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Document 61996CC0369

    Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 25 juin 1998.
    Procédures pénales contre Jean-Claude Arblade et Arblade & Fils SARL (C-369/96) et Bernard Leloup, Serge Leloup et Sofrage SARL (C-376/96).
    Demandes de décision préjudicielle: Tribunal correctionnel de Huy - Belgique.
    Libre prestation des services - Déplacement temporaire de travailleurs pour l'exécution d'un contrat - Restrictions.
    Affaires jointes C-369/96 et C-376/96.

    Recueil de jurisprudence 1999 I-08453

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1998:318

    61996C0369

    Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 25 juin 1998. - Procédures pénales contre Jean-Claude Arblade et Arblade & Fils SARL (C-369/96) et Bernard Leloup, Serge Leloup et Sofrage SARL (C-376/96). - Demandes de décision préjudicielle: Tribunal correctionnel de Huy - Belgique. - Libre prestation des services - Déplacement temporaire de travailleurs pour l'exécution d'un contrat - Restrictions. - Affaires jointes C-369/96 et C-376/96.

    Recueil de jurisprudence 1999 page I-08453


    Conclusions de l'avocat général


    1 Le tribunal correctionnel de Huy en Belgique a demandé à la Cour d'interpréter les articles 59 et 60 du traité CE afin de pouvoir résoudre deux litiges dont il a été saisi sur plainte de l'Inspection du travail belge. Ces plaintes étaient dirigées contre deux entreprises françaises accusées d'avoir enfreint certaines dispositions du droit du travail belge. Il s'agit, en particulier, d'apprécier si le droit communautaire fait obstacle à ce qu'un État membre oblige les entreprises établies dans un autre État membre qui envoient des travailleurs sur son territoire afin d'y effectuer une prestation de services à respecter les règles du droit national relatives à la tenue et à la conservation des documents sociaux des travailleurs et au respect des barémiques minimums en matière salariale, dispositions qui ont pour objet de protéger les travailleurs et de lutter contre le travail au noir, lorsque ces entreprises sont déjà soumises à des obligations identiques ou similaires dans leur État membre d'établissement au titre des mêmes travailleurs et pour la même période d'activité.

    I - Les faits des litiges au principal

    2 Il résulte des pièces du dossier qu'en 1990, la Sucrerie tirlemontoise de Wanze en Belgique a signé avec la société française Atelier de construction métallique du bocage (ACMB) un contrat conformément auquel celle-ci devait lui livrer un complexe de silos de stockage pour sucre blanc cristallisé d'une capacité de 40 000 tonnes. La société ACMB a sous-traité le montage des constructions métalliques de ce complexe à diverses sociétés, notamment à la société SARL Sofrage (ci-après «Sofrage») et à la société BSI, qui a elle-même sous-traité à Arblade et fils SARL (ci-après «Arblade»).

    Pour l'exécution de leurs contrats respectifs, Arblade a dépêché dix-sept travailleurs à Wanze à deux reprises pour des périodes de six mois environ chacune et Sofrage y a envoyé neuf travailleurs à quatre reprises pour des périodes de cinq à huit mois chacune.

    3 Au cours de l'année 1993, les services de l'Inspection du travail belge ont demandé aux sociétés Arblade et Sofrage de produire les différents documents prévus par la législation sociale belge. Ni l'une ni l'autre ne se sont exécutées, estimant qu'elles n'étaient pas tenues de le faire parce que les travailleurs qui prestaient leurs services en Belgique demeuraient soumis aux lois sociales françaises. Considérant au contraire que ces entreprises devaient s'acquitter des obligations imposées par le droit belge, l'Inspection du travail a déposé une plainte contre elles.

    A - La plainte contre M. Arblade et l'entreprise Arblade

    4 Le ministère public accuse M. Jean-Claude Arblade et l'entreprise Arblade, l'un et l'autre domiciliés en France, d'avoir commis différentes infractions à Wanze et en d'autres lieux de l'arrondissement judiciaire de Huy entre le 1er janvier et le 31 mai 1992 ainsi qu'entre le 26 avril et le 15 octobre 1993. Il est reproché à M. Arblade, en sa qualité d'employeur, de préposé ou de mandataire:

    - d'avoir omis de conserver les documents sociaux (registre du personnel et compte individuel), à défaut de siège social en Belgique, au domicile belge d'une personne physique chargée de les tenir en tant que mandataire ou préposé de l'employeur;

    - d'avoir omis de payer à ses travailleurs la rémunération minimum fixée par la convention collective du travail du 28 mars 1991 conclue au sein de la commission paritaire de la construction concernant les conditions de travail et en particulier les salaires minimum des ouvriers occupés dans une entreprise de construction, convention collective rendue obligatoire par l'arrêté royal du 22 juin 1992;

    - d'avoir omis de tenir un registre spécial du personnel au lieu où il occupe des travailleurs;

    - d'avoir omis de délivrer à ses dix-sept travailleurs la fiche individuelle visée à l'article 4, paragraphe 3, de l'arrêté royal n_ 5 du 23 octobre 1978 relatif aux documents sociaux et à l'arrêté royal du 8 mars 1990 relatif à la tenue de la fiche individuelle;

    - d'avoir omis de désigner un mandataire ou un préposé chargé de tenir les comptes individuels en Belgique;

    - d'avoir omis de payer les cotisations timbres-intempéries et fidélité pour les premier et deuxième trimestres 1992 et les deuxième et troisième trimestres 1993, soit, suivant compte arrêté au 3 octobre 1995, la somme de 343 762 BFR pour dix-sept travailleurs.

    5 Chacun de ces délits est frappé de peines de prison allant de huit jours à trois mois et est passible d'amendes de 50 000 BFR à 100 000 BFR.

    6 Le ministère public a conclu à ce que l'entreprise Arblade soit déclarée civilement responsable des amendes et des frais qui seront mis à charge de son préposé.

    B - La plainte contre MM. Leloup et l'entreprise Sofrage

    7 Le ministère public accuse MM. Bernard Leloup et Serge Leloup, en leurs qualités respectives de directeur et de gérant, et l'entreprise Sofrage, domiciliés les uns et l'autre en France, d'avoir commis différentes infractions aussi bien à Wanze qu'en d'autres lieux de l'arrondissement judiciaire de Huy entre le 1er janvier et le 31 août 1991, entre le 1er juillet et le 31 décembre 1991, entre le 1er mars et le 31 juillet 1992 et entre le 1er mars et le 31 octobre 1993. Il est fait grief à chacun des deux premiers cités:

    - d'avoir omis de désigner un mandataire ou préposé chargé de tenir les comptes individuels en Belgique;

    - d'avoir fait obstacle à la surveillance organisée en vertu de l'arrêté royal n_ 5 du 23 octobre 1978 relatif à la tenue des documents sociaux;

    - d'avoir fait obstacle à la surveillance organisée en vertu de la loi du 16 novembre 1972 concernant l'Inspection du travail;

    - d'avoir omis d'établir le compte individuel de neuf travailleurs pour les années 1991, 1992 et 1993;

    - d'avoir omis de tenir un registre spécial du personnel au lieu où il occupe des travailleurs;

    - d'avoir omis d'établir un règlement de travail;

    - d'avoir omis de conserver les documents sociaux (registre du personnel et compte individuel), à défaut de siège social en Belgique, au domicile belge d'une personne physique chargée de les tenir en tant que mandataire ou préposé;

    - d'avoir omis de délivrer à ses neuf travailleurs la fiche individuelle visée à l'article 4, paragraphe 3, de l'arrêté royal n_ 5 du 23 octobre 1978 relatif aux documents sociaux et à l'arrêté royal du 8 mars 1990 relatif à la tenue de la fiche individuelle.

    8 La plupart de ces délits sont frappés de peines de prison allant de huit jours à trois mois et sont passibles d'amendes de 50 000 BFR à 100 000 BFR.

    9 Le ministère public a conclu à ce que Sofrage soit déclarée civilement responsable des amendes et des frais qui seront mis à la charge de ses deux préposés, à savoir le directeur et le gérant.

    II - Les questions préjudicielles

    10 Avant de trancher ces deux litiges, le tribunal correctionnel de Huy a sursis à statuer et il a déféré à la Cour deux questions préjudicielles pour chacun d'eux. Ces questions, qui coïncident en partie, peuvent être regroupées de la manière suivante:

    «1) Les articles 59 et 60 du traité doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils interdisent à un État membre d'obliger une entreprise établie dans un autre État membre et exécutant temporairement des travaux dans le premier État

    1. à conserver les documents sociaux (registre du personnel et compte individuel) au domicile belge d'une personne physique qui tient ces documents en tant que mandataire ou préposé;

    2. à payer à ses travailleurs la rémunération minimum fixée par la convention collective du travail;

    3. à tenir un registre spécial du personnel;

    4. à délivrer une fiche individuelle pour chaque travailleur;

    5. à désigner un mandataire ou préposé chargé de tenir les comptes individuels des salariés;

    6. à payer des cotisations `timbres-intempéries' et `fidélité' pour chaque travailleur;

    7. à ne pas faire obstacle à la surveillance organisée par la législation de cet État relative à la tenue des documents sociaux;

    8. à ne pas faire obstacle à la surveillance organisée en vertu de la législation de cet État concernant l'inspection sociale;

    9. à établir un compte individuel pour chaque travailleur, et

    10. à établir un règlement de travail,

    alors que cette entreprise est déjà soumise à des obligations, sinon identiques, du moins comparables en raison de leur finalité, du chef des mêmes travailleurs et pour les mêmes périodes d'activité, dans l'État où elle est établie?

    2) Les articles 59 et 60 du traité CEE, du 25 mars 1957, instaurant la Communauté économique européenne peuvent-ils rendre inopérant l'article 3, premier alinéa, du code civil relatif aux lois belges de police et de sûreté?»III - Les dispositions nationales

    A - La législation belge

    11 Les obligations relatives à la tenue et à la conservation des documents sociaux sont énoncées dans l'arrêté royal n_ 5 du 23 octobre 1978 et précisées plus avant dans l'arrêté royal du 8 août 1980 et dans l'arrêté royal du 8 mars 1990. Cette réglementation, qui a pour objet d'assurer la protection des droits individuels des travailleurs, impose à l'employeur l'obligation de conserver un certain nombre de documents sociaux au domicile ou au siège social de l'entreprise lorsque ceux-ci sont situés en Belgique ou, lorsque ce n'est pas le cas, au domicile belge d'une personne physique qui les conserve en qualité de mandataire ou de préposé. Ces documents sociaux sont les suivants:

    - le registre principal du personnel, dans lequel doivent figurer les données relatives tant à l'entreprise qu'à chaque travailleur. L'employeur doit en outre tenir, sur chaque lieu de travail, un registre spécial du personnel pour les travailleurs opérant dans ce centre d'activité. Pour les entreprises du secteur de la construction, le registre spécial du personnel est remplacé par un document individuel pour chaque travailleur occupé sur un chantier donné. L'arrêté royal du 8 mars 1990 a imposé aux employeurs l'obligation de délivrer une fiche individuelle à chacun de leurs travailleurs. La fiche individuelle de 1990 était assimilée au document individuel et le travailleur devait la porter sur lui en permanence. Depuis le 1er janvier 1995, cette fiche individuelle a été remplacée par la carte d'identité sociale. Elle a pour objet de permettre de contrôler la présence des travailleurs sur un chantier.

    - Un compte individuel pour chaque travailleur, dans lequel sont reprises toutes les prestations que le travailleur a effectuées pour le compte de son employeur pendant toute l'année, par périodes rémunérées, ainsi que la rétribution qu'il a perçue. Ce document permet de vérifier que les barèmes établis par la convention collective de travail ont été respectés, que les jours fériés et le congé annuel ont été rétribués et que les primes de fin d'année ont été versées. A l'expiration du contrat de travail ou à la fin de l'année, le travailleur doit recevoir une copie de son compte individuel.

    L'Inspection du travail est chargée de veiller à ce que les employeurs respectent les règles relatives à la tenue et à la conservation des documents sociaux. Toute infraction à celles-ci est passible de sanctions pénales.

    12 Les employeurs sont également tenus d'établir un règlement de travail.

    13 En matière salariale, la législation impose trois obligations à l'employeur: il doit, à peine de sanction pénale, verser à ses employés le salaire minimum prévu par la convention collective applicable et il doit, au moyen de cotisations, contribuer au financement tant du régime des primes de fidélité versées aux travailleurs que du régime des timbres-intempéries, destiné à compléter le salaire du travailleur les jours où les conditions climatologiques empêchent le déroulement normal du travail.

    14 En ce qui concerne le salaire minimum, il avait été fixé, en l'espèce, par la convention collective du secteur de la construction du 28 mars 1991, à laquelle l'arrêté royal du 22 juin 1992 avait donné force obligatoire.

