ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

7 mars 2013 (*)

«Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne –Réglementation nationale établissant des réductions salariales pour certains travailleurs du secteur public – Absence de mise en œuvre du droit de l’Union – Incompétence manifeste de la Cour»

Dans l’affaire C‑128/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le tribunal do trabalho do Porto (Portugal), par décision du 6 janvier 2012, parvenue à la Cour le 8 mars 2012, dans la procédure

Sindicato dos Bancários do Norte,

Sindicato dos Bancários do Centro,

Sindicato dos Bancários do Sul e Ilhas,

Luís Miguel Rodrigues Teixeira de Melo

contre

BPN – Banco Português de Negócios SA,

LA COUR (sixième chambre),

composée de Mme M. Berger, président de chambre, MM. E. Levits (rapporteur) et J.-J. Kasel, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 20, 21, paragraphe 1, et 31, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Sindicato dos Bancários do Norte, deux autres syndicats du secteur bancaire et un ancien employé de BPN-Banco Português de Negόcios SA (ci-après «BPN») à BPN, au sujet de la réduction du montant des rémunérations versées aux salariés de cette dernière.

 Le cadre juridique portugais

3        La loi n° 55-A/2010, portant adoption de la loi de finances pour 2011 (Lei n.° 55-A/2010, Lei do Orçamento de Estado para 2011), du 31 décembre 2010 (Diário da República, 1re série, n° 253, du 31 décembre 2010, ci-après la «loi de finances pour 2011»), prévoit, à son article 19, figurant sous le chapitre III, intitulé «Dispositions relatives aux travailleurs du secteur public»:

«Réduction de la rémunération

1.      À compter du 1er janvier 2011, la rémunération totale brute mensuelle des personnes visées au paragraphe 9, que ces personnes exercent des fonctions à cette date ou qu’elles en débutent l’exercice, à quelque titre que ce soit, est réduite de la manière suivante, lorsque son montant est supérieur à 1 500 euros:

[...]

2.      À moins que la rémunération totale brute cumulée perçue par les travailleurs ne soit inférieure ou égale à 4 165 euros, auquel cas les dispositions du point précédent s’appliquent, les différentes rémunérations, gratifications ou autres prestations pécuniaires sont réduites de 10 % dans le cas de:

[...]

b)      personnes visées au point 9 qui exercent des fonctions dans plus d’une des entités mentionnées dans le présent paragraphe.

[...]

4.      Aux fins du présent article:

a)      sont réputées faire partie de la rémunération totale brute mensuelle, qui correspond au montant cumulé de l’ensemble des prestations pécuniaires, notamment, le traitement de base, les indemnités, les compléments de rémunération, y compris les émoluments, gratifications, subsides, jetons de présence, allocations, frais de représentation, heures supplémentaires et extraordinaires ou bien les heures de travail effectuées lors des jours de repos ou lors des jours fériés;

b)      ne sont pas pris en compte les montants versés à titre d’indemnité de repas, d’indemnité journalière, d’indemnité de transport ou le remboursement des dépenses effectuées conformément à la loi ainsi que les prestations sociales;

c)      aux fins de la détermination du taux de réduction, les primes de vacances et les primes de Noël sont réputées constituer des mensualités autonomes;

d)      les retenues sont calculées à partir du montant réduit résultant de l’application des points 1 et 2.

5.      Lorsque la rémunération totale brute qui résulte de l’application du présent article est inférieure à 1 500 euros, il y a lieu d’appliquer uniquement la réduction nécessaire pour assurer la perception de ce montant.

[...]

9.      Les dispositions du présent article s’appliquent aux titulaires de charges et aux autres personnes énumérées ci-après:

[...]

t)      travailleurs des entreprises publiques à capitaux exclusivement ou majoritairement publics, des entreprises publiques dont l’exploitation est concédée à une entreprise tierce et des entités qui font partie du secteur des entreprises régional et municipal, avec les aménagements autorisés et justifiés par leur nature d’entreprise;

[...]

11.      Le régime prévu par le présent article est impératif et prévaut sur toute autre disposition contraire, spéciale ou exceptionnelle, ainsi que sur les instruments de réglementation collective de travail et contrats de travail qui ne peuvent ni l’écarter ni le modifier.»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

4        BPN, banque portugaise, a été nationalisée au cours du mois de novembre 2008, de sorte qu’elle est devenue une société anonyme à capitaux exclusivement publics. BPN a signé l’accord collectif de travail (Acordo Colectivo de Trabalho) du secteur bancaire.

5        En application de la loi de finances pour 2011, visant à réduire les dépenses publiques, BPN a, depuis le 1er janvier 2011, réduit les salaires de ses employés, refusé de revaloriser ou d’augmenter ces salaires ou d’accorder de nouvelles prestations prévues par cet accord collectif de travail.

