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Document 62000CJ0271

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 14 novembre 2002.
Gemeente Steenbergen contre Luc Baten.
Demande de décision préjudicielle: Hof van Beroep te Antwerpen - Belgique.
Convention de Bruxelles - Champ d'application - Action récursoire sur la base d'une législation nationale prévoyant le versement d'allocations à titre d'aide sociale - Notion de 'matière civile' - Notion de 'sécurité sociale'.
Affaire C-271/00.

European Court Reports 2002 I-10489

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2002:656

62000J0271

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 14 novembre 2002. - Gemeente Steenbergen contre Luc Baten. - Demande de décision préjudicielle: Hof van Beroep te Antwerpen - Belgique. - Convention de Bruxelles - Champ d'application - Action récursoire sur la base d'une législation nationale prévoyant le versement d'allocations à titre d'aide sociale - Notion de 'matière civile' - Notion de 'sécurité sociale'. - Affaire C-271/00.

Recueil de jurisprudence 2002 page I-10489


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


1. Convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions - Champ d'application - Matière civile et commerciale - Notion de «matière civile» - Action récursoire intentée par un organisme public et visant le recouvrement auprès d'une personne de droit privé de sommes versées à titre d'aide sociale au conjoint divorcé et à l'enfant de cette personne - Inclusion - Exception - Action fondée sur des dispositions conférant à l'organisme public une prérogative propre

(Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, art. 1er, al. 1)

2. Convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions - Champ d'application - Matières exclues - Sécurité sociale - Notion - Définition par référence au règlement nº 1408/71

(Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, art. 1er, al. 2, point 3; règlement du Conseil n° 1408/71)

3. Convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions - Champ d'application - Matières exclues - Sécurité sociale - Notion - Action récursoire intentée par un organisme public et visant le recouvrement auprès d'une personne de droit privé de sommes versées à titre d'aide sociale au conjoint divorcé et à l'enfant de cette personne - Exclusion de la notion

(Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, art. 1er, al. 2, point 3; règlement du Conseil n° 1408/71)

Sommaire


1. L'article 1er, premier alinéa, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique, doit être interprété en ce sens que la notion de «matière civile» englobe une action récursoire par laquelle un organisme public poursuit auprès d'une personne de droit privé le recouvrement de sommes qu'il a versées à titre d'aide sociale au conjoint divorcé et à l'enfant de cette personne, pour autant que le fondement et les modalités d'exercice de cette action sont régis par les règles du droit commun en matière d'obligation alimentaire.

En effet, dans un tel cas, la situation juridique de l'organisme public face au débiteur d'aliments est comparable à celle d'un particulier qui, ayant payé à quelque titre que ce soit la dette d'autrui, se trouve subrogé dans les droits du créancier initial ou à la situation de celui qui, ayant subi un dommage du fait d'un acte ou d'une omission imputable à un tiers, en demande réparation à ce dernier.

En revanche, dès lors que l'action récursoire est fondée sur des dispositions par lesquelles le législateur a conféré à l'organisme public une prérogative propre, ladite action ne peut pas être considérée comme relevant de la «matière civile». Tel serait le cas lorsque les dispositions en cause permettent à l'organisme public d'ignorer une convention légalement conclue entre des époux ou des anciens époux, qui produirait des effets obligatoires entre eux et serait opposable aux tiers, et placent ainsi l'organisme public dans une situation juridique dérogatoire au droit commun. Il en serait a fortiori de même lorsque ces dispositions permettent à l'organisme public d'ignorer une convention homologuée par une décision de justice et bénéficiant de la force de chose jugée attachée à cette dernière.

( voir points 34, 36-37, disp. 1 )

2. Le contenu de la notion de «sécurité sociale», au sens de l'article 1er, second alinéa, point 3, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique, englobe le champ d'application matériel du règlement n° 1408/71, tel qu'il est défini à son article 4 et qu'il a été précisé par la jurisprudence de la Cour.

