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Document 62000CJ0167

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 1er octobre 2002.
Verein für Konsumenteninformation contre Karl Heinz Henkel.
Demande de décision préjudicielle: Oberster Gerichtshof - Autriche.
Convention de Bruxelles - Article 5, point 3 - Compétence en matière délictuelle ou quasi délictuelle - Action préventive d'intérêt collectif - Association de protection des consommateurs demandant l'interdiction de l'utilisation par un commerçant de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs.
Affaire C-167/00.

European Court Reports 2002 I-08111

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2002:555

62000J0167

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 1er octobre 2002. - Verein für Konsumenteninformation contre Karl Heinz Henkel. - Demande de décision préjudicielle: Oberster Gerichtshof - Autriche. - Convention de Bruxelles - Article 5, point 3 - Compétence en matière délictuelle ou quasi délictuelle - Action préventive d'intérêt collectif - Association de protection des consommateurs demandant l'interdiction de l'utilisation par un commerçant de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs. - Affaire C-167/00.

Recueil de jurisprudence 2002 page I-08111


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


Convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions Compétences spéciales Compétence «en matière délictuelle ou quasi délictuelle» Notion Action préventive d'intérêt collectif intentée par une association de protection des consommateurs et visant à interdire l'utilisation par un commerçant de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs Inclusion

onvention de Bruxelles du 27 septembre 1968, art. 5, point 3)

Sommaire


$$Les règles de compétence énoncées par la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique, par la convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise et par la convention du 29 novembre 1996 relative à l'adhésion de la république d'Autriche, de la république de Finlande et du royaume de Suède, doivent être interprétées en ce sens qu'une action juridictionnelle préventive, introduite par une association de protection des consommateurs en vue de faire interdire l'utilisation par un commerçant de clauses jugées abusives dans des contrats avec des particuliers, est de nature délictuelle ou quasi délictuelle au sens de l'article 5, point 3, de ladite convention.

( voir point 50 et disp. )

Parties


Dans l'affaire C-167/00,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, par l'Oberster Gerichtshof (Autriche) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Verein für Konsumenteninformation

et

Karl Heinz Henkel,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 5, point 3, de la convention du 27 septembre 1968, précitée (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et texte modifié p. 77), par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1), par la convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise (JO L 285, p. 1) et par la convention du 29 novembre 1996 relative à l'adhésion de la république d'Autriche, de la république de Finlande et du royaume de Suède (JO 1997, C 15, p. 1),

LA COUR (sixième chambre),

composée de Mme F. Macken, président de chambre, MM. C. Gulmann, J.-P. Puissochet, R. Schintgen (rapporteur) et J. N. Cunha Rodrigues, juges,

avocat général: M. F. G. Jacobs,

greffier: Mme M.-F. Contet, administrateur,

considérant les observations écrites présentées:

pour le Verein für Konsumenteninformation, par Me H. Kosesnik-Wehrle, Rechtsanwalt,

pour M. Henkel, par Mes L. J. Kempf et J. Maier, Rechtsanwälte,

pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d'agent,

pour le gouvernement allemand, par M. R. Wagner, en qualité d'agent,

pour le gouvernement français, par M. R. Abraham et Mme R. Loosli-Surrans, en qualité d'agents,

pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme G. Amodeo, en qualité d'agent, assistée de M. A. Robertson, barrister,

pour la Commission des Communautés européennes, par MM. J. L. Iglesias Buhigues et C. Ladenburger, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales du Verein für Konsumenteninformation, représenté par Me S. Langer, Rechtsanwalt, du gouvernement français, représenté par Mme R. Loosli-Surrans, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par M. A. Robertson, et de la Commission, représentée par M. C. Ladenburger, à l'audience du 11 décembre 2001,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 14 mars 2002,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par ordonnance du 13 avril 2000, parvenue à la Cour le 8 mai suivant, l'Oberster Gerichtshof a, en application du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, posé une question préjudicielle sur l'interprétation de l'article 5, point 3, de cette convention (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et texte modifié p. 77), par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1), par la convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise (JO L 285, p. 1) et par la convention du 29 novembre 1996 relative à l'adhésion de la république d'Autriche, de la république de Finlande et du royaume de Suède (JO 1997, C 15, p. 1, ci-après la «convention de Bruxelles»).

