CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO CRUZ VILLALÓN

présentées le 19 juillet 2012 ( 1 )

Affaire C‑577/10

Commission européenne

contre

Royaume de Belgique

«Manquement d’État — Article 56 TFUE — Libre prestation des services — Réglementation nationale imposant une obligation de déclaration préalable aux prestataires de services établis dans d’autres États membres — Travailleurs indépendants — Discrimination — Différenciation objectivement justifiée — Entrave à la libre prestation des services — Sanctions pénales — Justifications — Prévention de la fraude — Protection contre la concurrence déloyale — Protection des travailleurs — Travailleurs autonomes économiquement dépendants — ‘Faux indépendants’ — Proportionnalité — Principe de cohérence»

1. 

Par le présent recours en constatation de manquement, la Commission européenne entend obtenir de la Cour qu’elle déclare comme étant incompatible avec la libre prestation des services, au sens de l’article 56 TFUE, le système mis en place par le Royaume de Belgique imposant aux prestataires de services établis dans un autre État membre une obligation de déclaration préalable (système dit «Limosa») ( 2 ). La Commission estime, à titre principal, que ledit système constitue une discrimination qu’aucun motif tiré de l’ordre public, de la sécurité publique ou de la santé publique, au sens de l’article 52 TFUE, ne vient justifier. Elle prend cependant également soin d’examiner, à titre subsidiaire, s’il peut être justifié par l’objectif d’intérêt général invoqué par le Royaume de Belgique, tenant à la nécessité d’exercer les contrôles indispensables au respect d’exigences impérieuses d’intérêt général, pour conclure qu’il n’est, en tout état de cause, pas nécessaire à la réalisation desdits objectifs et disproportionné.

2. 

Le caractère «spécifiquement applicable» du système Limosa, au sens de la jurisprudence de la Cour, ne pouvant être aisément mis en cause, toute la difficulté consiste à déterminer si cette affaire peut être examinée à la lumière de l’analyse présentée à titre subsidiaire par la Commission, comme la Cour a pu le faire dans le cas de mesures affectant les prestations de services réalisées au moyen du détachement de travailleurs salariés.

3. 

En effet, la particularité de la présente affaire réside dans la circonstance que, à la différence d’affaires proches ou similaires dont la Cour a eu à connaître jusqu’à présent, où étaient en cause des mesures affectant des prestataires de services en tant qu’ils opéraient au moyen du détachement de leurs travailleurs salariés dans un État membre autre que leur État membre d’établissement, le système Limosa est mis en cause par la Commission pour autant qu’il affecte les prestataires de services eux-mêmes en tant que travailleurs indépendants.

4. 

Dans les présentes conclusions, je propose à la Cour d’aborder ce recours en constatation de manquement concernant les travailleurs indépendants d’une façon comparable à celle suivant laquelle elle a abordé les affaires concernant les travailleurs salariés détachés, et donc de dépasser l’argument selon lequel le système Limosa serait discriminatoire et non justifié par l’un des objectifs visés à l’article 52 TFUE, et cela en intégrant dans son analyse l’examen des exigences impérieuses d’intérêt général invoquées par le Royaume de Belgique. Il s’agira, plus précisément, de prendre en considération le fait que la situation réelle des travailleurs indépendants peut en tant que telle, et dans certaines circonstances, cacher des situations non moins dignes de protection que celle des travailleurs salariés, notamment celle des «travailleurs autonomes économiquement dépendants», parfois également qualifiés de «travailleurs indépendants économiquement subordonnés» ou de «travailleurs parasubordonnés» ( 3 ), mais également de prendre en considération des phénomènes plus irréguliers tels que, typiquement, celui des «faux indépendants». Toutefois, dans la mesure où le système Limosa établit une obligation générale préalable à l’exercice de bon nombre de prestations de services, il appelle un examen particulièrement strict de sa nécessité et de sa proportionnalité ainsi que, en fin de compte, de sa cohérence.

I – La législation nationale

5.

Les dispositions nationales mises en cause par la Commission dans le cadre de son recours en constatation de manquement sont les articles 137, point 8, 138, troisième tiret, 153 et 157, point 3, de la loi-programme du 27 décembre 2006 ( 4 ), dans sa version en vigueur depuis le 1er avril 2007, qui font partie du chapitre VIII régissant la déclaration préalable pour les travailleurs salariés et indépendants détachés. Ladite déclaration préalable s’inscrit dans un projet plus vaste visant à mettre en place un guichet unique pour l’ensemble des démarches liées au travail en Belgique, à savoir le système Limosa.

6.

L’article 137 de la loi-programme litigieuse prévoit:

«Pour l’application du présent chapitre et de ses arrêtés d’exécution, on entend par:

[…]

7o

travailleurs indépendants: toutes les personnes physiques, qui exercent une activité professionnelle en raison de laquelle elles ne sont pas engagées dans les liens d’un contrat de travail ou d’un statut;

8o

travailleurs indépendants détachés:

a)

les personnes visées au point 7° qui exercent temporairement ou partiellement une ou plusieurs activités indépendantes en Belgique sans y résider de manière permanente et qui travaillent habituellement sur le territoire d’un ou plusieurs pays autres que la Belgique,

b)

les personnes venant de l’étranger qui se rendent en Belgique dans le but d’y exercer temporairement une activité professionnelle indépendante ou de s’y installer temporairement comme indépendant.

[…]»

7.

L’article 138 de la loi programme litigieuse précise:

«Le présent chapitre s’applique:

[…]

aux travailleurs indépendants détachés;

[…]»

8.

L’article 153 de la loi-programme litigieuse dispose:

«Préalablement à l’exercice de l’activité professionnelle d’un travailleur indépendant détaché sur le territoire belge, celui-ci ou son mandataire doit effectuer, auprès de l’Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants une déclaration par voie électronique, établie conformément à l’article 154, selon les modalités déterminées par le Roi.

Préalablement au début de son stage sur le territoire belge, le stagiaire indépendant détaché ou l’institution auprès de laquelle il suit ses études ou sa formation professionnelle doit effectuer, auprès de l’Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants, une déclaration par voie électronique, établie conformément à l’article 154, selon les modalités déterminées par le Roi.

Lorsque l’indépendant détaché ou son mandataire ou le stagiaire indépendant détaché ou l’institution auprès de laquelle il suit ses études ou sa formation professionnelle sont dans l’incapacité de faire cette déclaration par voie électronique, ils peuvent l’adresser, par fax ou par courrier, à l’Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants, selon les modalités fixées par cette institution.

Dès que la déclaration visée aux alinéas précédents est effectuée, le déclarant reçoit un accusé de réception conformément à l’article 3 de la loi précitée du 24 février 2003. Lorsque la déclaration a été faite par fax ou par courrier l’Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants délivre un accusé de réception par fax ou par courrier suivant un modèle qu’il établit.

