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Document 62013CJ0100

Judgment of the Court (Tenth Chamber) of 16 October 2014.
European Commission v Federal Republic of Germany.
Failure of a Member State to fulfil obligations — Free movement of goods — Rules of a Member State requiring that certain construction products bearing the ‘CE’ conformity marking conform to additional national standards — Lists of construction rules (‘Bauregellisten’).
Case C‑100/13.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2014:2293

ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

16 octobre 2014 (*)

«Manquement d’État – Libre circulation des marchandises – Réglementation d’un État membre exigeant que certains produits de construction portant le marquage de conformité ‘CE’ soient conformes à des normes nationales supplémentaires – Listes de règles de construction (‘Bauregellisten’)»

Dans l’affaire C‑100/13,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 27 février 2013,

Commission européenne, représentée par MM. G. Wilms et G. Zavvos, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République fédérale d’Allemagne, représentée par M. T. Henze et Mme K. Petersen, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. C. Vajda, président de chambre, MM. E. Juhász et D. Šváby (rapporteur), juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 février 2014,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en ce que les autorités allemandes utilisent les listes des règles de construction («Bauregellisten») pour exiger des agréments supplémentaires pour l’accès effectif au marché et l’utilisation de produits de construction, au lieu d’appliquer les méthodes et les critères d’évaluation prévus dans le cadre des normes européennes harmonisées, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 89/106/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant les produits de construction (JO 1989, L 40, p. 12), telle que modifiée par le règlement (CE) n° 1882/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 29 septembre 2003 (JO L 284, p. 1, ci-après la «directive 89/106»), en particulier au titre des articles 4, paragraphe 2, et 6, paragraphe 1, de cette directive.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

2        Les premier, onzième et douzième considérants de la directive 89/106 énonçaient:

«considérant qu’il incombe aux États membres de s’assurer que, sur leur territoire, les ouvrages de bâtiments et de génie civil sont conçus et réalisés de telle manière qu’ils ne compromettent pas la sécurité des personnes, des animaux domestiques et des biens, tout en respectant d’autres exigences essentielles dans l’intérêt du bien-être général;

[…]

considérant qu’un produit est présumé apte à l’usage s’il est conforme à une norme harmonisée, à un agrément technique européen ou à une spécification technique non harmonisée reconnue au niveau communautaire; que, lorsque les produits revêtent peu d’importance eu égard aux exigences essentielles et qu’ils s’écartent des spécifications techniques existantes, leur aptitude à l’usage peut être attestée par un organisme agréé;

considérant que les produits ainsi considérés comme aptes à l’usage sont aisément reconnaissables par la marque CE; qu’ils doivent pouvoir circuler et être utilisés librement et conformément à leur destination dans toute la Communauté».

3        L’article 2, paragraphe 1, de la même directive disposait:

«Les États membres prennent toutes dispositions nécessaires pour assurer que les produits visés à l’article 1er et destinés à être utilisés dans des ouvrages ne peuvent être mis sur le marché que s’ils sont aptes à l’usage prévu, c’est-à-dire s’ils ont des caractéristiques telles que les ouvrages dans lesquels ils doivent être incorporés, assemblés, utilisés ou installés puissent, à condition d’avoir été convenablement conçus et construits, satisfaire aux exigences essentielles visées à l’article 3 dans les cas où ces ouvrages font l’objet d’une réglementation contenant de telles exigences.»

4        L’article 3, paragraphe 1, de ladite directive prévoyait:

«Les exigences essentielles applicables aux ouvrages et susceptibles d’influencer les caractéristiques techniques d’un produit sont énoncées en termes d’objectifs à l’annexe I. Une, plusieurs ou l’ensemble de ces exigences peuvent s’appliquer; elles doivent être respectées pendant une durée de vie raisonnable du point de vue économique.»

5        L’article 4 de la directive 89/106 était libellé comme suit:

«1.      Aux fins de la présente directive, on entend par ‘spécifications techniques’ les normes et les agréments techniques.

Aux fins de la présente directive, on entend par ‘normes harmonisées’ les spécifications techniques adoptées par le [comité européen de normalisation (CEN)] ou le [comité européen de normalisation électrotechnique (Cenelec)] ou par ces deux organismes sur mandat de la Commission donné conformément à la directive 83/189/CEE sur la base d’un avis émis par le comité visé à l’article 19 et selon les orientations générales concernant la coopération entre la Commission et ces deux organismes, signées le 13 novembre 1984.