( voir point 45 )

3. L'article 1er, second alinéa, point 3, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique, doit être interprété en ce sens que la notion de «sécurité sociale» n'englobe pas l'action récursoire par laquelle un organisme public poursuit, selon les règles du droit commun, auprès d'une personne de droit privé le recouvrement de sommes qu'il a versées à titre d'aide sociale au conjoint divorcé et à l'enfant de cette personne.

En effet, une telle action, introduite à l'encontre d'un tiers, personne de droit privé prise en sa qualité de débiteur alimentaire des personnes assistées, n'a pas pour objet les conditions d'octroi des prestations en cause, mais la récupération des sommes versées à ce titre, de sorte qu'elle n'a pas trait à l'application du règlement n° 1408/71.

( voir points 46-47, 49, disp. 2 )

Parties


Dans l'affaire C-271/00,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, par le Hof van Beroep te Antwerpen (Belgique) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Gemeente Steenbergen

et

Luc Baten,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 1er de la convention du 27 septembre 1968, précitée (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et - texte modifié - p. 77) et par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1),

LA COUR (cinquième chambre),

composée de MM. C. W. A. Timmermans, président de la quatrième chambre, faisant fonction de président de la cinquième chambre, D. A. O. Edward, A. La Pergola, P. Jann (rapporteur) et S. von Bahr, juges,

avocat général: M. A. Tizzano,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

- pour la Gemeente Steenbergen, par Me J. Jespers, advocaat,

- pour M. Baten, par Me J. de Meester, avocat,

- pour le gouvernement néerlandais, par M. V. J. M. Koningsberger, en qualité d'agent,

- pour le gouvernement autrichien, par M. H. Dossi, en qualité d'agent,

- pour le gouvernement suédois, par M. A. Kruse, en qualité d'agent,

- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. J. E. Collins, en qualité d'agent, assisté de M. K. Beal, barrister,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. J. L. Iglesias Buhigues et Mme W. Neirinck, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par M. J. E. Collins, assisté de M. K. Beal, et de la Commission, représentée par Mme A.-M. Rouchaud et M. H. M. H. Speyart, en qualité d'agents, à l'audience du 15 novembre 2001,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 18 avril 2002,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par ordonnance du 27 juin 2000, parvenue à la Cour le 5 juillet suivant, le Hof van Beroep te Antwerpen a posé, en application du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, deux questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 1er de cette convention (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et - texte modifié - p. 77) et par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1, ci-après la «convention de Bruxelles»).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige ayant pour objet une action récursoire intentée par la Gemeente Steenbergen, collectivité locale néerlandaise, à l'encontre de M. Baten, domicilié en Belgique, en vue de recouvrer des sommes d'argent versées par ladite collectivité, à titre d'aide sociale, à l'épouse divorcée et à l'enfant de M. Baten.

Le cadre juridique

La convention de Bruxelles

3 Le champ d'application de la convention de Bruxelles est défini à son article 1er. Celui-ci dispose:

«La présente convention s'applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Elle ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives.

Sont exclus de son application:

[...]

3) la sécurité sociale;

[...]»

4 En vertu de l'article 26 de la convention de Bruxelles, les décisions rendues dans un État contractant sont automatiquement reconnues dans les autres États contractants, sans qu'il soit nécessaire de recourir à aucune procédure.

5 L'article 27 de la convention de Bruxelles prévoit toutefois, de manière limitative, les cas dans lesquels cette reconnaissance est refusée. Il est libellé comme suit:

«Les décisions ne sont pas reconnues:

[...]

3) si la décision est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l'État requis;

[...]»

6 Aux termes de son article 55, la convention de Bruxelles remplace entre les États qui y sont parties un certain nombre de conventions qu'il énumère. Parmi celles-ci figure «la convention entre la Belgique et les Pays-Bas sur la compétence judiciaire territoriale, sur la faillite, ainsi que sur l'autorité et l'exécution des décisions judiciaires, des sentences arbitrales et des actes authentiques, signée à Bruxelles le 28 mars 1925» (ci-après la «convention belgo-néerlandaise de 1925»).