Le Roi détermine le délai dans lequel une déclaration préalable peut être annulée.

Lorsque le détachement se prolonge au-delà de la durée initialement prévue, le déclarant doit procéder à une nouvelle déclaration préalablement à la fin de la durée du détachement initialement prévue.»

9.

L’article 157 de la loi-programme litigieuse est libellé comme suit:

«Sans préjudice des articles 269 à 274 du Code pénal, sont punis d’un emprisonnement de huit jours à un an et d’une amende de 500 à 2 500 euros ou d’une de ces peines seulement:

[…]

3o

le travailleur indépendant détaché qui ne s’est pas conformé aux dispositions du présent chapitre et de ses arrêtés d’exécution.»

II – La procédure précontentieuse

10.

Par lettre du 22 juin 2007, la Commission a attiré l’attention du Royaume de Belgique sur les problèmes que lui paraissait soulever, au regard de l’article 49 CE (actuellement article 56 TFUE), l’obligation imposée aux prestataires de services indépendants de s’enregistrer et de déclarer au préalable leurs activités dans le cadre du système Limosa, et l’invitait à lui communiquer toute information utile à la compréhension dudit système ainsi que les raisons justifiant l’établissement d’un tel système général de déclaration.

11.

Par lettre du 12 juillet 2007, le Royaume de Belgique a exposé le contexte et la philosophie du système Limosa, en soulignant que celui-ci poursuivait plusieurs objectifs légitimes, en l’occurrence la simplification administrative et la création d’informations statistiques fiables ainsi que l’amélioration de la surveillance et du contrôle des activités étrangères en Belgique.

12.

Par lettre du 2 février 2009, la Commission a toutefois réitéré ses préoccupations concernant le système Limosa et mis le Royaume de Belgique en demeure de présenter ses observations à cet égard et de répondre à plusieurs questions. La Commission faisait valoir que les dispositions de la loi-programme litigieuse constituaient assurément une entrave à la libre prestation des services, voire une discrimination indirecte fondée sur la nationalité. Elle estimait, par ailleurs, que les justifications avancées par le Royaume de Belgique ne correspondaient à aucune des trois exigences mentionnées à l’article 46 CE, ne constituaient pas des raisons impérieuses d’intérêt général et ne satisfaisaient pas, en tout état de cause, au test de proportionnalité.

13.

Par lettre du 31 mars 2009, le Royaume de Belgique a répondu aux observations formulées par la Commission dans sa mise en demeure, en prenant, tout d’abord, acte de ce qu’elle ne visait que les prestataires de services indépendants et pas les cas dans lesquels la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services ( 5 ), trouvait à s’appliquer. Il y exposait que l’objectif général de l’obligation de déclaration Limosa était la surveillance et le contrôle des activités étrangères en Belgique aux fins de la protection sociale des intérêts légitimes de toutes les parties concernées, le maintien de l’équilibre financier des systèmes de sécurité sociale et la lutte contre la fraude sociale et fiscale et la concurrence déloyale ainsi que la création d’informations statistiques fiables et la simplification administrative. Le système Limosa permettrait, en particulier, de lutter contre le phénomène des faux indépendants et, plus précisément, les manœuvres frauduleuses de contournement des normes minimales de la directive 96/71 en matière de protection sociale consistant à présenter des travailleurs détachés comme indépendants.

14.

Par avis motivé du 8 octobre 2009, adressé aux autorités belges par lettre du 9 octobre 2009, la Commission a maintenu ses reproches à l’égard de la déclaration Limosa, en précisant qu’elle considérait comme étant incompatibles avec l’article 56 TFUE, dans la mesure où elles concernaient les prestataires de services indépendants, les dispositions des articles 137, point 8, 138, troisième tiret, 153 et 157, point 3, de la loi-programme litigieuse, tout en se réservant le droit d’examiner ultérieurement, le cas échéant, la situation des travailleurs détachés au sens de la directive 96/71.

15.

Par lettre en réponse à l’avis motivé du 11 décembre 2009, le Royaume de Belgique a intégralement maintenu sa position. Tout en continuant à nier que le système Limosa puisse être regardé comme une entrave à la libre prestation des services des travailleurs indépendants, il a souligné de nouveau que cette entrave était, en tout état de cause, justifiée, notamment, par les objectifs de protection sociale des travailleurs, de maintien de l’équilibre financier de la sécurité sociale et de prévention efficace de la fraude, et constituait le moyen le moins restrictif pour atteindre ces objectifs.

III – La procédure devant la Cour

16.

C’est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe de la Cour le 10 décembre 2010, la Commission a introduit le présent recours.

17.

Par ordonnance du président de la Cour du 11 avril 2011, le Royaume de Danemark a été admis à intervenir au soutien des conclusions du Royaume de Belgique.

18.

Le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark ainsi que la Commission ont été entendus en leurs plaidoiries lors de l’audience qui s’est tenue le 29 mars 2012.

19.

La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

constater que, en adoptant les articles 137, point 8, 138, troisième tiret, 153 et 157, point 3, de la loi-programme litigieuse, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions de l’article 56 TFUE, et

condamner le Royaume de Belgique aux dépens.

20.

Le Royaume de Belgique conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

déclarer le recours non fondé en ce que la Commission n’a pas apporté la preuve du manquement allégué;

constater, dans l’hypothèse où la Cour devrait estimer la requête de la Commission suffisamment étayée, que, à tout le moins en adoptant les articles 137, point 8, 138, troisième tiret, 153 et 157, point 3, de la loi-programme litigieuse, le Royaume de Belgique n’a pas manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions de l’article 56 TFUE, et

rejeter en conséquence le recours et condamner la Commission aux dépens.

IV – Analyse

A – Résumé de l’argumentation des parties

21.

La Commission fait valoir, à titre principal, que le système Limosa constitue une restriction discriminatoire à la libre prestation des services des travailleurs indépendants, qui ne peut, le cas échéant, être justifiée que par les raisons énumérées à l’article 52 TFUE tenant à l’ordre public, à la sécurité publique ou à la santé publique. Le Royaume de Belgique n’ayant invoqué aucune de ces justifications, la Commission invite par conséquent la Cour à constater son manquement aux obligations lui incombant en vertu de l’article 56 TFUE. La Commission a confirmé lors de l’audience qu’elle entendait, à titre principal, obtenir la constatation du manquement du Royaume de Belgique sur ce seul fondement.

22.

La Commission insiste, par ailleurs, sur le fait que son recours ne vise que les travailleurs indépendants, et pas les travailleurs salariés détachés relevant du champ d’application de la directive 96/71, de sorte que, si la jurisprudence pertinente à cet égard, notamment l’arrêt du 19 janvier 2006, Commission/Allemagne ( 6 ), peut constituer un point de comparaison et un élément de réflexion, elle n’est pas pertinente, les spécificités des situations respectives des prestataires de services (travailleurs indépendants) et des travailleurs salariés détachés faisant obstacle à tout parallèle systématique.