2.      Les États membres présument aptes à l’usage les produits qui permettent aux ouvrages pour lesquels ils sont utilisés, à condition que ces derniers soient convenablement conçus et construits, de satisfaire aux exigences essentielles visées à l’article 3 lorsque ces produits portent le marquage ‘CE’ indiquant qu’ils satisfont à l’ensemble des dispositions de la présente directive, y compris les procédures d’évaluation de la conformité prévues au chapitre V et la procédure prévue au chapitre III. Le marquage ‘CE’ atteste:

a)      qu’ils sont conformes aux normes nationales qui transposent les normes harmonisées et dont les références ont été publiées au Journal officiel des Communautés européennes. Les États membres publient les références de ces normes nationales;

b)      qu’ils sont conformes à un agrément technique européen délivré selon la procédure décrite au chapitre III;

ou

c)      qu’ils sont conformes aux spécifications techniques nationales visées au paragraphe 3, dans la mesure où il n’existe pas de spécifications harmonisées; une liste de ces spécifications nationales est établie selon la procédure prévue à l’article 5 paragraphe 2.

3.      Les États membres peuvent communiquer à la Commission le texte de leurs spécifications techniques nationales qu’ils estiment conformes aux exigences essentielles visées à l’article 3. La Commission communique immédiatement ces spécifications techniques nationales aux États membres. Selon la procédure prévue à l’article 5 paragraphe 2, elle notifie aux États membres celles desdites spécifications techniques nationales qui bénéficient de la présomption de conformité aux exigences essentielles visées à l’article 3.

Cette procédure est engagée et suivie par la Commission en consultation avec le comité visé à l’article 19.

Les États membres publient les références desdites spécifications techniques. La Commission les publie également au Journal officiel des Communautés européennes.

[…]

6.      Le marquage ‘CE’ signifie que les produits répondent aux exigences des paragraphes 2 et 4. […]»

6        Aux termes de l’article 5 de ladite directive:

«1.      Lorsqu’un État membre ou la Commission estime que les normes harmonisées ou les agréments techniques européens visés à l’article 4 paragraphe 2 points a) et b), ou les mandats visés au chapitre II ne satisfont pas aux articles 2 et 3, cet État membre ou la Commission saisit le comité visé à l’article 19 en exposant ses raisons. Le comité émet un avis d’urgence.

Au vu de l’avis de ce comité, et après consultation du comité institué par la directive 83/189/CEE lorsqu’il s’agit de normes harmonisées, la Commission indique aux États membres si les normes ou agréments en question doivent être retirés ou non des publications visées à l’article 7 paragraphe 3.

2.      Après réception de la communication visée à l’article 4 paragraphe 3, la Commission consulte le comité visé à l’article 19. Au vu de l’avis de celui-ci, la Commission indique aux États membres si la spécification technique en question doit ou non bénéficier de la présomption de conformité et, dans l’affirmative, elle en publie les références au Journal officiel des Communautés européennes.

Si la Commission ou un État membre estime qu’une spécification technique ne remplit plus les conditions nécessaires pour être présumée conforme aux articles 2 et 3, la Commission consulte le comité. Au vu de l’avis de celui-ci, la Commission indique aux États membres si la spécification technique nationale en question doit ou non continuer à bénéficier de la présomption de conformité et, dans la négative, si les références visées à l’article 4 paragraphe 3 doivent être retirées.»

7        L’article 6, paragraphe 1, de la même directive était libellé dans les termes suivants:

«Les États membres ne font pas obstacle à la libre circulation, la mise sur le marché ou l’utilisation sur leur territoire des produits qui satisfont aux dispositions de la présente directive.

Les États membres veillent à ce que l’utilisation de tels produits, conformément à leur destination, ne soit pas interdite par des règles ou conditions imposées par des organismes publics ou des organismes privés agissant en qualité d’entreprises publiques ou d’organismes publics du fait de leur position de monopole.»

8        L’article 7 de la directive 89/106 énonçait les modalités procédurales d’adoption des normes harmonisées par les organismes européens de normalisation, à savoir le CEN et le Cenelec.

9        L’article 15 de la même directive précisait les conséquences découlant, pour les entreprises et pour les États membres, d’une apposition indue du marquage «CE».

10      L’article 21 de la directive 89/106 prévoyait une clause de sauvegarde permettant à un État membre, conformément à une procédure définie à ce même article, de retirer du marché un produit déclaré conforme à la directive, d’en interdire la mise sur le marché ou d’en restreindre la libre circulation dès lors que cet État constatait que ce produit ne satisfaisait pas aux exigences des articles 2 et 3 de cette directive.

