ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

5 juillet 2012 ( *1 )

«Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail — Interdiction des discriminations fondées sur l’âge — Réglementation nationale octroyant un droit inconditionnel de travailler jusqu’à l’âge de 67 ans et autorisant la cessation automatique du contrat de travail à la fin du mois au cours duquel le travailleur atteint cet âge — Absence de prise en compte du montant de la pension de retraite»

Dans l’affaire C‑141/11,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Södertörns tingsrätt (Suède), par décision du 18 mars 2011, parvenue à la Cour le 21 mars 2011, dans la procédure

Torsten Hörnfeldt

contre

Posten Meddelande AB,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. J. N. Cunha Rodrigues, président de chambre, MM. U. Lõhmus, A. Rosas, A. Arabadjiev (rapporteur) et C. G. Fernlund, juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

pour M. Hörnfeldt, par lui-même,

pour Posten Meddelande AB, par M. L. Bäckström,

pour le gouvernement suédois, par Mme A. Falk, en qualité d’agent,

pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et J. Möller, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. J. Enegren et K. Simonsson, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6 de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO L 303, p. 16).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Hörnfeldt à son ancien employeur, Posten Meddelande AB, au sujet de la rupture de son contrat de travail le dernier jour du mois au cours duquel il a atteint l’âge de 67 ans.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Les considérants 8, 9 et 11 de la directive 2000/78 prévoient:

«(8)

Les lignes directrices pour l’emploi en 2000, approuvées par le Conseil européen de Helsinki les 10 et 11 décembre 1999, soulignent la nécessité de promouvoir un marché du travail favorable à l’insertion sociale en formulant un ensemble cohérent de politiques destinées à lutter contre la discrimination à l’égard de groupes tels que les personnes handicapées. Elles soulignent également la nécessité d’accorder une attention particulière à l’aide aux travailleurs âgés pour qu’ils participent davantage à la vie professionnelle.

(9)

L’emploi et le travail constituent des éléments essentiels pour garantir l’égalité des chances pour tous et contribuent dans une large mesure à la pleine participation des citoyens à la vie économique, culturelle et sociale, ainsi qu’à l’épanouissement personnel.

[...]

(11)

La discrimination fondée sur [...] l’âge [...] peut compromettre la réalisation des objectifs du traité CE, notamment un niveau d’emploi et de protection sociale élevé, le relèvement du niveau et de la qualité de la vie, la cohésion économique et sociale, la solidarité et la libre circulation des personnes.»

4

L’article 6 de la directive 2000/78, intitulé «Justification des différences de traitement fondées sur l’âge», dispose, à son paragraphe 1, sous a):

«Nonobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

Ces différences de traitement peuvent notamment comprendre:

a)

la mise en place de conditions spéciales d’accès à l’emploi et à la formation professionnelle, d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d’assurer leur protection».

Le droit suédois

5

Les dispositions de la directive 2000/78 relatives aux discriminations fondées sur l’âge ont été transposées en droit suédois par la loi (2008:567) relative aux discriminations [diskrimineringslagen (2008:567)].

6

Les règles de base relatives à la protection de l’emploi et aux conditions de travail figurent dans la loi (1982:80) relative à la protection de l’emploi et aux conditions de travail [lagen (1982:80) om anställningsskydd, SFS 1982, no 80, ci-après la «LAS»), dont l’article 32 bis prévoit:

«Sous réserve des dispositions de la présente loi, un salarié a le droit de garder son emploi jusqu’à la fin du mois où il atteint l’âge de soixante-sept ans.»

7

Conformément à l’article 33 de la LAS, «[si] un employeur souhaite qu’un salarié quitte son emploi à la fin du mois où il atteint l’âge de soixante-sept ans, il adresse à ce dernier un préavis écrit d’au moins un mois.»