23.

La Commission a néanmoins pris soin, à titre subsidiaire, d’examiner longuement, dans son mémoire introductif d’instance, les différents objectifs d’intérêt général invoqués par le Royaume de Belgique pour justifier le système Limosa, ainsi que la nécessité et la proportionnalité de celui-ci, pour conclure que ce système constituait, en tout état de cause, une restriction injustifiée à la libre prestation des services des travailleurs indépendants.

24.

Le Royaume de Belgique, soutenu pour l’essentiel par le Royaume de Danemark, estime en revanche que ledit système ne saurait être qualifié de discriminatoire, dès lors que, d’une part, il trouve également à s’appliquer aux ressortissants belges établis dans les autres États membres et, d’autre part, et en tout état de cause, la situation des prestataires de services établis en Belgique n’est pas comparable à celle des prestataires de services établis dans les autres États membres. Il fait par ailleurs valoir que le système Limosa ne constitue qu’une restriction minime à la libre prestation des services, que ses effets sur cette liberté sont trop indirects et aléatoires pour qu’il soit interdit sur le fondement de l’article 56 TFUE et qu’il est, en tout état de cause, justifié par des exigences impératives d’intérêt général et parfaitement conforme au principe de proportionnalité.

B – Observations liminaires

25.

Il importe de souligner, à titre liminaire, que la Cour a eu l’occasion, à maintes reprises, de connaître de recours en constatation de manquement ou de répondre à des questions préjudicielles concernant différents aspects de l’application aux travailleurs salariés détachés soit de la directive 96/71 ( 7 ), soit de l’article 56 TFUE ( 8 ), et, parfois, des deux simultanément ( 9 ). C’est, en revanche, la première fois qu’elle est saisie d’un litige de même nature, mais concernant cette fois spécifiquement le prestataire de services en tant que travailleur indépendant ( 10 ).

26.

S’il va de soi que, ainsi que la Commission l’a fait valoir, la jurisprudence de la Cour concernant spécifiquement la directive 96/71 n’est pas directement pertinente, en ce sens qu’elle ne saurait être purement et simplement transposée dans le cadre de la présente affaire, il n’en demeure pas moins que l’ensemble de ces décisions établit un cadre de référence jurisprudentiel qui peut et doit inspirer, pour le moins en partie, la réponse à apporter à la question soulevée par la présente affaire.

27.

Or, l’idée principale qui se dégage de cette jurisprudence est que la Cour adopte une démarche prudente et nuancée lorsqu’elle est confrontée à des mesures nationales restreignant la libre prestation des services pouvant trouver une justification dans la nécessité d’assurer tout particulièrement le contrôle du respect d’exigences impérieuses d’intérêt général. Quand bien même de telles mesures seraient, par nature, spécifiquement applicables et pourraient donc, d’emblée, être disqualifiées comme discriminatoires, la Cour s’abstient pourtant de les qualifier systématiquement comme telles pour s’efforcer, au contraire, d’examiner de manière rigoureuse le bien-fondé de leurs justifications, pour autant que de telles justifications soient invoquées, ainsi que leur nécessité et leur proportionnalité ( 11 ).

28.

Cette approche ne laisse pourtant pas d’être en tension avec celle, en fin de compte plus orthodoxe, appréhendant comme discriminatoires les mesures qui ne sont pas indistinctement applicables. L’arrêt rendu par la Cour le 18 juillet 2007, dans l’affaire Commission/Allemagne ( 12 ), est particulièrement illustratif de cette dualité et de l’attention vigilante prêtée par la Cour aux justifications avancées par les États membres lorsque sont en cause lesdits impératifs de contrôle ( 13 ).

29.

S’il est vrai que l’approche générale suivie par la Cour dans les différentes affaires susmentionnées analogues à la présente affaire ne semble pas toujours totalement cohérente avec le reste de la jurisprudence en matière de libre prestation des services ni avec la jurisprudence relative aux autres libertés, il demeure que ce sont pourtant des considérations fondamentales qui l’expliquent et la justifient.

30.

Il faut, à cet égard, insister sur le fait que la Cour a souligné, à plusieurs reprises, avoir reconnu aux États membres la faculté de vérifier le respect des dispositions de droit national et de droit de l’Union en matière de prestation de services ( 14 ) ou encore admis le bien-fondé de mesures de contrôle nécessaires pour vérifier le respect d’exigences elles-mêmes justifiées par des raisons d’intérêt général ( 15 ), non sans préciser que ces contrôles devaient respecter les limites imposées par le droit de l’Union ( 16 ) et ne sauraient, en aucun cas, rendre illusoire la liberté de prestation de services ( 17 ).

31.

Dans son arrêt dos Santos Palhota e.a. ( 18 ) en particulier, la Cour a précisé que les États membres demeuraient, notamment, libres de définir, dans le respect du traité FUE et des principes généraux du droit, les règles administratives accessoires destinées à permettre la vérification du respect des réglementations nationales matérielles relatives aux conditions de travail et d’emploi des travailleurs détachés coordonnées par la directive 96/71 ( 19 ).

32.

Dans un ordre d’idées légèrement différent, la Cour a également admis que l’État membre destinataire pouvait, dans certaines limites et dans le strict respect du droit de l’Union, prendre des dispositions destinées à empêcher que la liberté garantie par l’article 56 TFUE ne soit détournée de son objectif ou utilisée par un prestataire de services à des fins frauduleuses ( 20 ).

33.

Or, le Royaume de Belgique comme le Royaume de Danemark font essentiellement valoir que la différenciation entre les deux catégories de prestataires établie par la loi-programme litigieuse est objectivement justifiée par leur différence de situation au regard des contrôles qu’ils estiment devoir être en mesure de continuer à effectuer, en l’absence d’harmonisation des législations nationales, notamment dans le domaine de l’emploi et du travail ( 21 ), contrôles eux-mêmes indispensables à la protection des exigences impérieuses d’intérêt général par ailleurs invoquées par le Royaume de Belgique, tenant à la lutte contre la fraude en général et contre les «faux indépendants» en particulier, à la prévention contre la concurrence déloyale et au dumping social ainsi qu’à la protection des travailleurs.

34.

Par conséquent, et suivant l’orientation générale qui se dégage de la jurisprudence, j’examinerai successivement si le système Limosa constitue une entrave à la libre prestation des services (sous-titre 1), s’il peut, le cas échéant, être justifié par des raisons impérieuses d’intérêt général (sous-titre 2) et, dans l’affirmative, s’il est parfaitement conforme aux exigences découlant du principe de proportionnalité (sous-titre 3).

C – L’examen du système Limosa à la lumière de la libre prestation des services

1. Un système décourageant constitutif d’une entrave à la libre prestation des services

35.

