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Document 62013CJ0522

Arrêt de la Cour (septième chambre) du 9 octobre 2014.
Ministerio de Defensa et Navantia SA contre Concello de Ferrol.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Juzgado Contencioso-Administrativo n° 1 de Ferrol.
Demande de décision préjudicielle – Concurrence – Aides d’État – Article 107, paragraphe 1, TFUE – Notion d’‘aide d’État’ – Taxe foncière sur les biens immeubles – Exonération fiscale.
Affaire C-522/13.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2014:2262

ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

9 octobre 2014 ( *1 )

«Demande de décision préjudicielle — Concurrence — Aides d’État — Article 107, paragraphe 1, TFUE — Notion d’‘aide d’État’ — Taxe foncière sur les biens immeubles — Exonération fiscale»

Dans l’affaire C‑522/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Juzgado Contencioso-Administrativo no 1 de Ferrol (Espagne), par décision du 12 avril 2013, parvenue à la Cour le 1er octobre 2013, dans la procédure

Ministerio de Defensa,

Navantia SA

contre

Concello de Ferrol,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. J.‑C. Bonichot, président de chambre, MM. A. Arabadjiev (rapporteur) et J. L. da Cruz Vilaça, juges,

avocat général: M. M. Wathelet,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

pour le Concello de Ferrol, par Mes M. Villalba López, avoué, et D. Vidal Lorenzo, abogado,

pour le gouvernement espagnol, par M. L. Banciella Rodríguez-Miñón, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par MM. É. Gippini Fournier et B. Stromsky, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Ministerio de Defensa (ministère de la Défense espagnol) et Navantia SA (ci-après «Navantia») au Concello de Ferrol (commune de Ferrol) au sujet d’une exonération de la taxe foncière afférente à un terrain mis à la disposition de cette société.

Le cadre juridique

3

Le décret royal législatif 2/2004 portant refonte du texte de la loi régissant les finances locales (Real Decreto Legislativo 2/2004 por el que se aprueba el texto refundido de la Ley Reguladora de las Haciendas Locales), du 5 mars 2004 (BOE no 59, du 9 mars 2004, p. 10284), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la «loi de 2004»), définit la taxe foncière comme «un impôt direct, réel, qui frappe la valeur des biens immeubles selon les modalités définies dans la présente loi».

4

L’article 61, paragraphe 1, de la loi de 2004 prévoit:

«Le fait générateur de la taxe est constitué par la détention des droits suivants sur les biens immeubles ruraux ou urbains et sur les biens immeubles à caractéristiques spéciales:

a)

une concession administrative sur les biens immeubles eux‑mêmes ou sur les services publics auxquels ils sont affectés;

b)

un droit réel de superficie;

c)

un droit réel d’usufruit;

d)

le droit de propriété.»

5

L’article 62 de ladite loi, intitulé «Exonérations», énonce à son paragraphe 1, sous a):

«Sont exonérés les biens immeubles suivants:

a)

Ceux qui appartiennent à l’État, aux communautés autonomes ou aux collectivités locales et qui sont directement affectés à la sécurité des citoyens ainsi qu’aux services éducatifs et pénitentiaires, de même que les biens immeubles de l’État affectés à la défense nationale.»

6

L’article 63, paragraphes 1 et 2, de la loi de 2004 dispose:

«1.   Sont assujetties, en qualité de redevables, les personnes physiques et morales […] qui sont titulaires du droit constituant, dans chaque cas, le fait générateur de cette taxe.

[…]

2.   Les dispositions du paragraphe précédent s’appliquent sans préjudice de la faculté pour l’assujetti de répercuter la charge fiscale supportée, conformément aux règles du droit commun.

Les administrations publiques et les entités ou organismes visés au paragraphe précédent répercutent la part du montant de la taxe due qui s’applique aux personnes qui, n’ayant pas la qualité d’assujettis, utilisent leurs biens domaniaux ou patrimoniaux contre rémunération. Celles‑ci sont tenues de prendre en charge la répercussion. À cet effet, le montant répercuté est déterminé en fonction de la part de la valeur cadastrale correspondant à la superficie utilisée et à la construction directement liée à chaque locataire ou cessionnaire du droit d’usage.»

Les faits du litige au principal et la question préjudicielle

7

Navantia est une entreprise entièrement détenue par l’État espagnol. Son activité consiste dans la construction et la maintenance de navires de guerre pour le compte de ce dernier et d’autres États, membres ou non de l’Union européenne, ainsi que dans la fabrication, la réparation et la maintenance de produits divers pour le secteur privé, principalement dans le domaine naval et énergétique.