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant le Verein für Konsumenteninformation (ci-après le «VKI»), association de droit autrichien établie en Autriche, à M. Henkel, ressortissant allemand domicilié en Allemagne, concernant l'utilisation par ce dernier, dans des contrats conclus avec des consommateurs autrichiens, de clauses considérées par le VKI comme abusives.

Le cadre juridique

La convention de Bruxelles

3 L'article 1er de la convention de Bruxelles, qui forme le titre I, intitulé «Champ d'application», stipule, à son premier alinéa:

«La présente convention s'applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Elle ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives.»

4 Les règles de compétence édictées par la convention de Bruxelles figurent au titre II de celle-ci, constitué des articles 2 à 24.

5 L'article 2, qui fait partie de la section 1, intitulée «Dispositions générales», du titre II de la convention de Bruxelles, énonce, à son premier alinéa, la règle de principe dans les termes suivants:

«Sous réserve des dispositions de la présente convention, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État contractant sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État.»

6 L'article 3, premier alinéa, de la convention de Bruxelles, qui figure dans la même section, est ainsi rédigé:

«Les personnes domiciliées sur le territoire d'un État contractant ne peuvent être attraites devant les tribunaux d'un autre État contractant qu'en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 6 du présent titre.»

7 Aux articles 5 à 18 de la convention de Bruxelles, qui forment les sections 2 à 6 du titre II de celle-ci, sont prévues des règles de compétence spéciale, impérative ou exclusive.

8 Aux termes de l'article 5, qui figure dans la section 2, intitulée «Compétences spéciales», du titre II de la convention de Bruxelles:

«Le défendeur domicilié sur le territoire d'un État contractant peut être attrait, dans un autre État contractant:

1) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée [...]

[...]

3) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit;

[...]»

La directive 93/13/CEE

9 L'article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29), dispose:

«1. Les États membres veillent à ce que, dans l'intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

2. Les moyens visés au paragraphe 1 comprennent des dispositions permettant à des personnes ou à des organisations ayant, selon la législation nationale, un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir, selon le droit national, les tribunaux ou les organes administratifs compétents afin qu'ils déterminent si des clauses contractuelles, rédigées en vue d'une utilisation généralisée, ont un caractère abusif et appliquent des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l'utilisation de telles clauses.»

Les dispositions nationales pertinentes

10 En Autriche, le Konsumentenschutzgesetz (loi sur la protection des consommateurs), du 8 mars 1979 (BGBl. 1979/140, ci-après le «KSchG»), est entré en vigueur le 1er octobre 1979.

11 Le KSchG a été modifié à plusieurs reprises, entre autres par une loi destinée à transposer la directive 93/13 (BGBl. 1997/6).

12 L'article 28 du KSchG ainsi amendé dispose, avec effet au 1er janvier 1997:

«(1) Quiconque, dans les relations commerciales, prévoit, dans les conditions générales ou dans les formulaires qu'il utilise pour les contrats par lui conclus, des clauses contraires à la loi ou aux bonnes moeurs ou recommande l'utilisation de telles clauses dans les relations commerciales peut faire l'objet d'une action visant à le lui interdire. Cette interdiction comprend également celle de se prévaloir d'une telle clause lorsqu'elle a été convenue illicitement.

(2) Le risque d'utilisation et de recommandation de ces clauses n'existe plus lorsque l'entrepreneur, après avoir été mis en demeure par un organisme habilité à agir en justice par l'article 29, s'engage, dans un délai raisonnable, à ne plus utiliser la condition litigieuse et que cet engagement est assorti d'une peine conventionnelle (article 1336 de l'Allgemeines Bürgerliches Gesetzbuch).»

13 Le VKI fait partie des organismes visés à l'article 29 du KSchG comme ayant qualité pour agir en justice.

Le litige au principal et la question préjudicielle

14 Il ressort du dossier de l'affaire au principal que le VKI est une association sans but lucratif dont l'objet est la protection des consommateurs et la défense des intérêts de ceux-ci.

15 M. Henkel est un commerçant, domicilié à Munich (Allemagne), qui organise des excursions publicitaires, notamment en Autriche.

16 Dans le cadre de ses relations contractuelles avec des consommateurs domiciliés à Vienne (Autriche), l'intéressé a utilisé des conditions générales que le VKI estime contraires à certaines dispositions de la législation autrichienne.