8

Les articles 32 bis et 33 de la LAS constituent ensemble ce qu’il est convenu d’appeler la «règle des 67 ans». En vertu de cette règle, tout travailleur salarié jouit du droit inconditionnel de travailler jusqu’au dernier jour du mois de son soixante-septième anniversaire, date à laquelle le contrat de travail peut être rompu sans licenciement.

9

Il ressort du dossier soumis à la Cour que les dispositions nationales permettant de mettre fin à un contrat de travail lorsque le travailleur a le droit de percevoir une pension de retraite ou atteint un certain âge ont été introduites en droit suédois au cours de l’année 1974. Dans les années 1980, l’âge de départ à la retraite et, partant, celui de fin du contrat de travail ont été abaissés de 67 à 65 ans. Au cours de l’année 1991, l’âge de départ à la retraite a été relevé à 67 ans, mais la loi permettait toujours de convenir par convention ou accord collectif de la fin du contrat de travail avant cet âge. En vertu de la règle des 67 ans, il est interdit, depuis le 31 décembre 2002, que ce soit par contrat individuel ou par convention ou accord collectif, de prévoir un âge obligatoire de départ à la retraite inférieur à 67 ans.

10

Conformément au principe de la prise en compte des revenus perçus au cours de l’ensemble de la carrière, introduit par le nouveau régime des pensions de retraite au 1er janvier 1996, les revenus perçus au cours de la totalité de la carrière professionnelle servent de base pour déterminer le montant de la pension de retraite.

11

Le contrat de travail de M. Hörnfeldt relevait de la convention collective conclue entre l’organisation patronale Almega Tjänsteförbunden et le syndicat des travailleurs des métiers des services et des communications (SEKO).

Le litige au principal et les questions préjudicielles

12

M. Hörnfeldt a commencé à travailler auprès de l’ancienne Postverket (agence des services postaux) au cours de l’année 1989. Bien qu’il ait demandé à plusieurs reprises à pouvoir travailler plus, il n’a travaillé, entre l’année 1989 et l’année 2006, qu’un jour par semaine sur une base horaire. Entre l’année 2006 et l’année 2008, M. Hörnfeldt a occupé un emploi à trois quarts temps. Entre le 11 octobre 2008 et le 31 mai 2009, il a bénéficié d’un contrat de travail à durée indéterminée à trois quarts temps.

13

M. Hörnfeldt a eu 67 ans le 15 mai 2009 et son contrat de travail a été rompu le dernier jour de ce mois sur la base de la règle des 67 ans inscrite dans la LAS et dans la convention collective dont il relevait. Le montant de la pension de retraite qu’il perçoit depuis lors s’élèverait à 5 847 SEK net par mois.

14

Par son recours formé devant la juridiction de renvoi, M. Hörnfeldt demande l’annulation de la rupture de son contrat de travail au motif que la règle des 67 ans constitue une discrimination illicite fondée sur l’âge.

15

Se fondant, notamment, sur l’arrêt du 22 novembre 2005, Mangold (C-144/04, Rec. p. I-9981), la juridiction de renvoi considère qu’une loi nationale et une convention collective ayant pour effet que les contrats de travail sont rompus le dernier jour du mois au cours duquel le travailleur atteint l’âge de 67 ans sont constitutives d’une différence de traitement directement fondée sur l’âge. Cette juridiction se demande donc si cette dernière peut être considérée comme étant objectivement et raisonnablement justifiée par des objectifs légitimes et si elle est utile et nécessaire pour les atteindre.

16

D’une part, la juridiction de renvoi constate que la règle des 67 ans a été instituée pour accorder aux particuliers le droit de travailler plus longtemps et améliorer le montant de leur pension de retraite. Cette juridiction indique que cette règle pourrait être considérée comme reflétant un équilibre entre des considérations budgétaires, de politique de l’emploi et de politique du marché du travail. Elle relève toutefois que les travaux préparatoires à l’introduction de ladite règle dans la LAS ne motivent pas expressément le droit inconditionnel accordé à l’employeur de rompre le contrat de travail à cette échéance.

