Affaire T-321/05

AstraZeneca AB et AstraZeneca plc

contre

Commission européenne

« Concurrence — Abus de position dominante — Marché des médicaments antiulcéreux — Décision constatant une infraction à l’article 82 CE — Définition de marché — Contraintes concurrentielles significatives — Utilisation abusive des procédures relatives aux certificats complémentaires de protection pour les médicaments et des procédures d’autorisation de mise sur le marché des médicaments — Déclarations trompeuses — Retrait des autorisations de mise sur le marché — Obstacles à la mise sur le marché des médicaments génériques et aux importations parallèles — Amendes »

Sommaire de l'arrêt

1.      Procédure — Demande de traitement confidentiel — Critères

2.      Concurrence — Position dominante — Marché en cause — Délimitation — Fonction

(Art. 82 CE; communication de la Commission 97/C 372/03, points 2 et 7)

3.      Concurrence — Procédure administrative — Décision de la Commission constatant une infraction — Décision nécessitant une appréciation économique ou technique complexe — Contrôle juridictionnel — Limites

(Art. 81 CE et 82 CE)

4.      Concurrence — Position dominante — Marché en cause — Délimitation — Critères — Produits pharmaceutiques

(Art. 82 CE)

5.      Concurrence — Position dominante — Marché en cause — Délimitation — Critères — Produits pharmaceutiques

6.      Concurrence — Procédure administrative — Décision de la Commission constatant une infraction — Éléments de preuve devant être réunis

(Art. 81 CE et 82 CE)

7.      Concurrence — Procédure administrative — Décision de la Commission — Obligation de motivation — Portée

(Art. 81 CE, 82 CE et 253 CE)

8.      Concurrence — Position dominante — Marché en cause — Délimitation — Critères — Substituabilité des produits du côté de la demande — Lancement d'un produit nouveau

(Art. 82 CE; communication de la Commission 97/C 372/03, points 15 à 19)

9.      Concurrence — Position dominante — Marché en cause — Délimitation — Critères — Identification des contraintes concurrentielles exercées sur un produit

(Art. 82 CE; communication de la Commission 97/C 372/03, point 3)

10.    Concurrence — Position dominante — Caractérisation à travers la détention d'une part de marché extrêmement importante — Entreprise pharmaceutique

(Art. 82 CE)

11.    Concurrence — Position dominante — Existence — Indices — Niveau des prix pratiqués — Entreprise pharmaceutique — Incidence de la couverture par la sécurité sociale du prix des médicaments

(Art. 82 CE)

12.    Concurrence — Position dominante — Abus — Notion — Nécessité d'un lien de causalité entre une position dominante et son exploitation abusive — Absence

(Art. 82 CE)

13.    Concurrence — Position dominante — Existence — Indices — Existence et usage de droits de propriété intellectuelle

(Art. 82 CE)

14.    Concurrence — Position dominante — Existence — Indices — Entreprise pharmaceutique — Premier entrant sur un marché — Puissance financière de l'entreprise

(Art. 82 CE)

15.    Concurrence — Position dominante — Abus — Présentation d'informations trompeuses aux autorités — Informations permettant la délivrance d'un droit exclusif — Caractère abusif — Critères d'appréciation

(Art. 82 CE)

16.    Concurrence — Position dominante — Abus — Présentation d'informations trompeuses aux autorités — Informations permettant la délivrance d'un droit exclusif — Caractère abusif — Critères d'appréciation

(Art. 82 CE)

17.    Concurrence — Position dominante — Abus — Notion — Début de la mise en œuvre d'une pratique abusive — Entreprise pharmaceutique — Présentation d'informations trompeuses aux autorités

(Art. 82 CE)

18.    Concurrence — Position dominante — Abus — Présentation d'informations trompeuses aux autorités — Informations permettant la délivrance d'un droit exclusif — Caractère abusif — Critères d'appréciation

(Art. 82 CE)

19.    Concurrence — Position dominante — Abus — Effets anticoncurrentiels d'un comportement se produisant en l'absence de position dominante — Absence de pertinence

(Art. 82 CE)

20.    Concurrence — Position dominante — Abus — Preuve — Charge de la preuve — Présomption d'innocence

(Art. 6, § 2, UE; art. 82 CE)

21.    Concurrence — Position dominante — Abus — Obligations incombant à l'entreprise dominante — Entreprise pharmaceutique — Présentation d'informations trompeuses aux autorités — Informations permettant la délivrance d'un droit exclusif

(Art. 82 CE)

22.    Concurrence — Position dominante — Abus — Présentation d'informations trompeuses aux autorités — Informations permettant la délivrance d'un droit exclusif — Caractère abusif — Entreprise pharmaceutique

(Art. 82 CE)

23.    Concurrence — Position dominante — Abus — Retrait d'autorisations de mise sur le marché de produits pharmaceutiques — Retrait empêchant les producteurs de médicaments génériques de bénéficier de la procédure abrégée

(Art. 82 CE; directive du Conseil 65/65, art. 4, al. 3, point 8, al. 2, a), iii))

24.    Concurrence — Position dominante — Abus — Notion — Usage de procédures réglementaires de manière à retarder l'entrée de concurrents sur le marché — Caractère abusif — Critères d'appréciation

(Art. 82 CE)

25.    Concurrence — Position dominante — Abus — Notion — Conformité du comportement abusif avec d'autres règles juridiques — Absence de pertinence

(Art. 82 CE)

26.    Concurrence — Position dominante — Abus — Retrait d'autorisations de mise sur le marché de produits pharmaceutiques — Retrait empêchant les producteurs de médicaments génériques de bénéficier de la procédure abrégée — Inapplicabilité de la jurisprudence relative aux installations essentielles

(Art. 82 CE)

27.    Concurrence — Position dominante — Abus — Justification objective — Charge de la preuve

(Art. 82 CE)

28.    Concurrence — Position dominante — Abus — Obligations incombant à l'entreprise dominante — Entreprise pharmaceutique — Exercice de la concurrence par les seuls mérites — Portée

29.    Concurrence — Position dominante — Abus — Imputabilité — Société mère et filiales — Unité économique

(Art. 82 CE)

30.    Procédure — Requête introductive d'instance — Exigences de forme

(Règlement de procédure du Tribunal, art. 44, § 1)

31.    Concurrence — Position dominante — Abus — Infraction unique et continue — Qualification — Critères

(Art. 82 CE)

32.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Abus de position dominante — Entreprise pharmaceutique — Présentation d'informations trompeuses aux autorités permettant la délivrance d'un droit exclusif — Retrait d'autorisations de mise sur le marché de produits pharmaceutiques

(Art. 82 CE)

33.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Objet et effets de l'infraction

(Art. 81 CE et 82 CE)

1.      Dans le cadre d'un recours en annulation dirigé à l'encontre d'une décision de la Commission en matière de concurrence, le Tribunal peut faire droit à une demande du requérant de traitement confidentiel d'informations ne figurant pas dans la version non confidentielle de la décision attaquée, publiée sur le site Internet de la direction générale « Concurrence » de la Commission et qui est, dès lors, accessible au public. En revanche, une demande de traitement confidentiel concernant des informations qui figurent dans la version non confidentielle de la décision attaquée doit être rejetée. En effet, ces informations ont en tout état de cause perdu leur caractère éventuellement confidentiel du fait de leur accessibilité au public.

(cf. point 25)

2.      Dans le cadre de l’application de l’article 82 CE, la définition du marché en cause est opérée en vue de définir le périmètre à l’intérieur duquel doit être appréciée la question de savoir si une entreprise considérée est à même de se comporter, dans une mesure appréciable, indépendamment de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs.

En effet, aux fins de l’examen de la position, éventuellement dominante, d’une entreprise, les possibilités de concurrence doivent être appréciées dans le cadre du marché regroupant l’ensemble des produits qui, en fonction de leurs caractéristiques, sont particulièrement aptes à satisfaire des besoins constants et sont peu interchangeables avec d’autres produits, ces possibilités de concurrence devant également être appréciées à la lumière des conditions de concurrence et de la structure de l’offre et de la demande. Le marché de produits en cause comprend donc tous les produits ou services que les consommateurs considèrent comme substituables en raison de leurs caractéristiques, de leurs prix et de l’usage auquel ils sont destinés.

(cf. points 30-31)

3.      Si le juge communautaire exerce, de manière générale, un entier contrôle sur le point de savoir si les conditions d'application des règles de concurrence se trouvent ou non réunies, le contrôle qu'il exerce sur les appréciations économiques complexes faites par la Commission doit, toutefois, se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, ainsi que de l'exactitude matérielle des faits, de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir.

De même, pour autant qu'une décision de la Commission soit le résultat d'appréciations techniques complexes, celles-ci font en principe l'objet d'un contrôle juridictionnel limité, qui implique que le juge communautaire ne saurait substituer son appréciation des éléments de fait à celle de la Commission.

Cependant, si le juge communautaire reconnaît à la Commission une marge d'appréciation en matière économique ou technique, cela n'implique pas qu'il doit s'abstenir de contrôler l'interprétation, par la Commission, de données de cette nature. En effet, dans le respect des arguments des parties, le juge communautaire doit notamment non seulement vérifier l'exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l'ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s'ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées.

(cf. points 32-33)

4.      Dans le cadre d'une procédure engagée pour abus de position dominante dans le domaine pharmaceutique, aux fins de la définition du marché en cause, la Commission peut fonder son appréciation notamment sur la plus grande efficacité du produit pharmaceutique concerné, l'usage thérapeutique différent de ceux d'autres produits pharmaceutiques, le mouvement de substitution asymétrique, qui caractérise la croissance des ventes de ce produit et la diminution corrélative ou la stagnation des ventes des autres produits, et les indicateurs de prix, tels que résultant du contexte réglementaire en vigueur.

S'agissant de l'usage thérapeutique, aux fins de la délimitation du marché en cause, il y a lieu de prendre en compte les différences dans les modes d’action entre médicaments lorsque ceux-ci donnent lieu à des usages thérapeutiques différents et de les ignorer lorsque les médicaments en cause ont un usage thérapeutique similaire.

S'agissant des indicateurs de prix, les spécificités qui caractérisent les mécanismes de concurrence dans le secteur pharmaceutique ne retirent pas aux facteurs liés aux prix leur pertinence dans l’évaluation des contraintes concurrentielles, ces facteurs devant toutefois être appréciés dans leur contexte propre. En effet, dans le secteur pharmaceutique, les rapports de concurrence répondent à des mécanismes qui divergent de ceux qui président aux interactions concurrentielles normalement présentes dans les marchés ne connaissant pas une telle intensité réglementaire. À cet égard, la Commission ne saurait affirmer que, en principe, la capacité d’une entreprise de maintenir ses prix au-dessus du niveau de remboursement, auquel la demande tend à être plus élastique, constitue en soi une preuve d’absence de contrainte concurrentielle significative, sans examiner la mesure dans laquelle le prix des autres produits potentiellement substituables est remboursé par le système national d’assurance maladie. En outre, la circonstance que les médecins prescripteurs soient essentiellement guidés par l’usage thérapeutique des produits ne retire pas toute pertinence aux indicateurs fondés sur les prix, ces derniers étant également susceptibles de témoigner des contraintes concurrentielles qui s’exercent sur les produits considérés.

Les éléments précités constituent un ensemble de données pertinentes et suffisantes pour fonder la conclusion que les autres produits pharmaceutiques n'exercent pas, pendant la période de temps examinée, une contrainte concurrentielle significative sur le produit concerné. Dans ces circonstances, la Commission ne commet pas d'erreur manifeste d’appréciation en retenant que le marché de produits en cause se compose uniquement dudit produit pharmaceutique.

(cf. points 61, 153, 182-183, 203, 219-222)

5.      Dans le cadre d'une procédure engagée pour abus de position dominante dans le secteur pharmaceutique, aux fins de la définition du marché en cause, la Commission peut, à bon droit, estimer que l'usage thérapeutique différencié de deux produits pharmaceutiques destinés au traitement des mêmes affections constitue un élément soutenant la conclusion que le marché en cause ne comprend que l'un de ces produits.

En effet, la circonstance que deux produits pharmaceutiques sont prescrits pour traiter les mêmes affections ou constituent, tous deux, des traitements de première ligne revêt une pertinence limitée, dans la mesure où elle ne permet pas de déterminer si, compte tenu de l’usage thérapeutique différencié des deux produits - l'un étant prescrit pour traiter les formes sévères et l'autre les formes moins sévères des mêmes affections - l'un exerce sur l'autre une contrainte concurrentielle significative.

(cf. points 69, 71-73)

6.      Dans le cadre d'une procédure engagée pour infraction aux règles de concurrence, il importe que la Commission fonde son appréciation sur l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération dans un cas d’espèce concret. Cela implique notamment que la Commission est tenue d’examiner avec une attention particulière les arguments et les éléments de preuve pertinents que lui présentent les entreprises impliquées dans la procédure administrative. Il ne saurait toutefois en être déduit que la Commission doit uniquement s’appuyer sur les éléments de preuves qu’elle aurait réunis à la suite de ses propres investigations. Il lui est en effet loisible de s’appuyer sur des éléments de preuves produits par les parties à la procédure administrative, pour autant que ces éléments de preuves soient fiables et pertinents, à charge pour elle, le cas échéant, de les compléter par d’autres éléments lorsque les informations produites par les parties à la procédure administrative se révèlent insuffisantes ou défectueuses.

(cf. points 78-79)

7.      Dans le cadre d'une procédure engagée pour infraction aux règles de concurrence, l’obligation de la Commission de présenter les motifs pour lesquels elle ne fait pas usage de certaines données figurant dans une étude ne saurait exister que dans la mesure où les parties à la procédure administrative ont, durant ladite procédure, avancé des arguments spécifiquement fondés sur ces données, sous réserve que ces dernières se révèlent être pertinentes. Il ne saurait en tout état de cause être exigé de la Commission qu’elle expose systématiquement les motifs pour lesquels elle n’utilise pas ou écarte certaines données d’une étude, dès lors qu’il suffit qu’elle motive sa décision en mentionnant les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale de la mesure et les considérations qui l’ont amenée à prendre sa décision. Cette considération s’impose d’autant plus qu’il n’est pas exigé de la Commission qu’elle discute tous les points de fait et de droit qui ont été soulevés par une partie au cours de la procédure administrative.

(cf. point 81)

8.      Selon les points 15 à 19 de la communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence, la Commission apprécie la substituabilité du côté de la demande à la lumière d’une approche théorique consistant à postuler une augmentation légère, de 5 à 10 %, mais permanente, du prix relatif du produit à partir duquel le marché en cause est défini, et à évaluer si cette augmentation hypothétique pourrait être appliquée de manière rentable par le monopoliste hypothétique du produit en cause. Selon ce test économique, si la substitution suffit, en raison du recul des ventes qui en découlerait, à ôter tout intérêt à une telle augmentation de prix, les produits de substitution doivent être considérés comme exerçant une contrainte concurrentielle significative sur le produit concerné. S’agissant du cas spécifique du lancement d’un produit nouveau, il n’est pas rare que le développement des ventes d’un tel produit venant se substituer, même partiellement, à un produit existant, prenne un certain temps et, partant, que ces ventes connaissent un développement graduel.

En application de ce cadre théorique, aux fins de déterminer si un produit existant exerce une contrainte concurrentielle significative sur un produit nouveau, il y a lieu de s’interroger sur la question de savoir si, tout en tenant compte de la progression graduelle des ventes du produit nouveau au fil du temps, une augmentation légère du prix du produit nouveau conduirait à une réorientation de la demande vers le produit existant, de telle sorte que cette augmentation de prix ne serait pas rentable, eu égard aux revenus qui auraient été générés en l’absence de l’augmentation de prix susvisée. Or, le caractère graduel de la progression des ventes du produit nouveau ne disparaîtrait pas nécessairement dans la circonstance où cette augmentation de prix serait rentable et où, en conséquence, il serait conclu que le produit existant n’exerce pas de contrainte concurrentielle significative sur le produit nouveau.

Par conséquent, la Commission peut considérer que, en principe, le caractère graduel de l’augmentation des ventes d’un produit nouveau se substituant à un produit existant ne saurait, en lui-même, suffire pour conclure que ce dernier exerce sur le premier une contrainte concurrentielle significative.

(cf. points 87-90)

9.      Dans le cadre d'une procédure pour abus de position dominante, la définition du marché en cause consiste à identifier les contraintes concurrentielles significatives exercées sur le produit considéré durant la période en cause et ne s’intéresse pas, par conséquent, aux contraintes concurrentielles que ce produit a pu exercer sur d’autres produits. Le concept de marché en cause diffère des autres concepts de marché souvent utilisés dans d’autres contextes, tels que le territoire à l’intérieur duquel les entreprises vendent leurs produits ou, plus largement, l’industrie ou le secteur dont les entreprises relèvent. Le fait qu'un produit soit la principale cible concurrentielle d'un autre ne permet donc pas de considérer que le premier exerce une contrainte concurrentielle significative sur le second.

Le fait que l’absence ou le caractère non significatif de ces contraintes concurrentielles trouve sa cause dans le cadre réglementaire qui détermine les modalités des interactions concurrentielles entre produits et la mesure dans laquelle celles-ci ont lieu n’influe pas sur la pertinence qu’il convient d’attribuer, dans le cadre d’une définition du marché, à la constatation selon laquelle ces contraintes concurrentielles sont inexistantes ou non significatives. En effet, lorsqu’il est établi qu’un groupe de produits n’est pas significativement soumis aux contraintes concurrentielles d’autres produits, de sorte que ce groupe peut être considéré comme formant un marché de produits en cause, le type ou la nature des facteurs qui soustraient ce groupe de produits à toute contrainte concurrentielle significative ne revêt qu’une pertinence limitée, dès lors que le constat d’absence de telles contraintes concurrentielles permet de conclure qu’une entreprise en position dominante sur le marché ainsi défini serait en mesure d’affecter les intérêts des consommateurs sur ce marché en faisant obstacle, par un comportement abusif, au maintien d’une concurrence effective.

(cf. points 97, 174-175)

10.    La position d'une entreprise sur le marché d'un produit pharmaceutique peut être déterminée en prenant en compte un ensemble de facteurs, tels que l'importance des droits de propriété intellectuelle et des autres droits de nature réglementaire, les avantages liés à sa position de premier entrant, la pertinence du prix comme paramètre de concurrence, la pertinence de la présence d’acheteurs monopsones et de systèmes de prix réglementés, et la pertinence des investissements de recherche et développement, des activités de promotion et des ressources financières. La Commission ne peut cependant ignorer l’importance qu’il convient d’attacher à la détention par cette entreprise de parts de marché généralement très importantes durant toute la période pertinente dans l’ensemble des pays en cause.

De même, la circonstance que l’innovation constitue un paramètre essentiel de la concurrence dans le secteur pharmaceutique ne remet pas en cause la pertinence qu’il convient de reconnaître aux parts de marché très élevées de cette entreprise, telles qu’appréciées dans leur contexte.

(cf. points 244-245, 254)

11.    Les systèmes de santé qui caractérisent les marchés de produits pharmaceutiques tendent à conforter le pouvoir de marché des sociétés pharmaceutiques, dans la mesure où le coût des médicaments est pleinement ou largement couvert par les systèmes de sécurité sociale, ce qui rend la demande dans une large mesure inélastique. Tel est plus particulièrement le cas lorsqu’une entreprise pharmaceutique, qui est la première à proposer un produit nouveau présentant une valeur ajoutée sur le plan thérapeutique par rapport aux produits existants, est en mesure d’obtenir un niveau de remboursement supérieur à celui qui sera accordé par la suite aux produits « suiveurs ». En effet, vis-à-vis des entreprises qui bénéficient de la position de premier entrant, les remboursements qu’assurent les systèmes de sécurité sociale, d’une part, sont fixés à des niveaux relativement élevés en comparaison avec les produits « suiveurs » et, d’autre part, permettent à l’entreprise pharmaceutique qui en bénéficie de fixer son prix à un niveau élevé, sans craindre que les patients et les médecins se tournent vers d’autres produits moins onéreux.

Il importe peu que la capacité de l'entreprise pharmaceutique de maintenir des parts de marché particulièrement élevées tout en pratiquant des prix significativement supérieurs soit rendue possible ou favorisée par les systèmes de sécurité sociale, cette circonstance n’influant pas sur le constat selon lequel ladite entreprise est à même de maintenir des revenus supérieurs à ceux de ses concurrents, sans que les différents acteurs sur les marchés des produits pharmaceutiques, à savoir les patients, les médecins prescripteurs, les systèmes nationaux de sécurité sociale et ses concurrents, soient en mesure de remettre en cause cette position privilégiée durant les périodes retenues par la Commission aux fins de la détermination de la position dominante.

Dans la mesure où les prix sont influencés par les décisions des autorités publiques quant aux niveaux de remboursement ou aux prix maximaux, ceux-ci ne sont pas le résultat du jeu normal du marché. Le caractère concurrentiel du niveau d’un prix fixé dans un tel contexte ne saurait donc être utilement invoqué, celui-ci étant établi en l’absence des mécanismes de concurrence permettant de dégager un tel niveau concurrentiel.

(cf. points 262-263, 265)

12.    La constatation d’un pouvoir de marché, c’est-à-dire de la capacité d’une entreprise de se comporter dans une mesure appréciable indépendamment de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs, en ce sens qu’elle est notamment en mesure de maintenir des prix à un niveau supérieur tout en conservant des parts de marché beaucoup plus importantes que celles de ses concurrents, n’est pas conditionnée par la capacité de l’entreprise de faire usage de ce pouvoir de marché de façon à faire obstacle au maintien d’une concurrence effective. En effet, en matière de pratiques visant à exclure ou à diminuer la concurrence, un comportement ne doit pas nécessairement, pour être qualifié d’abus de position dominante, procéder de, ou être rendu possible par, la puissance économique de l’entreprise, aucun lien de causalité n’étant requis entre la position dominante et son exploitation abusive.

(cf. point 267)

13.    Les droits de propriété intellectuelle ne sauraient être présentés comme ne constituant pas un élément pertinent aux fins de la détermination d'une position dominante. En effet, si la seule possession de droits de propriété intellectuelle ne saurait être considérée comme conférant une telle position, celle-ci est néanmoins susceptible, dans certaines circonstances, de créer une position dominante, notamment en donnant à l’entreprise la possibilité de faire obstacle à l’existence d’une concurrence effective sur le marché. La possession et l’exercice de droits de propriété intellectuelle peuvent donc constituer un indice pertinent de la position dominante.

L’argument selon lequel la prise en compte des droits de propriété intellectuelle et de leur exercice, même non abusif, aux fins d’établir l’existence d’une position dominante serait de nature à réduire toute incitation à créer des produits innovants ne peut être retenu. En effet, l’innovation est en tout état de cause récompensée par l’exclusivité que réservent à son auteur les droits de propriété intellectuelle.

En outre, une position dominante n’est pas interdite en soi, seul son usage abusif l’étant. À cet égard, dans la circonstance où le titulaire du droit de propriété intellectuelle serait considéré comme jouissant d’une position dominante, l’usage non abusif du droit en cause ne saurait être considéré comme insuffisant au regard des incitants à l’innovation.

Pour constituer un facteur pertinent, l’existence d’une protection solide par le biais de droits de propriété intellectuelle ne doit pas nécessairement être de nature à exclure toute concurrence sur le marché.

(cf. points 270, 273-274)

14.    La Commission peut fonder son appréciation de la position dominante d'une entreprise pharmaceutique sur un ensemble d’éléments, au premier rang desquels figurent ses parts de marché très supérieures à celles de ses concurrents. Ensuite, compte tenu, d’une part, des spécificités des marchés de produits pharmaceutiques, caractérisés par une « inertie » des médecins prescripteurs, et, d’autre part, des difficultés croissantes que rencontrent les entreprises pharmaceutiques pour entrer sur un marché à mesure que le nombre de concurrents et de produits déjà présents sur ce marché est important, la Commission peut considérer que la position de premier entrant constitue un avantage concurrentiel appréciable. La circonstance que les produits génériques soient à même de porter atteinte à la position dominante de l'entreprise pharmaceutique ne remet pas en cause le fait que sa position de premier entrant lui confère des avantages concurrentiels appréciables.

Par ailleurs, si la constatation de la supériorité financière d'une entreprise pharmaceutique sur celle de ses concurrents, ainsi que celle de la supériorité des ressources financières et humaines qu'elle consacre à la recherche et au développement et à sa force de vente ne sont pas suffisantes, à elles seules, pour fonder la conclusion selon laquelle cette entreprise est en position dominante sur le marché en cause durant la période considérée, ces constatations n’en constituent pas moins une série d’indices pertinents permettant de considérer que ladite entreprise détient des ressources supérieures à celles de ses concurrents, de nature à conforter sa position sur le marché par rapport à ces derniers.

(cf. points 278, 280, 285-286)

15.    La présentation aux autorités publiques d’informations trompeuses, de nature à induire celles-ci en erreur et à permettre, en conséquence, la délivrance d’un droit exclusif auquel l’entreprise n’a pas droit, ou auquel elle a droit pour une période plus limitée, constitue une pratique étrangère à la concurrence par les mérites, qui peut être particulièrement restrictive de la concurrence. Un tel comportement ne correspond pas à la responsabilité particulière incombant à une entreprise en position dominante de ne pas porter atteinte, par un comportement étranger à la concurrence par les mérites, à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun.

Il résulte du caractère objectif de la notion d’abus que la nature trompeuse des déclarations communiquées aux autorités publiques doit être appréciée sur la base d’éléments objectifs et que la démonstration du caractère délibéré du comportement et de la mauvaise foi de l’entreprise en position dominante n’est pas requise aux fins de l’identification d’un abus de position dominante. L’appréciation de la nature trompeuse de déclarations fournies aux autorités publiques, aux fins de l’obtention indue de droits exclusifs, doit être opérée in concreto et est susceptible de varier selon les circonstances propres à chaque affaire. Il convient notamment d’examiner si, eu égard au contexte dans lequel la pratique en cause a été mise en œuvre, cette dernière était de nature à conduire les autorités publiques à créer indûment des obstacles réglementaires à la concurrence, par exemple par l’octroi irrégulier de droits exclusifs à son profit. À cet égard, la marge d’appréciation limitée des autorités publiques ou l’absence d’obligation leur incombant de vérifier l’exactitude ou la véracité des informations communiquées peuvent constituer des éléments pertinents devant être pris en considération aux fins de déterminer si la pratique en cause est de nature à aboutir à l’élévation d’obstacles réglementaires à la concurrence.

Par ailleurs, dans la mesure où l’entreprise en position dominante se voit délivrer un droit exclusif irrégulier à la suite d’une erreur de sa part dans sa communication avec les autorités publiques, la responsabilité particulière qui lui incombe de ne pas porter atteinte, par des moyens ne relevant pas de la concurrence par les mérites, à la concurrence effective et non faussée dans le marché commun lui impose, à tout le moins, d’en informer les autorités publiques afin de les mettre en mesure de corriger ces irrégularités.

Si la démonstration du caractère délibéré d'un comportement de nature à tromper les autorités publiques n’est pas nécessaire aux fins de l’identification d’un abus de position dominante, celui-ci n’en constitue pas moins également un élément pertinent pouvant, le cas échéant, être pris en considération par la Commission. La circonstance que la notion d’abus de position dominante a un contenu objectif et n’implique pas l’intention de nuire ne conduit pas à considérer que l’intention de recourir à des pratiques étrangères à la concurrence par les mérites est en toute hypothèse dénuée de pertinence, celle-ci pouvant toujours être prise en compte au soutien d’une conclusion selon laquelle l’entreprise concernée a commis un abus de position dominante, quand bien même une telle conclusion devrait en premier lieu reposer sur la constatation objective d’une mise en œuvre matérielle du comportement abusif.

Enfin, la seule circonstance que certaines autorités publiques ne se soient pas laissées abuser et aient décelé les inexactitudes des informations fournies à l’appui des demandes de droits exclusifs, ou que des concurrents aient obtenu, postérieurement à l’octroi irrégulier des droits exclusifs, l’annulation de ceux-ci, ne suffit pas pour considérer que les déclarations trompeuses n’étaient en tout état de cause pas susceptibles d’aboutir. En effet, dès lors qu’il est établi qu’un comportement est objectivement de nature à restreindre la concurrence, son caractère abusif ne saurait dépendre des aléas des réactions des tiers.

En conséquence, la Commission fait une juste application de l’article 82 CE en considérant que constitue un abus de position dominante la présentation par une entreprise jouissant d’une telle position de déclarations objectivement trompeuses aux offices des brevets, de nature à conduire ces derniers à lui accorder des certificats complémentaires de protection auxquels elle n’a pas droit, ou auxquels elle a droit pour une période plus limitée, et, ainsi, à restreindre ou à éliminer la concurrence.

(cf. points 355-361)

16.    Lorsqu’il est accordé par une autorité publique, un droit de propriété intellectuelle est normalement présumé être valide et sa détention par une entreprise est supposée être légitime. La seule possession par une entreprise d’un droit exclusif a normalement pour conséquence de tenir les concurrents à l’écart, ces derniers étant tenus de respecter, en vertu de la réglementation publique, ce droit exclusif. L’argument selon lequel la reconnaissance de l’existence d’un abus de position dominante requerrait que le droit exclusif obtenu à la suite de déclarations trompeuses soit mis en œuvre ne saurait donc être retenu.

Par ailleurs, l’acquisition illégitime d’un droit exclusif ne saurait constituer un abus de position dominante seulement lorsqu’elle aurait pour effet d’éliminer totalement la concurrence. La circonstance que le comportement en cause concerne l’obtention d’un droit de propriété intellectuelle ne justifie pas une telle condition.

En outre, dès lors qu’un comportement entre dans le champ d’application des règles de concurrence, celles-ci sont applicables indépendamment de la question de savoir si ce comportement peut également faire l’objet d’autres règles, d’origine nationale ou non, poursuivant des objectifs distincts. De même, l’existence de voies de recours spécifiques au système des brevets n’est pas susceptible de modifier les conditions d’application des interdictions prévues en droit de la concurrence et, notamment, de requérir la démonstration des effets anticoncurrentiels produits par ce comportement.

(cf. points 362, 364, 366)

17.    Des instructions, communiquées à des agents en brevets, d’introduire des demandes de certificats complémentaires de protection ne sauraient être considérées comme équivalentes à des demandes de certificats complémentaires de protection devant les offices des brevets. La Commission commet donc une erreur de droit en considérant qu'un abus de position dominante, commis par une entreprise en position dominante sur le marché d'un produit pharmaceutique, débute lors de la communication aux agents en brevets d'instructions en vue du dépôt devant les offices des brevets des demandes de certificats complémentaires de protection. En effet, la conséquence escomptée du prétendu caractère trompeur des déclarations, à savoir la délivrance du certificat complémentaire de protection, ne saurait se produire qu’à partir du moment où les offices des brevets sont saisis des demandes de certificats complémentaires de protection, et non lorsque les agents en brevets, qui ne jouent qu’un rôle d’intermédiaire, reçoivent les instructions quant à ces demandes.

(cf. points 370, 372)

18.    Pour constituer un abus de position dominante, il n'est nullement exigé qu'un comportement affecte directement la concurrence. Dans une situation où les pratiques en cause, si elles sont établies, ne sauraient, dans quelque mesure que ce soit, être considérées comme relevant d’une concurrence normale des produits sur la base des performances de l’entreprise, la démonstration que, compte tenu du contexte économique ou réglementaire dans lequel ces pratiques s’insèrent, celles-ci sont de nature à restreindre la concurrence est suffisante. Ainsi, la capacité de la pratique en cause à restreindre la concurrence peut être indirecte, pourvu qu’il soit démontré à suffisance de droit qu’elle soit réellement de nature à restreindre la concurrence.

Par ailleurs, un comportement visant à exclure les concurrents nécessite fréquemment, pour atteindre un résultat, le concours de tiers, que ce soient les autorités publiques ou les acteurs sur le marché, de tels comportements étant, en pratique, rarement susceptibles d’exercer un effet direct sur la position concurrentielle des concurrents. Ainsi, le succès d’une pratique d’exclusion des concurrents consistant à ériger des barrières à l’entrée de nature réglementaire, par l’obtention irrégulière de droits exclusifs, dépend nécessairement de la réaction des autorités publiques, voire de celle des juridictions nationales dans le cadre de contentieux éventuellement initiés par des concurrents aux fins de l’annulation de ces droits. Cela étant, des déclarations tendant à obtenir de manière irrégulière des droits exclusifs ne sont constitutives d’un abus que lorsqu’il est démontré que, compte tenu du contexte objectif dans lequel elles sont faites, ces déclarations sont réellement de nature à conduire les autorités publiques à accorder le droit exclusif demandé.

Enfin, la circonstance que l’effet sur la concurrence du comportement abusif se ferait sentir seulement plusieurs années plus tard ne retire pas au comportement en cause, s’il est établi, son caractère abusif.

(cf. points 376-377, 380)

19.    La circonstance qu'une entreprise ne détient plus une position dominante au moment où son comportement abusif produit ses effets ne modifie pas la qualification juridique qu’il convient d’attacher à ses actes, dès lors que ceux-ci ont été commis à une époque où elle était en position dominante et qu'il lui incombait donc une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun.

(cf. point 379)

20.    La charge de la preuve quant à l’existence de circonstances constitutives d’une violation de l’article 82 CE repose sur la Commission. Il lui revient, par conséquent, d’établir les éléments de preuve propres à démontrer l’existence des faits constitutifs d’une infraction.

À cet égard, l’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction. Le juge ne saurait donc conclure que la Commission a établi l’existence de l’infraction en cause à suffisance de droit si un doute subsiste encore dans son esprit sur cette question, notamment dans le cadre d’un recours tendant à l’annulation d’une décision infligeant une amende.

En effet, dans cette dernière situation, il est nécessaire de tenir compte du principe de la présomption d’innocence, tel qu’il résulte notamment de l'article 6, paragraphe 2, de la convention européenne des droits de l'homme, lequel fait partie des droits fondamentaux qui, selon la jurisprudence de la Cour, par ailleurs réaffirmée à l’article 6, paragraphe 2, UE, constituent des principes généraux du droit communautaire. Eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de gravité des sanctions qui s’y rattachent, le principe de la présomption d’innocence s’applique notamment aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à la prononciation d’amendes ou d’astreintes.

Ainsi, il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour établir l’existence de l’infraction. Cela étant, la Commission ne doit pas nécessairement apporter de telles preuves pour chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement et dont les différents éléments peuvent se renforcer mutuellement, réponde à cette exigence.

(cf. points 474-477, 839)

21.    En substituant, dans des déclarations communiquées aux offices de brevets aux fins de demandes de certificats complémentaires de protection, les dates de délivrance des autorisations techniques de mise sur le marché de médicaments dans plusieurs États membres par celles correspondant aux publications du prix du médicament dans ces pays, une entreprise en position dominante ne peut raisonnablement ignorer que, en l’absence de divulgation active de l’interprétation qu’elle entend retenir des textes applicables en la matière et qui sous-tend le choix des dates communiquées, ces déclarations sont de nature à tromper les offices des brevets. Ainsi, sans qu’il soit besoin pour la Commission de démontrer la mauvaise foi de cette entreprise ou une intention positivement frauduleuse de sa part, il suffit de constater qu’un tel comportement, caractérisé par un manque manifeste de transparence, est contraire à la responsabilité particulière incombant à une entreprise en position dominante de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun.

(cf. points 491, 493)

22.    Une entreprise pharmaceutique qui adopte, pendant plusieurs années, une conduite constante et linéaire, caractérisée par la communication aux offices des brevets de plusieurs États membres de déclarations trompeuses aux fins d’obtenir la délivrance de certificats complémentaires de protection auxquels elle n’a pas droit, ou auxquels elle a droit pour une période plus limitée, abuse de sa position dominante. De telles déclarations trompeuses sont constitutives d’une pratique reposant exclusivement sur des moyens étrangers à la concurrence par les mérites. Un tel comportement est uniquement de nature à tenir indûment les fabricants de produits génériques à l’écart du marché, par le biais de l’obtention de certificats complémentaires de protection, en violation du cadre réglementaire qui institue ces derniers.

(cf. points 598, 608-609)

23.    Pour qu’une demande d’autorisation de mise sur le marché d’un médicament générique puisse être traitée dans le cadre de la procédure abrégée prévue à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65, relative aux spécialités pharmaceutiques, l’autorisation de mise sur le marché du médicament de référence doit encore être en vigueur dans l’État membre concerné à la date d’introduction de cette demande. La procédure abrégée n'est plus disponible après le retrait de l’autorisation de mise sur le marché du médicament de référence.

Les données relatives aux résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques auxquels une entreprise procède aux fins d’obtenir une autorisation de mise sur le marché originelle sont le produit d’un investissement qu’elle accomplit aux fins de pouvoir mettre un médicament sur le marché. Un tel investissement est caractéristique des pratiques relevant de la concurrence par les mérites dont les consommateurs sont amenés à bénéficier.

La directive 65/65 a reconnu l’intérêt de protéger un tel investissement en prévoyant une période d’exclusivité pour l’usage de ces données au profit de leur titulaire. Toutefois, après l’expiration de cette période d’exclusivité, l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65 ne reconnaît plus au titulaire d’une spécialité pharmaceutique originale le droit exclusif d’exploiter les résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques versés au dossier et permet aux fabricants de médicaments essentiellement similaires de bénéficier de l’existence de ces données aux fins de se voir accorder une autorisation de mise sur le marché suivant une procédure abrégée.

Dans ces conditions, après l’expiration de la période d’exclusivité, le comportement tendant à empêcher les fabricants de produits génériques de faire usage de leur droit de bénéficier des résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques produits aux fins de la mise sur le marché du produit original ne trouve aucun fondement dans la protection légitime d’un investissement relevant de la concurrence par les mérites, dès lors que l'entreprise ne dispose plus, en vertu de la directive 65/65, du droit exclusif d’exploiter les résultats de ces essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques.

Le retrait par une entreprise des autorisations de mise sur le marché est uniquement de nature à faire obstacle à ce que les demandeurs d’autorisations de mise sur le marché de médicaments essentiellement similaires puissent faire usage de la procédure abrégée et, ainsi, à gêner ou à retarder l’entrée sur le marché de produits génériques. De même, en fonction de l’attitude adoptée par les autorités nationales en présence d’un retrait de l’autorisation de mise sur le marché d’un produit pour des causes étrangères à la santé publique, un tel retrait peut être de nature à empêcher les importations parallèles.

La circonstance selon laquelle une entreprise a le droit de demander le retrait de ses autorisations de mise sur le marché pour les médicaments qu'elle produit n’est aucunement de nature à soustraire ce comportement à l’interdiction prévue à l’article 82 CE.

La circonstance que le cadre réglementaire offre une voie alternative pour obtenir une autorisation de mise sur le marché ne supprime pas le caractère abusif du comportement d’une entreprise en position dominante qui, considéré objectivement, a pour unique objet de rendre indisponible la procédure abrégée prévue à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65 et, partant, de tenir les producteurs de produits génériques hors du marché le plus longtemps possible et d’augmenter leurs coûts pour surmonter les barrières à l’entrée sur le marché.

Enfin, la circonstance que le retard causé aux concurrents pour accéder au marché ne soit pas évalué avec précision n’influe pas sur la considération selon laquelle le comportement en cause est de nature à restreindre la concurrence, dès lors qu’il est établi que ce retrait a pour conséquence de rendre la voie de la procédure abrégée indisponible.

(cf. points 669-670, 674-677, 812, 829, 831)

24.    Si l’existence d’une position dominante ne prive pas une entreprise placée dans cette position du droit de préserver ses intérêts commerciaux propres lorsque ceux-ci sont menacés, celle-ci ne saurait faire usage des procédures réglementaires de façon à empêcher ou à rendre plus difficile l’entrée de concurrents sur le marché, en l’absence de motifs tenant à la défense des intérêts légitimes qui sont ceux d’une entreprise engagée dans une concurrence par les mérites ou en l’absence de justifications objectives.

S'agissant d'un comportement consistant en l’usage de procédures réglementaires sans aucun fondement dans une concurrence par les mérites, la démonstration que, compte tenu du contexte économique ou réglementaire dans lequel ce comportement s’insère, celui-ci est de nature à restreindre la concurrence est suffisante aux fins de sa qualification comme abus de position dominante.

(cf. point 672, 817, 824, 845)

25.    L’illégalité d’un comportement abusif au regard de l’article 82 CE est sans relation avec sa conformité ou non avec d’autres règles juridiques. Les abus de position dominante consistent, dans la majorité des cas, en des comportements par ailleurs légaux au regard de branches du droit autres que le droit de la concurrence.

(cf. point 677)

26.    La jurisprudence relative aux « installations essentielles » concerne, en substance, les circonstances dans lesquelles un refus de fournir de la part d’une entreprise en position dominante, par le biais, en particulier, de l’exercice d’un droit de propriété, est susceptible de constituer un abus de position dominante. Cette jurisprudence a ainsi notamment trait aux situations dans lesquelles le libre exercice d’un droit exclusif, qui sanctionne la réalisation d’un investissement ou d’une création, peut être limité dans l’intérêt d’une concurrence non faussée dans le marché commun.

Dans le cas d'une entreprise pharmaceutique en position dominante retirant des autorisations de mise sur le marché pour les médicaments qu'elle produit, de façon à rendre inapplicable la procédure abrégée prévue à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65, relative aux spécialités pharmaceutiques, limitant ainsi l’exploitation des informations issues des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques, la jurisprudence relative aux « installations essentielles » n'est pas applicable. En effet, un tel comportement ne consiste pas en un refus de donner accès aux résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques versés au dossier, l'entreprise ne pouvant pas, en tout état de cause, s’opposer, sur la base de son prétendu droit de propriété, à ce que les autorités nationales s’appuient sur les données en cause dans le cadre de la procédure abrégée. En outre, la circonstance que la procédure abrégée n’est plus disponible après le retrait de l’autorisation de mise sur le marché du médicament de référence ne trouve pas sa raison d’être dans le souci de garantir au fabricant du médicament de référence l’exclusivité des données qu’il a fournies, mais dans celui d’assurer la sauvegarde de la santé publique, qui constitue un objectif essentiel de la directive 65/65.

(cf. points 679, 682-683)

27.    Si la Commission est tenue de prendre en compte une possible justification objective à un comportement susceptible de constituer un abus de position dominante, encore appartient-il à l’entreprise concernée de soulever cette cause de justification objective durant la procédure administrative et d’avancer les arguments et les éléments de preuve qui y sont relatifs. Tel est plus particulièrement le cas lorsque l’entreprise concernée est la seule à avoir connaissance de cette justification objective ou est naturellement mieux placée que la Commission pour en révéler l’existence et en démontrer la matérialité.

La légalité d’un acte communautaire devant être appréciée en fonction des éléments d’information dont l’institution pouvait disposer au moment où elle l’a arrêté, nul ne saurait se prévaloir devant le juge communautaire d’éléments de fait qui n’ont pas été avancés au cours de la procédure administrative.

(cf. points 686-687)

28.    L’élaboration par une entreprise pharmaceutique, même en position dominante, d’une stratégie ayant pour objet de minimiser l’érosion de ses ventes et d’être en mesure de faire face à la concurrence des produits génériques est légitime et relève du jeu normal de la concurrence, pour autant que le comportement envisagé ne s’écarte pas des pratiques relevant d’une concurrence par les mérites, de nature à profiter aux consommateurs.

Toutefois, l’absence d’obligation incombant à une entreprise en position dominante de protéger les intérêts des sociétés concurrentes ne rend pas compatible avec l’article 82 CE des pratiques mises en œuvre uniquement aux fins d’exclure les concurrents. En effet, la seule volonté d’une entreprise en position dominante de préserver ses intérêts commerciaux propres et de se prémunir contre la concurrence des produits génériques et des importations parallèles ne justifie pas le recours à des pratiques étrangères à la concurrence par les mérites.

(cf. points 804, 816)

29.    Le droit communautaire de la concurrence reconnaît que différentes sociétés appartenant à un même groupe constituent une entité économique, et donc une entreprise, si ces sociétés ne déterminent pas de façon autonome leur comportement sur le marché.

Pour qu’un comportement donné puisse être qualifié d’abusif au sens de l’article 82 CE, il n’est pas requis qu’il soit mis en œuvre à la suite d’une stratégie élaborée par les instances dirigeantes d'un groupe de sociétés.

Un comportement mis en œuvre par l’une des sociétés faisant partie de l’entité économique que constitue le groupe est également susceptible d’enfreindre l’article 82 CE.

En outre, lorsqu'une filiale est détenue en totalité par une société mère, il n’est pas nécessaire d’examiner si la société mère peut influer de manière déterminante sur la politique de sa filiale, cette dernière suivant nécessairement une politique tracée par les mêmes organes statutaires qui déterminent la politique de la société mère.

(cf. points 818-820)

30.    Lorsqu'un requérant demande au Tribunal, dans le corps des arguments exposés dans la requête et dans la réplique, de réduire le montant des amendes que la Commission lui a infligées en raison de la violation des règles de concurrence, en omettant, au stade des conclusions, de conclure formellement à une telle réduction, une telle omission ne s’oppose pas à ce que le Tribunal exerce son pouvoir de pleine juridiction en ce qui concerne les amendes. En effet, même en l’absence de conclusions formelles, celui-ci est autorisé à réduire le montant d’une amende excessive, puisqu’un tel résultat ne dépasserait pas les limites du petitum, mais, bien au contraire, aboutirait à accueillir partiellement la requête.

(cf. point 884)

31.    La notion d’infraction unique et continue a trait à un ensemble d’actions qui s’inscrivent dans un plan d’ensemble, en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun. Aux fins de qualifier différents agissements d’infraction unique et continue, il y a lieu de vérifier s’ils présentent un lien de complémentarité, en ce sens que chacun d’entre eux est destiné à faire face à une ou à plusieurs conséquences du jeu normal de la concurrence, et contribuent, par le biais d’une interaction, à la réalisation des objectifs visés dans le cadre de ce plan global. À cet égard, il y a lieu de tenir compte de toute circonstance susceptible d’établir ou de remettre en cause ledit lien, telle que la période d’application, le contenu (y compris les méthodes employées) et, corrélativement, l’objectif des divers agissements en question.

Relève d’une infraction unique et continue la conduite d'une entreprise pharmaceutique, constante dans le temps, procédant d'une stratégie élaborée par ses organes centraux et caractérisée par la communication aux offices des brevets de nombreux pays de déclarations trompeuses aux fins d’obtenir la délivrance de certificats complémentaires de protection auxquels elle n’a pas droit, ou auxquels elle a droit pour une période plus limitée.

(cf. points 892-893)

32.    Un abus de position dominante consistant en des déclarations trompeuses soumises de propos délibéré par une entreprise afin d’obtenir des droits exclusifs auxquels elle n'a pas droit, ou auxquels elle a droit pour une période plus limitée, et ayant pour objet de tenir les concurrents à l’écart du marché, constitue manifestement une infraction grave. La circonstance qu'un tel abus est inédit ne saurait remettre en cause cette conclusion, compte tenu du caractère manifestement contraire à la concurrence par les mérites de telles pratiques. Par ailleurs, le fait qu’un comportement présentant les mêmes caractéristiques n’ait pas encore été examiné dans des décisions de la Commission antérieures n’exonère pas l’entreprise de sa responsabilité.

Constitue également une infraction grave, l'abus de position dominante consistant, pour une entreprise pharmaceutique, à retirer des autorisations de mise sur le marché des médicaments qu'elle produit, et ayant pour objet de créer des obstacles à l’entrée sur le marché des produits génériques dans plusieurs pays et aux importations parallèles dans d'autres pays, tendant ainsi à compartimenter le marché commun.

(cf. point 901)

33.    Dans le cadre de la détermination du montant de l'amende pour infraction aux règles communautaires de concurrence, des éléments relevant de l’objet d’un comportement peuvent avoir plus d’importance aux fins de la fixation du montant de l’amende que ceux relatifs à ses effets.

(cf. points 902, 911)







ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre élargie)

1er juillet 2010(*)

« Concurrence – Abus de position dominante – Marché des médicaments antiulcéreux – Décision constatant une infraction à l’article 82 CE – Définition de marché – Contraintes concurrentielles significatives – Utilisation abusive des procédures relatives aux certificats complémentaires de protection pour les médicaments et des procédures d’autorisation de mise sur le marché des médicaments –Déclarations trompeuses – Retrait des autorisations de mise sur le marché – Obstacles à la mise sur le marché des médicaments génériques et aux importations parallèles – Amendes »

Dans l’affaire T‑321/05,

AstraZeneca AB, établie à Södertälje (Suède),

AstraZeneca plc, établie à Londres (Royaume-Uni),

représentées initialement par MM. M. Brealey, QC, M. Hoskins, D. Jowell, barristers, Mmes F. Murphy, G. Sproul, I. MacCallum et C. Brown, solicitors, puis par MM. Brealey, Hoskins, Jowell et Mmes Murphy et Brown, et enfin par MM. Brealey, Hoskins, Jowell et Mme Murphy,

parties requérantes,

soutenues par

European Federation of Pharmaceutical Industries and Associations (EFPIA), établie à Genève (Suisse), représentée par Me M. Van Kerckhove, avocat,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par MM. F. Castillo de la Torre, É. Gippini Fournier et A. Whelan, puis par MM. Castillo de la Torre, Gippini Fournier et J. Bourke, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2005) 1757 final de la Commission, du 15 juin 2005, relative à une procédure d’application de l’article 82 [CE] et de l’article 54 de l’accord EEE (affaire COMP/A.37.507/F3 – AstraZeneca),

LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie),

composé de MM. A. W. H. Meij (rapporteur), président, V. Vadapalas, N. Wahl, L. Truchot et S. Frimodt Nielsen, juges,

greffier : Mme C. Kristensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience des 26 et 27 novembre 2008,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Astra AB était une société de droit suédois établie à Södertälje (Suède), qui se trouvait à la tête d’un groupe pharmaceutique comprenant notamment AB Hässle et Astra Hässle AB, deux filiales détenues à 100 %, établies à Mölndal (Suède). Prenant effet le 6 avril 1999, la fusion entre Astra et Zeneca Group plc a donné naissance à AstraZeneca plc, seconde requérante dans le cadre de la présente affaire, qui est une société holding établie à Londres (Royaume-Uni). À la suite de cette fusion, Astra, détenue à 100 % par AstraZeneca plc, a pris le nom d’AstraZeneca AB, première requérante dans le cadre de la présente affaire, et est devenue une société de recherche et développement, de marketing et de production. Les sociétés ayant appartenu au groupe d’Astra et celles relevant à présent du groupe d’AstraZeneca plc seront dénommées ci-après « AZ ». Néanmoins, pour autant qu’AstraZeneca plc et AstraZeneca AB sont visées en leur qualité de parties à la présente procédure, elles seront dénommées ci-après, prises ensemble, les « requérantes ».