7 Conformément à l'article 56 de la convention de Bruxelles, les conventions mentionnées à l'article 55 de celle-ci continuent à produire leurs effets dans les matières auxquelles la convention de Bruxelles n'est pas applicable.

La réglementation néerlandaise

8 L'Algemene Bijstandswet (loi générale sur l'aide sociale, Staatsblad 1995, n° 199, p. 1, ci-après l'«ABW») institue un régime d'aide sociale en faveur des personnes résidant aux Pays-Bas qui se trouvent sans ressources.

9 L'aide générale («algemene bijstand») consiste en une contribution mensuelle, liée au salaire minimal légal, qui vise à permettre au bénéficiaire de faire face aux dépenses indispensables de l'existence. L'aide est accordée par la commune sur le territoire de laquelle réside la personne concernée.

10 L'article 93 de l'ABW dispose:

«Les coûts de l'aide sont récupérés, dans la limite de l'étendue de l'obligation d'entretien conformément au livre premier du code civil:

a) à la charge de celui qui, en l'absence de vie commune, ne respecte pas ou ne respecte pas à due concurrence son obligation d'entretien à l'égard de son conjoint ou d'un enfant mineur [...];

b) à la charge de la personne qui ne respecte pas ou ne respecte pas à due concurrence son obligation d'entretien après un divorce [...];

c) [...]»

11 L'article 94 de l'ABW prévoit:

«Une convention par laquelle des époux ou des anciens époux stipulent que, après le divorce [...], ils ne seront nullement tenus mutuellement d'une obligation d'entretien ou que cette obligation sera limitée à un montant déterminé [...] n'empêche pas la récupération auprès de l'une des parties et ne préjuge pas de la détermination de la somme devant faire l'objet d'une récupération.»

12 Si la personne à l'encontre de laquelle la commune décide de procéder à une récupération n'est pas disposée à payer spontanément, cette dernière peut engager une action récursoire, conformément aux articles 102 et suivants de l'ABW. Cette action obéit aux règles de la procédure civile.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

13 Le mariage de M. Baten et de Mme Kil a été dissous par un jugement de divorce par consentement mutuel, prononcé le 14 mai 1987 par une juridiction belge. Dans la convention préalable au divorce, conclue le 25 mars 1986 devant un notaire établi en Belgique, les époux étaient convenus qu'aucune pension alimentaire ne serait due pour eux-mêmes et que M. Baten verserait 3 000 BEF par mois à titre de contribution à l'entretien de l'enfant mineure issue du mariage.

14 Mme Kil et son enfant se sont installées sur le territoire de la commune de Steenbergen (Pays-Bas). Celle-ci leur a octroyé, au titre de l'ABW, une allocation d'aide sociale.

15 La commune de Steenbergen a par la suite réclamé à M. Baten, sur le fondement des articles 93 et suivants de l'ABW, le remboursement des sommes ainsi versées. M. Baten n'ayant pas déféré à cette réclamation, la commune de Steenbergen a intenté une action récursoire à l'encontre de ce dernier, sur le fondement de l'article 102 de l'ABW, devant l'Arrondissementsrechtbank te Breda (Pays-Bas).

16 Par ordonnance du 22 juillet 1996, l'Arrondissementsrechtbank te Breda a condamné M. Baten à verser à la commune de Steenbergen les sommes octroyées à Mme Kil et à son enfant à titre d'aide sociale.

17 Par ordonnance du 11 février 1998, le président du Rechtbank van eerste aanleg te Turnhout (Belgique) a accordé l'exequatur de l'ordonnance du 22 juillet 1996.