6        Bien que le Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle) ait jugé, le 21 septembre 2011, que la loi de finances pour 2011 ne violait pas la Constitution, le tribunal do trabalho de Lisboa a estimé, le 22 décembre de la même année, en se référant notamment au droit de l’Union, que ladite loi méconnaissait le principe d’égalité.

7        Nourrissant de sérieux doutes quant à la conformité de l’article 19 de la loi de finances pour 2011 avec le droit de l’Union et estimant qu’une décision de la Cour sur ce point lui est nécessaire pour rendre son jugement dans l’affaire dont il est saisi, le tribunal do trabalho do Porto a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Le principe d’égalité de traitement dont découle l’interdiction de discrimination doit-il être interprété en ce sens qu’il s’applique à des travailleurs du secteur public?

2)      La réduction des salaires imposée par l’État, au moyen de la loi de finances pour 2011, qui s’applique aux seuls travailleurs exerçant leurs fonctions dans le secteur public ou dans les entreprises publiques, est-elle contraire au principe d’interdiction de toute discrimination, en ce qu’elle constitue une discrimination fondée sur la nature publique de la relation de travail?

3)      Le droit à des conditions de travail qui respectent la dignité du travailleur, prévu à l’article 31, paragraphe 1, de la [Charte], doit-il être interprété en ce sens qu’il est interdit de diminuer la rémunération du travailleur, sans son accord, si le contrat n’est pas modifié?

4)      Le droit à des conditions de travail qui respectent la dignité du travailleur, prévu à l’article 31, paragraphe 1, de la [Charte], doit-il être interprété en ce sens qu’il correspond au droit à une rémunération équitable lui assurant, ainsi qu’à sa famille, un niveau de vie satisfaisant?

5)      Dans la mesure où elle ne constitue pas la seule mesure possible, nécessaire et fondamentale pour l’effort d’assainissement des finances publiques dans la situation de grave crise économico‑financière que traverse le pays, la réduction des salaires est-elle contraire au droit précité prévu à l’article 31, paragraphe 1, de la [Charte] en ce qu’elle compromet le niveau de vie et les engagements financiers pris par les travailleurs et leur famille avant cette réduction?

6)      Dans la mesure où les travailleurs ne pouvaient ni la prévoir ni s’y attendre, la réduction des salaires, ainsi imposée par l’État portugais, est-elle contraire au droit de ces travailleurs à des conditions de travail qui respectent leur dignité?»

 Sur la compétence de la Cour

8        En vertu des articles 53, paragraphe 2, et 93, sous a), de son règlement de procédure, lorsqu’elle est manifestement incompétente pour connaître d’une demande de décision préjudicielle, la Cour, l’avocat général entendu, peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

9        Dans le cadre d’un renvoi préjudiciel au titre de l’article 267 TFUE, la Cour peut uniquement interpréter le droit de l’Union dans les limites des compétences attribuées à l’Union européenne (voir ordonnances du 22 juin 2011, Vino, C‑161/11, points 25 et 37, ainsi que du 14 décembre 2011, Corpul Naţional al Poliţiştilor, C-434/11, point 13).

10      S’agissant des exigences découlant de la protection des droits fondamentaux, il est de jurisprudence constante qu’elles lient les États membres dans tous les cas où ils sont appelés à appliquer le droit de l’Union (voir arrêt du 11 octobre 2007, Möllendorf et Möllendorf-Niehuus, C-117/06, Rec. p. I-8361, point 78; ordonnances du 12 novembre 2010, Asparuhov Estov e.a., C-339/10, Rec. p. I-11465, point 13, ainsi que du 1er mars 2011, Chartry, C-457/09, Rec. p. I-819, point 22).

11      Toutefois, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, les dispositions de celle-ci s’adressent «aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union» et que, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, TUE, qui attribue une valeur contraignante à la Charte, celle-ci ne crée aucune compétence nouvelle pour l’Union et ne modifie pas les compétences de cette dernière (voir ordonnances Asparuhov Estov e.a., précitée, point 12; du 14 décembre 2011, Corpul Naţional al Poliţiştilor, précitée, point 15, ainsi que du 10 mai 2012, Corpul Naţional al Poliţiştilor, C-134/12, point 12).

12      Or, malgré les doutes exprimés par la juridiction de renvoi quant à la conformité de la loi de finances pour 2011 avec les principes et les objectifs consacrés par les traités, la décision de renvoi ne contient aucun élément concret permettant de considérer que ladite loi vise à mettre en œuvre le droit de l’Union.

13      La compétence de la Cour pour répondre à la présente demande de décision préjudicielle n’est donc pas établie.

14      Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la Cour est manifestement incompétente pour connaître de la demande de décision préjudicielle introduite par le tribunal do trabalho do Porto.

 Sur les dépens

15      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit:

La Cour de justice de l’Union européenne est manifestement incompétente pour connaître de la demande de décision préjudicielle introduite par le tribunal do trabalho do Porto (Portugal), par décision du 6 janvier 2012.

Signatures


* Langue de procédure: le portugais.