2        AZ est un groupe pharmaceutique actif, au niveau mondial, dans le secteur de l’invention, du développement et de la commercialisation de produits innovants. Ses activités se concentrent sur un certain nombre de domaines pharmaceutiques comprenant, notamment, le domaine des affections gastro-intestinales. À cet égard, l’un des produits majeurs commercialisés par AZ est connu sous le nom de Losec, une marque commerciale utilisée dans la majorité des marchés européens pour ce produit à base d’oméprazole.

3        Le 12 mai 1999, Generics (UK) Ltd et Scandinavian Pharmaceuticals Generics AB (ci-après les « plaignantes ») ont déposé une plainte conformément à l’article 3 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), contre Astra, par laquelle elles dénonçaient les comportements d’AZ visant à les empêcher d’introduire des versions génériques de l’oméprazole sur un certain nombre de marchés de l’Espace économique européen (EEE).

4        Par décision du 9 février 2000, adoptée au titre de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17, la Commission européenne a enjoint à AZ de se soumettre à des vérifications dans ses locaux de Londres et de Södertälje. En 2002 et en 2003, AZ a également répondu à trois demandes de renseignements, conformément à l’article 11 du règlement n° 17.

5        Le 25 juillet 2003, la Commission a adopté une décision d’ouverture de la procédure. Le 29 juillet 2003, la Commission a transmis une communication des griefs à AZ, à laquelle cette dernière a répondu le 3 décembre 2003. Une réunion s’est tenue le 29 janvier 2004 aux fins de discuter de certains éléments de preuve apportés par AZ dans sa réponse à la communication des griefs. AZ a également soumis divers documents comprenant, notamment, les notes des 27 janvier et 11 février 2004, aux fins de répondre à des questions soulevées par la Commission lors de la réunion susmentionnée. Le 13 février 2004, AZ a fourni à la Commission des éléments concernant le second comportement prétendument abusif.

6        Une audition a eu lieu les 16 et 17 février 2004. Le 26 février 2004, la Commission a adressé à AZ une demande de renseignements au titre de l’article 11 du règlement n° 17 au sujet de la question relative à la position dominante. AZ y a répondu le 12 mars 2004. Le 23 novembre 2004, la Commission a donné à AZ la possibilité de faire connaître ses observations sur des éléments factuels et des considérations qui n’avaient pas été inclus dans la communication des griefs. AZ s’est exprimée sur ces éléments par lettre du 21 janvier 2005.

7        Le 15 juin 2005, la Commission a adopté une décision relative à une procédure d’application de l’article 82 [CE] et de l’article 54 de l’accord EEE (affaire COMP/A.37.507/F3 – AstraZeneca) (ci-après la « décision attaquée), par laquelle elle a constaté qu’AstraZeneca AB et AstraZeneca plc avaient commis deux abus de position dominante, en violation de l’article 82 CE et de l’article 54 de l’accord EEE.

8        Le premier comportement incriminé a consisté en un ensemble de déclarations prétendument trompeuses émises devant les offices des brevets en Allemagne, en Belgique, au Danemark, en Norvège, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, ainsi que devant les juridictions nationales en Allemagne et en Norvège (article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée). Le second comportement incriminé a consisté en la soumission de demandes de retrait des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec au Danemark, en Norvège et en Suède, combinée avec le retrait du marché des gélules de Losec et du lancement des comprimés de Losec MUPS dans ces trois pays (article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée).

9        La Commission a infligé aux requérantes, conjointement et solidairement, une amende d’un montant de 46 millions d’euros, ainsi qu’une amende d’un montant de 14 millions d’euros à AstraZeneca AB (article 2 de la décision attaquée).

 Procédure et conclusions des parties

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 août 2005, les requérantes ont introduit le présent recours.

11      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 7 décembre 2005, Generics (UK) et Merck NM AB ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

12      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 15 décembre 2005, la European Federation of Pharmaceutical Industries Associations (EFPIA, Fédération européenne des associations des industries pharmaceutiques) a demandé à intervenir au soutien des conclusions des requérantes.

13      Par acte déposé le 10 février 2006, les requérantes ont fait une demande de traitement confidentiel vis-à-vis des parties intervenantes. Cette demande de traitement confidentiel n’a pas été contestée.

14      Par ordonnances des 4 juillet et 29 novembre 2006, le président de la deuxième chambre du Tribunal a admis, respectivement, l’EFPIA à intervenir au litige au soutien des conclusions des requérantes, et Generics (UK) et Merck NM à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

15      Le 26 janvier 2007, Generics (UK) et Merck NM ont renoncé à déposer un mémoire en intervention.

16      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 24 novembre 2008, Generics (UK) et Merck NM ont renoncé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

17      Par ordonnance du président de la sixième chambre du Tribunal du 17 décembre 2008, Generics (UK) et Merck NM ont été radiées de l’affaire en tant que parties intervenantes au soutien des conclusions de la Commission.

18      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la procédure orale et a invité, au titre de l’article 64 de son règlement de procédure, les parties principales à répondre à une série de questions. Les parties principales ont déféré à ces demandes dans les délais impartis.

19      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience des 26 et 27 novembre 2008.

20      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

21      L’EFPIA conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

22      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

23      Par leur recours, les requérantes mettent en cause la légalité de la décision attaquée en ce qui concerne la définition du marché pertinent, l’appréciation de la position dominante, le premier abus de position dominante, le second abus de position dominante et le montant des amendes infligées. Le Tribunal examinera successivement les moyens soulevés par les requérantes dans le cadre de chacune de ces questions.

24      À titre liminaire, il y a lieu de relever, tout d’abord, que les requérantes ont fait une demande de traitement confidentiel d’une grande quantité d’informations relatives, notamment, aux preuves documentaires des comportements constitutifs, selon la Commission, d’abus de position dominante.

25      Le Tribunal fait droit à cette demande de traitement confidentiel dans la mesure où les informations en cause ne figurent pas dans la version non confidentielle de la décision attaquée, qui est publiée sur le site Internet de la direction générale (DG) « Concurrence » de la Commission et qui est, dès lors, accessible au public. En revanche, il y a lieu de rejeter la demande de traitement confidentiel pour autant qu’elle concerne les informations qui figurent dans la version non confidentielle de la décision attaquée. En effet, ces informations ont en tout état de cause perdu leur caractère éventuellement confidentiel du fait de leur accessibilité au public (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 8 juillet 2008, AC-Treuhand/Commission, T‑99/04, Rec. p. II‑1501, point 19).

26      Il convient de relever, ensuite, que, lors de l’audience, les requérantes ont émis des réserves sur l’utilisation par la Commission d’un document produit le 24 novembre 2008, qui comportait, d’une part, des graphiques reprenant, selon cette dernière, les données contenues dans des tableaux annexés à la décision attaquée et, d’autre part, des extraits de la requête et des annexes aux mémoires soumis par les parties au cours de la procédure écrite.

27      À cet égard, il convient de constater que le document produit par la Commission quelques jours avant l’audience reprend pour l’essentiel des informations déjà présentes dans le dossier. Il en est ainsi des graphiques exposés aux pages 2 à 8, 10 à 16 et 18 à 24 de ce document, qui reprennent les données présentées dans les tableaux annexés à la décision attaquée, comme des extraits de la requête et des annexes aux mémoires cités dans le document. L’utilisation faite par la Commission de ce document lors de l’audience s’inscrit donc dans le cadre de la présentation orale des arguments précédemment développés lors de la procédure écrite devant le Tribunal. Dès lors, les réserves émises par les requérantes sur ces points doivent être écartées. Il en est autrement des graphiques figurant aux pages 26 à 32 du document précité, lesquels comprennent des informations relatives à un différentiel de prix, exprimé en pourcentage, qui ne figurent pas aux tableaux 24 à 30 de l’annexe de la décision attaquée auxquels ces graphiques font référence. Dans la mesure où ces graphiques comprennent davantage d’informations que les tableaux auxquels ceux-ci font référence n’en contiennent, le document produit par la Commission doit être déclaré irrecevable sur ce point et le Tribunal ne tiendra pas compte de ces données dans son appréciation.

A –  Sur le marché de produits en cause

28      Dans la décision attaquée, la Commission a conclu que, en substance, les antihistaminiques (ci-après les « anti-H2 ») n’exerçaient pas de contraintes concurrentielles significatives sur les inhibiteurs de la pompe à proton (ci-après les « IPP ») et que, par conséquent, le marché de produits en cause se composait exclusivement de ces derniers. La Commission a fondé cette conclusion sur une série de considérations qui tenaient compte des caractéristiques de la concurrence dans le secteur pharmaceutique et qui concernaient, principalement, les caractéristiques intrinsèques des produits, leurs usages thérapeutiques, l’augmentation continue des ventes des IPP au détriment des anti-H2, les facteurs de prix, ainsi que les événements dits « naturels » qui se sont produits en Allemagne et au Royaume-Uni.

29      Les requérantes contestent le bien-fondé de la définition du marché en cause opérée par la Commission et avancent, à cet effet, deux moyens. Le premier moyen est tiré d’une erreur manifeste d’appréciation quant à la pertinence du caractère progressif de l’augmentation de l’usage des IPP au détriment des anti-H2. Le second moyen est tiré d’incohérences diverses et d’erreurs d’appréciation.

1.     Observations liminaires

30      Il importe de rappeler, tout d’abord, que, ainsi que cela ressort notamment du paragraphe 2 de la communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO 1997, C 372, p. 5, ci-après la « communication sur la définition du marché »), la définition du marché en cause est, dans le cadre de l’application de l’article 82 CE, opérée en vue de définir le périmètre à l’intérieur duquel doit être appréciée la question de savoir si une entreprise considérée est à même de se comporter, dans une mesure appréciable, indépendamment de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 37).

31      En effet, il résulte d’une jurisprudence constante que, aux fins de l’examen de la position, éventuellement dominante, d’une entreprise, les possibilités de concurrence doivent être appréciées dans le cadre du marché regroupant l’ensemble des produits qui, en fonction de leurs caractéristiques, sont particulièrement aptes à satisfaire des besoins constants et sont peu interchangeables avec d’autres produits, ces possibilités de concurrence devant également être appréciées à la lumière des conditions de concurrence et de la structure de l’offre et de la demande (arrêt Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, point 30 supra, point 37 ; arrêts du Tribunal du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T‑229/94, Rec. p. II‑1689, point 54, et du 17 décembre 2003, British Airways/Commission, T‑219/99, Rec. p. II‑5917, point 91). Ainsi qu’il ressort notamment du paragraphe 7 de la communication sur la définition du marché, le marché de produits en cause comprend donc tous les produits ou services que les consommateurs considèrent comme substituables en raison de leurs caractéristiques, de leurs prix et de l’usage auquel ils sont destinés.

32      Il convient de souligner, ensuite, qu’il résulte d’une jurisprudence constante que, si le juge communautaire exerce, de manière générale, un entier contrôle sur le point de savoir si les conditions d’application des règles de concurrence se trouvent ou non réunies, le contrôle qu’il exerce sur les appréciations économiques complexes faites par la Commission doit, toutefois, se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, ainsi que de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir. De même, pour autant que la décision de la Commission est le résultat d’appréciations techniques complexes, celles-ci font en principe l’objet d’un contrôle juridictionnel limité, qui implique que le juge communautaire ne saurait substituer son appréciation des éléments de fait à celle de la Commission (voir arrêt du Tribunal du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T‑201/04, Rec. p. II‑3601, points 87 et 88, et la jurisprudence citée).

33      Cependant, si le juge communautaire reconnaît à la Commission une marge d’appréciation en matière économique ou technique, cela n’implique pas qu’il doit s’abstenir de contrôler l’interprétation, par la Commission, de données de cette nature. En effet, dans le respect des arguments avancés par les parties, le juge communautaire doit notamment non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir, en ce sens, s’agissant du contrôle des opérations de concentration, arrêt de la Cour du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C‑12/03 P, Rec. p. I‑987, point 39 ; voir également, en ce sens, arrêt Microsoft/Commission, point 32 supra, point 89).

2.     Sur le premier moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation quant à la pertinence du caractère graduel de l’augmentation de l’usage des IPP au détriment des anti-H2

a)     Arguments des requérantes et de l’EFPIA

34      Les requérantes et l’EFPIA exposent que la concurrence dans le secteur pharmaceutique présente un certain nombre de spécificités. Les requérantes allèguent, tout d’abord, que les marchés de produits pharmaceutiques dans les États membres en cause se caractérisent par une réglementation publique des prix et des remboursements. Ensuite, dans ces marchés, le consommateur (le patient) ne serait pas la même personne que le décideur (le médecin), ni, la plupart du temps, que le payeur (l’organisme national d’assurance ou l’assurance privée en matière de soins de santé). Dans la mesure où les médecins et les patients ne supporteraient pas la plus grande partie des frais relatifs aux médicaments délivrés sur ordonnance, les médecins ne seraient généralement que peu sensibles aux prix des médicaments lorsqu’ils les prescrivent. Durant la période en cause, les médecins prescripteurs auraient été guidés principalement par l’opportunité thérapeutique et l’efficacité des médicaments, et non pas tant par leurs prix. Par ailleurs, les tendances actuelles de la consommation de médicaments vendus sur ordonnance constitueraient un facteur clé pour évaluer si les médicaments font partie du même marché de produits. Enfin, la pratique de prescription des médecins se caractériserait par une certaine « inertie ». L’EFPIA ajoute que, dans le secteur pharmaceutique, la concurrence s’exerce essentiellement au niveau de l’innovation plutôt qu’au niveau du prix. Elle insiste ainsi sur l’importance de la protection de la propriété intellectuelle, aux fins d’encourager les investissements nécessaires à l’innovation.

35      Selon les requérantes, il est constant que les IPP sont supérieurs aux anti-H2 sur le plan thérapeutique. Cette supériorité thérapeutique aurait été admise par la communauté scientifique dès le début des années 90. Toutefois, les médecins prescripteurs ne l’auraient pas reconnue immédiatement. L’augmentation de l’utilisation des IPP pendant la période en cause aurait été graduelle et se serait faite au détriment des anti-H2. Ainsi, les IPP et les anti-H2 auraient des usages thérapeutiques similaires et auraient été prescrits pour des motifs médicaux fondamentalement identiques.

36      Les requérantes et l’EFPIA affirment que les anti-H2 ont nécessairement exercé une contrainte concurrentielle considérable sur le Losec, dans la mesure où les ventes de Losec ont augmenté au détriment des anti-H2 de manière graduelle. Elles contestent ainsi que les IPP et les anti-H2 aient appartenu à des marchés de produits distincts à partir de 1993.

37      Au soutien de cette affirmation, les requérantes se réfèrent, en premier lieu, à un rapport préparé par IMS Health et portant sur l’usage des IPP et des anti-H2 dans le traitement des maladies liées à l’hyperacidité gastrique sur les marchés européens les plus importants pendant la période 1990-2000. Ce rapport aurait conclu que l’augmentation de l’utilisation des IPP avait fait l’objet d’un processus progressif et que, à la fin de la période en cause, certains microdiagnostics majeurs entraînaient dans la plupart des pays un pourcentage considérable de prescriptions (20 % ou plus) d’anti-H2. Par ailleurs, les anti-H2 n’auraient jamais, dans aucun pays, été totalement remplacés par les IPP. À l’exception de la Suède, même dans le cas de microdiagnostics des maladies les plus graves liées à l’hyperacidité gastrique, telles que les ulcères de l’estomac et du duodénum, une proportion importante des patients (10 % ou plus) se seraient vu prescrire des anti-H2. En Suède, tous les patients chez lesquels un ulcère de l’estomac a été diagnostiqué auraient reçu des IPP.

38      Dans le même sens, l’EFPIA souligne également que les IPP ont progressivement, et seulement partiellement, remplacé les anti-H2 en raison des craintes quant à leur sécurité et à leurs effets secondaires, et fait observer que la décision attaquée ne contient aucun élément au soutien de l’allégation de la Commission selon laquelle des études scientifiques et cliniques, réalisées entre la date du lancement du Losec et le début de la période en cause, auraient démontré l’efficacité du Losec par rapport aux traitements existants.

39      En deuxième lieu, les déclarations de quatre experts médicaux indépendants spécialisés dans le domaine des maladies gastro-intestinales liées à l’hyperacidité gastrique établiraient que l’acceptation du Losec par les médecins prescripteurs aurait notamment été entravée par leur hésitation à prescrire les IPP en raison du fait que ceux-ci auraient été considérés comme des médicaments beaucoup plus forts que les anti-H2, suscitant une certaine méfiance quant à leurs éventuels effets secondaires. Ces témoignages confirmeraient que l’acceptation des IPP par les médecins a fait l’objet d’un processus graduel.

40      En troisième lieu, les requérantes font référence au rapport Lexecon, selon lequel les médecins et les patients disposeraient d’informations incomplètes sur les caractéristiques des nouveaux médicaments et n’apprendraient à connaître ces propriétés que lentement, sur la base de leurs expériences personnelles ou de la documentation médicale publiée. Il en résulterait ainsi que l’acquisition de parts de marché importantes réalisées avec la vente de nouveaux médicaments prendrait généralement du temps. Par ailleurs, les entreprises qui sont parmi les premières à entrer sur le marché jouiraient d’un avantage concurrentiel.

41      Les requérantes contestent que l’« inertie » caractérisant les pratiques de prescription des médecins soit un facteur exogène à la concurrence, celle-ci constituant, selon elles, au contraire, un élément pertinent de l’analyse de la concurrence sur les marchés des produits pharmaceutiques, ainsi que la Commission l’aurait reconnu au considérant 362 de la décision attaquée. Elles exposent que l’« inertie » du médecin dépend notamment de la qualité du médicament en place, des avantages que présente le nouveau produit et de la rapidité avec laquelle les médecins sont informés de l’existence de ce nouveau produit. L’EFPIA avance, à cet égard, que, si les médecins prescripteurs sont satisfaits des traitements existants que leurs patients reçoivent et que ces derniers voient leur état de santé se stabiliser grâce à ceux-ci, ils ne passeront qu’avec prudence à l’utilisation d’un nouveau médicament, à moins que les données cliniques ne démontrent de manière convaincante l’existence d’avantages cliniques. Ainsi, selon les requérantes, dès lors que l’« inertie » constitue l’un des principaux obstacles devant être surmontés par un nouvel entrant, les études cliniques comparatives, les activités promotionnelles et les visites auprès des médecins constituent des composantes importantes de la concurrence, dont le fabricant du produit nouveau devra faire usage.

42      L’EFPIA ajoute que les requérantes ont entrepris une série de travaux qui ont abouti aux conclusions concordantes selon lesquelles le fait de surmonter l’« inertie » des pratiques de prescription aurait nécessité un temps considérable et les anti-H2 auraient exercé une pression concurrentielle continue sur les IPP au cours de la période 1993-2000. Or, elle prétend que la Commission n’a pas fourni de preuve inverse, démontrant que les anti-H2 auraient cessé d’exercer une pression concurrentielle sur les IPP à partir de 1993 de telle façon que ces produits se seraient trouvés sur des marchés de produits distincts.

43      En quatrième lieu, les documents stratégiques internes d’AZ datant de la période en cause démontreraient que la demande d’anti-H2 faisait preuve d’élasticité et que ceux-ci constituaient la cible concurrentielle principale que cette entreprise visait avec le Losec. Le fait que l’usage des IPP ait graduellement augmenté au détriment des anti-H2 et que le défi concurrentiel consistait pour AZ à ce que le Losec prenne des parts de marché aux anti-H2 démontrerait que, pendant la période en cause, le Losec et les anti-H2 étaient des produits substituables qui se faisaient mutuellement concurrence. Cette thèse serait étayée par le fait que, même à la fin de la période en cause, les anti-H2 seraient encore prescrits en quantités importantes pour la totalité des microdiagnostics majeurs.

44      En cinquième lieu, les requérantes relèvent que la Commission fait preuve d’incohérence en admettant la pertinence de l’« inertie » dans le cadre de l’évaluation de la position dominante (considérant 542 de la décision attaquée), tout en rejetant sa pertinence dans le cadre de la définition du marché, au motif qu’il constituerait un facteur exogène (considérant 467 de la décision attaquée). Selon elles, l’« inertie » ne protège pas seulement les anti-H2 contre la concurrence, mais constitue également une contrainte concurrentielle sur les IPP. Elles contestent, par ailleurs, que, une fois surmontée, l’« inertie » ne serait plus un facteur pertinent dans le processus décisionnel du médecin et que celle-ci ne permette pas d’inverser le processus de remplacement des anti-H2 par les IPP. De plus, en déclarant que l’« inertie » a protégé les anti-H2 d’un déclin plus rapide, la Commission admettrait implicitement que celle-ci a joué un rôle en restreignant les pratiques de prescription pendant la période en cause. Les requérantes indiquent également que la Commission a souligné, aux considérants 541 à 543 et 551 de la décision attaquée, les avantages liés à la position de premier entrant dans le secteur pharmaceutique et au fait d’avoir un produit établi.

45      Elles font valoir, par ailleurs, que les arguments de la Commission, selon lesquels, d’une part, une proportion considérable des ventes d’IPP n’aurait pas remplacé les anciennes ventes d’anti-H2 et, d’autre part, les médecins prescriraient les anti-H2 ou les IPP selon l’allégement ou l’intensification souhaitée du traitement, ne sauraient être pris en considération dans la mesure où ils ne figurent pas dans la décision attaquée et sont soulevés pour la première fois au stade de la procédure devant le Tribunal. S’agissant du premier de ces deux arguments, elles ajoutent que celui-ci n’est pas étayé par la décision attaquée, qui ne contient pas d’examen, en ses considérants 381 à 385 et 37 à 47, des pratiques de prescription réelles pendant la période comprise entre 1993 et 2000, et qu’il s’écarterait même du considérant 386 de la décision attaquée. Cet argument serait, de plus, contredit par les conclusions de l’étude d’IMS Health. S’agissant du second argument, les requérantes font observer que la Commission n’a pas effectué de recherches sur les pratiques de prescription réelles des médecins et renvoient à leur réponse à la communication des griefs.

46      En outre, l’EFPIA reproche à la Commission d’avoir, en contradiction avec l’arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, GlaxoSmithKline Services/Commission (T‑168/01, Rec. p. II‑2969, point 276), omis de vérifier la nature et la signification des preuves prises en considération et d’avoir tiré des déductions de documents qui lui ont été soumis au cours de ses investigations sans effectuer d’analyse indépendante. En effet, s’agissant de son examen des pratiques de prescription des médecins, la Commission aurait choisi sélectivement des données du rapport d’IMS Health produit par les requérantes, sans réfuter les autres données figurant dans ce rapport dont il ressortirait que les anti-H2 auraient exercé sur les IPP des contraintes concurrentielles. L’EFPIA relève que la seule preuve mentionnée dans la décision attaquée et n’ayant pas été produite par les requérantes provient d’une étude de corrélation fournie par les plaignantes, dont la Commission a elle-même reconnu les faiblesses d’ordre méthodologique.

47      L’EFPIA considère qu’il ne suffit pas de démontrer que les ventes d’IPP en valeur absolue ont augmenté sensiblement alors que celles des anti-H2 ont diminué ou stagné pour conclure que ces derniers n’exercent plus de pression concurrentielle sur les IPP. Elle précise, à cet égard, que le volume des ventes d’anti-H2 en Allemagne et au Royaume-Uni était supérieur à celui des ventes d’IPP jusque, respectivement, en 1997 et en 1998, et représentait encore, en 2000, 40 % des ventes combinées d’IPP et d’anti-H2 dans ces pays. Par ailleurs, la circonstance que le Losec ait vu ses ventes diminuer au profit de sa version générique et des autres IPP ne signifierait pas que les anti-H2 n’aient pas exercé de pressions concurrentielles sur les IPP au cours de la période concernée.

48      Eu égard à ce qui précède, les requérantes et l’EFPIA considèrent, par conséquent, que la conclusion de la Commission selon laquelle les IPP et les anti-H2 relèvent de marchés de produits distincts à partir de 1993 est erronée.

b)     Arguments de la Commission

49      La Commission fait observer, tout d’abord, que les requérantes se concentrent uniquement sur les pratiques de prescription, sans aborder l’aspect de la décision attaquée relatif à la question de savoir pourquoi les anti-H2 n’ont pas exercé de contrainte concurrentielle considérable sur le Losec pendant la période en cause, et notamment sur la fixation de son prix. Selon elle, un moyen d’annulation aussi peu complet ne saurait prospérer.

50      Elle apporte, ensuite, trois précisions concernant les allégations des requérantes. En premier lieu, elle indique que l’examen ne porte pas sur la question de savoir si un nouveau produit innovant tel que le Losec constitue un marché de produits distinct au moment de son introduction sur le marché, ni sur celle de savoir si le Losec occupait une position dominante sur un marché distinct des IPP peu après son lancement. Le Losec aurait été mis sur le marché à la fin des années 1980, à savoir quatre à cinq ans avant l’année qu’elle a retenue comme point de départ pour la définition du marché (1993). Des études démontrant l’efficacité du Losec par rapport aux traitements existants auraient été réalisées entre la date de son lancement et le début de la période en cause et auraient été communiquées aux médecins. Ainsi, les ventes importantes d’IPP en 1993 et en 1994 révéleraient que, au début de la période en cause, la supériorité thérapeutique des IPP était déjà portée à la connaissance des médecins et que l’effet d’« inertie » était en grande partie surmonté.

51      En deuxième lieu, la Commission fait observer que les ventes combinées d’IPP et d’anti-H2 ont connu une expansion considérable dans les pays concernés, passant d’environ 644 millions de dollars des États-Unis (USD) en 1993 à environ 1,43 milliard de USD en 1999. Il résulterait des données d’IMS Health que les IPP ont représenté l’essentiel de cette hausse. Ceux-ci auraient été utilisés dans le traitement d’affections pour lesquelles les anti-H2 n’ont pas été antérieurement considérés comme appropriés ou efficaces. Les ventes de ces derniers auraient eu tendance à baisser en valeur absolue, avant de se stabiliser ou d’augmenter très modérément par rapport à leur niveau de 1993, pour baisser considérablement à partir de 1997. Selon la Commission, la stabilisation et l’augmentation temporaires des ventes d’anti-H2 auraient coïncidé avec leur réorientation partielle vers des domaines thérapeutiques où ils étaient moins exposés à la concurrence des IPP. En effet, les fabricants d’anti-H2 auraient réagi à la menace provenant des IPP en repositionnant leurs produits vers le traitement des affections gastro-intestinales plus bénignes, et en les convertissant même en médicaments en vente libre. L’expansion considérable des ventes combinées durant la période en cause, qui serait essentiellement attribuable aux IPP, conduirait nécessairement à considérer que les IPP n’ont pas uniquement remplacé les ventes d’anti-H2. Cela serait étayé par les considérants 382 et 386 de la décision attaquée, dans lesquels il serait observé que les IPP étaient considérés comme le seul remède efficace pour de nombreuses affections. La Commission précise toutefois qu’elle ne prétend pas que la hausse des ventes d’IPP durant cette période s’était opérée exclusivement au détriment des anti-H2.

52      Par ailleurs, ces deux produits auraient été prescrits par les médecins successivement dans le cadre des différents stades d’un même traitement, en fonction de l’allégement ou de l’intensification souhaitée de celui-ci. Par conséquent, les IPP et les anti-H2 ne devraient pas être appréhendés comme des substituts, mais comme des produits s’inscrivant dans une hiérarchie de médicaments. La Commission fait observer, à cet égard, que les requérantes ne contestent pas que la supériorité thérapeutique des IPP sur les anti-H2 fait que ces deux produits correspondent à des types de demande différents. Il existerait d’abondantes preuves dans les prescriptions réelles des médecins démontrant que les IPP se sont progressivement étendus à toutes les affections concernées (considérants 380 à 399 de la décision attaquée). La Commission ajoute qu’il n’est pas nécessaire de quantifier la fréquence des stratégies d’intensification et d’allégement du traitement, celles-ci n’expliquant qu’en partie l’expansion extraordinaire des ventes, qui suppose nécessairement que les IPP aient été prescrits dans des cas dans lesquels les anti-H2 n’étaient pas utilisés auparavant.

53      En réponse aux arguments de l’EFPIA, la Commission fait observer que la nette supériorité thérapeutique des IPP sur les anti-H2 excède la qualité pouvant être attribuée au meilleur produit d’une même catégorie de traitement. De plus, il résulterait des explications données par AZ dans son rapport annuel de 1996 et de ses publications (considérants 37 et 38 de la décision attaquée) qu’elle aurait considéré dès la fin des années 1970 que l’oméprazole était un produit pharmaceutique supérieur. La Commission fait valoir que le Tribunal a admis que deux produits aux fonctions similaires et dont la substituabilité est asymétrique, la relation entre les deux étant caractérisée par la migration de l’un vers l’autre, n’appartiennent pas au même marché de produits, même si la migration est incomplète à la fin de la période en cause (arrêt du Tribunal du 30 janvier 2007, France Télécom/Commission, T‑340/03, Rec. p. II‑107, points 88 et 89).

54      La Commission conteste, en outre, l’affirmation de l’EFPIA, selon laquelle elle n’aurait pas analysé les facteurs déterminant la pratique de prescription des médecins. Elle souligne que, dans la décision attaquée, elle s’appuie sur les données d’IMS Health concernant les prescriptions, à la fois sous une forme agrégée pour chaque pays et année et sous une forme désagrégée, ventilant les prescriptions en fonction de toutes les variantes de l’affection. Elle aurait identifié les schémas de prescription durant la période en cause, ainsi que les facteurs thérapeutiques qui influencent les choix de prescription (considérants 386 à 399 de la décision attaquée).

55      En troisième lieu, la Commission attire l’attention sur trois éléments dans les tendances de consommation, qui seraient déterminants dans son analyse. Premièrement, le pourcentage annuel des ventes d’anti-H2 ou d’IPP par rapport aux ventes combinées de ces produits ne laisserait pas entrevoir l’expansion du marché dominée par les IPP ni le repositionnement des anti-H2. Deuxièmement, l’augmentation de la valeur absolue des ventes d’IPP entre 1991 et 2000 aurait été spectaculaire. Troisièmement, l’« inertie » des médecins aurait contribué au caractère progressif du processus sur le marché.

56      S’agissant de l’« inertie » caractérisant les pratiques de prescription, la Commission fait valoir qu’elle constitue une caractéristique exogène du marché, sans rapport avec la concurrence par les mérites, qui pèserait de façon autonome sur la demande d’un produit nouveau. Ainsi, l’« inertie » des médecins prescripteurs ne saurait être considérée comme étant une contrainte concurrentielle exercée par les anti-H2, apparentée à la fidélité à la marque engendrée par la réputation passée ou la publicité. Selon la Commission, les fabricants d’anti-H2 disposaient de peu de moyens pour accroître sensiblement cette « inertie ». Par ailleurs, rien n’indiquerait que, une fois l’effet d’« inertie » surmonté, les anti-H2 auraient présenté des avantages suffisants pour inverser le processus de remplacement à sens unique.

57      S’agissant de l’argument des requérantes selon lequel elle se contredirait en considérant que l’« inertie » constitue un facteur pertinent dans la détermination de la position dominante, la Commission fait valoir que l’« inertie » peut alléger les contraintes exercées par de nouveaux produits sur une entreprise en place, en créant un obstacle à l’entrée et à l’expansion de produits concurrençant le produit présumé dominant. Elle rappelle, à cet égard, que la définition du marché a pour but, en l’espèce, d’examiner les contraintes concurrentielles pesant sur les IPP, et non sur les anti-H2. En outre, la Commission fait valoir que, en tout état de cause, la définition du marché repose sur une appréciation globale de l’ensemble des facteurs pertinents et ne saurait être remise en cause dans l’hypothèse, qu’elle conteste, dans laquelle l’« inertie » pouvait être considérée comme un avantage concurrentiel spécifiquement attribuable aux anti-H2.

58      En ce qui concerne les contraintes concurrentielles exercées sur les IPP, la Commission relève qu’il résulte des statistiques de la consommation que l’« inertie » n’a ni empêché la croissance des IPP ni permis aux anti-H2 d’inverser le processus de remplacement par les IPP. Elle en déduit ainsi que l’« inertie » a protégé les ventes d’anti-H2 d’un déclin encore plus rapide. Par ailleurs, le fait que les fabricants d’IPP aient réussi à négocier et à appliquer des prix supérieurs à ceux des anti-H2 démontrerait que les systèmes de santé nationaux avaient accepté que les IPP représentaient une innovation qui n’était pas comparable aux anti-H2.

59      La Commission précise qu’elle n’affirme pas que les IPP relèvent d’un marché distinct de celui des anti-H2 depuis 1993. Elle n’excluait d’ailleurs pas, au considérant 504 de la décision attaquée, qu’un marché distinct ait existé avant cette date pour les IPP. Elle fait toutefois observer qu’il était inutile d’examiner les années antérieures, dans la mesure où le comportement abusif avait commencé en 1993.

60      La Commission considère que les éléments de preuves auxquels les requérantes font référence à l’appui de leur thèse portent sur des prémisses factuelles non contestées et ne sauraient leur venir en aide. Ainsi, le rapport d’IMS Health attesterait du processus progressif de remplacement des anti-H2 par les IPP, ce qui aurait été pris en considération dans la décision attaquée. Le témoignage des experts médicaux d’AZ expliquerait tout au plus les origines du phénomène d’« inertie », mais n’expliquerait pas comment les anti-H2 auraient exercé une contrainte concurrentielle sur les IPP. Le rapport Lexecon n’évoquerait ni le temps considérable qui s’est écoulé entre la première mise sur le marché du Losec et 1993, ni la large reconnaissance de la supériorité des IPP sur les anti-H2. Il n’expliquerait pas davantage comment l’« inertie » pourrait être imputable aux contraintes concurrentielles exercées par les anti-H2 sur les IPP. Enfin, les documents internes d’AZ faisant état de l’élasticité des anti-H2 concerneraient un fait non contesté. Ces documents ne démontreraient pas, toutefois, que les anti-H2 auraient exercé des contraintes concurrentielles significatives sur les IPP.

c)     Appréciation du Tribunal

61      Le débat entre les parties au sujet de la définition du marché de produits en cause se concentre sur l’interaction concurrentielle entre deux produits pharmaceutiques, les IPP et les anti-H2, qu’il convient, à titre liminaire, de présenter succinctement.

62      Il ressort du considérant 34 de la décision attaquée que les antagonistes des récepteurs de l’histamine (également connus sous la dénomination d’« antihistaminiques » ou d’« anti-H2 ») et les IPP sont des produits pharmaceutiques destinés au traitement des affections gastro-intestinales liées à l’hyperacidité, qui inhibent de manière proactive les sécrétions acides dans l’estomac. En effet, l’acide est pompé dans l’estomac par un enzyme spécifique, la « pompe à proton », à l’intérieur des cellules pariétales, le long de la paroi de l’estomac. Alors que les anti‑H2 bloquent uniquement l’un des stimulants de la pompe à proton, à savoir les récepteurs d’histamine situés dans les cellules pariétales, les IPP agissent sur la pompe à proton elle-même. Dans la décision attaquée, la Commission a ainsi constaté que les anti-H2 n’agissaient qu’indirectement sur la pompe à proton, tandis que les IPP avaient, quant à eux, la faculté d’agir directement sur celle-ci.

63      Il y a lieu de relever, ensuite, qu’il est constant que la force thérapeutique des IPP est significativement supérieure à celle des anti-H2. Les parties s’accordent également sur le fait que les ventes d’IPP ont connu une augmentation importante et que les ventes d’anti-H2 ont chuté de manière significative. En effet, ainsi que la Commission le fait observer, il ressort des tableaux 9 à 15 de l’annexe de la décision attaquée que les ventes combinées d’IPP et d’anti-H2, mesurées en valeur, ont connu, en Allemagne, en Belgique, au Danemark, en Norvège, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Suède, une expansion importante entre 1991 et 2000, la progression des ventes d’IPP représentant l’essentiel de cette expansion. Durant cette même période, les ventes d’anti-H2, également mesurées en valeur, ont considérablement décliné. De même, il résulte des tableaux 17 à 23 de cette annexe que les nombres combinés de traitements à base d’IPP et d’anti-H2 ont considérablement augmenté entre 1991 et 1999 ou 2000 dans ces pays. Au sein de ce mouvement, le nombre de traitements à base d’IPP a connu une forte augmentation et le nombre de traitements à base d’anti-H2 a, selon les pays, connu un déclin significatif ou une stagnation. L’exactitude des données figurant dans ces tableaux n’est pas contestée.

64      Le premier moyen est essentiellement tiré d’une erreur manifeste d’appréciation quant à la pertinence du caractère graduel de l’augmentation de l’usage des IPP au détriment des anti-H2. En substance, il s’articule principalement en un raisonnement en deux temps. En premier lieu, quoiqu’ils aient présenté une force thérapeutique moindre, les anti-H2 auraient constitué des substituts thérapeutiques aux IPP et auraient encore fait, à la fin de la période considérée (1991-2000), l’objet de ventes significatives pour le traitement d’affections gastro-intestinales identiques à celles pour lesquelles les IPP étaient prescrits. Ainsi, en second lieu, dans la mesure où les ventes des IPP auraient augmenté au détriment des anti-H2 de manière graduelle, ces derniers auraient nécessairement exercé une contrainte concurrentielle considérable sur les premiers.

65      Compte tenu de ces arguments, il y a lieu d’examiner la légalité de la décision attaquée en ce qui concerne, premièrement, l’usage thérapeutique des IPP et des anti-H2, puis, deuxièmement, la pertinence, aux fins de l’appréciation de la contrainte concurrentielle que les anti-H2 auraient exercé sur les IPP, du caractère graduel du mouvement de substitution des anti-H2 par les IPP.

 Sur l’usage thérapeutique différencié des IPP et des anti-H2

66      Aux considérants 381 à 386 de la décision attaquée, la Commission a considéré que la supériorité thérapeutique des IPP sur les anti-H2 plaidait en faveur de l’existence d’un marché de produits composé uniquement d’IPP. Elle a ainsi relevé qu’il existait une importante population de patients souffrant d’affections gastro-intestinales liées à l’hyperacidité pour lesquels seuls les IPP constituaient un remède approprié. Selon elle, les médecins ont de plus en plus considéré les IPP comme constituant la solution la plus efficace et la plus appropriée.

67      Au soutien de leur contestation de la considération de la Commission selon laquelle la supériorité thérapeutique des IPP constitue un élément étayant une définition du marché ne comprenant que les IPP, les requérantes prétendent que les IPP et les anti-H2 ont fait l’objet d’un même usage thérapeutique, dès lors que ces derniers ont, dans une proportion significative, été prescrits pour les mêmes affections que les IPP. Les requérantes s’appuient, à cet égard, sur les déclarations écrites d’experts médicaux qu’elles ont produites au cours de la procédure administrative, en réponse à la communication des griefs.

68      Ayant procédé à un examen des déclarations des experts médicaux portées à son attention, le Tribunal relève que celles-ci convergent pour mettre en évidence les éléments suivants :

–        les anti-H2 et les IPP appartiennent à un continuum de thérapies ayant pour but de supprimer les acidités ;

–        les IPP ont, depuis leur introduction sur le marché, été perçus par la communauté médicale comme des médicaments plus puissants que les anti-H2 ;

–        les IPP étaient suspectés d’avoir des effets cancérigènes et n’ont été prescrits que très progressivement par les médecins ; les spécialistes ont accepté de prescrire les IPP avant que les médecins de premiers soins, qui restaient très prudents à cet égard, aient été disposés à le faire ;

–        les prescriptions d’anti-H2 et d’IPP se sont inscrites dans le cadre de l’intensification (step up) ou de l’allégement (step down) des traitements ; l’approche « step down », qui était en général préférée par les médecins, consistait à prescrire, au début du traitement, de l’IPP en dose suffisante pour maîtriser les symptômes, puis à prescrire des produits pharmaceutiques plus doux, tels que des anti-H2 ou d’autres produits (par exemple des antiacides) ; l’approche « step up » consistait en l’administration de produits relativement doux dans un premier temps (des anti-H2 ou d’autres produits), puis en l’administration d’IPP dans un second temps, lorsque les produits prescrits en premier lieu ne suffisaient pas à soigner l’affection ;

–        le coût élevé des IPP a pu constituer, dans certains pays, dont l’Allemagne, un facteur pertinent dans la prescription d’IPP et dans le choix entre l’approche « step up » ou l’approche « step down » ;

–        les IPP ont généralement été administrés en premier lieu pour traiter les formes sévères des affections gastro-intestinales ; leur usage semble toutefois s’être également élargi aux formes moins sévères des affections.

69      Il résulte ainsi des déclarations des experts médicaux que les IPP et les anti-H2 étaient, entre 1991 et 2000, administrés pour le traitement des mêmes affections. Toutefois, il en résulte également que les IPP étaient généralement prescrits pour le traitement des formes sévères des affections alors que les anti-H2 l’étaient davantage pour le traitement de leurs formes légères, ou ne présentant pas le même degré de gravité.

70      Dans leurs déclarations, les experts médicaux ont parfois souligné que les anti-H2 et les IPP constituaient des traitements de première ligne alternatifs, selon qu’une approche « step up » ou « step down » était adoptée. Cependant, la circonstance que les IPP aient été prescrits en début de traitement ou ultérieurement, selon qu’une approche « step down » ou « step up » était choisie, ne modifie pas la constatation que les IPP et les anti-H2 étaient prescrits dans des situations différentes, dans le cadre d’une gradation des traitements.

71      En effet, la circonstance que les anti-H2 étaient prescrits pour traiter les mêmes affections que les IPP, ou constituaient, tout autant que ces derniers, des traitements de première ligne revêt une pertinence limitée, dans la mesure où elle ne permet pas de déterminer si, compte tenu de l’usage thérapeutique des IPP, qui étaient surtout utilisés pour traiter les formes sévères des affections, les anti-H2 exerçaient sur eux une contrainte concurrentielle significative. Or, il ressort sans ambiguïté des déclarations susvisées que, dès qu’il était nécessaire de maîtriser des symptômes présentant un certain degré de gravité, les anti-H2 cédaient la place aux IPP, que ce soit au début du traitement, lorsqu’une approche « step down » était adoptée, ou à la fin de celui-ci, lorsqu’une approche « step up » était choisie.

72      Il résulte ainsi des déclarations des experts médicaux produites au cours de la procédure administrative par les requérantes que, quoiqu’ils aient été prescrits pour le traitement des mêmes affections, les IPP et les anti-H2 ont fait l’objet d’un usage différencié. Alors que les IPP étaient essentiellement prescrits pour traiter les formes sévères des affections gastro-intestinales liées à l’hyperacidité, les anti-H2 étaient prescrits pour traiter les formes moins sévères ou légères de celles-ci. Il convient en outre de relever, ainsi que la Commission l’a fait observer au cours de l’audience, que cet élément de fait a été allégué par les requérantes elles-mêmes en réponse à la communication des griefs [point 4.41, sous ii), b), de la réponse à la communication des griefs].

73      C’est ainsi à juste titre que, au considérant 389 de la décision attaquée, la Commission a estimé que la circonstance, alléguée par les requérantes au cours de la procédure administrative, que les IPP n’étaient généralement utilisés que pour le traitement des formes plus graves des affections soutenait la conclusion d’un marché de produits en cause uniquement constitué d’IPP.

74      Les requérantes ne sauraient faire valoir que l’usage différencié des IPP et des anti-H2, selon l’intensification ou l’allégement des traitements, constitue un élément nouveau ne pouvant être pris en compte au stade du contrôle de la légalité de la décision attaquée. En effet, il ressort de la décision attaquée que la Commission a bien tenu compte de la différenciation de l’usage thérapeutique de ces produits, en réponse, précisément, aux arguments avancés par les requérantes, ainsi que cela apparaît aux considérants 389, 490 et 502 de la décision attaquée.

75      À cet égard, il convient également de relever que, sur la base des documents internes d’AZ, la Commission a constaté, aux considérants 384 et 490 de la décision attaquée, que le premier IPP commercialisé sur le marché, le Losec, avait amené les producteurs d’anti-H2 à se réorienter vers le traitement des formes bénignes des affections, traditionnellement traitées au moyen d’antiacides et d’alginates, et même de rendre leurs produits disponibles sans prescription médicale.

76      Par ailleurs, la circonstance, alléguée par les requérantes, qui s’appuient à cet égard sur le rapport d’IMS Health, que les affections gastro-intestinales majeures aient encore donné lieu, à la fin de la période considérée et dans la plupart des pays, à une proportion significative de prescriptions d’anti-H2, n’invalide pas la conclusion selon laquelle l’usage thérapeutique des anti-H2 et des IPP était différencié. De même, l’affirmation selon laquelle les anti-H2 auraient été, dans une faible proportion (le rapport d’IMS Health évoque 10 %), prescrits pour le traitement des formes sévères des affections corrobore la considération, qui résulte des éléments produits par les requérantes elles-mêmes, selon laquelle les formes sévères des affections gastro-intestinales liées à l’hyperacidité donnaient lieu, en très grande majorité, à la prescription d’IPP.

77      Les requérantes et l’EFPIA font encore valoir que la Commission n’a pas effectué de recherches sur les pratiques de prescription réelles des médecins et qu’elle aurait choisi sélectivement les données du rapport d’IMS Health sans réfuter les autres données figurant dans ce rapport.

78      Tout d’abord, il convient de rappeler qu’il importe que la Commission fonde son appréciation sur l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération dans un cas d’espèce concret (voir, en ce sens, s’agissant du contrôle des opérations de concentrations, arrêt Commission/Tetra Laval, point 33 supra, point 39). Cela implique notamment que la Commission est tenue d’examiner avec une attention particulière les arguments et les éléments de preuve pertinents que lui présentent les entreprises impliquées dans la procédure administrative (voir, en ce sens et par analogie, arrêt GlaxoSmithKline Services/Commission, point 46 supra, point 276).

79      Il ne saurait toutefois en être déduit que la Commission doit uniquement s’appuyer sur les éléments de preuves qu’elle aurait réunis à la suite de ses propres investigations. Il est en effet loisible à la Commission de s’appuyer sur des éléments de preuves produits par les parties à la procédure administrative, pour autant que ces éléments de preuves soient fiables et pertinents, à charge pour elle, le cas échéant, de les compléter par d’autres éléments lorsque les informations produites par les parties à la procédure administrative se révèlent insuffisantes ou défectueuses.

80      En l’occurrence, s’il est exact que la Commission n’a pas effectué de recherches propres quant à l’usage thérapeutique des IPP et des anti-H2 par les milieux médicaux, les requérantes ont produit plusieurs déclarations d’experts médicaux qui, ainsi qu’il a été observé aux points 68 et 69 ci-dessus, contenaient des éléments convergents et confirmaient en outre les informations pertinentes contenues dans les documents internes d’AZ, auxquels il est fait référence au considérant 502 de la décision attaquée. Il y a lieu, par conséquent, de considérer que la Commission pouvait, sur ce point, prendre en compte ces informations sans mener ses propres investigations.

81      Ensuite, s’agissant de l’utilisation prétendument sélective des données contenues dans le rapport d’IMS Health et de l’absence de réfutation des autres données figurant dans ce rapport, et pour autant que, par cet argument, l’EFPIA tend à mettre en cause une motivation insuffisante de la décision attaquée, il convient de relever que l’obligation de la Commission de présenter les motifs pour lesquels elle ne fait pas usage de certaines données figurant dans une étude ne saurait exister que dans la mesure où les parties à la procédure administrative ont, durant ladite procédure, avancé des arguments spécifiquement fondés sur ces données, sous réserve que ces dernières se révèlent être pertinentes. Il ne saurait en tout état de cause être exigé de la Commission qu’elle expose systématiquement les motifs pour lesquels elle n’utilise pas ou écarte certaines données d’une étude, dès lors qu’il suffit qu’elle motive sa décision en mentionnant les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale de la mesure et les considérations qui l’ont amenée à prendre sa décision. Cette considération s’impose d’autant plus qu’il résulte d’une jurisprudence constante qu’il n’est pas exigé de la Commission qu’elle discute tous les points de fait et de droit qui ont été soulevés par l’intéressé au cours de la procédure administrative (arrêts de la Cour du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43/82 et 63/82, Rec. p. 19, point 22, et du 17 novembre 1987, BAT et Reynolds/Commission, 142/84 et 156/84, Rec. p. 4487, point 72 ; arrêt du Tribunal du 19 mai 1994, Air France/Commission, T‑2/93, Rec. p. II‑323, point 92).

82      En outre, dans la mesure où l’EFPIA ferait grief à la Commission de ne pas avoir pris en considération certains éléments du rapport d’IMS Health, il convient de constater qu’elle ne précise pas quels sont ces éléments, la seule référence aux conclusions générales du rapport d’IMS Health étant à cet égard manifestement insuffisante pour identifier une erreur quelconque commise par la Commission.