    15 La prime de fidélité, qui, à l'instar des timbres-intempéries, est versée grâce à un système de timbres, est une rémunération versée aux travailleurs du secteur de la construction une fois par an afin de les récompenser d'avoir travaillé pour le secteur pendant une certaine période de temps. Les timbres-intempéries sont un système que les entreprises du secteur de la construction ont mis en place pour dédommager les ouvriers de la perte de salaire qu'ils subissent lorsque le mauvais temps les empêche d'entamer une journée de travail ou les oblige à suspendre celui-ci. Le régime des timbres-fidélité et le régime des timbres-intempéries sont financés par les entreprises du secteur au moyen de cotisations et sont gérés par le Fonds de sécurité d'existence des ouvriers de la construction (ci-après le «Fonds»).

    16 Le fonctionnement du régime des timbres-fidélité et du régime des timbres-intempéries est gouverné par les dispositions de la convention collective de travail qui a été signée le 28 avril 1988 au sein de la commission paritaire de la construction et à laquelle l'arrêté royal du 15 juin 1988 a donné force obligatoire. Conformément à l'article 2 de la convention, toutes les entreprises qui dépendent de cette commission paritaire sont redevables au Fonds d'une cotisation globale égale à 9,12 % de la rémunération brute de chaque travailleur: 9 % sont destinés à l'octroi de timbres-fidélité aux ouvriers et 0,12 % a pour objet de couvrir les frais de gestion. Conformément à l'article 3, les entreprises de ce secteur dont les ouvriers courent le risque de devoir interrompre leurs activités pour cause d'intempéries sont également redevables au Fonds d'une cotisation égale à 2,1 % de la rémunération brute de chaque travailleur: 2 % sont destinés à l'octroi de timbres-intempéries à leurs ouvriers et 0,1 % a pour objet de couvrir les frais de gestion.

    17 A la fin de chaque exercice, qui, pour les timbres-fidélité, va du 1er juillet au 30 juin et, pour les timbres-intempéries, du 1er janvier au 31 décembre, l'organisme chargé de percevoir les cotisations, à savoir l'Office patronal d'organisation et de contrôle des régimes de sécurité d'existence (ci-après «l'OPOC»), envoie aux employeurs les cartes-fidélité et les cartes-intempéries dûment munies des timbres pour lesquels les cotisations ont été versées. La carte-fidélité doit être remise à chaque travailleur au plus tard le 30 septembre tandis que la carte-intempéries doit lui être remise au plus tard le 29 avril de l'exercice suivant. Pour obtenir le paiement des sommes auxquelles les timbres-fidélité et les timbres-intempéries leur donnent droit, les travailleurs peuvent s'adresser soit à l'OPOC soit à leur organisation syndicale. Le paiement de la contre-valeur des timbres se fait à partir du premier jour ouvrable du mois de novembre pour les timbres-fidélité et à partir du 30 avril pour les timbres-intempéries. Le gouvernement belge a déclaré dans ses observations écrites et il a confirmé à l'audience que les travailleurs des entreprises étrangères perçoivent la contre-valeur des timbres-fidélité et des timbres-intempéries par virement postal international.

    B - La législation française

    18 Le code français du travail fait à l'employeur un certain nombre d'obligations en ce qui concerne la tenue et la conservation des documents sociaux. Les obligations pertinentes en l'espèce sont les suivantes:

    - l'employeur doit tenir un registre unique du personnel, dans lequel doivent figurer les noms de tous les travailleurs par ordre d'embauche ainsi que leurs données personnelles. Ce registre doit être tenu au siège de l'entreprise et au lieu de chaque établissement et il doit être à la disposition des fonctionnaires et agents de l'Inspection du travail;

    - il doit remettre au travailleur un bulletin de salaire sur lequel doivent figurer le nom et l'adresse de l'employeur, l'établissement dont dépend le salarié, la référence de l'organisme chargé de recevoir les cotisations versées par l'employeur, l'indication de la convention collective applicable, les nom, prénoms et adresse du salarié, l'emploi occupé et sa position dans la classification professionnelle, le nombre d'heures de travail, le montant de la rémunération brute et les accessoires de salaire (primes et indemnités) ainsi que le montant des cotisations salariales et patronales retenues sur cette rémunération brute;

    - il doit tenir un livre de paie dans lequel doivent être inscrites les mêmes données que celles qui doivent figurer sur les bulletins de salaire, de manière à permettre à l'Inspection du travail de vérifier que l'employeur remplit bien ses obligations;

    - il doit tenir à la disposition de l'Inspection du travail, au siège de l'entreprise, une liste de tous les chantiers et autres lieux de travail à caractère temporaire;

    - pendant toute la période litigieuse, c'est-à-dire entre 1991 et 1993, la législation française imposait aux employeurs l'obligation de remettre au travailleur, au moment de son embauche, soit un extrait individuel du registre unique du personnel, soit un certificat d'emploi, soit un contrat de travail ou encore n'importe quel autre document prévu par la convention collective dans lequel devait figurer la date à laquelle le travailleur avait été embauché. L'employeur devait conserver une copie de ces documents jusqu'au moment où il remettait son premier bulletin de salaire au travailleur et où ce bulletin était transcrit dans le livre de paie.

    Le non-respect de la plupart de ces obligations est passible de sanctions pénales.

    19 L'employeur est également obligé d'établir un règlement interne de l'entreprise dans lequel doivent figurer, notamment, les dispositions sur la sécurité et l'hygiène au travail, le régime disciplinaire et les droits de la défense des travailleurs.

    20 En matière salariale, la liberté dont l'employeur dispose pour fixer les salaires est soumise à certaines restrictions. En premier lieu, il doit respecter le salaire minimum, à savoir le «salaire minimum interprofessionnel de croissance» (SMIC), qui est fixé par voie réglementaire et qui est destiné à garantir le pouvoir d'achat des salariés les moins bien rémunérés ainsi que leur participation au développement économique du pays. En deuxième lieu, les employeurs doivent respecter les salaires minimum professionnels qui sont établis par la convention collective applicable à l'entreprise. Dans le cas des entreprises Arblade et Leloup, il s'agit de la convention collective de la construction.

    En outre, le code du travail oblige l'employeur du secteur de la construction à verser une rémunération compensatoire à ses ouvriers lorsque les conditions météorologiques empêchent le déroulement normal du travail. Ce revenu de remplacement, qui est versé directement par l'employeur, est pris en charge par les caisses des congés payés de la profession, qui sont alimentées exclusivement par les cotisations patronales.

    De même, la convention collective du secteur de la construction prévoit le paiement d'une prime dite «de vacances» aux employés pouvant justifier d'une certaine ancienneté, à savoir à ceux qui réunissent à la fin de l'année de référence plus de six mois d'ancienneté dans l'entreprise ou plus de 1 675 heures de travail, selon les catégories. Au chapitre des congés payés, les employés ont droit, en fonction de leur ancienneté dans l'entreprise, à un nombre de jours de congés supplémentaires variant de deux à quatre.

    IV - Les dispositions communautaires

    21 La libre prestation des services dans la Communauté est régie par les dispositions du chapitre 3 du titre III du traité, qui a trait à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux. Les dispositions qui doivent être prises en considération pour résoudre les deux affaires dont il s'agit en l'espèce sont les articles 59 et 60, dont le texte est le suivant:

    «Article 59

    Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté sont progressivement supprimées au cours de la période de transition à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation.

    ...

    Article 60

    Au sens du présent traité, sont considérées comme services, les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes.

    Les services comprennent notamment:

    a) des activités de caractère industriel,

    b) des activités de caractère commercial,

    c) des activités artisanales, d) les activités des professions libérales.

    Sans préjudice des dispositions du chapitre relatif au droit d'établissement, le prestataire peut, pour l'exécution de sa prestation, exercer, à titre temporaire, son activité dans le pays où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que ce pays impose à ses propres ressortissants.»

    22 L'article 66 du traité dispose que les articles 55 à 58 inclus, qui figurent dans le chapitre consacré au droit d'établissement, sont applicables à la libre prestation des services. On retiendra en particulier les articles 56 et 58, dont le texte est le suivant:

    «Article 56

    1. Les prescriptions du présent chapitre et les mesures prises en vertu de celles-ci ne préjugent pas l'applicabilité des dispositions législatives, réglementaires et administratives prévoyant un régime spécial pour les ressortissants étrangers, et justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique.

    ...»

    «Article 58

    Les sociétés constituées en conformité de la législation d'un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de la Communauté sont assimilées, pour l'application des dispositions du présent chapitre, aux personnes physiques ressortissantes des États membres.

    Par sociétés, on entend les sociétés de droit civil ou commercial, y compris les sociétés coopératives, et les autres personnes morales relevant du droit public ou privé, à l'exception des sociétés qui ne poursuivent pas de but lucratif.»

    23 Les États membres devaient avoir transposé dans leur ordre juridique interne, au plus tard le 30 juin 1993, la directive 91/533/CEE du Conseil, du 14 octobre 1991, relative à l'obligation de l'employeur d'informer le travailleur des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail (1). Cette directive non seulement énonce en détail les informations que l'employeur doit porter, par écrit, à la connaissance de ses travailleurs, mais elle prévoit également l'hypothèse du travailleur expatrié et précise les informations supplémentaires qui devront lui être fournies avant son départ.

    24 Le 16 décembre 1996, le Parlement européen et le Conseil ont adopté la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services (2). Cette directive contient les règles applicables à une partie des situations qui sont en litige aujourd'hui. Il n'est cependant pas nécessaire de recourir directement à une interprétation de ces dispositions pour résoudre les questions préjudicielles posées par le juge national puisqu'à l'époque où les faits se sont produits, cette directive n'avait même pas encore été adoptée. En tout état de cause, les États membres disposent d'un délai qui expire le 16 décembre 1999 pour transposer la directive dans leurs législations.

    V - Le déroulement de la procédure devant la Cour

    A - Les observations

    25 Ont présenté des observations écrites dans le délai prévu par l'article 20 du statut CE de la Cour de justice les parties défenderesses dans les deux litiges au principal, les gouvernements belge, allemand, autrichien et finlandais ainsi que la Commission.

    26 A l'issue de la procédure écrite, le président de la Cour a, par ordonnance du 6 juin 1997, ordonné la jonction des deux affaires aux fins de la procédure orale et de l'arrêt.

    27 Ont comparu à l'audience du 19 mai 1998, pour y présenter leurs observations orales, le représentant des parties défenderesses dans les deux litiges au principal, l'agent du gouvernement belge, l'agent du gouvernement allemand, l'agent du gouvernement néerlandais, l'agent du gouvernement finlandais et l'agent du gouvernement du Royaume-Uni ainsi que l'agent de la Commission.

    28 Les parties défenderesses ont examiné, l'une après l'autre, les différentes rubriques de la première question préjudicielle, qui coïncident avec les préventions mises à leur charge. Elles considèrent, d'une manière générale, que les dispositions belges dont on veut leur imposer le respect sont contraires aux articles 59 et 60 du traité dans la mesure où elles sont susceptibles de dissuader les entreprises établies dans d'autres États membres de venir en Belgique avec leurs travailleurs afin d'y accomplir une prestation de services. Selon elles, aucune de ces restrictions n'est justifiée. Les exigences que la législation belge impose aux entreprises, comme l'obligation, lorsque l'entreprise est étrangère, de conserver le registre du personnel et le compte individuel de chaque travailleur au domicile d'une personne physique établie en Belgique qui les conserve en qualité de mandataire ou de préposé, l'obligation de tenir un registre spécial du personnel sur chaque chantier, de nommer un mandataire ou un préposé chargé de conserver les comptes individuels des travailleurs, l'obligation d'établir un compte individuel pour chaque travailleur et d'adopter un règlement de travail, sont fondées sur des raisons de type administratif. Elles ne sont en aucun cas des raisons impérieuses liées à l'intérêt général susceptibles, le cas échéant, de justifier certaines restrictions à la libre prestation des services. Dans l'hypothèse où la Cour ne partagerait pas cette opinion, les parties défenderesses font valoir que l'intérêt général est déjà garanti par les exigences analogues qu'impose la législation de l'État membre dans lequel elles sont établies. A titre subsidiaire, elles allèguent que les dispositions belges ne sont pas conformes au principe de proportionnalité parce qu'il existe des moyens moins contraignants permettant d'atteindre le même résultat.

    29 Quant à l'obligation qu'ont les entreprises de ne pas faire obstacle aux diligences des fonctionnaires et agents de l'Inspection du travail lorsqu'ils se proposent de contrôler le respect des dispositions belges relatives à la tenue et à la conservation des documents requis par la législation sociale, les entreprises défenderesses font valoir que, ces dispositions étant contraires à l'article 59 du traité, les devoirs d'inspection qui ont pour objet d'en contrôler le respect sont également contraires à cet article.