17 Par une action d'intérêt collectif introduite devant le Handelsgericht Wien, le VKI a sollicité, conformément à l'article 28 du KSchG, la délivrance à l'encontre de M. Henkel d'une injonction juridictionnelle lui interdisant d'utiliser les clauses litigieuses dans les contrats qu'il passe avec des clients autrichiens.

18 M. Henkel a soulevé l'incompétence des juridictions autrichiennes. Selon lui, l'action du VKI ne peut pas être qualifiée de délictuelle ou quasi délictuelle, au sens de l'article 5, point 3, de la convention de Bruxelles, au motif qu'il n'y a eu ni comportement dommageable ni préjudice subi dans le ressort de la juridiction saisie.

19 Ayant jugé que le VKI ne faisait pas valoir un préjudice d'origine délictuelle, le Handelsgericht Wien s'est déclaré incompétent.

20 Cette décision a toutefois été réformée en appel par l'Oberlandesgericht Wien, qui a considéré que sont également visées par l'article 5, point 3, de la convention de Bruxelles les actions préventives intentées par une association telle que le VKI, sans qu'il soit exigé qu'elle ait subi personnellement un dommage.

21 Saisi sur recours en «Revision», l'Oberster Gerichtshof se demande si l'action en cause au principal relève de l'article 5, point 3, de la convention de Bruxelles ou si elle est de nature contractuelle au sens de l'article 5, point 1, de ladite convention.

22 Selon cette juridiction, en effet, la nature délictuelle de ladite action ne serait pas évidente. Ainsi, le VKI ne ferait pas valoir un préjudice à son patrimoine. S'il est vrai que son droit d'action résulte non pas d'un contrat, mais de la loi, et vise à éviter aux consommateurs un préjudice futur, un tel préjudice n'en trouverait pas moins son origine dans la responsabilité contractuelle. L'application de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles ne saurait dès lors être exclue. Toutefois, il serait également possible de considérer que le fait délictuel réside dans le trouble à l'ordre juridique résultant de l'utilisation de clauses abusives par un commerçant.

23 En outre, la question se poserait de savoir si une action préventive, exercée par essence avant la survenance d'un dommage, est susceptible de relever de l'article 5, point 3, de la convention de Bruxelles, alors qu'il semblerait que cette disposition, qui se réfère au lieu de survenance du fait dommageable, présuppose l'existence d'un préjudice.

24 Considérant que, dans ces conditions, la solution du litige pendant devant lui nécessitait l'interprétation de la convention de Bruxelles, l'Oberster Gerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Le droit d'obtenir une décision interdisant l'utilisation de conditions générales illicites ou contraires aux bonnes moeurs visé par l'article 28 du [KSchG], qui est invoqué par une association de consommateurs conformément à l'article 29 de la même loi et au sens de l'article 7, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE [...], constitue-t-il un droit de nature délictuelle ou quasi délictuelle pouvant être invoqué devant la juridiction compétente en vertu de l'article 5, point 3, de la convention de Bruxelles [...]?»

Sur la question préjudicielle

25 À titre liminaire, le gouvernement du Royaume-Uni soutient qu'une action telle que celle intentée par le VKI ne relève pas du champ d'application de la convention de Bruxelles. Conformément à son article 1er, premier alinéa, ladite convention ne s'appliquerait qu'«en matière civile et commerciale», alors qu'une association de protection des consommateurs, tel le VKI, devrait être qualifiée d'autorité publique et que son droit d'obtenir une injonction juridictionnelle visant à interdire l'utilisation de clauses abusives dans les contrats, exercé dans l'affaire au principal, constituerait un pouvoir de droit public. En effet, une organisation de ce type assumerait une mission d'intérêt général consistant à garantir la protection de l'ensemble des consommateurs et son droit d'agir en cessation de comportements illicites de commerçants résulterait de la loi, à l'exclusion de toute relation de droit privé concernant un contrat conclu entre un professionnel et un particulier.

