Affaires jointes C-58/10 à C-68/10

Monsanto SAS e.a.

contre

Ministre de l'Agriculture et de la Pêche

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Conseil d'État (France))

«Agriculture — Aliments pour animaux génétiquement modifiés — Mesures d’urgence — Mesure adoptée par un État membre — Suspension provisoire d’une autorisation accordée au titre de la directive 90/220/CEE — Base juridique — Directive 2001/18/CE — Article 12 — Législation sectorielle — Article 23 — Clause de sauvegarde — Règlement (CE) nº 1829/2003 — Article 20 — Produits existants — Article 34 — Règlement (CE) nº 178/2002 — Articles 53 et 54 — Conditions d’application»

Sommaire de l'arrêt

1.        Rapprochement des législations — Mesures de rapprochement — Denrées alimentaires et aliments pour animaux génétiquement modifiés — Produits autorisés en application de la directive 90/220, notifiés en tant que produits existants et ayant fait l'objet d'une demande de renouvellement d'autorisation

(Règlement du Parlement européen et du Conseil nº 1829/2003, art. 20 et 34; directive du Parlement européen et du Conseil 2001/18, art. 23; directive du Conseil 90/220)

2.        Rapprochement des législations — Mesures de rapprochement — Denrées alimentaires et aliments pour animaux génétiquement modifiés — Mesures d'urgence pouvant être adoptées par les États membres pour faire face à un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l'environnement

(Règlements du Parlement européen et du Conseil nº 178/2002, art. 54, et nº 1829/2003, art. 34)

3.        Rapprochement des législations — Mesures de rapprochement — Denrées alimentaires et aliments pour animaux génétiquement modifiés — Mesures d'urgence pouvant être adoptées par les États membres pour faire face à un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l'environnement

(Règlement du Parlement européen et du Conseil nº 1829/2003, art. 34)

4.        Rapprochement des législations — Mesures de rapprochement — Denrées alimentaires et aliments pour animaux génétiquement modifiés — Prise en charge d'un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l'environnement — Évaluation et gestion incombant à la Commission et au Conseil sous le contrôle du juge de l'Union — Adoption et mise en œuvre par les États membres de mesures d'urgence en l'absence d'une décision au niveau de l'Union

(Art. 267, al. 2 et 3, TFUE et 288 TFUE; règlements du Parlement européen et du Conseil nº 178/2002, art. 54, et nº 1829/2003)

1.        Des organismes génétiquement modifiés tels que du maïs MON 810, qui ont été autorisés notamment en tant que semences à des fins de culture, en application de la directive 90/220, relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement, et qui, dans les conditions énoncées à l'article 20 du règlement nº 1829/2003, concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés, ont été notifiés en tant que produits existants, puis ont fait l'objet d'une demande de renouvellement d'autorisation en cours d'examen ne peuvent pas faire l'objet, de la part d'un État membre, de mesures de suspension ou d'interdiction provisoire de l'utilisation ou de la mise sur le marché en application de l'article 23 de la directive 2001/18, relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement et abrogeant la directive 90/220, de telles mesures pouvant, en revanche, être adoptées conformément à l'article 34 du règlement nº 1829/2003.

(cf. point 63, disp. 1)

2.        L'article 34 du règlement nº 1829/2003, concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés, n'autorise un État membre à adopter des mesures d'urgence que dans les conditions de procédure énoncées à l'article 54 du règlement nº 178/2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires, conditions dont il appartient à la juridiction nationale de vérifier le respect.

(cf. point 74, disp. 2)

3.        En vue de l'adoption de mesures d'urgence, l'article 34 du règlement nº 1829/2003, concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés, impose aux États membres d'établir, outre l'urgence, l'existence d'une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l'environnement. Ce risque doit être constaté sur la base d'éléments nouveaux reposant sur des données scientifiques fiables.

En effet, des mesures de protection prises en vertu de l’article 34 du règlement nº 1829/2003 ne sauraient être valablement motivées par une approche purement hypothétique du risque, fondée sur de simples suppositions scientifiquement non encore vérifiées. Au contraire, de telles mesures de protection, nonobstant leur caractère provisoire et même si elles revêtent un caractère préventif, ne peuvent être prises que si elles sont fondées sur une évaluation des risques aussi complète que possible compte tenu des circonstances particulières du cas d’espèce, qui révèlent que ces mesures s’imposent.

(cf. points 76-77, 81, disp. 3)

4.        À la lumière de l'économie du système prévu par le règlement nº 1829/2003, concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés, et de son objectif d'éviter des disparités artificielles dans la prise en charge d'un risque grave, l'évaluation et la gestion d'un risque grave et évident pour la santé humaine, la santé animale ou l'environnement relève, en dernier ressort, de la seule compétence de la Commission et du Conseil, sous le contrôle du juge de l'Union.

Il en résulte qu'au stade de l'adoption et de la mise en œuvre par les États membres des mesures d'urgence visées à l'article 34 dudit règlement, tant qu'aucune décision n'a été adoptée à cet égard au niveau de l'Union, les juridictions nationales saisies afin de vérifier la légalité de telles mesures nationales sont compétentes pour apprécier la légalité de ces mesures au regard des conditions de fond prévues à l'article 34 du règlement nº 1829/2003 et celles de procédure tirées de l'article 54 du règlement nº 178/2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires, l'uniformité du droit de l'Union pouvant être assurée par la Cour dans le cadre de la procédure de renvoi préjudiciel, puisque, lorsqu'une juridiction nationale a des doutes quant à l'interprétation d'une disposition du droit de l'Union, elle peut ou doit, conformément à l'article 267, deuxième et troisième alinéas, TFUE, déférer une question préjudicielle à la Cour.

En revanche, lorsque, dans un cas, la Commission a saisi le Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale et qu'une décision a été adoptée au niveau de l'Union, les appréciations de fait et de droit relatives à ce cas, contenues dans une telle décision, s'imposent à tous les organes de l'État membre destinataire d'une telle décision, conformément à l'article 288 TFUE, et ce y compris à ses juridictions amenées à apprécier la légalité des mesures adoptées au niveau national.