    30 Les parties défenderesses estiment que l'obligation de payer le salaire minimum belge aux travailleurs dissuade les entreprises établies dans des États membres dans lesquels il n'existe pas de régime de salaire minimum obligatoire ou dans lesquels le montant du salaire minimum est inférieur au montant en vigueur en Belgique de se rendre dans cet État membre parce qu'elles devraient y faire face à des coûts supérieurs à ceux qu'elles devraient supporter si elles ne se déplaçaient pas. De surcroît, cette obligation est discriminatoire en pratique dès lors que les entreprises établies en Belgique ne doivent pas, pour la même prestation de services, verser des indemnités de déplacement à leurs salariés. Cette restriction à la libre prestation des services n'a pas pour objet principal de protéger les travailleurs, le niveau de protection dont ceux-ci bénéficient en France n'étant, par ailleurs, pas moins élevé. Il résulte, en effet, du procès-verbal du contrôle qui a donné lieu aux plaintes, et dans lequel l'agent inspecteur dénonce l'«attitude illégale de la part d'un employeur étranger [qui] menace la position concurrentielle des employeurs belges du même secteur», que cette restriction poursuit un objectif de nature purement économique.

    31 En ce qui concerne le paiement des cotisations au régime des timbres-fidélité et des timbres-intempéries, les entreprises prévenues reconnaissent que, bien que cette obligation constitue une restriction à la libre prestation des services, il s'agit d'une restriction imposée par l'intérêt général lié à la protection sociale des travailleurs du secteur de la construction. Elles ajoutent néanmoins que ces travailleurs bénéficient déjà d'une protection comparable sur la base des cotisations patronales versées dans l'État membre d'établissement, qui sont destinées à couvrir les mêmes risques et qui poursuivent une finalité qui, si elle n'est pas identique, n'en est pas moins fort semblable. Elles estiment, en conséquence, que cette restriction n'est pas justifiée.

    Quant à l'obligation de délivrer une fiche individuelle d'identification à chaque travailleur, les entreprises défenderesses font valoir que cette fiche, qui est délivrée par le Fonds aussi bien dans sa version provisoire que dans sa version validée, a pour seule finalité de permettre à l'Inspection du travail de vérifier que l'employeur acquitte les cotisations au régime des timbres-fidélité et au régime des timbres-intempéries puisque la fiche individuelle provisoire que l'employeur doit remplir le premier jour de travail en Belgique ne pourra être validée que s'il a satisfait aux obligations qu'il a envers le Fonds, c'est-à-dire s'il est affilié à ce Fonds, s'il paie une somme de 250 BFR par travailleur et s'il acquitte les cotisations. Les parties défenderesses ajoutent que l'employeur est également tenu de présenter une copie du formulaire E 101 afin de démontrer qu'il continue à verser les cotisations au régime de la sécurité sociale de son État membre d'établissement, ce qui le dispense de les payer en Belgique.

    32 Le gouvernement belge considère que, dans la mesure où la directive 96/71 ne fait que concrétiser l'état du droit communautaire en matière de détachement de travailleurs dans le cadre d'une prestation de services, et le codifie, celles de ses dispositions qui ne requièrent aucune action des États membres inspirent immédiatement toute interprétation des droits et des obligations découlant des articles 59 et 60 du traité. Cette prémisse étant posée, il déclare ensuite que toutes les obligations de l'entrepreneur qui sont énumérées dans la première question préjudicielle sont imposées par des lois de police et de sécurité et que leur non-respect est passible de sanctions pénales. Il examine ensuite ces obligations à la lumière des dispositions de la directive.

    33 Selon lui, il y a lieu de faire une distinction entre ces obligations selon qu'elles ont trait aux document sociaux, au salaire minimum et au règlement de travail. En ce qui concerne les premières obligations, il observe qu'en l'état actuel du droit communautaire, produire les documents délivrés par l'État membre d'origine et les faire accepter par l'État membre d'accueil comme preuve du respect de la législation sociale de celui-ci soulève des problèmes pratiques insurmontables. La première difficulté réside dans le fait qu'en matière d'infraction aux lois sociales, la compétence des services d'inspection est territoriale. En second lieu, il est pratiquement impossible pour les autorités compétentes de l'État membre d'accueil de connaître avec certitude la nature exacte et la portée des obligations qui sont imposées à un employeur en matière de conditions de travail par la législation de l'État membre d'établissement. En effet, il n'existe à l'heure actuelle aucun système organisé de coopération ou d'échange d'information entre États membres. Dans ce contexte, il apparaît que seule la production des documents sociaux prévus par la législation du pays d'accueil, qui est également l'État membre dont les conditions de travail et d'emploi s'imposent à l'employeur dans les matières essentielles, permet un contrôle approprié.

    34 En ce qui concerne les obligations du second groupe, qui comprend l'obligation de payer le salaire minimum ainsi que celle de cotiser au régime des timbres-fidélité et au régime des timbres-intempéries, le gouvernement belge déclare que c'est à l'employeur qu'il appartient de prouver que les travailleurs détachés bénéficient déjà, pour la période concernée, en application de la réglementation de l'État membre d'établissement, des mêmes avantages que ceux qui doivent leur être garantis dans l'État membre d'accueil. Il convient de vérifier non seulement que ces régimes couvrent les mêmes risques et poursuivent une finalité identique, mais encore que la protection sociale des travailleurs est assurée de la même façon et de manière aussi complète. Il affirme enfin que la finalité des régimes doit s'apprécier non seulement en fonction de leur nature, mais aussi en tenant compte de l'importance des droits qu'ils ouvrent aux travailleurs.

    35 Quant à l'obligation pour l'employeur d'adopter un règlement de travail, de manière que le travailleur puisse être informé de ses droits et obligations et que l'Inspection sociale puisse contrôler les conditions de travail, il ne suffit pas, pour s'y conformer, de présenter un règlement de travail établi à l'étranger dès lors que ce document ne peut valablement informer les travailleurs détachés des conditions de travail en vigueur dans l'État membre où la prestation de service s'effectue, notamment la procédure à suivre en cas d'accident sur le chantier ou la répartition du temps de travail, plus particulièrement les jours de fêtes locales et les jours de remplacement des jours fériés.

    36 Le gouvernement allemand considère que les articles 59 et 60 du traité ne s'opposent pas à ce qu'un État membre fasse à une entreprise qui est établie dans un autre État membre et qui détache des travailleurs sur son territoire afin d'y exécuter des travaux obligation de payer à ceux-ci le salaire minimum prévu par la convention collective de travail qui leur est applicable dans l'État d'accueil. Pour ce qui est des autres obligations imposées par la législation belge, le gouvernement allemand estime que le respect des dispositions sociales en vigueur dans l'État membre d'établissement permet aux autorités de cet État de contrôler le respect des conditions de travail qui doivent être appliquées chez elles, mais que le respect des dispositions du droit social de cet État n'est pas suffisant, lorsque l'entreprise détache ses travailleurs dans un autre État membre, pour permettre aux autorités de l'État membre d'accueil de contrôler le respect des conditions de travail impératives qui s'appliquent sur leur territoire.

    37 Le gouvernement finlandais expose qu'à l'instar des règles applicables en Belgique, les conditions en matière salariale qui sont prévues par les conventions collectives s'appliquent également aux activités effectuées en Finlande par des travailleurs étrangers, indépendamment de la loi à laquelle les parties ont choisi de soumettre leur contrat. A la demande de l'Inspection du travail, l'employeur qui a détaché des travailleurs en Finlande est obligé de fournir des informations sur les conditions de travail qui leur sont applicables. Il n'y a aucune raison, selon lui, que l'obligation faite à l'employeur de payer le salaire minimum applicable dans l'État membre dans lequel le service est presté entraîne pour lui une double charge, ce qui vaut également pour toutes les autres prestations assimilables à la rémunération minimale qui sont versées directement par l'employeur au travailleur. Il ajoute qu'en tout état de cause, les dispositions qui ont pour objet d'assurer une protection minimum en matière de conditions de travail dans un État membre et, en particulier, les conditions en matière de rétribution minimum sont obligatoires sur le territoire national et ne sont pas incompatibles avec le droit communautaire, et cela quel que soit l'État d'origine de l'employeur. Quant aux obligations à caractère administratif, il considère qu'elles peuvent être imposées à une entreprise originaire d'un autre État membre dans la mesure où elles sont nécessaires pour garantir le respect des dispositions nationales impératives en matière de droit du travail, même si cela implique que l'employeur est soumis dans son État d'origine à des obligations comparables qui ont la même finalité.

    38 Le gouvernement autrichien estime que les articles 59 et 60 du traité ne font pas obstacle à ce que l'État membre d'accueil impose à l'employeur étranger l'obligation de respecter les dispositions légales ou conventionnelles relatives au paiement du salaire minimum qu'il est tenu de verser aux travailleurs qu'il détache sur son territoire. Il estime de même que les cotisations patronales que l'employeur doit verser au régime des timbres-fidélité et au régime des timbres-intempéries font partie du salaire minimum parce qu'elles sont une forme de rétribution d'un travail fourni. Il observe enfin que, si la Cour a reconnu aux États membres le droit de restreindre la libre prestation des services lorsqu'ils peuvent se prévaloir de raisons impérieuses fondées sur l'intérêt général, cette licence signifie, implicitement, qu'ils ont le droit de contrôler le respect des mesures de protection qu'ils ont prises pour garantir cet intérêt général.

    39 La Commission estime que le travailleur qui a été détaché par son entreprise sur le territoire d'un autre État membre afin d'y réaliser des travaux doit bénéficier du salaire minimum qui est applicable aux travailleurs du même secteur dans cet État, sans toutefois perdre le droit aux conditions plus favorables dont il bénéficiait dans son État membre d'origine. Pour ce qui est de l'obligation de cotiser au régime des timbres-fidélité et au régime des timbres-intempéries, elle affirme que les entreprises qui détachent des travailleurs en Belgique ne doivent être exonérées des cotisations dans cet État membre que si elles sont déjà tenues de cotiser dans leur État d'établissement, pour les mêmes travailleurs et pour les mêmes risques, à des régimes qui, en pratique, ont la même finalité. C'est au juge national qu'il appartiendra de comparer le salaire que le travailleur percevrait s'il travaillait dans son pays d'origine avec le salaire qui devrait lui être versé conformément aux dispositions belges applicables et de comparer également les cotisations qui doivent être versées dans l'un et dans l'autre État membre. En ce qui concerne le contrôle de l'application du droit social, la Commission estime que c'est l'État membre d'accueil qui est compétent en cette matière, mais qu'en tout état de cause, il doit respecter le principe de proportionnalité. Concrètement, les contraintes qui pèsent sur l'employeur quant à l'obligation de délivrer une fiche individuelle d'identification à chaque travailleur et de tenir tous les autres documents sociaux ne devraient pas augmenter sa charge administrative ni créer des frais financiers supplémentaires pour lui. Quant à l'obligation d'adopter un règlement de travail, la Commission considère que les données qui doivent figurer sur ce document conformément à la réglementation belge sont relativement plus nombreuses que celles qui doivent figurer sur le document français correspondant. En France, néanmoins, les informations non reprises dans le règlement de travail figurent, pour la plupart, dans d'autres documents tels que le bulletin de paie du travailleur et le registre du personnel, documents qui doivent être mis à la disposition des autorités belges. Enfin, la Commission soutient que les entreprises qui détachent des travailleurs dans un autre État membre doivent se soumettre aux diligences des fonctionnaires et agents de l'Inspection du travail chargés de contrôler le respect de la législation sur les conditions du travail.

    40 A l'expiration du délai que l'article 20 du statut CE de la Cour de justice prévoit pour le dépôt des observations, la Cour a décidé de poser quelques questions à toutes les parties qui avaient fait usage de ce droit. La première question, adressée à toutes les parties intervenantes, portait sur le point de savoir si l'obligation que la législation belge fait à l'employeur, d'une part, de désigner un mandataire ou préposé chargé de tenir les comptes individuels en Belgique et, d'autre part, l'obligation de conserver le registre du personnel et les comptes individuels au domicile belge d'une personne physique sont susceptibles d'entraîner l'établissement d'une agence, d'une succursale ou d'une filiale dans l'État membre d'accueil, au sens de l'article 52 du traité. La deuxième question, adressée aux États membres et à la Commission, avait pour but de les amener à préciser si ces mêmes obligations doivent être qualifiées de discriminations directes exercées en raison de la nationalité. La troisième question, enfin, qui s'adressait uniquement au gouvernement belge, invitait celui-ci à préciser la législation ou pratique belge qui inclut les timbres-fidélité et les timbres-intempéries dans la notion de salaire minimum.