 Sur la pertinence du caractère graduel du mouvement de substitution des anti-H2 par les IPP

83      Il convient de relever, tout d’abord, qu’il est constant que l’« inertie » qui a caractérisé les pratiques de prescription des médecins trouve son origine dans leur prudence à l’égard des IPP, dont ils redoutaient les possibles effets secondaires. Ainsi que les requérantes le font valoir, il résulte du rapport Lexecon que les médecins ont, en général, besoin de temps pour apprendre à connaître un médicament nouveau et pour accepter de le prescrire. De même, il ressort des déclarations des experts médicaux produites par les requérantes que les médecins prescripteurs redoutaient les possibles effets cancérigènes des IPP.

84      Il y a lieu d’observer, ensuite, qu’il ressort des tableaux 17 à 23 de l’annexe de la décision attaquée que le nombre de traitements prescrits à base d’IPP a augmenté graduellement entre 1991 et 2000 et a dépassé celui des traitements à base d’anti-H2 prescrits en Suède en 1994, en Norvège et en Belgique en 1996, en Allemagne et au Danemark en 1997, et aux Pays-Bas et au Royaume-Uni en 1998. Par ailleurs, les tableaux 9 à 15 de l’annexe de la décision attaquée font apparaître que les ventes d’IPP, estimées en valeur, ont également connu une augmentation graduelle et ont dépassé celles des anti-H2 en Suède en 1992, en Belgique en 1994, au Danemark, en Norvège, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni en 1995 et en Allemagne en 1996.

85      La question de savoir si les anti-H2 ont, durant la période considérée, exercé une contrainte concurrentielle significative sur les IPP est une question complexe qui, ainsi qu’il est indiqué au paragraphe 25 de la communication sur la définition du marché, est susceptible d’être déterminée sur la base d’un faisceau d’indices constitué d’éléments d’appréciation divers et souvent empiriques, la Commission devant prendre en compte toutes les informations pertinentes dont elle dispose. En l’espèce, les requérantes invoquent une erreur manifeste d’appréciation qui aurait été commise par la Commission, en se concentrant, dans le cadre du présent moyen, sur un seul aspect de l’analyse conduite par elle aux fins de définir le marché en cause, à savoir que le caractère graduel de l’augmentation des ventes d’IPP au détriment des anti-H2 constituerait un élément déterminant indiquant que, durant la période en cause, les anti-H2 auraient nécessairement exercé une contrainte concurrentielle significative sur les IPP.

86      Afin d’évaluer le bien-fondé de l’argumentation des requérantes, tant en principe que dans le cas concret de l’espèce, il y a lieu de la replacer dans le cadre théorique adopté par la Commission dans la communication sur la définition du marché aux fins de la détermination des contraintes concurrentielles, au regard duquel elle se propose d’évaluer les divers éléments d’appréciation dont elle dispose dans chaque cas d’espèce concret.

87      Aux paragraphes 15 à 19 de la communication sur la définition du marché, la Commission énonce qu’elle entend apprécier la substituabilité du côté de la demande à la lumière d’une approche théorique consistant à postuler une augmentation légère, de 5 à 10 %, mais permanente, du prix relatif du produit à partir duquel le marché en cause est défini, et à évaluer si cette augmentation hypothétique pourrait être appliquée de manière rentable par le monopoliste hypothétique du produit en cause. Selon ce test économique, tel qu’exposé au paragraphe 17 de la communication sur la définition du marché, si la substitution suffit, en raison du recul des ventes qui en découlerait, à ôter tout intérêt à une telle augmentation de prix, les produits de substitution doivent être considérés comme exerçant une contrainte concurrentielle significative sur le produit concerné.

88      S’agissant du cas spécifique du lancement d’un produit nouveau, et ainsi qu’il ressort notamment du paragraphe 45 de la communication de la Commission établissant des lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 81 [CE] aux accords de coopération horizontale (JO 2001, C 3, p. 2), il n’est pas rare que le développement des ventes d’un produit nouveau venant se substituer, même partiellement, à un produit existant, prenne un certain temps et, partant, que ces ventes connaissent un développement graduel.

89      En application du cadre théorique au regard duquel la Commission se propose d’apprécier les éléments de preuves dont elle dispose, rappelé au point 87 ci-dessus, aux fins de déterminer si un produit existant exerce une contrainte concurrentielle significative sur un produit nouveau, il y a lieu de s’interroger sur la question de savoir si, tout en tenant compte de la progression graduelle des ventes du produit nouveau au fil du temps, une augmentation légère du prix du produit nouveau conduirait à une réorientation de la demande vers le produit existant, de telle sorte que cette augmentation de prix ne serait pas rentable, eu égard aux revenus qui auraient été générés en l’absence de l’augmentation de prix susvisée. Or, il convient de relever que le caractère graduel de la progression des ventes du produit nouveau ne disparaîtrait pas nécessairement dans la circonstance où cette augmentation de prix serait rentable et où, en conséquence, il serait conclu que le produit existant n’exerce pas de contrainte concurrentielle significative sur le produit nouveau.

90      Par conséquent, il y a lieu de retenir que la Commission pouvait considérer que, en principe, le caractère graduel de l’augmentation des ventes d’un produit nouveau se substituant à un produit existant ne saurait, en lui-même, suffire pour conclure que ce dernier exerce sur le premier une contrainte concurrentielle significative.

91      Quand bien même cette conclusion reposerait sur un raisonnement faisant appel à une approche économique fondée sur l’observation de la réaction de la demande aux variations des prix relatifs, elle serait également applicable à la présente espèce et ne seraitt pas invalidée par les spécificités, alléguées par les requérantes, qui caractérisent les marchés des produits pharmaceutiques, à savoir notamment que les médecins prescripteurs et les patients n’éprouvent qu’une sensibilité limitée aux variations de prix. En effet, quelle que soit l’applicabilité concrète de l’approche théorique, rappelée au point 87 ci-dessus, aux marchés des produits pharmaceutiques, et sans qu’il y ait lieu de prendre position à cet égard, la circonstance prétendue que les médecins prescripteurs et les patients ne sont pas sensibles aux variations des prix relatifs n’affecte pas le bien-fondé de la considération selon laquelle, en principe, le caractère graduel de l’augmentation des ventes d’un produit nouveau se substituant à un produit existant ne suffit pas pour conclure que ce dernier exerce nécessairement sur le premier une contrainte concurrentielle significative.

92      En l’espèce, il est constant que les ventes d’IPP ont augmenté de manière graduelle, en raison de la prudence des médecins à l’égard d’un médicament dont ils ne connaissaient pas encore toutes les propriétés et des craintes qu’ils entretenaient quant à ses éventuels effets secondaires. Cela étant, les requérantes n’apportent aucun élément permettant de considérer que cette augmentation graduelle des ventes des IPP serait causée par une contrainte concurrentielle significative exercée par les anti-H2. Elles se contentent, en effet, de postuler une présomption de lien de causalité entre le caractère graduel de l’augmentation des ventes des IPP et une contrainte concurrentielle exercée par les anti-H2 sur les IPP.

93      Or, ainsi qu’il a été exposé ci-dessus, une telle présomption ne saurait exister en principe. Par ailleurs, aucun élément spécifique à la présente affaire ne permet de considérer qu’un tel lien de causalité existerait en l’espèce. En effet, les requérantes n’apportent aucun élément de nature à indiquer que la prudence des médecins ou leurs craintes à l’égard des IPP aurait influé sur la capacité des anti-H2 à exercer une contrainte concurrentielle significative sur les IPP et, partant, sur l’aptitude des entreprises commercialisant les IPP à se comporter de manière indépendante par rapport aux anti-H2.

94      Il convient de souligner, à cet égard, qu’il est constant que le degré d’« inertie » des médecins prescripteurs a influé directement sur le niveau des revenus générés par les IPP et par les anti-H2, dès lors que cette « inertie » a ralenti les ventes des IPP et, partant, le processus de substitution des anti-H2 par les IPP. Toutefois, à lui seul, ce fait ne démontre pas que les anti-H2 ont exercé une contrainte concurrentielle significative sur les IPP.

95      Lors de l’audience, les requérantes ont fait valoir qu’il ne pouvait pas être considéré que les anti-H2 n’avaient pas exercé de contrainte concurrentielle significative sur les IPP en 1993, dans la mesure où les IPP n’entraient encore que timidement sur le marché des anti-H2, ainsi que la différence entre les ventes encore modestes des IPP et les ventes bien supérieures des anti-H2 l’attestait en Allemagne, en Belgique, au Danemark, en Norvège, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.

96      Il convient toutefois de relever que le fait que les ventes d’IPP aient été bien inférieures à celles des anti-H2 en 1993 ne permet pas de considérer que ces derniers exerçaient une contrainte concurrentielle significative sur les IPP durant cette année. De même, la circonstance que les ventes d’IPP ont, à un certain moment, dépassé les ventes d’anti-H2 n’est, en soi, pas davantage de nature à indiquer que les anti-H2 n’exerçaient plus de contrainte concurrentielle significative sur les IPP à ce moment précis. Cela étant, le constat d’un mouvement de substitution asymétrique caractérisé par la croissance des ventes des IPP et la diminution ou la stagnation des ventes des anti-H2, conjugué avec le constat d’un repositionnement de l’usage des anti-H2 vers le traitement des formes plus bénignes des affections, traditionnellement soignées au moyens d’antiacides ou d’alginates, du fait que les IPP s’imposaient de plus en plus (voir considérants 384 et 490 de la décision attaquée), corrobore la considération selon laquelle les anti-H2 n’exerçaient pas de contrainte concurrentielle significative sur les IPP.

97      Par ailleurs, la circonstance que les IPP ont exercé une contrainte concurrentielle considérable sur les anti-H2 et, par conséquent, que les IPP ont appartenu au marché des anti-H2 entre 1991 et 2000 est dénuée de pertinence dans le cadre de la présente affaire, dès lors qu’elle n’implique pas que les anti-H2 ont, quant à eux, exercé une contrainte concurrentielle significative sur les IPP et, partant, que les anti-H2 ont appartenu au marché des IPP. En effet, la définition du marché en cause consiste, en l’espèce, uniquement à identifier les contraintes concurrentielles significatives exercées sur les IPP durant la période en cause et ne s’intéresse pas, par conséquent, aux contraintes concurrentielles que les IPP ont pu exercer sur d’autres produits. Comme la Commission l’a rappelé à juste titre au considérant 493 de la décision attaquée, il résulte du paragraphe 3 de la communication sur la définition du marché que le concept de marché en cause diffère des autres concepts de marché souvent utilisés dans d’autres contextes, tels que le territoire à l’intérieur duquel les entreprises vendent leurs produits ou, plus largement, l’industrie ou le secteur dont les entreprises relèvent. Ainsi, le fait que les anti-H2 aient été la principale cible concurrentielle du Losec ne permet pas de considérer que les premiers aient exercé une contrainte concurrentielle significative sur le second.

98      Les requérantes font encore valoir que l’« inertie » des médecins prescripteurs dépend de la qualité du médicament préexistant et des avantages que présente le nouveau produit. À cet égard, il peut être admis que la qualité du produit préexistant est susceptible d’influer sur le degré d’« inertie » des médecins prescripteurs, dans la mesure où, en cas de doutes sur les effets secondaires du produit nouveau, ceux-ci peuvent estimer plus prudent de continuer de prescrire le produit préexistant lorsque son efficacité thérapeutique est jugée suffisante. En l’espèce, il convient toutefois de constater qu’il ressort sans ambiguïté des éléments du dossier, et notamment du rapport Lexecon et des déclarations des experts médicaux produits par les requérantes elles-mêmes, que l’« inertie » caractérisant les pratiques de prescription trouve son origine en premier lieu dans la prudence qui caractérise normalement l’attitude des médecins à l’égard d’un produit nouveau dont ils connaissent encore mal les propriétés et, plus spécifiquement, dans leurs craintes importantes quant aux éventuels effets secondaires cancérigènes des IPP.

99      Les requérantes ne sauraient dès lors alléguer que l’« inertie » caractérisant les pratiques de prescription des médecins est, dans son ensemble, due à la qualité thérapeutique des anti-H2.

100    Pour autant que les requérantes tendent à faire valoir que la qualité des anti-H2 a influé de manière significative sur le degré d’« inertie » caractérisant les pratiques de prescription des médecins, il y a lieu de constater qu’elles n’apportent aucun élément à cet égard, alors même que les éléments du dossier tendent à indiquer que tel n’était pas le cas. En effet, il n’est pas contesté que la puissance thérapeutique des IPP est bien supérieure à celle des anti-H2. Ainsi que l’a relevé la Commission au considérant 382 de la décision attaquée, les IPP étaient ainsi considérés comme le seul remède efficace pour traiter un certain nombre d’affections gastro-intestinales liées à l’hyperacidité, et plus particulièrement les formes sévères de celles-ci. La circonstance que les IPP et les anti-H2 étaient prescrits successivement dans le cadre d’un même traitement, en fonction de son allégement ou de son intensification, n’affecte pas ce constat. Elle tend au contraire à le confirmer.

101    Par ailleurs, ainsi que la Commission le fait observer, il ressort des tableaux 17 à 23 de l’annexe de la décision attaquée que le nombre de traitements à base d’IPP en 2000 était bien supérieur au nombre de traitements à base d’anti-H2 en 1991 dans la plupart des pays considérés. Il convient ainsi de relever que le nombre de traitements à base d’IPP en 2000 est considérablement supérieur au nombre de traitements à base d’anti-H2 en 1991 ou en 1992 au Danemark, en Norvège, aux Pays-Bas et en Suède, ainsi que, dans une mesure significative, en Allemagne. Ce n’est qu’en Belgique et au Royaume-Uni que la supériorité du nombre de traitements à base d’IPP en 2000 sur le nombre de traitements à base d’anti-H2 en 1991 était moindre.

102    La circonstance que les IPP étaient considérés comme le seul traitement efficace des formes sévères des affections gastro-intestinales, que les IPP et les anti-H2 faisaient en conséquence l’objet d’usages thérapeutiques différenciés et que la croissance des IPP ne se soit pas opérée pour une partie souvent très considérable au détriment des anti-H2 corrobore la thèse selon laquelle l’« inertie » des médecins était davantage fonction, ainsi que l’a conclu le rapport Lexecon, de l’accumulation et de la diffusion des informations sur les propriétés des IPP, que de la qualité des anti-H2.

103    Les requérantes s’opposent à ce que le constat selon lequel le nombre de traitements à base d’IPP en 2000 était sensiblement supérieur au nombre de traitements à base d’anti-H2 en 1991 ou en 1992 puisse être pris en considération au stade du contrôle de la légalité de la décision attaquée, dans la mesure où il n’aurait pas expressément été fait mention de ce fait dans cette décision. Force est toutefois de relever que ce constat est opéré sur la base des tableaux annexés à la décision attaquée. Il ne saurait dès lors être considéré qu’il constitue un élément nouveau ne pouvant être pris en considération au stade du contrôle de la légalité de la décision attaquée, aux fins de répondre à une objection opposée contre l’appréciation motivée de la Commission selon laquelle le caractère graduel de l’augmentation des IPP n’indique pas nécessairement que les anti-H2 ont exercé sur ceux-ci une contrainte concurrentielle significative.

104    L’EFPIA fait également valoir qu’il ne suffit pas de démontrer que les ventes d’IPP en valeur absolue ont augmenté sensiblement alors que celles des anti-H2 ont diminué ou stagné pour conclure que ces derniers n’exercent plus de contrainte concurrentielle sur les IPP. Toutefois, et ainsi que cela ressort de l’examen du second moyen, il y a lieu de relever que l’analyse de la Commission ne repose pas sur ce seul constat, celle-ci ayant, au contraire, fondé sa définition du marché de produits en cause sur un ensemble d’éléments, à savoir les usages thérapeutiques, les indicateurs de prix et les « événements naturels » observés en Allemagne et au Royaume-Uni, éléments que les requérantes et l’EFPIA ont d’ailleurs contestés un par un.

105    Enfin, il y a lieu de rejeter l’argument des requérantes tiré de ce que la Commission aurait manqué de cohérence dans la mesure où, dans la décision attaquée, elle aurait, d’une part, rejeté la pertinence du phénomène d’« inertie » caractérisant les pratiques de prescription dans le cadre de son analyse de la définition du marché, et, d’autre part, accepté la pertinence de ce phénomène d’« inertie » dans le cadre de l’appréciation de la position dominante d’AZ. À cet égard, le Tribunal relève que, ainsi que la Commission le fait observer, l’« inertie » est un facteur qui est de nature à conforter la position sur le marché d’un produit en place en créant des obstacles à l’entrée ou à l’expansion des produits concurrents nouvellement introduits sur le marché. Cette circonstance n’est toutefois pas en contradiction avec la considération selon laquelle l’« inertie » des médecins prescripteurs ne permet pas de considérer que les anti-H2 ont exercé une contrainte concurrentielle significative sur les IPP.

106    Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en rejetant l’argument selon lequel le caractère graduel de l’augmentation des ventes d’IPP au détriment des anti-H2 signifiait que les anti-H2 exerçaient une contrainte concurrentielle significative sur les IPP et, partant, que les anti-H2 devaient, pour ce motif, être inclus dans le marché de produits en cause.

107    Il y a lieu, dès lors, de rejeter le premier moyen soulevé par les requérantes à l’égard de la définition du marché en cause.

3.     Sur le second moyen, tiré d’incohérences diverses et d’erreurs d’appréciation

a)     Arguments des requérantes et de l’EFPIA

108    Les requérantes et l’EFPIA estiment, en premier lieu, que la Commission n’a pas suffisamment pris en compte l’usage thérapeutique des produits considérés aux fins de définir le marché. Elles contestent, tout d’abord, l’affirmation de la Commission, au considérant 373 de la décision attaquée, selon laquelle elle aurait attribué un poids important, dans sa pratique décisionnelle, aux différences existant entre les modes d’action des médicaments. Les décisions antérieures adoptées par la Commission sur la base du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1), auxquelles celle-ci ferait référence à cet égard, à savoir ses décisions, déclarant la compatibilité de concentrations avec le marché commun, du 26 février 1999 (affaire COMP/M.1403 – Astra/Zeneca), du 17 mai 1999 (affaire COMP/M.1397 – Sanofi/Synthelabo), et du 27 février 2003 (affaire COMP/M.2922 – Pfizer/Pharmacia), ne refléteraient pas cette affirmation, la Commission ayant pris en compte les différences existant entre les modes d’action des médicaments lorsque ceux-ci donnaient lieu à des usages thérapeutiques différents, et ayant rejeté la pertinence du manque de similitudes entre les modes d’action lorsque les médicaments en cause conservaient un usage thérapeutique similaire.

109    L’EFPIA ajoute que, dans sa pratique décisionnelle, la Commission prend normalement comme point de départ de son analyse aux fins de la définition du marché l’usage thérapeutique du produit en cause, ce qui l’a conduit à tenir compte du troisième niveau du système de classification thérapeutique, anatomique et chimique (Anatomical Therapeutic Chemical classification system, ci-après l’ « ATC »), qui regroupe généralement les médicaments selon leurs indications thérapeutiques.

110    Les requérantes et l’EFPIA font valoir, ensuite, que l’approche de la Commission est viciée dans la mesure où elle s’appuie de manière excessive sur la description des caractéristiques thérapeutiques des produits, qui sont dénuées de pertinence aux fins de la définition du marché, au lieu d’apprécier l’effet de ces caractéristiques sur les choix effectués par les décideurs dans la période comprise entre 1993 et 2000. En effet, la substituabilité des médicaments soumis à prescription ne dépendrait pas des caractéristiques physiques, techniques ou chimiques de ceux-ci, mais de leur substituabilité fonctionnelle, telle que perçue par les personnes contrôlant leur consommation, à savoir les praticiens médicaux [décision 97/469/CE de la Commission, du 17 juillet 1996, dans une procédure engagée en vertu du règlement nº 4064/89 (affaire IV/M.737 – Ciba-Geigy/Sandoz) (JO 1997, L 201, p. 1, considérant 21)]. Par ailleurs, l’EFPIA prétend que la supériorité technique d’un produit d’une catégorie pharmaceutique ne soustrait pas celui-ci aux pressions concurrentielles exercées par les autres produits [décisions de la Commission du 27 mai 2005 (affaire COMP/M.3751 – Novartis/Hexal) et du 22 mai 2000 (affaire COMP/M.1878 – Pfizer/Warner-Lambert)]. Lorsque les médecins prescrivent un médicament, ils se fonderaient sur des motifs médicaux tels que le principe actif, la tolérance, la toxicité ou les effets secondaires de celui-ci. Or, la Commission n’aurait pas isolé l’un ou l’autre de ces motifs médicaux comme étant décisif aux fins d’établir le caractère substituable des médicaments.

111    L’EFPIA reproche ainsi à la Commission de ne pas avoir analysé les facteurs clés guidant le comportement des médecins prescripteurs, tout en omettant de réfuter les éléments de preuve produits par les requérantes, démontrant que les médecins considéraient que les IPP et les anti-H2 avaient le même usage thérapeutique. La Commission serait donc incohérente par rapport à sa pratique décisionnelle antérieure et aurait commis une erreur de fait et de droit en retenant le mode d’action en tant que caractéristique clé des IPP aux fins de la définition du marché en cause.

112    Les requérantes font observer, en deuxième lieu, que l’analyse effectuée par la Commission se fonde sur les tendances des ventes, les différences absolues de prix et une étude de corrélation. Or, les indicateurs liés aux prix ne seraient pas adéquats aux fins de l’analyse concurrentielle lorsque la concurrence sur le marché en cause n’est pas fondée sur les prix. En revanche, les facteurs non tarifaires joueraient un rôle fondamental. En outre, la Commission se serait appuyée de manière excessive sur l’étude de corrélation présentée par les plaignantes, afin de prouver l’absence d’interaction concurrentielle importante entre les IPP et les anti-H2, alors même qu’elle aurait mis la fiabilité de cette étude en question en raison de faiblesses d’ordre méthodologique. Les requérantes se réfèrent en particulier aux considérants 368, 411, 416, 436, 440, 447 et 451 de la décision attaquée.

113    Les requérantes et l’EFPIA considèrent que la Commission n’aurait pas dû se fonder sur les différences entre les prix absolus des IPP et ceux des anti-H2 pour conclure à l’absence d’interaction concurrentielle entre ces produits. Premièrement, les requérantes indiquent que la Commission a admis, notamment aux considérants 362 et 363 de la décision attaquée, que les prix n’étaient pas déterminés par une interaction concurrentielle normale et que le décideur (le médecin) et la réglementation des prix jouaient un rôle fondamental. À cet égard, l’EFPIA indique que la fixation, par les autorités publiques, d’un prix plus élevé pour les IPP que pour les anti-H2 reflète uniquement la perception par celles-ci de la valeur du produit pour la santé humaine et de sa contribution en matière d’innovation par rapport aux produits existants. Ainsi, un produit possédant un degré élevé d’innovation se verrait attribuer un prix plus élevé que les produits existants ayant le même usage thérapeutique. L’écart entre le prix du produit nouveau et des produits existants serait même susceptible de s’accroître dans la mesure où la pression à la baisse des prix exercée par le gouvernement sur les médicaments soumis à prescription viserait plus fortement les produits plus anciens ou ceux dont les brevets ont expiré. Les fabricants ne seraient ainsi pas libres de fixer eux-mêmes les prix de leurs produits. En outre, le processus de fixation des prix exercerait une influence limitée sur le processus de consommation, les médecins étant peu sensibles aux prix et davantage attentifs à l’efficacité thérapeutique des produits.

114    Deuxièmement, les requérantes font observer que la définition du marché implique une appréciation de la manière dont les consommateurs réagissent aux changements des prix relatifs. Le niveau des prix absolus serait donc sans pertinence concernant l’interaction concurrentielle. Troisièmement, l’affirmation de la Commission, selon laquelle le Losec serait plus cher que les produits alternatifs anti-H2, serait en contradiction avec la considération selon laquelle les IPP auraient un meilleur rapport coût/efficacité que les anti-H2. La Commission n’aurait pas tenu compte du fait, qu’elle a pourtant admis aux considérants 38, 382 et 385 de la décision attaquée, que les IPP permettent de soigner plus rapidement et que, par conséquent, le coût général du traitement par les IPP est moins élevé, quand bien même le coût d’une dose quotidienne d’IPP serait supérieur au coût d’une dose quotidienne équivalente d’anti-H2.

115    Les requérantes contestent, par conséquent, qu’un calcul fondé uniquement sur le volume ne soit pas susceptible de refléter les différences thérapeutiques entre les produits. En effet, un tel calcul reflèterait le nombre de jours de traitement nécessaires pour soigner une affection donnée et traduirait mieux les proportions relatives d’utilisation de deux médicaments différents par les patients à un moment donné, contrairement à un calcul fondé sur les montants.

116    En réponse à l’argument de la Commission selon lequel la circonstance qu’AZ ait été en mesure de négocier des prix plus élevés pour les IPP indiquerait que ceux-ci appartenaient à un marché distinct de celui des anti-H2, les requérantes font valoir que la Commission n’a pas effectué de recherches sur le processus réel selon lequel les prix des IPP ont été convenus dans les différents États membres. Elles exposent, à cet égard, qu’AZ a demandé un prix égal au double du prix du Zantac, sur la base du « prix par jour », en se fondant sur le fait que le coût général du traitement serait le même, ce prix reflétant la plus grande efficacité du Losec.

117    Les requérantes et l’EFPIA allèguent, en troisième lieu, que, s’agissant de l’Allemagne et du Royaume-Uni, la Commission s’est appuyée de manière excessive sur des « événements naturels » isolés. Elles soulignent que, lorsque les modifications d’une variable spécifique sont provoquées simultanément par de nombreux facteurs, l’analyse économétrique permet d’apprécier l’effet d’un facteur individuel pris séparément tout en tenant compte de l’effet de tous les autres facteurs. La Commission ne saurait donc attribuer la totalité de l’effet à un facteur individuel, ainsi qu’elle l’aurait fait en se concentrant sur les « événements naturels ». À l’instar du rapport Lexecon, elles font valoir qu’il convenait d’apprécier l’effet simultané des facteurs suivants : le prix du Losec et des produits concurrents, l’entrée sur le marché de produits concurrents, le nombre de formes de présentation disponibles pour le Losec et les produits concurrents, les activités promotionnelles effectuées pour tous les produits du marché, le moment auquel les nouvelles indications pour le Losec ont été approuvées et l’évolution chronologique. Les requérantes ajoutent que le rapport Lexecon démontrerait que les anti-H2 appartenaient au marché des IPP et relèvent qu’elles ont répondu aux critiques formulées par la Commission aux considérants 458 à 487 de la décision attaquée quant à la méthodologie utilisée par ce rapport.

118    Les requérantes indiquent que, concernant l’Allemagne, la Commission a analysé trois événements, à savoir l’entrée sur le marché du second IPP, le pantoprazole, en 1994, l’introduction de l’anti-H2 générique ranitidine en 1995 et l’introduction de l’oméprazole générique en 1999. S’agissant du premier événement, relatif à l’entrée sur le marché du pantoprazole, les requérantes estiment que l’interaction apparente entre le prix du Losec et celui des autres IPP et l’absence apparente d’interaction entre le prix des IPP et celui des anti-H2 ne démontrent pas que les IPP et les anti-H2 appartiendraient à des marchés de produits distincts. Elles font valoir que, lorsqu’ils prescrivent des médicaments, les médecins sont sensibles à leurs propriétés thérapeutiques et non pas tant à leurs prix. La substituabilité thérapeutique, telle que perçue par les médecins prescripteurs, constituerait ainsi un aspect essentiel et la Commission n’aurait pu, par conséquent, concentrer son analyse sur la concurrence par les prix. Il ressortirait du rapport Lexecon que, après le lancement du pantoprazole, le déclin de la part de marché des anti-H2 se serait considérablement accru, ce qui indiquerait que le pantoprazole avait acquis des parts de marché au détriment des anti-H2 et que ces produits faisaient donc partie du même marché.

119    S’agissant du deuxième événement étudié par la Commission, relatif à l’entrée sur le marché de l’anti-H2 générique ranitidine en août 1995, les requérantes font à nouveau valoir qu’une analyse fondée sur les prix relatifs présente une valeur limitée. Quels que soient les prix relatifs, les médecins prescripteurs auraient considéré les anti-H2 et les IPP comme des produits thérapeutiques substituables pendant la période en cause. Les graphiques 2 et 3 du rapport Lexecon feraient apparaître que la part de marché des anti-H2 était fortement en déclin avant l’introduction de la ranitidine. Les requérantes et l’EFPIA font observer que l’introduction de ce générique a entraîné une augmentation de la part de marché, estimée en volume, des anti-H2 pendant un certain temps, puis a ralenti le déclin de leur part de marché. Par ailleurs, la part de marché du Losec aurait fortement baissé à la suite de l’introduction de la ranitidine et le taux d’augmentation de la part de marché des autres IPP se serait stabilisé au moment de l’introduction de ce générique. Selon les requérantes et l’EFPIA, il résulte de ces graphiques que l’introduction de la ranitidine a eu un effet dommageable sur les parts de marché du Losec et des autres IPP, ce qui indique que ces produits appartenaient au même marché.

120    L’EFPIA ajoute que l’explication de la Commission, selon laquelle le lancement de la ranitidine en Allemagne aurait exercé une forte pression sur les prix des autres anti-H2 sans toutefois affecter le prix des IPP, ignore le fait que la fixation des prix résulte de la réglementation étatique et que l’évolution différente des prix d’un groupe de produits en comparaison avec ceux d’autres produits reflète la politique gouvernementale, celle-ci pouvant varier d’un pays à l’autre.

121    En réponse à l’argument de la Commission, visé au considérant 424 de la décision attaquée, selon lequel l’introduction de la ranitidine aurait fortement influencé l’activité promotionnelle dans le secteur des anti-H2, et non dans celui des IPP, les requérantes contestent que l’activité promotionnelle liée aux IPP n’ait pas augmenté lors de l’introduction de ce générique. Alors qu’elle aurait été généralement en diminution, l’activité promotionnelle liée au Losec, ainsi qu’aux autres IPP (lansoprazole et pantoprazole), aurait, selon elles, augmenté lors de l’introduction du générique ranitidine. Les requérantes font observer, par ailleurs, qu’un incident isolé dans le temps concernant l’activité promotionnelle ne saurait être considéré comme représentant une situation qui s’est appliquée pendant toute la période concernée par les prétendus abus, comprise entre 1993 et 2000. À cet égard, elles indiquent que l’activité promotionnelle des anti-H2 a fortement augmenté au moment de l’entrée sur le marché de l’IPP lansoprazole, en juin 1993, mais a décliné au moment de l’entrée sur le marché de l’IPP pantoprazole en septembre 1994. Cela indiquerait que les stratégies promotionnelles ne répondaient pas uniquement à des événements isolés sur le marché. Pendant une grande partie de la période en cause, l’activité promotionnelle des anti-H2 aurait été importante afin de faire concurrence à la nouvelle technologie des IPP. Les requérantes font valoir, en outre, que les événements qui ont accompagné l’introduction du générique ranitidine en août 1995 présentaient une valeur probante limitée aux fins de l’identification des marchés de produits pertinents durant la période comprise entre 1993 et 2000. La Commission elle-même aurait admis que ces événements ne confirmeraient l’existence d’un marché distinct des IPP en Allemagne qu’en ce qui concerne le mois d’août 1995.

122    S’agissant du troisième événement, relatif au lancement de l’oméprazole générique en Allemagne en avril 1999, les requérantes estiment qu’est sans fondement la conclusion de la Commission, présentée au considérant 425 de la décision attaquée, selon laquelle l’effet important du lancement de l’oméprazole générique sur le volume des ventes et la part de marché du Losec démontrerait que ce dernier ne subissait pas de contrainte aussi importante de la part des anti-H2. Les requérantes font valoir que le fait que, en avril 1999, le Losec subissait surtout une contrainte de la part de l’oméprazole générique ne signifie pas qu’il ne subissait aucune contrainte concurrentielle de la part des anti-H2, tant à ce moment que pendant une période antérieure ou postérieure.

123    Concernant le Royaume-Uni, les requérantes considèrent qu’il est impossible, sur la base des informations générales contenues dans le tableau 16 de l’annexe de la décision attaquée, de prouver le bien-fondé des affirmations de la Commission, visées aux considérants 452 à 456 de la décision attaquée, selon lesquelles les ventes de Losec seraient demeurées inchangées et son prix aurait augmenté malgré l’introduction du générique ranitidine meilleur marché, en janvier 1997. Il résulterait du graphique 7 du rapport Lexecon que, lors de l’entrée sur le marché du Royaume-Uni du générique ranitidine, le total des ventes de Losec et des autres IPP avait diminué, et ce alors que la tendance de ces ventes était généralement à la hausse.

124    Enfin, les requérantes reprochent à la Commission le caractère limité de son appréciation empirique aux fins de la définition du marché. La Commission aurait principalement fondé ses conclusions sur une analyse de corrélation soumise par une plaignante, dont elle aurait reconnu l’utilité limitée, et une analyse anecdotique des caractéristiques du marché. Par contraste, les requérantes estiment qu’il convenait de traiter la question de la définition du marché sur la base de quatre sources de preuves distinctes et complémentaires. Premièrement, les preuves apportées par les experts médicaux démontreraient que les médecins avaient considéré seulement progressivement les molécules en cause comme des produits thérapeutiques substituables. Deuxièmement, les documents de stratégie internes refléteraient les relations de concurrence entre les anti-H2, qui auraient constitué la thérapie en place dont les prescripteurs étaient satisfaits, et l’oméprazole. Troisièmement, le rapport d’IMS Health, qui aurait étudié l’évolution des pratiques de prescription dans le temps, montrerait que les IPP et les anti-H2 étaient prescrits pour les mêmes microdiagnostics et que les modes d’utilisation étaient très peu différenciés. Selon les requérantes, si la tendance générale a été, dans tous les pays, de prescrire relativement plus d’IPP au fil du temps, le déclin relatif des anti-H2 n’a été que progressif. Quatrièmement, les requérantes auraient effectué une analyse économétrique concernant l’Allemagne et le Royaume-Uni, dont les résultats auraient concordé avec ceux des trois autres sources de preuves.

b)     Arguments de la Commission

125    La Commission conteste successivement les arguments des requérantes et de l’EFPIA, tirés des incohérences et des erreurs qu’elle aurait commises. Ainsi, s’agissant, tout d’abord, des caractéristiques des produits sur lesquelles elle se serait excessivement fondée, la Commission allègue qu’elle n’a pas considéré les différences de mode d’action des médicaments comme un facteur décisif ou pertinent en soi. Le mode d’action des IPP aurait été identifié comme déterminant l’efficacité thérapeutique des IPP par rapport aux anti-H2 et aurait permis d’expliquer les prix ainsi que les chiffres de vente. La Commission considère, par conséquent, que les requérantes ne sont pas fondées à faire valoir qu’elle s’est appuyée sur la description des caractéristiques thérapeutiques, au lieu d’apprécier la façon dont ces caractéristiques influent sur le choix des décideurs.

126    S’agissant de l’argument de l’EFPIA tiré de la prétendue incohérence de la décision attaquée par rapport à la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, cette dernière fait observer, premièrement, que la légalité d’une décision ne s’apprécie pas par rapport à la pratique décisionnelle antérieure. Deuxièmement, en tout état de cause, elle conteste qu’elle se soit contredite. En effet, en l’espèce, la Commission aurait constaté que le troisième niveau de l’ATC ne reflétait pas la réalité du marché, dans la mesure où celui-ci n’aurait répertorié, dans la classe A2B, que les ulcères peptiques, qui n’auraient représenté qu’une partie décroissante des affections gastro-intestinales liées à l’hyperacidité pour lesquelles les IPP auraient été utilisés, et aurait exclu les reflux et la dyspepsie. Les différences entre les propriétés physiques, techniques ou chimiques des IPP et des anti-H2 auraient ainsi été pertinentes, car les différences de modes d’action entre les IPP et les anti-H2 auraient expliqué l’efficacité supérieure des premiers, l’expansion considérable de leurs ventes et la substituabilité limitée entre ces deux produits. La Commission fait en outre valoir que les autorités de concurrence américaines ont défini des marchés de produits pharmaceutiques au-dessous du troisième niveau de l’ACT, par référence à des modes d’action ou à des molécules individuelles.

127    S’agissant, ensuite, de l’importance prétendument injustifiée accordée aux résultats fondés sur les prix, la Commission relève que, en présence de produits différenciés, les ventes en valeur constituent le meilleur indicateur de la position et de la puissance relative de chaque fournisseur, un calcul fondé uniquement sur les volumes n’étant pas susceptible de refléter les différences quant aux délais de guérison ou les différences thérapeutiques non temporelles entre les produits, telles que les taux de réussite plus élevés. En outre, la mesure des ventes en valeur tiendrait compte à la fois du volume, qui tend à être moins élevé par patient pour les IPP que pour les anti-H2, et du prix, qui est généralement plus élevé pour les IPP en raison de leur efficacité. La Commission précise que le degré relativement faible de sensibilité aux prix manifesté par les décideurs du côté de la demande n’affecte pas ces considérations, dans la mesure où, d’une part, la mesure des caractéristiques de vente et celle de l’élasticité des prix sont des éléments distincts, les caractéristiques de vente reflétant les éléments non tarifaires, en ce qu’ils permettent d’évaluer les réactions du marché aux mérites variables de produits différenciés, et, d’autre part, le processus de négociation des prix est fortement influencé par des facteurs de différenciation entre divers médicaments tant en ce qui concerne leur valeur thérapeutique que leur rapport coût/efficacité. Elle fait valoir, en outre, que, même si les données relatives aux ventes en volume devaient être prises en considération, des tendances de la demande analogues à celles qui ressortent des données en valeur se dégageraient des données en volume, quoique de manière moins prononcée (considérant 394 de la décision attaquée).

128    La Commission conteste l’argument de l’EFPIA selon lequel elle n’aurait pas mené d’analyse indépendante de l’évolution des prix et des ventes. Elle se serait fondée sur les données contenues dans le rapport d’IMS Health et en aurait retenu une interprétation qui diverge de celle des requérantes. Elle rejette également l’allégation selon laquelle elle aurait procédé à une utilisation sélective de ces données et fait valoir que la conclusion d’IMS Health, selon laquelle les IPP et les anti-H2 étaient prescrits pour tous les microdiagnostics importants au cours de la période considérée, a été replacée dans son contexte, caractérisé par une substitution à sens unique, l’expansion des ventes globales et le repositionnement des anti-H2 vers les affections gastro-intestinales plus bénignes.

129    En ce qui concerne l’importance prétendument excessive accordée à l’étude de corrélation de Charles River associates (CRA), la Commission fait observer que cette étude a été considérée, au considérant 407 de la décision attaquée, comme une source de preuve subsidiaire. Elle indique que les corrélations de prix entre des produits composés respectivement de la même substance active, de substances actives différentes, mais de même classe, et de substances actives différentes et de classes différentes s’appuient non seulement sur l’étude de CRA, mais aussi sur le rapport Lexecon. Par ailleurs, cette mention interviendrait dans l’analyse du processus de fixation des prix et tendrait à confirmer sa constatation selon laquelle l’efficacité thérapeutique et le rapport coût/efficacité de médicaments différents sont des facteurs décisifs pour déterminer le pouvoir de négociation relatif d’entreprises engagées dans des négociations de prix avec les organisations d’achat nationales. La Commission ajoute que les autres références à l’étude de corrélation de CRA étaient opérées de manière prudente, aux fins de constater que, à première vue, il n’y avait pas de substitution matérielle entre les IPP et les anti-H2.

130    En ce qui concerne l’importance prétendument injustifiée attachée aux niveaux de prix absolus, la Commission indique que les spécificités des marchés des produits pharmaceutiques européens ne se prêtent pas à une approche consistant à tester les consommateurs aux variations des prix relatifs. Dans la décision attaquée, la Commission aurait opéré des constatations relatives aux prix dans des relations concurrentielles différentes. Dans le cas de produits qui possèdent la même substance active (l’oméprazole d’AZ et l’oméprazole générique), la concurrence par les prix serait intense. En revanche, en ce qui concerne la relation entre des substances actives différentes présentant d’importantes différences en termes d’efficacité thérapeutique (telles que les IPP et les anti-H2), les variations des prix relatifs auraient une pertinence très limitée. Ainsi, au vu des spécificités du secteur, les différences de prix absolus auraient fourni des indications significatives sur les contraintes concurrentielles, dans la mesure où les entreprises proposant une catégorie supérieure de produits en termes d’efficacité thérapeutique sont normalement en mesure de négocier des prix plus élevés avec les organisations d’achat.

131    À cet égard, la Commission conteste l’approche de l’EFPIA consistant à considérer que les prix ne représentent pas un paramètre pertinent de la concurrence dans la mesure où les entreprises ne fixent pas les prix comme sur un marché normal et que les médecins ne sont pas très sensibles aux prix. Elle expose que le prix reflète l’interaction entre divers éléments, tels que la valeur ajoutée des nouveaux médicaments, les négociations avec les organisations d’achat, les décisions commerciales des entreprises en matière de fixation des prix dans les systèmes qui les autorisent à fixer librement les prix (tels que les systèmes de prix de référence), les règles nationales sur la substitution thérapeutique ou l’introduction de nouveaux médicaments.

132    En effet, eu égard au fait que l’innovation constituerait un élément concurrentiel déterminant dans le secteur pharmaceutique, l’efficacité supérieure d’un médicament résultant de l’innovation se refléterait généralement dans l’acceptation par les organisations d’achat de prix plus élevés que ceux négociés pour les produits moins innovants déjà présents sur le marché. Compte tenu de ce que l’entreprise pharmaceutique n’est pas obligée d’introduire son produit nouveau sur le marché d’un pays donné, l’obtention de prix maximaux ou de niveaux de remboursement plus élevés que pour les produits existants tendrait à confirmer la supériorité thérapeutique d’un produit innovant et à indiquer que les médicaments en place n’exercent pas de contraintes suffisantes pour permettre à l’organisation d’achat de maintenir les prix aux niveaux préexistants. De même, le maintien ou l’augmentation au fil du temps des différences entre les niveaux de remboursement, les prix maximaux acceptés ou les prix réellement appliqués sur le marché tendraient à confirmer que le produit innovant n’est pas soumis à des contraintes importantes. Selon la Commission, la présence ou l’absence de contraintes concurrentielles exercées par d’autres médicaments et leurs incidences sur les négociations de prix seraient des éléments pertinents pour les perspectives commerciales des entreprises pharmaceutiques et constitueraient, dès lors, des facteurs décisifs pour la définition du marché de produits.

133    La Commission affirme que l’offre et la demande jouent un rôle dans le processus de fixation des prix, dans la mesure où le prix fixé est normalement fonction de la volonté de payer de l’organisation d’achat, qui dépendra de sa capacité de payer et de la valeur qu’elle accorde au médicament en termes d’efficacité thérapeutique et d’innovation, et de la volonté de fournir de l’entreprise pharmaceutique. Le fait que les politiques publiques varient selon le pays ou la période considérés ne retirerait pas toute pertinence au prix, dès lors qu’il serait constant que la plus grande efficacité pharmaceutique par rapport aux produits existants constituerait invariablement un facteur pertinent dans les négociations. Elle ajoute que le fait que le prix du Losec ait été beaucoup plus sensible à l’entrée sur le marché de médicaments fondés sur des molécules similaires ou identiques qu’il ne l’était à l’égard de médicaments inférieurs, tels que les anti-H2, loin d’être dû à un exercice arbitraire du pouvoir de régulation, corroborerait cette thèse.

134    La Commission conteste l’affirmation de l’EFPIA selon laquelle les fabricants ne seraient pas libres de fixer les prix de leurs médicaments et indique que, parmi les pays pris en considération, la tarification libre est utilisée au Royaume-Uni, seuls des prix maximaux sont fixés en Belgique et cinq États appliquent des systèmes de prix de référence, dans le cadre desquels les entreprises pharmaceutiques sont libres de fixer des prix supérieurs au niveau de remboursement. La Commission considère, par ailleurs, que le fait que les prix convenus avec les organisations d’achat étaient supraconcurrentiels est étayé par la circonstance que le prix du Losec et des autres IPP a nettement diminué après l’introduction de l’oméprazole générique en Allemagne en 1999.

135    La Commission ajoute que, s’il est constant que le prix n’a pas une incidence importante sur les pratiques de prescription des médecins, ceux-ci étant principalement guidés par des considérations thérapeutiques, le prix influence considérablement les revenus provenant de la consommation. Dès lors, les contraintes exercées sur le comportement commercial d’un fabricant d’IPP devraient être évaluées non seulement par rapport à la question de savoir si les anti-H2 ont fait baisser les ventes, mais également par rapport à la question de savoir s’ils ont fait baisser les prix.

136    S’agissant de l’argument des requérantes, tiré de ce que le coût général de traitement par les IPP serait moins élevé en raison du fait que celui-ci serait plus court, la Commission considère que celui-ci procède d’une « quantification simpliste » du rapport coût/efficacité des IPP et des anti-H2. Elle fait observer, à cet égard, que cet argument ne prend en compte qu’un seul paramètre, à savoir le temps de guérison, et ce pour le traitement d’une seule des affections pour lesquelles le Losec a été autorisé, l’ulcère à l’estomac. De plus, cet argument ignorerait la circonstance selon laquelle les IPP sont sensiblement supérieurs aux anti-H2 en termes de taux de guérison, d’atténuation des symptômes et de prévention des rechutes, et que les IPP et les anti-H2 étaient considérés comme occupant des positions différentes dans la hiérarchie des traitements. [confidentiel(1)]

137    Par ailleurs, le lancement d’un nouveau médicament de qualité supérieure serait susceptible d’engendrer un volume considérable de ventes supplémentaires dans les cas où les traitements disponibles n’étaient pas utilisés et du fait de l’utilisation du nouveau médicament en combinaison avec le produit préexistant. À cet égard, les ventes combinées d’anti-H2 et d’IPP dans les pays en cause auraient augmenté de plus de 50 % entre 1993 et 1999, tandis que rien n’indiquerait que les affections correspondantes aient augmenté dans une proportion similaire. Il serait donc probable que la mise sur le marché des IPP se soit accompagnée d’une augmentation du coût absolu du traitement des affections gastro-intestinales liées à l’hyperacidité.

138    En outre, la Commission fait observer que, durant la procédure orale, les requérantes n’ont pas contesté que les IPP aient été plus chers que les anti-H2. En tout état de cause, il n’y aurait pas lieu de procéder à l’ajustement proposé par les requérantes, dès lors que la supériorité thérapeutique des IPP a permis d’obtenir des prix absolus par unité plus élevés, d’une part, et a conduit les médecins à en prescrire de plus en plus, d’autre part. Ainsi, l’ajustement des prix en raison de la supériorité thérapeutique des IPP reviendrait à ignorer le facteur qui a soustrait les IPP à la concurrence des anti-H2.

139    En ce qui concerne l’interprétation prétendument incorrecte de l’importance des « événements naturels », la Commission relève qu’il est nécessaire que l’événement examiné soit isolé et analysé dans un contexte relativement stable. Elle considère que les requérantes seraient mal fondées à soutenir qu’elle se serait appuyée sur des événements isolés observés dans deux pays pour définir le marché entre 1993 et 2000 dans sept pays. En effet, l’analyse des événements réalisée par la Commission compléterait et confirmerait des constatations relatives à un large éventail de facteurs, tels que les caractéristiques du produit, les ventes et les caractéristiques de substitution et de prix au cours des années considérées. La Commission considère, en outre, que même pris isolément, les « événements naturels » identifiés en Allemagne et au Royaume-Uni constituent en eux-mêmes des preuves solides de ce que les anti-H2 n’exerçaient pas de contrainte concurrentielle importante sur les IPP. La Commission ajoute que le rapport Lexecon n’a pas répondu à ses doutes relatifs à l’autocorrélation, la spécification du modèle qui suppose que les anti-H2 et les IPP appartiennent au même marché, et au « cellophane fallacy ». De plus, les conclusions du rapport Lexecon ne seraient pas incompatibles avec l’existence d’un marché distinct pour les IPP en Allemagne et au Royaume-Uni, qui ne serait pas contesté par les requérantes. En réponse à l’argument selon lequel elle n’aurait pas procédé à sa propre analyse économétrique, la Commission fait valoir que son analyse s’appuie sur de nombreux éléments contenus dans le dossier. Elle relève toutefois que les particularités du marché rendent difficile d’appliquer des modèles économétriques standard de substitution de la demande.

140    La Commission fait également observer que les requérantes n’identifient pas les événements simultanés spécifiques devant être pris en considération pour interpréter les événements recensés par la Commission sur les marchés du Royaume-Uni et allemand. Elle conteste, par ailleurs, que son appréciation ne soit pas fondée sur des données factuelles détaillées, celle-ci reposant notamment sur les données d’IMS Health concernant la demande et les prix des produits concernés, ainsi que sur les données fournies par AZ elle-même lors de la réponse à la communication des griefs.

141    La Commission aborde ensuite successivement les « événements naturels » analysés dans la décision attaquée. S’agissant, tout d’abord, de l’entrée du pantoprazole sur le marché en Allemagne en 1994, elle note que le déclin supplémentaire de la part de marché des anti-H2 après le lancement du pantoprazole indique que les IPP ont gagné des ventes au détriment des anti-H2 et ont bénéficié d’importantes ventes d’expansion. Selon la Commission, si cette évolution indique que les IPP ont exercé une contrainte concurrentielle considérable sur les anti-H2 à cette époque, elle ne démontre pas que l’inverse est également vrai.