Il ne fait guère de doute que le système Limosa constitue une entrave à la libre prestation des services, du point de vue tant des prestataires de services concernés que des destinataires desdits services établis en Belgique.

36.

Le cœur même du système Limosa, son inspiration pour ainsi dire, présente, tout d’abord, un caractère décourageant pour les prestataires de services désireux d’exercer leurs activités en Belgique du simple fait qu’il leur impose, d’une part, de s’enregistrer en créant un compte et, d’autre part, de déclarer normalement préalablement à chaque prestation, en utilisant les données dudit compte, un certain nombre d’informations détaillées, dont, notamment, la date et la durée, la nature et le lieu de réalisation de la prestation ainsi que les données d’identification du client établi en Belgique. Ces démarches constituent assurément une charge administrative non négligeable, en particulier pour les artisans et les petites entreprises ne disposant pas du personnel idoine pour les mener et tout spécialement pour les prestations de services de très courte durée exigeant une intervention très rapide.

37.

En outre, le système Limosa est également décourageant pour les destinataires de services, dans la mesure où il leur impose de signaler les prestataires de services qui ne leur présenteraient pas l’accusé de réception établissant la réalisation de la déclaration Limosa, sous peine de sanction pénale.

38.

Le Royaume de Belgique a cependant fait valoir que le système Limosa produisait un effet trop négligeable ou trop indirect et aléatoire sur la libre prestation des services pour être qualifié d’entrave.

39.

Les deux arguments doivent être rejetés. En dehors même du fait que la Cour n’a, dans le cadre de la libre prestation des services, jamais admis des arguments de cette nature, il sera simplement observé que, comme la Commission l’a fait valoir, si l’importance ou l’intensité de l’effet restrictif d’une mesure sur la libre prestation des services peut éventuellement être prise en compte dans le cadre de l’examen de sa proportionnalité, elle ne saurait faire obstacle à la qualification même de cette mesure comme restrictive ( 22 ).

40.

Le système Limosa ne saurait, partant, être admis qu’à condition qu’il puisse être justifié par des exigences impérieuses d’intérêt général, sous réserve que l’intérêt protégé ne soit pas sauvegardé par la législation de l’État membre d’établissement, qu’il réponde parfaitement aux exigences de clarté, de sécurité juridique ( 23 ) et de cohérence, et qu’il demeure parfaitement proportionné, c’est-à-dire qu’il n’excède pas ce qui est objectivement nécessaire à cette fin et que ce résultat ne puisse être obtenu par des règles moins contraignantes ( 24 ).

2. Des justifications plausibles

41.

Il ressort des principaux arguments avancés par le Royaume de Belgique ainsi que des réponses apportées par la Commission que l’entrave à la libre prestation des services que constitue le système Limosa est susceptible d’être justifiée par des objectifs d’intérêt général tenant, d’abord, à la protection des travailleurs indépendants, mais aussi, plus largement, à la protection des travailleurs autonomes économiquement indépendants ainsi qu’à la protection des travailleurs salariés à travers la lutte contre les «faux indépendants», ce que j’analyserai par la suite.

42.

Le Royaume de Belgique a, en effet, invoqué trois séries de justifications, la première tenant à la prévention de la concurrence déloyale, envisagée dans sa dimension sociale, laquelle intégrerait la lutte contre le dumping social ( 25 ), la deuxième tenant au maintien de l’équilibre financier de la sécurité sociale ainsi qu’à la nécessité de prévenir la fraude et de combattre les abus, et en particulier de lutter contre les faux indépendants, et, la troisième tenant à la nécessité d’assurer la protection des travailleurs indépendants eux-mêmes, de leurs conditions d’emploi et de travail et, en particulier, de leur santé et de leur sécurité, en relation avec les prescriptions de l’Union européenne ( 26 ), comme l’a fait valoir le Royaume de Danemark.

43.

La Commission a fait valoir, à cet égard, que le Royaume de Belgique s’était borné à invoquer les objectifs de lutte contre la fraude et le risque de contournement des règles régissant la libre circulation des travailleurs par les «faux indépendants», sans avancer le moindre élément précis permettant d’évaluer la nécessité et la proportionnalité des mesures adoptées. Ce faisant, comme le Royaume de Belgique l’a souligné, la Commission admet en principe le bien-fondé des mesures de contrôle nécessaires à la lutte contre la fraude et les abus, tout en contestant que le système Limosa, compte tenu de sa philosophie et de ses modalités concrètes d’application, puisse satisfaire aux critères de nécessité et de proportionnalité.

44.

Il doit être souligné, pour commencer, qu’il ne fait pas de doute que la nécessité de garantir la protection de la santé, de la sécurité et de l’hygiène des travailleurs indépendants, voire, plus largement, de leurs conditions d’emploi et de travail ( 27 ), constitue un objectif digne de protection, qui se distingue des exceptions à la libre prestation des services tirées de la santé publique ou de la sécurité publique visées à l’article 46 CE, et que, en l’absence d’harmonisation des législations sur ce point ( 28 ), elle constitue une exigence impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction à la libre prestation des services.

45.

Il suffit, à cet égard, de rappeler que le droit primaire, et en particulier les dispositions des articles 3, paragraphe 3, TUE, 9 TFUE et 31 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, garantit désormais un standard élevé de protection sociale du travailleur, sans toujours distinguer les travailleurs salariés des autres, et que, ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de l’exposer dans mes conclusions dans l’affaire dos Santos Palhota e.a. ( 29 ), il importe désormais de tenir compte de ces dispositions dans l’interprétation des dispositions de droit primaire définissant les libertés.

46.

Il importe ici de préciser que le standard élevé de protection vers lequel doit tendre l’Union doit bénéficier à l’ensemble des travailleurs, aux travailleurs salariés comme aux travailleurs indépendants, mais également à tous les travailleurs se trouvant dans une situation intermédiaire, une vigilance toute particulière s’imposant en ce qui concerne les travailleurs autonomes économiquement dépendants ou assimilés ( 30 ).

47.

La Cour a, par ailleurs, eu l’occasion d’admettre en tant qu’exigence impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction à la libre prestation des services la lutte contre la fraude en général, notamment dans le domaine des jeux de hasard ( 31 ), ou contre la fraude fiscale en particulier ( 32 ), mais elle n’a encore jamais eu l’occasion d’examiner cette justification dans un contexte comme celui de la présente affaire.

48.

S’il ne semble pas que le législateur de l’Union ait, jusqu’à présent envisagé les «faux indépendants» comme un problème spécifique ( 33 ), ni même qu’il ait jamais cherché à définir ce que cette réalité pouvait recouvrir ( 34 ), il n’en demeure pas moins qu’il est fait état de ce phénomène dans plusieurs documents ( 35 ) et que l’on peut trouver des chiffres témoignant de son importance ( 36 ), ce qui permet à suffisance de prendre la mesure de la justification invoquée par le Royaume de Belgique.