11      L’annexe I de ladite directive identifiait les exigences essentielles devant, lorsqu’elles existaient, être satisfaites par les ouvrages de construction.

12      Les «joints d’étanchéité en élastomère thermoplastique» sont couverts par la norme harmonisée EN 681-2:2000, intitulée «Garnitures d’étanchéité en caoutchouc – Spécification des matériaux pour garnitures d’étanchéité utilisées dans le domaine de l’eau et du drainage – Partie 2: Élastomères thermoplastiques».

13      Les «matériaux isolants thermiques» sont couverts par la norme harmonisée EN 13162:2008, intitulée «Produits isolants thermiques pour le bâtiment – Produits manufacturés en laine minérale (MW) – Spécification».

14      Les portails, fenêtres et portes-fenêtres sont couverts par la norme harmonisée EN 13241-1, intitulée «Portes et portails industriels, commerciaux et de garage – Norme de produit – Partie 1: Produits sans caractéristiques coupe-feu, ni pare-fumée».

15      La directive 89/106 a été abrogée par le règlement (UE) n° 305/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2011, établissant des conditions harmonisées de commercialisation pour les produits de construction et abrogeant la directive 89/106 (JO L 88, p. 5). Ce règlement n’est toutefois pas applicable ratione temporis au présent litige.

 Le droit allemand

16      La directive 89/106 a essentiellement été transposée dans le droit interne allemand par la loi fédérale relative à la mise sur le marché et à la libre circulation de produits de construction (Bauproduktengesetz), dans sa version publiée le 28 avril 1998 (BGBl. 1998 I, p. 812).

17      La sécurité des ouvrages de construction, en tant que domaine particulier relevant du droit de la sécurité publique, et les exigences en matière d’utilisation des produits de construction relèvent de la compétence législative des Länder. Les codes de construction établis à cet effet par ces derniers s’inspirent d’un code type élaboré à titre indicatif par la conférence des ministres de la Construction des Länder. Leurs dispositions sont ainsi en grande partie identiques.

18      La Commission et la République fédérale d’Allemagne s’accordent pour prendre comme modèle de ces codes celui du Land de Bade-Wurtemberg dans sa version du 5 mars 2010, modifié pour la dernière fois par l’article 70 du règlement du 25 janvier 2012 (BGBl. 2012 I, p. 65, ci-après la «LBO-BW»).

19      La LBO-BW renvoie trois listes de règles de construction soumises à des régimes distincts.

20      La partie A de la liste des règles de construction contient les exigences matérielles et procédurales relatives aux produits de construction ne relevant pas du champ d’application de la directive 89/106. Les articles 17 à 25 de la LBO-BW indiquent les dispositions et les procédures applicables à la preuve de l’aptitude à l’usage de ces produits en fonction de leur objet et précisent à quel moment et selon quelles modalités le marquage de conformité allemand «Ü» doit être apposé sur les produits de construction.

21      La partie B de la liste des règles de construction, seule en cause dans la présente affaire, porte sur les produits de construction relevant du champ d’application de la directive 89/106 et couverts par une norme harmonisée. Conformément à l’article 17, paragraphe 7, point 1, de la LBO-BW, le Deutsche Institut für Bautechnik (Institut allemand des techniques de construction), organisme de droit public, est compétent pour préciser les classes des produits concernés et les niveaux de performance auxquels ceux-ci doivent satisfaire, notamment en transposant la directive 89/106. En application du point 2 du même paragraphe 7, concernant la liste des règles de construction B, cet Institut peut, en accord avec la haute autorité de surveillance de la construction, préciser dans quelle mesure d’autres dispositions adoptées pour mettre en œuvre les directives de l’Union en la matière ne tiennent pas compte des exigences essentielles visées par la loi fédérale relative à la mise sur le marché et à la libre circulation de produits de construction. Dans cette dernière hypothèse, la LBO-BW renvoie aux procédures de preuve d’usage prévues pour les produits relevant de la partie A des listes des règles de construction.

22      La partie C de la liste des règles de construction contient les exigences concernant des produits de construction non harmonisés de moindre importance.

23      La LBO-BW contient des spécifications applicables à l’ensemble des produits de construction et, en particulier, à ceux en cause dans la présente affaire.