    B - Les réponses à la première question écrite de la Cour

    41 Les parties défenderesses au principal répondent que la notion d'établissement au sens de l'article 52 du traité ne se limite pas à l'ouverture d'une succursale, d'une filiale ou d'une agence mais qu'elle comprend d'autres formes moins définies d'installation, pourvu qu'il y ait une certaine permanence. Elles estiment qu'en l'espèce, on retrouve les traits caractéristiques d'un établissement, à savoir qu'il existe une installation matérielle, c'est-à-dire un lieu dans lequel les documents sont conservés; que cette installation matérielle a une certaine permanence dans la mesure où l'obligation qu'a l'employeur de conserver ces documents pendant un délai de cinq ans s'étend au mandataire ou au préposé domicilié en Belgique, et, enfin, que cette installation matérielle dépend d'un centre principal situé dans un autre État membre. Elles ajoutent que le représentant en Belgique de l'employeur établi dans un autre État membre doit être, de manière inévitable, investi de prérogatives juridiques et administratives qui seront susceptibles d'engager la responsabilité de l'employeur en cas de non-respect des obligations imposées par la loi belge.

    42 Le gouvernement belge estime, au contraire, que les obligations en question ne donnent pas lieu à l'établissement d'une agence, d'une succursale ou d'une filiale au sens de l'article 52 du traité et qu'en pratique, l'employeur qui ne dispose pas d'un domicile ou d'un siège social en Belgique s'adresse normalement à un secrétariat social, à une fiduciaire ou à un bureau comptable et lui donne mandat de conserver le registre du personnel et les documents sociaux requis. Il s'agit d'une fonction limitée à la simple garde matérielle des documents, le mandataire agissant comme simple domiciliataire, qui ne dispose jamais du pouvoir de représenter l'employeur étranger auprès des tiers. Les conditions nécessaires à la création d'un établissement au sens de l'article 52, à savoir la permanence et la représentativité, ne sont donc pas remplies.

    Au cours de l'audience, l'agent du gouvernement belge a ajouté que le registre du personnel et le compte individuel de chaque travailleur peuvent être conservés sur le chantier même pendant toute la durée de celui-ci, le responsable du chantier devant les tenir à la disposition de l'Inspection du travail. A la fin du chantier, les documents doivent cependant être conservés pendant cinq ans au domicile belge d'une personne physique. C'est pourquoi la réglementation impose à l'employeur de désigner un mandataire ou un préposé qui assure la responsabilité de leur conservation.

    43 Le gouvernement allemand fait observer que la législation belge exige une certaine présence de l'entreprise en Belgique. Il faudra, dans le cas concret, déterminer à la lumière du principe de proportionnalité si cette exigence est compatible avec l'article 59 du traité.

    44 Le gouvernement finlandais a déclaré que la réponse à cette question dépendra du point de savoir si la législation belge exige que le registre du personnel et les comptes individuels des travailleurs soient conservés en Belgique ou s'il suffit que ces documents puissent être mis à la disposition de l'Inspection du travail lorsque celle-ci demande à les consulter, et que cette même réponse dépendra également de la durée pendant laquelle ils doivent être conservés, élément qui ne figure pas dans l'ordonnance de renvoi de la juridiction nationale.

    45 Le gouvernement autrichien estime qu'il est possible, par simple contrat, de charger un mandataire ou préposé de tenir le registre du personnel et les comptes individuels. Selon les circonstances, un tel mandat peut entraîner la création d'une installation, sans que cela en soit la conséquence obligée. L'examen de cette question devra, en tout état de cause, tenir compte de la durée de l'activité du fournisseur de services dans l'État d'accueil ainsi que du comportement global de l'entrepreneur, par exemple de la mise en place d'une installation au lieu de la prestation pendant un temps assez long ou de l'adhésion aux organisations professionnelles de l'État d'accueil.

    46 La Commission répond qu'étant donné que le mandataire, que le fournisseur de services qui n'a pas de domicile ou de siège social en Belgique doit désigner, n'a pas le pouvoir d'engager l'entreprise ou de passer des contrats en son nom, puisque son rôle est limité à la conservation de certains documents sociaux, l'obligation qui est faite à l'employeur de le désigner n'équivaut pas à l'obligation de fonder un établissement.

    47 Le représentant du gouvernement du Royaume-Uni a soutenu à l'audience que l'obligation faite aux entreprises étrangères de désigner en Belgique un mandataire ou préposé chargé de garder certains documents à son domicile n'équivaut pas à l'exercice, par ces entreprises, d'une activité économique par le truchement de ce mandataire ou préposé et qu'elle ne peut donc pas être interprétée comme étant une obligation d'ouvrir une succursale ou une agence au sens de l'article 52 du traité.

    C - Les réponses à la deuxième question écrite de la Cour

    48 Aussi bien les gouvernements belge, allemand, finlandais et autrichien et le gouvernement du Royaume-Uni que la Commission considèrent que l'obligation de conserver le registre du personnel et les comptes individuels des travailleurs ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la nationalité dès lors qu'elle s'impose de la même manière aux entreprises belges qu'aux entreprises étrangères qui fournissent une prestation de services en Belgique.

    D - La réponse à la troisième question écrite de la Cour

    49 Le gouvernement belge se limite, pour répondre à cette question, à rappeler qu'aussi bien les timbres-fidélité que les timbres-intempéries ont été créés en 1988 par une convention collective, rendue obligatoire par l'arrêté royal du 15 juin 1988; que les timbres-fidélité, qui représentent 9 % de la masse salariale annuelle brute, correspondent, en fait, à une prime de fin d'année pour les travailleurs du secteur de la construction; que les timbres-intempéries, qui représentent 2 % de la masse salariale annuelle brute, constituent un remboursement par le Fonds, à concurrence de 50 %, du salaire journalier dû au travailleur qui, s'étant rendu à son travail, ne peut soit entamer celui-ci soit le poursuivre en raison d'intempéries. C'est la raison pour laquelle il conclut qu'aussi bien les timbres-fidélité que les timbres-intempéries constituent incontestablement une rémunération à laquelle le travailleur a droit en raison de ses prestations de travail et qu'ils font partie du revenu annuel des travailleurs du secteur de la construction qui est garanti par des dispositions d'ordre public. Il ajoute que les cotisations destinées à financer l'un et l'autre régimes constituent un mode de paiement d'une partie du salaire que l'employeur de ce secteur doit verser à ses travailleurs.

    VI - Examen des questions préjudicielles

    A - Observations préliminaires

    50 Au moyen de la première question qu'il a posée à la Cour dans les deux affaires, le tribunal correctionnel de Huy cherche à s'entendre préciser si les obligations que la législation belge impose aux entreprises du secteur de la construction qui viennent en Belgique avec leurs travailleurs afin d'y réaliser certains travaux constituent des restrictions incompatibles avec le principe de la libre prestation des services lorsque les entreprises en question sont établies dans un autre État membre dans lequel elles sont déjà soumises à des obligations comparables par leur finalité, et cela au titre des mêmes travailleurs et pour les mêmes périodes d'activité.

    51 Je crois qu'il ne fait aucun doute, à ce stade, que les obligations dont les autorités belges entendent imposer le respect aux entreprises défenderesses constituent, en pratique, des restrictions à la libre prestation des services dans la mesure où elles peuvent impliquer des frais et des charges administratives supplémentaires pour les entreprises établies dans un autre État membre et que, partant, elles peuvent rendre plus difficile et moins attrayante pour elles la décision de se rendre en Belgique en vue d'y effectuer des travaux de construction. Il s'agira de voir si, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, ces restrictions sont justifiées par une raison impérieuse fondée sur l'intérêt général ou bien si elles sont incompatibles avec le droit communautaire.

    52 Pour pouvoir répondre aux questions préjudicielles, j'exposerai, tout d'abord, la jurisprudence de la Cour relative aux restrictions à la libre prestation des services. J'examinerai ensuite la première question et analyserai les dix obligations que la juridiction nationale a énoncées. A cet effet, je les répartirai en trois groupes, à savoir les obligations de payer aux travailleurs détachés le salaire minimum qui est en vigueur dans l'État membre d'accueil et de verser, pour chacun d'eux, des cotisations au régime des timbres-fidélité et au régime des timbres-intempéries (nos 2 et 6); les obligations qui ont pour objet de faciliter le contrôle, par les autorités de l'État membre d'accueil, du respect de sa législation sociale (nos 1, 3, 4, 5, 9 et 10) et les obligations qui ont trait à la collaboration avec les services de l'Inspection du travail (nos 7 et 8). J'examinerai enfin la seconde question.

    B - La jurisprudence de la Cour relative aux restrictions la libre prestation des services dans la Communauté

    53 L'article 59, premier alinéa, du traité impose aux États membres l'obligation de supprimer progressivement au cours de la période de transition toutes les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation. L'article 60, troisième alinéa, du traité confère au fournisseur de services le droit d'exercer, à titre temporaire, son activité dans le pays où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que ce pays impose à ses propres ressortissants. Ces deux dispositions ont un effet direct et peuvent être invoquées devant les juridictions nationales depuis la fin de la période transitoire (3).

    54 Conformément à la jurisprudence de la Cour, les articles 48 et 59 du traité visent à faciliter, pour les ressortissants communautaires, l'exercice d'activités professionnelles de toutes natures sur l'ensemble du territoire de la Communauté et s'opposent à une réglementation nationale qui pourrait défavoriser ces ressortissants lorsqu'ils souhaitent étendre leurs activités hors du territoire d'un seul État membre (4).

    55 L'obligation d'éliminer les restrictions à la libre prestation des services a tout d'abord été interprétée par la Cour comme interdisant toutes les discriminations exercées à l'encontre du fournisseur de services en raison de sa nationalité ou de la circonstance qu'il se trouve établi dans un État membre autre que celui où la prestation doit être fournie (5). En effet, comme la Cour l'a déclaré, le principe de l'égalité de traitement, dont l'article 59 n'est qu'une expression particulière, prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (6).

    56 La Cour a déclaré à ce propos que les réglementations nationales qui ne sont pas indistinctement applicables aux prestations de services quelle qu'en soit l'origine et qui sont, dès lors, discriminatoires ne sont compatibles avec le droit communautaire que si elles peuvent relever d'une disposition dérogatoire expresse (7). Les articles 55 à 58 inclus, qui figurent dans le chapitre consacré au droit d'établissement, sont applicables à la libre prestation des services en vertu de l'article 66 du traité. Au nombre des exceptions susceptibles de permettre des restrictions à ces deux libertés, l'article 56 énonce les dispositions nationales qui prévoient un régime spécial pour les ressortissants étrangers et qui sont justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique. Les objectifs de nature économique ne peuvent constituer des raisons d'ordre public au sens de l'article 56 du traité (8).

    57 La Cour a également déclaré qu'en l'absence d'harmonisation des règles applicables aux services, voire d'un régime d'équivalence, des entraves à la liberté garantie par le traité dans le domaine des prestations de services peuvent, en second lieu, provenir de l'application de réglementations nationales, qui touchent toute personne établie sur le territoire national, à des fournisseurs de services établis sur le territoire d'un autre État membre, lesquels doivent déjà satisfaire aux prescriptions de la législation de cet État (9). Il existe à ce sujet une jurisprudence constante conformément à laquelle l'article 59 du traité exige non seulement l'élimination de toute discrimination exercée à l'encontre du fournisseur de services en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s'applique indistinctement aux fournisseurs nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu'elle est de nature à prohiber ou à gêner autrement les activités du fournisseur de services établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services analogues (10). La Cour a ajouté que, dans l'optique d'un marché unique, et pour permettre de réaliser les objectifs de celui-ci, la libre prestation des services s'oppose également à l'application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre États membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un État membre (11).

    58 Dans le droit fil de ce qui précède, la Cour a dit pour droit:

    1) que la libre prestation des services, en tant que principe fondamental du traité, ne peut être limitée que par des réglementations justifiées par l'intérêt général et s'appliquant à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire de l'État destinataire, dans la mesure où cet intérêt n'est pas sauvegardé par les règles auxquelles le fournisseur de services est soumis dans l'État membre où il est établi;

    2) que ces limitations doivent être objectivement nécessaires en vue de garantir la réalisation de l'objectif qui est le leur; et

    3) que ces limitations ne peuvent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (12).

    59 Au cours des années, la Cour a élaboré une jurisprudence pratique sur les raisons impérieuses liées à l'intérêt général qui sont susceptibles de justifier les entraves à la libre prestation des services qui sont imposées par les réglementations nationales. Voici une liste non exhaustive des raisons qu'elle a reconnues comme telles: la protection de la propriété intellectuelle (13); la protection du destinataire du service, protection dont la nécessité est susceptible de justifier que le fournisseur de services soit soumis aux règles professionnelles de l'État membre d'accueil (14); la protection sociale des travailleurs (15); la protection des consommateurs (16); la loyauté des transactions commerciales (17); une politique culturelle visant à maintenir un système national de radio et de télévision garantissant le pluralisme (18); la protection d'une bonne administration de la justice (19); la sauvegarde de la cohérence d'un régime fiscal (20); le maintien de la bonne réputation du secteur financier national (21); la conservation du patrimoine historique et artistique national (22); la mise en valeur des richesses archéologiques, historiques et artistiques ainsi que la meilleure diffusion possible des connaissances relatives au patrimoine artistique et culturel d'un pays (23), et, enfin, le risque de préjudice grave pour l'équilibre financier du système de sécurité sociale (24).