18 M. Baten a formé un recours contre cette ordonnance. Par jugements des 17 mars et 23 juin 1999, le Rechtbank van eerste aanleg te Turnhout a déclaré ce recours fondé et jugé que l'exécution de la décision rendue le 22 juillet 1996 par l'Arrondissementsrechtbank te Breda n'était pas possible «en raison de l'incompatibilité de ladite décision avec le jugement de divorce par consentement mutuel du 14 mai 1987 qui, implicitement, inclut et confirme l'acte authentique passé devant [...] notaire le 25 mars 1986».

19 La commune de Steenbergen a interjeté appel de ces deux jugements devant le Hof van Beroep te Antwerpen. Elle fait valoir que, s'agissant d'un litige en matière de sécurité sociale, celui-ci ne relève pas du champ d'application de la convention de Bruxelles, mais de celui de la convention belgo-néerlandaise de 1925.

20 Dans ces conditions, le Hof van Beroep te Antwerpen a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les deux questions préjudicielles suivantes:

«1) Une procédure judiciaire relative à une action récursoire se fondant sur l'Algemene Bijstandswet néerlandaise, engagée par une commune disposant d'un droit de recours à l'encontre d'une personne tenue au versement d'aliments, au sens de l'article 93 de ladite loi, est-elle une procédure en matière civile au sens de l'article 1er, premier alinéa, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, et une décision de justice rendue dans le cadre de la procédure concernée relève-t-elle, à ce titre, du champ d'application de cette convention?

2) Une procédure judiciaire relative à une action récursoire se fondant sur l'Algemene Bijstandswet néerlandaise, engagée par une commune disposant du droit de recours à l'encontre d'un débiteur d'aliments, au sens de l'article 93 de ladite loi, est-elle une procédure en matière de sécurité sociale au sens de l'article 1er, second alinéa, point 3, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, et une décision de justice rendue dans le cadre de la procédure concernée échappe-t-elle, pour ce motif, au champ d'application de cette convention?»

Sur la première question

21 Par cette question, la juridiction de renvoi demande en substance si la notion de «matière civile», au sens de l'article 1er, premier alinéa, de la convention de Bruxelles, englobe une action récursoire par laquelle un organisme public poursuit auprès d'une personne de droit privé le recouvrement de sommes qu'il a versées à titre d'aide sociale au conjoint divorcé et à l'enfant de cette personne.

Observations soumises à la Cour

22 Les parties au principal, les États membres et la Commission, dans les observations qu'ils ont soumises à la Cour, s'accordent à reconnaître que la notion de «matière civile» au sens de l'article 1er de la convention de Bruxelles doit être définie de manière autonome. De même, ils s'accordent à souligner que les litiges opposant l'administration publique à un particulier peuvent entrer dans le champ d'application de la convention de Bruxelles, pour autant que ladite administration n'a pas agi dans l'exercice de la puissance publique.

23 Toutefois, lesdites observations divergent quant à l'application de ces principes au litige au principal.

24 La commune de Steenbergen et le gouvernement du Royaume-Uni soutiennent qu'une autorité publique qui introduit une action à l'encontre d'un particulier en vue de récupérer des sommes qu'elle a versées à titre d'aide sociale agit dans l'exercice de la puissance publique.

25 La Commission a également soutenu cette position au cours de la procédure écrite, en s'appuyant sur le fait que, dans le cadre de l'ABW, la commune qui accorde l'aide sociale disposerait d'un large pouvoir d'appréciation à la fois quant à la détermination des ayants droit et du montant alloué et quant à la décision de récupérer ou non ce montant. Lors de la procédure orale, elle a cependant modifié son analyse en se fondant sur une lecture différente de l'ABW. Celle-ci imposerait à la commune de procéder à la récupération dès lors qu'il existerait un débiteur légal d'aliments, l'action récursoire ne pouvant toutefois être exercée que dans les limites de l'obligation alimentaire non exécutée par ledit débiteur. La commune ferait ainsi valoir un droit de nature civile.