17

D’autre part, il ressortirait de l’arrêt du 16 octobre 2007, Palacios de la Villa (C-411/05, Rec. p. I-8531), que l’une des conditions pour que le contrat de travail puisse être rompu lorsque le travailleur atteint un certain âge est que ce travailleur puisse bénéficier d’une compensation financière au moyen de l’octroi d’une pension de retraite financée par des cotisations. À cet égard, la Cour, dans l’arrêt du 12 octobre 2010, Rosenbladt (C-45/09, Rec. p. I-9391), n’aurait pas fait état du niveau de la pension de retraite perçue par l’intéressée. En l’occurrence, la règle des 67 ans serait dénuée de tout lien avec le montant de la pension de retraite qui sera perçue par le travailleur.

18

Dans ces conditions, le Södertörns tingsrätt a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Une réglementation nationale qui, telle la règle dite ‘des 67 ans’, conduit à une différence de traitement fondée sur l’âge peut-elle se justifier alors que les objectifs visés ou les buts recherchés ne ressortent ni du contexte de son adoption ni d’aucun autre élément?

2)

Une réglementation nationale sur le départ à la retraite qui, telle la règle dite ‘des 67 ans’, s’applique indistinctement et qui, notamment, ne tient aucun compte du niveau de la pension de retraite que percevra l’intéressé va-t-elle au-delà de ce qui est utile et approprié pour atteindre l’objectif visé ou le but recherché?»

Sur les questions préjudicielles

19

Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une mesure nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet à un employeur de mettre un terme au contrat de travail d’un salarié au seul motif que ce dernier a atteint l’âge de 67 ans et qui ne tient pas compte du niveau de la pension de retraite que percevra l’intéressé.

20

Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi et des observations déposées devant la Cour, il est constant que la règle des 67 ans, selon laquelle tout travailleur salarié jouit du droit inconditionnel de travailler jusqu’au dernier jour du mois de son soixante-septième anniversaire, date à laquelle le contrat de travail est rompu sans licenciement, sauf convention contraire entre le travailleur et l’employeur, constitue une différence de traitement en fonction de l’âge, au sens de l’article 6, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/78.

21

Il ressort toutefois de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2000/78 qu’une différence de traitement fondée sur l’âge ne constitue pas une discrimination lorsqu’elle est objectivement et raisonnablement justifiée, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens pour réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

22

Aux fins de répondre aux questions posées, il y a lieu, dès lors, de vérifier si la règle des 67 ans est justifiée par un objectif légitime et si les moyens mis en œuvre pour y parvenir sont appropriés et nécessaires.

23

Il convient d’examiner les conséquences de l’absence de mention précise dans la LAS de l’objectif poursuivi par la règle des 67 ans et, en particulier, par l’article 33 de cette loi. En effet, selon la juridiction de renvoi, la LAS ne précise pas clairement l’objectif que poursuit la règle des 67 ans, en fixant la limite d’âge des travailleurs à 67 ans.

24

Cette circonstance n’est toutefois pas déterminante. En effet, il ne saurait être inféré de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 qu’un manque de précision de la réglementation nationale en cause quant à l’objectif poursuivi aurait pour effet d’exclure automatiquement que celle-ci puisse être justifiée au titre de cette disposition. À défaut d’une telle précision, il importe que d’autres éléments, tirés du contexte général de la mesure concernée, permettent l’identification de l’objectif sous-tendant cette dernière aux fins de l’exercice d’un contrôle juridictionnel quant à sa légitimité ainsi qu’au caractère approprié et nécessaire des moyens mis en œuvre pour réaliser cet objectif (voir arrêt du 21 juillet 2011, Fuchs et Köhler, C-159/10 et C-160/10, Rec. p. I-6919, point 39 et jurisprudence citée).