8

Navantia dispose d’un chantier naval situé sur le territoire du Concello de Ferrol, dont la superficie s’élève à 932 348 m2. En vertu d’un accord conclu le 6 septembre 2001, l’État espagnol a mis la parcelle de terrain, dont il est le propriétaire, et correspondant à ce chantier à la disposition de Navantia, sous la forme d’une cession du droit d’usage, pour le montant d’un euro par an (ci-après l’«accord de 2001»).

9

La taxe foncière sur cette parcelle, dont le montant s’élève à 590 308,77 euros pour l’année 2010, a été perçue par le Concello de Ferrol pour les exercices antérieurs à l’année 2008.

10

En tant que propriétaire de ladite parcelle, et en raison de la cession du seul droit d’usage à Navantia, c’est l’État espagnol qui est assujetti à la taxe foncière, conformément à l’article 61, paragraphe 1, sous d), de la loi de 2004. En vertu de l’accord de 2001, l’État espagnol répercute le montant de cette taxe sur Navantia, de telle sorte que, en définitive, c’est celle-ci qui doit en supporter la charge.

11

Pour l’exercice 2008 et les exercices suivants, l’État espagnol et Navantia ont demandé au Concello de Ferrol, sur le fondement de l’article 62, paragraphe 1, sous a), de la loi de 2004, le bénéfice d’une exonération fiscale de la taxe foncière due pour la parcelle sur laquelle est établi le chantier naval, demande qui a été rejetée. Ce rejet a été contesté devant les tribunaux compétents et c’est ce litige qui fait l’objet de la procédure au principal.

12

Par un arrêt du 22 octobre 2012, le Tribunal Superior de Justicia de Galicia (Cour supérieure de justice de la Galice) a annulé un précédent jugement du Juzgado Contencioso-Administrativo no 1 de Ferrol, en date du 25 novembre 2011, par lequel ce dernier avait rejeté le recours dont il était saisi, ledit Tribunal ayant indiqué qu’il convenait d’admettre l’exonération fiscale demandée. L’affaire a donc été renvoyée devant la juridiction de renvoi.

13

Le Juzgado Contencioso-Administrativo no 1 de Ferrol considère que le bénéfice de l’exonération fiscale demandée peut impliquer l’octroi, en faveur de Navantia, d’une aide d’État contraire à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, dès lors que cette exonération serait accordée au moyen de ressources publiques à une entreprise appartenant à l’État et qu’elle serait de nature à fausser ou à menacer de fausser la concurrence.

14

En effet, la juridiction de renvoi considère que, en tant que bénéficiaire ultime de l’exonération sollicitée, Navantia obtiendrait un avantage sélectif, en ce que la charge fiscale normalement supportée – et supportée par ses concurrents privés dans le domaine de la construction navale – serait réduite, au moyen d’une perte de recettes pour le Concello de Ferrol. Eu égard à ce renforcement de la position concurrentielle de Navantia sur les marchés concernés par ses activités militaires et civiles, d’une part, la concurrence serait potentiellement faussée et, d’autre part, les échanges entre les États membres s’en trouveraient affectés.

15

Dans ces circonstances, le Juzgado Contencioso-Administrativo no 1 de Ferrol a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’exonération de la taxe foncière dont bénéficie [Navantia] est-elle compatible avec l’article [107 TFUE]? L’exonération fiscale qu’un État membre [le Royaume d’Espagne] peut prévoir à l’égard d’un terrain […] lui appartenant, mis à la disposition d’une entreprise privée à capitaux entièrement publics […] et à partir duquel celle-ci fournit des biens et des services pouvant faire l’objet d’échanges entre les États membres est-elle compatible avec l’article 107 TFUE?»

Sur la question préjudicielle

16

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que constitue une aide d’État, prohibée au titre de cette disposition, l’exonération de la taxe foncière d’une parcelle de terrain appartenant à l’État et mise à la disposition d’une entreprise dont ce dernier détient la totalité du capital et qui produit, à partir de cette parcelle, des biens et des services pouvant faire l’objet d’échanges entre les États membres sur des marchés ouverts à la concurrence.

17

Il y a lieu de relever d’emblée que la Cour n’est pas saisie de la question de la compatibilité avec l’article 107 TFUE de la mise à disposition d’une entreprise privée, par un État membre, d’un terrain pour un prix symbolique.