142    S’agissant de l’entrée du générique ranitidine sur le marché allemand en 1995, la Commission conteste que les ventes de Losec aient souffert de l’introduction de ce produit générique tandis que les ventes d’autres IPP ont cessé d’augmenter pendant un certain temps et fait observer que les chiffres de Lexecon sont fondés sur le volume. Elle souligne que les requérantes n’expliquent pas la raison pour laquelle, en l’espèce, les ventes en valeur ne constitueraient pas un indicateur plus approprié pour des produits différenciés. En valeur, les ventes d’IPP, en pourcentage des ventes combinées d’IPP et d’anti-H2, auraient continué leur progression, passant de 32 % en 1994 à 42 % en 1995, à 57 % en 1996 et à 67 % en 1997 (tableau 16 annexé à la décision attaquée ; la Commission se réfère également à l’évolution des ventes d’IPP en valeur absolue, présentée au tableau 11 de cette annexe). En tout état de cause, les chiffres de vente annuels en volume ne corroboreraient pas l’argument des requérantes, dès lors qu’il résulterait du tableau 19 annexé à la décision attaquée qu’il y a eu, en Allemagne, une baisse ininterrompue des ventes annuelles en volume des traitements par anti-H2 entre 1994 et 1997 et une hausse ininterrompue des ventes annuelles en volume d’IPP pendant la même période. S’agissant de l’argument de l’EFPIA tiré de ce que l’introduction de la ranitidine générique en Allemagne en 1995 aurait entraîné une baisse de la part de marché en volume du Losec, la Commission relève que seule est pertinente la comparaison entre les anti-H2 et les IPP et non la comparaison entre les anti-H2 et le Losec seulement.

143    La Commission considère qu’il ne peut être conclu, sur la base des graphiques 5 et 6 du rapport Lexecon, que le nombre de visites promotionnelles chez les médecins liées au Losec était en train de décroître. Elle note que le graphique 5 de ce rapport indique que le nombre de visites promotionnelles chez les médecins liées aux anti-H2 a plus que doublé aux alentours de la période d’introduction du générique ranitidine, pour redescendre ensuite à son niveau antérieur. Ainsi, la conclusion qu’elle a tirée au considérant 424 de la décision attaquée serait valide. Par ailleurs, la Commission fait valoir que l’analyse des « événements naturels » qu’elle a réalisée s’est concentrée sur certains événements identifiables ayant engendré des effets substantiels et observables pendant une courte période. Ainsi, la décision attaquée ne tiendrait compte que de l’événement spécifique de l’introduction du générique ranitidine en Allemagne, car c’est le seul qui présenterait un lien clair avec le nombre de visites promotionnelles chez les médecins.

144    S’agissant de l’entrée du générique oméprazole sur le marché allemand en 1999, la Commission expose que l’impact de l’oméprazole générique sur les ventes et le prix du Losec est à interpréter en conjonction avec l’absence manifeste d’effets de l’introduction du générique ranitidine sur les prix et les ventes des IPP. L’argument selon lequel l’identification du substitut le plus proche d’un produit donné n’exclut pas l’existence d’autres substituts proches ne permettrait pas aux requérantes de réfuter sa conclusion selon laquelle les anti-H2 n’exerceraient pas de contrainte concurrentielle suffisante en Allemagne pour appartenir au même marché que les IPP.

145    S’agissant de l’entrée du générique ranitidine sur le marché au Royaume-Uni en 1997, la Commission indique que le tableau 16 annexé à la décision attaquée révèle que les ventes d’IPP, exprimées en pourcentage des ventes combinées d’IPP et d’anti-H2, ont continué d’augmenter au Royaume-Uni à partir de 1997, malgré l’introduction d’anti-H2 génériques le 1er janvier de cette année. Les tableaux 30 et 37 annexés à la décision attaquée montreraient en outre que les ventes et les prix du Losec ont augmenté en 1997. Selon la Commission, même à retenir les informations relatives aux ventes en volume, il ne serait pas possible de déduire du graphique 7 du rapport Lexecon que les ventes de Losec avaient considérablement baissé lors de l’introduction du générique ranitidine sur le marché du Royaume-Uni, le recul des ventes de Losec n’étant pas extraordinaire par rapport aux variations globales des ventes en volume mesurées sur une base mensuelle. De plus, les ventes en volume des autres IPP auraient continué à progresser sans interruption.

146    La Commission estime que l’affirmation des requérantes, selon laquelle elle aurait procédé à un examen empirique trop limité, est infondée et que la liste des preuves qu’elles ont produites ne modifie pas les considérations exposées ci-dessus. Elle conteste par ailleurs la conclusion des requérantes et fait observer qu’il est indifférent que les ventes d’anti-H2 étaient encore importantes à la fin de la période considérée, dans la mesure où l’existence d’un marché distinct n’est pas conditionnée par le fait que les ventes d’une catégorie de produits soient devenues très faibles.

c)     Appréciation du Tribunal

147    Les griefs formulés par les requérantes et l’EFPIA peuvent essentiellement être regroupés autour de trois questions relatives, respectivement, à une prise en compte insuffisante de l’usage thérapeutique, à une attention excessive accordée aux indicateurs de prix et au poids excessif accordé aux « événements naturels ». Ceux-ci seront examinés successivement ci-après.

 Sur la prise en compte de l’usage thérapeutique des produits en cause

148    Les requérantes et l’EFPIA font valoir, en substance, que la Commission s’est excessivement fondée sur la description des caractéristiques thérapeutiques des produits, sans tenir compte des usages thérapeutiques des produits en cause, qui seraient, selon elles, identiques.

149    Il convient d’observer, à cet égard, que, aux considérants 373 à 379 de la décision attaquée, la Commission a commencé son analyse de la définition du marché en constatant, en premier lieu, que les IPP et les anti-H2 présentaient des différences importantes en termes de mode d’action. La Commission a ainsi relevé que, en raison de leur mode d’action unique consistant à agir directement sur la pompe à proton qui est responsable de l’acidité, les IPP étaient supérieurs aux anti-H2 sur le plan thérapeutique. Quoiqu’elle ait considéré le mode d’action comme constituant la caractéristique essentielle du produit, elle a pris soin de préciser, au considérant 378 de la décision attaquée, que ce facteur ne suffisait pas, à lui seul, à établir l’existence d’un marché distinct.

150    La Commission s’est ainsi, en deuxième lieu, concentrée sur les usages thérapeutiques des IPP et des anti-H2. Au considérant 382 de la décision attaquée, elle a relevé que, dans de nombreux cas d’ulcères peptiques, d’ulcères consécutifs aux anti-inflammatoires non stéroïdiens, de syndromes Zollinger-Ellison, de reflux gastro-œsophagiens et de dyspepsies, les IPP étaient considérés comme le seul remède efficace en termes de soulagement des symptômes, de guérison et de prévention des rechutes à long terme. La Commission a également constaté, aux considérants 384 et 490 de la décision attaquée, que le Losec avait exercé une pression concurrentielle importante sur les anti-H2 qui a forcé leurs producteurs à se recentrer sur les affections plus bénignes en aval, traditionnellement soignées au moyen d’antiacides et d’alginates. Ce serait notamment pour cette raison que les anti-H2 pouvaient être obtenus sans prescription durant la période considérée.

151    Ce constat a été dans une large mesure corroboré par les déclarations des experts médicaux produites par les requérantes au cours de la procédure administrative, dont il ressort, ainsi qu’il est mentionné au point 68 ci-dessus, que les IPP étaient généralement utilisés pour le traitement des formes graves des affections, tandis que les anti-H2 étaient davantage réservés au traitement des formes plus légères de celles-ci. Au considérant 389 de la décision attaquée, la Commission a ainsi considéré que la supériorité thérapeutique des IPP avait conduit à leur hiérarchisation par rapport aux anti-H2, ces produits étant utilisés aux différents stades des traitements, selon leur allégement ou leur intensification.

152    Par conséquent, il ressort sans ambiguïté de la décision attaquée que la Commission ne s’est pas limitée à constater les caractéristiques thérapeutiques des produits aux fins de définir le marché. Bien au contraire, le mode d’action des IPP n’a été considéré comme un élément essentiel que dans la mesure où il déterminait la supériorité thérapeutique des IPP sur les anti-H2. Cette supériorité thérapeutique a ensuite été considérée comme constituant un élément déterminant la différence dans les usages thérapeutiques respectifs des IPP et des anti-H2 et, partant, la relation entre ces produits en termes de substituabilité fonctionnelle.

153    Dès lors, si, ainsi que cela ressort de la pratique décisionnelle de la Commission visée au point 108 ci-dessus, les requérantes sont fondées à faire observer qu’il y a lieu de prendre en compte les différences dans les modes d’action entre médicaments lorsque ceux-ci donnent lieu à des usages thérapeutiques différents et de les ignorer lorsque les médicaments en cause ont un usage thérapeutique similaire, elles ne sauraient prétendre que la Commission n’a pas pris l’usage thérapeutique en considération en l’espèce. Il ressort de la décision attaquée que la Commission a dûment tenu compte de ces usages thérapeutiques dans le cadre de son analyse.

154    En ce qui concerne le grief tiré de ce que la Commission s’est écartée de sa pratique décisionnelle consistant à prendre en compte le troisième niveau de l’ATC aux fins de la définition du marché, il convient tout d’abord de relever qu’il ressort du considérant 371 de la décision attaquée que le système de l’ATC classe les produits pharmaceutiques en différents groupes, selon les organes ou les systèmes sur lesquels ils agissent et selon leurs propriétés chimiques, pharmacologiques et thérapeutiques, et les répartit en cinq niveaux différents. Le troisième niveau de l’ATC regroupe les produits pharmaceutiques selon leurs indications thérapeutiques, le quatrième niveau de l’ATC prend normalement en considération le mode d’action et le cinquième niveau définit les classes les plus étroites, comprenant les substances actives prises individuellement. La Commission a indiqué dans la décision attaquée que, en matière de définition du marché, l’analyse commençait généralement à partir du troisième niveau de l’ATC. Toutefois, elle a ajouté que les autres niveaux de l’ATC étaient également pris en considération lorsqu’il apparaît que des contraintes concurrentielles suffisamment fortes s’exercent à d’autres niveaux de l’ATC et que, par conséquent, le troisième niveau de l’ATC ne semble pas permettre une définition du marché correcte.

155    Il ressort du considérant 372 de la décision attaquée que, aux fins de la présente affaire, la Commission n’a pas tenu compte du troisième niveau de l’ATC, dans la mesure où la classe A02B ne regroupait que les médicaments destinés aux traitements des ulcères peptiques et ne comprenait pas ceux destinés au traitement de deux des trois principales affections gastro-intestinales liées à l’hyperacidité, les reflux gastro-œsophagiens et la dyspepsie. Or, l’EFPIA n’avance aucun argument remettant en cause le bien-fondé de l’appréciation de la Commission sur ce point. Il convient en outre de relever que la prise en compte du niveau de l’ATC dans lequel les médicaments se situent n’a constitué qu’une étape préalable de l’analyse de la Commission.

156     Le grief tiré de ce que la Commission aurait, à tort, attaché une trop grande importance aux caractéristiques des produits sans tenir compte de l’usage thérapeutique de ceux-ci doit, par conséquent, être rejeté.

 Sur l’importance accordée aux indicateurs de prix

157    Les requérantes et l’EFPIA considèrent que la Commission a commis des erreurs manifestes dans l’appréciation des facteurs relatifs aux prix aux fins de la définition du marché en cause.

158    Aux fins d’apprécier les arguments des requérantes et de l’EFPIA, il convient de rappeler le cadre réglementaire du secteur pharmaceutique, tel qu’il ressort des constatations non contestées figurant dans la décision attaquée.

159    Dans la décision attaquée, la Commission a relevé que, en ce qui concerne les médicaments remboursés par les pouvoirs publics, les prix étaient influencés par les autorités publiques selon deux systèmes, qui sont parfois combinés dans certains pays. Dans le premier système, les autorités publiques négocient un prix remboursable avec les producteurs ou le fixent de manière unilatérale sur la base des informations communiquées par les producteurs. Les facteurs pris en compte par les pouvoirs publics incluent la valeur ajoutée sur le plan thérapeutique, le rapport coût-efficacité, les prix de produits identiques ou similaires sur le marché intérieur ou sur les marchés étrangers, ainsi que les coûts de recherche et développement supportés par les fabricants (considérants 118 et 120 de la décision attaquée). La Commission a relevé, à cet égard, que la capacité d’une entreprise à obtenir des prix élevés est d’autant plus grande que son produit est nécessaire pour soigner adéquatement certaines affections (considérant 365 de la décision attaquée).

160    Dans le second système, le prix remboursable est fixé selon un prix de référence, établi, pour chaque groupe de produits ayant un effet thérapeutique similaire, sur la base du prix relativement faible de l’un ou de plusieurs produits de ce groupe. Le prix de référence constitue le niveau de remboursement maximal pour tous les produits de la catégorie de référence, les producteurs étant libres de fixer des prix supérieurs, auquel cas les patients doivent supporter le coût supplémentaire. En réponse aux questions posées par le Tribunal, la Commission a confirmé que ce système n’était normalement appliqué qu’aux produits pour lesquels une version générique existait. Il peut également être accompagné d’un mécanisme de substitution, qui permet aux pharmacies de, ou les oblige à, remplacer le produit prescrit par le médecin par des équivalents génériques moins chers (considérants 118 et 119 de la décision attaquée).

161    L’analyse des systèmes prévalant en Allemagne, en Belgique, au Danemark, en Norvège, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Suède a conduit la Commission à considérer que le pouvoir de négociation des entreprises pharmaceutiques dépendait significativement de la valeur ajoutée et de l’efficacité de leurs produits par rapport aux autres produits sur le marché. En effet, les produits opérant une percée innovante et offrant des avantages significatifs sur les produits existants sont généralement en mesure de se voir conférer un prix supérieur de la part des autorités publiques (considérant 128 de la décision attaquée). La Commission a relevé que, en Allemagne et au Danemark (depuis 1995), aux Pays-Bas (jusqu’en 1996), au Royaume-Uni et en Suède, les producteurs étaient autorisés à fixer les prix librement pour leurs produits remboursables. Toutefois, les producteurs fixent rarement leurs prix au-delà du niveau de remboursement fixé par les autorités publiques, dans la mesure où la demande devient plus élastique lorsque les patients doivent supporter le montant excédant la partie du prix qui est remboursée. Dans le système du prix de référence, le producteur du médicament original qui n’aligne pas son prix à la baisse sur le prix de référence établi à la suite de l’entrée sur le marché d’un produit générique peut connaître d’importantes pertes de parts de marché (considérant 129 de la décision attaquée).

162    En l’espèce, la Commission a relevé que les prix des IPP avaient été, dans l’ensemble, entre 1991 et 2000, significativement plus élevés que ceux des anti-H2 (considérant 401 de la décision attaquée).

163    En premier lieu, le Tribunal observe qu’il ressort des constatations effectuées par la Commission à l’égard des systèmes réglementaires en vertu desquels les autorités publiques influencent ou déterminent les prix que le prix d’un produit pharmaceutique nouveau dépend dans une large mesure de la perception par les autorités publiques de sa valeur thérapeutique relative, en comparaison avec les produits existants. Lorsqu’un produit nouveau présente une valeur ajoutée sur le plan thérapeutique, l’organisme national tendra à lui accorder un niveau de remboursement ou un prix de vente maximal, selon le système en vigueur dans l’État considéré, significativement supérieur à ceux des produits pharmaceutiques existants dont la valeur thérapeutique est moindre.

164    Cette considération rejoint en outre ce qu’a retenu la Commission. En effet, au considérant 369 de la décision attaquée, elle a relevé que les avantages thérapeutiques et le rapport coût/efficacité des IPP avaient constitué des éléments clés dans la capacité de l’entreprise pharmaceutique à négocier des prix relativement élevés avec les autorités nationales. De même, au considérant 385 de la décision attaquée, elle a constaté que la circonstance que le prix obtenu par AZ pour le Losec était supérieur au prix des anti-H2 démontrait que les autorités publiques avaient perçu les IPP comme étant supérieurs sur le plan thérapeutique.

165    Le Tribunal considère ainsi que la différence entre les prix absolus des IPP et des anti-H2 reflète dans une large mesure la perception par les autorités publiques d’un élément d’ores et déjà pris en considération par la Commission aux fins de la définition du marché, à savoir la plus grande efficacité thérapeutique des IPP par rapport aux anti-H2.

166    En second lieu, il convient de relever, ainsi que cela ressort du paragraphe 39 de la communication sur la définition du marché, que la similitude, voire la convergence, entre les niveaux de prix peut revêtir une pertinence aux fins de la définition du marché de produits en cause, dans la mesure où une divergence importante des prix entre deux produits est susceptible de se manifester en l’absence de contrainte concurrentielle exercée par le produit meilleur marché.

167    Les requérantes et l’EFPIA prétendent que l’écart entre les prix ne revêt aucune pertinence en l’espèce dans la mesure où les prix ne résultent pas d’une interaction concurrentielle normale, mais sont fortement influencés par les autorités publiques. Compte tenu de cet argument, il convient d’examiner si la circonstance que les interactions concurrentielles sur la base des prix entre les anti-H2 et les IPP sont déterminées par les pouvoirs publics et les systèmes réglementaires nationaux en vigueur retire toute pertinence aux différences entre les prix absolus des IPP et des anti-H2.

168    À cet égard, il y a lieu d’observer qu’il ressort des constatations opérées par la Commission à propos des cadres réglementaires nationaux présidant à l’établissement des prix que, durant la période en cause, les entreprises étaient libres de fixer leurs prix en Allemagne, au Danemark, en Norvège, aux Pays-Bas jusqu’en 1996, en Suède et, pour autant que l’encadrement des profits convenu avec les autorités publiques le permettait, au Royaume-Uni. En Belgique, où un système de prix maximaux était en vigueur jusqu’en 2001, et aux Pays-Bas, où un système de prix de gros maximaux fut institué en 1996, la liberté des entreprises pharmaceutiques de fixer les prix était limitée. Par ailleurs, au Royaume-Uni, les autorités publiques fixaient également les prix des produits génériques remboursables (considérants 121 à 129 de la décision attaquée).

169    Il résulte de ces observations que les prix des produits pharmaceutiques étaient susceptibles d’être établis au-dessus des niveaux de remboursement accordés par les autorités publiques, là où la demande tend à devenir plus élastique. Toutefois, aucun élément dans la décision attaquée ne permet de déterminer si, et dans quelle mesure, les prix des IPP dans les pays considérés ont été fixés au-dessus des niveaux de remboursement.

170    Il convient, dès lors, d’examiner le bien-fondé de l’argument des requérantes, selon lequel, en l’espèce, les différences entre les prix des IPP et des anti-H2 sont dénuées de pertinence, en envisageant deux hypothèses, à savoir, premièrement, celle dans laquelle les prix des produits pharmaceutiques étaient fixés par les autorités publiques et/ou ne dépassaient pas les niveaux de remboursement fixés par les autorités publiques et, deuxièmement, celle dans laquelle les prix des produits pharmaceutiques dépassaient les niveaux de remboursement fixés par les autorités publiques.

171    Ainsi, premièrement, s’agissant de la pertinence de la différence entre les prix des IPP et des anti-H2 dans l’hypothèse où les prix des produits pharmaceutiques étaient fixés par les autorités publiques et/ou ne dépassaient pas les niveaux de remboursement, il convient d’observer, tout d’abord, qu’il ressort du considérant 130 de la décision attaquée que, si les autorités nationales ont poursuivi des politiques visant à limiter leurs dépenses de santé, les moyens utilisés visaient généralement à encourager les médecins à prescrire des produits pharmaceutiques génériques en lieu et place des versions originales de ces produits. Par ailleurs, le système de prix de référence en vigueur dans la plupart des pays en cause, qui n’était appliqué qu’en présence de la version générique d’un produit, et les mesures visant à encourager, voire à imposer, la substitution, au niveau des pharmacies, des médicaments originaux prescrits par leurs versions génériques, étaient de nature à permettre aux produits génériques, une fois qu’ils étaient introduits sur le marché, d’exercer une contrainte concurrentielle considérable sur les IPP originaux, tels que le Losec.

172    En revanche, il ne ressort pas du dossier que les systèmes réglementaires nationaux exerçaient une pression à la baisse sur les ventes ou sur le prix des IPP en raison du prix inférieur des anti-H2. En effet, il n’apparaît pas que les autorités aient généralement favorisé ou imposé la substitution des anti-H2 aux IPP au stade de la délivrance des médicaments en pharmacie. Par ailleurs, il ressort de la décision attaquée que, dans la mesure où le système du prix de référence ne s’appliquait, dans les États en cause, qu’aux produits pharmaceutiques originaux et à leurs versions génériques, les prix des IPP ou les niveaux de remboursement qui leur étaient accordés ne dépendaient aucunement des prix (inférieurs) des anti-H2.

173    Il résulte de ce qui précède que, si les systèmes réglementaires nationaux faisaient, dans une certaine mesure, obstacle à ce qu’une interaction concurrentielle normale par les prix ait lieu entre les produits pharmaceutiques, il n’en reste pas moins qu’ils étaient susceptibles d’influencer considérablement les revenus des entreprises pharmaceutiques en établissant les prix ou les niveaux de remboursement par référence aux prix des produits génériques et en favorisant ou en imposant la substitution des IPP originaux par leurs versions génériques au stade de la délivrance en pharmacie.

174    La circonstance que, en l’espèce, les systèmes réglementaires n’influençaient pas les prix ou le montant des ventes des IPP par référence aux prix inférieurs des anti-H2 conduit à la conclusion que les niveaux de remboursement accordés aux IPP faisaient dans une large mesure obstacle à ce que les prix inférieurs des anti-H2 exercent sur eux une contrainte concurrentielle. Il convient de rappeler, à cet égard, que la définition du marché en cause a pour objet de déterminer les contraintes concurrentielles qui s’exercent sur le produit à partir duquel le marché est défini. Or, le fait que l’absence ou le caractère non significatif de ces contraintes concurrentielles trouve sa cause dans le cadre réglementaire qui détermine les modalités et la mesure dans laquelle les interactions concurrentielles entre produits ont lieu n’influe pas sur la pertinence qu’il convient d’attribuer, dans le cadre d’une définition du marché, à la constatation selon laquelle ces contraintes concurrentielles sont inexistantes ou non significatives.

175    En effet, lorsqu’il est établi qu’un groupe de produits n’est pas significativement soumis aux contraintes concurrentielles d’autres produits, de sorte que ce groupe peut être considéré comme formant un marché de produits en cause, le type ou la nature des facteurs qui soustraient ce groupe de produits à toute contrainte concurrentielle significative ne revêt qu’une pertinence limitée, dès lors que le constat d’absence de telles contraintes concurrentielles permet de conclure qu’une entreprise en position dominante sur le marché ainsi défini serait en mesure d’affecter les intérêts des consommateurs sur ce marché en faisant obstacle, par un comportement abusif, au maintien d’une concurrence effective.

176    Par conséquent, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en retenant, au considérant 364 de la décision attaquée, que la fixation initiale et le maintien du prix d’une nouvelle catégorie de produits à un niveau sensiblement supérieur à celui d’autres produits utilisés dans le même domaine thérapeutique reflètent un faible degré de pression concurrentielle de la part de ces derniers produits.

177    Deuxièmement, pour autant que le prix des IPP a pu être supérieur au niveau de remboursement fixé par les autorités publiques, de telle sorte que le patient était amené à supporter cet excédent, une élasticité de la demande était susceptible d’exister, quand bien même, ainsi que le font valoir les requérantes et l’EFPIA, il ressort de l’ensemble des éléments du dossier qu’une telle élasticité aurait en tout état de cause été faible, compte tenu du rôle central des médecins dans le choix des médicaments prescrits et de l’importance attribuée à l’efficacité thérapeutique des produits dans ces choix de prescription.

178    Il convient d’ajouter, à cet égard, que le fait, non contesté, que les patients et les médecins aient une sensibilité limitée aux coûts des médicaments, même lorsque ceux-ci excèdent les niveaux de remboursement, corrobore la considération selon laquelle les anti-H2 n’exerçaient pas, par le biais de leurs prix inférieurs, une contrainte concurrentielle significative sur les IPP, ce qui était susceptible de se refléter par une différence importante entre les prix absolus de ces produits.

179    Cela étant, il y a lieu de préciser que, aux fins d’évaluer si les prix inférieurs des anti-H2 ont exercé une contrainte concurrentielle significative sur les IPP, la question de savoir si le prix des IPP excédait le niveau de remboursement ne revêt qu’une pertinence limitée, l’examen devant surtout se concentrer sur la question de savoir si la partie non remboursée du prix des IPP qui reste à la charge des patients est, ou non, supérieure à la partie non remboursée du prix des anti-H2 que les patients doivent supporter.

180    En effet, dans l’hypothèse où la partie non remboursée du prix des IPP restant à la charge des patients aurait été supérieure à la partie non remboursée du prix des anti-H2 que les patients devaient supporter, il y aurait lieu de considérer que les anti-H2 n’exerçaient pas de contrainte concurrentielle significative sur les IPP, dès lors que les patients acceptaient de supporter un coût supplémentaire lors de l’achat d’IPP.

181    Inversement, dans l’hypothèse où le coût finalement supporté par les patients lors de l’achat d’anti-H2 aurait été supérieur à celui qu’ils supportaient lors de l’achat d’IPP en raison du taux de remboursement élevé de ces derniers, il y aurait à nouveau lieu de relever, pour les motifs exposés aux points 174 et 175 ci-dessus, que la circonstance que le système réglementaire ait préservé les IPP de la contrainte concurrentielle qu’étaient susceptibles d’exercer les anti-H2 par le biais de prix inférieurs ne fait pas obstacle à la définition d’un marché de produits en cause excluant les anti-H2, cette circonstance constituant, au contraire, un élément de nature à corroborer une telle définition du marché. En effet, dans cette hypothèse, il y aurait lieu de constater que, en raison du niveau de remboursement élevé accordé aux IPP, le système réglementaire fait dans une large mesure obstacle à ce que les anti-H2 exercent une contrainte concurrentielle significative sur les IPP au moyen des prix. Or, un tel constat est pertinent aux fins de l’appréciation des contraintes concurrentielles qui s’exercent sur les IPP.

182    En tout état de cause, la Commission ne saurait affirmer, comme elle le fait au considérant 365 de la décision attaquée, que, en principe, la capacité d’une entreprise de maintenir ses prix au-dessus du niveau de remboursement, auquel la demande tend à être plus élastique, constitue en soi une preuve d’absence de contrainte concurrentielle significative, sans examiner la mesure dans laquelle le prix des autres produits potentiellement substituables est remboursé par le système national d’assurance maladie. En effet, la Commission n’a pas établi, en l’espèce, que la partie non remboursée du prix qui était supportée par le patient lors de l’achat d’anti-H2 était inférieure à celle des IPP. Cela étant, pour les motifs exposés aux points précédents, cette erreur n’affecte pas la justesse des conclusions de la Commission, qui a considéré que, pour autant que les prix excédaient les niveaux de remboursement, la supériorité des prix absolus des IPP sur ceux des anti-H2 indiquait que les anti-H2 n’exerçaient pas de contrainte concurrentielle significative sur les IPP.

183    Il découle de ce qui précède que les spécificités qui caractérisent les mécanismes de concurrence dans le secteur pharmaceutique ne retirent pas aux facteurs liés aux prix leur pertinence dans l’évaluation des contraintes concurrentielles, ces facteurs devant toutefois être appréciés dans leur contexte propre. En effet, dans le secteur pharmaceutique, les rapports de concurrence répondent à des mécanismes qui divergent de ceux qui président aux interactions concurrentielles normalement présentes dans les marchés ne connaissant pas une telle intensité réglementaire.

184    En l’espèce, la Commission a relevé que le degré de corrélation des prix des IPP et des anti-H2 était globalement peu élevé durant la période considérée. En revanche, les prix des différentes substances actives d’une même classe, telles que l’oméprazole et les produits IPP « suiveurs », qui sont ultérieurement entrés sur le marché, présentaient généralement un degré de corrélation plus élevé. Elle a constaté que le degré de corrélation le plus élevé concernait les produits qui contenaient une même substance active, telle que les substances originelles et leurs équivalents génériques (considérant 368 de la décision attaquée).

185    La Commission a constaté que c’était le prix des versions génériques de l’oméprazole qui avait eu l’impact le plus fort sur la demande d’oméprazole produit par AZ. Par ailleurs, le prix des autres IPP a également été susceptible d’influencer dans une certaine mesure la demande d’oméprazole produit par AZ. En revanche, le prix beaucoup moins élevé des anti-H2 entre 1991 et 2000 n’a pas, selon la Commission, exercé de pression concurrentielle importante sur la demande d’oméprazole ou des autres IPP, compte tenu de la tendance à la hausse des ventes d’IPP et de la tendance à la baisse ou de la stagnation des ventes d’anti-H2 (considérant 401 de la décision attaquée).

186    Le Tribunal considère que ces constatations portent sur des éléments qui ne sont pas dénués de pertinence en l’espèce et que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que ces éléments corroborent, ensemble avec les autres éléments pris en considération dans la décision attaquée, que les anti-H2 n’exerçaient pas de contrainte concurrentielle significative sur les IPP.

187    La circonstance, invoquée par les requérantes, que les facteurs non tarifaires joueraient un rôle important dans les rapports de concurrence entre produits pharmaceutiques n’est en aucune façon incompatible avec les considérations exposées ci-dessus. Ainsi qu’il a été relevé ci-dessus, les médecins étant principalement guidés, dans leurs choix de prescription, par l’effet thérapeutique des médicaments, les prix de médicaments dont les usages thérapeutiques diffèrent exercent une influence limitée sur leur niveau de consommation. En ce qu’ils déterminent les choix des médecins, les facteurs non tarifaires, tels que l’usage thérapeutique, constituent donc également, aux côtés des indicateurs fondés sur les prix, un élément pertinent aux fins de la définition du marché, qui a d’ailleurs été dûment pris en considération par la Commission, ainsi que cela a été constaté aux points 149 à 152 ci-dessus.

188    En ce qui concerne l’argument des requérantes selon lequel la Commission n’aurait pas pris en compte le coût général d’un traitement à base d’IPP, qui s’étendrait sur une période plus courte en raison de son efficacité supérieure, il y a lieu de relever que les requérantes sont fondées à faire valoir que la supériorité du coût total d’un traitement à base d’IPP sur le coût total d’un traitement à base d’anti-H2 est susceptible d’être moins importante que ce que la seule différence entre les coûts pour des traitements de 28 jours, présentés aux tableaux 1 à 7 de l’annexe de la décision attaquée, laisse apparaître à première vue.

189    Il convient toutefois d’observer que la durée d’un traitement dépend en tout état de cause fortement du type d’affection considéré et est susceptible de varier d’un patient à l’autre. Or, il ne saurait être attendu de la Commission qu’elle prenne en compte la durée effective concrète des traitements à base d’IPP et d’anti-H2, l’établissement d’une moyenne à cet égard constituant en outre un exercice potentiellement aléatoire, compte tenu, d’une part, de ce que les IPP et les anti-H2 étaient utilisés dans des proportions variables dans le cadre d’un même traitement, en fonction de l’intensification ou de l’allègement de celui-ci, et, d’autre part, qu’une telle moyenne serait susceptible de varier dans le temps, en fonction du taux d’acceptation par les médecins prescripteurs des IPP et de l’évolution des connaissances et des pratiques médicales.

190    Une quantification du rapport coût/efficacité étant susceptible de se révéler particulièrement complexe et aléatoire, il ne saurait être considéré que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en prenant en compte le prix des médicaments pour une période de traitement identique.

191    En outre, il ressort en tout état de cause des constatations opérées aux points 171 à 175, 177 et 178 ci-dessus, que les anti-H2 n’étaient pas susceptibles d’exercer une contrainte concurrentielle significative sur les IPP par le biais de prix inférieurs, compte tenu, d’une part, de la sensibilité limitée des médecins et des patients aux différences de prix en raison de l’importance du rôle que joue l’efficacité thérapeutique dans les choix de prescription, et, d’autre part, des systèmes réglementaires en vigueur dans les États considérés, qui n’étaient pas conçus de façon à permettre aux prix des anti-H2 d’exercer une pression à la baisse sur les ventes ou le prix des IPP.

192    S’agissant de l’argument des requérantes tiré de ce que la Commission aurait attaché une valeur excessive à l’étude de corrélation de CRA, il convient de relever, ainsi que la Commission le fait valoir, que cette étude n’a été prise en considération qu’à titre subsidiaire (considérant 407 de la décision attaquée) et a été mise en avant dans la mesure où elle tendait à corroborer les constatations fondées sur d’autres indices, tels que les différences thérapeutiques entre les anti-H2 et les IPP et les différences de prix entre ces deux produits. De même, les références à cette étude de corrélation opérées aux considérants 411, 416, 436, 440, 447 et 451 de la décision attaquée ne sauraient être considérées comme fondant à titre principal les constatations de la Commission, ces constatations reposant avant tout sur les tendances des ventes, les différences de prix et, s’agissant de l’Allemagne et du Royaume-Uni, sur l’observation de certains « évènements naturels ». Les références à l’étude de corrélation sont ainsi présentées de façon accessoire, pour autant qu’ils tendent à étayer prima facie la considération de la Commission selon laquelle les IPP et les anti-H2 n’étaient pas dans une relation de concurrence par les prix. Une telle utilisation de cette étude de corrélation, dont la Commission a évoqué les faiblesses, ne saurait être constitutive d’une erreur manifeste d’appréciation.

193    Les requérantes contestent également le bien-fondé de l’utilisation par la Commission des données en valeur en lieu et place des données en volume. Il convient de relever, à cet égard, que les données en volume contenues dans les tableaux 17 à 23 de la décision attaquée proviennent du rapport d’IMS Health (considérant 63 de la décision attaquée), dont il ressort qu’elles correspondent à des unités de mesure fondées sur la notion de « jour de traitement ». Or, ainsi que la Commission l’a rappelé lors de l’audience, l’efficacité supérieure des IPP a pour conséquence que moins de jours de traitement sont nécessaires pour soigner une affection lorsque ceux-ci sont utilisés que lorsque les anti-H2 le sont. Sur ce point, les requérantes reconnaissent elles-mêmes que les IPP soignent plus rapidement que les anti-H2. Ainsi, les calculs fondés sur les volumes ne reflètent pas les différences en termes de délais de guérison ou de taux de réussite.

194    Par contraste, ainsi que la Commission le fait valoir, les ventes en valeur tiennent compte à la fois du volume de traitements administrés et de la supériorité thérapeutique des IPP sur les anti-H2. La circonstance que les prix procèdent de mécanismes réglementaires dans lesquels les autorités publiques ont un rôle important ne modifie pas cette considération, dès lors que, ainsi qu’il a été constaté ci-dessus, celles-ci attachent une grande importance à la valeur ajoutée du produit sur le plan thérapeutique.

195    Il y a donc lieu de considérer que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en estimant que les données en valeur étaient mieux à même de refléter la position relative des IPP et des anti-H2.

196    Les requérantes reprochent enfin à la Commission de ne pas avoir effectué de recherches sur le processus selon lequel les prix des IPP ont été convenus dans les différents États membres. Sur ce point, le Tribunal considère également qu’une telle absence de recherches constitue une lacune, dès lors que les indicateurs fondés sur les prix constituent un élément important de la définition du marché en cause opérée par la Commission en l’espèce. En effet, il revenait à la Commission de réunir des informations précises sur la manière dont les prix étaient soit influencés, soit fixés par les autorités publiques.

197    Il ressort toutefois des considérants 116 à 132 de la décision attaquée que la Commission a effectué une étude détaillée des systèmes réglementaires de fixation des prix ou des niveaux de remboursement des produits pharmaceutiques dans les pays concernés. Or, il résulte de ce qui précède que les constatations opérées par la Commission permettent de comprendre les mécanismes par lesquels les prix sont influencés ou déterminés par les autorités publiques, ainsi que les contraintes concurrentielles par le biais des prix que ces systèmes réglementaires permettent aux produits pharmaceutiques en cause en l’espèce d’exercer les uns sur les autres.

198    Il convient de relever, à cet égard, que les constatations effectuées par la Commission n’ont pas été mises en cause par les requérantes et l’EFPIA. Le fait, allégué par les requérantes, qu’AZ a demandé pour les IPP un prix égal au double du prix du Zantac, sur la base du « prix par jour », n’est pas de nature à remettre en cause la considération de la Commission selon laquelle les organismes nationaux ont accordé aux IPP un prix supérieur à celui des anti-H2 en considération de la valeur ajoutée des premiers sur le plan thérapeutique. Il tend, au contraire, à le confirmer.

199    Le Tribunal considère, par conséquent, que, compte tenu de l’ensemble des éléments sur lesquels la Commission a par ailleurs fait porter son appréciation, cette lacune n’affecte pas, en l’espèce, la validité des conclusions qu’elle a tirées des écarts de prix entre les IPP et les anti-H2.

 Sur les « événements naturels »

200    Au cours de la procédure administrative, les requérantes ont produit une étude économétrique, le rapport Lexecon, visant à démontrer que les anti-H2 exerçaient une contrainte concurrentielle significative sur les IPP en Allemagne et au Royaume-Uni. Cette étude présente des informations sur une série d’événements dits « naturels », survenus sur les marchés allemand et du Royaume-Uni, que la Commission a pris en considération aux fins de son analyse du marché de produits en cause, estimant, au considérant 421 de la décision attaquée, que ces événements constituaient des éléments de preuve importants.

201    En ce qui concerne, en premier lieu, les trois « événements naturels » observés sur le marché allemand, il convient de rappeler que ceux-ci concernaient l’entrée sur le marché de l’IPP pantoprazole en 1994, l’introduction de l’anti-H2 ranitidine générique en 1995 et l’introduction de l’oméprazole générique en 1999.

202    S’agissant, tout d’abord, de l’entrée sur le marché allemand du pantoprazole en 1994, la Commission a constaté, au considérant 422 de la décision attaquée, que celle-ci s’est produite avec une réduction du prix du Losec de l’ordre de 16 %, sans pour autant avoir des retombées importantes sur la lente diminution du niveau des prix des anti-H2.

203    À cet égard, il importe de relever, à nouveau, que la circonstance, alléguée par les requérantes, que les médecins prescripteurs soient essentiellement guidés par l’usage thérapeutique des produits ne retire pas toute pertinence aux indicateurs fondés sur les prix, ces derniers étant également susceptibles de témoigner des contraintes concurrentielles qui s’exercent sur les produits considérés. En l’espèce, et ainsi que les requérantes l’ont souligné au cours de la procédure administrative (voir considérants 427 et 428 de la décision attaquée), cet événement tend à indiquer qu’une concurrence par les prix au niveau intermoléculaire n’existait en Allemagne que dans la mesure où les produits en cause avaient un profil thérapeutique très proche, ce qui paraissait être le cas de l’oméprazole et du pantoprazole, ces produits étant tous deux des IPP. En revanche, l’entrée sur le marché du pantoprazole ne paraît pas avoir significativement influé sur le prix des anti-H2. Ainsi qu’il a été considéré au point 183 ci-dessus, le fait que l’interaction concurrentielle sur la base des prix soit dans une large mesure influencée ou déterminée par le système réglementaire en vigueur ne modifie pas la pertinence qu’il convient d’attribuer aux indicateurs de prix dans l’appréciation des contraintes concurrentielles existantes.

204    Par ailleurs, le fait, allégué par les requérantes, que le déclin de la part de marché des anti-H2 se serait accru après l’introduction du pantoprazole n’est pas de nature à démontrer qu’ils exerçaient une contrainte concurrentielle sur les IPP. Bien au contraire, cette circonstance tend à confirmer les constatations de la Commission selon lesquelles les IPP ont exercé une contrainte concurrentielle unilatérale sur les anti-H2.

205    S’agissant, ensuite, de l’entrée sur le marché allemand de l’anti-H2 ranitidine générique en 1995, la Commission a relevé, aux considérants 423 et 424 de la décision attaquée, qu’il ressortait de l’étude Lexecon que, au cours d’une période commençant juste avant l’arrivée sur le marché de cette substance et se terminant trois mois plus tard, les prix des anti-H2 ont chuté d’environ 40 %, tandis que les prix des IPP sont restés inchangés et que les ventes totales d’IPP ont continué à augmenter rapidement. Par ailleurs, l’activité promotionnelle, mesurée en nombre de visites effectuées par les délégués médicaux, a fortement augmenté sur le segment des anti-H2 peu de temps avant l’introduction de la ranitidine générique et a fortement diminué peu après celle-ci. Par contraste, l’entrée sur le marché de la ranitidine générique n’a pas eu de répercussion sur l’activité promotionnelle ou sur les ventes d’IPP. La Commission en a ainsi déduit qu’une intensification de la concurrence entre les anti-H2 en termes de prix et d’activités promotionnelles n’a pas affecté les IPP.

206    Les requérantes et l’EFPIA font valoir que l’introduction de l’anti-H2 ranitidine générique a affecté positivement les ventes en volume d’anti-H2 et a eu un impact négatif sur les ventes en volume d’IPP. Toutefois, ainsi que le fait observer la Commission, il résulte du tableau 16 de l’annexe de la décision attaquée que les ventes en valeur d’IPP, exprimées en pourcentage des ventes combinées d’IPP et d’anti-H2, n’ont pas cessé d’augmenter entre 1994 et 1997, passant de 32 % en 1994 à 42 % en 1995, à 57 % en 1996 et à 67 % en 1997. Or, ainsi qu’il a été considéré au point 195 ci-dessus, en présence de produits différenciés, la Commission est fondée à davantage prendre en considération les ventes en valeur que les ventes en volume, sur lesquelles les graphiques 2 et 3 du rapport Lexecon se fondent.

207    En tout état de cause, le tableau 19 de l’annexe de la décision attaquée laisse apparaître que le montant des prescriptions en volume d’IPP a continuellement augmenté entre 1994 et 1997, passant de plus de 2 millions de prescriptions en 1994 à plus de 3,3 millions de prescriptions en 1997.

208    Les requérantes se fondent sur les graphiques 2 et 3 du rapport Lexecon pour soutenir que les parts de marché des anti-H2 ont augmenté à la suite de l’introduction de la ranitidine générique, tandis que la part de marché du Losec a connu une diminution et que la part de marché des autres IPP se serait stabilisée. Il importe toutefois de relever, ainsi que la Commission l’a souligné aux considérants 462 et 463 de la décision attaquée, que ces graphiques présentent la part relative des ventes en volume des IPP et des anti-H2, exprimée en pourcentage des ventes combinées d’IPP et d’anti-H2, c’est-à-dire sur un marché supposé commun aux anti-H2 et aux IPP. Dans un tel contexte, à la suite d’un phénomène d’autocorrélation, un accroissement des ventes des anti-H2 affectera inévitablement la part de marché des IPP, quand bien même l’augmentation des ventes des anti-H2 s’effectuerait sur des segments qui ne sont pas contestés par les IPP, tels que ceux constitués des formes légères ou bénignes des affectations gastro-intestinales, où les produits pharmaceutiques ont une force thérapeutique relativement faible. La Commission n’a donc pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que ces données ne permettaient pas d’établir que les anti-H2 avaient exercé une contrainte concurrentielle significative sur les IPP.

209    Par ailleurs, la circonstance, invoquée par l’EFPIA, que le système du prix de référence en vigueur en Allemagne ait fait obstacle à ce que le prix réduit de la ranitidine générique puisse exercer une contrainte sur les prix des IPP ne modifie pas le constat selon lequel les IPP ne subissaient pas de contraintes concurrentielles significatives de la part des prix inférieurs des anti-H2 (voir les points 174 et 175 ci-dessus).

210    En ce qui concerne l’observation des activités promotionnelles, les requérantes ne peuvent pas sérieusement soutenir que l’activité promotionnelle pour le Losec et les autres IPP ait augmenté en réaction à l’entrée de la ranitidine. Il ressort des graphiques 5 et 6 du rapport Lexecon que les variations existantes de l’activité promotionnelle pour les IPP n’ont pas connu de mouvements particuliers, contrairement à la nette et importante augmentation de l’activité promotionnelle pour les anti-H2. Sur la base de ces observations, la Commission était ainsi fondée à considérer que l’introduction sur le marché de la ranitidine avait avivé la concurrence entre les anti-H2 par le biais d’une activité promotionnelle accrue, sans que cette intensification de la concurrence implique les IPP, pour lesquels l’activité promotionnelle était restée stable. Cet événement tend ainsi à faire apparaître clairement la relation entre les éléments isolés qu’il implique, à savoir l’entrée sur le marché de la ranitidine, la concurrence accrue entre les anti-H2 et l’absence d’affectation sensible de l’activité promotionnelle pour les IPP. Quoique limitée dans le temps, cette observation corrobore donc la conclusion selon laquelle les anti-H2 n’exerçaient pas de contrainte concurrentielle significative sur les IPP.

211    Il convient de relever, en outre, que, si les requérantes tendent à faire valoir que l’activité promotionnelle est susceptible de varier en fonction d’autres éléments, elles ne spécifient pas les facteurs qui, en l’espèce, tendraient à infirmer les conclusions de la Commission tirées de l’observation de l’augmentation très marquée de l’activité promotionnelle pour les anti-H2 à la suite de l’entrée sur le marché du générique ranitidine et de l’absence corrélative d’effet particulier sur l’activité promotionnelle pour les IPP.

212    S’agissant, enfin, de l’entrée de l’oméprazole générique en Allemagne en 1999, la Commission a relevé, au considérant 425 de la décision attaquée, que cet événement a entraîné une diminution du volume des ventes de Losec d’environ 60 % et a affecté négativement les ventes des autres IPP.

213    La Commission souligne à juste titre que l’impact très significatif de l’entrée sur le marché de l’oméprazole générique tant sur les ventes de Losec que sur son prix doit être appréhendé en conjonction avec l’absence d’effet de l’introduction de l’anti-H2 ranitidine générique sur les prix et les ventes des IPP. Si les requérantes prétendent que la Commission ne pouvait exclure que les anti-H2 exerçaient une contrainte concurrentielle significative sur le Losec, elles restent en défaut d’apporter des éléments de nature à renverser les constatations faites par la Commission.

214    En ce qui concerne, en second lieu, l’entrée du générique anti-H2 ranitidine au Royaume-Uni en 1997, la Commission a relevé que, en dépit de cet événement, les ventes d’IPP en valeur absolue, ainsi que la part de ces ventes dans le total des ventes d’IPP et d’anti-H2 au Royaume-Uni, avaient poursuivi leur progression à partir de 1997. Par ailleurs, elle a constaté que l’entrée sur le marché du générique ranitidine n’avait pas influé sur l’augmentation du prix du Losec.

215    Il y a lieu de constater qu’il ressort du tableau 16 de l’annexe de la décision attaquée que les ventes d’IPP, exprimées en pourcentage des ventes combinées d’IPP et d’anti-H2, n’ont pas cessé de croître après 1997, passant de 56 % en 1996 à 60 % en 1997, puis à 65 % en 1998 et à 70 % en 1999. Ces données laissent apparaître, ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 454 de la décision attaquée, que l’introduction, en 1997, de la ranitidine à un prix bien inférieur sur le marché du Royaume-Uni n’a pas exercé de contrainte concurrentielle significative sur les ventes d’IPP. Il convient de relever, par ailleurs, que la diminution des ventes des IPP, alléguée par les requérantes, ne ressort pas nettement du graphique 7 du rapport Lexecon. En effet, si le rythme de l’augmentation des ventes de Losec a légèrement diminué, les ventes des autres IPP présentent toujours une augmentation soutenue qui permet de considérer que, dans l’ensemble, la progression des ventes des IPP n’a pas été affectée par l’entrée sur le marché de la ranitidine générique.

216    Il résulte également de ce graphique que l’introduction de la ranitidine n’a pas exercé de pression à la baisse sur les prix des IPP. Ce graphique, laisse, au contraire, apparaître une légère augmentation de ces prix, et ce jusqu’à ce qu’ils fassent l’objet d’une réduction en mars 1998 en vertu du système du Royaume-Uni de régulation des prix, qui imposait de ramener les bénéfices issus de la vente de certains produits sous un plafond déterminé (voir page 21 du rapport Lexecon). Force est donc de rejeter les arguments des requérantes sur ce point également.

217    Les requérantes font encore valoir que, en ce qui concerne les événements constatés en Allemagne et au Royaume-Uni, la Commission a à tort attribué les modifications observées à un facteur individuel, alors que celles-ci seraient provoquées simultanément par de nombreux facteurs. Aux fins d’infirmer les conclusions de la Commission, les requérantes n’expliquent toutefois pas, en ce qui concerne les événements spécifiques examinés ci-dessus, l’incidence qu’auraient pu avoir, dans ces cas déterminés, les divers facteurs qu’elles invoquent, à savoir le prix du Losec et des produits concurrents, l’entrée sur le marché de produits concurrents, le nombre de formes de présentation disponibles pour le Losec et les produits concurrents, les activités promotionnelles effectuées pour tous les produits du marché, le moment auquel les nouvelles indications pour le Losec ont été approuvées et l’évolution chronologique. Dans ces conditions, et compte tenu du fait que les conclusions de la Commission trouvent un soutien dans les informations qu’elle a analysées, un tel grief ne saurait suffire pour identifier une erreur manifeste d’appréciation qui aurait été commise par la Commission.

218    Les requérantes font, enfin, valoir que les éléments empiriques sur lesquels la Commission a fondé son appréciation sont trop limités pour soutenir la définition du marché de produits en cause.

219    Il ressort de l’examen de l’ensemble des moyens et des arguments avancés par les requérantes à l’encontre de la définition du marché en cause opérée par la Commission que cette dernière a fondé son appréciation sur la plus grande efficacité des IPP, l’usage thérapeutique différencié des IPP et des anti-H2, le mouvement de substitution asymétrique qui a caractérisé la croissance des ventes des IPP et la diminution corrélative ou la stagnation des ventes des anti-H2, les indicateurs de prix, tels que résultant du contexte réglementaire en vigueur, et les « événements naturels » observés en Allemagne et au Royaume-Uni.

220    À la suite d’une évaluation globale des éléments sur lesquels la Commission a fondé son appréciation, et à la lumière des griefs formulés par les requérantes et l’EFPIA, le Tribunal considère que ces éléments, qui ont, pour certains, été produits par les requérantes elles-mêmes, constituent, en l’espèce, un ensemble de données pertinentes et suffisantes pour fonder à suffisance de droit la conclusion à laquelle la Commission est parvenue, à savoir que les anti-H2 n’ont pas, durant la période comprise entre 1993 et 2000, exercé une contrainte concurrentielle significative sur les IPP.