(cf. points 78-80)







ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

8 septembre 2011 (*)

«Agriculture – Aliments pour animaux génétiquement modifiés – Mesures d’urgence – Mesure adoptée par un État membre – Suspension provisoire d’une autorisation accordée au titre de la directive 90/220/CEE – Base juridique – Directive 2001/18/CE – Article 12 – Législation sectorielle – Article 23 – Clause de sauvegarde – Règlement (CE) n° 1829/2003 – Article 20 – Produits existants – Article 34 – Règlement (CE) n° 178/2002 – Articles 53 et 54 – Conditions d’application»

Dans les affaires jointes C‑58/10 à C‑68/10,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Conseil d’État (France), par décisions des 6 novembre 2009 et 28 décembre 2009, parvenues à la Cour le 3 février 2010, dans les procédures

Monsanto SAS (C-58/10 et C-59/10),

Monsanto Agriculture France SAS (C-58/10 et C-59/10),

Monsanto International SARL (C-58/10 et C-59/10),

Monsanto Technology LLC (C-58/10 et C-59/10),

Monsanto Europe SA (C-59/10),

Association générale des producteurs de maïs (AGPM) (C‑60/10),

Malaprade SCEA e.a. (C-61/10),

Pioneer Génétique SARL (C-62/10),

Pioneer Semences SAS (C-62/10),

Union française des semenciers (UFS), anciennement Syndicat des établissements de semences agréés pour les semences de maïs (Seproma) (C‑63/10),

Caussade Semences SA (C-64/10),

Limagrain Europe SA, anciennement Limagrain Verneuil Holding SA (C‑65/10),

Maïsadour Semences SA (C-66/10),

Ragt Semences SA (C-67/10),

Euralis Semences SAS (C-68/10),

Euralis Coop (C-68/10)

contre

Ministre de l’Agriculture et de la Pêche,

en présence de:

Association France Nature Environnement (C-59/10 et C‑60/10),

Confédération paysanne (C-60/10),

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. J.-C. Bonichot, président de chambre, M. L. Bay Larsen (rapporteur), Mmes C. Toader, A. Prechal et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: Mme R. Şereş, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 février 2011,

considérant les observations présentées:

–        pour Monsanto SAS, Monsanto Agriculture France SAS, Monsanto International SARL, Monsanto Technology LLC et Monsanto Europe SA, par Mes R. Saint-Esteben, C.-L. Vier, M. Pittie, P. Honoré et C. Vexliard, avocats,

–        pour l’Association générale des producteurs de maïs (AGPM) e.a., par Mes M. Le Prat et L. Verdier, avocats,

–        pour Pioneer Génétique SARL, Pioneer Semences SAS, l’Union française des semenciers (UFS), anciennement Syndicat des établissements de semences agréés pour les semences de maïs (Seproma), Caussade Semences SA, Limagrain Europe SA, Maïsadour Semences SA, Ragt Semences SA, Euralis Semences SAS et Euralis Coop, par Mes A. Monod et B. Colin, avocats,

–        pour la Confédération paysanne, par Me H. Bras, avocat,

–        pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues et S. Menez, ainsi que par Mme R. Loosli-Surrans, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement hellénique, par M. I. Chalkias, Mme S. Papaïoannou, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement autrichien, par M. E. Riedl, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna et Mme J. Sawicka, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme L. Pignataro-Nolin, M. M. Van Hoof et M. C. Zadra, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 22 mars 2011,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 12 et 23 de la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil (JO L 106, p. 1), des articles 20 et 34 du règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 22 septembre 2003, concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés (JO L 268, p. 1), ainsi que des articles 53 et 54 du règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires (JO L 31, p. 1).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de onze litiges opposant Monsanto SAS, Monsanto Agriculture France SAS, Monsanto International SARL, Monsanto Technology LLC, Monsanto Europe SA (ci-après, respectivement, «Monsanto», «Monsanto Agriculture France», «Monsanto International», «Monsanto Technology» et «Monsanto Europe») ainsi que différents autres requérants personnes physiques ou morales au ministre de l’Agriculture et de la Pêche, en présence de l’association France Nature Environnement et de la Confédération paysanne, parties intervenantes, au sujet de la légalité de deux mesures nationales provisoires ayant successivement suspendu la cession et l’utilisation des semences de maïs MON 810, organismes génétiquement modifiés (ci‑après les «OGM»), puis interdit la mise en culture des variétés de semences issues de la lignée de ce maïs.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 2001/18

3        La directive 2001/18, modifiée par le règlement n° 1829/2003 et par le règlement (CE) n° 1830/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 22 septembre 2003 (JO L 268, p. 24, ci-après la «directive 2001/18»), régit la dissémination volontaire d’OGM dans l’environnement ainsi que la mise sur le marché des OGM en tant que produits ou éléments de produits.

4        L’article 34 de la directive 2001/18 fixe la date de sa transposition au plus tard au 17 octobre 2002. L’article 36 abroge, à la date du 17 octobre 2002, la directive 90/220/CEE du Conseil, du 23 avril 1990, relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement (JO L 117, p. 15), et dispose que les références faites à cette directive s’entendent comme faites à la directive 2001/18 selon un tableau de correspondance figurant en annexe.

5        Conformément à ses dix-huitième et vingt-huitième considérants, la directive 2001/18, de même que, auparavant, la directive 90/220, instaure:

–        des procédures et des critères harmonisés pour l’évaluation cas par cas des risques potentiels liés à la dissémination volontaire d’OGM dans l’environnement;

–        une procédure communautaire d’autorisation de mise sur le marché des produits concernés, lorsque l’utilisation envisagée de ceux-ci implique une dissémination volontaire des organismes dans l’environnement.

6        Les cinquantième et cinquante et unième considérants de la directive 2001/18 énoncent:

«(50) Les autorisations existantes accordées dans le cadre de la directive [90/220] devraient être renouvelées pour éviter les disparités entre ces autorisations et celles qui sont accordées dans le cadre de la présente directive et pour prendre pleinement en compte les conditions d’autorisation prévues par la directive [90/220].

(51)      Ces renouvellements exigent une période transitoire au cours de laquelle les autorisations existantes accordées dans le cadre de la directive [90/220] restent entièrement valables.»