26 Toutefois, il résulte d'une jurisprudence constante qu'échappent au champ d'application de la convention de Bruxelles les seuls litiges opposant une autorité publique à une personne de droit privé, pour autant que ladite autorité agisse dans l'exercice de la puissance publique (voir, en ce sens, arrêts du 14 octobre 1976, LTU, 29/76, Rec. p. 1541, point 4; du 16 décembre 1980, Rüffer, 814/79, Rec. p. 3807, point 8, et du 21 avril 1993, Sonntag, C-172/91, Rec. p. I-1963, point 20).

27 Tel est le cas dans un litige qui concerne le recouvrement de redevances dues par une personne de droit privé à un organisme national ou international de droit public en vertu de l'utilisation des installations et services de celui-ci, notamment lorsque cette utilisation est obligatoire et exclusive (arrêt LTU, précité, point 4).

28 De même, la Cour a jugé que la notion de «matière civile et commerciale» au sens de l'article 1er, premier alinéa, de la convention de Bruxelles n'englobe pas un litige engagé par l'État gestionnaire des voies d'eau publiques contre la personne légalement responsable, en vue du recouvrement des frais exposés pour l'enlèvement d'une épave, que ledit gestionnaire a effectué ou a fait effectuer dans l'exercice de la puissance publique (arrêt Rüffer, précité, points 9 et 16).

29 S'il résulte ainsi de la jurisprudence de la Cour que certaines catégories de contestations doivent être considérées comme exclues du champ d'application de la convention de Bruxelles en raison des éléments qui caractérisent la nature des rapports juridiques entre les parties au litige ou l'objet de celui-ci (voir arrêt LTU, précité, point 4), la jurisprudence découlant des arrêts LTU et Rüffer, précités, ne peut toutefois pas être transposée à une action telle que celle en cause au principal.

30 En effet, non seulement une association de protection des consommateurs telle que le VKI revêt le caractère d'un organisme de nature privée, mais, au surplus, ainsi que le gouvernement allemand l'a fait valoir à juste titre, le litige au principal n'a pas pour objet une manifestation de la puissance publique, puisqu'il ne concerne aucunement l'exercice de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles de droit commun applicables dans les relations entre particuliers. Au contraire, l'action pendante devant la juridiction de renvoi est relative à l'interdiction pour les commerçants d'utiliser des clauses abusives dans les contrats qu'ils concluent avec les consommateurs et vise, dès lors, à soumettre au contrôle du juge des rapports de droit privé. Partant, une action de cette nature relève de la matière civile au sens de l'article 1er, premier alinéa, de la convention de Bruxelles.

31 Dans ces conditions, l'objection soulevée par le gouvernement du Royaume-Uni ne saurait être retenue.

32 S'agissant de la question posée par la juridiction de renvoi, il convient de relever d'emblée que les articles 13 à 15, qui forment la section 4, intitulée «Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs», du titre II de la convention de Bruxelles, ne sont pas applicables dans l'affaire au principal.

33 En effet, ainsi que la Cour l'a jugé dans son arrêt du 19 janvier 1993, Shearson Lehman Hutton (C-89/91, Rec. p. I-139), une personne morale qui agit en qualité de cessionnaire des droits d'un consommateur final privé, sans être elle-même partie à un contrat conclu entre un professionnel et un particulier, ne peut pas se voir reconnaître la qualité de consommateur au sens de la convention de Bruxelles, de sorte qu'elle ne saurait se prévaloir des articles 13 à 15 de cette convention. Or, cette interprétation doit valoir également en ce qui concerne une association de protection des consommateurs telle que le VKI qui a intenté une action d'intérêt collectif pour le compte de ceux-ci.

34 Il s'ensuit que, pour répondre à la question préjudicielle, il y a lieu uniquement de déterminer si une action juridictionnelle préventive, introduite par une association de protection des consommateurs en vue de faire interdire l'utilisation par un commerçant de clauses jugées abusives dans des contrats avec des particuliers, est de nature contractuelle, au sens de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles, ou bien de nature délictuelle ou quasi délictuelle, au sens de l'article 5, point 3, de ladite convention.

35 À cet égard, la Cour a itérativement jugé que les notions de «matière contractuelle» et de «matière délictuelle ou quasi délictuelle», figurant respectivement aux points 1 et 3 de l'article 5 de la convention de Bruxelles, doivent être interprétées de façon autonome, en se référant principalement au système et aux objectifs de ladite convention, en vue d'assurer à celle-ci sa pleine efficacité ainsi qu'une application uniforme dans tous les États contractants (voir, notamment, arrêts du 22 mars 1983, Peters, 34/82, Rec. p. 987, points 9 et 10; du 27 septembre 1988, Kalfelis, 189/87, Rec. p. 5565, points 15 et 16, et du 26 mars 1992, Reichert et Kockler, C-261/90, Rec. p. I-2149, point 15).