221    Le Tribunal estime par conséquent que les requérantes et l’EFPIA n’ont pas démontré que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation en retenant que le marché de produits en cause se composait uniquement d’IPP en Allemagne, en Belgique, au Danemark entre au moins 1993 et 1999, en Norvège, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni entre au moins 1993 et la fin de 2000, et en Suède. 

222    Compte tenu de l’ensemble de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le second moyen dirigé contre la définition du marché.

B –  Sur la position dominante

1.     Arguments des parties

223    Les requérantes et l’EFPIA font observer que la concurrence présente, dans le secteur pharmaceutique, des caractéristiques spécifiques dont il serait indispensable de tenir compte. À cet égard, l’EFPIA indique qu’une position dominante se définit comme la capacité d’augmenter les prix sans crainte de représailles effectives de la part des consommateurs ou des concurrents. Or, les requérantes et l’EFPIA font observer que les marchés des produits pharmaceutiques dans les États membres en cause se caractérisent par un niveau élevé de réglementation publique, comprenant en particulier des règles contraignantes de fixation des prix et de remboursement, qui encadrent les prix. Le fait que la plus grande partie des frais des médicaments délivrés sur ordonnance ne serait supportée ni par les principaux décideurs (les médecins) ni par les consommateurs finals (les patients) aurait pour effet que les décideurs feraient preuve d’une sensibilité limitée aux prix lorsqu’ils prescrivent des médicaments. À cela s’ajouterait le fait que les marchés nationaux seraient souvent dominés par un acheteur monopsone réel. Par ailleurs, selon l’EFPIA, les décisions concernant la production seraient sujettes à des obligations de continuité de la production et les entreprises pharmaceutiques seraient tenues d’investir régulièrement afin de maintenir leur position sur le marché (conclusions de l’avocat général M. Jacobs sous l’arrêt de la Cour du 31 mai 2005, Syfait e.a., C‑53/03, Rec. p. I‑4609, points 81 et suivants ; arrêt GlaxoSmithKline Services/Commission, point 46 supra, points 106, 125, 141, 259, 264, 271 et 300). Ainsi, les marchés des produits pharmaceutiques de l’EEE ne connaîtraient pas des conditions de concurrence normales.

224    En ce qui concerne la pertinence reconnue à la détention de parts de marché, l’EFPIA soutient que, en l’absence d’analyse approfondie des conditions concurrentielles sur le marché en cause, la détention de parts de marché importante ne suffit pas pour conclure à l’existence d’une position dominante. Tel serait plus particulièrement le cas dans le secteur pharmaceutique, caractérisé par une forte concurrence par l’innovation, dans lequel la détention de parts de marché substantielles serait beaucoup moins significative que dans d’autres secteurs industriels, et ne fournirait aucune information utile sur le facteur de concurrence pertinent en l’espèce, à savoir le degré d’innovation.

225    De même, les requérantes considèrent que la Commission s’est appuyée de manière excessive sur les éléments relatifs aux prix et aux parts de marché. Elles font valoir que les sociétés pharmaceutiques ne peuvent exercer de pouvoir sur le marché en termes de prix, même si elles détiennent des parts de marché importantes. Les prix ne constitueraient, en eux-mêmes, ni un élément fiable ni un élément primordial de la concurrence. Eu égard à la nature des marchés des produits pharmaceutiques, des circonstances exceptionnelles seraient requises pour qu’un fabricant de produits pharmaceutiques puisse bénéficier d’une position dominante. Or, la Commission ne démontrerait pas comment, compte tenu de la réglementation en vigueur sur le marché en cause, AZ aurait pu entraver la concurrence en agissant de manière indépendante de ses concurrents, des médecins et des patients.

226    Par ailleurs, l’EFPIA conteste l’affirmation figurant au considérant 547 de la décision attaquée, selon laquelle le pouvoir de marché d’AZ serait attesté par le fait que ses prix plus élevés reflètent son pouvoir de négociation vis-à-vis des autorités nationales pour obtenir des prix supérieurs pour le Losec et le Losec MUPS. En effet, les prix plus élevés fixés par les autorités publiques refléteraient la valeur innovante du produit, ainsi que son rapport efficacité/prix, et résulteraient uniquement des politiques des États membres relatives aux régimes nationaux de sécurité sociale et à la stimulation de l’innovation. En outre, même à considérer que les sociétés pharmaceutiques disposeraient parfois d’un pouvoir de négociation, le prix des médicaments échapperait structurellement au jeu de l’offre et de la demande (arrêt GlaxoSmithKline Services/Commission, point 46 supra, points 140 et 141). De plus, les prix auraient tendance à diminuer au fil du temps en raison de la pression exercée en ce sens par les autorités publiques, qui y ont intérêt. Ainsi, dans le secteur pharmaceutique, le niveau des prix et leur évolution ne sauraient être influencés par une position dominante.

227    En tout état de cause, l’EFPIA soutient qu’il existe une présomption selon laquelle le prix fixé par les autorités publiques reflète le prix concurrentiel et que la Commission n’a pas démontré que tel n’était pas le cas concernant le prix relativement plus élevé obtenu par AZ.

228    Elle conteste également l’assertion figurant au considérant 554 de la décision attaquée, selon laquelle l’influence sur les prix exercée par les systèmes de santé conférerait aux sociétés pharmaceutiques plus de pouvoir de marché que dans une situation où le consommateur final supporterait le coût intégral des médicaments. L’EFPIA allègue que, dans la mesure où les autorités publiques supportent le coût des soins de santé, celles-ci veilleront à établir le prix à un niveau concurrentiel dès le début et exerceront une pression à la baisse sur celui-ci. Il serait par conséquent erroné d’affirmer qu’AZ avait la capacité d’agir dans une large mesure indépendamment des systèmes de santé (voir considérant 561 de la décision attaquée).

229    S’agissant de la pertinence devant être reconnue aux droits de propriété intellectuelle, l’EFPIA conteste l’affirmation de la Commission, figurant au considérant 517 de la décision attaquée, selon laquelle les droits de propriété intellectuelle et les autres droits qu’AZ tire du « droit pharmaceutique pour la protection de sa technologie » constituent l’un des principaux facteurs permettant de déterminer l’existence d’une position dominante. En effet, cette considération serait en contradiction avec la jurisprudence, qui a refusé d’admettre que la seule existence de droits de propriété industrielle puisse donner naissance à un pouvoir de marché (arrêts de la Cour du 5 octobre 1988, Volvo, 238/87, Rec. p. 6211 ; du 6 avril 1995, RTE et ITP/Commission, C‑241/91 P et C‑242/91 P, Rec. p. I‑743, ci-après l’« arrêt Magill », et du 29 avril 2004, IMS Health, C‑418/01, Rec. p. I‑5039).

230    Les requérantes soutiennent que le fait qu’AZ ait intenté des actions pour protéger ses droits de propriété intellectuelle, dont la Commission ne contesterait pas, au considérant 535 de la décision attaquée, la légitimité, et qu’elle ait conclu des « accords de règlement » est sans pertinence pour constater l’existence d’une position dominante. Elles considèrent que les faits entourant les actions et les « accords de règlement », analysés aux considérants 515 à 540 de la décision attaquée, étaient également dépourvus de pertinence et renvoient, à cet égard, à la réponse à la « lettre des faits » (letter of facts) du 21 janvier 2005. Les requérantes font également observer que la Commission n’a pas retenu que les termes des « accords de règlement » étaient abusifs.

231    L’EFPIA ajoute que le raisonnement de la Commission, selon lequel les actions judiciaires engagées par AZ sont pertinentes pour l’appréciation de sa position dominante, implique qu’une société qui arrive sur le marché avec un produit innovant devrait se garder de mettre en œuvre ses droits de propriété industrielle dans leur totalité et de réclamer des redevances (royalties) à certains de ses concurrents, afin de ne pas risquer de se voir considérer comme détenant une position dominante et, partant, de voir sa politique commerciale devenir sujette à restrictions. Or, une telle position risquerait de réduire à néant toute incitation à créer des produits innovants.

232    En relation avec la question de l’avantage dont jouirait le produit en place ou le premier entrant, les requérantes font observer, en outre, que le pantoprazole a acquis une part de marché de 20,66 % en Allemagne alors qu’il n’était sur le marché que depuis deux ans (1995). Elles suggèrent que cela est dû au fait que le fabricant du pantoprazole, Byk Gulden, était une société allemande. Elles font également observer que les droits de propriété intellectuelle détenus par AZ n’ont pas empêché le lansoprazole et le pantoprazole d’entrer sur le marché respectivement en 1993 et en 1994.

233    Par ailleurs, l’EFPIA conteste que la présence de longue date d’AZ sur le marché des IPP soit, en général, de nature à conférer des avantages concurrentiels, ces avantages étant, selon elle, dénués de pertinence pour déterminer la position dominante. En effet, le succès d’un produit pharmaceutique serait par définition de courte durée, celui-ci étant vulnérable à l’entrée d’autres produits innovants et également à l’arrivée de produits génériques, ainsi que la Commission le reconnaîtrait au considérant 562 de la décision attaquée. En outre, les contrats de licence et la divulgation des informations fournies aux fins d’obtenir des autorisations de mise sur le marché ouvriraient la voie aux concurrents.

234    S’agissant de l’analyse de la puissance financière, des ressources et de la spécialisation d’AZ, l’EFPIA reproche à la Commission de comparer les chiffres concernant les ventes, les bénéfices après impôt, les actifs totaux, le rendement du capital, les ressources en recherche et développement et les ressources marketing, sans en tirer de conclusion quant à la force concurrentielle des sociétés rivales d’AZ pour les IPP.

235    En tout état de cause, les requérantes considèrent que la conclusion de la Commission, selon laquelle il aurait existé une position dominante en Allemagne entre 1995 et 1997, est erronée. À cet égard, les requérantes allèguent que les trois éléments sur lesquels s’appuie la Commission, à savoir les parts de marché, les prix et l’activité promotionnelle, n’étayent pas la conclusion selon laquelle une position dominante aurait existé. S’agissant, tout d’abord, des parts de marché, les requérantes font observer qu’il résulte du tableau 26 de l’annexe de la décision attaquée que, bien qu’AZ ait détenu les plus grandes parts de marché entre 1995 à 1997, ses concurrents détenaient également des parts de marché importantes. Par ailleurs, il ressortirait de ce tableau que les parts de marché d’AZ seraient passées de 82,57 à 64,94 % entre 1994 et 1995, tandis que les parts de marché du pantoprazole seraient passées de 5,34 % en 1994 à 20,66 % en 1995. En 1996 et en 1997, les parts de marché d’AZ auraient continué à décliner tandis que celles du lansoprazole et du pantoprazole auraient augmenté.

236    S’agissant, ensuite, des données relatives à la fixation des prix, présentées dans le tableau 33 de l’annexe de la décision attaquée, les requérantes soutiennent que, pour la période comprise entre 1995 et 1997, les prix des gélules d’Antra 20 mg (oméprazole), d’Agopton 30 mg (lansoprazole) et de Rifun 40 mg (pantoprazole) ont été les mêmes, ce qui indique qu’AZ n’était pas en mesure d’appliquer des prix plus élevés que ceux de ses concurrents.

237    S’agissant, enfin, des informations relatives aux activités promotionnelles effectuées en Allemagne, les requérantes se réfèrent au graphique 6 du rapport Lexecon. Il résulterait de ce graphique que les activités promotionnelles relatives au pantoprazole ont été plus importantes que celles liées au Losec, tandis que les activités promotionnelles relatives au lansoprazole ont été équivalentes à celles liées au Losec. Au vu du tableau 26 de l’annexe de la décision attaquée, les requérantes estiment que les activités promotionnelles plus intenses en relation avec le pantoprazole ont permis à ce dernier d’acquérir et de conserver des parts de marché importantes tandis que les parts de marché du Losec ont décru. Cela indiquerait la capacité d’un nouvel entrant sur le marché de concurrencer le Losec de manière effective grâce aux activités promotionnelles dont il fait l’objet.

238    La Commission conteste le bien-fondé des arguments avancés par les requérantes et l’EFPIA.

2.     Appréciation du Tribunal

239    Il y a lieu de relever, à titre liminaire, qu’il ressort d’une jurisprudence constante que la position dominante visée par l’article 82 CE concerne une position de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs. L’existence d’une position dominante résulte en général de la réunion de facteurs divers, qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants (arrêts de la Cour du 14 février 1978, United Brands et United Brands Continentaal/Commission, 27/76, Rec. p. 207, points 65 et 66, et du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, points 38 et 39).

240    En l’espèce, la Commission a retenu, au considérant 601 de la décision attaquée, qu’AZ avait détenu une position dominante au sens de l’article 82 CE sur le marché des IPP en Allemagne de 1993 jusqu’à la fin de 1997, en Belgique de 1993 jusqu’à la fin de 2000, au Danemark de 1993 jusqu’à la fin de 1999, aux Pays-Bas de 1993 jusqu’à la fin de 2000, au Royaume-Uni de 1993 jusqu’à la fin de 1999 et en Suède de 1993 jusqu’à la fin de 2000. S’agissant de la Norvège, la Commission a considéré que, aux fins de l’application de l’article 54 de l’accord EEE, la position dominante d’AZ était à retenir à partir du 1er janvier 1994, date de l’entrée en vigueur dudit accord, jusqu’à la fin de 2000.

241    Les requérantes et l’EFPIA contestent l’appréciation de la Commission quant à la position dominante d’AZ en mettant en cause, essentiellement, la pertinence de cinq éléments pris en considération dans la décision attaquée, à savoir les parts de marché, le niveau des prix, l’existence et l’usage de droits de propriété intellectuelle, la position de premier entrant et la puissance financière d’AZ. En outre, les requérantes contestent le bien-fondé des conclusions de la Commission au sujet de la position dominante d’AZ en Allemagne. Ces griefs seront examinés successivement ci-après.

a)     Sur les parts de marché d’AZ

242    S’agissant, tout d’abord, de la pertinence reconnue à la détention de parts de marché substantielles aux fins de la détermination d’une éventuelle position dominante d’AZ, il y a lieu de rappeler que, si la signification des parts de marché peut différer d’un marché à l’autre, la possession, dans la durée, d’une part de marché extrêmement importante constitue, sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l’existence d’une position dominante (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, point 239 supra, point 41 ; arrêts du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, T‑30/89, Rec. p. II‑1439, point 91, et du 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, T‑24/93 à T‑26/93 et T‑28/93, Rec. p. II‑1201, point 76).

243    À cet égard, il ressort de la jurisprudence que des parts de marché de plus de 50 % constituent des parts de marché extrêmement élevées (arrêt de la Cour du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C‑62/86, Rec. p. I‑3359, point 60) et qu’une part de marché s’élevant entre 70 et 80 % constitue, en elle-même, un indice clair de l’existence d’une position dominante (arrêts du Tribunal Hilti/Commission, point 242 supra, point 92, et du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98, T‑212/98 à T‑214/98, Rec. p. II‑3275, point 907).

244    En l’espèce, il y a lieu de relever, en premier lieu, que la Commission n’a pas fondé son examen exclusivement sur les parts de marché détenues par AZ, mais a pris soin de conduire une analyse approfondie des conditions de concurrence en prenant en considération différents facteurs relatifs, principalement, à l’importance des droits de propriété intellectuelle et des autres droits de nature réglementaire, aux avantages liés à la position de premier entrant, à la pertinence du prix comme paramètre de concurrence, à la pertinence de la présence d’acheteurs monopsones et des systèmes de prix réglementés et à la pertinence des investissements de recherche et développement, des activités de promotion et des ressources financières.

245    Il y a néanmoins lieu de relever, en second lieu, que la Commission ne pouvait ignorer l’importance qu’il convenait d’attacher à la détention par AZ de parts de marché généralement très importantes durant toute la période pertinente dans l’ensemble des pays en cause. Il ressort en effet des constatations de la Commission, non contestées par les requérantes ou l’EFPIA, qu’AZ n’a jamais cessé d’être le premier acteur sur le marché des IPP.

246    En effet, dans la décision attaquée, la Commission a relevé que, en Allemagne, AZ détenait 96 % des parts de marché en 1993 et près de 83 % en 1994 (le tableau 26 de l’annexe de la décision attaquée indique 82,57 %), tandis que Takeda et Byk Gulden détenaient respectivement 12 et 5 % des parts de marché en 1994. Les parts de marché d’AZ étaient plus de deux fois supérieures à celles de Byk Gulden entre 1995 et 1997, qui totalisait entre un cinquième et un quart du marché, tandis que Takeda détenait 12 % du marché en 1994 et 17 % en 1997. Les parts de marché d’AZ, de Byk Gulden et de Takeda avaient considérablement diminué à la suite de l’introduction de l’oméprazole générique en 1999 (considérants 582 et 583 de la décision attaquée).

247    En ce qui concerne la Belgique, la Commission a relevé que les parts de marché d’AZ s’élevaient à 100 % avant 1993, sont restées supérieures à 90 % entre 1994 et 1996 et étaient quelque peu inférieures à 90 % en 1997, pour atteindre 81 % en 1998 et 68 % en 2000. Ses principaux concurrents, Takeda et Byk Gulden, avaient, en 2000, atteint respectivement 27 et 5 % (considérant 570 de la décision attaquée).

248    En ce qui concerne le Danemark, il ressort du tableau 25 de l’annexe de la décision attaquée que AZ détenait respectivement 100 et 97,47 % du marché en 1993 et en 1994. La Commission a constaté que le Losec représentait, de 1995 à 1997, entre 85 et 75 % des parts de marché. Ces parts de marché ont augmenté en 1998 et se sont stabilisées à nouveau à un peu moins de 75 % en 1999, malgré un prix supérieur au lansoprazole et au pantoprazole d’environ 13 % (considérants 577 à 579 de la décision attaquée).

249    En ce qui concerne la Norvège, la Commission a constaté que les ventes d’oméprazole avaient représenté entre 100 et 74 % du marché entre 1993 et 2000. En 1998, les parts de marché d’AZ ont chuté à 45 % en raison des importations parallèles. Toutefois, les importations parallèles ont disparu l’année suivante, en 1999, et AZ a récupéré une part de marché de près de 75 % (considérant 590 de la décision attaquée).

250    En ce qui concerne les Pays-Bas, la Commission a constaté que les ventes d’oméprazole représentaient entre environ 100 et 86 % du marché entre 1993 et 2000. Jusqu’en 1998, une partie significative de ces ventes était attribuable aux importateurs parallèles. Toutefois, aucun importateur parallèle n’a pu mettre en cause la supériorité des parts de marché d’AZ, qui, en 1996, ont connu leur niveau le plus bas, à moins de 59 % (considérants 586 et 587 de la décision attaquée).

251    En ce qui concerne la Suède, la Commission a relevé que les ventes d’oméprazole avaient représenté 9/10e des ventes d’IPP entre 1993 et 1999 et 8/10e des ventes en 2000. Si l’ensemble de ces ventes était attribuable à AZ avant 1996, la proportion des importations parallèles au sein de ces ventes a augmenté, ramenant les parts de marché d’AZ à 44 % en 1998. Toutefois, à la suite, selon la Commission, de la radiation des autorisations de mise sur le marché, les parts de marché d’AZ ont augmenté à nouveau pour atteindre un peu moins de 65 %. Par contraste, les parts de marché de Byk Gulden et d’Eisai n’ont pas excédé respectivement 2,4 et 0,8 %, et celles de Takeda n’ont pas excédé 7 %, excepté en 2000, où Takeda a atteint 15 % de parts de marché aux dépens des importateurs parallèles (considérants 594 à 597 de la décision attaquée).

252    Enfin, en ce qui concerne le Royaume-Uni, la Commission a relevé que les parts de marché d’AZ avaient varié entre 100 et 88 % de 1993 à 1996. Par la suite, les parts de marché d’AZ sont restées deux fois supérieures à celles de Takeda, celles-ci détenant respectivement des parts de marché de 78 et de 20 % en 1997, de 68 et de 29 % en 1998, et de 63 et de 31 % en 1999. En 2000, les parts de marché d’AZ sont tombées à 57 % tandis que celles de Takeda s’élevaient à 33 % (considérant 599 de la décision attaquée).

253    Eu égard à ces constatations, non contestées par les requérantes et l’EFPIA, la Commission pouvait à juste titre considérer que la détention par AZ de parts de marché particulièrement élevées et, en tout état de cause, bien supérieures à celles de ses concurrents, était un indicateur tout à fait pertinent de son pouvoir de marché sans commune mesure avec ceux des autres acteurs sur le marché.

254    La circonstance, invoquée par l’EFPIA, que l’innovation constitue un paramètre essentiel de la concurrence dans le secteur pharmaceutique ne remet pas en cause la pertinence qu’il convient de reconnaître aux parts de marché très élevées d’AZ, telles qu’appréciées dans leur contexte. À cet égard, il ressort de la décision attaquée que la position privilégiée d’AZ résulte précisément d’une percée innovante de sa part, qui lui a permis de développer un nouveau marché et d’être dans la position avantageuse de premier entrant sur celui-ci, grâce à la commercialisation du premier IPP. En outre, les requérantes et l’EFPIA n’expliquent pas en quoi les spécificités du secteur pharmaceutique seraient de nature à retirer aux parts de marché la pertinence qui leur a été reconnue.

b)     Sur les niveaux de prix

255    Les requérantes et l’EFPIA contestent que la supériorité des prix appliqués par AZ à l’égard du Losec constituait un indice de l’existence d’un pouvoir de marché d’AZ.

256    En ce qui concerne la circonstance, alléguée par l’EFPIA, que les prix résultent ou sont fortement influencés par les décisions des autorités publiques, il convient de relever qu’il ressort de la décision attaquée, non contestée par les requérantes et l’EFPIA sur ce point, que les entreprises pharmaceutiques qui proposent pour la première fois des produits présentant une valeur ajoutée importante sur le plan thérapeutique grâce à l’innovation dont ils procèdent, sont à même d’obtenir de la part des autorités publiques des prix ou des niveaux de remboursement supérieurs à ceux des produits existants. Il a été observé, à cet égard, que les autorités nationales qui établissent les niveaux de remboursement ou les prix des médicaments sont incitées, en raison de leur mission d’intérêt général, à assurer l’inclusion dans leurs systèmes de santé des produits contribuant de manière significative à l’amélioration de la santé publique.

257    Dans la mesure où les prix ou niveaux de remboursement des médicaments sont nécessairement fixés par les autorités publiques à la suite d’une concertation avec les entreprises pharmaceutiques, tout du moins en ce que ces dernières doivent leur communiquer les informations pertinentes à cette fin, la Commission a pu considérer que les entreprises pharmaceutiques avaient un pouvoir de négociation vis-à-vis des autorités nationales, qui variait selon la valeur ajoutée sur le plan thérapeutique qu’offrent leurs produits par rapport aux produits préexistants. En outre, il résulte également de la décision attaquée, non contestée sur ce point, que, dans certains cas, il peut être de l’intérêt stratégique des entreprises pharmaceutiques de ne pas commercialiser leurs produits sur certains marchés, lorsque les prix consentis par les autorités nationales ne correspondent pas à leurs attentes (voir considérants 557 et 559 de la décision attaquée).

258    L’EFPIA insiste sur ce que les décisions de fixation des prix sont adoptées par les autorités publiques de façon unilatérale. Elle reconnaît toutefois que les prix ou les niveaux de remboursement des médicaments sont fixés en fonction de leur valeur innovante et, par conséquent, qu’un produit présentant une valeur ajoutée sur le plan thérapeutique significative se verra accorder un prix ou un niveau de remboursement supérieur à celui des produits ne présentant pas une telle valeur thérapeutique. Il est par conséquent constant que, quoique le prix ou le niveau de remboursement résulte d’une décision adoptée par les autorités publiques, la capacité d’une entreprise pharmaceutique à obtenir un prix ou un niveau de remboursement supérieur varie en fonction de la valeur innovante du produit.

259    En l’espèce, il importe d’observer que, en tant qu’elle était la première entreprise à proposer un IPP, à savoir l’oméprazole, dont la valeur thérapeutique était bien supérieure à celle des produits existants sur le marché, AZ a été à même d’obtenir des autorités publiques un prix supérieur. Une telle supériorité du prix était en revanche moins aisée à obtenir pour les entreprises pharmaceutiques qui s’engageaient dans la commercialisation d’autres IPP, les produits « suiveurs », tels que le lansoprazole, le pantoprazole et le rabeprazole. En effet, les requérantes elles-mêmes ont exposé à la Commission que les organismes de remboursement tendaient à faire preuve de plus de scepticisme à l’encontre des produits « suiveurs », des extensions de gammes de produits et des nouvelles formulations de produits existants, dans la mesure où de tels produits ne proposaient qu’une valeur ajoutée sur le plan thérapeutique limitée (considérant 550 de la décision attaquée).

260    Il y a donc lieu de considérer que la faculté dont disposait AZ d’obtenir des prix ou des niveaux de remboursement plus élevés reflète les avantages qu’elle a retirés de sa position de premier entrant sur un marché dont elle était à l’origine. Cette position de premier entrant constitue un facteur important de la position concurrentielle de premier plan d’AZ, que la Commission a pris en compte aux considérants 541 à 543 de la décision attaquée. C’est, en effet, cette position de premier entrant qui est en partie à l’origine de la force incontestée de l’oméprazole d’AZ en termes de parts de marché, en comparaison avec les concurrents ayant commercialisé d’autres IPP.

261    Par ailleurs, ainsi que la Commission l’a fait valoir en réponse aux questions posées par le Tribunal, le fait qu’AZ ait été en mesure de maintenir des parts de marché bien supérieures à celles de ses concurrents tout en pratiquant des prix supérieurs à ceux des autres IPP constitue un élément pertinent indiquant que le comportement d’AZ n’était pas, dans une mesure appréciable, soumis aux contraintes exercées par ses concurrents, ses clients et, finalement, les consommateurs. La circonstance que la supériorité des prix pratiqués par AZ soit due, en partie, à la fixation de seuils de remboursement supérieurs n’influe pas sur ce constat.

262    À cet égard, il convient de relever que la Commission est fondée à retenir, au considérant 554 de la décision attaquée, que les systèmes de santé qui caractérisent les marchés de produits pharmaceutiques tendent à conforter le pouvoir de marché des sociétés pharmaceutiques, dans la mesure où le coût des médicaments est pleinement ou largement couvert par les systèmes de sécurité sociale, ce qui rend la demande dans une large mesure inélastique. Tel est plus particulièrement le cas lorsqu’une entreprise pharmaceutique, qui est la première à proposer un produit nouveau présentant une valeur ajoutée sur le plan thérapeutique par rapport aux produits existants, est en mesure d’obtenir un niveau de remboursement supérieur à celui qui sera accordé par la suite aux produits « suiveurs ». En effet, vis-à-vis des entreprises qui bénéficient de la position de premier entrant, les remboursements qu’assurent les systèmes de sécurité sociale, d’une part, sont fixés à des niveaux relativement élevés en comparaison avec les produits « suiveurs » et, d’autre part, permettent à l’entreprise pharmaceutique qui en bénéficie de fixer son prix à un niveau élevé sans craindre que les patients et les médecins se tournent vers d’autres produits moins onéreux.

263    De façon similaire à ce qui a été observé dans le cadre de la définition du marché en cause, au point 174 ci-dessus, il importe peu que la capacité d’AZ de maintenir des parts de marché particulièrement élevées tout en pratiquant des prix significativement supérieurs soit rendue possible ou favorisée par les systèmes de sécurité sociale santé, cette circonstance n’influant pas sur le constat selon lequel AZ a été à même de maintenir des revenus supérieurs à ceux de ses concurrents sans que les différents acteurs sur les marchés des produits pharmaceutiques, à savoir les patients, les médecins prescripteurs, les systèmes nationaux de sécurité sociale et ses concurrents, aient été en mesure de remettre en cause cette position privilégiée durant les périodes retenues par la Commission aux fins de la détermination de la position dominante.

264    En outre, la capacité générale d’AZ de maintenir ses prix à un niveau supérieur à ceux de ses concurrents, tout en conservant des parts de marché beaucoup plus élevées, doit être appréciée en tenant compte du contexte des efforts de réduction des dépenses de santé engagés par les autorités publiques aux fins de compenser la sensibilité limitée des médecins prescripteurs et des patients aux prix élevés des médicaments (considérant 555 de la décision attaquée) et des dépenses promotionnelles proportionnellement plus importantes effectuées par les nouveaux entrants en Allemagne et au Royaume-Uni (considérants 585 et 600 de la décision attaquée).

265    L’EFPIA fait néanmoins valoir que les prix fixés par les autorités publiques sont présumés l’être à un niveau concurrentiel. Il convient toutefois d’observer que, dans la mesure où les prix sont influencés par les décisions des autorités publiques quant aux niveaux de remboursement ou aux prix maximaux, ceux-ci ne sont pas le résultat du jeu normal du marché. Le caractère concurrentiel du niveau d’un prix fixé dans un tel contexte ne saurait donc être utilement invoqué, celui-ci étant établi en l’absence des mécanismes de concurrence permettant de dégager un tel niveau concurrentiel. En tout état de cause, il y a lieu de relever que l’analyse de la position dominante a pour objet de déterminer si une entreprise est à même de se comporter, dans une mesure appréciable, de façon indépendante sur le marché. Or, les constatations opérées par la Commission en ce qui concerne les prix d’AZ indiquent que cette dernière jouissait, dans une mesure appréciable, d’une telle indépendance, compte tenu de sa capacité à maintenir des parts de marché de loin supérieures à celles de ses concurrents.

266    Les requérantes font valoir que l’intensité réglementaire présente sur les marchés des produits pharmaceutiques fait en tout état de cause obstacle à ce qu’une société pharmaceutique puisse exercer un pouvoir de marché en termes de prix ou puisse entraver la concurrence en agissant de manière indépendante de ses concurrents, des médecins et des patients, même lorsqu’elle détient des parts de marchés importantes. Sur ce point, il convient tout d’abord de relever, ainsi qu’il a été constaté ci-dessus, que la capacité d’AZ de maintenir des prix supérieurs à ceux de ses concurrents tout en conservant des parts de marché beaucoup plus élevées démontre qu’elle était en mesure d’exercer un pouvoir de marché en termes de prix, dès lors que ni les producteurs concurrents, ni les systèmes de sécurité sociale, qui en assumaient le coût, ni encore les patients, n’ont été en mesure de la contraindre à aligner ses prix sur ceux des produits concurrents. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, mis à part en Belgique et, à partir de 1996, aux Pays-Bas, les entreprises pharmaceutiques étaient libres de fixer leurs prix librement.

267    Ensuite, il importe en tout état de cause de souligner que la constatation d’un pouvoir de marché, c’est-à-dire de la capacité d’une entreprise de se comporter dans une mesure appréciable indépendamment de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs, en ce sens qu’elle est notamment en mesure de maintenir des prix à un niveau supérieur tout en conservant des parts de marché beaucoup plus importantes que celles de ses concurrents, n’est pas conditionnée par la capacité de l’entreprise de faire usage de ce pouvoir de marché de façon à faire obstacle au maintien d’une concurrence effective. En effet, en matière de pratiques visant à exclure ou à diminuer la concurrence, un comportement ne doit pas nécessairement, pour être qualifié d’abus de position dominante, procéder de, ou être rendu possible par, la puissance économique de l’entreprise, aucun lien de causalité n’étant requis entre la position dominante et son exploitation abusive (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6/72, Rec. p. 215, point 27, et Hoffmann-La Roche/Commission, point 239 supra, point 91).

268    Par ailleurs, les requérantes ne sauraient simplement affirmer qu’AZ ne pouvait pas agir indépendamment des autres acteurs sur le marché des produits pharmaceutiques. À cet égard, s’agissant de l’affirmation de la Commission, visée au considérant 561 de la décision attaquée et contestée par l’EFPIA, selon laquelle AZ avait la capacité d’agir dans une large mesure indépendamment des systèmes de santé, il y a lieu de relever qu’il était dans l’intérêt de cette dernière de s’assurer que les produits génériques ne puissent pas entrer sur le marché, ceux-ci étant à même d’exercer une forte pression à la baisse sur le prix du Losec et de mettre en échec le lancement à un prix avantageux de la prochaine génération de produits par AZ (voir notamment considérants 298 à 301 et 551 de la décision attaquée). Or, la Commission a relevé que, ainsi qu’il ressortait des pratiques incriminées, AZ était, en tant que titulaire des premières autorisations de mise sur le marché, la seule à pouvoir appliquer une stratégie d’exclusion à l’encontre des produits génériques concurrents (considérants 527 et 528 de la décision attaquée), et ce alors même que l’intérêt des systèmes nationaux de santé était de voir diminuer les prix des produits pharmaceutiques. Compte tenu du contraste entre la position des autorités publiques, qui n’étaient pas susceptibles d’influer sur l’entrée de produits génériques moins chers, et celle d’AZ, qui était en mesure d’influer sur l’entrée de ceux-ci en faisant usage du système réglementaire, la Commission a pu retenir qu’AZ était à même de se comporter dans une mesure significative indépendamment des systèmes de santé.

269    Eu égard à ce qui précède, le Tribunal considère par conséquent que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste en prenant en compte les indicateurs fondés sur les prix aux fins de l’évaluation de la position concurrentielle d’AZ sur le marché.

c)     Sur l’existence et l’usage des droits de propriété intellectuelle

270    En ce qui concerne les griefs formulés au sujet de la pertinence reconnue aux droits de propriété intellectuelle et aux droits que confère la réglementation pharmaceutique, il y a lieu de relever, tout d’abord, que les droits de propriété intellectuelle ne sauraient être présentés comme ne constituant pas un élément pertinent aux fins de la détermination de la position dominante. En effet, si la seule possession de droits de propriété intellectuelle ne saurait être considérée comme conférant une telle position, celle-ci est néanmoins susceptible, dans certaines circonstances, de créer une position dominante, notamment en donnant à l’entreprise la possibilité de faire obstacle à l’existence d’une concurrence effective sur le marché (voir, en ce sens, arrêt Magill, point 229 supra, points 46 et 47).

271    Or, en l’espèce, les requérantes et l’EFPIA ne remettent pas en cause la constatation de la Commission selon laquelle le Losec jouissait, en tant que premier IPP ayant été introduit sur le marché, d’une protection par brevet particulièrement forte, sur la base de laquelle AZ a mené une campagne d’actions judiciaires qui lui a permis d’exercer des contraintes importantes sur ses concurrents Takeda, Byk Gulden et Eisai et de leur dicter dans une large mesure l’accès au marché. [confidentiel] De même, Eisai a été contrainte de payer à AZ une compensation pour les ventes de rabeprazole et de lui donner accès à certaines technologies pouvant être utilisées pour de futures formulations de l’oméprazole (voir considérants 88 à 96 et 521 à 524 de la décision attaquée).

272    La circonstance, soulignée par les requérantes, que les contentieux en matière de brevets engagés par AZ et les arrangements amiables qui ont suivi ne présentaient rien d’illégitime n’influe pas sur la constatation de la Commission selon laquelle la protection par brevet dont bénéficiait le Losec a permis à AZ d’exercer une pression importante sur ses concurrents, ce qui constituait, en soi, un indicateur pertinent quant à sa position dominante. Ainsi, contrairement à ce que semblent suggérer les requérantes, il n’est aucunement nécessaire que les termes des « accords de règlement » soient abusifs pour considérer que ceux-ci constituent un indice de position dominante. Comme le fait remarquer la Commission, l’argument des requérantes résulte d’une confusion entre les notions de position dominante et d’abus.

273    Enfin, il y a lieu de rejeter l’assertion selon laquelle la prise en compte des droits de propriété intellectuelle et de leur exercice, même non abusif, aux fins d’établir l’existence d’une position dominante serait de nature à réduire toute incitation à créer des produits innovants. Il convient, en effet, de souligner que l’innovation est en tout état de cause récompensée par l’exclusivité que réservent à son auteur les droits de propriété intellectuelle. Dans la mesure où, comme en l’espèce, la possession et l’exercice de ces droits de propriété intellectuelle peuvent constituer un indice pertinent de la position dominante, il y a lieu de rappeler qu’une telle position n’est pas interdite en soi, seul son usage abusif l’étant. À cet égard, dans la circonstance où le titulaire du droit de propriété intellectuelle serait considéré comme jouissant d’une position dominante, l’usage non abusif du droit en cause ne saurait être considéré comme insuffisant au regard des incitants à l’innovation.

274    En outre, s’agissant de l’argument des requérantes tiré de ce que le lansoprazole et le pantoprazole sont entrés sur le marché allemand respectivement en 1993 et en 1994, il convient d’observer que, pour constituer un facteur pertinent, l’existence d’une protection solide par le biais de droits de propriété intellectuelle ne doit pas nécessairement être de nature à exclure toute concurrence sur le marché.

275    Le Tribunal considère, par conséquent, que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en prenant en considération l’existence et l’usage des droits de propriété intellectuelle d’AZ dans le cadre de l’appréciation de sa position concurrentielle sur le marché.

d)     Sur la position de premier entrant d’AZ

276    Aux considérants 541 à 543 de la décision attaquée, la Commission a souligné les avantages concurrentiels qui pouvaient être tirés de la position de premier entrant et d’une présence de longue date sur le marché des IPP.

277    Les requérantes contestent toutefois la pertinence de la position de premier entrant d’AZ, eu égard, notamment, à l’acquisition par le pantoprazole de 20,66 % de parts de marché en 1995 en Allemagne, après seulement deux ans de présence sur le marché.

278    Il convient d’observer, tout d’abord, que la Commission a fondé son appréciation de la position dominante d’AZ sur un ensemble d’éléments, au premier rang desquels figurent ses parts de marché très supérieures à celles de ses concurrents. Ensuite, compte tenu, d’une part, des spécificités des marchés de produits pharmaceutiques, caractérisés par une « inertie » des médecins prescripteurs, et, d’autre part, des difficultés croissantes que rencontrent les entreprises pharmaceutiques pour entrer sur un marché à mesure que le nombre de concurrents et de produits déjà présents sur ce marché est important, difficultés qui sont attestées par une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) prise en compte par la Commission, cette dernière a pu considérer que la position de premier entrant constituait un avantage concurrentiel appréciable. Cet avantage concurrentiel est en outre corroboré par les documents internes d’AZ, dont il ressort que le Losec bénéficiait d’une image de marque et d’une réputation solide en raison de son statut de « premier produit sur le marché », qui accusait la plus grande expérience.

279    Cela étant, la Commission n’a pas affirmé que les avantages concurrentiels liés à la présence de longue date d’AZ sur le marché des IPP faisaient en toute circonstance obstacle au développement des ventes concurrentes. Ainsi, la circonstance que le pantoprazole ait été en mesure d’acquérir une part de marché de 20,66 % en Allemagne ne saurait remettre en cause les avantages concurrentiels qu’AZ a retirés de sa position de premier entrant, ni sur le marché allemand ni sur les autres marchés géographiques en cause, où la position d’AZ était parfois écrasante. Il y a lieu d’observer, en outre, que le pantoprazole n’a pas été en mesure de remettre en cause la position du Losec en tant qu’IPP le plus vendu en Allemagne.

280    De même, la circonstance que les produits génériques soient à même de porter atteinte à la position dominante d’AZ ne remet pas en cause le fait que sa position de premier entrant lui ait conféré des avantages concurrentiels appréciables. Il convient en outre de relever que, au cours des périodes retenues par la Commission durant lesquelles AZ était en position dominante, les produits génériques n’avaient pas porté atteinte à la position dominante d’AZ sur les marchés géographiques considérés.

281    En ce qui concerne, ensuite, l’argument de l’EFPIA, selon lequel la vulnérabilité d’un produit pharmaceutique à l’entrée de produits innovants retire toute pertinence à la position de premier entrant, il suffit de constater, ainsi que le fait observer la Commission, que ni les requérantes ni l’EFPIA ne font état de l’entrée sur le marché de produits innovants ayant, en l’espèce, mis en cause la position dominante d’AZ sur le marché des IPP.

282    Enfin, la circonstance qu’AZ ait conclu des accords de licence avec certains concurrents ne saurait davantage priver de pertinence sa présence de longue date sur le marché en l’espèce. Par ailleurs, ainsi que la Commission le fait observer, le cadre réglementaire ne facilite aucunement l’entrée sur le marché des fabricants de produits génériques souhaitant commercialiser leurs produits, dans la mesure où les données communiquées par les fabricants des produits originaux aux fins de l’obtention des autorisations de mise sur le marché font l’objet d’une protection pendant une période allant de six à dix ans [voir article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65/CEE du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO 1965, 22, p. 369, telle que modifiée à la date des faits en cause)], de sorte que, durant cette période, les fabricants de produits génériques qui souhaitent obtenir des autorisations de mise sur le marché ne peuvent s’y référer et doivent procéder à leur propres tests.

283    Il y a lieu de considérer, par conséquent, que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en prenant également en compte, dans le cadre de son appréciation d’ensemble, la position de premier entrant d’AZ sur le marché des IPP.

e)     Sur la puissance financière d’AZ

284    Aux considérants 78 à 86 et 566 de la décision attaquée, la Commission a constaté, sur la base d’informations précises et non contestées, tirées des rapports annuels des entreprises en cause, qu’AZ présentait, durant la période comprise entre 1993 et 2000, des ressources et des performances supérieures à celles de ses concurrents Takeda et Byk Gulden, notamment en ce qui concerne sa solidité financière en général, les ressources en recherche et développement et les ressources en marketing. S’agissant, plus particulièrement, du chiffre d’affaires d’AZ, qui était bien supérieur à ceux de Takeda et de Byk Gulden, la Commission a constaté que celui-ci provenait presque exclusivement de la vente de produits pharmaceutiques, tandis qu’un tiers de ceux de Takeda et de Byk Gulden provenait de ventes non pharmaceutiques. En effet, le reste du chiffre d’affaires de Byk Gulden provenait principalement de la vente de produits chimiques et celui de Takeda de la vente de produits chimiques, de vitamines et de produits agroalimentaires (considérant 78 de la décision attaquée).

285    Ces constatations laissent ainsi clairement apparaître que la supériorité en termes de ressources financières d’AZ est quasiment exclusivement issue de ses activités pharmaceutiques, sur lesquelles elle concentre également la quasi-totalité de ses moyens, tandis que ses concurrentes, Takeda et Byk Gulden, disposent de ressources plus limitées qu’elles ne consacrent pas exclusivement à leurs activités dans le secteur pharmaceutique. Par ailleurs, la supériorité des ressources financières et humaines consacrées par AZ à la recherche et développement et à sa force de vente constitue également un facteur pertinent pour apprécier la position relative de cette entreprise par rapport à ses concurrents sur le marché.

286    Si elles ne sont pas suffisantes à elles seules pour fonder la conclusion selon laquelle AZ était en position dominante durant la période considérée, ces constatations n’en constituent pas moins une série d’indices pertinents permettant de considérer qu’AZ détenait des ressources supérieures à celles de ses concurrentes, de nature à conforter sa position sur le marché par rapport à ces dernières. L’assertion de l’EFPIA, selon laquelle la Commission aurait omis de tirer des conclusions quant à la force concurrentielle des rivales d’AZ pour les IPP, doit donc être rejetée, ces conclusions résultant en l’espèce des constatations susmentionnées.

f)     Sur la position dominante d’AZ en Allemagne

287    S’agissant de la conclusion de la Commission selon laquelle AZ aurait détenu une position dominante en Allemagne entre 1993 et la fin de 1997, les requérantes contestent qu’une telle position ait existé entre 1995 et 1997.

288    Il y a lieu de constater que les parts de marché d’AZ en Allemagne ont diminué durant la période retenue, passant de 96,09 % en 1993 à 82,57 % en 1994, à 64,94 % en 1995, à 58,27 % en 1996 et à 53,99 % en 1997 (tableau 26 de l’annexe de la décision attaquée). Si ces données montrent une tendance ininterrompue à la baisse des parts de marché d’AZ, celles-ci restent en 1997 encore tout à fait considérables (53,99 %). Or, des parts de marché supérieures à 50 % permettent de présumer l’existence d’une position dominante (voir, en ce sens, arrêt AKZO/Commission, point 243 supra, point 60).

289    Par ailleurs, ainsi que la Commission le fait observer, entre 1995 et 1997, les parts de marché d’AZ restent de très loin supérieures à celles de ses concurrentes les plus proches. En effet, les trois concurrentes les plus significatives d’AZ sur le marché allemand, à savoir Takeda, Byk Gulden et Schwartz Pharma, détenaient des parts de marché respectivement de 12,38, de 10,88 et de 9,77 % en 1995, de 12,57, de 11,50 et de 10,01 % en 1996, et de 14,10, de 12,91 et de 10,64 % en 1997 (tableau 26 de l’annexe de la décision attaquée).

290    Il convient, en outre, de relever que les parts de marché d’AZ ne sont descendues en dessous de 50 % qu’en 1999, soit deux ans après la dernière année retenue aux fins de l’appréciation de la position dominante, ses parts de marché chutant alors à 35,31 %, notamment en raison de l’entrée sur le marché de l’oméprazole générique.

291    Il y a également lieu d’observer, ainsi que le souligne la Commission, que les revenus des ventes d’AZ n’ont pas cessé de croître, quoique dans une mesure moindre que ce que la Commission fait valoir, ces revenus étant passés de plus de 116 millions de USD en 1994 (où elle disposait de 82,57 % de parts de marché) à plus de 141 millions de USD en 1997 (où elle ne disposait plus que de 53,99 % de parts de marché). En comparaison, les revenus de Takeda se situaient entre 17 millions de USD en 1994 et 37 millions de USD en 1997, tandis que ceux de Byk Gulden et de Schwartz Pharma sont respectivement passés de plus de 4 millions de USD et de plus de 3 millions de USD en 1994 à plus de 33 millions de USD et à près de 28 millions de USD en 1997 (tableau 26 de l’annexe de la décision attaquée). Les revenus d’AZ sont donc restés bien supérieurs à ceux de ses concurrents.

292    Ainsi, bien que la position concurrentielle d’AZ ait été, en Allemagne, un peu moins forte que dans les autres pays examinés, le Tribunal considère, eu égard à ce qui précède, que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en retenant qu’AZ y jouissait encore d’une position dominante entre 1995 et 1997.

293    La circonstance que les prix pratiqués par AZ n’aient pas été significativement supérieurs à ceux de ses concurrents et que les activités promotionnelles relatives au pantoprazole et au lansoprazole auraient été aussi importantes ou plus importantes que celles liées au Losec n’influe pas sur cette conclusion, les éléments sur lesquels la Commission s’est fondée étant suffisants, en l’espèce, pour lui permettre de considérer, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, qu’AZ détenait encore une position dominante en Allemagne entre 1995 et 1997.

294    Par conséquent, eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent et compte tenu des arguments avancés par les parties, le Tribunal considère que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en parvenant à la conclusion qu’AZ détenait une position dominante au sens de l’article 82 CE et de l’article 54 de l’accord EEE sur le marché des IPP en Allemagne de 1993 jusqu’à la fin de 1997, en Belgique de 1993 jusqu’à la fin de 2000, au Danemark de 1993 jusqu’à la fin de 1999, en Norvège de 1994 jusqu’à la fin de 2000, aux Pays-Bas de 1993 jusqu’à la fin de 2000, au Royaume-Uni de 1993 jusqu’à la fin de 1999 et en Suède de 1993 jusqu’à la fin de 2000.

C –  Sur le premier abus de position dominante, portant sur les certificats complémentaires de protection

1.     Cadre réglementaire et comportement incriminé

295    Le règlement (CEE) n° 1768/92 du Conseil, du 18 juin 1992, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO L 182, p. 1), prévoit la création d’un certificat complémentaire de protection (ci-après le « CCP »), qui a pour objet d’étendre la durée du droit exclusif garantie par le brevet et, ainsi, de conférer une durée de protection supplémentaire. Le CCP est destiné à compenser la réduction de la durée de protection effective conférée par le brevet, correspondant à la période comprise entre le dépôt d’une demande de brevet pour un médicament et l’autorisation de mise sur le marché dudit médicament.

296    Le règlement n° 1768/92, dans sa version en vigueur à l’époque des faits de l’espèce, dispose, en son article 13, ce qui suit :

« 1. Le certificat produit effet au terme légal du brevet de base pour une durée égale à la période écoulée entre la date du dépôt de la demande du brevet de base et la date de la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté, réduite d’une période de cinq ans.

2. Nonobstant le paragraphe 1, la durée du certificat ne peut être supérieure à cinq ans à compter de la date à laquelle il produit effet. »

297    L’article 3 du règlement n° 1768/92, qui précise les conditions d’obtention du CCP, prévoit :

« Le certificat est délivré, si, dans l’État membre où est présentée la demande […] et à la date de cette demande :

a)      le produit est protégé par un brevet de base en vigueur ;

b)      le produit, en tant que médicament, a obtenu une autorisation de mise sur le marché en cours de validité conformément à la directive 65/65/CEE ou à la directive 81/851/CEE suivant les cas ;

c)      le produit n’a pas déjà fait l’objet d’un certificat ;

d)      l’autorisation mentionnée [sous b)] est la première autorisation de mise sur le marché du produit, en tant que médicament. »

298    L’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1768/92, lequel spécifie les éléments devant figurer dans une demande de certificat, dispose :

« 1. La demande de certificat doit contenir :

a)      une requête de délivrance du certificat, mentionnant notamment :

[…]

iv)      le numéro et la date de la première autorisation de mise sur le marché du produit visée à l’article 3 [, sous b),] et, dans la mesure où celle-ci n’est pas la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté, le numéro et la date de ladite autorisation ;

b)      une copie de l’autorisation de mise sur le marché, visée à l’article 3 [, sous b)], par laquelle se trouve identifié le produit et comprenant notamment le numéro et la date de l’autorisation, ainsi que le résumé des caractéristiques du produit conformément à l’article 4 bis de la directive 65/65/CEE ou à l’article 5 bis de la directive 81/851/CEE ;

c)      si l’autorisation visée [sous b)] n’est pas la première autorisation de mise sur le marché du produit, en tant que médicament, dans la Communauté, l’indication de l’identité du produit ainsi autorisé et de la disposition légale en vertu de laquelle cette procédure d’autorisation est intervenue, ainsi qu’une copie de la publication de cette autorisation au Journal officiel. »

299    L’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 1768/92, relatif aux dispositions transitoires, énonce :

« 1. Tout produit qui, à la date d’entrée en vigueur du présent règlement, est protégé par un brevet de base en vigueur et pour lequel, en tant que médicament, une première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté a été obtenue après le 1er janvier 1985 peut donner lieu à délivrance d’un certificat.