7        Les modalités du renouvellement, avant la date limite du 17 octobre 2006, des autorisations accordées antérieurement au 17 octobre 2002 au titre de la directive 90/220 sont régies par l’article 17 de la directive 2001/18. Le paragraphe 2 de cette disposition énumère les pièces, éléments d’information ainsi que l’éventuelle proposition que doit comprendre la notification de renouvellement. En application des paragraphes 2 et 9 de la même disposition, l’opérateur concerné qui a adressé cette notification avant le 17 octobre 2006 peut continuer à mettre les OGM sur le marché dans les conditions spécifiées dans l’autorisation initiale jusqu’à ce qu’une décision finale ait été prise concernant le renouvellement de celle-ci.

8        Les articles 20, 21 et 24 de la directive 2001/18 énoncent des règles particulières détaillées en matière de surveillance, d’étiquetage et d’information du public.

9        L’article 23 de la même directive, intitulé «Clause de sauvegarde», dispose:

«1.      Lorsqu’un État membre, en raison d’informations nouvelles ou complémentaires, devenues disponibles après que l’autorisation a été donnée et qui affectent l’évaluation des risques pour l’environnement ou en raison de la réévaluation des informations existantes sur la base de connaissances scientifiques nouvelles ou complémentaires, a des raisons précises de considérer qu’un OGM en tant que produit ou élément de produit ayant fait l’objet d’une notification en bonne et due forme et d’une autorisation écrite conformément à la présente directive présente un risque pour la santé humaine ou l’environnement, il peut limiter ou interdire, à titre provisoire, l’utilisation et/ou la vente de cet OGM en tant que produit ou élément de produit sur son territoire.

L’État membre veille à ce qu’en cas de risque grave, des mesures d’urgence consistant, par exemple, à suspendre la mise sur le marché ou à y mettre fin, soient prises, y compris en ce qui concerne l’information du public.

L’État membre informe immédiatement la Commission et les autres États membres des actions entreprises au titre du présent article et indique les motifs de sa décision, en fournissant sa réévaluation des risques pour l’environnement et en indiquant si les conditions de l’autorisation doivent être modifiées et comment ou s’il convient de mettre fin à l’autorisation et, le cas échéant, les informations nouvelles ou complémentaires sur lesquelles il fonde sa décision.

2.      Dans un délai de soixante jours, une décision est prise en la matière [au niveau communautaire].»

10      L’article 12 de ladite directive, intitulé «Législation sectorielle», énonce:

«1.      Les articles 13 à 24 ne s’appliquent pas aux OGM en tant que produits ou éléments de produits dans la mesure où ils sont autorisés par une législation communautaire qui prévoit une évaluation spécifique des risques pour l’environnement, effectuée conformément aux principes énoncés à l’annexe II et sur la base des informations spécifiées à l’annexe III, sans préjudice des exigences supplémentaires prévues par la législation communautaire mentionnée ci-dessus, et qui prévoit des exigences en matière de gestion de risques, d’étiquetage, de surveillance, le cas échéant, d’information du public et de clause de sauvegarde au moins équivalentes à celles contenues dans la présente directive.

[…]

3.      Les procédures destinées à garantir que l’évaluation des risques, les exigences en matière de gestion des risques, d’étiquetage, de surveillance le cas échéant, d’information du public et de clause de sauvegarde sont équivalentes à celles contenues dans la présente directive sont introduites dans un règlement du Parlement européen et du Conseil. La future législation sectorielle fondée sur les dispositions dudit règlement fait référence à la présente directive. […]

[…]»

 Le règlement n° 1829/2003

11      Conformément à ses septième et onzième considérants, le règlement n° 1829/2003, applicable le 18 avril 2004 en vertu de son article 49, établit une procédure communautaire unique d’autorisation s’appliquant, notamment, aux aliments pour animaux contenant des OGM ou consistant en de tels organismes ou produits à partir de ceux‑ci ainsi qu’aux OGM qui seront utilisés en tant que matières d’origine pour l’obtention de tels aliments.

12      Le neuvième considérant de ce règlement énonce:

«Les nouvelles procédures d’autorisation des denrées alimentaires et aliments pour animaux génétiquement modifiés devraient reprendre les nouveaux principes introduits dans la directive [2001/18]. Elles devraient, en outre, utiliser le nouveau cadre d’évaluation des risques en matière de sécurité des denrées alimentaires fixé par le règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires [JO L 31, p. 1]. En conséquence, la mise sur le marché de denrées alimentaires et d’aliments pour animaux génétiquement modifiés ne devrait être autorisée qu’après une évaluation scientifique, du plus haut niveau possible, des risques qu’ils présentent pour la santé humaine et animale et, le cas échéant, pour l’environnement, effectuée sous la responsabilité de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Autorité). Cette évaluation scientifique devrait être suivie d’une décision de gestion des risques prise par la Communauté, dans le cadre d’une procédure réglementaire assurant une coopération étroite entre la Commission et les États membres.»

13      Le trente-troisième considérant prévoit:

«Lorsque la demande porte sur des produits contenant des OGM ou consistant en de tels organismes, le demandeur devrait pouvoir choisir soit de présenter une autorisation de dissémination volontaire dans l’environnement qu’il a déjà obtenue au titre de la partie C de la directive [2001/18] – sans préjudice des conditions fixées par cette autorisation – soit de demander que l’évaluation des risques pour l’environnement soit effectuée en même temps que l’évaluation de la sécurité prévue par le présent règlement. Dans ce dernier cas, il faut que l’évaluation des risques pour l’environnement respecte les exigences de la directive [2001/18] et que l’Autorité consulte les autorités nationales compétentes désignées par les États membres à cette fin. En outre, il convient de donner à l’Autorité la possibilité de demander à l’une de ces autorités compétentes de procéder à l’évaluation des risques pour l’environnement. Il convient aussi, conformément à l’article 12, paragraphe 4, de la directive [2001/18], que l’Autorité consulte les autorités nationales compétentes désignées en application de ladite directive dans tous les cas concernant des OGM et des denrées alimentaires ou aliments pour animaux contenant des OGM ou consistant en de tels organismes, avant d’achever la mise au point de l’évaluation des risques pour l’environnement.»