49.

En l’occurrence, il doit être admis que la nécessité de lutter contre le phénomène des faux indépendants et de mener les contrôles nécessaires à cette fin constitue une exigence impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction à la libre prestation des services. Cette exigence, qui permet en particulier de garantir le respect des normes minimales de la directive 96/71, se rattache à la protection des travailleurs, consacrée de longue date comme exigence impérieuse d’intérêt général par la Cour ( 37 ).

50.

L’objectif de lutte contre les faux indépendants pourrait également se rattacher à l’objectif de prévention de la concurrence déloyale, que la Cour a consacré comme exigence impérieuse d’intérêt général ( 38 ), et plus largement à l’objectif de prévention du dumping social invoqué par le Royaume de Belgique ( 39 ), pour autant que, comme l’a souligné la Commission dans ses écritures, il concourt à la réalisation de l’objectif de protection sociale des vrais travailleurs salariés que sont les faux indépendants.

51.

S’il peut être admis que le système Limosa répond à des raisons impérieuses d’intérêt général, telles que la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs indépendants et la lutte contre les faux indépendants, les restrictions à la libre prestation des services qu’il comporte ne peuvent toutefois être tolérées que pour autant qu’il soit parfaitement proportionné, c’est-à-dire propre à garantir la réalisation des objectifs qu’il poursuit et qu’il n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre.

3. Des exigences disproportionnées par rapport aux objectifs poursuivis

52.

La Commission fait valoir que, en tout état de cause et au-delà de son caractère discriminatoire, le système Limosa, de par sa philosophie, son champ d’application et ses modalités d’application, excède de loin ce que peut tolérer le droit de l’Union.

53.

Elle souligne, tout d’abord, que le système Limosa constitue une inversion du principe, à savoir la libre prestation des services, et de son exception et que, eu égard à sa portée extrêmement large et transversale et à son caractère préventif, il instaure une présomption générale de fraude ne reposant sur aucun élément statistique. Elle doute, ensuite, de la cohérence du système Limosa et que ce dernier soit de nature à atteindre les objectifs affichés par le Royaume de Belgique, toute possibilité de contrôle inopiné sur place étant exclue dans les cas dans lesquels les prestataires de services soit sont exemptés de l’obligation de déclaration, soit ne sont soumis qu’à une déclaration simplifiée. Elle estime, enfin, que, eu égard aux obligations de coopération administrative pesant sur les États membres, et notamment celles mises en place par la directive 2006/123, le système Limosa n’est pas nécessaire pour atteindre l’objectif de lutte contre la fraude en général et contre les faux indépendants en particulier.

54.

Il doit, tout d’abord, être fait observer que, d’une part, le délai de transposition de la directive 2006/123 expirait le 28 décembre 2009, soit une date postérieure à la date de l’avis motivé, et, d’autre part, comme le Royaume de Belgique l’a souligné, le mécanisme qu’elle institue n’est véritablement opérationnel que depuis l’entrée en vigueur des mesures pratiques de mise en œuvre ( 40 ). Cette directive ne saurait, partant, entrer en ligne de compte dans l’appréciation du présent recours en constatation de manquement. C’est donc principalement à la lumière des enseignements de la jurisprudence de la Cour que la proportionnalité du système Limosa sera examinée, étant souligné que, si le mécanisme de coopération institué par la directive 2006/123 peut éventuellement constituer un point de référence ( 41 ), il témoigne, avant tout, de la nécessité de mettre en place des instruments permettant aux États membres d’exercer leurs compétences de contrôle dans le strict respect, notamment, des principes de libre prestation des services et de proportionnalité.

55.

Il convient, par ailleurs, de souligner que la Commission fait valoir que c’est le système Limosa en lui-même, à savoir sa philosophie et son fonctionnement, qui doit être qualifié de non nécessaire et/ou de disproportionné, et non pas certains de ses aspects seulement, comme les sanctions dont il est assorti ou l’obligation pour le prestataire de services de produire l’accusé de réception prouvant l’accomplissement des formalités de déclaration préalable.

56.

Il doit, à cet égard, être rappelé que la Cour a eu l’occasion de constater à plusieurs reprises, en matière de détachement de travailleurs salariés, qu’une exigence de simple déclaration préalable pouvait constituer un moyen nécessaire et approprié permettant à l’État membre sur le territoire duquel la prestation est réalisée de contrôler que la liberté de prestation des services n’est pas utilisée dans un but autre que l’accomplissement de la prestation concernée ou que les travailleurs concernés sont en situation régulière, notamment au regard des conditions de résidence, d’autorisation de travail et de couverture sociale, dans l’État membre d’établissement du prestataire ( 42 ).

57.

En l’occurrence, il peut, en principe, être admis que l’obligation de déclaration préalable de la date et du lieu de réalisation d’une prestation de services ainsi que du nom du destinataire de ladite prestation que le système Limosa impose aux prestataires de services établis dans un autre État membre que le Royaume de Belgique est nécessaire à la réalisation des contrôles indispensables à la garantie tant du respect des normes minimales de la directive 96/71 en matière de protection sociale (lutte contre les faux indépendants) que de la protection des conditions d’emploi et de travail des travailleurs indépendants (protection des vrais indépendants). Force est de constater, en effet, que, en l’absence de telles informations, il est pratiquement impossible pour l’État membre de destination de mener des contrôles inopinés sur place. En outre, en l’absence de mécanismes de coopération administrative entre États membres et à la différence de ce qui prévaut à l’égard des travailleurs indépendants établis sur son territoire, il est pratiquement impossible pour l’État membre de destination de rechercher et de recueillir rapidement les informations indispensables à l’accomplissement de tels contrôles.

58.

Toutefois, la circonstance qu’un mécanisme de déclaration préalable tel que le système Limosa soit nécessaire aux contrôles indispensables à la garantie du respect d’exigences impérieuses d’intérêt général ne suffit pas pour conclure à sa parfaite compatibilité avec le principe de libre prestation des services. Un tel système doit, tout d’abord, être propre à garantir pleinement la réalisation des objectifs poursuivis et les obligations qu’il impose ne doivent pas représenter une charge excessive pour les opérateurs économiques concernés au regard des objectifs visés, étant précisé qu’il doit, en outre, ne pas être possible d’atteindre lesdits objectifs par des règles moins contraignantes. Il doit également répondre aux exigences de clarté et de sécurité juridique ( 43 ) et se conformer au principe de cohérence ( 44 ), point qu’il convient d’examiner avant toute chose.

59.

Or, et en premier lieu, l’obligation de déclaration préalable du système Limosa est assortie d’un nombre conséquent d’exceptions, sans que les motifs justifiant ces dernières ni les critères présidant à leur définition n’apparaissent clairement, et sans que le Royaume de Belgique n’ait fourni, à la lumière des objectifs poursuivis, la moindre explication sur leur raison d’être.