26 Les gouvernements autrichien et suédois considèrent également que l'action récursoire en question est liée à une créance alimentaire de droit civil, en l'occurrence celle que détiennent Mme Kil et sa fille à l'encontre de M. Baten. Le fait que cette créance ait été transférée à une autorité publique n'en aurait pas changé la nature.

27 Le gouvernement néerlandais considère, lui aussi, que l'action en cause au principal est une action en matière civile. Il préfère néanmoins l'analyser comme une action en réparation du préjudice causé à la commune concernée en raison du fait qu'elle a dû verser une allocation d'aide sociale à un créancier d'aliments laissé sans ressources.

Appréciation de la Cour

28 Selon une jurisprudence constante, l'article 1er de la convention de Bruxelles servant à indiquer le champ d'application de cette dernière, il importe - en vue d'assurer, dans la mesure du possible, l'égalité et l'uniformité des droits et obligations qui découlent de celle-ci pour les États contractants et les personnes intéressées - de ne pas interpréter les termes de cette disposition comme un simple renvoi au droit interne de l'un ou de l'autre des États concernés. Il y a donc lieu de considérer la notion visée comme une notion autonome qu'il faut interpréter en se référant, d'une part, aux objectifs et au système de la convention et, d'autre part, aux principes généraux qui se dégagent de l'ensemble des systèmes de droit nationaux (arrêts du 14 octobre 1976, LTU, 29/76, Rec. p. 1541, point 3; du 22 février 1979, Gourdain, 133/78, Rec. p. 733, point 3; du 16 décembre 1980, Rüffer, 814/79, Rec. p. 3807, point 7, et du 21 avril 1993, Sonntag, C-172/91, Rec. p. I-1963, point 18).

29 La Cour a précisé que cette interprétation conduit à exclure certaines décisions juridictionnelles du champ d'application de la convention de Bruxelles en raison des éléments qui caractérisent la nature des rapports juridiques entre les parties au litige ou l'objet de celui-ci (arrêt LTU, précité, point 4).

30 La Cour a ainsi considéré que, si certaines décisions rendues dans des litiges opposant une autorité publique à une personne de droit privé peuvent entrer dans le champ d'application de la convention de Bruxelles, il en est autrement lorsque l'autorité publique agit dans l'exercice de la puissance publique (arrêts précités LTU, point 4, et Rüffer, point 8).

31 Afin de déterminer si tel est le cas dans un litige comme celui au principal, dans lequel un organisme public poursuit auprès d'une personne de droit privé le recouvrement de sommes qu'il a versées à titre d'aide sociale au conjoint divorcé et à l'enfant de cette personne, il y a donc lieu d'examiner le fondement et les modalités d'exercice de cette action.

32 À cet égard, l'article 93 de l'ABW indique que les coûts de l'aide sociale sont récupérés dans la limite de l'obligation d'entretien conformément au livre premier du code civil néerlandais. C'est donc sur la base des règles de droit civil que sont déterminés les cas dans lesquels l'organisme public peut exercer une action récursoire, à savoir lorsqu'il existe un débiteur légal d'aliments. C'est sur la base de ces mêmes règles qu'est identifiée la personne à l'encontre de laquelle l'organisme public peut agir, à savoir ledit débiteur légal d'aliments, et que sont fixées les limites des montants que l'organisme peut récupérer, ces limites étant celles de l'obligation légale alimentaire elle-même.

33 S'agissant des modalités selon lesquelles peut être exercée l'action récursoire, l'article 103 de l'ABW précise que cette action doit être portée devant les juridictions civiles et qu'elle obéit aux règles de la procédure civile.

34 Dès lors, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 36 de ses conclusions, la situation juridique de l'organisme public face au débiteur d'aliments est comparable à celle d'un particulier qui, ayant payé à quelque titre que ce soit la dette d'autrui, se trouve subrogé dans les droits du créancier initial ou à la situation de celui qui, ayant subi un dommage du fait d'un acte ou d'une omission imputable à un tiers, en demande réparation à ce dernier.

