, Langnese invoque le caractère irréversible des effets qu' une exécution immédiate de la décision ne manquerait pas de produire et le préjudice grave qui résulterait pour elle d' une telle exécution, d' une part, et l' absence de préjudice pour Mars si un sursis à l' exécution de la décision litigieuse était ordonné, d' autre part. De l' avis de Langnese, l' accès de Mars à ses points de vente au cours de la saison 1992 empêcherait le rétablissement futur des liens d' exclusivité, dans la mesure où non seulement les exploitants de ces points de vente ne seraient plus d' accord pour renoncer à l' avenir à la distribution des produits Mars, mais où également les habitudes de consommation des clients se modifieraient rapidement. Langnese souligne, par ailleurs, que la perte de l' exclusivité de ses points de vente entraînerait aussi, à court terme, la perte de l' exclusivité de l' usage des surgélateurs qu' elle met à la disposition de certains de ses distributeurs, laquelle n' est pas prohibée par la décision. En effet, les exploitants des points de vente seraient souvent amenés à placer tant les produits de la requérante que ceux de Mars dans les surgélateurs prêtés par la requérante. A ce propos, Langnese souligne qu' en l' espace de trois jours après l' adoption de la décision litigieuse (du 31 mars au 2 avril 1992), le nombre de ses surgélateurs dans lesquels ont été placés des produits Mars est passé de 27 à 846. Il résulterait de l' ensemble de ces éléments un danger de destruction irréversible de tout le système de distribution de la requérante et, par conséquent, un risque de préjudice grave et irréparable, qui justifierait que soit ordonné le sursis à l' exécution de la décision litigieuse (ordonnances du président de la Cour du 31 mars 1982, VBVB/Commission, 43/82 R, Rec. p. 1241, et du 13 juin 1989, Publishers Association/Commission, 56/89 R, Rec. p. 1693).

17 Langnese conteste, en outre, l' existence d' obstacles considérables empêchant Mars d' accéder au marché des glaces de consommation et susceptibles d' entraîner un quelconque préjudice autre que négligeable. Elle relève, à cet égard que, deux ans après son entrée sur le marché, Mars vend déjà ses produits dans environ 45 000 points de vente et dispose de parts de marché considérables dans certains secteurs, ce qui lui a permis de doubler son chiffre d' affaires de 1990 à 1991. La requérante estime que si, à la différence du commerce en alimentation - dans lequel les surgélateurs appartiennent aux entreprises commerciales - Mars n' a pas pu pénétrer plus rapidement le marché des glaces de consommation dans le secteur du commerce spécialisé traditionnel, la raison en est que, contrairement à la requérante, elle n' a jamais voulu faire les investissements nécessaires à l' installation de surgélateurs pour le stockage de ses produits.

18 Langnese considère, enfin, que la décision attaquée est entachée d' une illégalité manifeste en ce que les mesures provisoires adoptées par la Commission ne sont pas compatibles avec les principes établis par une jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal. Elle souligne, à cet égard, que la Commission n' a pas démontré qu' il y avait "à première vue" suffisamment d' éléments permettant de présumer l' existence d' une infraction à l' article 85, paragraphe 1, du traité CEE. Au contraire, les contrats d' exclusivité conclus par la requérante seraient "à première vue" compatibles avec l' article 85, paragraphe 1, du traité CEE, ou du moins exemptés au titre du règlement n 1984/83, précité, dont le bénéfice de l' application ne saurait leur être retiré. La Commission aurait, d' ailleurs, expressément reconnu la compatibilité des contrats d' exclusivité litigieux avec les règles communautaires de concurrence dans une lettre administrative de classement qu' elle a envoyée à Schoeller le 20 septembre 1985. En outre, Mars ne serait, quant à elle, exposée à aucun risque de préjudice grave et irréparable susceptible de justifier l' adoption de mesures conservatoires.