60.

Pourtant, si la nécessité de garantir les conditions de possibilité de contrôles inopinés sur place s’impose dans l’intérêt de la protection des travailleurs, cette exigence devrait, en principe, valoir pour l’ensemble des prestataires de services, sauf à établir clairement une différenciation reposant sur une différence objective tenant, par exemple, à la nature des prestations.

61.

Faute de toute explication fournie par le Royaume de Belgique à cet égard, il ne peut qu’être constaté que les choix ainsi effectués ne sont pas cohérents avec les objectifs affichés, que le système Limosa ne permet pas pleinement d’atteindre lesdits objectifs et que les restrictions à la libre prestation des services qu’il comporte ne sont, par conséquent, pas conformes aux principes de nécessité et de proportionnalité.

62.

Par ailleurs, et en second lieu, les exigences du système Limosa sont considérablement allégées dans certains cas, les prestataires de services indépendants exerçant une partie substantielle de leurs activités en Belgique n’étant soumis, selon les explications fournies par le Royaume de Belgique, qu’à une déclaration simplifiée, valable douze mois et n’impliquant pas de déclaration préalable à chaque prestation, étant précisé que cette possibilité est exclue pour les secteurs du bâtiment et de la construction.

63.

Si le système Limosa apparaît, sur ce plan également, comme n’étant pas parfaitement cohérent avec les objectifs poursuivis, force est, en outre, de constater que l’existence de la déclaration simplifiée vient jeter le doute sur la stricte proportionnalité, voire la nécessité, de la déclaration «normale».

64.

Eu égard aux considérations qui précèdent, j’estime que le système Limosa, tel qu’il est établi par la loi-programme litigieuse en ce qui concerne les travailleurs indépendants, n’est pas compatible avec l’article 56 TFUE et qu’il doit, partant, être fait droit au recours en constatation de manquement introduit par la Commission.

65.

Il convient également, par conséquent, de condamner le Royaume de Belgique aux dépens, conformément à l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour.

V – Conclusion

66.

En conclusion, j’invite la Cour à dire pour droit:

1)

En adoptant les articles 137, point 8, 138, troisième tiret, 153 et 157, point 3, de la loi-programme du 27 décembre 2006, dans sa version en vigueur depuis le 1er avril 2007, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 56 TFUE.

2)

Le Royaume de Belgique est condamné aux dépens.


( 1 )   Langue originale: le français.

( 2 )   Acronyme du néerlandais «Landenoverschrijdend Informatiesysteem ten behoeve van Migratieonderzoek bij de Sociale Administratie» (système d’information transfrontalier en vue de la recherche en matière de migration auprès de l’administration sociale).

( 3 )   Sur ces travailleurs, voir, notamment, livre vert de la Commission intitulé «Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIe siècle» [COM(2006) 708 final]; Antonmattei, P.-H., et Sciberras, J.-C., Le travail économiquement dépendant: quelle protection, rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, novembre 2008.

( 4 )   Moniteur belge du 28 décembre 2006, p. 75178, ci-après la «loi-programme litigieuse».

( 5 )   JO L 18, p. 1.

( 6 )   C-244/04, Rec. p. 885.

( 7 )   Arrêts du 14 avril 2005, Commission/Allemagne (C-341/02, Rec. p. I-2733); du 12 octobre 2004, Wolff & Müller (C-60/03, Rec. p. I-9553); du 3 avril 2008, Rüffert (C-346/06, Rec. p. I-1989), ainsi que du 10 février 2011, Vicoplus e.a. (C‑307/09 à C‑309/09, non encore publié au Recueil). Sur les aspects du détachement des travailleurs concernant la sécurité sociale, voir arrêt du 26 janvier 2006, Herbosch Kiere (C-2/05, Rec. p. I-1079).

( 8 )   Arrêts du 23 novembre 1999, Arblade e.a. (C-369/96 et C-376/96, Rec. p. I-8453); du 25 octobre 2001, Finalarte e.a. (C-49/98, C-50/98, C-52/98 à C-54/98 et C-68/98 à C-71/98, Rec. p. I-7831); du 15 mars 2001, Mazzoleni et ISA (C-165/98, Rec. p. I-2189); du 24 janvier 2002, Portugaia Construções (C-164/99, Rec. p. I-787); du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne (C-490/04, Rec. p. I-6095), ainsi que du 7 octobre 2010, dos Santos Palhota e.a. (C-515/08, Rec. p. I-9133). Sur le cas particulier du détachement, par une entreprise d’un État membre, de travailleurs salariés ressortissants d’États tiers dans un autre État membre, voir arrêts du 19 janvier 2006, Commission/Allemagne, précité; du 21 septembre 2006, Commission/Autriche (C-168/04, Rec. p. I-9041), et du 1er octobre 2009, Commission/Belgique (C-219/08, Rec. p. I-9213).

( 9 )   Arrêts du 18 décembre 2007, Laval un Partneri (C-341/05, Rec. p. I-11767), et du 19 juin 2008, Commission/Luxembourg (C-319/06, Rec. p. I-4323), ainsi que ordonnance du 16 juin 2010, RANI Slovakia (C‑298/09).

( 10 )   La Cour a néanmoins déjà eu à connaître d’affaires concernant des travailleurs indépendants; voir notamment, pour les guides touristiques, arrêt du 5 juin 1997, SETTG (C-398/95, Rec. p. I-3091); pour les avocats, arrêt du 19 février 2002, Wouters e.a. (C-309/99, Rec. p. I-1577), ainsi que pour les auto-écoles, ordonnance du 19 juin 2008, Kurt (C‑104/08).

( 11 )   Voir à cet égard, en particulier, la jurisprudence relative au détachement des travailleurs citée au point 25 des présentes conclusions.

( 12 )   Précité, points 83 à 88.

( 13 )   Dans cette affaire, en effet, la Cour était appelée à examiner deux aspects de la réglementation allemande concernant le détachement des travailleurs. D’une part, elle a considéré que la mesure imposant à l’employeur la conservation de certains documents en allemand, et imposant donc une obligation de traduction aux employeurs non établis dans un État membre germanophone, était justifiée par la nécessité de permettre un contrôle effectif du respect des obligations juridiques découlant de ladite réglementation. D’autre part, elle a considéré que la mesure imposant aux entreprises de travail temporaire établies dans d’autres États membres la communication par écrit de diverses informations sur la mise à disposition d’un travailleur au profit d’une entreprise utilisatrice en Allemagne était spécifiquement applicable, n’était pas justifiée par des motifs tenant à l’ordre public, à la sécurité publique et à la santé publique prévus à l’article 52 TFUE et donc contraire à l’article 56 TFUE.