25

Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, les travaux préparatoires concernant la LAS et la loi (2008:567) relative aux discriminations font état de plusieurs objectifs se rapportant à la politique de l’emploi et du marché du travail. La règle des 67 ans viserait, notamment, à améliorer le montant de la retraite future en permettant de travailler après l’âge de 65 ans et à compenser le manque de main-d’œuvre qui devrait survenir avec les prochaines vagues de départs à la retraite. La juridiction de renvoi relève par ailleurs que, selon le médiateur des discriminations (Diskrimineringsombudsmannen), la règle des 67 ans se justifie car elle permet de libérer des postes pour les jeunes sur le marché du travail.

26

Le gouvernement suédois soutient que la règle des 67 ans vise, premièrement, à éviter des ruptures de contrat de travail dans des conditions humiliantes pour les travailleurs en raison de leur âge avancé, deuxièmement, à permettre une adaptation des régimes de pension de retraite qui soit fondée sur le principe de la prise en compte des revenus perçus au cours de la totalité de la carrière professionnelle, troisièmement, à réduire les obstacles pour ceux qui veulent travailler au-delà de leur soixante-cinquième anniversaire, quatrièmement, à s’adapter aux évolutions démographiques et à anticiper le risque de pénurie de main-d’œuvre ainsi que, cinquièmement, à établir un droit et non une obligation de travailler jusqu’à l’âge de 67 ans, en ce sens que la relation d’emploi peut se poursuivre au-delà de l’âge de 65 ans. La fixation d’un âge de départ obligatoire permettrait également de faciliter l’entrée des jeunes sur le marché du travail.

27

Selon ce gouvernement, une telle limite d’âge reflète le consensus politique et social qui prévaut depuis longtemps chez les partenaires sociaux. Ce consensus serait le reflet de l’objectif de la politique de l’emploi visant à inciter les travailleurs âgés à poursuivre leur carrière et établirait un équilibre entre, d’une part, les intérêts du travailleur à travailler longtemps et, d’autre part, la volonté de favoriser une transition en douceur entre la vie active et la retraite.

28

À cet égard, la Cour a jugé que la cessation automatique des contrats de travail des salariés qui remplissent les conditions d’âge et de cotisation pour bénéficier de la liquidation de leurs droits à pension fait, depuis longtemps, partie du droit du travail de nombreux États membres et est d’un usage répandu dans les relations de travail. Ce mécanisme repose sur un équilibre entre considérations d’ordre politique, économique, social, démographique et/ou budgétaire et dépend du choix d’allonger la durée de vie active des travailleurs ou, au contraire, de prévoir le départ à la retraite précoce de ces derniers (arrêt Rosenbladt, précité, point 44).

29

En outre, selon la jurisprudence, la promotion de l’embauche constitue incontestablement un objectif légitime de politique sociale ou de l’emploi des États membres, notamment lorsqu’il s’agit de favoriser l’accès des jeunes à l’exercice d’une profession (arrêts du 18 novembre 2010, Georgiev, C-250/09 et C-268/09, Rec. p. I-11869, point 45, ainsi que Fuchs et Köhler, précité, point 49).

30

Partant, des objectifs de la nature de ceux indiqués par le gouvernement suédois doivent, en principe, être considérés comme justifiant «objectivement et raisonnablement», «dans le cadre du droit national», ainsi que le prévoit l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78, une différence de traitement fondée sur l’âge, telle que celle édictée à l’article 33 de la LAS (voir, par analogie, arrêt Rosenbladt, précité, point 45).

31

Encore faut-il vérifier, selon les termes mêmes dudit article 6, paragraphe 1, si les moyens mis en œuvre pour réaliser ces objectifs sont appropriés et nécessaires.

32

Compte tenu de la large marge d’appréciation reconnue aux États membres et, le cas échéant, aux partenaires sociaux au niveau national dans le choix non seulement de la poursuite d’un objectif déterminé en matière de politique sociale et de l’emploi, mais également dans la définition des mesures susceptibles de le réaliser, il n’apparaît pas déraisonnable pour ceux-ci d’estimer qu’une mesure telle que la règle des 67 ans puisse être appropriée pour atteindre les objectifs évoqués précédemment (voir, en ce sens et par analogie, arrêt Rosenbladt, précité, points 41 et 69).