19 Schoeller, pour sa part, considère que les clauses d' exclusivité insérées dans les contrats de livraison qu' elle a conclus entrent dans le champ de l' exemption par catégorie prévue par le règlement n 1984/83 et qu' en tout état de cause la Commission est liée par l' appréciation qu' elle a faite dans sa lettre administrative de classement du 20 septembre 1985, alors que les circonstances n' ont pas beaucoup changé depuis et que le degré de dépendance constaté à l' époque ne s' est pas notablement modifié. La requérante fait, en outre, valoir que les mesures conservatoires prises par la Commission n' ont pas été adoptées en présence d' une urgence établie, en ce que Mars ne subirait pas de préjudice grave et irréparable si elle devait également respecter au cours de la saison 1992 les contrats d' exclusivité conclus par la requérante dans le secteur des glaces de consommation. Selon celle-ci, Mars bénéficie déjà d' un accès suffisant au marché dans le commerce de détail en alimentation, dans la vente à domicile ainsi que dans le commerce traditionnel et a dépassé Schoeller, tant du point de vue des débouchés que du chiffre d' affaires, dès la deuxième année d' introduction sur le marché des bâtons de glace.

20 De l' avis de Schoeller, l' exécution de la décision litigieuse lui ferait subir un dommage considérable, notamment en détruisant le système de distribution qu' elle a édifié depuis des années. La plupart de ses points de vente, de petite dimension et d' un chiffre d' affaires annuel moyen inférieur à 3 300 DM, n' étant pas en mesure d' acquérir leurs propres surgélateurs, de veiller à leur entretien technique, de les faire réparer et d' assumer les pertes, les producteurs de glace de consommation industrielle ne pourraient exploiter le marché que s' ils mettent à la disposition et veillent eux-mêmes à l' entretien des surgélateurs. Or, si les exploitants de ces points de vente étaient libres d' acheter leurs articles à tel vendeur aujourd' hui, à tel autre demain, la mise à la disposition de surgélateurs perdrait sa rentabilité, puisque la dispersion des achats entre plusieurs fournisseurs ferait rapidement tomber le chiffre d' affaires sous le seuil en deçà duquel il serait économiquement sans intérêt pour Schoeller de continuer à approvisionner un point de vente et à l' équiper d' un surgélateur. En outre, si les points de vente liés à Schoeller par des contrats d' exclusivité devaient désormais pouvoir vendre également les produits Mars, il deviendrait pratiquement impossible de les inciter à respecter à nouveau leur engagement d' exclusivité au cas où la décision litigieuse serait annulée.

21 Schoeller considère également que la mise en balance des intérêts en présence justifie qu' il soit sursis à l' exécution des mesures conservatoires décidées par la Commission, alors que celle-ci les a ordonnées sur le fondement de faits insuffisamment établis dans le cadre d' une enquête non encore achevée et que la nécessité et l' urgence de telles mesures ne sont pas démontrées. La requérante, invoquant à cet égard l' ordonnance du président de la Cour du 29 septembre 1982, Ford/Commission (228/82, Rec. p. 3091), fait valoir que l' intérêt public qui milite en faveur de l' exécution d' une décision comme celle qui a été prise en l' espèce est moindre que celui qui s' attacherait à l' exécution d' une décision que la Commission aurait prise au terme d' une procédure "au fond", après la clôture de l' enquête.

22 La Commission, dans ses observations écrites, estime que les demandes présentées par les requérantes ne permettent de conclure à l' existence ni de circonstances établissant l' urgence ni de moyens de fait et de droit justifiant à première vue l' octroi des mesures provisoires sollicitées. La Commission relève, en particulier, la portée limitée de la décision litigieuse, en ce que celle-ci ne vise que les clauses de non-concurrence contenues dans les accords liant les points de vente aux requérantes - et cela seulement à l' égard des quatre articles de glace de consommation de Mars -, toutes les autres clauses contractuelles, notamment l' exclusivité d' approvisionnement par les canaux de distribution agréés et l' exclusivité relative aux surgélateurs, n' étant pas concernées par la décision attaquée.