( 14 )   Arrêts précités Commission/Autriche (point 43), et du 19 janvier 2006, Commission/Allemagne (point 36).

( 15 )   Arrêts Arblade e.a., précité (point 39); du 25 octobre 2001, Commission/Allemagne (C-493/99, Rec. p. I-8163, point 20), ainsi que dos Santos Palhota e.a., précité (point 48). Voir, notamment, Gardenés Santiago, M., «Le détachement transnational de travailleurs dans le cadre des prestations de services: un sujet spécialement difficile pour le marché intérieur», dans Mélanges en l’honneur du Professeur Joël Molinier, LGDJ, Lextenso éditions, 2012, p. 255, spécialement p. 259.

( 16 )   Arrêt du 27 mars 1990, Rush Portuguesa (C-113/89, Rec. p. I-1417).

( 17 )   Sur ce «critère», outre l’arrêt du 19 janvier 2006, Commission/Allemagne, précité (point 36), voir, aussi, point 71 des conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Commission/Autriche, précité, et point 63 des conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 8 septembre 2010, Carmen Media Group (C-46/08, Rec. p. I-8149).

( 18 )   Précité (points 26 et 27).

( 19 )   Voir, également, arrêts précités du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne (point 19), et Laval un Partneri (point 60).

( 20 )   Sur cette idée, voir arrêts du 3 décembre 1974, van Binsbergen (33/74, Rec. p. 1299, point 13); du 26 novembre 1975, Coenen e.a. (39/75, Rec. p. 1547, point 9); du 4 décembre 1986, Commission/Allemagne (205/84, Rec. p. 3755, point 22); du 27 septembre 1989, van de Bijl (130/88, Rec. p. 3039, point 26), ainsi que du 16 décembre 1992, Commission/Belgique (C-211/91, Rec. p. I-6757, point 12).

( 21 )   Arrêt Finalarte e.a., précité (point 73).

( 22 )   Voir, en ce sens, arrêt du 19 janvier 2006, Commission/Allemagne, précité (point 33).

( 23 )   Arrêt Commission/Luxembourg, précité (points 77 à 82).

( 24 )   Arrêts du 4 décembre 1986, Commission/Allemagne, précité (points 27 et 29); du 26 février 1991, Commission/Italie (C-180/89, Rec. p. I-709, points 17 et 18); du 20 mai 1992, Ramrath (C-106/91, Rec. p. I-3351, points 30 et 31), ainsi que du 27 octobre 2011, Commission/Portugal (C-255/09, Rec. p. I-10547, point 72).

( 25 )   Le Royaume de Belgique se réfère, à cet égard, aux arrêts précités Wolff & Müller et Laval un Partneri.

( 26 )   Voir, en particulier, recommandation 2003/134/CE du Conseil, du 18 février 2003, portant sur l’amélioration de la protection de la santé et de la sécurité au travail des travailleurs indépendants (JO L 53, p. 45); voir, également, directive 92/57/CEE du Conseil, du 24 juin 1992, concernant les prescriptions minimales de sécurité et de santé à mettre en œuvre sur les chantiers temporaires ou mobiles (huitième directive particulière au sens de l’article 16 paragraphe 1 de la directive 89/391/CEE) (JO L 245, p. 6, et rectificatif JO 1993, L 41, p. 50).

( 27 )   D’une manière très générale, et sans entrer ici dans les détails, c’est le contrôle du respect des normes fondamentales du travail, nationales, européennes et internationales, qui est ici en cause. L’on se bornera, à cet égard, à mentionner la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO L 299, p. 9), qui relève de la politique sociale de l’Union et dont le champ d’application ratione personae n’est pas défini en fonction du lien de subordination unissant un travailleur à son employeur.

( 28 )   Sur le partage des compétences entre les États membres et l’Union en la matière, voir avis 2/91, du 19 mars 1993 (Rec. p. I‑1061, points 13 à 21), s’agissant de la convention no 170 de l’Organisation internationale du travail concernant la sécurité dans l’utilisation des produits chimiques au travail. Il sera observé que, dans son livre vert intitulé «Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIe siècle» susmentionné, la Commission a souligné que «le problème des personnes qui se font passer pour des travailleurs indépendants afin de contourner la législation nationale doit être principalement traité par les États membres».

( 29 )   Points 51 à 53.

( 30 )   Il importe, à cet égard, de souligner que la qualification de travailleur indépendant ressortit à la compétence des États membres, même si la Cour a eu l’occasion de préciser que la qualification formelle de travailleur indépendant au regard du droit national n’exclut pas qu’une personne doive être qualifiée de travailleur au sens de l’article 141, paragraphe 1, CE si son indépendance n’est que fictive, déguisant ainsi une relation de travail au sens dudit article; voir arrêt du 13 janvier 2004, Allonby (C-256/01, Rec. p. I-873, point 71).

( 31 )   Voir, notamment, arrêts du 11 septembre 2003, Anomar e.a. (C-6/01, Rec. p. I-8621, point 75); du 6 mars 2007, Placanica e.a. (C-338/04, C-359/04 et C-360/04, Rec. p. I-1891, point 46); du 8 septembre 2009, Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International (C-42/07, Rec. p. I-7633, point 56), ainsi que du 3 juin 2010, Sporting Exchange (C-203/08, Rec. p. I-4695, point 26).

( 32 )   Arrêts du 11 octobre 2007, ELISA (C-451/05, Rec. p. I-8251, point 81); du 11 juin 2009, X et Passenheim-van Schoot (C-155/08 et C-157/08, Rec. p. I-5093, point 45), ainsi que du 6 octobre 2009, Commission/Espagne (C-153/08, Rec. p. I-9735, point 36).

( 33 )   Voir, cependant, résolution du Parlement européen sur l’application de la directive 96/71 (JO 2006, C 313E, p. 452), lequel «demande à ce que soient favorisés les échanges entre les services de l’inspection du travail des États membres afin de pouvoir mener conjointement la traque aux faux indépendants, notamment par l’échange d’informations», et résolution du Parlement européen du 6 mai 2009 sur l’agenda social renouvelé (JO 2010, C 212E, p. 11), qui «invite la Commission à prendre des initiatives qui mèneront à une distinction claire entre, d’une part, les employeurs, les véritables indépendants et les petits entrepreneurs et, d’autre part, les travailleurs» (point 33). Voir, surtout, réponse de la Commission à la question écrite no E-5333/2009 de M. De Rossa, relative à une initiative communautaire concernant une distinction claire entre les véritables indépendants et les faux indépendants (JO 2011, C 10E), qui fait état des études en cours sur l’ensemble de ces questions et renvoie à la communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des Régions du 24 octobre 2007, intitulée «Issue de la consultation publique sur le Livre vert de la Commission ‘Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIe siècle’» [COM(2007) 627 final, p. 7 et 8].