33

En effet, d’une part, il peut être admis que la règle des 67 ans, en établissant un droit de travailler jusqu’à cet âge, permet de réduire les obstacles pour ceux qui veulent travailler au-delà de leur soixante-cinquième anniversaire, d’adapter les régimes de pension de retraite au principe de la prise en compte des revenus perçus au cours de la totalité de la carrière professionnelle, de s’adapter aux évolutions démographiques et d’anticiper le risque de pénurie de main-d’œuvre.

34

D’autre part, il peut également être admis que la règle des 67 ans, en autorisant l’employeur à mettre un terme au contrat de travail lorsque le travailleur a atteint cet âge, permet d’éviter des ruptures de contrat de travail dans des conditions humiliantes pour les travailleurs ayant un âge avancé. Il peut également être admis que, selon la situation sur le marché de l’emploi en cause ou dans l’entreprise concernée, lorsque le nombre d’employés visé est limité, cette règle permet de faciliter l’entrée et/ou le maintien des jeunes sur le marché du travail.

35

La juridiction de renvoi s’interroge, en substance, sur le caractère strictement nécessaire du mécanisme de cessation automatique du contrat de travail prévu à l’article 33 de la LAS, dans la mesure où celui-ci ne prévoit pas que le niveau de la pension de retraite que percevra l’intéressé puisse être pris en compte.

36

M. Hörnfeldt souligne à cet égard que, ayant occupé un emploi à temps partiel sur une longue période, sa présence sur le marché du travail a été anormalement brève et, partant, la modicité de sa pension de retraite serait déraisonnable. La poursuite de son contrat de travail pendant deux ou trois ans permettrait d’augmenter le montant de sa pension de retraite d’environ 2000 SEK par mois. M. Hörnfeldt fait valoir qu’une exception à la règle des 67 ans devrait donc être admise à l’égard des travailleurs qui, comme lui, souhaitent continuer à travailler.

37

Il y a lieu de relever que l’interdiction des discriminations en fonction de l’âge énoncée dans la directive 2000/78 doit être lue à la lumière du droit de travailler reconnu à l’article 15, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il en résulte qu’une attention particulière doit être accordée à la participation des travailleurs âgés à la vie professionnelle et, par là même, à la vie économique, culturelle et sociale. Le maintien de ces personnes dans la vie active favorise la diversité dans l’emploi, cette dernière étant un objectif reconnu au considérant 25 de la directive 2000/78. Ce maintien contribue, par ailleurs, à l’épanouissement personnel ainsi qu’à la qualité de vie des travailleurs concernés, conformément aux préoccupations du législateur de l’Union énoncées aux considérants 8, 9 et 11 de cette directive (arrêt Fuchs et Köhler, précité, points 62 et 63).

38

Afin d’examiner si la mesure en cause au principal dépasse ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis et porte une atteinte excessive aux intérêts des travailleurs qui atteignent l’âge de 67 ans, il convient de replacer cette mesure dans le contexte réglementaire dans lequel elle s’insère et de prendre en considération tant le préjudice qu’elle peut occasionner aux personnes visées que les bénéfices qu’en tirent la société en général et les individus qui la composent (arrêt Rosenbladt, précité, point 73).

39

À cet égard, il y a lieu de relever, en premier lieu, que la règle des 67 ans ouvre aux partenaires sociaux la faculté de faire usage, par voie de contrats individuels, de conventions ou d’accords collectifs, du mécanisme de cessation automatique du contrat de travail uniquement à partir de l’âge de 67 ans, l’article 32 bis de la LAS interdisant de prévoir un âge obligatoire de départ à la retraite inférieur à 67 ans. Cet article confère ainsi au travailleur le droit inconditionnel de poursuivre une activité professionnelle jusqu’à son soixante-septième anniversaire, notamment pour augmenter les revenus sur la base desquels sa pension de retraite sera calculée et ainsi augmenter le montant de cette dernière.