14      Le trente-quatrième considérant précise:

«Si les OGM relevant du champ d’application du présent règlement doivent être utilisés comme semences ou autre matériel de multiplication de plantes, [l’Autorité européenne de sécurité des aliments] devrait être tenue de faire procéder à l’évaluation des risques pour l’environnement par une autorité nationale compétente. Toutefois, les autorisations octroyées en application du présent règlement sont sans préjudice[, en particulier, de la directive 2002/53/CE du Conseil, du 13 juin 2002, concernant le catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles (JO L 193, p. 1), telle que modifiée par le règlement n° 1829/2003, qui contient] notamment les règles et les critères pour l’admission des variétés et leur inscription officielle dans [le catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles] […]»

15      L’article 2, point 9, du règlement n° 1829/2003 dispose:

«Aux fins du présent règlement:

[…]

9)      on entend par ‘OGM destiné à l’alimentation des animaux’, un OGM qui peut être utilisé comme aliment pour animaux ou servir à la production d’aliments pour animaux».

16      L’article 15, paragraphe 1, du même règlement détermine dans les termes suivants le champ d’application de la section I, intitulée «Autorisation et surveillance», du chapitre III consacré aux aliments génétiquement modifiés pour animaux:

«La présente section concerne:

a)      les OGM destinés à l’alimentation des animaux;

b)      les aliments pour animaux contenant des OGM ou consistant en de tels organismes;

c)      les aliments pour animaux produits à partir d’OGM.»

17      Les articles 17 à 19 du règlement n° 1829/2003 régissent les conditions d’octroi des autorisations initiales des aliments pour animaux génétiquement modifiés.

18      L’article 17, paragraphe 5, dispose en particulier:

«5.      Dans le cas d’OGM ou d’aliments pour animaux contenant des OGM ou consistant en de tels organismes, la demande est également accompagnée des éléments suivants:

a)      le dossier technique complet contenant les renseignements exigés dans les annexes III et IV de la directive [2001/18] et les informations et conclusions de l’évaluation des risques réalisée conformément aux principes énoncés à l’annexe II de la directive 2001/18/CE ou, lorsque la mise sur le marché de l’OGM a été autorisée conformément à la partie C de la directive [2001/18] [constituée par les articles 12 à 24 de celle-ci], une copie de la décision d’autorisation;

b)      un plan de monitorage des effets sur l’environnement conforme à l’annexe VII de la directive [2001/18], y compris une proposition relative à la durée de ce plan; cette durée peut être différente de la durée proposée pour l’autorisation.

Dans ce cas, les articles 13 à 24 de la directive [2001/18] ne s’appliquent pas.»

19      L’article 20, intitulé «Statut des produits existants», prévoit:

«1.       […] les produits relevant du champ d’application de la présente section qui ont été légalement mis sur le marché dans la Communauté avant la date d’application du présent règlement peuvent continuer à être mis sur le marché, utilisés et transformés si les conditions suivantes sont remplies:

a)       dans le cas des produits qui ont été autorisés en vertu de la directive [90/220] ou de la directive [2001/18] […], les exploitants responsables de la mise sur le marché des produits concernés notifient à la Commission la date de la première mise sur le marché de ces produits dans la Communauté, dans les six mois qui suivent la date d’application du présent règlement;

[…]

2.      La notification visée au paragraphe 1 est accompagnée, le cas échéant, des éléments visés à l’article 17, paragraphes 3 et 5 […].

[…]

4.      Dans un délai de neuf ans à compter de la date de la première mise sur le marché des produits visés au paragraphe 1, point a), mais en aucun cas avant que trois ans se soient écoulés depuis la date d’application du présent règlement, les exploitants responsables de cette mise sur le marché introduisent une demande conformément à l’article 23, qui s’applique mutatis mutandis.

[…]

5.      Les produits visés au paragraphe 1 et les aliments pour animaux qui les contiennent ou qui sont obtenus à partir de ces produits sont soumis aux dispositions du présent règlement, et notamment de ses articles 21, 22 et 34, qui s’appliquent mutatis mutandis.

[…]»

20      Les articles 21 et 22, paragraphe 1, 24 à 26, ainsi que 29 énoncent des règles particulières détaillées en matière de surveillance, d’étiquetage et d’information du public.

21      L’article 34, intitulé «Mesures d’urgence», dispose:

«Lorsqu’un produit autorisé par le présent règlement ou conformément à celui-ci est, de toute évidence, susceptible de présenter un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement […], des mesures sont arrêtées conformément aux procédures visées aux articles 53 et 54 du règlement [n° 178/2002].»

 Le règlement n° 178/2002

22      L’article 53 du règlement n° 178/2002, intitulé «Mesures d’urgence applicables aux denrées alimentaires et aux aliments pour animaux d’origine communautaire ou importés d’un pays tiers», est libellé comme suit:

«1.      Lorsqu’il est évident que […] des aliments pour animaux d’origine communautaire ou importés d’un pays tiers sont susceptibles de constituer un risque sérieux pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement et que ce risque ne peut être maîtrisé de façon satisfaisante par le biais de mesures prises par le ou les États membres concernés, la Commission […] arrête sans délai, de sa propre initiative ou à la demande d’un État membre, en fonction de la gravité de la situation, une ou plusieurs des mesures suivantes:

[suspension de la mise sur le marché, suspension des importations en provenance de pays tiers, suspension de l’utilisation des aliments pour animaux en question, fixation de conditions particulières pour ces aliments ou toute autre mesure conservatoire appropriée].

2.      Toutefois, dans des situations d’urgence, la Commission peut, à titre provisoire, arrêter les mesures visées au paragraphe 1 après avoir consulté les États membres concernés et informé les autres États membres.

Aussi rapidement que possible et dans un délai maximum de dix jours ouvrables, les mesures adoptées sont confirmées, modifiées, abrogées ou prorogées conformément à la procédure visée à l’article 58, paragraphe 2, et les raisons motivant la décision de la Commission sont rendues publiques sans délai.»

23      L’article 54 du même règlement, intitulé «Autres mesures d’urgence», est rédigé dans les termes suivants:

«1.      Lorsqu’un État membre informe officiellement la Commission de la nécessité de prendre des mesures d’urgence et que la Commission n’a pris aucune mesure conformément à l’article 53, cet État membre peut prendre des mesures conservatoires. Dans ce cas, il en informe immédiatement les autres États membres et la Commission.

2.      Dans un délai de dix jours ouvrables, la Commission saisit le [Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale] en vue de la prorogation, de la modification ou de l’abrogation des mesures conservatoires nationales.

3.      L’État membre peut maintenir les mesures conservatoires qu’il a prises au niveau national jusqu’à l’adoption des mesures communautaires.»