( 34 )   Voir toutefois, à cet égard, directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO L 376, p. 36), qui, à son considérant 88, reconnaît aux États membres le droit d’établir une distinction entre les personnes non salariées et les personnes salariées, y compris les «faux indépendants», étant précisé que doit être qualifiée d’activité non salariée aux fins des articles 43 CE (actuellement article 49 TFUE) et 49 CE «toute activité qu’une personne exerce hors d’un lien de subordination». Il peut en être déduit que constitue un faux indépendant la personne qui se livre à une activité dans le cadre d’un lien de subordination avec une tierce personne tout en se présentant ou en étant présentée comme indépendante, dans l’objectif de contourner les normes minimales prévues à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/7l. Cela étant précisé, il va de soi que le statut de travailleur indépendant présente, par rapport au statut de travailleur salarié, de nombreuses différences en termes sociaux, fiscaux et économiques.

( 35 )   Voir, outre le livre vert intitulé «Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIe siècle» et la communication de la Commission qui l’a suivi (susmentionnés), arrêt du 22 décembre 2008, Commission/Autriche (C-161/07, Rec. p. I-10671); communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, du 18 avril 2012, intitulée «Vers une reprise génératrice d’emplois» [COM(2012) 173 final, point 2.1.1]; livre blanc de la Commission, du 1er juillet 2011, intitulé «Feuille de route pour un espace européen unique des transports – Vers un système de transport compétitif et économe en ressources» [COM(2011) 144 final, point 8]; avis d’initiative du Comité économique et social européen sur les «Nouvelles tendances du travail indépendant: le cas particulier du travail indépendant économiquement dépendant» (JO 2011, C 18, p. 44), qui exclut les faux indépendants de son champ d’investigation. Voir également, sur la santé et la sécurité au travail des faux indépendants, avis du Comité économique et social européen sur la communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions – «Améliorer la qualité et la productivité au travail: stratégie communautaire 2007-2012 pour la santé et la sécurité au travail», COM(2007) 62 final (JO 2008, C 224, p. 88).

( 36 )   Avis du Comité économique et social européen sur le thème «Travail et pauvreté: vers une approche globale indispensable» (avis d’initiative) (JO 2009, C 318, p. 52), qui cite, parmi les facteurs de pauvreté active, la précarité du statut de travailleur, dont le phénomène des faux indépendants serait une manifestation importante avec près de 29 millions de personnes concernées, en particulier dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP). La Commission souligne toutefois, dans ses écritures, que les données à cet égard sont rares, comme le montrerait un rapport commandité au pr Jorens, Y., Travail indépendant et faux travail indépendant dans le secteur de la construction, Fédération européenne des travailleurs du bâtiment et du bois (www.efbww.org). Voir, également, Grignon, F., Le BTP français face à l’élargissement de l’Europe, rapport d’information no 28 (2006-2007), Sénat, 18 octobre 2006 (www.senat.fr).

( 37 )   Voir, notamment, arrêts précités Mazzoleni et ISA (point 27); Portugaia Construções (point 20), ainsi que Wolff & Müller (point 35).

( 38 )   Voir arrêt Wolff & Müller, précité (point 41); la Cour juge que la prévention de la concurrence déloyale de la part d’entreprises rémunérant leurs travailleurs à un niveau inférieur à celui correspondant au salaire minimal pouvait constituer une exigence impérieuse d’intérêt général.

( 39 )   Voir avis du Comité économique et social européen sur la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions intitulée «Vers une amélioration du fonctionnement du marché unique des services – Tirer pleinement profit des résultats du processus d’évaluation mutuelle prévu par la directive services», COM (2011) 20 final (JO 2011, C 318, p. 109, points 4.4 et 4.11). Dans le domaine du transport, voir avis du Comité économique et social européen sur le transport routier – temps de travail des conducteurs indépendants (JO 2009, C 27, p. 49, points 1.4, 3.3, 4.8 et 4.14); avis du Comité économique et social européen sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2002/15/CE relative à l’aménagement du temps de travail des personnes exécutant des activités mobiles de transport routier (JO 2009, C 228, p. 78).

( 40 )   Décision 2009/739/CE de la Commission, du 2 octobre 2009, établissant les modalités pratiques des échanges d’informations par voie électronique entre les États membres prévus au chapitre VI de la directive 2006/123 (JO C 263, p. 32).

( 41 )   Tout comme, d’ailleurs, les travaux menés dans le cadre de la révision du cadre législatif concernant le détachement des travailleurs; voir proposition de directive du Parlement européen et du Conseil, du 21 mars 2012, relative à l’exécution de la directive 96/71 [COM(2012) 131 final], ainsi que Commission staff working document Impact assessment – Revision of the legislative framework on the posting of workers in the context of provision of services [SWD(2012) 63 final].

( 42 )   Voir arrêts du 21 octobre 2004, Commission/Luxembourg (C-445/03, Rec. p. I-10191, point 46); du 19 janvier 2006, Commission/Allemagne, précité (point 41), et du 1er octobre 2009, Commission/Belgique, précité (point 16).

( 43 )   Arrêt du 19 juin 2008, Commission/Luxembourg, précité (points 77 à 82).

( 44 )   Comme la Cour l’a maintes fois jugé, une législation n’est propre à garantir la réalisation de l’objectif invoqué que si elle répond véritablement au souci de l’atteindre d’une manière cohérente et systématique; voir arrêts du 10 mars 2009, Hartlauer (C-169/07, Rec. p. I-1721, point 55); du 12 janvier 2010, Petersen (C-341/08, Rec. p. I-47, point 53), ainsi que du 21 juillet 2011, Fuchs et Köhler (C-159/10 et C-160/10, Rec. p. I-6919, point 85). Voir, en ce qui concerne la jurisprudence sur les jeux, point 38 des conclusions de l’avocat général La Pergola dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 21 septembre 1999, Läärä e.a. (C-124/97, Rec. p. I-6067), ainsi que, notamment, arrêts du 21 octobre 1999, Zenatti (C-67/98, Rec. p. I-7289, points 35 et 36); du 6 novembre 2003, Gambelli e.a. (C-243/01, Rec. p. I-13031, points 62 et 67), et Placanica e.a., précité (point 53). Dans d’autres contextes, voir arrêts du 17 juillet 2008, Corporación Dermoestética (C-500/06, Rec. p. I-5785, points 39 et 40); du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a. (C-171/07 et C-172/07, Rec. p. I-4171, point 42); du 21 décembre 2011, Commission/Autriche (C-28/09, Rec. p. I-13525, point 126), ainsi que du 10 mai 2012, Duomo Gpa e.a. (C‑357/10 à C‑359/10, point 47). Sur ce point, voir Mathisen, G., Consistency and coherence as conditions for justification of Member States measures restricting free movement, CMLR, 2010, p. 1021.