En ce qui concerne les certificats à délivrer au Danemark et en Allemagne, la date du 1er janvier 1985 est remplacée par celle du 1er janvier 1988.

En ce qui concerne les certificats à délivrer en Belgique et en Italie, la date du 1er janvier 1985 est remplacée par celle du 1er janvier 1982. » 

300    La décision du comité mixte de l’EEE n° 7/94, du 21 mars 1994, modifiant le protocole 47 et certaines annexes de l’accord EEE (JO L 160, p. 1), a, en son annexe 15, incorporé le règlement n° 1768/92 dans l’annexe XVII (propriété intellectuelle) de l’accord EEE. Aux fins de l’article 3, sous b), du règlement n° 1768/92, une autorisation de mise sur le marché accordée conformément à la législation nationale de l’État de l’Association européenne de libre-échange (AELE) est assimilée à une autorisation de mise sur le marché accordée conformément à la directive 65/65/CEE du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO 1965, 22, p. 369). Par ailleurs, la Finlande et la Norvège figurent parmi les pays pour lesquels aucun CCP ne peut être délivré si la première autorisation de mise sur le marché dans l’EEE est antérieure au 1er janvier 1988. S’agissant de l’Autriche, la première autorisation de mise sur le marché dans l’EEE ne peut être antérieure au 1er janvier 1982. En ce qui concerne la Suède, un CCP ne peut être délivré si la première autorisation de mise sur le marché dans l’EEE est antérieure au 1er janvier 1985.

301    En vertu de l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 1768/92, le délai pour le dépôt des demandes de CCP sous le régime transitoire était fixé au 2 juillet 1993. Il résulte de l’article 3 de la décision du comité mixte de l’EEE n° 7/94 que le délai pour déposer les demandes de CCP en Autriche, en Finlande, en Norvège et en Suède était fixé au 1er janvier 1995.

302    Saisie d’une question préjudicielle à la suite d’un litige qui a opposé AZ à Ratiopharm en Allemagne, la Cour a, dans son arrêt du 11 décembre 2003, Hässle (C‑127/00, Rec. p. I‑14781), été amenée à, d’une part, juger de la compatibilité du régime transitoire mis en œuvre par l’article 19 du règlement n° 1768/92 avec le principe d’égalité de traitement et, d’autre part, interpréter la notion de première autorisation de mise sur le marché figurant à l’article 19, paragraphe 1, dudit règlement.

303    En ce qui concerne la compatibilité du régime transitoire mis en œuvre par l’article 19 du règlement n° 1768/92 avec le principe d’égalité de traitement, la Cour a considéré que la fixation de dates de référence différentes selon les États membres était justifiée par des objectifs légitimes liés aux politiques nationales en matière de santé publique et, notamment, à la stabilité financière des systèmes de santé. Selon la Cour, les différences entre les dates de référence résultaient de l’appréciation opérée par chaque État membre en fonction de son système de santé, dont l’organisation et le financement variaient d’un État membre à l’autre. Il a donc été considéré que le régime transitoire du règlement n° 1768/92 ne violait pas le principe d’égalité de traitement (arrêt Hässle, point 302 supra, points 38 à 42).

304    En ce qui concerne la notion de première autorisation de mise sur le marché figurant à l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 1768/92, la Cour a retenu que celle-ci renvoyait uniquement à la première autorisation de mise sur le marché au sens de la directive 65/65, délivrée dans l’un quelconque des États membres, et ne visait pas les autorisations requises par des réglementations en matière de prix et de remboursement des médicaments (arrêt Hässle, point 302 supra, point 79). Ci-après, dans la mesure où référence est précisément faite à la notion d’autorisation de mise sur le marché, telle qu’interprétée par la Cour dans l’arrêt Hässle, point 302 supra, il sera fait usage de l’expression « autorisation technique ».

305    Le premier abus de position dominante identifié par la Commission consiste en la présentation, dans le cadre d’une stratégie globale pour les CCP destinée à tenir les fabricants de produits génériques à l’écart du marché en cause, d’un ensemble de déclarations délibérément trompeuses effectuées devant les agents en brevets, les offices nationaux des brevets, ainsi que les juridictions nationales, aux fins d’obtenir ou de maintenir des CCP pour l’oméprazole auxquels AZ n’avait pas droit ou auxquels elle avait droit pour une durée plus limitée (voir considérants 144 et 626 de la décision attaquée).

306    La Commission a distingué deux phases dans le déroulement de ce premier abus. La première phase concerne les déclarations trompeuses effectuées par AZ lors de l’envoi d’instructions aux agents en brevets, le 7 juin 1993, par l’intermédiaire desquels sont introduites des demandes de CCP dans sept États membres, parmi lesquels figurent l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, les Pays-Bas et le Royaume-Uni (voir considérant 628 de la décision attaquée).

307    La seconde phase comprend, premièrement, des déclarations trompeuses présentées en 1993 et en 1994 devant les offices des brevets, en réponse à leurs questions sur les demandes de CCP déposées par AZ, deuxièmement, des déclarations trompeuses effectuées en décembre 1994, lors de la seconde série de demandes de CCP, dans trois États membres de l’EEE, à savoir l’Autriche, la Finlande et la Norvège, et, troisièmement, des déclarations trompeuses présentées ultérieurement devant d’autres offices des brevets, ainsi que devant des juridictions nationales, dans le cadre de procédures contentieuses engagées par des fabricants de produits génériques concurrents en vue de l’annulation des CCP dans ces États (voir considérant 629 de la décision attaquée).

2.     Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit

a)     Arguments des requérantes

 Sur les principes juridiques applicables

308    Les requérantes relèvent qu’il n’existe aucun « précédent » établissant que l’article 82 CE s’applique aux demandes visant à acquérir ou à prolonger un droit de propriété intellectuelle et proposent que cette question soit abordée à la lumière de trois principes.

309    Premièrement, ni la simple intention d’obtenir frauduleusement un brevet ou un CCP, ni la demande, même frauduleuse, de brevet ou de CCP, ni encore l’octroi d’un brevet ou d’un CCP qui n’est pas susceptible d’être mis en œuvre immédiatement ne pourraient être constitutifs d’un abus de position dominante. Les requérantes soutiennent, à cet égard, que l’abus de position dominante est une notion objective qui ne dépend pas de l’intention de causer un dommage à la concurrence, mais de la constatation objective de cet effet dans la réalité (arrêt Hoffmann-Laroche/Commission, point 239 supra, point 91, et arrêt du Tribunal du 12 décembre 2000, Aéroports de Paris/Commission, T‑128/98, Rec. p. II‑3929, points 172 et 173). Ainsi, l’intention de restreindre la concurrence ne serait pas suffisante pour prouver l’effet requis sur la concurrence, le comportement ayant cet effet pour objectif devant avoir été adopté. Dès lors, un comportement qui n’a pas été effectivement mis en œuvre ou qui n’est pas susceptible d’avoir un effet restrictif sur la concurrence ne constituerait pas un abus. Les requérantes soulignent, en particulier, que la preuve d’une « intention subjective » de commettre un abus, et celle d’un comportement préparatoire à un abus, comportement qui n’est pas, en soi, susceptible de restreindre la concurrence, ne suffisent pas pour établir l’existence d’un abus au sens de l’article 82 CE.

310    Deuxièmement, la simple acquisition d’un droit exclusif ne constituerait pas, en l’absence d’éléments complémentaires, un abus de position dominante (arrêt du Tribunal du 10 juillet 1990, Tetra Pak/Commission, T‑51/89, Rec. p. II‑309, points 23 et 24). Les requérantes précisent que l’arrêt Tetra Pak/Commission, précité, concerne un cas spécifique ayant trait à l’acquisition d’un droit de propriété intellectuelle s’apparentant à une activité. Selon elles, l’acquisition d’une licence de brevet exclusive constitue un abus de position dominante lorsque, tout d’abord, cette acquisition a pour effet de renforcer la position dominante de l’entreprise, ensuite, il existe très peu de concurrence et, enfin, l’acquisition du droit a pour effet d’exclure toute concurrence sur le marché en cause.

311    Troisièmement, un abus de position dominante ne saurait exister que lorsque le brevet obtenu de manière frauduleuse est mis en œuvre et que cette mise en œuvre remplit les conditions énoncées dans l’arrêt du Tribunal du 17 juillet 1998, ITT Promedia/Commission (T‑111/96, Rec. p. II‑2937). Dans cet arrêt, le Tribunal aurait considéré que le fait d’intenter une action en justice n’est susceptible de constituer un abus de position dominante au sens de l’article 82 CE que dans des circonstances exceptionnelles, à savoir lorsque, d’une part, l’action ne peut raisonnablement être considérée comme visant à faire valoir les droits de l’entreprise concernée et ne servirait dès lors qu’à « harceler » l’opposant et, d’autre part, lorsque l’action est conçue dans le cadre d’un plan ayant pour but d’éliminer la concurrence. Ces deux conditions devraient être interprétées et appliquées strictement, de manière à ne pas tenir en échec l’application du principe général d’accès au juge.

312    Ainsi, la mise en œuvre d’un brevet ne saurait constituer un abus de position dominante que lorsque l’entreprise a sciemment acquis ou mis en œuvre un brevet qu’elle savait être nul. Les requérantes ajoutent que, s’il est possible que, dans certaines circonstances, la simple conservation ou la défense d’un brevet, sans mise en œuvre active de celui-ci, puisse constituer un abus de position dominante, un tel abus ne saurait se produire que lorsque la période de protection conférée par le brevet commence. L’admission, aux fins de la constatation d’un abus de position dominante, de tout élément moins strict que la fraude et la connaissance de la nullité du brevet conduirait à « geler » les demandes de brevets dans la Communauté européenne, dans la mesure où les entreprises craindraient que les erreurs commises par inadvertance ou les négligences intervenues dans la mise en œuvre des brevets puissent entraîner l’imposition d’une amende par la Commission.

313    Or, la protection conférée par les brevets serait un élément fondamental de l’incitation à l’innovation dans des conditions économiquement viables et il y aurait lieu, en conséquence, de reconnaître l’existence d’un impératif d’ordre public selon lequel les entreprises ne doivent pas être indûment empêchées d’enregistrer des brevets dans le secteur pharmaceutique dans le cadre du régime des CCP.

314    Dans la réplique, si les requérantes prétendent qu’il est nécessaire que le brevet ait été mis en œuvre ou qu’il ait été menacé de le mettre en œuvre après l’octroi du CCP, elles soutiennent, à titre subsidiaire, que le CCP doit, à tout le moins, avoir été obtenu et que son existence doit avoir été susceptible d’influencer le comportement des concurrents. De plus, la fraude délibérée et intentionnelle envers les offices des brevets devrait être prouvée, et ce au moyen de preuves claires et convaincantes, la seule négligence ou incohérence dont aurait fait preuve le demandeur étant insuffisante.

315    Les requérantes ajoutent que les réglementations nationales régissant les demandes et les rectifications de brevets et de CCP prévoient des procédures permettant aux tribunaux ou aux offices des brevets de rectifier, voire d’annuler, l’enregistrement lorsque des erreurs ont été commises, que ce soit par inadvertance ou de manière frauduleuse. À cet égard, les offices des brevets et les entreprises concurrentes pourraient contester les brevets ou les CCP et, dans certains cas, intenter une action en dommages-intérêts. Par conséquent, il ne conviendrait pas, selon les requérantes, d’appliquer les règles de concurrence pour permettre des réparations ou imposer des sanctions à la suite d’acquisitions de brevets et de CCP, en raison du fait qu’elles seraient potentiellement anticoncurrentielles, lorsque ces demandes n’ont eu, en fait, aucun effet réel sur la concurrence. En effet, les règles de concurrence n’auraient pas pour fonction de contrôler les demandes de brevets et les règles applicables aux demandes de brevets et de CCP seraient normalement suffisantes pour exclure tout effet anticoncurrentiel. Ainsi, les requérantes considèrent que, pour pouvoir intervenir, la Commission doit démontrer les effets anticoncurrentiels.

316    Au soutien de leur thèse, les requérantes font référence au droit américain. Selon les requérantes, en premier lieu, dans le cadre du droit américain, un recours en droit de la concurrence serait justifié lorsque le brevet a été obtenu en présentant sciemment et délibérément des faits inexacts à l’office des brevets. À cet égard, ni la négligence grave ou l’imprudence, ni l’existence d’un comportement indélicat ne seraient suffisants, l’établissement d’une fraude étant nécessaire. Des déclarations délibérément inexactes équivalant à une fraude intentionnelle constitueraient ainsi une exigence essentielle de la mise en cause de la responsabilité, de sorte que la preuve claire et convaincante d’une intention spécifique serait requise. L’absence de divulgation ne saurait étayer une allégation de fraude que dans des cas exceptionnels, lorsque sont clairement établies l’intention de tromper et la confiance de l’organisme des brevets qui a été amené, du fait de cette omission, à accorder le brevet.

317    En second lieu, en droit américain, la mise en œuvre effective du brevet serait un élément nécessaire à l’application des règles de concurrence, la simple acquisition du brevet n’étant pas suffisante, dans la mesure où la cause immédiate de l’effet anticoncurrentiel devrait être le comportement du titulaire du brevet et non l’action de l’organisme public. En outre, tout comme en droit communautaire, un recours ne saurait être considéré comme « vexatoire » que lorsque l’action en justice est objectivement dénuée de fondement, en ce sens qu’aucun plaideur ne pourrait raisonnablement espérer obtenir gain de cause au vu des arguments présentés.

318    Enfin, les requérantes soulignent que ne saurait constituer un abus de position dominante l’accomplissement d’un acte qui ne serait susceptible de restreindre la concurrence que si d’autres actes qui lui sont subordonnés sont également accomplis. Le constat d’un abus de position dominante nécessiterait l’existence d’une probabilité réelle que l’acte ait un effet restrictif sur la concurrence et un lien de causalité direct entre l’acte et le dommage pour la concurrence. Ainsi, les actes purement internes à l’entreprise concernée, tels que la correspondance interne au groupe, et les actes extérieurs qui constituent uniquement les préparatifs d’un abus de position dominante potentiel sans être susceptibles d’avoir un effet sur la concurrence, ne sauraient être considérés comme abusifs. Les requérantes contestent ainsi l’allégation de la Commission selon laquelle la nature illicite du comportement ne saurait dépendre des aléas du comportement d’un tiers. Elles font valoir, à titre d’exemple, que la proposition d’un accord qui violerait l’article 81, paragraphe 1, CE ne conduirait à une infraction aux règles de concurrence que si les parties s’entendent à cet égard.

 Sur les erreurs de droit prétendument commises par la Commission

319    Les requérantes soutiennent que la Commission a commis une erreur en considérant que les transactions entre AZ et ses agents en brevets faisaient apparaître un comportement frauduleux dès le 7 juin 1993, date à laquelle AZ leur aurait communiqué des instructions (considérant 774 de la décision attaquée). En effet, la Commission situerait le commencement de l’abus de position dominante avant même l’introduction de la demande de CCP. Dans la mesure où ni AZ ni ses agents en brevets n’avaient encore contacté les offices des brevets, et où AZ n’avait pas encore obtenu de droit, ni fait valoir de droit, son comportement ne saurait avoir eu le moindre effet sur la concurrence. Les requérantes ajoutent qu’il n’y a pas lieu de considérer que ce comportement a débuté en 1993, dès lors que les brevets de base ne venaient à expiration que cinq ans plus tard, en avril 1999. L’effet de ce comportement sur la concurrence ne serait ainsi que très lointain, d’autant plus qu’AZ n’avait pas encore exercé ses droits conférés par ces CCP par le biais, par exemple, d’une demande de licence. Elles considèrent que la Commission ne saurait justifier la prise en compte de cette date par le fait qu’il s’agirait du premier acte faisant partie d’une chaîne d’actes ayant pour objectif d’exclure les concurrents, dans la mesure où ce raisonnement aboutirait à mettre en cause la responsabilité de l’entreprise en l’absence d’effet direct sur la concurrence, dans un ensemble de circonstances trop vaste

320    S’agissant des pays dans lesquels les CCP n’ont pas été accordés, à savoir le Danemark et le Royaume-Uni, les requérantes estiment que la Commission a commis une erreur de droit en considérant qu’AZ y avait commis un abus de position dominante. Dans la mesure où les offices des brevets de ces pays ont rejeté les demandes d’AZ et qu’aucun CCP n’a donc été octroyé, le comportement de cette dernière ne saurait avoir eu d’effet sur la concurrence dans ces marchés. Ainsi, les requérantes contestent les arguments de la Commission visés aux considérants 763 à 765 de la décision attaquée et soulignent qu’il est nécessaire que le comportement soit susceptible d’avoir un effet sur la concurrence. Or, une simple demande de CCP ne serait pas susceptible, en elle-même, d’avoir le moindre effet réel sur la concurrence. Il y aurait eu, tout au plus, des actes préparatoires à un abus, ou une tentative d’abus. En outre, les requérantes font valoir que la Commission a admis que les abus ont cessé, en juin, s’agissant du Royaume-Uni, et en novembre 1994, s’agissant du Danemark, c’est-à-dire bien avant l’expiration des brevets sur la substance, en avril 1999, et donc bien avant que l’octroi d’un CCP ait pu être susceptible d’avoir eu un effet sur la concurrence. En outre, aucun effet de dissuasion à l’entrée des concurrents sur le marché en cause n’aurait pu se produire dans ces pays.

321    À cet égard, les requérantes contestent l’affirmation de la Commission figurant au considérant 762 de la décision attaquée, selon laquelle l’octroi des CCP retarderait les préparatifs des producteurs de médicaments génériques, qui nécessiteraient souvent plusieurs années, et soulignent l’absence de preuve au sujet de la période dont ceux-ci auraient besoin. Selon les requérantes, aucun effet dissuasif ne se produirait avant le début de l’extension de la durée du brevet, ou avant un moment suffisamment proche de la date à laquelle cette extension doit entrer en vigueur pour que son existence future puisse influer sur le comportement des concurrents. La Commission ne saurait donc alléguer que, cinq à six ans avant l’expiration du brevet de base, un effet dissuasif sur l’entrée des concurrents sur le marché en cause ait pu se produire. En outre, sur la base des preuves apportées par les plaignantes, il aurait été reconnu, au cours de la procédure orale, que les médicaments génériques n’avaient pas été affectés par les CCP avant l’expiration du brevet sur la substance.

322    En réponse au considérant 758 de la décision attaquée, auquel la Commission affirme que le fait que le résultat recherché par une pratique effectivement mise en œuvre, ayant pour but d’écarter les concurrents du marché, ne soit pas atteint n’est pas suffisant pour éviter que la pratique soit qualifiée d’abus de position dominante, les requérantes font valoir que les actes mis en œuvre doivent eux-mêmes être susceptibles d’avoir cet effet. Dès lors que les brevets sur la substance étaient encore valables pendant cinq ans, il serait exclu que la simple demande d’un CCP soit susceptible d’avoir un effet aussi lointain. Par ailleurs, même si AZ était parvenue à obtenir des CCP au Danemark et au Royaume-Uni, il serait nécessaire, pour que le droit de la concurrence puisse être appliqué, qu’elle tente de mettre en œuvre ses droits. Par conséquent, les tentatives d’AZ pour obtenir des CCP au Danemark et au Royaume-Uni ne seraient pas abusives et, quand bien même il en serait décidé autrement, la durée des prétendues infractions serait beaucoup trop longue dans la mesure où elle aurait comme point de départ des actes préparatoires qui n’étaient pas abusifs en eux-mêmes.

323    S’agissant des pays dans lesquels les CCP ont été accordés, les requérantes soutiennent que, contrairement à ce que prétend la Commission, il résulte de l’arrêt Tetra Pak/Commission, point 310 supra, que la simple acquisition de droits de propriété intellectuelle ne constitue pas, en soi, un abus de position dominante. Le point 139 de l’arrêt ITT Promedia/Commission, point 311 supra, qui ferait référence à l’arrêt susmentionné, n’ajouterait rien à ce dernier arrêt.

324    De plus, il conviendrait de distinguer ces arrêts de la présente espèce, dans la mesure où ceux-ci examineraient l’acquisition par une entreprise en position dominante de droits de propriété intellectuelle appartenant à une autre personne. Or, il n’existerait aucun « précédent » permettant d’affirmer le caractère abusif de l’acquisition d’un brevet ou d’un CCP pour les propres inventions d’une entreprise, pas plus qu’il n’existerait de fondement au soutien de cette thèse. Selon les requérantes, un élément supplémentaire serait requis, consistant soit en l’élimination de la totalité de la concurrence (arrêt Tetra Pak/Commission, point 310 supra), soit en la mise en œuvre du CCP (jurisprudence américaine). Il serait toutefois clair que l’octroi des CCP n’a pas eu pour effet d’éliminer la totalité de la concurrence, dès lors que, ainsi que la Commission l’aurait elle-même reconnu, la concurrence aurait augmenté après l’octroi des CCP et AZ aurait perdu des parts de marché.

325    Les requérantes font observer que, avant l’expiration des brevets sur la substance, en Allemagne, en Belgique, au Danemark, en Norvège, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, intervenue en avril 1999, l’octroi des CCP n’était pas susceptible d’avoir le moindre effet restrictif supplémentaire sur la concurrence dès lors que l’entrée sur le marché des génériques était en tout état de cause exclue en raison de l’existence des brevets de base.

326    S’agissant de l’Allemagne, la Commission aurait admis qu’AZ ne détenait pas une position dominante après la fin de l’année 1997, une époque bien antérieure à la prise d’effet des CCP. Par ailleurs, au considérant 766 de la décision attaquée, la Commission reconnaîtrait que le CCP accordé en Allemagne avait été annulé avant l’expiration du brevet de base, ce qui exclurait que le comportement d’AZ ait pu avoir un effet restrictif sur la concurrence. Il ne serait, en outre, aucunement prouvé que la brève existence du CCP en Allemagne, qui fut révoqué en juin 1997, c’est-à-dire deux ans avant son entrée en vigueur prévue pour avril 1999, ait été susceptible de dissuader les concurrents de préparer leur entrée sur le marché à cette dernière date.

327    Les requérantes font valoir que, s’agissant des pays pour lesquels les dates des 1er janvier 1985 et 1982 sont retenues par l’article 19 du règlement n° 1768/92 en tant que dates après lesquelles une première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté doit avoir été obtenue pour un produit afin que celui-ci puisse bénéficier d’un CCP, le seul effet du prétendu abus a été d’étendre de sept mois la durée des CCP. En Belgique et aux Pays-Bas, la période supplémentaire obtenue grâce à l’octroi des CCP aurait débuté en avril 2002 et se serait achevée, respectivement, en septembre et en octobre 2002. Ce serait donc seulement durant cette période que le comportement en cause aurait été susceptible de produire un effet anticoncurrentiel. Or, il résulterait de la définition du marché de produits en cause retenue par la Commission que la position dominante d’AZ dans ces pays a cessé à la fin de l’année 2000. AZ n’aurait, par conséquent, pas occupé de position dominante au moment où son comportement était susceptible de produire un effet. Aucun effet de dissuasion à l’égard des concurrents quant à leur entrée sur le marché ne saurait davantage être identifié en 2002.

328    La Norvège serait le seul pays dans lequel AZ a pu occuper une position dominante à un moment où son comportement était susceptible d’avoir un effet sur la concurrence. Or, le CCP dans ce pays aurait été annulé par le tribunal de première instance d’Oslo en juin 1999, soit deux mois après l’expiration du brevet de base, en avril 1999. Selon les requérantes, aucune concurrence n’aurait pu être exclue du fait du CCP, dès lors qu’AZ aurait détenu un brevet sur la formulation, qui ne serait venu à expiration que bien après la fin du premier abus de position dominante allégué.

b)     Arguments de la Commission

 Sur les principes juridiques applicables

329    La Commission soutient que le recours à des procédures et à des réglementations publiques peut, dans certaines circonstances, constituer un abus de position dominante (arrêt de la Cour du 16 mars 2000, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, C‑395/96 P et C‑396/96 P, Rec. p. I‑1365, points 82 à 88), dans la mesure où ces réglementations publiques sont susceptibles d’imposer de solides barrières à l’entrée permettant de préserver la puissance de marché pendant longtemps. Selon la Commission, des déclarations trompeuses qui faussent la prise de décision des autorités nationales de manière à créer ou à protéger la puissance de marché peuvent causer un préjudice public considérable.

330    Dans ce cadre, la marge d’appréciation limitée des autorités nationales en cause quant à la suite à donner à la demande constituerait une circonstance pertinente devant être prise en considération (arrêt du 16 mars 2000, Compagnie maritime belge e.a./Commission, point 329 supra, point 82). En effet, lorsque la marge d’appréciation de l’autorité administrative est limitée, l’effet anticoncurrentiel qui résulterait d’une décision fondée sur des informations inexactes ne serait pas imputable à l’action de l’État, mais aux déclarations trompeuses.

331    La Commission fait observer que le fait que les effets sur le marché puissent dépendre d’une action complémentaire des pouvoirs publics n’exclut pas l’existence d’un abus, celui-ci existant même si l’autorité publique ne réagit pas dans le sens demandé. En effet, la nature illicite d’un comportement ne saurait dépendre des aléas du comportement d’un tiers. Il serait, ainsi, indifférent de savoir si l’autorité publique a ou non effectivement délivré le CCP à la suite des déclarations trompeuses d’AZ. La Commission ajoute que, si l’abus ne pouvait être constaté que dans les États membres où un comportement donné a abouti, un même comportement pourrait constituer une infraction dans certains États membres et non dans d’autres, en fonction de la réaction de l’autorité publique. Or, le champ d’application de l’article 82 CE couvrirait les comportements qui visent à produire des effets anticoncurrentiels ou qui sont susceptibles de les produire, et ce quel qu’en soit le succès.

332    Dans cette perspective, ce serait la date de la mise en œuvre du comportement susceptible de restreindre la concurrence qui devrait être retenue comme point de départ de l’abus, quand bien même, d’une part, un certain laps de temps s’écoulerait avant que cette ligne de conduite produise les effets anticoncurrentiels recherchés et, d’autre part, la réalisation de ces effets serait dépendante de facteurs externes. Toute solution contraire conduirait à considérer, selon la Commission, que la période durant laquelle est intervenu l’abus serait une période durant laquelle l’entreprise ne met en œuvre aucun comportement, mais où les effets se produiraient. De plus, dans la mesure où il serait fréquent que la fin du comportement abusif coïncide avec l’exclusion du concurrent, il ne servirait à rien, selon la Commission, d’être en mesure de poursuivre un comportement d’exclusion uniquement à partir du moment où l’objectif visé a été atteint. La Commission rejette, par conséquent, l’argument des requérantes selon lequel il n’y aurait pas d’abus avant la prise d’effet du CCP. En effet, la circonstance que l’effet recherché devait se produire ultérieurement ne modifierait pas le fait que le comportement visant à produire cet effet a été mis en œuvre.

333    La Commission ajoute que la distinction, avancée par les requérantes, entre acte interne et acte externe est dénuée de pertinence dès lors que, selon les circonstances, un acte qui peut, lorsqu’il est considéré isolément, sembler interne à première vue, peut, lorsqu’il est examiné dans son contexte, constituer la preuve d’une infraction au traité.

334    En réponse aux arguments avancés par les requérantes, la Commission souligne, tout d’abord, que, si l’abus est une notion objective (arrêt Hoffmann-Laroche, point 239 supra) dont l’établissement ne nécessite pas l’existence d’une intention, cette dernière n’est pas pour autant dénuée de pertinence. Elle précise, ensuite, que sa thèse ne repose pas uniquement sur l’intention, mais sur un schéma comportemental d’exécution de cette intention et visant à exclure les concurrents. L’intention serait un élément pertinent pour apprécier si un comportement est objectivement susceptible de restreindre la concurrence, dès lors que, si une entreprise applique une stratégie visant à exclure les concurrents ou en ayant conscience que cette stratégie pouvait avoir cet effet, son comportement serait susceptible de restreindre la concurrence. En tout état de cause, un comportement ayant pour but ou pour objet de restreindre la concurrence entrerait dans le champ d’application de l’article 82 CE, que l’objectif visé soit atteint ou non (conclusions de l’avocat général M. Tizzano sous l’arrêt de la Cour du 6 avril 2006, General Motors, C‑551/03 P, Rec. p. I‑3173, I‑3177, points 77 et 78, et arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, T‑203/01, Rec. p. II‑4071, points 241, 242 et 245). La Commission conteste, en outre, que la décision attaquée soit fondée sur la simple intention des requérantes, cette décision ayant identifié un comportement de nature à exclure les concurrents.

335    Elle fait observer que la notion de « fraude » ne figure pas dans la décision attaquée, celle-ci utilisant l’expression de « déclarations trompeuses ». Or, pour être abusive, une déclaration ne devrait pas nécessairement contenir des informations fausses, procédant d’un « mensonge », dès lors que des informations trompeuses seraient également susceptibles d’inciter les organismes publics à agir d’une manière susceptible d’exclure la concurrence. À cet égard, la Commission expose qu’une déclaration qui, lorsqu’elle est considérée isolément, peut être exacte, demeure trompeuse lorsqu’elle ne s’accompagne pas des faits importants qui la nuancent.

336    La Commission considère que l’argument des requérantes, selon lequel un comportement qui n’a pas été effectivement mis en œuvre ou qui n’est pas susceptible d’avoir un effet restrictif sur la concurrence ne constitue pas un abus, est dénué de pertinence dès lors que sa thèse repose sur un schéma comportemental qui avait pour but et qui était susceptible de produire une telle restriction. Par ailleurs, la Commission indique que l’acquisition d’un droit exclusif peut constituer un abus (arrêt Tetra Pak/Commission, point 310 supra, points 23 et 24, et arrêt ITT Promedia/Commission, point 311 supra, point 139). Selon elle, il n’y aurait pas lieu de traiter différemment l’acquisition d’une licence pour un procédé industriel et l’acquisition d’un CCP, dès lors que leur effet sur la concurrence, à savoir l’exclusion des concurrents, serait identique. En réponse à la distinction que les requérantes opèrent entre la présente espèce et les affaires ayant donné lieu aux arrêts Tetra Pak/Commission, point 310 supra, et ITT Promedia/Commission, point 311 supra, la Commission relève que ce dernier arrêt ne concerne pas l’acquisition par une entreprise en position dominante de droits de propriété intellectuelle appartenant à une autre personne. Par ailleurs, la Commission conteste que le CCP soit propre au demandeur avant d’être accordé et avance que l’élément supplémentaire auquel les requérantes font référence serait constitué par le système des déclarations trompeuses. En outre, la jurisprudence n’exigerait pas l’élimination de la totalité de la concurrence pour la constatation d’un abus. Il suffirait, ainsi qu’il ressortirait des considérants 758 à 770 de la décision attaquée, que l’introduction des médicaments génériques soit empêchée ou différée sur certains marchés.

337    La Commission précise, ensuite, que la présente affaire n’a qu’un rapport indirect avec les procédures judiciaires, dans la mesure où sont en cause en l’espèce des déclarations trompeuses à des agents en brevets et à des offices des brevets. Elle renvoie, à cet égard, aux considérants 736 à 740 de la décision attaquée et affirme que les actes de procédure d’AZ devant les tribunaux constituent la suite logique d’une stratégie d’exclusion proactive mise en œuvre au plus tard à partir du 6 mai 1993, et consistant en des déclarations trompeuses. Ainsi, dans la mesure où les concurrents auraient eu à supporter des frais et des retards associés aux actions en justice, cela aurait résulté des CCP délivrés à la suite des déclarations trompeuses d’AZ, qui les auraient obligés à intenter des actions multiples.

338    La Commission conteste que la décision attaquée puisse avoir un effet dissuasif sur les demandeurs de brevets et souligne que la nécessité de ne pas décourager les entreprises à communiquer avec les pouvoirs publics implique que de simples imprécisions, des déclarations inexactes du fait d’une négligence ou l’expression d’opinions discutables ne doivent pas être considérées comme des infractions à l’article 82 CE. Toutefois, en l’espèce, le comportement en cause ne consisterait pas en de simples erreurs ou en des négligences isolées, mais serait, au contraire, caractérisé par une continuité et une cohérence, témoignant d’une « intention subjective » et d’une pleine conscience de la nature trompeuse des déclarations. La Commission soutient qu’une telle utilisation abusive du système des brevets amoindrit l’incitation à innover, puisqu’elle permet à l’entreprise en position dominante de compter sur le maintien de ses rentes au-delà de la période prévue par le législateur et va à l’encontre des objectifs de la concurrence. Elle ajoute que le cas d’espèce ne concerne pas une demande de brevet, dans le cadre de laquelle l’organisme public doit apprécier de nombreux éléments aux fins de déterminer les mérites de l’invention revendiquée, mais l’octroi d’un CCP en vertu de dispositions qui, à l’époque pertinente, ne prévoyaient que des conditions formelles et une vérification des informations très sommaire.

339    En ce qui concerne l’existence de voies de recours spécifiques en matière de brevets, la Commission fait observer que celles-ci se sont avérées être insuffisantes pour empêcher l’utilisation abusive du système des brevets par des entreprises en position dominante. En effet, en 1993, les requérantes auraient considéré que le seul risque qu’entraînait leur comportement était une réduction de la durée du CCP (considérants 200 et 745 de la décision attaquée). Par ailleurs, la Commission conteste que l’existence de voies de droit spécifiques dans le règlement n° 1768/92 exclurait l’application des règles de concurrence et de leurs propres voies de droit. Selon elle, la notion de comportement abusif ne saurait être restreinte aux seuls comportements qui n’enfreignent pas d’autres droits ou pour lesquels aucune autre voie de droit n’est prévue, dès lors que les effets anticoncurrentiels, réels ou prévisibles, entrent dans le champ d’application du droit de la concurrence. Au surplus, la « voie de droit » prévue par ledit règlement n’aurait eu qu’une portée limitée, dans la mesure où elle n’aurait pas abordé la question de la mise en œuvre de la stratégie d’exclusion dans les cas où celle-ci n’aboutissait pas à l’acquisition d’un CCP, et n’aurait pas pris en considération l’objet anticoncurrentiel du comportement lorsqu’il est le fait d’une entreprise en position dominante. En outre, les concurrents n’auraient pas aisément pu contester les CCP obtenus par AZ, dans la mesure où ils n’avaient pas un accès facile aux informations pertinentes, relatives à la date de l’autorisation technique au Luxembourg et à la date de mise sur le marché effective dans ce pays.

340    En ce qui concerne le droit américain, la Commission souligne d’emblée sa pertinence limitée pour la présente espèce. En réponse aux allégations des requérantes, elle expose qu’il existe, en droit américain, une doctrine dite « noerr-Pennington », selon laquelle des déclarations trompeuses faites dans le cadre d’une politique de lobbying ne sont pas soumises aux règles de responsabilité découlant du Sherman Act. Elle relève toutefois que la Cour suprême des États-Unis d’Amérique a jugé que, lorsqu’elles étaient faites dans le cadre d’une procédure en justice, de telles déclarations trompeuses ne pouvaient bénéficier de cette doctrine et pouvaient être soumises aux règles de responsabilité découlant du Sherman Act et, plus spécifiquement, que l’application d’un brevet obtenu frauduleusement auprès de l’office des brevets pouvait s’avérer contraire à l’article 2 du Sherman Act. Par ailleurs, de nombreuses décisions de tribunaux américains auraient reconnu que des déclarations trompeuses pouvaient relever du Sherman Act. La Commission précise que cette jurisprudence couvre également les omissions importantes. Dans un de ses arrêts, le Federal Circuit aurait même employé l’expression « tentative inappropriée d’obtenir un brevet » en lieu et place de celle d’« obtention frauduleuse » et aurait déclaré qu’une fraude impliquait l’« intention de tromper », ou, à tout le moins, un état d’esprit à ce point insouciant des conséquences qu’il serait considéré comme équivalent à une intention. Ainsi, contrairement aux allégations des requérantes, le droit américain n’exigerait pas, pour établir l’existence d’une fraude, que les informations soient fausses.

341    La Commission admet que certaines juridictions ont retenu que la responsabilité au regard des règles de concurrence nécessitait que des mesures soient prises afin de faire respecter le brevet. Elle fait observer, toutefois, que d’autres juridictions ont jugé que la fourniture d’informations inexactes était suffisante. De plus, selon la Commission, s’il a été considéré en droit américain que l’invocation d’un brevet obtenu frauduleusement pouvait être abusif, cela n’exclut pas que d’autres types de comportement puissent également l’être.

342    Elle souligne, en outre, qu’est pertinente, en droit américain, la question de savoir si le cadre réglementaire dans lequel s’inscrit le comportement en cause confère à l’organisme public un large pouvoir d’appréciation ou lui demande de ne poser que des « actes ministériels » impliquant très peu de vérifications. Elle ajoute que, contrairement au droit européen de la concurrence, qui s’applique indépendamment des effets réels du comportement, la jurisprudence américaine est fondée sur la responsabilité civile pour fraude. Or, celle-ci requerrait que les autorités se soient fondées sur une déclaration, afin que puisse être établi le lien de causalité entre la déclaration trompeuse et le préjudice.

343    Elle conteste, par ailleurs, que le niveau de preuve requis dans les affaires de concurrence qui reposent sur des déclarations trompeuses soit plus élevé que le niveau normal de preuve. Elle relève, à cet égard, que « des preuves circonstancielles » ont été considérées comme suffisantes dans l’arrêt du Federal Circuit, mentionné au point 340 ci-dessus, le juge n’ayant pas considéré que l’intention devait être démontrée par une preuve directe. La Commission ajoute que la décision attaquée s’appuie sur un ensemble vaste et cohérent de preuves couvrant une longue période et laissant apparaître une ligne de conduite cohérente.

 Sur les erreurs de droit prétendument commises par la Commission

344    La Commission allègue que l’envoi d’instructions le 7 juin 1993 ne peut être considéré comme un simple acte préparatoire eu égard au contexte, à la nature et au contenu des instructions et des demandes. S’agissant, tout d’abord, du contexte réglementaire, la Commission fait observer que, en vertu de l’article 10, paragraphe 5, du règlement n° 1768/92, les États membres n’étaient pas tenus de vérifier la date de la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté et que ceux-ci ont, en pratique, procédé à une vérification limitée à cet égard. Elle soutient que, contrairement à ce qui serait applicable en matière de demande de brevet, les offices des brevets n’avaient pas pour tâche de procéder à un examen sur le fond, ceux-ci étant uniquement tenus d’examiner un certain nombre de conditions factuelles et formelles, afin de décider de la prolongation d’un brevet dont les mérites avaient déjà été appréciés dans le cadre de la demande de brevet. Ainsi, les autorités compétentes en matière de brevets n’auraient eu, en l’espèce, qu’une marge d’appréciation restreinte. De plus, AZ aurait été la seule à avoir connaissance de certains faits, tels que la date à laquelle le Losec a été introduit sur le marché luxembourgeois, ce qui aurait considérablement limité le rôle des tiers au cours de la procédure.

345    Selon la Commission, toute déclaration trompeuse n’enfreint pas nécessairement l’article 82 CE, dans la mesure où certaines déclarations ne sauraient avoir que des conséquences limitées pour la délivrance d’un CCP. Pour constituer un abus de position dominante, la déclaration trompeuse devrait jouer un rôle déterminant dans la décision. En l’espèce, il serait raisonnable de supposer que, si les requérantes n’avaient pas fait ces déclarations, elles n’auraient pas obtenu de CCP dans les pays pour lesquels la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté doit être postérieure au 1er janvier 1988, à savoir l’Allemagne, le Danemark, la Finlande et la Norvège, ou les auraient obtenus pour une période plus brève dans les pays pour lesquels la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté doit être postérieure au 1er janvier 1982, à savoir l’Autriche, la Belgique et l’Italie, ou au 1er janvier 1985, à savoir l’Irlande, les Pays‑Bas, le Luxembourg, le Royaume-Uni et la Suède. La Commission ajoute que les demandes de CCP des requérantes ne donnaient pas lieu de penser qu’elles ne reposaient pas sur l’interprétation généralement admise à l’époque, qui retenait la date de la première autorisation technique. En outre, l’interprétation s’appuyant sur la « théorie de la mise sur le marché effective » aurait permis à AZ de tromper les autorités publiques, puisqu’elle aurait été la seule à détenir les informations capitales, ce qui lui imposerait, davantage encore, une obligation de faire des déclarations n’induisant pas en erreur.

346    Dans la mesure où la protection d’une substance par un CCP aurait un effet d’exclusion pratiquement total des versions génériques concurrentes, la date d’expiration d’un brevet ou d’un CCP influencerait les préparatifs des fabricants de médicaments génériques désireux de lancer des versions génériques, qui s’efforceraient souvent d’être prêts à lancer leurs produits sur le marché le jour même de l’expiration du brevet ou du CCP. En effet, les décisions commerciales des entreprises pharmaceutiques seraient adoptées bien avant l’expiration du brevet sur la substance, ainsi que cela ressortirait de l’intérêt manifesté par Ratiopharm pour le CPP d’AZ en Allemagne et aux Pays-Bas en 1996 et en 1997. Il serait ainsi erroné, selon la Commission, de considérer qu’il ne peut y avoir d’abus avant l’entrée en vigueur du CCP. Au surplus, l’abus aurait également affecté les concurrents en ce qu’il les a contraints à dépenser des sommes considérables pour tenter de faire révoquer certains des CCP.

347    Eu égard à ce qui précède, la Commission considère que les arguments avancés par les requérantes sont infondés. S’agissant, tout d’abord, de l’argument selon lequel il n’y aurait pas d’abus de position dominante avant la demande de CCP proprement dite, la Commission considère que le commencement de l’abus se situe au moment où le demandeur adopte pour la première fois le comportement incriminé. Or, la première mise en œuvre de la stratégie d’AZ coïnciderait avec les instructions données aux agents en brevets, le 7 juin 1993, que les concurrents n’avaient pas la possibilité de connaître. La circonstance que ce premier acte, qui relève d’une ligne de conduite, ne suffise pas, en lui-même, à produire l’effet désiré et que des actes de tiers soient nécessaires au succès de la stratégie d’AZ serait dénuée de pertinence pour la constatation d’une infraction à l’article 82 CE, pour les motifs exposés au point 331 ci-dessus.

348    La Commission ajoute que, dans le contexte spécifique dans lequel les demandes de CCP ont été introduites, il y avait une forte probabilité que les offices des brevets acceptent, sans les vérifier, les dates fournies par AZ. Ainsi, le fait, dénoncé par les requérantes, que certaines autorités, contrairement à d’autres, n’ont finalement pas été induites en erreur par les déclarations d’AZ serait également dénué de pertinence. En effet, la capacité du comportement d’AZ à restreindre la concurrence aurait été identique dans tous les pays en cause et serait démontrée par le fait que les CCP ont été délivrés dans la plupart de ceux-ci. La circonstance que les CCP n’aient pas été délivrés au Danemark et au Royaume-Uni laisserait simplement apparaître que les effets auraient dépendu du comportement de tiers. Toutefois, les offices des brevets de ces derniers pays auraient pu se laisser abuser de la même façon que l’ont été d’autres offices.

349    La Commission conteste que les plaignantes aient reconnu, lors de l’audition, que les médicaments génériques n’avaient subi aucun effet d’un CCP avant l’expiration du brevet sur la substance et considère que cela ne ressort nullement du document cité par les requérantes. Au contraire, les plaignantes auraient affirmé que « la connaissance même du fait qu’Astra bénéficierait d’une période de protection couverte par le CCP [avait] pour effet de ‘refroidir’ ceux qui se prépar[aient] à entrer sur le marché ». La Commission ajoute à nouveau que les concurrents ont été affectés compte tenu des dépenses considérables engagées pour tenter de faire révoquer les CCP (considérants 760 et 762 de la décision attaquée).

350    Par ailleurs, la Commission conteste qu’un abus de position dominante puisse être identifié uniquement lorsque des mesures visant à faire respecter des droits de propriété intellectuelle sont prises. L’acquisition d’un droit de propriété intellectuelle pourrait constituer un abus en soi, puisque les autres entreprises sont censées respecter les droits exclusifs qui y sont associés. À titre subsidiaire, la Commission avance que l’annonce publiée par AZ dans un journal pharmaceutique, par laquelle elle a fait connaître son intention d’« assurer le respect de ces droits de propriété intellectuelle et [d’]engage[r] des poursuites contre ceux qui y porteraient atteinte », constitue une preuve suffisante de la prise de mesures de cette nature dans le cadre de la présente affaire. Par ailleurs, AZ aurait intenté des actions en contrefaçon en Allemagne sur la base du CCP, ce qui aurait contraint ses concurrents à consentir des frais considérables pour tenter de faire révoquer son CCP (considérants 760 à 766 de la décision attaquée). La Commission prétend que ces mesures s’inscrivent dans le cadre d’une stratégie globale d’exclusion, qui a commencé avec les déclarations trompeuses en 1993.

351    En ce qui concerne les situations dans lesquelles AZ a été en mesure de prolonger la durée pour laquelle les CCP avaient été octroyés, la Commission admet que l’effet d’exclusion est d’une durée plus limitée. Cette circonstance n’influencerait toutefois pas la constatation de l’existence d’un abus. Par ailleurs, le fait que les effets du comportement abusif ont lieu à un moment où l’entreprise ne dispose plus d’une position dominante ne serait pas davantage de nature à influer sur l’appréciation juridique du comportement mis en œuvre lorsque l’entreprise disposait de cette position dominante, qui serait la seule circonstance pertinente. La Commission ajoute qu’il y avait une corrélation étroite entre les éléments de l’abus, les incidences sur la situation concurrentielle dans un pays pouvant s’étendre à un autre pays. Le fait que les déclarations trompeuses d’AZ, d’une part, aient continué à produire des effets jusqu’à ce qu’elles soient corrigées et, d’autre part, étaient susceptibles d’avoir des effets dans d’autres pays, signifie que, dans la mesure où il concernait la Belgique, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Norvège, l’abus de position dominante ne saurait être limité à la dernière déclaration trompeuse en ce qui concerne ces pays. En outre, la Commission avance que, compte tenu du niveau des ventes de Losec au moment de l’expiration du brevet de base, la protection supplémentaire réelle en Belgique, aux Pays-Bas et en Norvège portait sur des intérêts considérables.

c)     Appréciation du Tribunal

 Sur la qualification du comportement en cause d’abus de position dominante

352    Il résulte d’une jurisprudence constante que la notion d’exploitation abusive est une notion objective qui vise les comportements d’une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d’un marché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou des services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence (arrêts Hoffmann-La Roche/Commission, point 239 supra, point 91, et AKZO/Commission, point 243 supra, point 69 ; arrêts du Tribunal du 7 octobre 1999, Irish Sugar/Commission, T‑228/97, Rec. p. II‑2969, point 111, et Michelin/Commission, point 334 supra, point 54).

353    À cet égard, il importe de rappeler que l’article 82 CE vise tant les pratiques susceptibles de causer un préjudice immédiat aux consommateurs que celles qui leur causent préjudice en portant atteinte à une structure de concurrence effective (arrêt Europemballage et Continental Can/Commission, point 267 supra, point 26).

354    Il s’ensuit que l’article 82 CE interdit à une entreprise en position dominante d’éliminer un concurrent et de renforcer ainsi sa position en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d’une concurrence par les mérites (arrêt AKZO/Commission, point 243 supra, point 70, et arrêt Irish Sugar/Commission, point 352 supra, point 111). Il résulte également de la jurisprudence qu’un abus de position dominante ne doit pas nécessairement consister en l’utilisation de la puissance économique que confère une position dominante (voir, en ce sens, arrêt Europemballage et Continental Can/Commission, point 267 supra, point 27, et arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, point 239 supra, point 91).

355    En l’espèce, il y a lieu d’observer que la présentation aux autorités publiques d’informations trompeuses, de nature à induire celles-ci en erreur et à permettre, en conséquence, la délivrance d’un droit exclusif auquel l’entreprise n’a pas droit, ou auquel elle a droit pour une période plus limitée, constitue une pratique étrangère à la concurrence par les mérites, qui peut être particulièrement restrictive de la concurrence. Un tel comportement ne correspond pas à la responsabilité particulière incombant à une entreprise en position dominante de ne pas porter atteinte, par un comportement étranger à la concurrence par les mérites, à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun (voir, en ce sens, arrêt Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, point 30 supra, point 57).

356    Il résulte du caractère objectif de la notion d’abus (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, point 239 supra, point 91) que la nature trompeuse des déclarations communiquées aux autorités publiques doit être appréciée sur la base d’éléments objectifs et que la démonstration du caractère délibéré du comportement et de la mauvaise foi de l’entreprise en position dominante n’est pas requise aux fins de l’identification d’un abus de position dominante.

357    Il importe de relever que l’appréciation de la nature trompeuse de déclarations fournies aux autorités publiques aux fins de l’obtention indue de droits exclusifs doit être opérée in concreto et est susceptible de varier selon les circonstances propres à chaque affaire. Il convient notamment d’examiner si, eu égard au contexte dans lequel la pratique en cause a été mise en œuvre, cette dernière était de nature à conduire les autorités publiques à créer indûment des obstacles réglementaires à la concurrence, par exemple par l’octroi irrégulier de droits exclusifs à son profit. À cet égard, ainsi que la Commission le fait valoir, la marge d’appréciation limitée des autorités publiques ou l’absence d’obligation leur incombant de vérifier l’exactitude ou la véracité des informations communiquées peuvent constituer des éléments pertinents devant être pris en considération aux fins de déterminer si la pratique en cause est de nature à aboutir à l’élévation d’obstacles réglementaires à la concurrence.