36 Il est également de jurisprudence constante que la notion de matière délictuelle ou quasi délictuelle au sens de l'article 5, point 3, de la convention de Bruxelles comprend toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d'un défendeur et qui ne se rattache pas à la matière contractuelle au sens de l'article 5, point 1, de la même convention (voir, notamment, arrêts Kalfelis, précité, point 17; Reichert et Kockler, précité, point 16; du 27 octobre 1998, Réunion européenne e.a., C-51/97, Rec. p. I-6511, point 22, et du 11 juillet 2002, Gabriel, C-96/00, non encore publié au Recueil, point 33).

37 En conséquence, il importe de rechercher dans un premier temps si une action telle que celle en cause au principal revêt un caractère contractuel.

38 Or, dans une situation telle que celle au principal, l'association de protection des consommateurs et le commerçant ne sont nullement liés par un rapport de nature contractuelle.

39 Certes, le commerçant est susceptible d'avoir déjà passé des contrats avec certains consommateurs. Toutefois, que l'action juridictionnelle fasse suite à un contrat déjà conclu entre le commerçant et le consommateur ou que cette action revête un caractère purement préventif en tendant uniquement à éviter la réalisation d'un dommage futur, l'association de protection des consommateurs, qui a pris l'initiative de ladite action, n'est jamais elle-même partie au contrat. Elle agit sur la base d'un droit qui lui a été conféré par la loi aux fins de faire interdire l'utilisation de clauses que le législateur juge illicites dans les relations entre un professionnel et un consommateur final privé.

40 Dans ces conditions, une action telle que celle intentée dans l'affaire au principal ne saurait être considérée comme étant de nature contractuelle au sens de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles.

41 En revanche, une telle action répond à tous les critères énoncés par la Cour dans la jurisprudence rappelée au point 36 du présent arrêt, en ce que, d'une part, elle ne se rattache pas à la matière contractuelle au sens de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles et, d'autre part, elle a pour objet d'engager la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle de la partie défenderesse, en l'occurrence au titre de l'obligation extracontractuelle incombant au commerçant de s'abstenir, dans ses relations avec les consommateurs, de certains comportements que le législateur réprouve.

42 En effet, la notion de «fait dommageable» visée à l'article 5, point 3, de la convention de Bruxelles revêt une large portée (arrêt du 30 novembre 1976, Bier, dit «Mines de potasse d'Alsace», 21/76, Rec. p. 1735, point 18), de sorte que, s'agissant de la protection des consommateurs, elle recouvre non seulement les situations dans lesquelles un particulier a subi un préjudice à titre individuel, mais aussi, notamment, les atteintes à l'ordre juridique résultant de l'utilisation de clauses abusives que des associations telles que le VKI ont pour mission d'empêcher.

43 Au demeurant, seule cette interprétation est en harmonie avec la finalité de l'article 7 de la directive 93/13. Ainsi, l'efficacité des actions en cessation de l'utilisation de clauses illicites prévues par ladite disposition serait considérablement affectée si ces actions ne pouvaient être intentées que dans l'État où le commerçant est domicilié.

44 M. Henkel et le gouvernement français ont toutefois fait valoir que l'article 5, point 3, de la convention de Bruxelles se réfère au lieu de survenance du fait dommageable et suppose dès lors, d'après ses termes mêmes, l'existence d'un préjudice. La même conclusion s'imposerait au regard de l'interprétation de ladite disposition par la Cour, selon laquelle l'expression «lieu où le fait dommageable s'est produit» doit être entendue en ce sens qu'elle vise à la fois le lieu où le dommage est survenu et le lieu de l'événement causal qui est à l'origine de ce dommage, de sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l'un ou l'autre de ces deux lieux (voir, notamment, arrêts Mines de potasse d'Alsace, précité, points 24 et 25; du 11 janvier 1990, Dumez France et Tracoba, C-220/88, Rec. p. I-49, point 10; du 7 mars 1995, Shevill e.a., C-68/93, Rec. p. I-415, point 20, et du 19 septembre 1995, Marinari, C-364/93, Rec. p. I-2719, point 11). Il en résulterait que l'article 5, point 3, de la convention de Bruxelles ne saurait être appliqué à des actions purement préventives, exercées avant la survenance d'un préjudice concret et destinées à empêcher la réalisation d'un fait dommageable futur.