18

S’agissant de la question posée, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre les États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.

19

Selon une jurisprudence constante de la Cour, la qualification d’«aide», au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions visées à cette disposition soient remplies (arrêt Commission/Deutsche Post, C‑399/08 P, EU:C:2010:481, point 38 et jurisprudence citée).

20

Ainsi, pour qu’une mesure nationale puisse être qualifiée d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État, deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres, troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire et, quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (arrêt Commission/Deutsche Post, EU:C:2010:481, point 39 et jurisprudence citée).

21

Il convient d’examiner, en premier lieu, la troisième de ces conditions, selon laquelle la mesure en cause doit s’analyser comme l’octroi d’un avantage à son bénéficiaire. À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence également constante de la Cour, sont considérées comme des aides d’État les interventions qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises, ou qui doivent être considérées comme un avantage économique que l’entreprise bénéficiaire n’aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché (arrêt Commission/Deutsche Post, EU:C:2010:481, point 40 et jurisprudence citée).

22

Ainsi, sont notamment considérées comme des aides les interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise et qui, de ce fait, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques (arrêt Bouygues et Bouygues Télécom/Commission e.a. et Commission/France e.a., C‑399/10 P et C‑401/10 P, EU:C:2013:175, point 101).

23

Il en découle qu’une mesure par laquelle les autorités publiques accordent à certaines entreprises un traitement fiscal avantageux qui, bien que ne comportant pas un transfert de ressources d’État, place les bénéficiaires dans une situation financière plus favorable que les autres contribuables constitue une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En revanche, des avantages fiscaux résultant d’une mesure générale applicable sans distinction à tous les opérateurs économiques ne constituent pas des aides d’État au sens de l’article 107 TFUE (arrêt P, C‑6/12, EU:C:2013:525, point 18 et jurisprudence citée).

24

En l’occurrence, il ressort du dossier dont dispose la Cour que, d’une part, Navantia est tenue, en vertu de l’accord de 2001, de rembourser à l’État espagnol la taxe foncière due au Concello de Ferrol, conformément aux articles 60 et 61 de la loi de 2004, pour la parcelle dont elle a la disposition et sur laquelle est établi son chantier naval et que, d’autre part, l’exonération fiscale litigieuse, prévue à l’article 62 de la même loi, a pour effet qu’aucun paiement de cette taxe n’est effectué, ni au Concello de Ferrol par l’État espagnol ni, en conséquence, à ce dernier par Navantia.

25

En outre, il est constant que, conformément à l’article 61, paragraphe 1, de la loi de 2004, toute entreprise qui opère sur un terrain privé ou public et qui remplit l’une des conditions énumérées à cette disposition est assujettie à la taxe foncière. À cet égard, le Concello de Ferrol fait valoir que la quasi-totalité des entreprises remplissent l’une de ces conditions et que seul le mécanisme particulier de la cession du droit d’usage, mis en œuvre par l’accord de 2001, permettrait à Navantia d’échapper à la qualification d’assujetti.

26

Par ailleurs, ainsi que le précise le Concello de Ferrol, il ressort de l’article 63, paragraphe 2, de ladite loi que, dans les cas atypiques, tels que celui de l’affaire au principal, dans lesquels l’utilisation d’un terrain n’est pas accompagnée de l’un des droits constituant le fait générateur de la taxe foncière, il existe une obligation légale pour l’État espagnol de répercuter cette taxe sur l’utilisateur du terrain, l’accord de 2001 répondant à cette obligation légale.

27

Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que la taxe foncière constitue un impôt normalement dû par Navantia et que l’exonération dont elle bénéficie a pour effet d’alléger directement, sans qu’aucune autre intervention soit nécessaire, les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise se trouvant dans une situation identique à la sienne. Par conséquent, il apparaît qu’une telle exonération fiscale confère un avantage économique à Navantia.

28

Pour autant que le gouvernement espagnol relève que, aux termes de l’article 62, paragraphe 1, sous a), de la loi de 2004, l’exonération prévue à cette disposition a été instituée non pas au bénéfice d’entreprises telles que Navantia, mais exclusivement au profit de l’État espagnol en tant qu’assujetti à la taxe foncière et que les objectifs poursuivis relèvent de considérations de défense nationale, il importe de rappeler que les motifs qui sous-tendent une mesure d’aide ne suffisent pas à faire échapper d’emblée une telle mesure à la qualification d’«aide», au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, cette disposition ne distinguant pas selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais définissant celles-ci en fonction de leurs effets (arrêts Comitato «Venezia vuole vivere» e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368, point 94, ainsi que Commission/EDF, C‑124/10 P, EU:C:2012:318, point 77 et jurisprudence citée).

