EUR-Lex Access to European Union law

Back to EUR-Lex homepage

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62009CJ0014

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 4 février 2010.
Hava Genc contre Land Berlin.
Demande de décision préjudicielle: Verwaltungsgericht Berlin - Allemagne.
Accord d’association CEE-Turquie - Décision nº 1/80 du conseil d’association - Article 6, paragraphe 1 - Notion de ‘travailleur’ - Exercice d’une activité salariée mineure - Condition de la perte des droits acquis.
Affaire C-14/09.

European Court Reports 2010 I-00931

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2010:57

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

4 février 2010 ( *1 )

«Accord d’association CEE-Turquie — Décision no 1/80 du conseil d’association — Article 6, paragraphe 1 — Notion de ‘travailleur’ — Exercice d’une activité salariée mineure — Condition de la perte des droits acquis»

Dans l’affaire C-14/09,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Verwaltungsgericht Berlin (Allemagne), par décision du 10 décembre 2008, parvenue à la Cour le , dans la procédure

Hava Genc

contre

Land Berlin,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. J. N. Cunha Rodrigues (rapporteur), président de chambre, Mme P. Lindh, MM. A. Rosas, A. Ó Caoimh et A. Arabadjiev, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

pour le gouvernement allemand, par MM. M. Lumma et N. Graf Vitzthum, en qualité d’agents,

pour le gouvernement danois, par MM. J. Liisberg et R. Holdgaard, en qualité d’agents,

pour la Commission des Communautés européennes, par MM. V. Kreuschitz et G. Rozet, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, de la décision no 1/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association CEE-Turquie (ci-après la «décision no 1/80»). Le conseil d’association a été institué par l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, qui a été signé le à Ankara par la République de Turquie, d’une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la Communauté, d’autre part, et qui a été conclu, approuvé et confirmé au nom de cette dernière par la décision 64/732/CEE du Conseil, du (JO 1964, 217, p. 3685, ci-après l’«accord d’association CEE-Turquie»).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Genc, ressortissante turque, au Land Berlin au sujet du refus de la prorogation d’un titre de séjour en Allemagne.

Le cadre juridique

3

L’article 6, paragraphe 1, de la décision no 1/80 est libellé comme suit:

«Sous réserve des dispositions de l’article 7 relatif au libre accès à l’emploi des membres de sa famille, le travailleur turc, appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre:

a droit, dans cet État membre, après un an d’emploi régulier, au renouvellement de son permis de travail auprès du même employeur, s’il dispose d’un emploi;

a le droit, dans cet État membre, après trois ans d’emploi régulier et sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres de la Communauté, de répondre dans la même profession auprès d’un employeur de son choix à une autre offre, faite à des conditions normales, enregistrée auprès des services de l’emploi de cet État membre;

bénéficie, dans cet État membre, après quatre ans d’emploi régulier, du libre accès à toute activité salariée de son choix.»

4

L’article 7 de ladite décision dispose:

«Les membres de la famille d’un travailleur turc appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre, qui ont été autorisés à le rejoindre:

ont le droit de répondre — sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres de la Communauté — à toute offre d’emploi lorsqu’ils y résident régulièrement depuis trois ans au moins;

y bénéficient du libre accès à toute activité salariée de leur choix lorsqu’ils y résident régulièrement depuis cinq ans au moins.

Les enfants des travailleurs turcs ayant accompli une formation professionnelle dans le pays d’accueil pourront, indépendamment de leur durée de résidence dans cet État membre, à condition qu’un des parents ait légalement exercé un emploi dans l’État membre intéressé depuis trois ans au moins, répondre dans ledit État membre à toute offre d’emploi.»

5

L’article 14, paragraphe 1, de la décision no 1/80 énonce:

«Les dispositions de la présente section sont appliquées sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité et de santé publiques.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

6

Mme Genc, née en 1966, est entrée en Allemagne le 7 juillet 2000 avec un visa en vue de rejoindre son époux, ressortissant turc, qui vivait déjà dans cet État membre.