    60 La Cour a également dit pour droit que, si les articles 59 et 60 du traité ont pour but principal de permettre au fournisseur de services d'exercer son activité dans l'État membre d'accueil sans discrimination par rapport aux ressortissants de cet État, ils n'impliquent pas pour autant que toute législation nationale applicable aux ressortissants de cet État et visant normalement une activité permanente des personnes établies dans celui-ci puisse être appliquée intégralement de la même manière à des activités, à caractère temporaire, exercées par des personnes établies dans d'autres États membres (25). La Cour a également souligné que les conditions que l'État membre d'accueil impose ne peuvent pas faire double emploi avec les conditions légales équivalentes déjà remplies dans l'État d'établissement et que l'autorité de contrôle de l'État destinataire doit prendre en considération les contrôles et vérifications déjà effectués dans l'État membre d'établissement (26).

    C - Sur l'obligation de payer aux travailleurs détachés le salaire minimum prévu par l'État membre d'accueil et de verser, pour chacun d'eux, les cotisations aux régimes des timbres-fidélité et des timbres-intempéries (obligations nos 2 et 6 de la première question préjudicielle)

    61 C'est la première fois qu'une juridiction nationale interroge directement la Cour sur les effets que l'obligation de verser le salaire minimum applicable dans l'État membre d'accueil produit sur la libre prestation des services par des entreprises qui sont établies dans un autre État membre et qui détachent leurs travailleurs pour les besoins d'un chantier donné. Il est toutefois curieux d'observer qu'il existe, à ce sujet, une jurisprudence constante conformément à laquelle le droit communautaire ne s'oppose pas à ce que les États membres étendent l'application de leur législation relative aux salaires minimum ou des conventions collectives du travail conclues à ce sujet par les partenaires sociaux à toute personne effectuant un travail salarié, même temporaire, sur leur territoire, quel que soit le pays d'établissement de l'employeur. Le droit communautaire n'interdit pas davantage aux États membres d'imposer le respect de ces règles par les moyens appropriés. La Cour s'est prononcée en ce sens pour la première fois dans l'arrêt Seco et Desquenne & Giral (27) et elle a confirmé cette jurisprudence à trois reprises.

    62 Dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt Seco et Desquenne & Giral, les entreprises demanderesses étaient établies en France et s'étaient transportées au Luxembourg avec leurs travailleurs, ressortissants de pays tiers, afin d'y réaliser des travaux de construction et d'entretien de l'infrastructure du réseau des chemins de fer. Pendant toute la durée des travaux, ces ouvriers étaient restés obligatoirement affiliés au régime de la sécurité sociale française. Les litiges pendants devant la Cour de cassation du Luxembourg, qui avait saisi la Cour de questions préjudicielles, portaient sur l'obligation que la législation luxembourgeoise faisait aux entreprises effectuant temporairement des travaux sur le territoire du Grand-Duché au moyen de leurs propres ouvriers de payer pour ceux-ci la quotité patronale des cotisations au régime de l'assurance vieillesse et invalidité. Dans le cas d'espèce, les entreprises demanderesses étaient déjà tenues de payer des cotisations comparables au titre de la législation française pour les mêmes ouvriers et pour les mêmes périodes d'activité, circonstance à laquelle s'ajoutait le fait que les cotisations qu'elles devaient verser au Grand-Duché ne conféraient à leurs ouvriers aucun droit à percevoir un avantage social quelconque.

    L'organisme de la sécurité sociale luxembourgeoise soutenait que l'obligation imposée aux entreprises était justifiée parce qu'elle avait pour objet de compenser les avantages économiques que les entreprises pouvaient tirer du non-respect de la législation nationale en matière de salaire minimum. L'organisme défendeur avait ainsi fait valoir que le Grand-Duché était un pays à salaires notoirement élevés et qu'en dépit du fait que la législation sur le salaire minimum y est une loi d'ordre public applicable à tous ceux qui effectuent un travail rémunéré sur le territoire luxembourgeois, il était souvent difficile en pratique de faire observer cette réglementation à l'égard des entreprises qui viennent y travailler avec leur main-d'oeuvre pour une période de temps relativement brève. C'est donc pour éviter qu'une telle situation produise une distorsion de la concurrence au détriment des entreprises établies au Luxembourg qui fournissent les mêmes services que les fournisseurs de services établis dans un autre État membre ne devaient pas être exonérés du paiement des cotisations en cause.

    63 La Cour a répondu que le droit communautaire fait obstacle à ce qu'un État membre oblige un employeur qui se trouve dans la situation de l'entreprise Seco (c'est-à-dire, comme je l'ai expliqué plus haut, une entreprise qui est déjà tenue de verser, pour les mêmes travailleurs et pour les mêmes périodes d'activité, des cotisations au régime de la sécurité sociale de son État d'établissement et que son État d'accueil oblige à verser des cotisations à son propre régime de la sécurité sociale alors que celles-ci n'ouvriront à ses travailleurs aucun droit à un avantage social quelconque) à verser la part patronale des cotisations de sécurité sociale du chef des travailleurs qu'il a détachés dans cet État et que cette obligation ne serait pas non plus justifiée si elle avait pour objet de compenser les avantages économiques que l'employeur pourrait tirer de l'inobservation de la réglementation en matière de salaire social minimum de l'État où s'effectue la prestation (28).

    64 L'arrêt Seco et Desquenne & Giral fait donc apparaître clairement que le droit communautaire ne fait pas obstacle à ce que les États membres étendent l'application de leur législation relative aux salaires minimum ou des conventions collectives du travail conclues à ce sujet par les partenaires sociaux à toute personne effectuant un travail salarié, même temporaire, sur leur territoire, quel que soit le pays d'établissement de l'employeur, et qu'il n'interdit pas aux États membres d'imposer le respect de ces règles par tous les moyens appropriés. Bien que la lecture de cette jurisprudence puisse laisser penser que la réponse aux questions posées par le tribunal correctionnel de Huy ne devrait pas poser de difficultés majeures, tel n'est cependant pas le cas, comme j'aurai l'occasion de le démontrer plus loin après avoir examiné les trois autres arrêts qui présentent un rapport direct avec la présente affaire.

    65 La Cour a confirmé la jurisprudence Seco et Desquenne & Giral dans l'arrêt Rush Portuguesa (29). Le litige dans le cadre duquel le tribunal administratif de Versailles avait adressé différentes questions préjudicielles à la Cour trouvait son origine dans les diligences de l'Inspection du travail, laquelle avait découvert un certain nombre d'infractions au code du travail français alors qu'elle procédait à des contrôles sur des chantiers que l'entreprise Rush Portuguesa était en train de réaliser en France. D'une part, les travailleurs de l'entreprise n'étaient pas en possession des permis de travail que le code du travail exige des ressortissants de pays tiers exerçant des activités salariées en France et, d'autre part, ils n'avaient pas été recrutés par l'Office national d'immigration, auquel le même code confère le droit exclusif de recruter en France des nationaux d'États tiers. L'entreprise, société de droit portugais ayant son siège au Portugal, s'était transportée en France avec ses propres ouvriers, qui possédaient la nationalité portugaise. A l'époque des faits, ces travailleurs tombaient sous le coup des dispositions instituant une période transitoire que l'acte d'adhésion de la République portugaise à la Communauté (30) comportait en matière de libre circulation des travailleurs et, plus particulièrement, en matière d'accès à l'emploi.

    66 Les lois auxquelles il était reproché à l'entreprise Rush Portuguesa d'avoir contrevenu étaient des lois d'ordre public, qui, en tant que telles, s'appliquaient à quiconque se trouvait sur le territoire national. En dépit de cela, la Cour a dit pour droit que l'article 60 du traité, aux termes duquel le fournisseur de services peut, pour l'exécution de sa prestation, exercer, à titre temporaire, son activité dans le pays où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que ce pays impose à ses propres ressortissants, doit être interprété en ce sens que soumettre le déplacement du personnel d'un fournisseur de services établi dans un autre État membre à des conditions restrictives telles qu'une condition d'embauche sur place ou une obligation d'autorisation de travail discrimine ce fournisseur par rapport à ses concurrents établis dans le pays d'accueil, qui peuvent se servir librement de leur propre personnel, et affecte au surplus sa capacité de fournir la prestation (31). Le gouvernement français ayant manifesté ses inquiétudes parce que les travailleurs portugais ne touchaient que de maigres salaires, la Cour a rappelé qu'un État membre peut, sans enfreindre le droit communautaire, étendre l'application de sa législation en matière de salaires minimum à toute personne effectuant un travail salarié, même temporaire, sur son territoire, quel que soit le pays d'établissement de l'employeur.

    67 La possibilité pour des travailleurs qui ne bénéficient pas du droit à la libre circulation (il s'agissait en l'espèce de ressortissants de pays tiers) de travailler en France dans le cadre d'une prestation de services fournie par une entreprise belge spécialisée en démolitions qui se déplaçait avec ses ouvriers a de nouveau été examinée dans l'affaire Vander Elst (32). Le tribunal administratif de Châlons-sur-Marne avait adressé à la Cour deux questions préjudicielles, au moyen desquelles il voulait s'entendre préciser si le droit communautaire s'oppose à ce qu'un État membre oblige les entreprises qui, établies dans un autre État membre, se rendent sur son territoire afin d'y prester des services et qui emploient des ressortissants d'États tiers de façon régulière et habituelle à obtenir, pour ces travailleurs, une autorisation de travail auprès d'un organisme national d'immigration et à payer les frais y afférents, sous peine de se voir infliger une amende administrative.

    68 La Cour a répondu affirmativement et, bien que son arrêt ne comporte aucune nouveauté par rapport à la jurisprudence qu'elle avait déjà dégagée en la matière, elle a donné deux précisions qui présentent un intérêt particulier pour la solution à fournir dans la présente affaire.

    D'une part, la Cour déduit de l'arrêt Seco et Desquenne & Giral qu'une réglementation d'un État membre qui oblige les entreprises établies dans un autre État membre à payer des redevances pour pouvoir employer sur son territoire des travailleurs qui ont déjà donné lieu, pour les mêmes périodes d'activité, à des charges comparables dans leur État de résidence se révèle une charge économique supplémentaire pour ces employeurs, lesquels sont ainsi grevés plus lourdement que les fournisseurs de services établis sur le territoire national (33).

    D'autre part, la Cour a de nouveau réfuté l'argumentation selon laquelle la législation française était nécessaire pour éviter que les entreprises des autres États membres emploient des travailleurs ressortissants de pays tiers en leur payant des rétributions moins élevées et en leur appliquant des conditions de travail moins favorables que celles qui sont généralement garanties par la réglementation de l'État membre d'accueil et elle a rappelé que tout État membre peut étendre l'application de sa législation relative aux salaires minimum à toute personne effectuant un travail salarié, même temporaire, sur son territoire, quel que soit le pays d'établissement de l'employeur. Elle a par ailleurs souligné le fait que les travailleurs ressortissants d'un pays tiers qui étaient employés par l'entreprise Vander Elst étaient titulaires d'un contrat de travail en bonne et due forme, régi par la loi belge.

    69 La dernière fois que la Cour a repris cette jurisprudence, c'est dans l'arrêt Guiot (34), qu'elle a rendu en 1996 en réponse à une question préjudicielle que lui avait posée le tribunal correctionnel d'Arlon en Belgique. Cet arrêt revêt un double intérêt. En premier lieu, parce que la Cour y confirme sa jurisprudence constante conformément à laquelle le droit communautaire ne s'oppose pas à ce que les États membres étendent l'application de leur législation sur les salaires minimum ou des conventions collectives de travail conclues en cette matière par les partenaires sociaux à toute personne effectuant un travail salarié, même temporaire, sur leur territoire, quel que soit le pays d'établissement de l'employeur, et conformément à laquelle également le droit communautaire n'interdit pas davantage aux États membres d'imposer le respect de ces règles par les moyens appropriés. En second lieu, cet arrêt est intéressant parce que l'affaire avait trait aux effets restrictifs produits sur la libre prestation des services par l'obligation que le droit belge fait aux entreprises établies dans un autre État membre qui réalisent des chantiers en Belgique de verser, pour chaque travailleur, les cotisations au régime des timbres-fidélité et des timbres-intempéries.