23 La Commission conteste les arguments que les requérantes prétendent tirer des résultats commerciaux de Mars en ce qui concerne l' accès de celle-ci au marché, dans la mesure où les chiffres en question reposent soit sur des ventes réalisées en dehors du marché des produits en cause, soit sur des ventes dans le secteur de ce marché qui n' est pas couvert par les exclusivités concernant les points de vente ou les surgélateurs. La Commission considère que les arguments des requérantes fondés sur la lettre administrative de classement du 20 septembre 1985 ne sauraient non plus être retenus, dans la mesure où si des décisions formelles sont susceptibles d' être révoquées en présence de nouveaux éléments de fait, cela doit être également, et à plus forte raison, le cas des lettres administratives de classement. Or, en l' espèce, c' est justement parce qu' elle a eu connaissance de certains éléments tendant à démontrer une aggravation des restrictions de concurrence, que la Commission a décidé de rouvrir la procédure et en a informé les entreprises au mois de novembre 1991.

24 En ce qui concerne l' existence d' un risque de préjudice grave et irréparable, la Commission considère que ni les arguments relatifs à la diminution du chiffre d' affaires ni ceux ayant trait à l' impossibilité de faire respecter l' exclusivité après l' éventuelle annulation de la décision litigieuse ne sont pertinents. La Commission estime également que la mise en balance des intérêts en présence plaide contre l' octroi du sursis à exécution demandé par les requérantes, les mesures conservatoires qu' elle a décidées étant limitées dans le temps et ne concernant que quatre articles de la société Mars.

25 Lors de la présentation de ses observations orales, la partie intervenante Mars a contesté l' existence d' une quelconque nécessité économique justifiant que les requérantes aient recours en Allemagne à des points de vente exclusive, et a fait valoir à cet égard que Langnese dispose d' importantes parts de marché dans d' autres États membres sans avoir recours à des accords d' exclusivité. Mars a également considéré que, même en admettant que les mesures conservatoires prises par la Commission rendent plus difficile à l' avenir la conclusion de contrats d' exclusivité, les détaillants demeureront toujours dépendants des requérantes, compte tenu du fait que ses articles de glace de consommation ne couvrent qu' une petite partie du grand assortiment de produits que Langnese et Schoeller offrent à la vente.

Appréciation du juge des référés

26 Il convient de relever, à titre liminaire, que les mesures provisoires adoptées par la Commission dans sa décision du 25 mars 1992 ont pour objet de permettre à Mars d' accéder aux points de vente exclusive des requérantes dans le secteur des glaces de consommation en portions individuelles au cours de la saison 1992. La présente décision - qui expire au plus tard le 1er janvier 1993, sauf si son applicabilité est expressément prorogée par la Commission - est ainsi appelée à produire l' ensemble de ses effets dans le courant de cette année et plus particulièrement, compte tenu du caractère saisonnier du marché de la glace de consommation en portions individuelles, pendant la période de mai à septembre. Il en résulte que, tant l' octroi d' un sursis à l' exécution de la décision, jusqu' au prononcé de l' arrêt mettant fin à la procédure au principal, que le rejet des demandes de sursis, reviendraient, en pratique, à priver d' effets la décision finale du Tribunal, dans la mesure où celle-ci ne pourra vraisemblablement intervenir, après le déroulement normal de la procédure, qu' à un moment où la décision de la Commission aura déjà produit ses effets ou ne les aura pas produit, selon que le juge des référés aura rejeté ou octroyé la mesure de sursis à exécution demandée par les requérantes.