358    Par ailleurs, dans la mesure où l’entreprise en position dominante se voit délivrer un droit exclusif irrégulier à la suite d’une erreur de sa part dans sa communication avec les autorités publiques, la responsabilité particulière qui lui incombe de ne pas porter atteinte, par des moyens ne relevant pas de la concurrence par les mérites, à la concurrence effective et non faussée dans le marché commun lui impose, à tout le moins, d’en informer les autorités publiques afin de les mettre en mesure de corriger ces irrégularités.

359    Il convient également de relever, au regard des arguments des requérantes exposés aux points 309, 312 et 314 ci-dessus, que, si la démonstration du caractère délibéré du comportement de nature à tromper les autorités publiques n’est pas nécessaire aux fins de l’identification d’un abus de position dominante, celui-ci n’en constitue pas moins également un élément pertinent pouvant, le cas échéant, être pris en considération par la Commission. La circonstance, invoquée par les requérantes, que la notion d’abus de position dominante a un contenu objectif et n’implique pas l’intention de nuire (voir, en ce sens, arrêt Aéroports de Paris/Commission, point 309 supra, point 173), ne conduit pas à considérer que l’intention de recourir à des pratiques étrangères à la concurrence par les mérites est en toute hypothèse dénuée de pertinence, celle-ci pouvant toujours être prise en compte au soutien d’une conclusion selon laquelle l’entreprise concernée a commis un abus de position dominante, quand bien même une telle conclusion devrait en premier lieu reposer sur la constatation objective d’une mise en œuvre matérielle du comportement abusif.

360    Enfin, la seule circonstance que certaines autorités publiques ne se soient pas laissées abuser et aient décelé les inexactitudes des informations fournies à l’appui des demandes de droits exclusifs, ou que des concurrents aient obtenu, postérieurement à l’octroi irrégulier des droits exclusifs, l’annulation de ceux-ci, ne suffit pas pour considérer que les déclarations trompeuses n’étaient en tout état de cause pas susceptibles d’aboutir. En effet, ainsi que la Commission le relève à juste titre, dès lors qu’il est établi qu’un comportement est objectivement de nature à restreindre la concurrence, son caractère abusif ne saurait dépendre des aléas des réactions des tiers.

361    En conséquence, la Commission a fait une juste application de l’article 82 CE en considérant que constituait un abus de position dominante la présentation par une entreprise jouissant d’une telle position de déclarations objectivement trompeuses aux offices des brevets, de nature à conduire ces derniers à lui accorder des CCP auxquels elle n’a pas droit ou auxquels elle a droit pour une période plus limitée et, ainsi, à restreindre ou à éliminer la concurrence. Le caractère objectivement trompeur de ces déclarations doit être apprécié à la lumière des circonstances et du contexte spécifiques de chaque cas d’espèce. Dans la présente affaire, l’appréciation factuelle opérée par la Commission à cet égard fait l’objet du second moyen.

362    L’argument des requérantes selon lequel la reconnaissance de l’existence d’un abus de position dominante requerrait que le droit exclusif obtenu à la suite de déclarations trompeuses soit mis en œuvre ne saurait être retenu. En effet, lorsqu’il est accordé par une autorité publique, un droit de propriété intellectuelle est normalement présumé être valide et sa détention par une entreprise est supposée être légitime. La seule possession par une entreprise d’un droit exclusif a normalement pour conséquence de tenir les concurrents à l’écart, ces derniers étant tenus de respecter, en vertu de la réglementation publique, ce droit exclusif. En outre, pour autant que l’argument des requérantes vise l’exercice d’un droit de propriété intellectuelle dans le cadre d’une action en justice, celui-ci tend à exiger, pour la mise en œuvre de l’article 82 CE, que les concurrents contreviennent à la réglementation publique en enfreignant le droit exclusif de l’entreprise, ce qui ne saurait être admis. Au surplus, les tiers disposent rarement des informations leur permettant de savoir si un droit exclusif a été délivré irrégulièrement.

363    Par conséquent, les arguments des requérantes, tirés de l’application des critères retenus par la Commission dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt ITT Promedia/Commission, point 311 supra, doivent également être rejetés comme dénués de pertinence, ceux-ci ayant trait à un exercice éventuellement abusif du droit d’agir en justice contre un concurrent.

364    Par ailleurs, l’acquisition illégitime d’un droit exclusif ne saurait constituer un abus de position dominante seulement lorsqu’elle aurait pour effet d’éliminer totalement la concurrence. La circonstance que le comportement en cause concerne l’obtention d’un droit de propriété intellectuelle ne justifie pas une telle condition.

365    À cet égard, les requérantes ne sauraient se fonder sur l’arrêt Tetra Pak/Commission, point 310 supra, pour considérer qu’une élimination totale de la concurrence serait requise. Il convient d’observer, tout d’abord, que la présente espèce et l’arrêt Tetra Pak/Commission, point 310 supra, concernent des situations différentes. Tandis que la présente situation concerne des actes de nature à inciter les autorités publiques à délivrer un droit de propriété intellectuelle auquel l’entreprise en position dominante n’a pas droit, ou auquel elle a droit pour une durée plus limitée, l’arrêt Tetra Pak/Commission, point 310 supra, a trait à l’acquisition par une entreprise en position dominante d’une société détenant une licence exclusive sur un brevet qui constituait le seul moyen de concurrencer effectivement l’entreprise en position dominante (points 1 et 23 de cet arrêt). Ensuite, il ne ressort nullement de cet arrêt que l’article 82 CE exige une élimination totale de la concurrence pour être mis en œuvre. Dans cet arrêt, le Tribunal a uniquement approuvé l’appréciation de la Commission selon laquelle l’article 82 CE ne permettait pas, en l’espèce, à l’entreprise en position dominante, en acquérant une licence exclusive, de renforcer sa position « ‘qui était déjà très forte’ », et d’empêcher ou de considérablement retarder « ‘l’entrée d’un nouveau concurrent sur un marché où la concurrence, s’il en exist[ait] encore, [était] très fortement réduite’ » (point 23 de cet arrêt).

366    En outre, il y a lieu de rejeter l’argument des requérantes, selon lequel l’existence de voies de recours spécifiques permettant de rectifier, voire d’annuler, les brevets et les CCP délivrés de façon irrégulière justifie que les règles de concurrence soient appliquées uniquement lorsqu’un effet anticoncurrentiel est démontré. Dès lors qu’un comportement entre dans le champ d’application des règles de concurrence, celles-ci sont applicables indépendamment de la question de savoir si ce comportement peut également faire l’objet d’autres règles, d’origine nationale ou non, poursuivant des objectifs distincts. De même, l’existence de voies de recours spécifiques au système des brevets n’est pas susceptible de modifier les conditions d’application des interdictions prévues en droit de la concurrence et, notamment, de requérir, en présence d’un comportement tel que celui qui est en cause en l’espèce, la démonstration des effets anticoncurrentiels produits par celui-ci.

367    Les requérantes ne sauraient non plus objecter que la reconnaissance de l’existence d’un abus de position dominante en cas de présentation aux offices des brevets de déclarations objectivement trompeuses aux fins d’obtenir des droits de propriété intellectuelle auxquels l’entreprise n’a pas droit, ou auxquels elle a droit pour une période plus limitée, conduirait à « geler » les demandes de brevets et irait à l’encontre de l’intérêt public relatif à l’encouragement à l’innovation. Il est en effet manifeste que, lorsqu’il est avéré, un tel comportement va précisément à l’encontre de l’intérêt général, tel que pondéré et mis en œuvre par le législateur. Ainsi que la Commission le fait observer, une telle utilisation abusive du système des brevets amoindrit potentiellement l’incitation à innover, dans la mesure où elle permet à l’entreprise en position dominante de maintenir son exclusivité au-delà de la période prévue par le législateur.

368    Enfin, s’agissant des arguments des requérantes tirés du droit américain, il suffit de relever que la position adoptée par ce dernier ne saurait commander celle retenue par le droit de l’Union européenne (arrêt Atlantic Container Line e.a./Commission, point 243 supra, point 1407).

 Sur le début de la mise en œuvre de la pratique prétendument abusive

369    En ce qui concerne la date à laquelle l’abus de position dominante, s’il est établi, est réputé avoir débuté, la Commission a considéré que, s’agissant de l’Allemagne, de la Belgique, du Danemark, des Pays-Bas et du Royaume-Uni, celui-ci avait commencé à être mis en œuvre le 7 juin 1993, lors de la communication aux agents en brevets dans ces pays des instructions finales pour les demandes de CCP à l’égard de l’oméprazole (voir considérants 179, 651 et 774 de la décision attaquée). Ainsi que les requérantes le font observer, la Commission situe ainsi le commencement du prétendu abus de position dominante avant même l’introduction des demandes de CCP auprès des offices des brevets.

370    Le Tribunal estime toutefois que des instructions, communiquées aux agents en brevets, d’introduire des demandes de CCP ne sauraient être considérées comme équivalentes aux demandes elles-mêmes de CCP devant les offices des brevets. En effet, la conséquence escomptée du prétendu caractère trompeur des déclarations, à savoir la délivrance du CCP, ne saurait se produire qu’à partir du moment où les offices des brevets sont saisis des demandes de CCP, et non lorsque les agents de brevets, qui ne jouent en l’occurrence qu’un rôle d’intermédiaire, reçoivent les instructions quant à ces demandes.

371    Il convient de constater, en outre, que la position de la Commission en ce qui concerne la date à laquelle le prétendu premier abus a commencé en Allemagne, en Belgique, au Danemark, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni n’est pas cohérente avec l’approche qu’elle a retenue en ce qui concerne la Norvège. En effet, la Commission a considéré que, dans ce dernier pays, le prétendu premier abus avait débuté le 21 décembre 1994, à savoir lors de la communication à l’office des brevets norvégien de la demande de CCP par l’agent en brevets (voir considérants 234 et 774 de la décision attaquée).

372    Par conséquent, les requérantes sont fondées à faire valoir que la Commission a commis une erreur de droit en considérant que le prétendu premier abus de position dominante commis par AZ en Allemagne, en Belgique, au Danemark, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni avait débuté le 7 juin 1993, lors de la communication aux agents en brevets des instructions en vue du dépôt devant les offices des brevets des demandes de CCP.

373    Cette erreur n’est toutefois pas de nature à affecter la légalité de la décision attaquée en ce qui concerne l’existence de la pratique prétendument abusive à partir de la communication aux offices des brevets nationaux des demandes de CCP. À cet égard, il résulte du considérant 185 de la décision attaquée que les demandes de CCP ont été communiquées aux offices des brevets en Allemagne, en Belgique, au Danemark, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni entre les 12 et 30 juin 1993. Les conséquences de cette erreur sur le montant des amendes seront, le cas échéant, appréciées ci-après, dans la partie consacrée au moyen avancé par les requérantes sur ce point.

 Sur la nature anticoncurrentielle du comportement incriminé et ses effets sur la concurrence

374    Les requérantes contestent la nature anticoncurrentielle des déclarations trompeuses d’AZ devant les offices des brevets et font valoir que celles-ci n’étaient pas susceptibles, en elles-mêmes, de restreindre la concurrence.

375    Il convient de relever, tout d’abord, que, ainsi qu’il a été considéré au point 355 ci-dessus, l’obtention, par le biais de procédés de nature à tromper les autorités publiques, d’un droit exclusif auquel l’entreprise en position dominante n’a pas droit ou auquel elle a droit pour une période plus limitée, constitue une pratique étrangère à la concurrence par les mérites, qui peut être particulièrement restrictive de la concurrence. L’appréciation de la nature objectivement trompeuse de déclarations fournies aux autorités publiques aux fins de l’obtention indue de droits exclusifs doit être opérée en tenant dûment compte des spécificités concrètes de l’espèce.

376    Les requérantes font valoir qu’un abus de position dominante ne saurait être identifié que lorsque le comportement en cause a un effet direct sur la concurrence et que, en l’occurrence, les demandes irrégulières de CCP n’auraient eu que des effets lointains sur celle-ci. À cet égard, il convient de relever qu’il ne ressort nullement de la jurisprudence que, pour constituer un abus de position dominante, un comportement doit affecter directement la concurrence. Dans une situation telle que celle de l’espèce, où les pratiques en cause, si elles sont établies, ne sauraient, dans quelque mesure que ce soit, être considérées comme relevant d’une concurrence normale des produits sur la base des performances de l’entreprise, la démonstration que, compte tenu du contexte économique ou réglementaire dans lequel ces pratiques s’insèrent, celles-ci sont de nature à restreindre la concurrence est suffisante. Ainsi, la capacité de la pratique en cause à restreindre la concurrence peut être indirecte, pourvu qu’il soit démontré à suffisance de droit qu’elle soit réellement de nature à restreindre la concurrence.

377    Par ailleurs, et ainsi que la Commission le fait observer, un comportement visant à exclure les concurrents nécessite fréquemment, pour atteindre un résultat, le concours de tiers, que ce soient les autorités publiques ou les acteurs sur le marché, de tels comportements étant, en pratique, rarement susceptibles d’exercer un effet direct sur la position concurrentielle des concurrents. Ainsi, le succès d’une pratique d’exclusion des concurrents consistant à ériger des barrières à l’entrée de nature réglementaire par l’obtention irrégulière de droits exclusifs dépend nécessairement de la réaction des autorités publiques, voire de celle des juridictions nationales dans le cadre de contentieux éventuellement initiés par des concurrents aux fins de l’annulation de ces droits. Cela étant, des déclarations tendant à obtenir de manière irrégulière des droits exclusifs ne sont constitutives d’un abus que lorsqu’il est démontré que, compte tenu du contexte objectif dans lequel elles sont faites, ces déclarations sont réellement de nature à conduire les autorités publiques à accorder le droit exclusif demandé.

378    Les requérantes contestent qu’il puisse être conclu à l’existence d’un abus de position dominante en Allemagne, en Belgique, au Danemark, en Norvège, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni et invoquent, à cet égard, des arguments d’ordre factuel tendant à faire admettre que l’obtention de CCP n’était pas susceptible d’avoir un effet restrictif sur la concurrence. Dans la mesure où ces arguments sont essentiellement d’ordre factuel, le Tribunal les examinera aux points 601 à 607 ci-après, dans le cadre de l’examen du second moyen, consacré au contrôle de l’appréciation par la Commission des faits constitutifs du premier abus de position dominante.

379    Pour autant que ces arguments concernent des questions de principe, il y a lieu de relever que les requérantes ne sauraient tirer parti du fait que, en Belgique et aux Pays-Bas, AZ n’était plus en position dominante au moment où les CCP apportaient une protection supplémentaire. En effet, la circonstance qu’AZ n’était plus en position dominante au moment où son comportement abusif a pu produire ses effets ne modifie pas la qualification juridique qu’il convient d’attacher à ses actes, dès lors que ceux-ci ont été commis à une époque où il incombait à AZ une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun.

380    Enfin, la circonstance, invoquée par les requérantes à plusieurs reprises, que l’effet sur la concurrence des déclarations trompeuses et de la délivrance consécutive des CCP se ferait sentir seulement plusieurs années plus tard, lors de l’expiration des brevets de base, ne retire pas au comportement en cause, s’il est établi, son caractère abusif, compte tenu de l’effet d’exclusion des concurrents qui peut être escompté lorsque ces CCP sont délivrés et ne sont pas révoqués par la suite. Par ailleurs, en ce qui concerne la contestation du considérant 762 de la décision attaquée, auquel la Commission invoque le fait que la seule existence des CCP retarde les préparatifs des producteurs de médicaments génériques, il résulte de ce qui précède que, même à considérer qu’un tel effet n’existerait pas ou serait d’une ampleur moindre, des déclarations objectivement trompeuses ayant pour objet l’obtention de CCP irréguliers seraient en elles-mêmes, si elles devaient être établies, de nature à restreindre la concurrence.

381    Compte tenu de l’ensemble de ce qui précède, il y a lieu d’accueillir le premier moyen, en ce qu’il est tiré d’une erreur de droit de la part de la Commission dans l’appréciation de la date à laquelle le prétendu premier abus de position dominante a commencé en Allemagne, en Belgique, au Danemark, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. En effet, le prétendu premier abus n’a pas débuté, dans ces pays, par la communication par AZ de ses instructions aux agents en brevets, mais par la communication aux offices nationaux des brevets des demandes de CCP. Dans ces conditions, et au regard du considérant 185 de la décision attaquée, il y a lieu de considérer que le premier abus de position dominante, s’il est établi, a commencé au plus tard le 30 juin 1993.

382    Il y a toutefois lieu de rejeter le premier moyen pour le surplus.

3.     Sur le second moyen, tiré d’un défaut de preuve de l’abus de position dominante

a)     Arguments des requérantes

 Sur l’allégation de fraude

383    Les requérantes estiment que les allégations de la Commission, relatives à l’existence d’une stratégie consistant à effectuer des déclarations délibérément inexactes, nécessitent d’être prouvées par des éléments probants d’une « clarté absolue ». Conformément au principe de la présomption d’innocence, ces allégations ne sauraient être fondées sur des conjectures et des conclusions tirées de circonstances qui, en elles-mêmes, n’entraînent pas nécessairement la constatation d’une fraude. À cet égard, les requérantes renvoient aux droits du Royaume-Uni et américain et soulignent notamment que, contrairement à ce que prétend la Commission, l’arrêt du Federal Circuit, mentionné au point 340 ci-dessus, requiert également la preuve « claire et convaincante » d’une intention spécifique, la démonstration d’une négligence grave étant insuffisante. Les requérantes mettent ainsi en doute la pertinence de la jurisprudence relative aux ententes. En effet, dans le contexte des ententes, il serait possible de déduire une intention ou l’existence d’un accord de la tenue de réunions entre concurrents. En revanche, dans le contexte d’actes relativement habituels dans le cadre d’une procédure judiciaire relative à un brevet, des éléments de preuves pouvant sembler étayer l’existence d’une fraude pourraient tout aussi bien correspondre à une négligence grave ou à une faute commise par inadvertance.

384    Or, la Commission aurait fondé ses arguments sur des preuves qui ne rempliraient pas le degré d’exigence requis. À cet égard, les requérantes font valoir qu’une série d’allégations insuffisamment fondées, de déductions ténues et d’insinuations n’équivalent pas, même prises ensemble, à une preuve claire et convaincante. La Commission aurait procédé à des références sélectives aux preuves documentaires, en les retirant parfois de leur contexte, et en aurait donné des interprétations biaisées. Elle n’aurait, en outre, jamais rencontré ni les employés d’AZ ni les auteurs des documents sur lesquels elle se fonde, et n’aurait effectué aucune enquête auprès des experts, des offices des brevets concernés, ou des agents des brevets.

385    Le simple fait de démontrer qu’AZ n’a pas divulgué de manière proactive l’interprétation juridique sur le fondement de laquelle elle a effectué ses demandes d’extension de brevet serait insuffisant pour constater un abus. Un tel constat serait, en tout état de cause, insuffisant pour démontrer le caractère intentionnel d’un abus de ce type lorsque, d’une part, l’interprétation du cadre réglementaire aurait été retenue rationnellement et de bonne foi et, d’autre part, cette interprétation aurait été révélée à la suite d’une demande d’informations de la part de l’autorité publique. Ainsi, la circonstance, alléguée par la Commission, que le directeur du département des brevets savait que les déclarations étaient incomplètes et non entièrement transparentes serait manifestement insuffisante pour constater un abus de cette nature.

386    Les requérantes exposent qu’AZ avait interprété l’expression « première autorisation de mise sur le marché » figurant à l’article 19 du règlement n° 1768/92 comme signifiant la date de l’achèvement, dans n’importe quel État membre, de la totalité des démarches administratives nécessaires pour permettre le lancement du produit dans cet État membre. AZ aurait ainsi considéré que la première autorisation n’était intervenue que lorsque l’autorité nationale avait approuvé le prix du produit de façon à ce que celui-ci puisse effectivement être mis sur le marché. Ci-après, il sera fait référence à la notion d’autorisation de mise sur le marché, telle que résultant de la présente interprétation retenue par AZ, par l’expression « autorisation de mise sur le marché effective ».

387    Cette interprétation aurait été adoptée de bonne foi et ne saurait être considérée comme étant déraisonnable, eu égard à l’imprécision de la législation en cause. AZ aurait consulté deux avocats, dont les avis auraient soutenu son interprétation du règlement n° 1768/92. [confidentiel]

388    [confidentiel]

389    Selon les requérantes, le fait que ces juristes de renom aient retenu la même interprétation du règlement n° 1768/92 que celle d’AZ constituerait un élément important au soutien de l’allégation selon laquelle l’interprétation soutenue par AZ était rationnelle et, partant, arrêtée de bonne foi. Elles contestent, en outre, qu’AZ ait exercé une pression sur ses juristes internes et renvoient, sur ce point, au témoignage d’un avocat.

390    Les requérantes ajoutent que le caractère raisonnable et de bonne foi de cette interprétation du règlement n° 1768/92 serait corroboré par le fait que le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) aurait considéré que ce règlement était suffisamment imprécis pour soumettre à la Cour des questions préjudicielles portant sur l’interprétation et la validité de celui-ci.

391    Par ailleurs, elles font valoir que l’interprétation du règlement n° 1768/92 retenue par AZ serait en conformité avec le but de celui-ci, à savoir la compensation de la réduction de la durée d’exploitation économique du brevet. Prenant l’exemple de la France, elles indiquent que l’autorisation technique française, qui constituait la première autorisation technique accordée dans la Communauté, a été accordée en avril 1987, alors que le prix n’a été approuvé que deux ans et demi plus tard, en novembre 1989, date à partir de laquelle l’oméprazole a pu être commercialisé en France. Au soutien de leurs prétentions, les requérantes produisent dix déclarations sous serment d’actuels et d’anciens employés d’AZ ainsi que dix déclarations sous serment d’agents en brevets et d’avocats.

392    Les requérantes considèrent, par conséquent, que la Commission n’est pas fondée à affirmer, au considérant 666 de la décision attaquée, qu’AZ avait sciemment effectué de fausses déclarations, celles-ci ayant été, au contraire, faites de bonne foi. Elles reprochent également à la Commission d’avoir, aux considérants 151 et 152 de la décision attaquée, décrit l’article 8 du règlement n° 1768/92 en insérant, dans cette description, des éléments relevant de l’interprétation de cette disposition, de façon à donner l’impression que le règlement en cause indiquait clairement que la date de l’autorisation technique était la même que celle de l’autorisation de mise sur le marché.

393    Les requérantes estiment que la Commission ne pouvait pas soutenir que les offices nationaux des brevets ne vérifiaient pas les informations soumises par les demandeurs de CCP au sujet de la date des premières autorisations de mise sur le marché. En effet, la Commission ne se serait fondée que sur la pratique de deux États, à savoir la Finlande et la Norvège, et les preuves dateraient du milieu de l’année 1994, soit bien après que les demandes de CCP initiales aient été effectuées, en juin 1993. De plus, la Commission ne soutiendrait pas l’existence d’un abus de position dominante en Finlande. En outre, aucune preuve de l’absence de vérification dans les autres États membres, notamment en Allemagne et au Danemark, à l’époque de l’introduction des premières demandes, en juin 1993, n’aurait été apportée. La Commission n’aurait pas même contacté les autorités nationales en cause aux fins d’établir ce point. L’allégation de la Commission serait d’ailleurs infirmée par le fait que les demandes d’AZ auraient été contestées par de nombreuses autorités. Les requérantes ajoutent qu’il ne découle pas nécessairement du fait que, en vertu de l’article 10, paragraphe 5, du règlement n° 1768/92, les États membres n’étaient pas tenus de vérifier la première date d’autorisation de mise sur le marché dans la Communauté que ceux-ci ne procéderaient pas à cette vérification.

394    La Commission n’aurait pas davantage démontré qu’AZ avait connaissance de la prétendue absence de vérification. Les requérantes soutiennent qu’AZ s’attendait à devoir discuter du fondement de ses demandes avec ses agents en brevets et à défendre son interprétation du règlement n° 1768/92 devant les offices des brevets. À cet égard, les requérantes renvoient au témoignage présenté par le directeur du département des brevets lors de la procédure orale devant la Commission ainsi qu’aux déclarations d’agents en brevets.

 Sur la première phase de l’abus

395    Les requérantes relèvent que la Commission est fondée à constater que les trois mémorandums du 16 mars 1993 montrent qu’AZ avait constaté que la date de la première autorisation technique de l’oméprazole, de la félodipine et de l’oméprazole sodium dans la Communauté semblait être antérieure au 1er janvier 1988. Elles admettent également que la réaction immédiate de certains membres du personnel d’AZ avait été de penser qu’AZ ne pouvait pas obtenir de CCP en Allemagne et au Danemark. Elles indiquent toutefois qu’AZ avait eu connaissance de l’existence d’une thèse selon laquelle la date de la première autorisation de mise sur le marché était la date de l’autorisation de mise sur le marché effective (voir le troisième mémorandum du 16 mars 1993). Dès lors, la Commission ne serait pas fondée à affirmer qu’AZ savait que la date de l’autorisation technique était nécessairement la date déterminante pour la demande et qu’elle ne pouvait pas obtenir de CCP dans les pays pour lesquels la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté doit être postérieure au 1er janvier 1988. Sur ce point, les requérantes renvoient aux points 6 et 7 du témoignage de Mme D.

396    S’agissant des informations collectées par AZ auprès de ses sociétés de commercialisation locales, dont la Commission critique, au considérant 636 de la décision attaquée, le caractère sélectif, dans la mesure où ces informations ne concernaient que les « produits à problème » et se concentraient uniquement sur les cas dans lesquels les autorisations techniques avaient été délivrées avant le 1er janvier 1988, les requérantes indiquent qu’AZ avait uniquement besoin d’informations à propos des produits et des pays vis-à-vis desquels la date de l’autorisation de mise sur le marché effective pouvait avoir une importance, la question de la délivrance des CCP ne se posant pas pour les autres produits à l’égard desquels les dates des autorisations techniques étaient postérieures à 1988. Elles exposent qu’AZ disposait de ressources limitées et que les méthodes différentes de conservation des dossiers dans les sociétés de commercialisation rendaient difficile la vérification des dates correctes des autorisations effectives de mise sur le marché. Faisant un usage rationnel de ses ressources limitées, AZ aurait par conséquent choisi de demander uniquement des informations à propos des produits à l’égard desquels les dates de l’autorisation étaient susceptibles de susciter des difficultés. Les requérantes ajoutent que, si l’approche d’AZ peut être qualifiée d’incohérente, elle ne permet de démontrer ni une intention d’induire en erreur ni une fraude délibérée.

397    Les requérantes relèvent que la Commission a omis de relever que la lettre du 17 décembre 1987, portant sur l’approbation du prix de l’oméprazole au Luxembourg et mentionnée au considérant 637 de la décision attaquée, avait été estampillée par Astra Belgique le 31 décembre 1987. La lettre de la société de commercialisation aurait, en outre, confirmé que cette date se situait durant la période de fermeture des bureaux pour Noël, de sorte qu’Astra aurait été dans l’impossibilité de réagir à cette lettre avant le lundi 4 janvier 1988. Cette lettre du 17 décembre 1987 aurait ainsi indiqué à Astra que la date de la première autorisation de mise sur le marché effective des gélules d’oméprazole dans la Communauté devait être ultérieure au 1er janvier 1988 au Luxembourg, soit après la date limite applicable en Allemagne et au Danemark.

398    Les requérantes font valoir qu’il ressort clairement des termes « soutiendra devant », figurant dans le mémorandum du 29 mars 1993, qu’AZ s’attendait à ce que le fondement des demandes introduites auprès des offices des brevets allemand et danois puisse faire l’objet de controverses, et qu’elle se préparait à défendre son interprétation du règlement n° 1768/92 devant les offices des brevets. Elles contestent donc, d’une part, qu’AZ s’attendait à ce que les offices des brevets approuvent sans discussion ses demandes et acceptent les dates indiquées sur les demandes sans vérification et, d’autre part, qu’AZ ait tenté de dissimuler le fondement de ses demandes. À cet égard, les requérantes renvoient à la page 83 de la transcription de la procédure orale devant la Commission.

399    Les requérantes réitèrent leurs arguments exposés aux points 393 et 394 ci-dessus et considèrent que la Commission ne saurait affirmer qu’AZ tentait de dissimuler le fondement juridique des dates qu’elle avait soumises, l’allégation selon laquelle les vérifications étaient en général limitées étant insuffisante à cet égard. En outre, le fait qu’AZ avait l’intention de discuter des dates de l’autorisation avec ses agents en brevets et avec les offices des brevets serait corroboré par la circonstance, admise par la Commission elle-même, que les agents en brevets du Royaume-Uni et d’Irlande étaient informés de l’interprétation du règlement n° 1768/92. De même, les agents en brevets pour le Luxembourg et la France auraient également été informés.

400    Les requérantes contestent l’allégation de la Commission, selon laquelle le mémorandum du 29 mars 1993, cité au point 398 ci-dessus, contiendrait une proposition de M. H. visant à adopter une approche proactive et à attirer l’attention des offices des brevets sur la théorie retenue par AZ et font observer que la Commission n’apporte aucune preuve à cet égard. Elles prétendent que cette note montre uniquement qu’Astra avait prévu qu’elle serait amenée à présenter et à défendre son interprétation du règlement n° 1768/92. Les requérantes ajoutent que le rejet par la Commission de la déclaration sous serment du directeur du département des brevets, qui indiquerait qu’il a eu de nombreuses conversations avec l’agent en brevets, consiste à renverser la charge de la preuve et est incompatible avec le principe de la présomption d’innocence.

401    Par ailleurs, il ressortirait du mémorandum du 30 mars 1993, auquel la Commission ferait référence aux considérants 639 à 641 de la décision attaquée, qu’Hässle avait estimé que la date de l’autorisation de mise sur le marché effective était la date déterminante aux fins de l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 1768/92. Hässle aurait informé le département des brevets d’AZ que la date de la publication du prix officiel était la date de l’autorisation de mise sur le marché effective au Luxembourg et que cette date ne pouvait être antérieure au 2 janvier 1988. Enfin, Hässle aurait proposé d’obtenir les dates des autorisations effectives de mise sur le marché dans tous les autres pays.

402    Les requérantes exposent que, par mémorandum du 7 avril 1993 intitulé « Re. Submission of SPC application », Hässle a transmis au département des brevets des informations supplémentaires provenant des sociétés de commercialisation belge et française, parmi lesquelles se trouvait un document présenté comme énumérant les produits autorisés au Luxembourg et portant la date de mars 1988. Ce document (ci-après la « liste du Luxembourg ») aurait contenu une page d’une liste qui mentionnait, parmi d’autres produits, les gélules de Losec et les produits injectables et qui portait la date du 21 mars 1988. Le 6 mai 1993, Hässle aurait décidé des instructions devant être transmises aux agents en brevets au sujet des demandes de CCP pour l’oméprazole, ainsi que cela apparaîtrait dans le mémorandum du 29 mars 1993. Les requérantes contestent que ces instructions étaient trompeuses et soutiennent que les annotations portées sur le mémorandum du 29 mars 1993 mettaient simplement en œuvre l’approche adoptée par Astra et Hässle, consistant à indiquer sur les demandes de CCP les dates de l’autorisation de mise sur le marché effective au Luxembourg et en France. Ces amendements auraient été effectués sur la base des documents collectés par le département des brevets, dont il aurait résulté que le Luxembourg avait été le premier État membre ayant délivré l’autorisation de mise sur le marché effective, le 21 mars 1988, et que les autorisations de mise sur le marché dans les autres États membres étaient intervenues ultérieurement, rendant ainsi superflues des recherches supplémentaires. Au soutien de leurs prétentions, les requérantes renvoient aux points 10 à 12 du témoignage du Dr. V., président d’Astra Hässle au moment des faits.

403    Les requérantes estiment que les reproches formulés par la Commission aux considérants 643 et 665 de la décision attaquée sont injustifiés et résultent d’une interprétation subjective des documents pertinents. Elles contestent qu’AZ ait tenté de dissimuler les dates des autorisations techniques accordées en France et au Luxembourg, AZ ayant uniquement considéré que la date applicable était celle de l’autorisation de mise sur le marché effective.

404    Les requérantes font valoir que le fait qu’AZ a, dans ses instructions, demandé que soit utilisée la date de mars 1988 pour toutes les demandes introduites dans tous les pays, démontrerait l’absence d’intention de tromper les offices des brevets nationaux. En effet, selon elles, si AZ avait eu l’intention de tromper ces autorités, elle aurait uniquement utilisé la date de mars 1988 pour les demandes introduites au Danemark et en Allemagne. Par ailleurs, l’allégation selon laquelle AZ aurait dissimulé la nature de l’autorisation au Luxembourg serait injustifiée, dès lors qu’il ressortirait clairement de la présentation de la liste du Luxembourg, jointe aux demandes de CCP, que ce document ne constituait pas une autorisation technique.

405    Les requérantes allèguent que l’indication du numéro de l’autorisation technique pour le Luxembourg a résulté d’une erreur de la part d’AZ et était le fait de l’office des brevets luxembourgeois. Elles indiquent que le directeur du département des brevets d’Astra a comparu lors de l’audition et a témoigné de la bonne foi d’AZ.

406    En ce qui concerne l’application de la loi luxembourgeoise relative à l’autorisation technique prévue par la section « disposition légale » des instructions du 7 juin 1993, les requérantes font valoir qu’AZ a inséré cette clause sur indication des agents en brevets au Luxembourg. Elles se réfèrent, à cet égard, au témoignage de l’agent en brevets luxembourgeois.

407    S’agissant de l’incohérence découlant du fait que, dans les instructions définitives du département des brevets d’Astra, il aurait été fait usage de trois types de dates d’autorisation différentes pour compléter les demandes de CCP relatives aux différents produits, les requérantes font valoir, à nouveau, que celle-ci est due aux ressources limitées et aux contraintes de temps qui ont pesé sur AZ. Les dates des autorisations techniques concernant les produits autres que l’oméprazole et l’oméprazole sodium se situaient en 1988 ou ultérieurement. Par conséquent, les dates des autorisations effectives de mise sur le marché dans la Communauté auraient nécessairement été ultérieures. En utilisant la date des autorisations techniques, Astra aurait été assurée que, en tout état de cause, des CCP allaient être accordés, quoique ceux-ci aient été d’une durée plus courte que celle à laquelle elle pensait avoir droit. En ce qui concerne la félodipine, la date de l’autorisation technique aurait été le 29 décembre 1987, ce qui aurait exclu l’obtention d’un CCP au Danemark et en Allemagne. AZ aurait, par conséquent, indiqué la date de la première publication de l’autorisation technique.

408    Les requérantes contestent qu’AZ savait que la date figurant sur la liste du Luxembourg était erronée. Le mémorandum de Hässle du 30 mars 1993 aurait indiqué que la date déterminante était celle de la publication du prix du produit et aurait confirmé que, au Luxembourg, le prix d’un produit devait être officiellement publié pour qu’il puisse être vendu dans les pharmacies. Le 7 avril 1993, dans le mémorandum intitulé « Re. Submission of SPC Application », Hässle aurait fourni au département des brevets les informations supplémentaires que lui aurait communiquées la société de commercialisation belge d’AZ, et qui auraient compris la liste du Luxembourg portant la date de mars 1988. La société de commercialisation belge aurait identifié cette liste comme une copie d’un document officiel énumérant les produits autorisés au Luxembourg. Les requérantes estiment qu’Hässle pouvait raisonnablement conclure que l’information fournie par la société de commercialisation belge concernait la date de la publication du prix du produit au Luxembourg.

409    Dans la mesure où la page de garde de la liste du Luxembourg aurait été datée de mars 1988 et où la date figurant sur la page pertinente de la liste aurait été le 21 mars 1988, il aurait pu en être raisonnablement déduit que le 21 mars 1988 était la date de l’autorisation de mise sur le marché effective. Ainsi, la constatation de la Commission selon laquelle, même en adoptant son interprétation de la mise sur le marché effective du règlement n° 1768/92, AZ ne pouvait raisonnablement pas s’appuyer sur la liste du Luxembourg serait manifestement incorrecte. Au soutien de leurs assertions, les requérantes renvoient aux points 8 à 11 du témoignage de Mme C. S’agissant de la circonstance, invoquée par la Commission, selon laquelle Mme D. ne connaissait pas la « théorie de la mise sur le marché effective », les requérantes font valoir qu’elle ne saurait constituer la preuve d’une tentative délibérée d’utiliser une date erronée.

410    Les requérantes ajoutent que la Commission n’est pas fondée à soutenir que l’avis juridique fourni par l’un des cabinets d’avocats consultés ne traitait pas de la liste du Luxembourg et manquait, dès lors, de pertinence. [confidentiel] Enfin, si les requérantes admettent l’existence d’incohérences dans les instructions du 7 juin 1993 et regrettent que celles-ci aient eu lieu, elles contestent fermement que ces incohérences participaient d’une stratégie visant à dissimuler le fondement des demandes de CCP et l’interprétation du règlement n° 1768/92 et estiment qu’il n’existe aucun élément de preuve suffisant pour permettre à la Commission d’étayer cette allégation.

411    Les requérantes contestent par ailleurs l’affirmation de la Commission selon laquelle l’explication fournie par le directeur du département des brevets au point 34 de son témoignage sur la raison pour laquelle la date de l’autorisation de mise sur le marché française a été utilisée dans les instructions communiquées aux agents en brevets serait en contradiction avec les explications fournies par AZ au point 6.84 de sa réponse à la communication des griefs.

412    En réponse aux objections de la Commission relatives au fait que la date de l’autorisation de mise sur le marché effective danoise n’a pas été utilisée dans la demande de CCP relative à la félodipine, les requérantes font valoir que le document sur lequel la Commission se fonde pour affirmer qu’AZ était informée de la date de la mise sur le marché effective de ce produit dès le 30 mars 1993, à savoir une télécopie de cette date, adressée par Hässle aux conseils en propriété intellectuelle internes d’Astra, fait apparaître que la situation relative à la félodipine n’était pas claire au Danemark et qu’Astra s’interrogeait encore quant à la position à adopter. Elles exposent que la félodipine était un produit à l’égard duquel la date de l’autorisation était susceptible de poser un problème, dans la mesure où la date de l’autorisation technique était trop avancée pour permettre l’obtention d’un CCP. Il était dès lors important pour AZ de déterminer la date juridiquement pertinente.

413    Les requérantes allèguent que la date de la mise sur le marché effective au Danemark n’a pas été utilisée dans la demande de CCP à l’égard de la félodipine en raison du fait que celle-ci était dénuée de pertinence, dans la mesure où elle ne constituait pas la première autorisation danoise en vertu de la directive 65/65, ni la première autorisation dans la Communauté. Elles contestent que le directeur du département des brevets ait soutenu lors de la procédure orale devant la Commission qu’il aurait souhaité utiliser les dates de la mise sur le marché effective pour tous les produits, celui-ci ayant soutenu, en réalité, qu’il aurait « aimé que les huit demandes soient fondées sur la première procédure d’approbation de mise sur le marché efficace, correcte et complète, comprenant le prix et l’ensemble des autres informations nécessaires ». Elles soutiennent, enfin, que l’agent en brevets danois et l’office des brevets du Danemark étaient informés du fondement sur lequel AZ avait effectué sa demande de CCP pour la félodipine, ainsi que cela aurait été indiqué dans la réponse à la communication des griefs.

414    De manière générale, les requérantes contestent qu’AZ ait invoqué son interprétation du cadre réglementaire a posteriori afin de justifier l’utilisation de la date de mars 1988, et font référence, à cet égard, au mémorandum de Hässle du 30 mars 1993. Elles estiment que la Commission se contredit en affirmant qu’AZ a élaboré son interprétation du règlement n° 1768/92 après avoir effectué les demandes de CCP et dans le cadre du litige qui a suivi l’octroi des CCP. En effet, il résulterait des considérants 239 à 245 et 705 de la décision attaquée que, entre mars et juin 1994, AZ a demandé des conseils juridiques au sujet de l’interprétation qu’il convenait de retenir de ce règlement. Par ailleurs, la Commission aurait elle-même admis, au considérant 697 de la décision attaquée, que, en septembre 1993, AZ avait décidé de défendre devant l’office des brevets du Royaume-Uni sa « théorie de la mise sur le marché effective » en vue de l’obtention d’un CCP. Les requérantes font également observer que, au considérant 222 de la décision attaquée, la Commission a relevé que le litige dans l’affaire Ratiopharm, en Allemagne, qui était considéré comme la première procédure judiciaire dans le cadre de laquelle AZ avait défendu sa stratégie en matière de CCP, a commencé à partir du 18 juin 1996. Au soutien de leurs allégations, les requérantes renvoient au témoignage de M. W.

 Sur la seconde phase de l’abus

–        Sur la nature des allégations relatives à la seconde phase de l’abus de position dominante

415    Les requérantes relèvent que la Commission divise la seconde phase de l’abus en trois éléments. En premier lieu, la Commission aurait considéré qu’AZ avait tenté de dissimuler à certains offices des brevets la date antérieure de l’autorisation technique de mise sur le marché en France, le 15 avril 1987, et qu’elle aurait ainsi tenté d’obtenir un délai supplémentaire de sept mois de protection conférée par le CCP. Or, cette allégation n’aurait aucun lien avec celles relatives à la première phase de l’abus, qui ne concerneraient pas l’utilisation de la date de l’autorisation technique de mise sur le marché au Luxembourg, ni la moindre tentative d’obtenir un CCP sur cette base.

416    En deuxième lieu, la Commission soutiendrait qu’AZ a laissé les agents en brevets et les offices des brevets dans l’ignorance au sujet de sa stratégie fondée sur la date de la mise sur le marché effective. Or, selon les requérantes, l’allégation d’un défaut d’explication est différente de celle d’un usage présumé délibéré de dates incohérentes dans le but de tromper les autorités. De nombreuses preuves démontreraient qu’AZ a expliqué sa « théorie de la mise sur le marché effective » tant à ses agents en brevets qu’aux offices des brevets. Dans la mesure où un défaut d’explication existerait, il ne serait nullement démontré que celui-ci soit délibéré.

417    En troisième lieu, la Commission soutiendrait que, bien que, selon ses propres allégations, AZ se soit appuyée sur la liste du Luxembourg dans ses demandes de CCP, elle aurait eu connaissance d’un nombre croissant de preuves indiquant que le Losec aurait été commercialisé au Luxembourg avant le 21 mars 1988. Les requérantes estiment cependant que cette allégation est dénuée de fondement et qu’AZ pouvait raisonnablement considérer que le 21 mars 1988 constituait la date de la première mise sur le marché effective au Luxembourg.

418    Les requérantes font valoir que les éléments sur lesquels se fonde la Commission constituent des omissions et non des déclarations frauduleuses. Or, le fait qu’AZ n’ait pas divulgué intégralement, franchement et scrupuleusement la totalité des faits à ses agents en brevets et aux offices des brevets ne serait pas susceptible de constituer un abus de position dominante.

–        Sur les instructions envoyées aux agents en brevets

419    Les requérantes indiquent que, avant d’envoyer les formulaires types d’instructions aux agents en brevets externes le 7 juin 1993, le département des brevets d’AZ a apporté des modifications limitées uniquement aux dates des autorisations obtenues en France et au Luxembourg, en raison de la brièveté du délai dont il disposait pour agir. Selon elles, si ces modifications ont créé une apparente incohérence entre les informations jointes aux instructions fournies aux agents en brevets, celle-ci n’a pas porté sur des informations directement pertinentes pour les diverses demandes déposées.

420    La Commission ne serait pas fondée à reprocher à AZ de n’avoir expliqué ni aux agents en brevets ni aux offices des brevets sa stratégie fondée sur la « théorie de la mise sur le marché effective ». Eu égard à la nature officielle des instructions, AZ n’aurait pas été supposée expliquer en détail l’interprétation qu’elle avait retenue, ce qui aurait été conforme à ses pratiques habituelles. Selon les requérantes, il aurait même été surprenant qu’AZ le fasse. Il aurait ainsi été prévu que, en cas de besoin, les agents en brevets pourraient demander des éclaircissements à AZ. Les requérantes ajoutent que le fait qu’AZ a fourni une copie de la liste du Luxembourg à chacun de ses agents en brevets et leur a indiqué la date de mars 1998 contredit la thèse selon laquelle elle aurait tenté de dissimuler l’interprétation du règlement n° 1768/92 sur laquelle étaient fondées ses demandes, dès lors que cette liste faisait clairement apparaître qu’il ne s’agissait pas de la date d’une autorisation technique. L’attitude d’AZ consistant à ne donner des informations que si elles sont demandées étant dénuée d’anomalie, celle-ci ne saurait constituer une preuve claire et convaincante d’une tentative de tromperie ou d’abus.

421    Les requérantes prétendent, en outre, qu’AZ a discuté de la signification de la « première autorisation » avec plusieurs agents en brevets après l’introduction des demandes. Or, il ressortirait des preuves présentées à la Commission durant la procédure administrative que le directeur du département des brevets et M. H., relevant également du département des brevets d’AZ, auraient expliqué aux agents en brevets dans la plupart des pays concernés l’interprétation du règlement CCP retenue par AZ. Bien que la Commission n’admette pas ces preuves, elle n’aurait apporté aucun élément permettant d’établir la mesure dans laquelle les agents en brevets étaient informés du fondement des demandes d’AZ.

–        Sur les déclarations effectuées devant l’office des brevets luxembourgeois (juin 1993)

422    Les requérantes considèrent que la Commission n’est pas fondée à soutenir, aux considérants 682 à 686 de la décision attaquée, d’une part, qu’AZ n’a informé ni l’agent en brevets luxembourgeois ni l’office des brevets luxembourgeois de la date de l’autorisation technique de mise sur le marché en France et, d’autre part, qu’AZ n’a pas expliqué le fondement de son interprétation à l’agent en brevets français dans sa lettre du 11 juin 1993, de sorte que ce dernier pensait qu’il envoyait la publication de l’autorisation technique au Luxembourg.

423    Elles exposent que l’agent en brevets français était chargé d’introduire les demandes de CCP en France et au Luxembourg. Celui-ci aurait chargé son propre agent en brevets au Luxembourg d’effectuer, à titre de sous-agent, les demandes de CCP pour Astra au Luxembourg. Astra n’aurait ainsi eu de contact direct ni avec l’agent en brevets luxembourgeois ni avec l’office des brevets luxembourgeois.

424    Par lettre du 10 juin 1993, l’agent en brevets français aurait demandé à AZ notamment les autorisations de mise sur le marché au Luxembourg. Il ressortirait de cette lettre que la date du 15 avril 1987, correspondant à l’autorisation technique de mise sur le marché en France, était connue de ce cabinet. Par lettre du 11 juin 1993, AZ aurait communiqué les autorisations techniques de mise sur le marché de l’oméprazole et de l’oméprazole sodium au Luxembourg. [confidentiel] Ainsi, dès lors que l’agent en brevets français aurait connu les dates des autorisations techniques en France et au Luxembourg, il serait inexact d’affirmer qu’AZ avait donné l’impression à celui-ci que la date de mars 1988 était la date de publication de l’autorisation technique et non celle de la publication du prix relatif à l’autorisation de mise sur le marché. [confidentiel] Selon les requérantes, les agents en brevets concernés auraient dû savoir que la publication dans la liste du Luxembourg n’équivalait pas à la publication de l’autorisation technique.

425    [confidentiel] Selon les requérantes, dès lors que l’agent en brevets français donnait directement des instructions à l’agent luxembourgeois et connaissait la date de l’autorisation technique en France, il lui appartenait de transmettre cette information à l’agent luxembourgeois s’il considérait que cela était important. Il n’existerait aucun élément permettant de supposer qu’AZ a donné à l’agent en brevets français l’instruction de ne pas transmettre cette information au sous-agent luxembourgeois.

426    Par ailleurs, les requérantes estiment que la Commission n’a apporté aucun élément sérieux au soutien de son allégation selon laquelle il serait possible de déduire de la mention du Journal officiel national dans la lettre du 17 juin 1993 que l’agent en brevets français avait compris que la date indiquée était la date de l’autorisation technique. Elles ajoutent qu’AZ n’avait pas eu connaissance de cette lettre et qu’elle ne saurait être rendue responsable de l’opinion erronée de l’agent en brevets français, dès lors qu’elle avait expressément indiqué qu’il s’agissait de la publication dans la liste du Luxembourg.

427    De même, les requérantes contestent que le courrier de l’agent en brevets français adressé à AZ le 17 juin 1993, auquel la Commission fait référence au considérant 205 de la décision attaquée, démontre que celui-ci pensait que la liste du Luxembourg représentait la publication de l’autorisation technique et qu’il supposait qu’AZ entendait utiliser la même théorie pour tous ses produits. En effet, si ce courrier fait référence aux « dates de publication, dans ‘Spécialités pharmaceutiques’, des autorisations », l’emploi du terme « autorisations » serait due à son utilisation dans le règlement n° 1768/92, qui comporterait lui-même une ambiguïté à cet égard, le terme « autorisation » pouvant désigner soit l’autorisation technique, soit l’autorisation de mise sur le marché. Les requérantes ajoutent qu’il ressort du témoignage de l’agent en brevets luxembourgeois que celui-ci n’avait pas été induit en erreur et qu’il ne considérait pas non plus que l’agent en brevets français l’avait été.

428    Les requérantes font également valoir que la circonstance selon laquelle l’agent en brevets luxembourgeois n’a reçu la lettre du 17 juin 1993 qu’après avoir introduit la demande de CCP est sans pertinence, dès lors qu’il n’a indiqué aucune date dans sa demande initiale de CCP et qu’il n’a apposé, de façon manuscrite, la date de l’autorisation de mise sur le marché au Luxembourg, à savoir le 21 mars, qu’ultérieurement.