29

Or, en l’occurrence, ainsi qu’il ressort des points 24 à 26 du présent arrêt, il apparaît que, en vertu des articles 62, paragraphe 1, sous a), et 63, paragraphe 2, de la loi de 2004 ainsi qu’en application de l’accord de 2001, l’exonération de taxe foncière aurait pour effet d’alléger directement, sans qu’aucune autre intervention soit nécessaire, les charges qui, en l’absence d’une telle exonération, grèveraient le budget de Navantia.

30

Dans la mesure où le gouvernement espagnol fait valoir qu’une telle exonération doit être considérée comme une compensation représentant la contrepartie des prestations effectuées par Navantia pour exécuter des obligations de service public, de sorte que cette mesure ne comporterait pas d’avantage pour cette entreprise, il importe de constater que l’existence d’un lien entre, d’une part, cette exonération et, d’autre part, d’éventuels services d’intérêt public rendus par Navantia ne ressort nullement du dossier dont dispose la Cour.

31

Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que l’exonération de taxe foncière demandée confère un avantage économique à Navantia.

32

Il convient, en outre, de rappeler que l’article 107 TFUE interdit les aides «favorisant certaines entreprises ou certaines productions», c’est-à-dire les aides sélectives (arrêt P, EU:C:2013:525, point 17).

33

Ainsi, si une mesure par laquelle les autorités publiques accordent à certaines entreprises un traitement fiscal avantageux qui, bien que ne comportant pas un transfert de ressources d’État, place les bénéficiaires dans une situation financière plus favorable que celle des autres contribuables constitue une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, il n’en va pas de même s’agissant des avantages résultant d’une mesure générale applicable sans distinction à tous les opérateurs économiques, qui ne constituent pas des aides d’État au sens de la même disposition (arrêt P, EU:C:2013:525, point 18).

34

Il résulte à cet égard d’une jurisprudence constante de la Cour que l’article 107, paragraphe 1, TFUE impose de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, une mesure nationale est de nature à favoriser «certaines entreprises ou certaines productions» par rapport à d’autres, qui se trouveraient, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et juridique comparable (arrêt Portugal/Commission, C‑88/03, EU:C:2006:511, point 54 et jurisprudence citée).

35

Partant, la qualification d’une mesure fiscale nationale de «sélective» suppose, dans un premier temps, l’identification et l’examen préalables du régime fiscal commun ou «normal» applicable dans l’État membre concerné. C’est par rapport à ce régime fiscal commun ou «normal» qu’il convient, dans un second temps, d’apprécier et d’établir l’éventuel caractère sélectif de l’avantage octroyé par la mesure fiscale en cause en démontrant que celle-ci déroge audit système commun, dans la mesure où elle introduit des différenciations entre les opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif assigné au système fiscal de cet État membre, dans une situation factuelle et juridique comparable (arrêt Paint Graphos e.a., C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, point 49).

36

À cet égard, il ressort des éléments dont dispose la Cour, d’une part, que, conformément aux articles 60 à 63 de la loi de 2004, toute possession ou utilisation d’un terrain entraîne, en principe, l’assujettissement à la taxe foncière. Il convient dès lors de considérer que le régime de cette taxe constitue le régime juridique de référence aux fins d’apprécier l’éventuel caractère sélectif de la mesure d’exonération en cause.

37

D’autre part, il a déjà été relevé que, par dérogation à la règle générale énoncée au point précédent, l’utilisation de la parcelle de terrain sur laquelle se trouve le chantier naval de Navantia est, en application de l’exonération litigieuse et en vertu de l’accord de 2001, en tant que celui-ci prévoit la cession à cette entreprise du seul droit d’usage de cette parcelle, exonérée de la taxe foncière.

38

Il importe dès lors de déterminer si une exonération fiscale telle que celle en cause au principal est de nature à favoriser Navantia par rapport à d’autres entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable au regard de l’objectif poursuivi par le régime de la taxe foncière espagnole, c’est-à-dire l’imposition de la possession ou de l’utilisation d’un terrain.