27 Il y a lieu de relever également que les parties s' opposent fondamentalement quant à la définition du marché en cause et quant aux conditions réelles d' accès audit marché. L' analyse de tels éléments, dont l' importance primordiale dans le cadre du présent litige a été mise en exergue de façon toute particulière par les divergences entre les données fournies par les parties suite aux questions posées par le président du Tribunal dans son ordonnance du 8 mai 1992, ne saurait être faite de façon approfondie dans le cadre du présent référé. Dans ces circonstances, le juge des référés ne saurait considérer que les moyens invoqués par les requérantes sont, à première vue, dépourvus de tout fondement et conclure ainsi au rejet des demandes de sursis à l' exécution de la décision litigieuse (voir notamment l' ordonnance du président du Tribunal du 21 novembre 1990, SEP/Commission, T-39/90 R, Rec. p. II-649).

28 En présence d' une telle situation de fait et de droit, il incombe au juge des référés de mettre en balance, d' une part, l' intérêt d' une bonne administration de la justice (voir notamment l' ordonnance du président de la Cour du 16 février 1987, Commission/Irlande, 45/87 R, Rec. p. 783) et, d' autre part, les intérêts des parties, y compris l' intérêt qu' a la Commission à mettre fin immédiatement à l' infraction aux règles de concurrence du traité qu' elle estime avoir constatée (ordonnance du président de la Cour du 13 juin 1989, Publishers Association, précitée), de façon à éviter, tout à la fois, la création d' une situation irréversible et la survenance d' un préjudice grave et irréparable dans le chef d' une des parties au litige.

29 Il faut relever, en l' espèce, qu' une première analyse des moyens et arguments développés par les parties ainsi que des éléments chiffrés présentés par celles-ci, fait apparaître que l' on ne saurait écarter l' existence, dans le secteur des glaces de consommation en portions individuelles, d' un risque de préjudice grave et irréparable, tant pour les parties requérantes, en cas d' application immédiate de la décision litigieuse, que pour la partie intervenante Mars, en cas de sursis à l' exécution de la décision de la Commission. En effet, l' exécution immédiate de la décision litigieuse est susceptible de porter gravement atteinte aux systèmes de distribution mis en place par les requérantes, créant de la sorte une évolution sur le marché concerné dont il existe des raisons sérieuses de croire qu' il serait très difficile, voire impossible, de la renverser ultérieurement (ordonnance du président de la Cour du 13 juin 1989, Publishers Association, précitée, point 33). Mais, parallèlement, le sursis à l' exécution de la décision de la Commission est susceptible de contribuer à la consolidation de la structure actuelle du marché, permettant ainsi aux requérantes de rendre de plus en plus difficile à Mars l' exploitation de l' avantage concurrentiel que peut lui procurer la transposition de la notoriété de ses produits en chocolat dans le domaine de la glace de consommation.

30 Il convient, par conséquent, de rechercher en l' espèce une solution transitoire permettant d' éviter que le marché n' évolue de façon irréversible, tout en sauvegardant l' intérêt qu' a la Commission à mettre fin immédiatement aux infractions aux règles de concurrence du traité qu' elle a constatées et les intérêts essentiels des parties au litige, jusqu' à ce que le Tribunal puisse se prononcer définitivement sur les présentes affaires.

31 Une telle solution transitoire passe par la levée, à titre conservatoire, de certaines barrières à l' accès de Mars au secteur des glaces de consommation en portions individuelles, sans pour autant mettre en cause de manière sensible les systèmes de distribution exclusive mis en place par les requérantes depuis un grand nombre d' années. Cet accès doit être limité par rapport aux objectifs qu' il vise à atteindre - c' est-à-dire, éviter le risque d' un préjudice grave et irréparable tant pour Mars que pour les parties requérantes - et clairement défini, de façon à ce que les points de vente exclusive avec lesquels Mars pourrait négocier la vente de ses quatre articles de glace de consommation soient facilement identifiables.