 Le droit national

24      L’article L. 535-2 du code de l’environnement français, en vigueur jusqu’au 27 juin 2008, dispose:

«I. – Dans tous les cas où une nouvelle évaluation des risques que la présence d’[OGM] fait courir à la santé publique ou à l’environnement le justifie, l’autorité administrative peut, aux frais du titulaire de l’autorisation ou des détenteurs des [OGM]:

1°      suspendre l’autorisation dans l’attente d’informations complémentaires et, s’il y a lieu, ordonner le retrait des produits de la vente ou en interdire l’utilisation;

2°      imposer des modifications aux conditions de la dissémination volontaire;

3°      retirer l’autorisation;

4°      ordonner la destruction des [OGM] et, en cas de carence du titulaire de l’autorisation ou du détenteur, y faire procéder d’office.

II. – Sauf en cas d’urgence, ces mesures ne peuvent intervenir que si le titulaire a été mis à même de présenter ses observations.»

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

25      Par décision 98/294/CE, du 22 avril 1998, concernant la mise sur le marché de maïs génétiquement modifié (Zea mays L. lignée MON 810), conformément à la directive 90/220 (JO L 131, p. 32), la Commission a autorisé la mise sur le marché du maïs MON 810, à la demande de Monsanto Europe, sur le fondement de la directive 90/220.

26      En exécution de l’article 1er de ladite décision et conformément à l’article 13 de la directive 90/220, le ministre de l’Agriculture et de la Pêche a, par arrêté du 3 août 1998 portant consentement écrit, au titre de l’article 13, paragraphe 4, de la directive [90/220], des décisions 98/293/CE et 98/294/CE du 22 avril 1998 concernant la mise sur le marché de maïs génétiquement modifiés (Zea mays L. T25 et MON 810) (JORF du 5 août 1998, p. 11985), donné son consentement écrit à cette mise sur le marché.

27      Le 11 juillet 2004, Monsanto Europe a notifié à la Commission, notamment en application de l’article 20, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1829/2003, le maïs MON 810 en tant que «produit existant».

28      Elle n’a pas effectué auprès de l’autorité nationale compétente, avant le 17 octobre 2006, une notification au titre de l’article 17, paragraphe 2, de la directive 2001/18.

29      Le 4 mai 2007, elle a sollicité le renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché du maïs MON 810 sur le fondement de l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1829/2003.

30      Par arrêté du 5 décembre 2007 suspendant la cession et l’utilisation des semences de maïs MON 810 (JORF du 6 décembre 2007, p. 19748), le ministre de l’Agriculture et de la Pêche, visant sans autre précision le code rural et le code de l’environnement, a suspendu sur le territoire national la cession à l’utilisateur final et l’utilisation des semences de maïs MON 810 jusqu’à la publication d’une loi relative aux OGM et au plus tard jusqu’au 9 février 2008.

31      Le 6 février 2008, Monsanto, Monsanto Agriculture France, Monsanto International et Monsanto Technology ont introduit devant le Conseil d’État un recours en annulation de cet arrêté.

32      Par arrêté du 7 février 2008 suspendant la mise en culture des variétés de semences de maïs génétiquement modifié (Zea mays L. lignée MON 810) (JORF du 9 février 2008, p. 2462), le ministre de l’Agriculture et de la Pêche, visant l’article 23 de la directive 2001/18, le règlement n° 1829/2003, ainsi que l’article L. 535-2 du code de l’environnement, a interdit sur le territoire national «[l]a mise en culture, en vue de la mise sur le marché, des variétés de semences de maïs issues de la lignée de maïs génétiquement modifié MON 810» jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la demande de renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché de cet organisme.

33      Par arrêté du 13 février 2008 modifiant l’arrêté du 7 février 2008 suspendant la mise en culture des variétés de semences de maïs génétiquement modifié (Zea mays L. lignée MON 810) (JORF du 19 février 2008, p. 3004), le ministre de l’Agriculture et de la Pêche a supprimé les termes «en vue de la mise sur le marché» contenus audit arrêté du 7 février 2008.

34      Le 12 février 2008, les autorités françaises, notifiant ce dernier arrêté à la Commission, ont qualifié celui-ci de «mesure d’urgence» au titre de l’article 34 du règlement n° 1829/2003. Dans cette communication, elles ont souligné la nécessité de prendre des mesures d’urgence visant à suspendre la culture du maïs MON 810 en application des dispositions combinées de l’article 34 du règlement n° 1829/2003 ainsi que des articles 53 et 54 du règlement n° 178/2002.

35      Le 20 février 2008, notifiant à la Commission l’arrêté du 13 février 2008, les autorités françaises ont indiqué que ledit arrêté du 13 février 2008 avait été adopté en application de l’article 23 de la directive 2001/18.

36      Les 20, 21 et 25 février 2008, des recours en annulation de l’arrêté du 7 février 2008 modifié par l’arrêté du 13 février 2008 ont été introduits devant le Conseil d’État par Monsanto, Monsanto Agriculture France, Monsanto International, Monsanto Technology, Monsanto Europe ainsi que différents autres requérants.

37      La juridiction de renvoi indique que les parties requérantes font valoir que le maïs MON 810, qui constitue une variété de maïs génétiquement modifié utilisée pour l’alimentation des animaux, ne relève désormais que des dispositions du règlement n° 1829/2003, de sorte que le ministre de l’Agriculture et de la Pêche aurait entaché d’incompétence les arrêtés attaqués en prenant une mesure d’urgence relevant de la Commission et, à tout le moins, d’erreur de droit en se fondant sur l’article 23 de la directive 2001/18 et sur l’article L. 535-2 du code de l’environnement qui en assure la transposition en droit interne.

38      Dans ce contexte, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour, dans chacune des affaires pendantes, les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Lorsqu’un [OGM] constituant un aliment pour animaux a été mis sur le marché avant la publication du règlement [n° 1829/2003] et que cette autorisation est maintenue en vigueur en application des dispositions de l’article 20 de ce règlement, avant qu’il n’ait été statué sur la demande de nouvelle autorisation qui doit être introduite en application de ce règlement, le produit en cause doit‑il être regardé comme étant au nombre des produits mentionnés par les dispositions de l’article 12 de la directive [2001/18] […] et, dans cette hypothèse, cet [OGM] est-il soumis, pour ce qui concerne les mesures d’urgence pouvant être prises postérieurement à la délivrance de l’autorisation de mise sur le marché, au seul article 34 du règlement [n° 1829/2003] ou, au contraire, de telles mesures peuvent-elles être prises par un État membre sur le fondement de l’article 23 de la directive [2001/18] et des dispositions qui en assurent la transposition?