24      S’agissant, tout d’abord, des joints d’étanchéité en élastomère thermoplastique et en raison de l’absence de méthode de contrôle européen harmonisée, ces produits doivent, en application de la liste des règles de construction 2012, B, partie 1, numéros d’ordre 12.1.3 et 12.1.4, faire l’objet d’une déclaration de conformité du fabricant fournie à la suite d’un contrôle préalable du produit par un organisme d’essai reconnu, selon les modalités du contrôle fonctionnel mentionné dans la liste des règles de construction A.

25      S’agissant, ensuite, des «matériaux isolants en laine minérale» et en raison de l’absence de méthode harmonisée d’évaluation et de contrôle de la réaction au feu et à l’incandescence, ces produits doivent recevoir une homologation générale des services de surveillance de la construction, notamment en ce qui concerne leur réaction à l’incandescence, en application de la liste des règles de construction 2012, B, partie 1, numéro d’ordre 1.5.1.

26      S’agissant, enfin, des «portails, fenêtres et portes-fenêtres» et jusqu’à ce que la norme harmonisée EN 13241-1 les concernant soit complétée en matière de «caractéristiques de réaction au feu», ces produits doivent revêtir le marquage «Ü», en application de la liste des règles de construction 2012, B, partie 1, numéro d’ordre 1.6.7, et satisfaire aux exigences techniques fixées par la liste des règles de construction 2012, A, partie 1, annexe 6.5.

 La procédure précontentieuse

27      À la suite de plusieurs plaintes faisant état du fait que les autorités allemandes exigeaient pour certains produits de construction munis du marquage «CE», conformément à la directive 89/106, le marquage allemand «Ü» ou une autre homologation allemande particulière («homologation générale des services de surveillance de la construction»), excluant ainsi certains produits revêtus du seul marquage «CE» d’une utilisation sans autre formalité en Allemagne, la Commission a adressé, les 18 octobre 2005 et 4 juillet 2006, deux lettres de mise en demeure à la République fédérale d’Allemagne. La Commission y indiquait que les listes de règles de construction mises en place par cet État membre engendraient des difficultés liées à la lenteur et à l’irrégularité des mises à jour de ces listes ainsi qu’au fait que ces marquages imposaient des conditions supplémentaires pour l’utilisation de certains produits de construction sur lesquels était pourtant apposé le marquage «CE». De telles exigences violent, selon la Commission, les articles 4, paragraphe 2, et 6, paragraphe 1, de la directive 89/106.

28      La République fédérale d’Allemagne a répondu auxdites lettres le 19 décembre 2005 ainsi que les 15 et 31 août 2006. Dans ses réponses, elle a fait valoir que des contrôles et des agréments supplémentaires étaient effectivement requis pour certains produits de construction munis du marquage «CE» dans la mesure où les normes européennes harmonisées relatives à ceux-ci étaient incomplètes et ne satisfaisaient donc pas aux exigences de l’annexe I de la directive 89/106 et des codes de construction des Länder. À cet égard, elle indiquait que, tant que les normes européennes harmonisées concernées ne seraient pas complétées, les exigences nationales allemandes seraient maintenues et une homologation des autorités compétentes ou un marquage «Ü» pourrait être exigé.

29      Par la suite, la Commission a adressé à la République fédérale d’Allemagne un avis motivé ainsi qu’un avis motivé complémentaire, respectivement les 17 octobre 2008 et 17 juin 2011, auxquels cet État membre a répondu par lettres des 17 décembre 2008 et 8 août 2011.

30      Ne s’estimant pas satisfaite par ces réponses, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Sur la recevabilité

31      À titre liminaire, la République fédérale d’Allemagne considère que le présent recours est irrecevable au motif que celui-ci ne serait pas suffisamment précis, la Commission se limitant à des observations abstraites et contradictoires concernant l’harmonisation des exigences relatives aux produits de construction.

32      À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu des articles 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et 120, sous c), du règlement de procédure de celle-ci, il incombe à la Commission, dans toute requête déposée au titre de l’article 258 TFUE, d’indiquer les griefs précis sur lesquels la Cour est appelée à se prononcer ainsi que, de manière à tout le moins sommaire, les éléments de droit et de fait sur lesquels ces griefs sont fondés.

33      En l’occurrence, force est de constater que l’ensemble desdites exigences sont satisfaites en l’espèce, la Commission ayant, d’une part, clairement allégué l’existence d’une contradiction entre des règles de construction contenues dans les codes de construction des Länder concernant certains produits visés par leur partie B et les articles 4, paragraphe 2, et 6, paragraphe 1, de la directive 89/106, et, d’autre part, précisément défini le cadre juridique dans lequel s’inscrivent ses griefs, lequel n’est au demeurant pas contesté par la République fédérale d’Allemagne.