32 Les points de vente situés dans les stations-service, de par leur nombre limité et leur facilité d' identification et compte tenu, par ailleurs, des quantités importantes de glaces de consommation en portions individuelles qui y sont vendues, apparaissent comme pouvant répondre aux conditions précitées. D' après les informations fournies par les parties, les points de vente liés par des contrats d' exclusivité avec les requérantes dans ce secteur, tout en constituant un segment important du marché des glaces de consommation en portions individuelles, ne représentent pas, au vu des quantités qui y sont vendues et du chiffre d' affaires des requérantes, un segment de marché dont l' ouverture serait susceptible de mettre en danger les systèmes de distribution mis en place par les requérantes sur le territoire allemand. Il est à souligner également qu' une suspension de l' application des accords d' exclusivité dans le secteur des stations-service se limitera à ouvrir à Mars la possibilité de négocier avec les points de vente en cause les conditions de distribution de ses quatre articles de glace de consommation; elle ne signifie donc nullement que de tels points de vente aient l' obligation d' accepter de vendre lesdits produits, mais tout simplement qu' ils seraient autorisés, le cas échéant, à le faire. Cela n' implique nullement, non plus, que Mars soit autorisée à accéder aux surgélateurs mis à la disposition de ces points de vente par les requérantes. La suspension de l' application des accords d' exclusivité n' implique donc pas que ces points de vente soient définitivement perdus par les requérantes au bénéfice de Mars et ne saurait, par conséquent, être à l' origine de préjudices importants pour les requérantes, en termes de quantité de glaces de consommation vendues en portions individuelles et de chiffre d' affaires.

33 Pour Mars, l' ouverture d' un accès aux points de vente exclusive des requérantes dans les stations-service représente, en pratique, la possibilité d' augmenter de façon sensible le nombre de ses points de vente de glaces de consommation en portions individuelles sur l' ensemble du territoire allemand, lui permettant de la sorte de continuer sa pénétration du marché et lui évitant ainsi un quelconque préjudice grave et irréparable, jusqu' à ce que le Tribunal statue sur les recours au principal.

34 Au vu de ce qui précède, il y a lieu d' ordonner que l' interdiction faite à Langnese-Iglo GmbH et à Schoeller GmbH & Co. KG de faire valoir les clauses relatives à l' exclusivité des lieux de vente résultant d' accords conclus par elles, ou en leur faveur, à l' égard des articles de glace de consommation "Mars", "Snickers", "Milky Way" et "Bounty", lorsque ceux-ci sont proposés au consommateur final en portions individuelles, soit limitée au secteur des stations-service.

35 Il convient également d' ordonner à la Commission de contrôler l' exécution de la présente ordonnance et de transmettre au Tribunal, à partir du 1er juillet 1992 et sur une base mensuelle, notamment les éléments d' information qui lui seront communiqués par Mars quant aux points de vente situés dans les stations-service qui sont liés par des contrats d' exclusivité avec les requérantes et avec lesquels Mars aura conclu des contrats de vente pour ses articles de glace de consommation visés à l' article 1er de la décision litigieuse.

Dispositif


Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

statuant à titre provisoire,

ordonne:

1) L' exécution de la décision de la Commission du 25 mars 1992 relative à une procédure d' application de l' article 85 du traité CEE (IV/34.072 - Mars/Langnese et Schoeller - Mesures provisoires) est suspendue, sauf en ce qui concerne les points de vente situés dans les stations-service qui sont liés par des contrats d' exclusivité avec les requérantes.

2) La Commission contrôlera l' exécution de la présente ordonnance et transmettra au Tribunal, à partir du 1er juillet 1992 et sur une base mensuelle, notamment les éléments d' information qui lui seront communiqués par Mars quant aux points de vente situés dans les stations-service qui sont liés par des contrats d' exclusivité avec les requérantes et avec lesquels Mars aura conclu des contrats de vente pour ses articles de glace de consommation visés à l' article 1er de la décision litigieuse.

3) La présente ordonnance produira ses effets jusqu' à ce qu' une décision soit prise par la Commission mettant fin à la procédure administrative en cours ou jusqu' au prononcé de l' arrêt dans les recours au principal.

4) Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 16 juin 1992.

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