7

Au cours des années suivantes, elle a obtenu un titre de séjour et un permis de travail à durée illimitée. Son époux a d’abord travaillé comme salarié et il a débuté, le 5 mai 2003, une activité professionnelle indépendante.

8

Les époux, qui ont été enregistrés ensemble auprès des services de la population jusqu’au 12 janvier 2004, se sont séparés à une date qui n’est pas connue avec précision. Le , Mme Genc s’est vu octroyer, pour la dernière fois, un titre de séjour d’une durée de deux ans dans le cadre du regroupement familial, sur la base de l’article 30 de la loi relative au séjour des étrangers (Aufenthaltsgesetz), du (BGBl. 2004 I, p. 1950).

9

Mme Genc exerce depuis le 18 juin 2004 une activité professionnelle de technicienne de surface auprès de l’entreprise L. Glas- und Gebäudereinigungsservice GmbH. Selon le contrat de travail, qui a été établi par écrit le , le temps de travail par semaine est de 5,5 heures au tarif horaire de 7,87 euros. Ce contrat prévoit un droit à des congés payés de 28 jours et le maintien du salaire en cas de maladie. Ledit contrat est en outre soumis à la convention collective applicable. Pour cette relation de travail, Mme Genc reçoit un salaire mensuel moyen d’environ 175 euros.

10

Le 7 août 2007, Mme Genc a sollicité une nouvelle prorogation de son titre de séjour. À cette époque, elle continuait de percevoir, outre les revenus de son travail, des prestations sociales au titre du livre II du code de la sécurité sociale allemand (Sozialgesetzbuch II). Ces prestations ont cessé au mois de mai 2008 à la suite d’une demande de Mme Genc.

11

Par décision du 4 février 2008, le Landesamt für Bürger- und Ordnungsangelegenheiten Berlin a refusé de proroger le titre de séjour et a menacé Mme Genc d’expulsion. Selon cette autorité administrative, Mme Genc ne pouvait pas se prévaloir de la décision no 1/80, au motif qu’elle ne remplissait pas les conditions visées à l’article 6 de ladite décision. En effet, étant donné le nombre particulièrement réduit d’heures de travail effectuées pour L. Glas- und Gebäudereinigungsservice GmbH, l’activité professionnelle de Mme Genc ne serait pas susceptible d’être considérée comme un emploi régulier. Elle n’aurait pas non plus acquis des droits au titre de l’article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision no 1/80 puisque son époux, en tant que travailleur indépendant, n’appartenait plus au marché de l’emploi comme salarié depuis le mois de mai 2003. Enfin, aucun intérêt digne de protection ne justifierait que la requérante au principal demeure sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne.

12

Mme Genc a formé, le 22 février 2008, un recours devant le Verwaltungsgericht Berlin à l’encontre de cette décision. Elle a, par ailleurs, introduit une demande de protection juridique provisoire, qui lui a été accordée.

13

Par la suite, Mme Genc a présenté un contrat de travail à durée indéterminée, daté du 30 avril 2008 et valable à compter du , en qualité d’aide de bureau, portant sur 25 heures par semaine pour un salaire mensuel net de 422 euros.

14

Considérant que, dans ces conditions, la solution du litige soulevé devant lui nécessite l’interprétation du droit de l’Union, le Verwaltungsgericht Berlin a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Un ressortissant turc, appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre, accomplissant, de manière durable, en faveur d’une autre personne et sous sa direction des prestations d’une certaine valeur économique pour lesquelles il obtient en contrepartie une rémunération est-il un travailleur au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la décision no 1/80 […], même lorsque le temps consacré à cette activité professionnelle ne constitue qu’environ 14% du nombre d’heures prévues dans la convention collective pour un travailleur travaillant à temps plein (en l’espèce, 5,5 heures de travail par semaine au lieu de 39 heures) et que le seul revenu du travail qu’il en tire n’atteint que 25% du revenu minimal nécessaire en application du droit national de l’État membre en cause pour qu’une personne soit en état de subvenir à ses besoins (en l’espèce 175 euros sur environ 715 euros)?