    70 La Cour a tout d'abord observé qu'une réglementation nationale qui oblige l'employeur, agissant en qualité de fournisseur de services au sens du traité, à verser des cotisations patronales au Fonds de sécurité de l'État membre d'accueil, en plus des cotisations qu'il a déjà versées au Fonds de sécurité de l'État où il est établi, lui impose une charge économique supplémentaire, de sorte qu'il ne se trouve pas sur un pied d'égalité, du point de vue de la concurrence, avec les employeurs établis dans l'État d'accueil. Elle a ajouté qu'il y avait donc lieu de considérer qu'une telle réglementation, même si elle s'applique indistinctement aux fournisseurs de services nationaux et à ceux qui sont établis dans d'autres États membres, est susceptible de constituer une restriction à la libre prestation de services au sens de l'article 59 du traité (35).

    La Cour a déclaré ensuite que, si l'intérêt général que revêt la protection sociale des travailleurs du secteur de la construction en raison des conditions spécifiques à ce secteur peut constituer une raison impérieuse justifiant une telle restriction à la libre prestation des services, tel n'est toutefois pas le cas si les travailleurs en question jouissent de la même protection, ou d'une protection essentiellement comparable, en vertu des cotisations patronales déjà versées par l'employeur dans son État membre d'établissement. La Cour a conclu que, dans ces conditions, il appartient au juge de renvoi de vérifier si les exigences posées par la réglementation de l'État d'établissement sont analogues, ou en tout cas comparables, à celles qui sont posées par la réglementation de l'État où s'effectue la prestation de services (36).

    La Cour a souligné en outre que, la protection sociale des travailleurs constituant la seule considération d'intérêt général susceptible de justifier des restrictions à la libre prestation de services telles que celles qui étaient en cause en l'espèce, les éventuelles différences techniques constatées dans la gestion de ces régimes ne sauraient justifier une telle restriction, raison pour laquelle les articles 59 et 60 du traité s'opposent à ce qu'un État membre oblige une entreprise, établie dans un autre État membre et exécutant temporairement des travaux dans le premier État, à verser des cotisations patronales au régime des timbres-fidélité et des timbres-intempéries du chef des travailleurs qui ont été affectés à la réalisation de ces travaux, alors que cette entreprise est déjà redevable de cotisations comparables dans l'État où elle est établie, du chef des mêmes travailleurs et pour les mêmes périodes d'activité (37).

    71 Je puis affirmer dès à présent qu'il n'y a, selon moi, aucune raison qui justifierait une modification de cette jurisprudence. Étant donné que la réglementation belge qui institue des restrictions à la libre prestation des services peut être justifiée par des raisons impérieuses liées à l'intérêt général, à savoir la protection sociale des travailleurs, et qu'elle s'applique à toute personne ou entreprise exerçant une activité dans le secteur de la construction, il s'agirait en l'espèce de déterminer si cet intérêt n'est pas déjà garanti par les règles auxquelles les entreprises sont déjà soumises dans leur État d'établissement; de déterminer ensuite si cette réglementation est nécessaire pour assurer la réalisation de l'objectif qui est le sien et, enfin, si elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre.

    C'est la raison pour laquelle il est indispensable, pour préciser les notions que la Cour a utilisées jusqu'à présent, d'analyser plus avant les conditions dans lesquelles un État membre peut étendre l'application de sa législation sur les salaires minimum ou des conventions collectives de travail conclues en cette matière par les partenaires sociaux à toute personne effectuant un travail salarié sur son territoire.

    72 Je pars du principe qu'il y a lieu de considérer comme salaire tous les avantages économiques que les travailleurs perçoivent en espèce ou en nature en contrepartie des services qu'ils prestent à titre professionnel pour le compte d'autrui dès lors que ces avantages rétribuent le travail effectif, quelle que soit la forme de la rémunération, ou les périodes de repos assimilables à du travail. Sont exclues de la notion de salaire les sommes perçues par le travailleur à titre de remboursement des frais qu'il a exposés à l'occasion de son activité professionnelle.

    73 Il ressort de la jurisprudence que je viens de passer en revue que, dans le domaine dont il s'agit en l'espèce, on peut distinguer deux types de salaire minimum.

    En premier lieu, il existe, dans certains États membres, un salaire minimum interprofessionnel consistant en une somme fixée par acte législatif ou réglementaire sur la base de facteurs tels que l'indice des prix à la consommation, la productivité moyenne nationale et la conjoncture économique générale. Il est donc revu périodiquement. Il remplit une fonction de politique sociale dès lors qu'il a pour but de garantir qu'en aucun cas, le travailleur ne percevra une rétribution inférieure au salaire minimum interprofessionnel pour une journée complète de travail, et cela quel que soit le secteur dans lequel il est employé.

    En second lieu, il existe des salaires minimum professionnels qui sont fixés pour chaque secteur d'activité par des conventions collectives qui, en règle générale, introduisent des majorations salariales par rapport au salaire minimum interprofessionnel et dont le champ d'application couvre fréquemment l'ensemble du territoire national et s'étend à toutes les entreprises du secteur. Le salaire minimum professionnel, qui est le fruit de négociations entre les partenaires sociaux, a généralement une structure complexe, qui s'explique souvent par des raisons historiques et, principalement, par les rapports de force qui président aux négociations. La contrepartie économique de l'activité salariée comprend habituellement un salaire de base et des compléments salariaux. Le salaire de base est fixé exclusivement sur la base d'unités de temps. Quant aux compléments salariaux, ils peuvent dépendre d'éléments personnels, comme l'ancienneté, ou du poste de travail, comme lorsqu'il s'agit d'un travail nocturne, d'un travail pénible ou dangereux, voire d'un travail exposant le travailleur à des risques d'intoxication; ils peuvent dépendre de la qualité ou de la quantité du travail fourni, comme c'est le cas des primes, des incitants, des bonus accordés pour assiduité, activité exceptionnelle, ou heures supplémentaires; les compléments salariaux comprennent encore les gratifications extraordinaires, qui s'appelleront, selon les cas, la prime de Noël ou de fin d'année, les participations bénéficiaires, le pécule de vacances ou autres avantages similaires; ils comprennent enfin la rémunération des congés payés.

    74 Il reste à déterminer si les timbres-fidélité et les timbres-intempéries sont inclus dans la notion de salaire minimum applicable à toute personne exerçant une activité salariée sur le territoire d'un État membre. Il résulte des pièces du dossier que les timbres-fidélité sont une gratification extraordinaire qui est versée au travailleur une fois par an, à savoir quatre mois après la fin de l'année, et qui équivaut à 9 % de la masse salariale brute. Elle a pour objet de récompenser le travailleur d'être resté dans le secteur de la construction. Quant aux timbres-intempéries, qui représentent 2 % de la masse salariale brute du travailleur, ils ont pour objet de l'indemniser pour la partie de son salaire qui ne lui a pas été versée par l'entreprise les jours durant lesquels le mauvais temps l'a empêché de commencer ou de poursuivre normalement son travail. Il s'agit d'une indemnisation forfaitaire indépendante du montant réel de la perte salariale. Aussi bien les timbres-fidélité que les timbres-intempéries sont des avantages économiques que le travailleur perçoit en contrepartie de son travail. Il ne fait aucun doute que la définition que j'ai donnée du salaire minimum professionnel englobe nécessairement les sommes auxquelles les travailleurs ont droit au titre de ces deux régimes.

    75 Il n'est certainement pas exceptionnel que les conventions collectives de travail prévoient des gratifications extraordinaires que l'employeur versera aux travailleurs une, deux ou trois fois l'an, voire plus fréquemment encore, et qui correspondent habituellement au minimum au salaire de base mensuel majoré de la bonification d'ancienneté. Il n'est pas exceptionnel non plus que les conventions collectives conclues dans le secteur de la construction contiennent des règles destinées à tempérer les conséquences des interruptions de l'activité qui sont dues à des cas de force majeure, à des accidents atmosphériques, à des intempéries ou à n'importe quel autre facteur indépendant de la volonté de l'entreprise, laquelle, pendant tout ce temps, demeure obligée de verser le salaire de ses employés.

    76 L'originalité des régimes belges des timbres-fidélité et des timbres-intempéries réside dans leur mode de financement: au lieu que ce soit l'employeur qui se charge directement de verser une fois l'an une gratification extraordinaire au travailleur pour sa fidélité à l'entreprise et au lieu qu'il paye le salaire journalier ou mensuel convenu sans tenir compte des interruptions de l'activité dues aux intempéries, il verse, à ces deux titres, des cotisations à un fonds qui a été mis en place pour toutes les entreprises du secteur et qui se subroge à l'employeur à l'égard de ces deux types d'obligations salariales (38). Le fait que cette rémunération ne soit pas versée directement au travailleur par l'employeur ne lui ôte pas sa nature de partie du salaire, à savoir, en l'espèce, sa nature de partie du salaire minimum professionnel.

    77 Les États membres peuvent donc, sans enfreindre le droit communautaire, étendre l'application de leur législation salariale ou des conventions collectives de travail relatives aux salaires minimum, qu'il s'agisse du salaire minimum interprofessionnel ou du salaire minimum professionnel d'un secteur déterminé, à toute personne exerçant une activité salariée, fût-elle temporaire, sur leur territoire, quel que soit l'État d'établissement de l'entreprise.

    78 Comment faudra-t-il alors, puisqu'il convient de considérer que les timbres-fidélité et les timbres-intempéries font partie du salaire minimum professionnel des travailleurs du secteur de la construction, concilier la jurisprudence de la Cour relative aux salaires minimum avec celle qu'elle a dégagée dans l'arrêt Guiot, conformément auquel les articles 59 et 60 du traité s'opposent à ce qu'un État membre oblige une entreprise établie dans un autre État membre et exécutant temporairement des travaux dans le premier État à verser des cotisations patronales au titre de ces deux régimes du chef des travailleurs qui ont été affectés à la réalisation de ces travaux, alors que cette entreprise est déjà redevable, dans l'État où elle est établie, de cotisations comparables du chef des mêmes travailleurs et pour les mêmes périodes d'activités?

    79 Selon moi, le champ d'application des règles qui régissent les salaires minimum dans un État membre ne peut pas être automatiquement étendu aux entreprises étrangères qui effectuent une prestation de services sur le territoire de celui-ci avec leurs propres travailleurs. Il le peut d'autant moins que la Cour a dit pour droit que les conditions imposées par l'État d'accueil ne peuvent pas faire double emploi avec les conditions légales équivalentes déjà remplies dans l'État membre d'établissement (39). C'est la raison pour laquelle, avant d'imposer à ces entreprises l'obligation de payer les salaires minimum qui sont en vigueur sur son territoire, tels qu'ils sont définis par sa loi nationale, l'État membre d'accueil devra vérifier que la protection sociale des travailleurs que la réglementation nationale a pour objet d'assurer n'est pas déjà garantie tout autant, voire davantage, par la législation de l'État d'établissement des entreprises.

    80 Mais de quelle manière faudra-t-il évaluer si la protection sociale des travailleurs est déjà garantie autant ou davantage par la législation de l'État membre d'établissement? Je crois que, pour évaluer ce degré de protection, les autorités de l'État membre d'accueil, y compris les juridictions, devront comparer globalement les prestations économiques que le travailleur a le droit de percevoir annuellement en application des règles de l'État membre dans lequel son entreprise est établie avec celles qu'il aurait le droit de percevoir s'il travaillait toute l'année dans l'État membre d'accueil. Le travailleur devra pouvoir bénéficier, pendant toute la période durant laquelle il est détaché par son entreprise sur le territoire d'un autre État membre dans le cadre d'une prestation de services, de la réglementation qui lui assure les revenus annuels les plus avantageux.

    81 C'est, en règle générale, au juge national qu'il appartiendra de connaître des situations telles que celles qui sont en jeu dans les présentes affaires et je voudrais souligner que, pour déterminer la réglementation qui est la plus avantageuse pour le travailleur, il devra comparer les prestations économiques auxquelles le travailleur aura droit dans l'une et dans l'autre situation en se basant sur une comparaison globale et sur un calcul annuel.

    En effet, compte tenu de la disparité des conventions collectives nationales du secteur de la construction tant en ce qui concerne les notions que les formes de rémunération, les montants que la fréquence de paiement des gratifications extraordinaires et compte tenu des différences dans le mode de financement de ces dernières, une telle comparaison me paraît la seule manière de protéger réellement les droits des travailleurs. En partant du principe que l'application du salaire minimum de l'État membre d'accueil a pour finalité de protéger les travailleurs qui se déplacent avec leur entreprise dans le cadre d'une prestation de services, je me demande jusqu'à quel point un travailleur venu d'un État membre dans lequel il a droit, par exemple, à une gratification extraordinaire tous les trois mois ou le droit de toucher la totalité de son salaire à la fin du mois, indépendamment du nombre de jours pendant lesquels il aura été empêché de travailler par les intempéries, sera mieux protégé par la réglementation d'un État membre d'accueil qui, à l'instar de la réglementation belge, le fait attendre quatre mois après la fin de l'exercice avant de lui verser une gratification à caractère annuel et qui dispose que les jours pendant lesquels il ne pourra pas travailler pour cause d'intempéries, il ne percevra que 50 % de son salaire et devra attendre quatre mois supplémentaires après la fin de l'exercice avant de recevoir la compensation de cette perte de salaire.