45 Cette objection n'est cependant pas fondée.

46 La règle de compétence spéciale énoncée à l'article 5, point 3, de la convention de Bruxelles est fondée sur l'existence d'un lien de rattachement particulièrement étroit entre la contestation et la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit, qui justifie une attribution de compétence à cette dernière pour des raisons de bonne administration de la justice et d'organisation utile du procès (voir en ce sens, notamment, arrêts précités Mines de potasse d'Alsace, points 11 et 17; Dumez France et Tracoba, point 17; Shevill e.a., point 19, et Marinari, point 10). En effet, le juge du lieu où le fait dommageable s'est produit est normalement le plus apte à statuer, notamment pour des motifs de proximité du litige et de facilité d'administration des preuves. Or, ces considérations valent de la même manière, que la contestation soit relative à la réparation d'un préjudice déjà intervenu ou qu'elle concerne une action visant à empêcher la réalisation du préjudice.

47 Cette interprétation est d'ailleurs confortée par le rapport de M. Schlosser relatif à la convention d'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord à la convention de Bruxelles (JO 1979, C 59, p. 71, 111), selon lequel l'article 5, point 3, de la convention de Bruxelles couvre également les actions destinées à empêcher la commission d'un acte délictuel imminent.

48 Ne saurait dès lors être retenue une interprétation de l'article 5, point 3, de la convention de Bruxelles selon laquelle l'application de ladite disposition serait subordonnée à la survenance effective du dommage. Il serait d'ailleurs contradictoire d'exiger qu'une action en cessation d'un comportement considéré comme illicite, telle que celle intentée dans l'affaire au principal, dont l'objectif principal consiste précisément à éviter le préjudice, ne puisse être introduite qu'après la réalisation de ce dernier.

49 Enfin, bien qu'il ne soit pas applicable ratione temporis à l'affaire au principal, le règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), est de nature à confirmer l'interprétation selon laquelle l'article 5, point 3, de la convention de Bruxelles ne présuppose pas l'existence d'un préjudice. En effet, ce règlement a précisé le libellé de l'article 5, point 3, de la convention de Bruxelles, en ce que, dans sa nouvelle rédaction résultant dudit règlement, cette disposition vise le «lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire». Or, en l'absence de tout motif imposant une interprétation différente des deux dispositions en cause, l'exigence de cohérence implique que l'article 5, point 3, de la convention de Bruxelles se voie reconnaître une portée identique à celle de la disposition correspondante du règlement n° 44/2001. Il doit en aller ainsi d'autant plus que ce règlement vise à remplacer la convention de Bruxelles dans les relations entre les États membres, à l'exclusion du royaume de Danemark, cette convention continuant à s'appliquer entre le royaume de Danemark et les États membres liés par ledit règlement.

50 Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que les règles de compétence énoncées par la convention de Bruxelles doivent être interprétées en ce sens qu'une action juridictionnelle préventive, introduite par une association de protection des consommateurs en vue de faire interdire l'utilisation par un commerçant de clauses jugées abusives dans des contrats avec des particuliers, est de nature délictuelle ou quasi délictuelle au sens de l'article 5, point 3, de ladite convention.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

51 Les frais exposés par les gouvernements autrichien, allemand, français et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

statuant sur la question à elle soumise par l'Oberster Gerichtshof, par ordonnance du 13 avril 2000, dit pour droit:

Les règles de compétence énoncées par la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique, par la convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise et par la convention du 29 novembre 1996 relative à l'adhésion de la république d'Autriche, de la république de Finlande et du royaume de Suède, doivent être interprétées en ce sens qu'une action juridictionnelle préventive, introduite par une association de protection des consommateurs en vue de faire interdire l'utilisation par un commerçant de clauses jugées abusives dans des contrats avec des particuliers, est de nature délictuelle ou quasi délictuelle au sens de l'article 5, point 3, de ladite convention.

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