En cas de réponse affirmative à la première question:

2)

Un ressortissant turc peut-il invoquer le droit à la libre circulation qu’il tire de l’accord d’association CEE-Turquie en tant que travailleur, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la décision no 1/80, même lorsque l’objectif pour lequel il est entré dans l’État membre en cause (en l’espèce le regroupement des époux) a cessé d’exister, qu’aucun autre intérêt digne de protection ne justifie qu’il demeure sur le territoire de l’État membre et que la possibilité de poursuivre une activité professionnelle mineure dans ledit État membre ne saurait être considérée comme constituant un motif suffisant pour justifier que ce ressortissant demeure sur le territoire de cet État membre, en raison notamment du fait que des tentatives sérieuses de s’intégrer de manière stable sur le plan économique sans solliciter le versement de prestations sociales pour assurer ses moyens d’existence font défaut?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

15

Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si un ressortissant turc, qui appartient au marché régulier de l’emploi d’un État membre et qui accomplit, de manière durable, en faveur d’une autre personne et sous sa direction, des prestations en contrepartie desquelles il obtient une rémunération, est un travailleur, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la décision no 1/80, nonobstant le fait que le temps de travail consacré à cette activité professionnelle constitue environ 14% du temps de travail prévu dans la convention collective pour un travailleur travaillant à temps plein et que le salaire qu’il en tire correspond à 25% du revenu minimal nécessaire en application du droit national de l’État membre en cause pour qu’une personne soit en état de subvenir à ses besoins.

16

Conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la décision no 1/80, les ressortissants turcs qui veulent se prévaloir, dans l’État membre d’accueil, des droits prévus par cette disposition doivent remplir trois conditions, à savoir la qualité de travailleur, l’appartenance au marché régulier de l’emploi et l’existence d’un emploi régulier.

17

Une jurisprudence constante a inféré du libellé des articles 12 de l’accord d’association CEE-Turquie et 36 du protocole additionnel, signé le 23 novembre 1970 à Bruxelles, annexé audit accord et conclu, approuvé et confirmé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) no 2760/72 du Conseil, du (JO L 293, p. 1), ainsi que de l’objectif de la décision no 1/80, que les principes admis dans le cadre des articles 48 et 49 du traité CE (devenus, après modification, articles 39 CE et 40 CE) et 50 du traité CE (devenu article 41 CE) doivent être transposés, dans la mesure du possible, aux ressortissants turcs bénéficiant des droits reconnus par ladite décision (voir en ce sens, notamment, arrêts du , Bozkurt, C-434/93, Rec. p. I-1475, points 14, 19 et 20, ainsi que du , Ayaz, C-275/02, Rec. p. I-8765, point 44).

18

Afin de vérifier si la première condition posée à l’article 6, paragraphe 1, de la décision no 1/80 est remplie, il y a lieu, par conséquent, de renvoyer à l’interprétation de la notion de travailleur en droit de l’Union.

19

Ainsi que la Cour l’a itérativement jugé, la notion de «travailleur» au sens de l’article 39 CE revêt une portée autonome au titre du droit de l’Union et ne doit pas être interprétée de manière restrictive. Doit être considérée comme «travailleur» toute personne qui exerce des activités réelles et effectives, à l’exclusion d’activités tellement réduites qu’elles se présentent comme purement marginales et accessoires. La caractéristique de la relation de travail est, selon la jurisprudence de la Cour, la circonstance qu’une personne accomplit pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération (voir, notamment, arrêts du 3 juillet 1986, Lawrie-Blum, 66/85, Rec. p. 2121, points 16 et 17, ainsi que du , Petersen, C-228/07, Rec. p. I-6989, point 45).