    82 En conséquence, je crois que les articles 59 et 60 du traité doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne font pas obstacle à ce que l'État membre d'accueil oblige les entreprises établies dans un autre État membre qui viennent sur son territoire avec leurs travailleurs afin d'y effectuer une prestation de services à payer à ceux-ci le salaire minimum professionnel applicable sur son territoire dans le secteur ou la branche d'activité dont il s'agit, et l'oblige notamment à verser des cotisations à un fonds créé par les entreprises du secteur afin qu'il se subroge aux employeurs dans certaines de leurs obligations salariales, à condition que ces entrepreneurs ne soient pas déjà soumis, en raison de l'application de la législation de l'État membre d'établissement, pour les mêmes périodes et du chef des mêmes travailleurs, à des obligations salariales dont l'exécution assure aux travailleurs une rétribution globale annuelle égale ou supérieure à celle qu'ils percevraient s'ils travaillaient pendant toute l'année dans l'État membre d'accueil.

    83 Il convient de rappeler en outre qu'à l'instar de ce qu'avait déclaré l'avocat général M. Tesauro dans ses conclusions (40), la Cour a déclaré dans son arrêt Vander Elst, à propos des travailleurs de cette entreprise, qui, ressortissants de pays tiers, étaient titulaires d'un contrat de travail régulier, régi par la loi belge, qu'indépendamment de la possibilité d'appliquer aux travailleurs détachés à titre temporaire en France les dispositions nationales d'ordre public qui régissent les différents aspects du rapport de travail, le régime belge applicable est de toute façon de nature à exclure des risques appréciables d'exploitation des travailleurs et d'altération de la concurrence entre les entreprises (41).

    Je ne vois aucune raison de retenir une conclusion différente lorsque le mouvement se produit en sens inverse, c'est-à-dire lorsque des travailleurs légalement employés par une entreprise en France se rendent en Belgique dans le cadre d'une prestation de services.

    D - Sur le contrôle, par les autorités de l'État membre d'accueil, du respect de la législation du travail (obligations nos 1, 3, 4, 5, 9 et 10 de la première question préjudicielle)

    84 J'examinerai dans ce chapitre un deuxième groupe d'obligations que les entreprises Arblade et Leloup sont prévenues de n'avoir pas respectées. Ces obligations, qui sont regroupées en fonction de leur finalité, sont les suivantes: obligation de conserver les documents requis par la législation du travail (registre du personnel et compte individuel de chaque travailleur) au domicile belge d'une personne physique qui tient ces documents en tant que mandataire ou préposé; obligation de tenir un registre spécial du personnel; obligation de délivrer une fiche individuelle d'identification à chaque travailleur; obligation de désigner un mandataire ou préposé chargé de tenir les comptes individuels des salariés; obligation d'établir un compte individuel pour chaque travailleur et obligation d'adopter un règlement du travail.

    Toutes ces obligations ont, dans une mesure plus ou moins grande, pour finalité de permettre aux autorités de l'État membre d'accueil de contrôler le respect de la législation du travail applicable dans celui-ci.

    85 Il ne fait aucun doute qu'une bonne partie des règles qui constituent le droit social dans les États membres ont le caractère de règles d'ordre public, applicables à quiconque se trouve sur le territoire de l'État membre en question et qu'elles s'appliquent donc aux entreprises établies dans un autre État membre qui y viennent avec leurs travailleurs afin d'effectuer une prestation de services. Je pense, par exemple, pour ne citer que quelques-unes des dispositions les plus évidentes, aux règles relatives à la sécurité et à l'hygiène sur le lieu de travail, aux règles qui fixent les salaires minimum, à celles qui consacrent le principe de la liberté syndicale ou le principe de l'égalité de rémunération entre les travailleurs de sexe masculin et les travailleurs de sexe féminin.

    S'agissant de normes qui s'appliquent indistinctement aux entreprises établies sur le territoire national et aux entreprises qui sont établies dans un autre État membre, ces règles doivent, à l'instar de toutes les autres, lorsqu'elles ont pour effet de restreindre la libre prestation des services, être justifiées par des raisons impérieuses liées à l'intérêt général lorsque celui-ci ne peut être garanti par l'application des règles en vigueur dans l'État membre d'établissement et elles doivent être objectivement nécessaires pour garantir la réalisation du résultat en vue duquel elles ont été adoptées. Il faut de surcroît démontrer que le même résultat ne peut pas être atteint au moyen de règles moins contraignantes.

    86 L'obligation de délivrer une fiche individuelle à chaque travailleur est en relation directe avec l'obligation qu'ont les entrepreneurs du secteur de la construction de verser pour chacun de leurs ouvriers les cotisations au régime des timbres-fidélité et au régime des timbres-intempéries. J'estime qu'il s'agit d'une obligation accessoire à laquelle il convient de réserver le même sort qu'à l'obligation principale, du respect de laquelle elle a pour objet de permettre le contrôle. Concrètement, s'il est démontré que la rémunération globale annuelle qu'un travailleur du secteur de la construction perçoit dans l'État membre d'accueil est plus favorable que celle qu'il percevrait en application des règles en vigueur dans l'État membre d'établissement de son entreprise, l'entrepreneur pourra se voir obligé à verser des cotisations au régime des timbres-fidélité ou au régime des timbres-intempéries, voire aux deux régimes, et l'on pourra également exiger de lui qu'il s'acquitte de l'obligation de délivrer une fiche individuelle d'identification à chaque travailleur. Dans le cas contraire, il sera libre de cette obligation.

    87 Quant aux obligations qui sont imposées aux entreprises qui n'ont pas de siège social en Belgique, à savoir l'obligation de conserver le registre du personnel et le compte individuel de chaque travailleur au domicile belge d'une personne physique (obligation n_ 1 de la première question préjudicielle) et l'obligation de désigner un mandataire ou préposé chargé de tenir les comptes individuels des salariés (obligation n_ 5 de la première question préjudicielle), je ne crois pas qu'elles équivalent en l'espèce à une obligation d'établissement au sens de l'article 52 du traité. Je m'écarte, sur ce point, de la position prise par les entreprises défenderesses et je me rallie aux arguments qui ont été exposés tant par le gouvernement belge que par la Commission dans la réponse qu'ils ont faite à la première question écrite qui leur avait été posée par la Cour.

    Je ne crois pas qu'il s'agisse non plus d'obligations qui comportent une discrimination fondée sur la nationalité ou une discrimination résultant du fait que les fournisseurs de services soient établis dans un autre État membre. En réalité, ces obligations s'appliquent indistinctement puisque tous les employeurs sont tenus, d'une manière générale, de conserver le registre du personnel et le compte individuel de chaque travailleur au domicile ou au siège social de l'entreprise. La différence de traitement qui est imposée à l'employeur qui ne dispose pas d'un domicile ou d'un siège social en Belgique (il doit alors conserver le registre du personnel et le compte individuel de chaque travailleur au domicile belge d'une personne physique et désigner en Belgique un mandataire ou préposé chargé de tenir les comptes individuels des salariés) s'explique, à mon avis, par la différence des situations dans lesquelles se trouvent l'entrepreneur qui est établi en Belgique et celui qui est établi dans un autre État membre, et elle ne crée pas un régime spécifique applicable uniquement aux entreprises établies dans d'autres États membres.

    88 Je considère néanmoins que, dans la forme qui est la leur, ces obligations peuvent aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif qu'elles poursuivent et qui est, semble-t-il, de maintenir à la disposition des autorités nationales les données relatives aux travailleurs qu'une entreprise emploie sur un chantier.

    En ce qui concerne la première de ces deux obligations, étant donné que l'Inspection du travail se transporte sur les chantiers pour y contrôler le respect de la législation du travail, il pourrait suffire, par exemple, que le préposé du chantier mette à sa disposition le registre du personnel et le compte individuel de chaque travailleur ou les documents équivalents que l'entreprise est obligée de tenir en application de la législation de l'État membre d'établissement.

    Je suis du même avis en ce qui concerne l'obligation de désigner un mandataire ou un préposé ayant un domicile en Belgique afin qu'il conserve, une fois le chantier terminé, les comptes individuels de chaque travailleur pendant cinq ans. Le compte individuel est un document dans lequel sont reprises, par périodes rémunérées, les prestations fournies par un travailleur pour le compte d'un employeur tout au long d'une année ainsi que la rémunération qu'il a perçue. Ce document permet de vérifier que les barèmes établis par la convention collective ont été respectés, que les jours fériés et le congé annuel ont été rétribués et que les primes de fin d'année ont été versées. Il me paraît exagéré, pour permettre aux autorités nationales d'effectuer ces contrôles tout au long des cinq années suivantes si elles le désirent, d'obliger les entreprises qui se transportent temporairement dans cet État membre afin d'y fournir une prestation de services à désigner, dans les conditions et le but que j'ai décrits plus haut, un mandataire ou préposé, dont les services devront donc être rétribués. Il serait bien plus conforme au principe qui gouverne le droit à la libre prestation des services d'obliger ces entreprises, une fois le chantier terminé, à envoyer ces documents, par exemple, à l'Inspection du travail, laquelle pourrait les contrôler et, si elle le juge nécessaire, les conserver.

    En conséquence, ces deux obligations me paraissent disproportionnées dans leur forme actuelle puisque le même objectif peut être atteint au moyen de procédés moins contraignants pour les entreprises.

    89 Il me reste à analyser une série d'obligations que le droit communautaire n'interdit pas, en principe, d'imposer aux entreprises établies dans d'autres États membres qui se transportent temporairement avec leurs travailleurs dans un autre État membre pour y effectuer une prestation de services. Il s'agit de l'obligation de tenir un registre spécial du personnel, de l'obligation d'établir un compte individuel pour chaque travailleur et de l'obligation d'adopter un règlement du travail. En effet, les États membres peuvent imposer leur législation sociale à ces entreprises par tous les moyens appropriés. Ce faisant, ils doivent néanmoins s'assurer que ces entreprises ne remplissent pas déjà des obligations similaires au titre de la législation de leur État membre d'établissement, et cela quels que soient la dénomination des différents documents, leur contenu ou leur finalité. Si tel est le cas, ils devront reconnaître l'équivalence des règles de l'État d'établissement et ils ne pourront exiger des entreprises qu'elles se conforment à leur législation que dans la mesure où elle complète la législation de l'État d'établissement, à l'exclusion de toute mesure superfétatoire.

    90 En tout état de cause, il faut tenir compte du fait qu'à la date du 30 juin 1993, les États membres devaient avoir transposé la directive 91/533 dans leur ordre juridique interne, directive dont les dispositions fixent les données que l'employeur est tenu de porter à la connaissance de ses travailleurs par la délivrance d'un contrat de travail ou d'un autre document écrit. Au nombre de ces données, on retiendra notamment l'identité des parties, la catégorie d'emploi, la description du travail, la date du début de la relation de travail ainsi que sa durée, la durée du congé payé auquel le travailleur a droit, la durée des délais de préavis à observer, le montant de la rétribution de base initiale ainsi que les autres éléments constitutifs de la rémunération, la périodicité du paiement de celle-ci et la durée de travail journalière ou hebdomadaire normale du travailleur. L'employeur doit enfin mentionner les conventions collectives qui régissent les conditions de travail du travailleur. S'il s'agit d'un travailleur qui doit exercer normalement son travail dans d'autres pays, ce document devra lui avoir été remis avant son départ et devra contenir, au moins, un certain nombre d'informations supplémentaires, à savoir la durée du travail exercé à l'étranger, la devise servant au paiement de la rémunération et, le cas échéant, les avantages en espèce ou en nature qui sont liés à l'expatriation.

    Le fait que le travailleur expatrié ait le document contenant ces données en sa possession facilitera incontestablement la tâche des agents de l'Inspection du travail de chaque État membre dans une large mesure puisqu'ils pourront plus aisément s'assurer que les entreprises d'autres États membres qui viennent dans leur pays avec leurs travailleurs afin d'y effectuer une prestation de services respectent la législation du travail de l'État membre d'accueil.