39

À cet égard, il ressort du dossier que l’exonération des biens immeubles de l’État «affectés à la défense nationale», prévue à l’article 62, paragraphe 1, sous a), de la loi de 2004, est susceptible de s’appliquer à l’ensemble des activités d’une entreprise telle que Navantia, sans qu’il y ait lieu de distinguer selon que celles-ci ont un caractère militaire ou civil, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.

40

Partant, il convient de considérer que se trouvent dans une situation factuelle et juridique comparable à celle de Navantia, au regard de l’objectif de l’imposition de la possession ou de l’utilisation d’un terrain, non seulement les entreprises qui possèdent ou utilisent des terrains à des fins relevant partiellement de la défense nationale, mais également celles possédant ou utilisant des terrains à des fins exclusivement civiles.

41

Dès lors, il est évident que, par rapport à ce dernier groupe d’entreprises, Navantia bénéficierait, en ce qui concerne ses activités civiles, d’un avantage fiscal auquel ne peuvent prétendre d’autres sociétés se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable. Partant, il convient de considérer que l’avantage fiscal considéré présenterait a priori un caractère sélectif.

42

Toutefois, il est de jurisprudence constante que la notion d’aide d’État ne vise pas les mesures étatiques introduisant une différenciation entre les entreprises et, partant, a priori sélectives, lorsque cette différenciation résulte de la nature ou de l’économie du système de charges dans lequel elles s’inscrivent, ce qu’il incombe à l’État membre concerné de démontrer (arrêt Portugal/Commission, EU:C:2006:511, points 52 et 80 ainsi que jurisprudence citée).

43

Une mesure portant exception à l’application du système fiscal général peut en effet être justifiée par la nature et l’économie générale du système fiscal si l’État membre concerné peut démontrer que cette mesure résulte directement des principes fondateurs ou directeurs de son système fiscal. À cet égard, une distinction doit être établie entre, d’une part, les objectifs assignés à un régime fiscal particulier et qui lui sont extérieurs et, d’autre part, les mécanismes inhérents au système fiscal lui-même qui sont nécessaires à la réalisation de tels objectifs (arrêt Portugal/Commission, EU:C:2006:511, point 81).

44

En l’occurrence, il ne ressort pas des éléments transmis à la Cour que le gouvernement espagnol a invoqué un quelconque argument de nature à démontrer que l’exonération fiscale demandée résulterait directement des principes fondateurs ou directeurs du système fiscal de cet État membre ni qu’elle serait nécessaire au fonctionnement et à l’efficacité de ce système fiscal. En outre, ainsi que l’a relevé la Commission européenne, une exonération des biens immeubles de l’État affectés à la défense nationale ne semble pas être en rapport direct avec les objectifs de la taxe foncière elle-même. Il incombe cependant à la juridiction de renvoi de vérifier l’existence d’une éventuelle justification à la lumière de l’ensemble des éléments pertinents du litige dont elle est saisie.

45

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de considérer que, en l’occurrence, la troisième condition, relative à l’existence d’un avantage économique au profit du bénéficiaire de la mesure d’exonération sollicitée, est susceptible d’être remplie.

46

En deuxième lieu, s’agissant de la première condition, relative à une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État, il convient de rappeler que seuls les avantages accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État ou constituant une charge supplémentaire pour l’État sont à considérer comme des aides au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En effet, il résulte des termes mêmes de cette disposition et des règles de procédure instaurées à l’article 108 TFUE que les avantages accordés par d’autres moyens que des ressources d’État ne relèvent pas du champ d’application des dispositions en cause (arrêt Bouygues et Bouygues Télécom/Commission e.a. et Commission/France e.a., EU:C:2013:175 point 99 et jurisprudence citée).

47

Par conséquent, il importe de vérifier s’il existe un lien suffisamment direct entre, d’une part, l’avantage accordé au bénéficiaire et, d’autre part, une diminution du budget étatique, voire un risque économique suffisamment concret de charges le grevant (voir, en ce sens, arrêt Bouygues et Bouygues Télécom/Commission e.a. et Commission/France e.a., EU:C:2013:175, point 109).

48

À cet égard, d’une part, il n’est pas contesté que l’exonération fiscale demandée a été instaurée par l’État espagnol et qu’elle constitue donc une intervention de ce dernier. D’autre part, il est constant que l’allègement d’une charge qui devrait normalement grever le budget de Navantia, qui résulterait de cette exonération, aurait pour corollaire une diminution du budget du Concello de Ferrol.