35 Cette constatation appelle toutefois une réserve, liée à l'article 94 de l'ABW, selon lequel une convention conclue entre des époux ou des anciens époux aux fins d'exclure ou de limiter leurs obligations alimentaires après leur divorce n'empêche pas la récupération auprès de l'une des parties et ne préjuge pas des montants devant faire l'objet d'une récupération.

36 En effet, pour autant que cette disposition permet à l'organisme public d'ignorer, le cas échéant, une convention légalement conclue entre des époux ou des anciens époux, qui produirait des effets obligatoires entre eux et serait opposable aux tiers, elle place l'organisme public dans une situation juridique dérogatoire au droit commun. Il en est a fortiori de même pour autant qu'elle lui permet d'ignorer une convention homologuée par une décision de justice et bénéficiant de la force de chose jugée attachée à cette dernière. Dans de telles hypothèses, l'organisme public n'agit plus en vertu des règles du droit civil mais en vertu d'une prérogative propre, qui lui a été spécifiquement conférée par le législateur.

37 À la lumière des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l'article 1er, premier alinéa, de la convention de Bruxelles doit être interprété en ce sens que la notion de «matière civile» englobe une action récursoire par laquelle un organisme public poursuit auprès d'une personne de droit privé le recouvrement de sommes qu'il a versées à titre d'aide sociale au conjoint divorcé et à l'enfant de cette personne, pour autant que le fondement et les modalités d'exercice de cette action sont régis par les règles du droit commun en matière d'obligation alimentaire. Dès lors que l'action récursoire est fondée sur des dispositions par lesquelles le législateur a conféré à l'organisme public une prérogative propre, ladite action ne peut pas être considérée comme relevant de la «matière civile».

Sur la seconde question

38 Par cette question, la juridiction de renvoi demande en substance si la notion de «sécurité sociale», au sens de l'article 1er, second alinéa, point 3, de la convention de Bruxelles, englobe une action récursoire par laquelle un organisme public poursuit auprès d'une personne de droit privé le recouvrement de sommes qu'il a versées à titre d'aide sociale au conjoint divorcé et à l'enfant de cette personne.

Observations soumises à la Cour

39 Les gouvernements néerlandais, autrichien et du Royaume-Uni, ainsi que la Commission, relèvent que la convention de Bruxelles ne définit pas la notion de «sécurité sociale» et proposent de se référer à cet égard à l'article 4 du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1, ci-après le «règlement n° 1408/71»).

40 Lesdits gouvernements, de même que la Commission, font valoir cependant que l'exclusion du contentieux de la sécurité sociale du champ d'application de la convention de Bruxelles doit être entendue strictement. Elle ne concernerait que les litiges entre les institutions et les bénéficiaires de prestations et ne s'étendrait pas aux recours exercés par une institution contre un tiers.

Appréciation de la Cour

41 À titre liminaire, il convient de relever qu'il n'y a lieu de répondre à la présente question que dans l'hypothèse où l'organisme public agit selon les normes du droit commun et lorsque la décision rendue sur l'action récursoire qu'il a intentée peut être considérée comme une décision en «matière civile» au sens de l'article 1er, premier alinéa, de la convention de Bruxelles.

42 La notion de «sécurité sociale» servant à indiquer le champ d'application de la convention de Bruxelles, il y a lieu, ainsi que la Cour l'a rappelé au point 28 du présent arrêt, de la considérer comme une notion autonome qu'il faut interpréter en se référant aux objectifs et au système de cette convention.

43 Compte tenu du lien existant entre la convention de Bruxelles et le droit communautaire (voir arrêts du 10 février 1994, Mund & Fester, C-398/92, Rec. p. I-467, point 12, et du 28 mars 2000, Krombach, C-7/98, Rec. p. I-1935, point 24), il convient de prendre en considération le contenu que revêt cette notion en droit communautaire.