20

Ni le niveau limité de ladite rémunération, ni l’origine des ressources pour cette dernière, pas plus que le fait que la personne considérée cherche à compléter la rémunération par d’autres moyens d’existence tels qu’une aide financière prélevée sur les fonds publics de l’État de résidence ne peuvent avoir de conséquences quelconques sur la qualité de «travailleur» au sens du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 3 juin 1986, Kempf, 139/85, Rec. p. 1741, point 14; du , Bettray, 344/87, Rec. p. 1621, point 15, ainsi que du , Mattern et Cikotic, C-10/05, Rec. p. I-3145, point 22).

21

Ayant établi que Mme Genc accomplit des prestations en faveur et sous la direction d’un employeur en contrepartie d’une rémunération, la juridiction de renvoi a de ce fait constaté l’existence des éléments constitutifs de toute relation de travail salariée, à savoir le rapport de subordination et le paiement d’une rémunération en contrepartie des prestations apportées (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2004, Trojani, C-456/02, Rec. p. I-7573, point 22).

22

La juridiction nationale s’interroge néanmoins sur le point de savoir si, compte tenu du nombre particulièrement réduit d’heures de travail effectuées par l’intéressée et de la rémunération perçue par celle-ci, ne couvrant que partiellement les moyens nécessaires à la subsistance, une activité professionnelle mineure telle que celle exercée par Mme Genc serait en mesure de lui procurer le statut de travailleur, au sens de la jurisprudence de la Cour.

23

À cet égard, il importe de rappeler que, dans l’arrêt du 14 décembre 1995, Megner et Scheffel (C-444/93, Rec. p. I-4741), la Cour a été appelée à se prononcer, notamment, sur l’appartenance à la population active, au sens de la directive 79/7/CEE du Conseil, du , relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JO 1979, L 6, p. 24), de deux ressortissantes de l’Union employées en Allemagne comme agents de nettoyage dont l’horaire de travail était de dix heures par semaine et la rémunération n’excédait pas, par mois, un septième de la base mensuelle de référence.

24

Dans ledit arrêt, la Cour a rejeté l’argument du gouvernement allemand selon lequel les personnes ayant un emploi mineur ne font pas partie de la population active parce que le faible revenu qu’elles tirent d’un tel emploi ne leur permet pas de subvenir à leurs besoins (arrêt Megner et Scheffel, précité, points 17 et 18).

25

La Cour a dit pour droit que le fait que le revenu du travailleur ne couvre pas tous ses besoins ne saurait lui enlever la qualité de personne active et qu’une activité salariée dont les revenus sont inférieurs au minimum d’existence ou dont la durée normale de travail n’excède même pas dix heures par semaine n’empêchait pas de considérer la personne qui l’exerce comme travailleur au sens de l’article 39 CE (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2007, Geven, C-213/05, Rec. p. I-6347, point 27, ainsi que Megner et Scheffel, précité, point 18).

26

S’il est vrai que la circonstance qu’une personne n’effectue qu’un nombre très réduit d’heures dans le cadre d’une relation de travail peut être un élément indiquant que les activités exercées ne sont que marginales et accessoires (arrêt du 26 février 1992, Raulin, C-357/89, Rec. p. I-1027, point 14), il n’en demeure pas moins que, indépendamment du niveau limité de la rémunération tirée d’une activité professionnelle et du nombre d’heures consacrées à celle-ci, il ne peut pas être exclu que cette activité, à la suite d’une appréciation globale de la relation de travail en cause, ne puisse être considérée par les autorités nationales comme réelle et effective, permettant, ainsi, d’attribuer à son titulaire la qualité de «travailleur» au sens de l’article 39 CE.

27

L’appréciation globale de la relation de travail de Mme Genc implique la prise en compte des éléments relatifs non seulement à la durée du travail et au niveau de la rémunération, mais aussi au droit à des congés payés de 28 jours, au maintien du salaire en cas de maladie, à la soumission du contrat de travail à la convention collective applicable, ainsi qu’au fait que sa relation contractuelle avec la même entreprise s’est prolongée pendant presque quatre années.

28

Ces derniers éléments sont susceptibles de constituer un indice du caractère réel et effectif de l’activité professionnelle en question.