34      Partant, le présent recours est recevable.

 Sur l’objet du recours

35      Dans le cadre du présent recours en manquement, la Commission soutient que sont contraires aux articles 4, paragraphe 2, et 6, paragraphe 1, de la directive 89/106 les exigences supplémentaires auxquelles doivent satisfaire les produits de construction concernés par la liste des règles de construction B visées par les codes de construction des Länder, en se référant spécifiquement à trois catégories de produits, à savoir les «joints d’étanchéité en élastomère thermoplastique», les «matériaux isolants en laine minérale» et les «portails, fenêtres et portes-fenêtres», produits dont elle indique qu’ils sont retenus à titre d’exemples.

36      La République fédérale d’Allemagne conteste que le présent recours en manquement puisse, comme le soutient en substance la Commission, porter sur une violation structurelle ou systématique de la directive 89/106 résultant du système allemand des listes de règles de construction. Selon cet État membre, l’objet du recours doit être limité aux trois groupes de produits pour lesquels la Commission établit l’existence d’exigences nationales supplémentaires. En effet, la liste des règles de construction B n’imposerait pas de manière systématique des exigences supplémentaires pour les produits de construction harmonisés, mais elle concernerait seulement les produits dont les normes harmonisées européennes présentent des lacunes, au nombre desquels figurent les trois catégories de produits mentionnées par la Commission.

37      À cet égard, il est de jurisprudence constante que, dans le cadre d’une procédure en manquement au titre de l’article 258 TFUE, il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué et d’apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement, sans que la Commission puisse se fonder sur une présomption quelconque (arrêt Commission/Royaume‑Uni, C‑530/11, EU:C:2014:67, point 60 ainsi que jurisprudence citée).

38      Or, en l’espèce, dans sa requête, la Commission a allégué une violation généralisée par la République fédérale d’Allemagne des articles 4, paragraphe 2, et 6, paragraphe 1, de la directive 89/106 en raison de l’obligation d’apposer sur certains produits de construction, en sus du marquage «CE», le marquage «Ü» conformément aux codes de construction des Länder, en se limitant toutefois à donner trois exemples de catégories de produits concernées par cette exigence.

39      Toutefois, en l’absence d’identification d’autres catégories de produits de construction auxquelles s’appliquent l’obligation de marquage «Ü», il doit être considéré que la Commission n’est pas fondée à alléguer le caractère généralisé du manquement reproché.

40      Le fait que, en réponse à une question posée par la Cour lors de l’audience, la Commission a indiqué qu’elle avait joint à son recours un document contenant les listes des règles de construction ne saurait constituer une précision supplémentaire suffisante de nature à modifier ladite appréciation.

41      De même, en l’absence de précisions suffisantes de la part de la Commission, l’article 17, paragraphe 7, point 2, de la LBO-BW ne saurait être interprété comme conduisant nécessairement à imposer ladite exigence supplémentaire de marquage aux produits de construction concernés par la liste des règles de construction B visées par les codes de construction des Länder. À cet égard, si la Commission précise que cette liste renvoie fréquemment à des conditions supplémentaires prévues dans la liste des règles de construction A, une telle précision ne saurait suffire à infirmer l’allégation de la République fédérale d’Allemagne selon laquelle la liste des règles de construction B n’impose pas de manière systématique des exigences supplémentaires à des produits de construction harmonisés.

42      Dès lors, c’est à bon droit que la République fédérale d’Allemagne soutient que le présent recours en manquement vise uniquement l’obligation d’apposer le marquage «Ü» sur les produits visés par les normes harmonisées EN 681-2:2000, EN 13162:2008 et EN 13241-1, intitulées respectivement «Garnitures d’étanchéité en caoutchouc – Spécification des matériaux pour garnitures d’étanchéité utilisées dans le domaine de l’eau et du drainage – Partie 2: Élastomères thermoplastiques», «Produits isolants thermiques pour le bâtiment – Produits manufacturés en laine minérale (MW) – Spécification» et «Portes et portails industriels, commerciaux et de garage – Norme de produit – Partie 1: Produits sans caractéristiques coupe-feu, ni pare‑fumée» (ci-après les «produits en cause»).