2)      Dans l’hypothèse où les mesures d’urgence ne pourraient intervenir que dans le cadre des dispositions de l’article 34 du règlement [n° 1829/2003], [des mesures telles que celles de l’arrêté du 5 décembre 2007 (premier recours en annulation) et de l’arrêté du 7 février 2008 (dix autres recours), modifié par l’arrêté du 13 février 2008, peuvent-elles être prises], et dans quelles conditions, par les autorités d’un État membre au titre de la maîtrise du risque évoquée à l’article 53 du règlement [n° 178/2002] ou des mesures conservatoires pouvant être prises par un État membre sur le fondement de l’article 54 du même règlement?

3)      Dans l’hypothèse où les autorités d’un État membre peuvent intervenir sur le fondement de l’article 23 de la directive 2001/18 ou sur celui de l’article 34 du règlement [n° 1829/2003], ou sur l’une et l’autre de ces bases juridiques, la requête soulève la question de savoir, en tenant notamment compte du principe de précaution, quel degré d’exigence imposent respectivement les dispositions de l’article 23 de la directive subordonnant l’intervention de mesures d’urgence telles que la suspension de l’utilisation du produit à la condition que l’État membre ait des ‘raisons précises de considérer qu’un OGM […] présente un risque pour […] l’environnement’ et celles de l’article 34 du règlement qui subordonnent l’intervention d’une telle mesure à la condition que le produit soit ‘de toute évidence, susceptible de présenter un risque grave pour […] l’environnement’ en matière d’identification du risque, d’évaluation de sa probabilité et d’appréciation de la nature de ses effets?»

 Sur les questions préjudicielles

 Observations liminaires

39      Il convient de rappeler que des semences issues de variétés de maïs telles que celles en cause au principal relèvent du champ d’application de la directive 2002/53, en vertu de la lecture combinée de l’article 1er, paragraphe 1, de celle-ci et de l’article 2, paragraphe 1, A, de la directive 66/402/CEE du Conseil, du 14 juin 1966, concernant la commercialisation des semences de céréales (JO 1966, 125, p. 2309), modifiée en dernier lieu par la directive 2009/74/CE de la Commission, du 26 juin 2009 (JO L 166, p. 40).

40      En vertu de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2002/53, les États membres veillent à ce que, à compter de leur publication au catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles, prévue à l’article 17 de la même directive, les semences de variétés admises conformément aux dispositions de cette directive ou conformément aux principes correspondant à ceux de celle-ci ne soient soumises à aucune restriction de commercialisation quant à la variété, sauf à se prévaloir des exceptions prévues aux articles 16, paragraphe 2, ou 18 de la directive 2002/53 (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2009, Commission/Pologne, C‑165/08, Rec. p. I‑6843, point 62).

41      Il y a lieu d’observer que l’État membre concerné au principal ne s’est pas prévalu de ces articles 16, paragraphe 2, ou 18 de la directive 2002/53 à l’effet d’être autorisé à interdire les semences de maïs MON 810 dans les conditions énoncées par ces dispositions.

42      Dans ce contexte, les réponses données aux présentes questions préjudicielles sont sans préjudice de la directive 2002/53.

 Sur la première question

43      La première question se rapporte aux conditions dans lesquelles une mesure de suspension ou d’interdiction provisoire peut être adoptée par un État membre à l’égard d’un «produit existant» au sens de l’article 20 du règlement n° 1829/2003, qui a été autorisé en vertu de la directive 90/220, directive abrogée et remplacée par la directive 2001/18.

44      Elle pose le problème de la base juridique d’une telle mesure.

45      Le gouvernement autrichien soutient que Monsanto a notifié le maïs MON 810 en tant que produit existant à des fins d’utilisation dans des aliments pour animaux et dans des denrées alimentaires, mais non en vue d’une utilisation en tant que semences. Il doute, en conséquence, que le produit en cause puisse encore être considéré comme légalement mis sur le marché en tant que semence depuis l’expiration du délai de notification des produits existants.

46      Il convient donc, d’abord, d’examiner le point de savoir si l’utilisation en tant que semences d’OGM notifiés sur le fondement de l’article 20 du règlement n° 1829/2003 est couverte par cette disposition.

47      Le règlement n° 1829/2003 constitue une mise en œuvre de l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2001/18.

48      Il est constant que Monsanto n’a pas notifié le maïs MON 810 au titre de l’article 17, paragraphe 2, de la directive 2001/18 avant la date limite du 17 octobre 2006 fixée par ledit article.

49      Il est également constant que Monsanto a notifié ce maïs sur le fondement de l’article 20, paragraphe 1, du règlement n° 1829/2003, en tant que «produit existant» relevant de la section 1 du chapitre III de ce règlement.

50      Il ressort du libellé du trente-quatrième considérant ainsi que, pour les aliments pour animaux, des articles 16, paragraphe 7, et 18, paragraphe 3, sous c), du même règlement que l’utilisation d’OGM en tant que semences est couverte par l’autorisation accordée pour ces OGM en application dudit règlement, sans préjudice de la directive 2002/53.

51      En ce qui concerne les produits existants, la question se pose donc de savoir si l’article 20 du règlement n° 1829/2003, en tant qu’il prévoit, aux conditions qu’il énonce, que «les produits relevant de la présente [section 1] peuvent continuer à être mis sur le marché, utilisés et transformés», couvre également l’utilisation en tant que semences d’OGM notifiés comme produits existants sur le fondement dudit article 20.

52      À cet égard, il suffit de rappeler que les produits notifiés sur le fondement de l’article 20, paragraphe 1, du règlement n° 1829/2003 doivent relever du champ d’application de la section 1 du chapitre III de ce règlement et qu’il ressort de l’article 15, paragraphe 1, de celui-ci que relèvent de cette section, notamment, les «OGM destinés à l’alimentation des animaux».

53      Or, aux termes de l’article 2, point 9, du même règlement, cette expression s’entend, en particulier, d’un «OGM qui peut […] servir à la production d’aliments pour animaux», définition qui peut s’appliquer à des semences.

54      Par conséquent, des semences d’OGM relèvent de la section 1 du chapitre III du règlement n° 1829/2003. Elles peuvent donc relever, en particulier, de l’article 20, paragraphe 1, de celui-ci.