29

La juridiction nationale relève toutefois que la jurisprudence de la Cour dans le domaine de l’interprétation de la notion de travailleur ne contient pas de seuil déterminé en fonction du temps de travail et du niveau de la rémunération, en deçà duquel une activité devrait être considérée comme marginale et accessoire, et que cela contribuerait au manque de précision de la notion d’activité marginale et accessoire.

30

À cet égard, il y a lieu de rappeler que la procédure de renvoi préjudiciel prévue à l’article 234 CE établit une coopération étroite entre les juridictions nationales et la Cour, fondée sur une répartition de fonctions entre elles, et constitue un instrument grâce auquel la Cour fournit aux juridictions nationales les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher (arrêts du 7 novembre 2002, Lohmann et Medi Bayreuth, C-260/00 à C-263/00, Rec. p. I-10045, point 27, ainsi que du , Omni Metal Service, C-259/05, Rec. p. I-4945, point 16).

31

L’une des caractéristiques essentielles du système de coopération judiciaire établi par l’article 234 CE implique que la Cour réponde en des termes plutôt abstraits et généraux à une question d’interprétation du droit de l’Union qui lui est posée, tandis qu’il appartient à la juridiction de renvoi de trancher le litige dont elle est saisie en tenant compte de la réponse de la Cour (arrêt du 15 novembre 2007, International Mail Spain, C-162/06, Rec. p. I-9911, point 24).

32

L’analyse des conséquences que l’ensemble des éléments qui caractérisent une relation de travail, notamment ceux énoncés au point 27 du présent arrêt, peut avoir dans la constatation du caractère réel et effectif de l’activité salariée exercée par Mme Genc et, partant, dans sa qualité de travailleur relève de la compétence de la juridiction nationale. En effet, celle-ci est la seule à avoir une connaissance directe des faits au principal et, de ce fait, la mieux placée pour procéder aux vérifications nécessaires.

33

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question qu’une personne se trouvant dans une situation telle que celle de la requérante au principal est un travailleur, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la décision no 1/80, pour autant que l’activité salariée en cause présente un caractère réel et effectif. Il appartient à la juridiction de renvoi de procéder aux vérifications de fait nécessaires afin d’apprécier si tel est le cas dans l’affaire dont elle est saisie.

Sur la seconde question

34

Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si un travailleur turc, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la décision no 1/80, peut invoquer le droit à la libre circulation qu’il tire de l’accord d’association CEE-Turquie, alors même que l’objectif pour lequel il est entré dans l’État membre d’accueil a cessé d’exister, qu’aucun autre intérêt digne de protection ne justifie qu’il demeure sur le territoire de cet État et que la possibilité d’y poursuivre une activité professionnelle mineure ne saurait être considérée comme constituant un motif suffisant pour justifier que ce ressortissant demeure sur le territoire dudit État.

35

À titre liminaire, il importe d’observer que, ayant formulé la seconde question en se référant à «un travailleur turc, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la décision no 1/80», la juridiction de renvoi a fondé ladite question sur la prémisse que, en l’espèce, Mme Genc remplit les conditions posées par cette disposition, à savoir que, outre la qualité de travailleur, elle appartient au marché régulier de l’emploi et dispose d’un emploi régulier.

36

Selon une jurisprudence bien établie, il résulte tant de la primauté du droit de l’Union par rapport au droit interne des États membres que de l’effet direct d’une disposition telle que l’article 6 de la décision no 1/80 qu’un État membre n’est pas autorisé à modifier unilatéralement la portée du système d’intégration progressive des ressortissants turcs dans le marché de l’emploi de l’État membre d’accueil (voir, notamment, arrêts du 26 novembre 1998, Birden, C-1/97, Rec. p. I-7747, point 37, et du , Kurz, C-188/00, Rec. p. I-10691, point 66).

37

Les États membres ne sauraient donc appliquer une mesure relative au séjour sur leur territoire d’un ressortissant turc de nature à entraver l’exercice des droits expressément conférés par le droit de l’Union à un tel ressortissant.