 Sur le fond

 Argumentation des parties

43      À titre liminaire, la Commission soutient que l’utilisation en Allemagne d’un produit de construction muni du marquage «CE» et figurant dans la liste des règles de construction B requiert fréquemment la satisfaction d’exigences supplémentaires par rapport à celles prévues par les normes harmonisées européennes, exigences supplémentaires découlant du marquage «Ü» ou de l’homologation générale des services de surveillance de la construction.

44      Elle fait valoir que, en application de la jurisprudence de la Cour en vertu de laquelle les États membres peuvent recourir à leurs dispositions nationales uniquement jusqu’à ce qu’une norme européenne en dispose autrement, un tel dispositif violerait les articles 4, paragraphe 2, et 6, paragraphe 1, de la directive 89/106, en ce qu’il conduirait à traiter ces produits de construction comme des produits non réglementés, alors que ceux-ci sont des produits relevant du domaine réglementé et qu’ils satisfont aux exigences d’une norme harmonisée européenne leur permettant de revêtir le marquage «CE» et ainsi d’être utilisés sans autre condition dans l’Union européenne.

45      À cet égard, la République fédérale d’Allemagne soutient que, dans la mesure où la directive 89/106 contient uniquement des exigences essentielles relatives aux ouvrages, et non pas aux produits de construction, ces exigences essentielles ne peuvent devenir effectives, s’agissant d’un produit en particulier, qu’à partir du moment où a été publiée une norme harmonisée européenne complète, c’est-à-dire contenant toutes les exigences concernant les produits de construction rendues nécessaires en vertu des dispositions combinées des articles 2 et 3 ainsi que de l’annexe I de la directive 89/106.

46      En l’absence d’une telle publication, les États membres disposeraient de la possibilité d’appliquer, à titre provisoire, des exigences nationales complémentaires aux produits de construction concernés ainsi que des procédures d’évaluation et de contrôle, destinées à pallier les lacunes actuelles de la réglementation de l’Union en la matière. En effet, l’aptitude à l’usage d’un produit de construction en vertu d’une norme harmonisée européenne ne pourrait être présumée que si toutes les caractéristiques essentielles du produit sont respectées. Ainsi, selon la République fédérale d’Allemagne, le cas des normes harmonisées européennes incomplètes doit être assimilé à celui d’une absence de norme harmonisée européenne.

47      Dans une telle situation, la compétence des États membres serait ainsi maintenue et l’interdiction de faire obstacle à la libre circulation des produits énoncée à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 89/106 ne s’appliquerait pas, non plus que la présomption prévue à l’article 4, paragraphe 2, de celle-ci, disposition selon laquelle les produits de construction portant le marquage «CE» doivent être présumés satisfaire aux exigences essentielles visées à l’annexe I de cette directive. Cela serait dicté par la nécessité de prévenir les risques pour les personnes et d’assurer le plein effet de cette dernière, mission à laquelle les États membres seraient tenus en application du premier considérant de la même directive.

48      À cet égard, la Commission fait valoir que, à supposer même que l’argumentation de la République fédérale d’Allemagne quant au caractère incomplet des normes harmonisées européennes soit fondée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, cet État membre ne saurait adopter des mesures unilatérales, mais devrait, au contraire, suivre les procédures prévues à cet effet par la directive 89/106. Les normes en cause étant antérieures au processus européen de normalisation, elles auraient dû être notifiées par ce même État membre lors de l’attribution des mandats de normalisation des produits en cause. Ce dernier aurait également dû faire usage de la procédure de communication prévue à l’article 4, paragraphe 3, de cette directive. Par ailleurs, s’il estimait que les normes harmonisées européennes en cause devaient être revues, ledit État membre pouvait engager a posteriori la procédure prévue à l’article 5, paragraphe 2, de la même directive. Or, aucune de ces voies procédurales n’aurait été suivie par la République fédérale d’Allemagne. La Commission relève également que les articles 15 et 21 de ladite directive autorisent un État membre, sous certaines conditions, à retirer du marché des produits de construction, à interdire leur mise sur le marché ou à restreindre leur libre circulation, mais à condition de le faire en respectant une procédure spéciale.