55      Dans la mesure où cette dernière disposition autorise la poursuite de l’utilisation des produits qu’elle régit, elle couvre l’utilisation en tant que semences de produits qui ont été notifiés.

56      À cet égard, il appartient au juge national de vérifier que des produits tels que du maïs MON 810, qui ont été autorisés notamment en tant que semences à des fins de culture en application de la directive 90/220, ont été effectivement notifiés sur le fondement de l’article 20, paragraphe 1, du règlement n° 1829/2003.

57      Au terme de ces considérations préalables, la Cour constate que le règlement n° 1829/2003 contient les éléments d’interprétation suffisants à la réponse à la première question, sans qu’il soit nécessaire d’interpréter spécialement l’article 12 de la directive 2001/18.

58      Dans ce contexte, il y a lieu de considérer que, par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si, dans des circonstances telles que celles des litiges au principal, des OGM tels que du maïs MON 810, qui ont été autorisés notamment en tant que semences à des fins de culture en application de la directive 90/220 et qui, dans les conditions énoncées à l’article 20 du règlement n° 1829/2003, ont été notifiés en tant que produits existants, puis ont fait l’objet d’une demande de renouvellement d’autorisation en cours d’examen, peuvent faire l’objet, de la part d’un État membre, de mesures de suspension ou d’interdiction provisoire de l’utilisation ou de la mise sur le marché en application de l’article 23 de la directive 2001/18, ou bien si de telles mesures peuvent être adoptées conformément à l’article 34 du règlement n° 1829/2003.

59      À cet égard, il convient de rappeler que l’article 20, paragraphe 5, du règlement n° 1829/2003 dispose que «[l]es produits visés au paragraphe 1 […] sont soumis aux dispositions du présent règlement, et notamment de ses articles 21, 22 et 34, qui s’appliquent mutatis mutandis».

60      Ce libellé consacre dès lors explicitement l’applicabilité de l’article 34 du règlement n° 1829/2003.

61      Il prévoit, par ailleurs, l’applicabilité à un produit existant des autres dispositions de celui‑ci, soit, en particulier, de son article 17, paragraphe 5, qui prévoit à son premier alinéa, sous a) et b), la fourniture de différents éléments d’information relatifs au produit en cause et ajoute, à son second alinéa, que, «[d]ans ce cas, les articles 13 à 24 de la directive [2001/18] ne s’appliquent pas».

62       Il résulte ainsi de la lecture combinée des articles 20, paragraphe 5, et 17, paragraphe 5, du règlement n° 1829/2003 que, lorsque les éléments visés par l’article 17, paragraphe 5, premier alinéa, sont fournis au soutien de la notification d’un produit existant, l’article 23 de la directive 2001/18 ne s’applique pas.

63      Il convient donc de répondre à la première question que, dans des circonstances telles que celles des litiges au principal, des OGM tels que du maïs MON 810, qui ont été autorisés notamment en tant que semences à des fins de culture, en application de la directive 90/220 et qui, dans les conditions énoncées à l’article 20 du règlement n° 1829/2003, ont été notifiés en tant que produits existants, puis ont fait l’objet d’une demande de renouvellement d’autorisation en cours d’examen ne peuvent pas faire l’objet, de la part d’un État membre, de mesures de suspension ou d’interdiction provisoire de l’utilisation ou de la mise sur le marché en application de l’article 23 de la directive 2001/18, de telles mesures pouvant, en revanche, être adoptées conformément à l’article 34 du règlement n° 1829/2003.

 Sur la deuxième question

64      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 34 du règlement n° 1829/2003 autorise un État membre à adopter des mesures d’urgence dans des circonstances telles que celles en cause au principal.

65      L’arrêté du 5 décembre 2007, celui du 7 février 2008 ainsi que l’arrêté du 13 février 2008, qui en a modifié les termes, ont été publiés au Journal officiel de la République française, respectivement, les 6 décembre 2007, 9 février 2008 et 19 février 2008. Selon les indications du gouvernement français, qu’il revient à la juridiction nationale de vérifier, ces arrêtés auraient été notifiés à la Commission, respectivement, les 9, 12 et 20 février 2008.

66      À cet égard, il convient de constater que, ainsi qu’il résulte du libellé de l’article 34 du règlement n° 1829/2003, cette disposition, d’une part, énonce les conditions de fond en vertu desquelles un produit autorisé par ce règlement ou conformément à celui-ci peut faire l’objet de mesures d’urgence et, d’autre part, renvoie, en ce qui concerne les conditions d’adoption de ces mesures, aux «procédures visées aux articles 53 et 54 du règlement n° 178/2002».

67      Ainsi, l’article 34 du règlement n° 1829/2003 ne subordonne pas l’adoption de mesures d’urgence aux conditions de fond prévues à l’article 53 du règlement n° 178/2002.

68      Par ailleurs, il y a lieu de relever que l’article 53 du règlement n° 178/2002 concerne les mesures d’urgence susceptibles d’être prises par la Commission, l’adoption de telles mesures par les États membres relevant de l’article 54 de ce règlement.

69      Par conséquent, un État membre qui souhaite adopter des mesures d’urgence au titre de l’article 34 du règlement n° 1829/2003 doit, outre les conditions de fond énoncées audit article, respecter également les conditions de procédure prévues à l’article 54 du règlement n° 178/2002.

70      Ces conditions sont précisées au paragraphe 1 de cet article 54, qui impose aux États membres, d’une part, d’informer «officiellement» la Commission de la nécessité de prendre des mesures d’urgence et, d’autre part, dans l’hypothèse où celle-ci n’a pris aucune mesure en vertu de l’article 53 du règlement n° 178/2002, d’informer «immédiatement» la Commission et les autres États membres des mesures conservatoires adoptées.

71      Elles doivent être interprétées compte tenu du libellé de cette disposition, mais aussi des finalités du règlement n° 1829/2003 ainsi que du principe de précaution, dans le but d’assurer un niveau élevé de protection de la vie et de la santé humaine, tout en veillant à assurer la libre circulation de denrées alimentaires et d’aliments pour animaux sûrs et sains, laquelle constitue un aspect essentiel du marché intérieur (voir, par analogie, arrêts du 21 mars 2000, Greenpeace France e.a., C‑6/99, Rec. p. I‑1651, point 44, et du 9 septembre 2003, Monsanto Agricoltura Italia e.a., C‑236/01, Rec. p. I‑8105, point 110).