40

En deuxième lieu, la cessation de plein droit du contrat de travail résultant d’une mesure telle que celle prévue à l’article 33 de la LAS n’a pas pour effet automatique de contraindre les personnes visées à se retirer définitivement du marché du travail. En effet, d’une part, cet article n’instaure pas un régime impératif de mise à la retraite d’office. Il prévoit les conditions dans lesquelles un employeur peut déroger au principe de l’interdiction des discriminations fondées sur l’âge et mettre un terme au contrat de travail d’un salarié au motif que celui-ci a atteint l’âge de 67 ans.

41

D’autre part, le gouvernement suédois a fait valoir que, s’il est mis fin au contrat de travail, un employeur peut proposer au travailleur concerné un contrat de travail à durée déterminée. L’employeur et le travailleur peuvent alors convenir librement de la durée de ce contrat et peuvent également, en tant que de besoin, le renouveler.

42

En troisième lieu, la règle des 67 ans ne se fonde pas exclusivement sur le fait qu’un certain âge est atteint, mais elle tient compte en substance de la circonstance que le travailleur bénéficie au terme de sa carrière professionnelle d’une compensation financière au moyen d’un revenu de substitution prenant la forme d’une pension de retraite (voir, en ce sens et par analogie, arrêt Rosenbladt, précité, point 48).

43

En effet, il ressort des observations présentées à la Cour que l’âge désigné à l’article 33 de la LAS, d’une part, correspond à ce qui était, à l’époque des faits au principal, l’âge légal de départ à la retraite et, d’autre part, est supérieur à l’âge d’admission au bénéfice d’une pension de retraite, celle-ci comprenant, en général, trois éléments, à savoir la retraite proportionnelle, la pension à prime et la retraite complémentaire.

44

En quatrième lieu, il ressort des observations soumises à la Cour que ceux qui ne peuvent bénéficier d’une pension de retraite liée aux revenus, ou dont le montant est faible, peuvent bénéficier d’une pension de retraite sous forme de couverture de base à partir de 65 ans, sous la forme d’une pension garantie, d’une allocation logement et/ou d’une allocation vieillesse.

45

Il y a lieu à cet égard de rappeler que la Cour a, au point 47 de l’arrêt Rosenbladt, précité, conclu à l’absence d’une atteinte excessive aux intérêts des travailleurs concernés, bien que, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, l’âge de départ à la retraite fût inférieur à celui prévu à l’article 33 de la LAS et que le montant de la pension de retraite perçue par Mme Rosenbladt fût nettement inférieur à celui auquel M. Hörnfeldt peut prétendre.

46

Au vu de l’ensemble de ces éléments, dont il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier l’exactitude, il ne saurait être valablement soutenu que la directive 2000/78 s’oppose à une mesure nationale telle que celle en cause au principal.

47

Il convient par conséquent de répondre aux questions posées que l’article 6, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une mesure nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet à un employeur de mettre un terme au contrat de travail d’un salarié au seul motif que ce dernier a atteint l’âge de 67 ans et qui ne tient pas compte du niveau de la pension de retraite que percevra l’intéressé, dès lors qu’elle est objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime relatif à la politique de l’emploi et du marché du travail et qu’elle constitue un moyen approprié et nécessaire pour sa réalisation.

Sur les dépens

48

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

 

L’article 6, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une mesure nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet à un employeur de mettre un terme au contrat de travail d’un salarié au seul motif que ce dernier a atteint l’âge de 67 ans et qui ne tient pas compte du niveau de la pension de retraite que percevra l’intéressé, dès lors qu’elle est objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime relatif à la politique de l’emploi et du marché du travail et qu’elle constitue un moyen approprié et nécessaire pour sa réalisation.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le suédois.