49      Sur ce point, la République fédérale d’Allemagne relève que la saisine formelle du comité permanent de la construction, conformément à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 89/106, ne constitue pas un moyen efficace de garantir la sécurité des ouvrages de construction dès lors qu’une telle saisine conduirait à la suppression complète des normes harmonisées européennes en cause, entraînant de ce fait une cessation des échanges. S’agissant des procédures prévues aux articles 4, paragraphe 3, 5, paragraphe 2, et 21 de cette directive, cet État membre fait valoir, d’une part, qu’elles ne sauraient être invoquées par la Commission à défaut de l’avoir été dans l’avis motivé du 17 octobre 2008 et, d’autre part, qu’elles sont facultatives et ne peuvent être utilisées qu’en l’absence totale de norme harmonisée européenne, et non, comme en l’espèce, dans le cas de lacunes partielles. S’agissant plus précisément de la procédure de sauvegarde prévue audit article 21, elle n’empêcherait pas non plus un État membre de combler les lacunes d’harmonisation dans la mesure où elle ne peut être utilisée à titre préventif. Enfin, elle soutient que ce n’est pas à la Commission de décider quelle est la solution technique qu’il convient d’utiliser pour combler les lacunes des normes harmonisées européennes.

50      À titre subsidiaire, la République fédérale d’Allemagne fait enfin valoir que les mesures allemandes en cause dans le présent litige sont compatibles avec les articles du traité FUE relatifs à la libre circulation des marchandises. En ce sens, elle soutient que ces mesures ne sauraient être qualifiées de mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives en l’absence de restriction au commerce entre les États membres et que, en tout état de cause, les exigences prévues par la liste des règles de construction B portant sur des produits couverts par une norme européenne harmonisée incomplète sont justifiées par des motifs impérieux d’intérêt général et, en particulier, la protection de la santé et de la vie des personnes ainsi que celle de l’environnement. En outre, ces mesures, y compris celles relatives aux produits visés par les normes harmonisées EN 681‑2:2000, EN 13162:2008 et EN 13241‑1, ne sauraient être considérées comme allant au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis.

 Appréciation de la Cour

51      À titre liminaire, il convient de rappeler que la directive 89/106 a pour objet principal d’éliminer les obstacles aux échanges en créant des conditions permettant aux produits de construction d’être librement commercialisés à l’intérieur de l’Union. À cette fin, cette directive précise les exigences essentielles auxquelles doivent satisfaire les produits de construction et qui sont mises en œuvre par des normes harmonisées et des normes nationales de transposition, par des agréments techniques européens ainsi que par des spécifications techniques nationales reconnues au niveau de l’Union (arrêt Elenca, C‑385/10, EU:C:2012:634, point 15 et jurisprudence citée).

52      L’article 4, paragraphe 2, de la directive 89/106 prévoit que les États membres présument aptes à l’usage les produits qui permettent aux ouvrages pour lesquels ils sont utilisés, à condition que ces derniers soient convenablement conçus et construits, de satisfaire aux exigences essentielles visées à l’article 3 lorsque ces produits portent le marquage «CE» indiquant qu’ils satisfont à l’ensemble des dispositions de la présente directive.

53      Il découle dudit article 4, paragraphe 2, que le marquage «CE» signifie que le produit sur lequel il est apposé satisfait à l’ensemble des dispositions de la directive 89/106, y compris son article 3. En conséquence, la présomption d’aptitude à l’usage s’applique nécessairement.

54      Cette conclusion est confirmée par les onzième et douzième considérants de la même directive qui énoncent qu’un produit est présumé apte à l’usage s’il est conforme à une norme harmonisée et, de ce fait, porte le marquage «CE», un tel produit devant pouvoir circuler et être utilisé librement et conformément à sa destination dans toute l’Union.

55      En vertu de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de ladite directive, les États membres ne font pas obstacle à la libre circulation, la mise sur le marché ou l’utilisation sur leur territoire des produits qui satisfont aux dispositions de cette même directive.

56      Il s’ensuit que les produits en cause tombent sous l’interdiction prévue audit article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de sorte que les États membres ne peuvent en empêcher ou en restreindre la libre circulation, la mise sur le marché ou l’utilisation sur leur territoire.

57      Par ailleurs, ainsi que le relève la Commission, la directive 89/106 prévoit des procédures par lesquelles les États membres peuvent remettre en cause les normes harmonisées qu’ils estiment ne pas ou ne plus satisfaire aux exigences prévues à ses articles 2 et 3. En particulier, l’article 5 de cette directive énonce qu’un État membre peut demander le réexamen, notamment, d’une norme harmonisée en vue de son retrait. De même, l’article 21 de ladite directive fixe les mesures de sauvegarde pouvant être adoptées par un État membre dans l’hypothèse où il viendrait à considérer qu’une norme harmonisée existante est lacunaire.