44 En arrêtant, sur la base de l'article 51 du traité CEE (devenu article 51 du traité CE, lui-même devenu, après modification, article 42 CE), le règlement n° 1408/71, le législateur communautaire a fixé des règles de coordination des législations nationales en matière de sécurité sociale. Ainsi que l'a relevé M. l'avocat général aux points 46 et 47 de ses conclusions, ces règles instituent un régime dans lequel, en principe, à la compétence législative exclusive d'un État membre correspond la compétence des autorités administratives et juridictionnelles du même État. Il en résulte que la protection effective des situations juridiques est assurée par la désignation d'un système national compétent dans son intégralité et n'exige pas que soit assurée la reconnaissance des décisions relatives à ladite matière.

45 Il y a donc lieu de considérer que le contenu de la notion de «sécurité sociale», au sens de l'article 1er, second alinéa, de la convention de Bruxelles, englobe le champ d'application matériel du règlement n° 1408/71, tel qu'il est défini à son article 4 et qu'il a été précisé par la jurisprudence de la Cour.

46 Or, indépendamment de la qualification qu'il convient de donner au regard de l'article 4 du règlement n° 1408/71 à des prestations versées, à titre d'aide sociale, par un organisme public à des personnes sans ressources, l'action récursoire introduite par ce dernier à l'encontre d'un tiers, personne de droit privé prise en sa qualité de débiteur alimentaire des personnes assistées, n'a pas pour objet les conditions d'octroi des prestations en cause, mais la récupération des sommes versées à ce titre.

47 Il s'ensuit que, en tout état de cause, l'objet du litige n'a pas trait à l'application du règlement n° 1408/71.

48 Cette interprétation est corroborée tant par le rapport sur la convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, présenté par M. Jenard (JO 1979, C 59, p. 1, 12 et 13), que par le rapport sur la convention relative à l'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord à la convention de Bruxelles, présenté par M. Schlosser (JO 1979, C 59, p. 71, point 60). En effet, selon ces rapports, l'exclusion de la sécurité sociale du champ d'application de la convention de Bruxelles ne concerne que le contentieux de cette matière, à savoir les différends issus des rapports entre l'administration et les employeurs ou employés. Lesdits rapports ajoutent que la convention de Bruxelles est applicable lorsque l'administration fait valoir un droit de recours direct contre un tiers responsable du dommage ou est subrogée envers ce tiers dans les droits d'une victime assurée par elle, car elle agit alors selon les normes du droit commun.

49 À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l'article 1er, second alinéa, point 3, de la convention de Bruxelles doit être interprété en ce sens que la notion de «sécurité sociale» n'englobe pas l'action récursoire par laquelle un organisme public poursuit, selon les règles du droit commun, auprès d'une personne de droit privé le recouvrement de sommes qu'il a versées à titre d'aide sociale au conjoint divorcé et à l'enfant de cette personne.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

50 Les frais exposés par les gouvernements néerlandais, autrichien, suédois et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Hof van Beroep te Antwerpen, par ordonnance du 27 juin 2000, dit pour droit:

1) L'article 1er, premier alinéa, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique, doit être interprété en ce sens que la notion de «matière civile» englobe une action récursoire par laquelle un organisme public poursuit auprès d'une personne de droit privé le recouvrement de sommes qu'il a versées à titre d'aide sociale au conjoint divorcé et à l'enfant de cette personne, pour autant que le fondement et les modalités d'exercice de cette action sont régis par les règles du droit commun en matière d'obligation alimentaire. Dès lors que l'action récursoire est fondée sur des dispositions par lesquelles le législateur a conféré à l'organisme public une prérogative propre, ladite action ne peut pas être considérée comme relevant de la «matière civile».

2) L'article 1er, second alinéa, point 3, de ladite convention doit être interprété en ce sens que la notion de «sécurité sociale» n'englobe pas l'action récursoire par laquelle un organisme public poursuit, selon les règles du droit commun, auprès d'une personne de droit privé le recouvrement de sommes qu'il a versées à titre d'aide sociale au conjoint divorcé et à l'enfant de cette personne.

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