49

Dans ces conditions, la condition relative à une intervention de l’État au moyen de ses ressources pourrait être considérée comme remplie, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.

50

Cette constatation n’est pas infirmée par l’argumentation du gouvernement espagnol par laquelle celui-ci se réfère aux arrêts Streekgewest (C‑174/02, EU:C:2005:10) ainsi que Distribution Casino France e.a. (C‑266/04 à C‑270/04, C‑276/04 et C‑321/04 à C‑325/04, EU:C:2005:657). En effet, cette jurisprudence est dépourvue de pertinence au regard de l’affaire au principal, dès lors qu’elle vise un cas de figure, distinct de celui en cause dans celle-ci, où la taxe fait partie intégrante d’une mesure d’aide et constitue, dès lors, elle-même une aide. En revanche, dans l’affaire au principal, il n’est nullement allégué que la taxe foncière elle-même constitue une mesure d’aide, mais seulement que l’exonération de celle-ci aboutit, dans le cas d’espèce, à conférer une aide au bénéfice de Navantia.

51

En troisième lieu, quant aux deuxième et quatrième conditions relatives à l’incidence sur les échanges entre les États membres et sur la concurrence d’une exonération fiscale telle que celle en cause au principal, il convient de rappeler que, aux fins de la qualification d’une mesure nationale d’aide d’État, il y a lieu non pas d’établir une incidence réelle de l’aide en cause sur les échanges entre les États membres et une distorsion effective de la concurrence, mais seulement d’examiner si cette aide est susceptible d’affecter ces échanges et de fausser la concurrence (arrêt Libert e.a., C‑197/11 et C‑203/11, EU:C:2013:288, point 76 et jurisprudence citée).

52

En particulier, lorsqu’une aide accordée par un État membre renforce la position d’une entreprise par rapport à celle d’autres entreprises concurrentes dans les échanges intracommunautaires, ces derniers doivent être considérés comme influencés par l’aide (arrêt Libert e.a., EU:C:2013:288, point 77 et jurisprudence citée).

53

En l’occurrence, il est constant que le secteur de la construction navale est un marché ouvert à la concurrence et aux échanges entre les États membres, sur lequel Navantia est donc en situation de concurrence avec d’autres entreprises. En outre, ainsi qu’il ressort des indications contenues dans la décision de renvoi, tel est le cas s’agissant non seulement des activités civiles de cette entreprise, mais également en ce qui concerne ses activités dans le secteur militaire.

54

Dans ces conditions, l’exonération fiscale demandée est susceptible d’affecter les échanges entre les États membres et de fausser la concurrence, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de déterminer.

55

Il s’ensuit que les quatre conditions énoncées au point 20 du présent arrêt sont susceptibles d’être remplies en l’occurrence. Il incombe cependant à la juridiction de renvoi de vérifier si, eu égard à l’ensemble des éléments pertinents du litige dont elle est saisie, appréciés à la lumière des éléments d’interprétation fournis par la Cour, ladite exonération fiscale doit être qualifiée d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

56

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’est susceptible de constituer une aide d’État, prohibée au titre de cette disposition, l’exonération de la taxe foncière d’une parcelle de terrain appartenant à l’État et mise à la disposition d’une entreprise dont ce dernier détient la totalité du capital et qui produit, à partir de cette parcelle, des biens et des services pouvant faire l’objet d’échanges entre les États membres sur des marchés ouverts à la concurrence. Il incombe toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier si, eu égard à l’ensemble des éléments pertinents du litige dont elle est saisie, appréciés à la lumière des éléments d’interprétation fournis par la Cour, une telle exonération doit être qualifiée d’aide d’État au sens de cette même disposition.

Sur les dépens

57

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit:

 

L’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’est susceptible de constituer une aide d’État, prohibée au titre de cette disposition, l’exonération de la taxe foncière d’une parcelle de terrain appartenant à l’État et mise à la disposition d’une entreprise dont ce dernier détient la totalité du capital et qui produit, à partir de cette parcelle, des biens et des services pouvant faire l’objet d’échanges entre les États membres sur des marchés ouverts à la concurrence. Il incombe toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier si, eu égard à l’ensemble des éléments pertinents du litige dont elle est saisie, appréciés à la lumière des éléments d’interprétation fournis par la Cour de justice de l’Union européenne, une telle exonération doit être qualifiée d’aide d’État au sens de cette même disposition.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’espagnol.

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