58      Ces procédures prévues par la directive 89/106 ne peuvent, contrairement à ce que soutient la République fédérale d’Allemagne, être considérées comme facultatives lorsqu’un État membre considère qu’une norme harmonisée existante est lacunaire. Même dans un tel cas, un État membre ne saurait adopter des mesures nationales unilatérales restreignant la libre circulation de produits de construction conformes à cette norme harmonisée et, de ce fait, revêtus du marquage «CE», à l’exclusion de celles prévues par la directive 89/106.

59      Or, la République fédérale d’Allemagne ne conteste au demeurant pas que les mesures litigieuses, à savoir les exigences supplémentaires en matière de marquage concernant les produits en cause, n’ont pas été adoptées sur le fondement desdits articles 5 et 21 ni en conformité avec les procédures prévues à ces articles.

60      Toute autre interprétation de ces dispositions aurait pour conséquence, s’agissant de produits de construction faisant l’objet d’une norme harmonisée européenne, de permettre à un État membre, au seul motif que, selon son appréciation, le niveau de sécurité d’un tel produit est insuffisamment garanti, d’imposer des mesures restreignant la libre circulation de ces produits, remettant ainsi en cause l’effet utile de la directive 89/106.

61      À cet égard, le fait, invoqué par la République fédérale d’Allemagne, que le premier considérant de la directive 89/106 énonce qu’il incombe aux États membres de s’assurer que, sur leur territoire, les ouvrages de bâtiments et de génie civil sont conçus et réalisés de telle manière qu’ils ne compromettent pas la sécurité des personnes, des animaux domestiques et des biens ne saurait modifier cette appréciation. En effet, ce considérant ne peut être interprété comme octroyant aux États membres une réserve de compétence les autorisant à s’affranchir des procédures de réévaluation des normes harmonisées prévues par la directive 89/106.

62      S’agissant de l’argumentation développée à titre subsidiaire par la République fédérale d’Allemagne selon laquelle les mesures nationales faisant l’objet du recours sont compatibles avec les articles du traité relatifs à la libre circulation des marchandises, il suffit de rappeler que, lorsqu’un domaine a fait l’objet d’une harmonisation exhaustive au niveau de l’Union, comme cela est le cas s’agissant des produits en cause, toute mesure nationale y relative doit être appréciée au regard des dispositions de cette mesure d’harmonisation et non pas de celles du droit primaire (arrêt Commission/France, C‑216/11, EU:C:2013:162, point 27 et jurisprudence citée).

63      Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en imposant, au moyen des listes de règles de construction visées par les codes de construction établis par les Länder, aux produits de construction visés par les normes harmonisées EN 681-2:2000, «Garnitures d’étanchéité en caoutchouc – Spécification des matériaux pour garnitures d’étanchéité utilisées dans le domaine de l’eau et du drainage – Partie 2: Élastomères thermoplastiques», EN 13162:2008, «Produits isolants thermiques pour le bâtiment – Produits manufacturés en laine minérale (MW) – Spécification», et EN 13241-1, «Portes et portails industriels, commerciaux et de garage – Norme de produit – Partie 1: Produits sans caractéristiques coupe-feu, ni pare-fumée», et revêtus du marquage «CE», des exigences supplémentaires pour leur accès effectif au marché et leur utilisation sur le territoire allemand, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu des articles 4, paragraphe 2, et 6, paragraphe 1, de la directive 89/106.

 Sur les dépens

64      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République fédérale d’Allemagne et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) déclare et arrête:

1)      En imposant, au moyen des listes de règles de construction visées par les codes de construction établis par les Länder, aux produits de construction visés par les normes harmonisées EN 681-2:2000, «Garnitures d’étanchéité en caoutchouc – Spécification des matériaux pour garnitures d’étanchéité utilisées dans le domaine de l’eau et du drainage – Partie 2: Élastomères thermoplastiques», EN 13162:2008, «Produits isolants thermiques pour le bâtiment – Produits manufacturés en laine minérale (MW) – Spécification», et EN 13241-1, «Portes et portails industriels, commerciaux et de garage – Norme de produit – Partie 1: Produits sans caractéristiques coupe-feu, ni pare-fumée», et revêtus du marquage «CE», des exigences supplémentaires pour l’accès effectif de ces produits au marché et leur utilisation sur le territoire allemand, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu des articles 4, paragraphe 2, et 6, paragraphe 1, de la directive 89/106/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant les produits de construction, telle que modifiée par le règlement (CE) n° 1882/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 29 septembre 2003.

2)      La République fédérale d’Allemagne est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.

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