38

Dès lors que le ressortissant turc remplit les conditions posées par une disposition de la décision no 1/80 et, de ce fait, est déjà régulièrement intégré à un État membre, celui-ci ne dispose plus de la faculté de restreindre l’application de ces droits, sous peine de priver ladite décision de son effet utile (voir, notamment, arrêts précités Birden, point 37, et Kurz, point 68).

39

Plus particulièrement, l’exercice des droits que les ressortissants turcs tirent de la décision no 1/80 n’est subordonné à aucune condition relative au motif pour lequel un droit d’entrée et de séjour leur a été initialement accordé dans l’État membre d’accueil (voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 1992, Kus, C-237/91, Rec. p. I-6781, points 21 et 22, ainsi que du , Payir e.a., C-294/06, Rec. p. I-203, point 40).

40

Dans ces conditions, l’article 6 de la décision no 1/80 ne fait pas dépendre la reconnaissance du droit d’accès au marché de l’emploi de l’État membre d’accueil et, corrélativement, le droit de séjour dans cet État d’un travailleur turc des circonstances dans lesquelles le droit d’entrée et de séjour y a été obtenu par ce dernier.

41

La juridiction nationale indique en outre qu’aucun intérêt digne de protection pas plus que la possibilité de poursuivre une activité économique mineure ne justifieraient la prolongation du séjour de Mme Genc en Allemagne.

42

Il suffit de rappeler à cet égard que les limites aux droits que la décision no 1/80 reconnaît aux ressortissants turcs qui remplissent les conditions énoncées à ladite décision ne peuvent être que de deux ordres: soit le fait que la présence du migrant turc sur le territoire de l’État membre d’accueil constitue, en raison de son comportement personnel, un danger réel et grave pour l’ordre public, la sécurité ou la santé publiques, au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la même décision, soit la circonstance que l’intéressé a quitté le territoire de cet État pendant une période significative et sans motifs légitimes (voir, en ce sens, arrêt du 25 septembre 2008, Er, C-453/07, Rec. p. I-7299, point 30).

43

Le caractère exhaustif des limites énoncées au point précédent serait mis en cause si les autorités nationales étaient en mesure de soumettre le droit de séjour de l’intéressé à des conditions supplémentaires relatives à l’existence d’intérêts susceptibles de justifier le séjour ou à la nature de l’emploi (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2008, Altun, C-337/07, Rec. p. I-10323, point 63)

44

Au regard de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la seconde question qu’un travailleur turc, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la décision no 1/80, peut invoquer le droit à la libre circulation qu’il tire de l’accord d’association CEE-Turquie, alors même que l’objectif pour lequel il est entré dans l’État membre d’accueil a cessé d’exister. Dès lors qu’un tel travailleur remplit les conditions énoncées audit article 6, paragraphe 1, son droit de séjour dans l’État membre d’accueil ne peut pas être soumis à des conditions supplémentaires relatives à l’existence d’intérêts susceptibles de justifier le séjour ou à la nature de l’emploi.

Sur les dépens

45

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

 

1)

Une personne se trouvant dans une situation telle que celle de la requérante au principal est un travailleur, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la décision no 1/80, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association, adoptée par le conseil d’association institué par l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, pour autant que l’activité salariée en cause présente un caractère réel et effectif. Il appartient à la juridiction de renvoi de procéder aux vérifications de fait nécessaires afin d’apprécier si tel est le cas dans l’affaire dont elle est saisie.

 

2)

Un travailleur turc, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la décision no 1/80, peut invoquer le droit à la libre circulation qu’il tire de l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, alors même que l’objectif pour lequel il est entré dans l’État membre d’accueil a cessé d’exister. Dès lors qu’un tel travailleur remplit les conditions énoncées audit article 6, paragraphe 1, son droit de séjour dans l’État membre d’accueil ne peut pas être soumis à des conditions supplémentaires relatives à l’existence d’intérêts susceptibles de justifier le séjour ou à la nature de l’emploi.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’allemand.

Top