    E - Sur l'obligation faite aux entreprises de collaborer avec l'Inspection du travail de l'État membre d'accueil (obligations nos 7 et 8 de la première question préjudicielle)

    91 Comme je l'ai déjà indiqué, le droit communautaire n'interdit pas aux États membres d'imposer le respect des règles de leur droit du travail par tous les moyens appropriés. Une des manières les plus efficaces de contrôler le respect de la législation du travail est d'en charger l'Inspection du travail. Celle-ci contrôle non seulement le respect de la législation strictement nationale, mais également le respect du droit communautaire relatif à la sécurité sociale des travailleurs migrants. C'est pourquoi l'entreprise établie dans un État membre qui se rend avec ses travailleurs sur le territoire d'un autre État membre afin d'y effectuer une prestation de services, au sens des articles 59 et 60 du traité, ne peut en aucun cas entraver ou saboter le travail des agents de l'Inspection du travail intervenant conformément à la législation de l'État membre d'accueil.

    F - Sur la seconde question préjudicielle

    92 Le tribunal correctionnel de Huy a posé la seconde question préjudicielle dans les deux affaires afin de s'entendre préciser si les articles 59 et 60 du traité peuvent rendre inopérant l'article 3, premier alinéa, du code civil, qui définit le champ d'application des lois belges de police et de sûreté.

    93 Comme je l'ai dit précédemment, bien qu'elles aient le caractère de règles d'ordre public applicables à quiconque se trouve sur le territoire de l'État en question, les règles de droit social n'échappent pas aux principes qui régissent la libre prestation des services dans la Communauté.

    C'est ainsi que des règles de police et de sûreté qui ne sont pas indistinctement applicables à toutes les prestations de services, quelle que soit leur origine, et qui sont donc discriminatoires ne seront compatibles avec le droit communautaire que si elles peuvent se fonder sur une disposition dérogatoire expresse. Dans la présente affaire, il faudra s'en référer à l'article 56 du traité qui reprend, au nombre des exceptions à la libre prestation des services, les mesures instituées par des dispositions nationales prévoyant un régime spécial pour les ressortissants étrangers et justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique.

    Si, au contraire, les règles de police et de sécurité restreignant la libre prestation des services s'appliquent indistinctement à tous les fournisseurs de services nationaux et à ceux des autres États membres, elles devront, à l'instar de toutes les autres, être justifiées par des raisons impérieuses liées à l'intérêt général dans la mesure où cet intérêt n'est pas déjà garanti par les règles auxquelles est soumis le ressortissant communautaire dans l'État membre où il est établi et elles devront être objectivement nécessaires à la réalisation de l'objectif poursuivi. Elles ne pourront pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ce résultat.

    VII - Conclusions

    94 Conformément aux considérations que je viens d'exposer, je propose à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles du tribunal correctionnel de Huy:

    «1) Les articles 59 et 60 du traité CE doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne font pas obstacle à ce que l'État membre d'accueil oblige les entreprises établies dans un autre État membre qui viennent sur son territoire avec leurs travailleurs afin d'y effectuer une prestation de services à payer à ceux-ci le salaire minimum légal ou professionnel qui y est applicable dans le secteur ou la branche d'activité dont il s'agit et à verser des cotisations à un fonds créé par les entreprises du secteur afin qu'il se subroge aux employeurs dans certaines de leurs obligations salariales, à condition que ces entreprises ne soient pas déjà soumises, en raison de l'application de la législation de leur État membre d'établissement, pour les mêmes périodes et du chef des mêmes travailleurs, à des obligations salariales dont l'exécution assure aux travailleurs une rétribution globale annuelle égale ou supérieure à celle qu'ils percevraient s'ils travaillaient pendant toute l'année dans l'État membre d'accueil. L'obligation pour l'entrepreneur de payer le salaire minimum en vigueur dans l'État membre d'accueil peut être assortie de l'obligation de délivrer à chaque travailleur une fiche individuelle, dont l'objet est de permettre aux autorités compétentes de contrôler le respect de l'obligation de cotisation.

    2) Les articles 59 et 60 du traité font obstacle à ce qu'un État membre impose à une entreprise établie dans un autre État membre qui vient temporairement sur son territoire avec ses travailleurs pour y réaliser un chantier des obligations telles que celles qui figurent aux nos 1 et 5 de la première question préjudicielle parce que ces obligations vont au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi, à savoir tenir à la disposition des autorités nationales les données relatives aux travailleurs qu'une entreprise emploie ou a employés sur un chantier, et parce qu'elles enfreignent donc le principe de proportionnalité.

    3) Les articles 59 et 60 du traité ne font pas obstacle à ce qu'un État membre contrôle l'application de sa législation sociale par tous les moyens appropriés. S'agissant d'une entreprise établie dans un autre État membre qui vient temporairement sur son territoire avec ses travailleurs pour y réaliser un chantier, il ne pourra lui imposer des obligations telles que celles qui sont décrites aux nos 3, 4, 9 et 10 de la première question préjudicielle qu'à la condition que cette entreprise ne s'acquitte pas déjà d'obligations similaires au titre de la législation de son État membre d'établissement, quels que soient la dénomination, le contenu et la finalité des différents documents requis. L'État membre d'accueil ne pourra exiger de cette entreprise qu'elle se conforme à sa législation que dans la mesure où elle complète la législation de l'État d'établissement, à l'exclusion de toute obligation superfétatoire.

    4) Les articles 59 et 60 du traité ne dispensent pas une entreprise établie dans un État membre qui se rend temporairement avec ses travailleurs sur le territoire d'un autre État membre afin d'y réaliser des travaux de collaborer avec les services de l'Inspection du travail de cet État d'accueil lorsqu'ils se proposent de contrôler si l'entreprise en question respecte les lois sociales en vigueur dans l'État membre d'accueil.

    5) Les articles 59 et 60 du traité ne modifient pas le champ d'application des lois nationales de police et de sécurité. Néanmoins, lorsque ces lois sont discriminatoires, elles ne sont compatibles avec le droit communautaire que si elles peuvent se fonder sur une disposition dérogatoire expresse, telle que l'article 56 du traité. Si, au contraire, les lois qui restreignent la libre prestation des services s'appliquent indistinctement à toutes les entreprises, elles devront, à l'instar de toutes les autres, être justifiées par des raisons impérieuses liées à l'intérêt général dans la mesure où cet intérêt n'est pas déjà garanti par les règles auxquelles le ressortissant communautaire est soumis dans son État d'établissement et elles devront être objectivement nécessaires à la réalisation de l'objectif poursuivi. Elles ne pourront pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ce résultat.»

    (1) - JO L 288, p. 32.

    (2) - JO 1997, L 18, p. 1.

    (3) - Arrêt du 3 décembre 1974, Van Binsbergen (33/74, Rec. p. 1299, points 24 et 27).

    (4) - Arrêts du 7 juillet 1988, Stanton (143/87, Rec. p. 3877), et Wolf e.a. (154/87 et 155/87, Rec. p. 3897, point 13), et du 20 mai 1992, Ramrath (C-106/91, Rec. p. I-3351, point 28).

    (5) - Arrêt Van Binsbergen, déjà cité à la note 3 plus haut, point 25. Voir, en outre, les arrêts du 18 janvier 1979, Van Wesemael e.a. (110/78 et 111/78, Rec. p. 35, point 27), et du 17 décembre 1981, Webb (279/80, Rec. p. 3305, point 14).

    (6) - Arrêts du 5 décembre 1989, Commission/Italie (C-3/88, Rec. p. 4035, point 8), et du 3 juin 1992, Commission/Italie (C-360/89, Rec. p. I-3401, point 11).

    (7) - Arrêts du 26 avril 1988, Bond van Adverteerders e.a. (352/85, Rec. p. 2085, point 32), et du 18 juin 1991, ERT (C-260/89, Rec. p. I-2925, point 24).

    (8) - Arrêt Bond van Adverteerders e.a., déjà cité à la note 7 plus haut, point 34.

    (9) - Arrêts du 25 juillet 1991, Collectieve Antennevoorziening Gouda e.a. (C-288/89, Rec. p. I-4007, point 12), et du 9 juillet 1997, De Agostini et TV-Shop (C-34/95, C-35/95 et C-36/95, Rec. p. I-3843, point 51).

    (10) - Arrêts du 25 juillet 1991, Säger (C-76/90, Rec. p. I-4221, point 12), et du 5 juin 1997, SETTG (C-398/95, Rec. p. I-3091, point 16).

    (11) - Arrêt du 5 octobre 1994, Commission/France (C-381/93, Rec. p. I-5145, point 17).

    (12) - Arrêts du 4 décembre 1986, Commission/Allemagne (205/84, Rec. p. 3755, point 27); du 26 février 1991, Commission/Italie (C-180/89, Rec. p. I-709, points 17 et 18), et Ramrath, déjà cité à la note 4 plus haut, points 29 à 31.

    (13) - Arrêt du 18 mars 1980, Coditel (62/79, Rec. p. 881, point 18).

    (14) - Arrêt Van Wesemael e.a., déjà cité à la note 5 plus haut, point 28.

    (15) - Arrêts Webb, déjà cité à la note 5 plus haut, point 19; du 3 février 1982, Seco et Desquenne & Giral (62/81 et 63/81, Rec. p. 223, point 14); du 27 mars 1990, Rush Portuguesa (C-113/89, Rec. p. I-1417, point 18); du 9 août 1994, Vander Elst (C-43/93, Rec. p. I-3803, point 23), et du 28 mars 1996, Guiot (C-272/94, Rec. p. I-1905, point 16).

    (16) - Arrêts du 4 décembre 1986, Commission/France (220/83, Rec. p. 3663, point 20); Commission/Danemark (252/83, Rec. p. 3713, point 20); Commission/Allemagne, déjà cité à la note 12 plus haut, point 30, et Commission/Irlande (206/84, Rec. p. 3817, point 20); du 26 février 1991, Commission/Grèce (C-198/89, Rec. p. I-727, point 21), et du 9 juillet 1997, Parodi (C-222/95, Rec. p. I-3899, point 32).

    (17) - Arrêt De Agostini et TV-Shop, déjà cité à la note 9 plus haut, point 53.

    (18) - Arrêts Collectieve Antennevoorziening Gouda e.a., déjà cité à la note 9 plus haut, points 23 et 25; du 25 juillet 1991, Commission/Pays-Bas (C-353/89, Rec. p. I-4069, point 30), et du 3 février 1993, Veronica Omroep Organisatie (C-148/91, Rec. p. I-487, point 15).

    (19) - Arrêt du 12 décembre 1996, Reisebüro Broede (C-3/95, Rec. p. I-6511, point 36).

    (20) - Arrêts du 28 janvier 1992, Bachmann (C-204/90, Rec. p. I-249, point 28), et Commission/Belgique (C-300/90, Rec. p. I-305, point 21), et du 14 novembre 1995, Svensson et Gustavsson (C-484/93, Rec. p. I-3955, point 16).

    (21) - Arrêt du 10 mai 1995, Alpine Investments (C-384/93, Rec. p. I-1141, point 44).

    (22) - Arrêt du 26 février 1991, Commission/Italie, déjà cité à la note 12 plus haut, point 20.

    (23) - Arrêts du 26 février 1991, Commission/France (C-154/89, Rec. p. I-659, point 17), et Commission/Grèce, déjà cité à la note 16 plus haut, point 21.

    (24) - Arrêt du 28 avril 1998, Kohll (C-158/96, non encore publié au Recueil, point 41).

    (25) - Arrêts Webb, déjà cité à la note 5 plus haut, point 16, et du 10 juillet 1991, Commission/France (C-294/89, Rec. p. I-3591, point 26).

    (26) - Arrêt Commission/Allemagne, déjà cité à la note 12 plus haut, point 47.

    (27) - Déjà cité à la note 15 plus haut, point 14.

    (28) - Ibidem, point 15.

    (29) - Déjà cité à la note 15 plus haut, point 18.

    (30) - Acte relatif aux conditions d'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités (JO 1985, L 302, p. 23).

    (31) - Arrêt Rush Portuguesa, déjà cité à la note 15 plus haut, point 12.

    (32) - Déjà citée à la note 15 plus haut, point 23.

    (33) - Ibidem, point 15.

    (34) - Déjà citée à la note 15 plus haut, point 12.

    (35) - Ibidem, point 14.

    (36) - Ibidem, point 17.

    (37) - Ibidem, points 21 et 22.

    (38) - La création d'un fonds destiné à financer la partie du salaire qui n'est pas payée en cas d'interruption de l'activité pour motif d'intempéries n'est donc pas la seule possibilité. C'est ainsi que l'entrepreneur peut rétribuer normalement les périodes d'interruption, à charge pour le travailleur de rattraper les heures chômées à raison d'une heure par jour, par exemple, pendant les jours ouvrables suivants ou alors en déduisant, jusqu'à un certain plafond, les heures chômées pour intempéries de la durée totale du congé annuel.

    (39) - Jurisprudence déjà citée au point 60.

    (40) - Conclusions présentées dans l'affaire Vander Elst, déjà citée à la note 15 plus haut, p. I-3805 et suiv., en particulier p. I-3816 et I-3817.

    (41) - Ibidem, points 24 et 25.

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