72      À cet égard, il y a lieu de constater que, si l’article 54, paragraphe 1, du règlement n° 178/2002 n’insère pas l’obligation d’informer la Commission dans un délai, il résulte néanmoins tant de la précision selon laquelle l’État membre concerné informe «immédiatement» la Commission et les autres États membres des mesures d’urgence adoptées que de la circonstance que la Commission doit ensuite, dans un délai de dix jours ouvrables, ouvrir la procédure prévue à l’article 58, paragraphe 2, de ce règlement que l’État membre concerné doit informer la Commission le plus rapidement possible tant de la nécessité de prendre des mesures d’urgence que, le cas échéant, de la teneur des mesures adoptées.

73      Dès lors, eu égard au caractère d’urgence de l’intervention de l’État membre concerné et de l’objectif de protection de la santé publique poursuivi par le règlement n° 1829/2003, l’article 54, paragraphe 1, du règlement n° 178/2002 doit être interprété comme imposant, de même d’ailleurs que dans le cadre de l’article 23 de la directive 2001/18, que l’information de la Commission qu’il prévoit intervienne, en cas d’urgence, au plus tard de manière concomitante à l’adoption des mesures d’urgence par l’État membre concerné.

74      Il convient donc de répondre à la deuxième question que l’article 34 du règlement n° 1829/2003 n’autorise un État membre à adopter des mesures d’urgence que dans les conditions de procédure énoncées à l’article 54 du règlement n° 178/2002, dont il appartient à la juridiction nationale de vérifier le respect.

 Sur la troisième question

75      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, quel degré d’exigence l’article 34 du règlement n° 1829/2003 impose aux États membres en vue de l’adoption de mesures d’urgence, en tant qu’il subordonne celles-ci à l’existence d’une situation susceptible de présenter, «de toute évidence», un «risque grave» pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement.

76      À cet égard, il convient de considérer que les expressions «de toute évidence» et «risque grave» doivent être comprises comme se référant à un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l’environnement. Ce risque doit être constaté sur la base d’éléments nouveaux reposant sur des données scientifiques fiables.

77      En effet, des mesures de protection prises en vertu de l’article 34 du règlement n° 1829/2003 ne sauraient être valablement motivées par une approche purement hypothétique du risque, fondée sur de simples suppositions scientifiquement non encore vérifiées. Au contraire, de telles mesures de protection, nonobstant leur caractère provisoire et même si elles revêtent un caractère préventif, ne peuvent être prises que si elles sont fondées sur une évaluation des risques aussi complète que possible compte tenu des circonstances particulières du cas d’espèce, qui révèlent que ces mesures s’imposent (voir, en ce sens, arrêt Monsanto Agricoltura Italia e.a., précité, points 106 et 107).

78      Il importe de souligner que, à la lumière de l’économie du système prévu par le règlement n° 1829/2003 et de son objectif d’éviter des disparités artificielles dans la prise en charge d’un risque grave, l’évaluation et la gestion d’un risque grave et évident relève, en dernier ressort, de la seule compétence de la Commission et du Conseil, sous le contrôle du juge de l’Union.

79      Il en résulte que, au stade de l’adoption et de la mise en œuvre par les États membres des mesures d’urgence visées à l’article 34 dudit règlement, tant qu’aucune décision n’a été adoptée à cet égard au niveau de l’Union, les juridictions nationales saisies afin de vérifier la légalité de telles mesures nationales sont compétentes pour apprécier la légalité de ces mesures au regard des conditions de fond prévues à l’article 34 du règlement n° 1829/2003 et de celles de procédure tirées de l’article 54 du règlement n° 178/2002, l’uniformité du droit de l’Union pouvant être assurée par la Cour dans le cadre de la procédure de renvoi préjudiciel, puisque, lorsqu’une juridiction nationale a des doutes quant à l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, elle peut ou doit, conformément à l’article 267, deuxième et troisième alinéas, TFUE, déférer une question préjudicielle à la Cour (voir, par analogie, arrêt du 20 novembre 2008, Heuschen & Schrouff Oriëntal Foods Trading, C‑375/07, Rec. p. I-8691, points 63 et 67).

80      En revanche, lorsque, dans un cas, la Commission a saisi le Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale et qu’une décision a été adoptée au niveau de l’Union, les appréciations de fait et de droit relatives à ce cas, contenues dans une telle décision, s’imposent à tous les organes de l’État membre destinataire d’une telle décision, conformément à l’article 288 TFUE, et ce y compris à ses juridictions amenées à apprécier la légalité des mesures adoptées au niveau national (voir, par analogie, arrêt Heuschen & Schrouff Oriëntal Foods Trading, précité, point 64).

81      Il convient donc de répondre à la troisième question que, en vue de l’adoption de mesures d’urgence, l’article 34 du règlement n° 1829/2003 impose aux États membres d’établir, outre l’urgence, l’existence d’une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l’environnement.

 Sur les dépens

82      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

1)      Dans des circonstances telles que celles des litiges au principal, des organismes génétiquement modifiés tels que du maïs MON 810, qui ont été autorisés notamment en tant que semences à des fins de culture, en application de la directive 90/220/CEE du Conseil, du 23 avril 1990, relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement, et qui, dans les conditions énoncées à l’article 20 du règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 22 septembre 2003, concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés, ont été notifiés en tant que produits existants, puis ont fait l’objet d’une demande de renouvellement d’autorisation en cours d’examen ne peuvent pas faire l’objet, de la part d’un État membre, de mesures de suspension ou d’interdiction provisoire de l’utilisation ou de la mise sur le marché en application de l’article 23 de la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive 90/220, de telles mesures pouvant, en revanche, être adoptées conformément à l’article 34 du règlement n° 1829/2003.

2)      L’article 34 du règlement n° 1829/2003 n’autorise un État membre à adopter des mesures d’urgence que dans les conditions de procédure énoncées à l’article 54 du règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires, dont il appartient à la juridiction nationale de vérifier le respect.

3)      En vue de l’adoption de mesures d’urgence, l’article 34 du règlement n° 1829/2003 impose aux États membres d’établir, outre l’urgence, l’existence d’une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l’environnement.

Signatures


* Langue de procédure: le français.