–        Sur les déclarations effectuées devant l’office des brevets belge (septembre à novembre 1993)

429    Les requérantes exposent que, à la suite de la demande de précision sur la date exacte de l’autorisation au Luxembourg formulée par l’office des brevets belge, AZ a donné à l’agent en brevets belge l’instruction de [confidentiel].

430    Le 10 septembre 1993, la société de commercialisation belge d’Astra aurait, sur demande de cette dernière, communiqué à l’agent en brevets belge les documents que celui-ci aurait demandés. Le 29 septembre 1993, l’agent en brevets belge aurait indiqué que, selon lui, la date de l’autorisation de mise sur le marché au Luxembourg était la date figurant sur l’autorisation signée en application de la directive n° 65/65, telle que modifiée, et que, en l’absence d’instructions contraires, il indiquerait la date du 16 novembre 1987 comme date d’octroi de l’autorisation de mise sur le marché au Luxembourg. Le 30 septembre 1993, l’agent en brevets belge aurait communiqué à l’office des brevets belge les documents relatifs à l’autorisation technique au Luxembourg, signés le 16 novembre 1987, et aurait informé Astra, le 4 octobre 1993, que la demande de CCP avait été modifiée afin d’indiquer que la date de l’autorisation de mise sur le marché au Luxembourg était le 16 novembre 1987.

431    Le 16 novembre 1993, l’office des brevets belge aurait octroyé le CCP belge. Les requérantes allèguent que le département des brevets d’AZ ne s’était pas rendu compte du fait que le CCP était fondé sur une date erronée, et ce jusqu’en 1996, lorsque ce CCP a été réexaminé à la suite du litige survenu en Allemagne. En mai 1998, AZ aurait déposé auprès de l’office des brevets belge une demande visant à modifier la durée de son CCP et à calculer cette dernière à partir du 21 mars 1988, en application de l’interprétation du règlement n° 1768/92 qu’elle avait retenue, fondée sur sa « théorie de la mise sur le marché effective ». Un tribunal belge aurait annulé ce CCP le 25 septembre 2002.

432    Les requérantes contestent la conclusion de la Commission selon laquelle AZ, d’une part, aurait trompé l’office des brevets belge en communiquant la date de l’autorisation technique au Luxembourg et, d’autre part, n’aurait pas expliqué sa « théorie de la mise sur le marché effective » à son agent en brevets belge. Elles font observer que la Commission n’a pas tenu compte du fait qu’AZ avait cherché à ce que sa demande reflète son approche fondée sur la date de l’autorisation de mise sur le marché effective, soit le 21 mars 1988. Elles rappellent, à cet égard, que c’est l’agent en brevets qui a pris l’initiative d’utiliser la date de l’autorisation technique au Luxembourg. La Commission n’aurait pas, non plus, pris en considération le fait qu’AZ aurait demandé, en mai 1998, la modification du CCP belge afin qu’il reflète correctement son approche fondée sur la date de l’autorisation de mise sur le marché effective du 21 mars 1988, et ce en indiquant clairement qu’il s’agissait de son interprétation personnelle du règlement n° 1768/92. Les requérantes se réfèrent, à cet égard, aux témoignages de M. P. et de M. M. AZ aurait également attiré l’attention des autorités en cause sur toutes les dates pertinentes. Les requérantes contestent qu’AZ ait été contrainte de divulguer sa théorie du fait du litige avec Ratiopharm en Allemagne et de la demande relative à l’oméprazole sodium en Belgique et font valoir qu’il n’existe aucune preuve à cet égard.

433    Elles font valoir qu’AZ a envoyé la lettre avant l’expiration du brevet sur la substance et n’a, par conséquent, jamais cherché à tirer profit des sept mois de protection supplémentaire. Or, si AZ avait eu l’intention de tromper l’office des brevets en vue d’obtenir sept mois de protection supplémentaire en indiquant une date d’autorisation technique incorrecte, elle n’aurait jamais demandé la modification de son CCP en mentionnant la date de la mise sur le marché effective.

–        Sur les déclarations effectuées devant l’office des brevets néerlandais (novembre et décembre 1993)

434    Les requérantes exposent que, le 26 novembre 1993, l’agent en brevets néerlandais a envoyé à AZ deux lettres identiques fournissant un compte rendu des rapports de recherche relatifs aux demandes de CCP concernant les gélules d’oméprazole et l’oméprazole sodium et dans lesquelles une objection était soulevée au sujet de l’imprécision de la date de la première autorisation. Par deux lettres identiques, AZ aurait indiqué [confidentiel]. Selon les requérantes, la date du 16 novembre 1987 constituait la date de la première autorisation de mise sur le marché de l’oméprazole sodium dans la Communauté. Toutefois, cette date aurait été erronée en ce qui concerne les gélules et son indication aurait donc procédé d’une erreur.

435    L’agent en brevets d’AZ aurait indiqué à l’office des brevets néerlandais que la liste du Luxembourg était la seule publication officielle au Luxembourg, une déclaration qui aurait été conforme à l’opinion de la société de commercialisation luxembourgeoise d’Astra. L’office des brevets aurait délivré un CCP indiquant la date du 16 novembre 1987, dont la durée aurait été comprise entre le 3 avril 1999, date d’expiration du brevet sur la substance, et le 16 novembre 2002, au lieu d’avril 2002, date qui aurait été fixée si l’agent en brevets avait indiqué la date de l’autorisation technique en France. En mai 1998, AZ aurait demandé à l’office des brevets néerlandais de corriger la date du 16 novembre 1987, en expliquant que toutes les autorisations nécessaires pour permettre au produit d’être mis sur le marché du premier État membre, à savoir le Luxembourg, auraient été accordées pour la première fois le 21 mars 1988.

436    Les requérantes contestent les conclusions de la Commission selon lesquelles AZ aurait trompé l’office des brevets néerlandais en indiquant la date de l’autorisation technique au Luxembourg et en s’abstenant d’expliquer à son agent en brevets néerlandais son interprétation du règlement n° 1768/92, fondée sur la « théorie de la mise sur le marché effective ». Elles font valoir, tout d’abord, que la Commission aurait dû accepter la preuve démontrant, selon elles, qu’AZ avait commis une erreur par inadvertance en indiquant la date du 16 novembre 1987. Elles expliquent que cette erreur était provoquée par le fait que les deux lettres en cause avaient été rédigées en même temps et en utilisant le même formulaire et qu’il était improbable qu’AZ ait pris consciemment la décision d’envoyer des instructions demandant d’indiquer la date du 16 novembre 1987 pour l’oméprazole dans la mesure où de telles instructions étaient en contradiction avec les instructions données dans tous les autres pays.

437    Par ailleurs, la Commission n’aurait, à nouveau, pas tenu compte du fait que, en mai 1998, AZ avait soumis à l’office des brevets néerlandais une demande visant à corriger cette date et avait attiré l’attention des autorités sur l’ensemble des dates pertinentes. De plus, AZ aurait soumis cette demande avant l’expiration du brevet sur la substance, ce qui démontrerait qu’elle n’avait pas l’intention de tirer profit des sept mois de protection supplémentaire. Les requérantes estiment, en outre, qu’aucun document probant ne permet à la Commission de soutenir qu’AZ n’a pas expliqué sa « théorie de la mise sur le marché effective » à l’agent en brevets néerlandais. Elles renvoient, à cet égard, au témoignage de l’agent en brevets néerlandais d’AZ.

438    En réponse à l’argument de la Commission, selon lequel la télécopie du 16 décembre 1993, à laquelle il est fait référence au point 9 du témoignage de l’agent en brevets néerlandais, vise à donner à l’agent en brevets l’impression que la publication effectuée dans la liste du Luxembourg se rapporte à l’autorisation technique, les requérantes rétorquent que cette télécopie indique que cette liste constitue l’avis publiant l’octroi de l’« autorisation de mise sur le marché ».

439    Les requérantes contestent, en outre, l’allégation de la Commission selon laquelle aucune preuve n’étayerait l’affirmation du directeur du département des brevets présentée au point 54 de son témoignage, dont il ressortirait qu’AZ avait été « informée par ses [agents en brevets] néerlandais qu’elle ne pouvait rien faire », et renvoient au compte rendu manuscrit d’une réunion tenue à Londres le 11 décembre 1996, figurant aux pages 4489 à 4491 du dossier de la Commission, ainsi qu’au point 6.154 de sa réponse à la communication des griefs.

440    S’agissant de la télécopie du 11 octobre 1996, adressée par le directeur du département des brevets au directeur de la société de commercialisation néerlandaise, invoquée par la Commission, les requérantes contestent que ce document démontre que le directeur du département des brevets savait que la date incorrecte de l’autorisation au Luxembourg avait été utilisée à la place de la date de l’autorisation technique française ou de la date de la mise sur le marché effective au Luxembourg. Cette télécopie montrerait uniquement que le directeur du département des brevets était conscient du fait que les tribunaux et les offices des brevets pouvaient ne pas accepter la « théorie de la mise sur le marché effective », ce qui, le cas échéant, aurait fait perdre à AZ six mois de protection conférée par les CPP.

–        Sur les déclarations effectuées devant l’office des brevets du Royaume-Uni (janvier à juin 1994)

441    Les requérantes rappellent, tout d’abord, que, en décembre 1993, AZ a demandé des conseils sur les droits national luxembourgeois et communautaire à deux cabinets d’avocats.

442    Elles exposent, ensuite, que, à la suite de la demande déposée en juin 1993, l’office des brevets du Royaume-Uni aurait demandé à AZ, le 7 septembre 1993, la date précise de la première autorisation de mise sur le marché. Par lettre du 7 janvier 1994, l’agent en brevets du Royaume-Uni d’Astra aurait informé l’office des brevets du Royaume-Uni que la date de la première autorisation dans la Communauté était la date figurant sur la liste du Luxembourg, soit le 21 mars 1988. Par courrier du 18 janvier 1994, l’office des brevets du Royaume-Uni aurait répondu que la date exacte de l’autorisation au Luxembourg était le 16 novembre 1987.

443    Le 16 juin 1994, AZ aurait soumis à l’office des brevets du Royaume-Uni les avis des deux cabinets d’avocats consultés sur le droit national luxembourgeois et le droit communautaire. AZ aurait également comparé les informations et collecté toutes les dates susceptibles d’être pertinentes auprès des sociétés de commercialisation de chacun des États membres afin d’étayer son raisonnement relatif à l’autorisation de mise sur le marché effective. Ainsi, par mémorandum du 14 février 1994, le département des brevets aurait demandé à Hässle de lui communiquer [confidentiel].

444    Dans le cadre des recherches coordonnées par Hässle auprès des sociétés de commercialisation, M. S, relevant d’Astra Luxembourg, aurait, par télécopie du 3 mars 1994, indiqué à celle-ci que la date de la signature de l’autorisation délivrée en application de la directive n° 65/65 était le 16 novembre 1987 et que l’accord sur les prix correspondait à la lettre du ministère du 17 décembre 1987. Il aurait également décrit la publication dans la liste du Luxembourg de mars 1988 comme étant la publication au Mémorial (Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg), et indiqué que les premières ventes avaient eu lieu le 11 mars 1988. À la suite des réponses transmises par Hässle au département des brevets, indiquant notamment que la date de la publication de l’autorisation était mars 1988, le département des brevets aurait demandé à Hässle de vérifier les dates relatives aux différents pays et aux produits. Par télécopie du 8 avril 1994, Hässle aurait corrigé la date de la publication officielle du prix en indiquant le 21 mars 1988 et aurait modifié la date de la lettre relative à l’autorisation de mise sur le marché, substituant au 16 novembre 1987 la date incorrecte du 5 octobre 1987.

445    À la suite d’une nouvelle demande de précisions sur les dates pertinentes de Hässle à M. S., ce dernier aurait envoyé à nouveau sa télécopie du 3 mars 1994. Le 30 mai 1994, Hässle aurait à nouveau demandé à M. S. de confirmer que la date de la publication officielle du prix était le 21 mars 1988. Par télécopie du 8 juin 1994, M. S. aurait répondu que l’accord sur les prix avait été donné le 17 décembre 1987, mais que celui-ci n’avait pas été publié, et que la publication officielle de l’autorisation au Mémorial avait eu lieu en mars 1988.

446    Le 16 juin 1994, l’agent en brevets du Royaume-Uni d’AZ a introduit une nouvelle demande auprès de l’office des brevets du Royaume-Uni, comprenant un tableau indiquant les différentes étapes de la procédure d’autorisation de l’oméprazole dans les divers pays et un exposé des principales dates relatives à ces procédures d’autorisation. Dans le tableau, il aurait été indiqué que la date de l’autorisation technique en France était le 15 avril 1987 et que la date de l’inscription et de la publication officielle du prix au Luxembourg était le 21 mars 1988. Dans cette demande, il aurait été indiqué que, en pratique, il était impossible, au Luxembourg, de commercialiser un médicament avant qu’il ne figure sur la liste des médicaments ayant reçu l’autorisation de mise sur le marché publiée par le ministère de la Santé. Toutefois, l’office des brevets n’aurait pas accepté la thèse d’AZ et aurait considéré que la date correcte était celle de l’autorisation accordée en France, à savoir le 15 avril 1987.

447    Les requérantes renvoient au surplus aux points 8 à 11 du témoignage de M. W., agent en brevets externe d’Astra durant la période en cause. Elles font observer qu’AZ a explicitement présenté à l’office des brevets du Royaume-Uni son interprétation du règlement n° 1768/92 et la raison pour laquelle elle proposait la date du 21 mars 1988. Par ailleurs, AZ aurait communiqué sans difficulté la date de l’autorisation technique en France du 15 avril 1987 à l’office des brevets du Royaume-Uni et à ses agents en brevets. Elles considèrent que, eu égard au comportement d’AZ vis-à-vis de l’office des brevets du Royaume-Uni, il n’est pas plausible qu’elle ait tenté de tromper les autorités lors de ses demandes dans les autres pays, et notamment dans les pays du Benelux.

448    Les requérantes contestent la conclusion de la Commission selon laquelle il résultait de la demande du 14 février 1994 qu’AZ ne savait pas si le Losec avait été vendu au Luxembourg avant la conclusion des négociations sur le prix. Elles font valoir que cette demande concernait tous les États membres, et non seulement le Luxembourg, et précisent qu’AZ avait été informée de ce que, au Luxembourg, les négociations sur le prix devaient être achevées et officiellement publiées pour qu’un produit puisse être mis sur le marché, ainsi que cela ressortirait du mémorandum adressé par Hässle au département des brevets le 30 mars 1993.

449    S’agissant de la considération de la Commission selon laquelle il résulterait de la télécopie du 3 mars 1994 qu’AZ savait que les premières ventes au Luxembourg avaient eu lieu le 11 mars 1988, et non le 21 mars 1988, les requérantes font observer, en premier lieu, que la télécopie du 3 mars 1994 mentionnait les ventes au sens du « lancement officiel » du produit et ne concernait pas les ventes sur le plan pratique. Elles soulignent, à cet égard, que la demande de CCP exposait que les médecins et les pharmacies ne prescrivaient et ne délivraient pas un médicament avant d’avoir reçu la liste des produits autorisés. Elles font valoir, en second lieu, qu’AZ avait des doutes sérieux sur l’exactitude des informations fournies par M. S. dans sa télécopie du 3 mars 1994. Elles relèvent notamment que celle-ci contenait des affirmations incorrectes, dans la mesure où, d’une part, l’inscription du 16 novembre 1987 concernait uniquement les essais cliniques, et non l’autorisation de mise sur le marché et, d’autre part, la publication de mars 1988 était la publication au Mémorial de l’autorisation accordée en vertu de la directive n° 65/65, qui a en fait été publiée le 4 décembre 1987. Par ailleurs, les requérantes réitèrent qu’AZ a été informée de ce que les négociations sur les prix devaient être achevées et officiellement publiées pour qu’un produit puisse être mis sur le marché, ainsi que cela ressortirait du mémorandum adressé par Hässle au département des brevets le 30 mars 1993. Ainsi, le fait que, selon M. S., le « lancement officiel » du produit avait eu lieu le 11 mars ne signifierait pas qu’il était possible d’effectuer des ventes en pratique.

450    C’est pourquoi AZ aurait préféré s’appuyer sur les informations qu’elle aurait reçues antérieurement et qui auraient été confirmées par la liste du Luxembourg, selon lesquelles la date pertinente était le 21 mars 1988. Les requérantes renvoient, à cet égard, au témoignage de Mme J. Les requérantes ajoutent que la Commission ne saurait soutenir que les informations contenues dans la télécopie de M. S. étaient les seules dont AZ disposait, eu égard au contexte dans lequel ce document a été fourni et au fait qu’AZ disposait de la liste du Luxembourg. La Commission serait donc mal fondée à soutenir qu’AZ a fait preuve de mauvaise foi en s’appuyant sur la date du 21 mars 1988.

451    Les requérantes contestent qu’AZ ait favorisé activement l’impression que la liste du Luxembourg était la publication de l’autorisation technique. Elles font valoir que la télécopie du 16 décembre 1993 adressée à l’agent en brevets néerlandais, à laquelle la Commission renvoie, ne contient aucun encouragement de ce genre et n’a en tout état de cause jamais été vue par M. S.

452    Les requérantes font valoir que, en tout état de cause, le fait qu’AZ ait indiqué la date du 21 mars et non celle du 11 mars, date qui aurait pourtant été correcte selon son interprétation, ne saurait fonder une allégation de fraude dès lors que cette fraude n’a eu aucun effet sur l’office des brevets du Royaume-Uni qui a rejeté la théorie d’AZ dans son ensemble.

–        Sur le retrait de la demande de CCP au Danemark (novembre 1994)

453    Les requérantes relèvent, tout d’abord, que le retrait d’une demande de CCP ne saurait constituer un abus de position dominante. Elles ajoutent, ensuite, qu’agir de manière tactique ou faire preuve d’un manque de transparence ne saurait non plus constituer un abus. Par ailleurs, les rapports démontreraient qu’AZ avait l’intention de défendre son interprétation du règlement n° 1768/92 en Allemagne. AZ aurait tout au plus fait du « forum shopping » . Selon les requérantes, la seule circonstance qu’AZ ait utilisé la date de mars 1988 dans la demande introduite au Danemark ne saurait constituer un abus, dès lors que cette indication procédait de l’application légitime d’une interprétation du règlement n° 1768/92. À cet égard, le fait qu’AZ n’ait pas divulgué le fondement de son interprétation juridique de ce règlement ne saurait, selon les requérantes, constituer un abus.

454    Elles font également observer que, au considérant 719 de la décision attaquée, la Commission a admis que le retrait était tout au moins partiellement motivé par l’indication d’un numéro de brevet erroné, ce qui constituait un vice majeur de la demande. Sur ce point, référence est faite aux témoignages de l’agent en brevets danois et d’un avocat danois. Ainsi, les allégations relatives au retrait des demandes de CCP au Danemark ne pourraient démontrer un abus de position dominante, même si elles étaient avérées.

455    S’agissant de l’allégation de la Commission selon laquelle AZ aurait retiré sa demande afin de ne pas avoir à expliquer son fondement, les requérantes soutiennent que le compte rendu de la réunion du 15 novembre 1994, invoqué par la Commission à cet égard, démontre en réalité qu’AZ avait décidé de défendre sa thèse en Allemagne et non au Danemark, et non qu’elle ne souhaitait pas expliquer sa thèse. De même, les requérantes contestent qu’AZ ait retiré sa demande au Danemark pour empêcher une communication indésirable entre les offices des brevets. Selon elles, si ledit compte rendu montre que l’office des brevets du Royaume-Uni a contacté l’office des brevets danois, celui-ci n’indique pas que le retrait était motivé par le souhait d’empêcher d’autres contacts entre les offices des brevets.

–        Sur les déclarations d’AZ effectuées dans le cadre de la seconde série de demandes de CCP

456    Les requérantes contestent les considérations exposées par la Commission au considérant 721 de la décision attaquée, selon lesquelles AZ aurait reçu des informations dont il résulterait que le Losec a été vendu avant le 21 avril 1988 et que la décision sur le prix n’a jamais été publiée. Elles soutiennent qu’AZ a tout au plus reçu des informations, provenant d’une source qui avait fourni d’autres informations qui s’étaient révélées être inexactes, semblant indiquer que le « lancement officiel » du produit avait eu lieu le 11 mars 1988. Ces informations auraient été contredites par des informations antérieures, issues d’une source considérée comme plus fiable, qui auraient indiqué que la date de lancement du produit était le 21 mars 1988 et que la décision sur le prix devait être publiée au Luxembourg pour que le produit puisse effectivement être mis sur le marché.

–        Sur les demandes déposées dans les pays de l’EEE

457    En ce qui concerne les considérations exposées par la Commission au considérant 722 de la décision attaquée, les requérantes avancent que l’absence de mention de la date de l’autorisation de mise sur le marché effective en Suède découlait d’un oubli dans des circonstances dans lesquelles l’importance de cette date n’était pas évidente. En effet, bien qu’AZ ait été informée de l’autorisation accordée par les autorités suédoises pour le Losec, elle n’aurait pas réalisé à l’époque la pertinence de cette date dans le cadre de ses demandes de CCP. Les requérantes indiquent que le règlement n° 1768/92 a été appliqué aux pays de l’AELE par la décision n° 7/94, qui est entrée en vigueur le 1er juillet 1994, mais que cette décision n’a jamais été appliquée en Suède, qui avait son propre régime national de protection conférée par les CCP. Selon elles, bien que le fait que cet État n’ait jamais adhéré au régime des CCP de l’EEE ne signifie pas que la date de la mise sur le marché effective en Suède était dénuée de pertinence, il serait compréhensible que l’importance de la date de l’autorisation de mise sur le marché effective en Suède ait échappé à AZ.

458    Les requérantes contestent l’allégation de la Commission selon laquelle, dans la lettre du 21 décembre 1994 adressée à l’office des brevets suédois, le directeur du département des brevets aurait affirmé que les CCP pour les pays de l’Union devaient reposer sur un fondement relatif à l’Union et les CCP pour les pays de l’AELE sur un fondement relatif à l’EEE. En effet, il ressortirait de cette correspondance, au contraire, que le directeur du département des brevets suggérait que seule la date de l’autorisation dans l’Union était applicable. Les requérantes soutiennent, par ailleurs, qu’il n’existe aucune preuve démontrant que le directeur du département des brevets ait tenté de dissimuler sa position, les éléments dont disposait la Commission suggérant au contraire que le directeur du département des brevets exprimait son opinion ouvertement. Elles font également valoir que la lettre du 3 mars 1995, adressée au directeur du département des brevets par l’office des brevets suédois, ne mentionnait pas clairement que la date pertinente était celle de la mise sur le marché en Suède, celle-ci indiquant qu’il s’agissait de la date de la première autorisation de mise sur le marché dans la zone EEE « après l’entrée en vigueur de l’accord sur l’EEE ». En l’absence de transposition du régime des CCP de l’EEE en Suède, il aurait ainsi existé un doute légitime sur la question de savoir si l’accord sur l’EEE régissait ce point. Les requérantes ajoutent que la note du 26 septembre 1994 n’indique aucun élément concernant la question de savoir si la date correcte était celle de l’autorisation en Suède ou celle de l’autorisation dans l’Union.

459    Les requérantes expliquent qu’AZ et ses agents en brevets pour l’Autriche, la Finlande et la Norvège se sont réunis à Vienne (Autriche) le 6 décembre 1994 et ont discuté de l’interprétation du règlement n° 1768/92 retenue par AZ. Les agents en brevets auraient ensuite effectué les demandes de CCP en indiquant que la date de la première autorisation dans la Communauté était le 21 mars 1988. Par conséquent, AZ n’aurait pas tenté de dissimuler sa « théorie de la mise sur le marché effective » à ses agents en brevets, ce qui démontrerait également qu’elle ne se serait pas comportée différemment vis-à-vis de ses agents en brevets en France ou au Benelux. Par ailleurs, aucun des agents en brevets ayant assisté à cette réunion n’aurait soulevé la question de savoir s’il convenait d’utiliser la date de l’autorisation en Suède du 5 février 1988.

–        Sur les déclarations effectuées devant l’office des brevets irlandais (octobre 1995)

460    Les requérantes exposent qu’AZ a soutenu devant l’office des brevets irlandais que la date exacte de l’autorisation était le 21 mars 1988, mais a également communiqué à l’office des brevets irlandais la date de la première autorisation technique en France, du 15 avril 1987. Elles contestent les considérations de la Commission exposées au considérant 725 de la décision attaquée et font de nouveau observer que c’était sans réticence qu’AZ a communiqué la date de la première autorisation technique dans la Communauté du 15 avril 1987, ce qui démontrerait qu’elle n’avait pas cherché à tromper les offices des brevets des pays du Benelux.

–       Sur les déclarations effectuées devant les offices des brevets dans les pays du Benelux et en Finlande (mai 1998)

461    Les requérantes contestent tout autant l’allégation de la Commission figurant au considérant 726 de la décision attaquée, selon laquelle AZ détenait des informations indiquant sans équivoque que la mise sur le marché effective au Luxembourg avait eu lieu avant le 21 mars 1988, et réitèrent qu’AZ ne disposait que d’informations contradictoires et peu convaincantes.

462    S’agissant du document du 23 février 1988, sur lequel se fonde la Commission, et qui indique que la date du lancement des gélules d’oméprazole était le 1er février 1988, les requérantes font valoir que ce document est une liste établie sur la base d’une banque de données interne fournissant des informations sur le marché. Elles exposent que les sociétés de commercialisation locales communiquaient au département des affaires réglementaires d’AZ des dates de lancement du produit à l’avance et n’indiquaient que le mois au cours duquel le lancement du produit était prévu. Le département des affaires réglementaires aurait eu coutume de compléter ces indications par la mention du premier ou du dernier jour du mois concerné, sans vérifier si le lancement du produit avait effectivement eu lieu aux dates annoncées. Ce document ne permettrait donc pas de prouver la date réelle de lancement du produit au Luxembourg et dans les autres pays. Par ailleurs, la date du 1er février 1988 indiquée dans ce document ne correspondrait pas à la date du 11 mars 1988, sur laquelle AZ aurait dû s’appuyer selon la Commission, ni à la date du 8 février 1988, avancée lors de la procédure intervenue en Allemagne. Les requérantes soutiennent qu’AZ était tenue de présenter une date aux offices des brevets et que, eu égard aux informations variables provenant de diverses sources dont elle disposait, elle a pu décider de conserver la date initiale du 21 mars 1988 sans avoir l’intention de tromper quiconque.

463    Les requérantes considèrent que le discrédit que la Commission jette sur le témoignage de Mme J. est injustifié et soutiennent que, eu égard au contexte qui a entouré la communication de la liste du Luxembourg par Astra Belgique, il pouvait en être raisonnablement déduit que celle-ci constituait l’autorisation de mise sur le marché effective.

–        Sur les déclarations effectuées au cours de la procédure judiciaire en Allemagne

464    Les requérantes contestent, pour les motifs exposés au point 462 ci-dessus, les considérations figurant au considérant 728 de la décision attaquée et soutiennent que, même si AZ a commis une erreur en retenant la date du 21 mars 1988 comme la date pertinente concernant la première autorisation de mise sur le marché, il n’existe aucune preuve démontrant qu’AZ savait que cette date n’était pas correcte. En effet, s’agissant du document interne du 19 août 1996, invoqué par la Commission et qui indiquerait que la date effective de lancement du produit était le 1er février 1988, les requérantes estiment que celui-ci ne constitue pas une preuve autonome dès lors qu’il a été soumis par un agent en brevets qui n’était pas directement impliqué dans le litige et que la liste des dates jointe en annexe n’indique pas la provenance de la date du 1er février 1988. S’agissant, ensuite, du document du 9 septembre 1996, contenant la mention « 1988-02-01/1988-03-11 », les requérantes considèrent que celui-ci ne constitue pas une preuve non équivoque démontrant l’existence d’une date antérieure certaine du lancement du produit, mais dénoterait au contraire une incertitude importante quant à la date de ce lancement. Elles renvoient par ailleurs au témoignage de Mme J.

465    En ce qui concerne les considérations de la Commission exposées aux considérants 730 et 731 de la décision attaquée, les requérantes font valoir que l’avocat allemand a admis l’exactitude de la date du 8 février 1988 en se fondant sur la lettre envoyée par AZ aux autorités luxembourgeoises le 8 décembre 1988 pour leur soumettre sa proposition de prix et dans laquelle AZ a annoncé son intention d’appliquer ce prix à partir du 8 février 1988. L’avocat allemand aurait ainsi admis l’exactitude de la date du 8 février 1988 sur le fondement de son adhésion à une interprétation particulière du règlement n° 1768/92, selon laquelle la date pertinente était celle de l’approbation du prix par les autorités, permettant à AZ de vendre légalement le produit à un prix connu et approuvé. Cette interprétation du règlement n° 1768/92 n’aurait pas retenu la pertinence de la date de la publication du prix du produit, informant les acheteurs (les médecins et pharmaciens) de ce prix. L’avocat allemand n’aurait ainsi pas admis que le 8 février 1988 était la date à laquelle les ventes avaient été effectivement réalisées. Or, si l’interprétation retenue par AZ avait été appliquée, la date du 21 mars 1988 aurait semblé correcte. Les requérantes considèrent par conséquent que la Commission a commis une erreur en estimant, au considérant 735 de la décision attaquée, qu’il avait été admis lors de la procédure judiciaire en Allemagne que les ventes avaient eu lieu avant le 21 mars 1988. Les requérantes contestent que la distinction entre les termes « vendre légalement » et « mise sur le marché effective » soit dénuée de pertinence, celle-ci reflétant la réalité commerciale sur la base de laquelle AZ a retenu son interprétation du règlement n° 1768/92.

466    Elles ajoutent que les documents sur lesquels la Commission s’appuie sont contradictoires, dès lors qu’ils indiquent les dates des 1er février 1988, 8 février et 11 mars 1988. Par conséquent, même si elle avait tenu compte de ces informations, AZ serait demeurée dans l’incertitude quant à la date exacte de l’autorisation de mise sur le marché effective. Selon les requérantes, si les documents cités par la Commission indiquent tout au plus l’existence d’une incertitude sur l’exactitude de la date du 21 mars 1988, ils ne démontrent ni que cette date était fausse ni quelle date il convenait de retenir. Ces preuves ne démontreraient donc pas qu’AZ avait une intention de tromper les autorités publiques.

–        Sur les déclarations effectuées au cours de la procédure judiciaire en Norvège

467    S’agissant du considérant 733 de la décision attaquée, dans lequel la Commission cite des preuves fournies par les autorités luxembourgeoises, tendant à démontrer que la liste du Luxembourg était un « document officieux » énumérant les produits autorisés qui ne tenait pas compte du fait que leur prix avait été approuvé, les requérantes font valoir, tout d’abord, qu’aucun document officiel n’avait été publié à l’époque. Ensuite, la liste du Luxembourg aurait été publiée au nom d’une société qui représentait environ la moitié des pharmaciens et des grossistes en produits pharmaceutiques du Luxembourg. Par ailleurs, la liste du Luxembourg aurait eu pour objet d’informer les pharmaciens sur les produits autorisés et disponibles sur le marché et aurait été publiée par le département de pharmacie et des médicaments du Luxembourg. Ainsi, malgré le caractère officieux de la liste du Luxembourg, les requérantes considèrent qu’AZ a agi raisonnablement en s’appuyant sur celle-ci.

468    Les requérantes font également valoir qu’AZ a admis, dans le cadre de la procédure relative au renvoi préjudiciel devant la Cour, qu’elle ne disposait pas de la liste complète ou de la partie de celle-ci indiquant le prix du Losec. Cela démontrerait l’absence de toute intention de tromper le tribunal de première instance d’Oslo (Norvège).

469    En réponse aux allégations de la Commission selon lesquelles AZ avait effectué des recherches indiquant que le produit avait été commercialisé avant le 21 mars 1988, les requérantes rétorquent que les résultats de ces recherches étaient confus et contradictoires et ne démontraient pas que la liste du Luxembourg était sans pertinence, ni que cette date était inexacte ou ne constituait pas la date de la mise sur le marché effective.

–        Sur les déclarations effectuées au cours de la procédure judiciaire en Finlande

470    Les requérantes contestent le considérant 735 de la décision attaquée et considèrent que les documents sur lesquels la Commission s’appuie ne démontrent pas que des ventes aient eu lieu avant le 21 mars 1988. Elles affirment qu’AZ ne l’a pas admis lors de la procédure en Allemagne. Il ne s’agirait que d’une opinion scientifique, fondée sur une interprétation du règlement n° 1768/92 et sur le fait que le prix avait été approuvé, et non sur des preuves de ventes effectives au Luxembourg. Par ailleurs, AZ aurait admis devant le tribunal de première instance d’Helsinki (Finlande) qu’elle avait tenté d’obtenir une copie complète de la liste et qu’elle avait recherché quelle était la position officielle en matière de publication au Luxembourg. Elle aurait également reconnu que la situation était incertaine au Luxembourg. Ces preuves ne révéleraient par conséquent aucune intention de la part d’AZ de tromper le tribunal de première instance d’Helsinki. Par ailleurs, les requérantes contestent à nouveau que les recherches opérées par AZ auraient démontré qu’il était inexact que le Losec ne pouvait être commercialisé au Luxembourg avant le 21 mars 1988.

–       Sur l’existence d’une stratégie visant à tromper les agents en brevets d’AZ, les offices des brevets nationaux et les juridictions nationales

471    Les requérantes contestent, enfin, la considération de la Commission, figurant au considérant 665 de la décision attaquée, selon laquelle le directeur du département des brevets d’AZ de l’époque aurait admis, le 21 octobre 1999, qu’il avait conçu une stratégie visant à tromper délibérément les agents en brevets d’AZ, les offices des brevets nationaux et les juridictions nationales. Faisant référence à la télécopie envoyée par le directeur du département des brevets au directeur général d’AZ, les requérantes soutiennent que celle-ci ne contient aucun aveu d’une stratégie malveillante. Cette télécopie indiquerait seulement qu’AZ a adopté une interprétation du règlement n° 1768/92 à propos de laquelle des incertitudes existaient et qu’il était souhaitable que l’affaire soit soumise à la Cour afin qu’une solution définitive soit apportée quant à l’interprétation correcte du règlement n° 1768/92.

472    Les requérantes dénoncent également que la Commission n’ait pas donné à l’auteur de la télécopie en cause la possibilité de communiquer ses observations sur les conclusions qui sont tirées de ce message. Elles renvoient par ailleurs aux témoignages du directeur du département des brevets et de MM. L. et W.

b)     Arguments de la Commission

473    La Commission conteste le bien-fondé des arguments avancés dans le cadre du second moyen.

c)     Appréciation du Tribunal

 Sur la charge de la preuve

474    Il convient de rappeler, à titre liminaire, que la charge de la preuve quant à l’existence de circonstances constitutives d’une violation de l’article 82 CE repose sur la Commission (arrêt Microsoft/Commission, point 32 supra, point 688). Il lui revient, par conséquent, d’établir les éléments de preuve propres à démontrer l’existence des faits constitutifs d’une infraction.

475    À cet égard, l’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction. Le juge ne saurait donc conclure que la Commission a établi l’existence de l’infraction en cause à suffisance de droit si un doute subsiste encore dans son esprit sur cette question, notamment dans le cadre d’un recours tendant à l’annulation d’une décision infligeant une amende.

476    En effet, dans cette dernière situation, il est nécessaire de tenir compte du principe de la présomption d’innocence, tel qu’il résulte notamment de l’article 6, paragraphe 2, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, lequel fait partie des droits fondamentaux qui, selon la jurisprudence de la Cour, par ailleurs réaffirmée à l’article 6, paragraphe 2, UE, constituent des principes généraux du droit communautaire. Eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de gravité des sanctions qui s’y rattachent, le principe de la présomption d’innocence s’applique notamment aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à la prononciation d’amendes ou d’astreintes (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 12 septembre 2007, Coats Holdings et Coats/Commission, T‑36/05, non publié au Recueil, points 68 à 70, et la jurisprudence citée).

477    Ainsi, il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour établir l’existence de l’infraction. Cela étant, la Commission ne doit pas nécessairement apporter de telles preuves pour chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement et dont les différents éléments peuvent se renforcer mutuellement, réponde à cette exigence (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du Tribunal du 8 juillet 2004, JFE Engineering e.a./Commission, T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, Rec. p. II‑2501, points 179, 180 et 275, et du 27 septembre 2006, Dresdner Bank e.a./Commission, T‑44/02 OP, T‑54/02 OP, T‑56/02 OP, T‑60/02 OP et T‑61/02 OP, Rec. p. II‑3567, points 62 et 63, et la jurisprudence citée).

 Sur la première phase de l’abus de position dominante

478    À titre liminaire, il convient de rappeler que, quoiqu’elle ait souligné le caractère unique et continu du premier abus de position dominante, la Commission a, ainsi que cela est exposé aux points 306 et 307 ci-dessus, distingué deux phases dans le déroulement de cet abus. La première phase identifiée par la Commission concerne les déclarations trompeuses effectuées par AZ lors de l’envoi d’instructions aux agents en brevets, le 7 juin 1993, par l’intermédiaire desquels ont été introduites des demandes de CCP dans sept États membres, parmi lesquels figurent l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, les Pays-Bas et le Royaume-Uni (voir considérant 628 de la décision attaquée). La seconde phase identifiée par la Commission comprend, premièrement, des déclarations trompeuses présentées en 1993 et en 1994 devant les offices des brevets, en réponse à leurs questions sur les demandes de CCP déposées par AZ, deuxièmement, des déclarations trompeuses effectuées en décembre 1994, lors de la seconde série de demandes de CCP, dans trois États membres de l’EEE, à savoir l’Autriche, la Finlande et la Norvège, et, troisièmement, des déclarations trompeuses présentées ultérieurement devant d’autres offices des brevets, ainsi que devant des juridictions nationales, dans le cadre de procédures contentieuses engagées par des fabricants de produits génériques concurrents en vue de l’annulation des CCP dans ces États (voir considérant 629 de la décision attaquée).

479    S’agissant de la première phase de l’abus, il y a lieu de rappeler les circonstances factuelles qui ont entouré la première phase du comportement que la Commission a qualifié d’abusif, telles qu’elles ressortent tant de la décision attaquée que du dossier produit devant le Tribunal. Il est en effet constant, en l’espèce, que, dans un mémorandum du 16 mars 1993, le département des brevets a relevé que la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté pour l’oméprazole avait été délivrée en France, en avril 1987. Le département des brevets a indiqué, en conséquence, qu’il ne considérait pas que l’obtention de CCP en Allemagne et au Danemark était possible, dans la mesure où la première autorisation de mise sur le marché était antérieure à 1988. La même difficulté a été identifiée à l’égard de l’oméprazole sodium et de la félodipine (voir considérants 634 et 635 de la décision attaquée).

480    Il convient de rappeler, à cet égard, que, en vertu de la règle transitoire visée à l’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement n° 1768/92 (voir le point 299 ci-dessus), les produits éligibles, en Allemagne et au Danemark, à recevoir un CCP étaient ceux dont la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté avait été obtenue après le 1er janvier 1988.

481    Dès la mi-mars 1993, le département des brevets d’AZ a engagé, au travers de Hässle, une collecte d’informations à partir des sociétés de commercialisation locales. Cette collecte d’informations se concentrait uniquement sur les produits présentant un problème quant à la date de la délivrance de la première autorisation technique, à savoir l’oméprazole, l’oméprazole sodium et la félodipine, dans la mesure où cette date était antérieure au 1er janvier 1988. Le 22 mars 1993, la société de commercialisation belge a communiqué à Hässle la copie de l’autorisation technique de mise sur le marché de l’oméprazole au Luxembourg du 16 novembre 1987, ainsi que la copie de la décision d’approbation du prix de l’oméprazole dans ce pays, du 17 décembre 1987 (voir considérants 170, 636 et 637 de la décision attaquée).

482    Dans un mémorandum du département des brevets du 29 mars 1993, la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté a été identifiée comme étant celle qui avait été délivrée en France, en avril 1987. Le département des brevets y a toutefois indiqué que, aux fins des demandes de CCP en Allemagne et au Danemark, il ferait valoir devant les offices des brevets que la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté n’avait pas eu lieu avant le 1er janvier 1988 (voir considérant 638 de la décision attaquée).

483    Dans un mémorandum adressé au département des brevets le 30 mars 1993, Hässle a communiqué les informations reçues au sujet des dates relatives aux autorisations concernant l’oméprazole en France et au Luxembourg et la félodipine au Danemark. S’agissant de l’oméprazole au Luxembourg, ce mémorandum a confirmé les informations reçues le 22 mars 1993 de la société de commercialisation belge, à savoir que l’autorisation technique de mise sur le marché luxembourgeoise avait été délivrée le 16 novembre 1987 et que la décision d’approbation du prix pour ce produit était intervenue le 17 décembre 1987, tout en indiquant que la date de la publication du prix n’était pas encore connue. Ce mémorandum a également confirmé que l’autorisation de mise sur le marché de l’oméprazole en France avait eu lieu en avril 1987 et a ajouté que les négociations sur le prix s’étaient achevées au printemps 1989 et que la publication du prix au Journal officiel de la République française avait eu lieu le 22 novembre 1989 – quoique ce mémorandum mentionne la date du « 22. 11. 1988 », le Tribunal considère que la Commission a correctement retenu, au considérant 171 de la décision attaquée, que cette mention procédait d’une erreur matérielle et que l’auteur du mémorandum entendait faire référence à la date du 22 novembre 1989. S’agissant de la félodipine au Danemark, Hässle a indiqué que l’autorisation de mise sur le marché avait été délivrée le 29 décembre 1987, que cette autorisation avait été publiée le 21 janvier 1988 et que le prix avait été publié le 29 février 1988 dans le Specialitetstaksten (tarif des spécialités).

484    Dans ce mémorandum, Hässle a indiqué que, en France, au Luxembourg et au Danemark, les prix devaient être fixés et publiés avant qu’un produit puisse être commercialisé. Hässle considérait ainsi que « cette date [était] décisive ». Elle a indiqué qu’elle cherchait à obtenir les mêmes informations concernant les autres pays, afin de déterminer la date en utilisant le même critère dans les différents pays (voir considérants 639 à 641 de la décision attaquée).

485    Le 5 avril 1993, la société de commercialisation belge a communiqué à Hässle la page de garde et la page 246 de la liste du Luxembourg, en se référant à une copie d’un document officiel de mars 1998 (il convient de lire « mars 1988 »), énonçant les produits autorisés dans le Grand-Duché de Luxembourg. Ce document a été transmis au département des brevets par mémorandum du 7 avril 1993 (voir considérants 172, 173 et 658 de la décision attaquée).

486    Ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 173 de la décision attaquée, la page de garde de la liste du Luxembourg est intitulée « Ministère de la Santé – Spécialités pharmaceutiques – Liste des spécialités pharmaceutiques admises à la vente dans le Grand-Duché de Luxembourg ». Au bas de cette page de garde se trouvent mentionnés les éléments suivants : « éditeur : CEFIP sàrl Luxembourg – Tout droit réservé – Modification au 24.2 comprise – Mars 1988 ». Sur la page 246 de ce document figure, dans l’ordre alphabétique, une liste de noms de 23 produits pharmaceutiques commençant par le groupe de lettres « lo », puis par le groupe de lettres « lu », et comprenant notamment deux références au Losec, pour l’oméprazole en gélules et la préparation injectable de l’oméprazole (l’oméprazole sodium). Aucun prix ne figure aux côtés des produits mentionnés. Dans le coin supérieur gauche de la page 246 figure la mention suivante : « date : 21/03/88 ». Il apparaît que cette page est issue d’un document dressant la liste des médicaments admis à la vente sur plusieurs centaines de pages.

487    La Commission a également relevé qu’AZ avait admis, devant les tribunaux norvégiens en mai 1999, qu’elle ne possédait pas la liste complète, ni une partie de celle-ci comprenant le prix du Losec, et ce malgré les efforts déployés pour obtenir ce document (considérants 241 et 661 de la décision attaquée). De même, elle a relevé que, devant les juridictions finlandaises, AZ avait admis, le 30 juin 1999, que la situation au Luxembourg « était peu claire » (considérants 245 et 661 de la décision attaquée). La Commission a également considéré que les documents internes d’AZ confirmaient qu’elle ne savait pas si le Losec avait pu être commercialisé avant mars 1988. Elle a fait référence, à cet égard, à un mémorandum interne du 14 février 1994 (considérants 210, 211 et 661 de la décision attaquée) et à un document provenant de juristes internes (considérant 230 et note en bas de page n° 302 et considérant 661 de la décision attaquée).

488    La Commission a relevé que la date de la prétendue mise sur le marché effective, à savoir la date de publication du prix du produit, n’avait pas été utilisée dans l’ensemble des demandes de CCP. En effet, cette date n’a été utilisée que pour l’oméprazole et l’oméprazole sodium. S’agissant de la félodipine, la date de la première publication de l’autorisation technique de mise sur le marché, à savoir, au Danemark, le 21 janvier 1988, a été utilisée. Pour cinq autres produits, AZ a utilisé les dates des autorisations techniques de mise sur le marché, qui sont toutes ultérieures au 1er janvier 1988 (voir considérants 643 à 645 de la décision attaquée).

489    En ce qui concerne les demandes de CCP pour l’oméprazole, la Commission a considéré que les déclarations trompeuses trouvaient leur origine dans la décision de Hässle du 6 mai 1993, prise sous la forme de trois annotations manuscrites portées en suédois sur le mémorandum du département des brevets du 29 mars 1993 (considérant 648 de la décision attaquée). Ces annotations manuscrites indiquaient que, s’agissant du Luxembourg, la date de mars 1988 devait être communiquée aux offices des brevets en tant que première autorisation dans la Communauté et que, s’agissant de la France, la date du 22 novembre 1989 devait être fournie.

490    Cette décision du 6 mai 1993 a été mise en œuvre dans les instructions incriminées du 7 juin 1993, transmises aux agents en brevets pour les demandes de CCP concernant l’oméprazole. La considération de la Commission selon laquelle ces instructions finales étaient trompeuses repose sur le fait que, sans en avertir les agents en brevets et les offices des brevets nationaux, AZ a, concernant la France et le Luxembourg, indiqué des dates ne correspondant pas à la délivrance de l’autorisation technique de mise sur le marché, mais à ce qu’AZ appelle l’« autorisation de mise sur le marché effective », c’est-à-dire la date prétendue de publication du prix du médicament (considérant 651 de la décision attaquée).

491    La substitution des dates de délivrance des autorisations techniques de mise sur le marché en France et au Luxembourg par celles correspondant aux publications du prix du médicament dans ces pays était, selon la Commission, de nature à tromper les offices des brevets pour trois raisons. Premièrement, les dates indiquées, sur le formulaire de demande, vis-à-vis de sept autres pays, concernaient la délivrance de l’autorisation technique de mise sur le marché, de sorte qu’il pouvait être supposé que les dates indiquées pour la France et le Luxembourg correspondaient également aux autorisations techniques de mise sur le marché. Deuxièmement, les numéros correspondant aux autorisations techniques de mise sur le marché françaises et luxembourgeoises étaient maintenus. En conséquence, ces numéros figuraient aux côtés des dates des « autorisations de mise sur le marché effective », suggérant ainsi que ces dates correspondaient aux autorisations techniques. Les numéros des autorisations techniques avaient par ailleurs également été indiqués pour sept autres pays. Troisièmement, aux fins de répondre aux exigences de l’article 8, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 1768/92, AZ a mentionné la législation luxembourgeoise qui ne se rapportait pas à la date de mars 1988, mais à l’autorisation technique de mise sur le marché, cette dernière y faisant référence (voir considérants 653 à 655 de la décision attaquée). Par ailleurs, aux fins de produire la copie de la publication de l’autorisation au Journal officiel national requise par l’article 8, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 1768/92, AZ a communiqué la page de garde et la page 246 de la liste du Luxembourg (voir considérant 656 de la décision attaquée).

492    Il résulte de ce qui précède qu’aucun élément, dans la présentation des informations communiquées dans le cadre des instructions du 7 juin 1993, n’était de nature à laisser penser que les dates indiquées au sujet de la France et du Luxembourg n’étaient pas relatives aux autorisations techniques de mise sur le marché. À cet égard, même à considérer qu’il aurait été possible de proposer des interprétations alternatives de la notion d’« autorisation de mise sur le marché » figurant dans le règlement n° 1768/92, il est constant que tant les offices des brevets que les agents en brevets comprenaient cette notion comme se référant à l’autorisation « technique ». Le mémorandum du 16 mars 1993 laisse d’ailleurs clairement apparaître que telle était également la compréhension qu’en avait AZ, dès lors que cette dernière considérait initialement que l’obtention de CCP en Allemagne et au Danemark était impossible (voir le point 479 ci-dessus).

493    Il y a lieu de considérer, par conséquent, que, eu égard au contexte dans lequel ces déclarations aux agents en brevets et aux offices de brevets ont été faites, AZ ne pouvait raisonnablement ignorer que, en l’absence de divulgation active de l’interprétation qu’elle entendait retenir du règlement n° 1768/92 et qui sous-tendait le choix des dates communiquées en ce qui concerne la France et le Luxembourg, les offices des brevets allaient être amenés à comprendre ces déclarations comme indiquant que la première autorisation technique de mise sur le marché dans la Communauté avait été délivrée au Luxembourg en « mars 1988 ». Ainsi, sans qu’il soit besoin pour la Commission de démontrer la mauvaise foi d’AZ ou une intention positivement frauduleuse de sa part, il suffit de constater qu’un tel comportement, caractérisé par un manque manifeste de transparence, est contraire à la responsabilité particulière incombant à une entreprise en position dominante de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun (voir, en ce sens, arrêt Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, point 30 supra, point 57).

494    Dès lors, le débat qui oppose les parties sur la question de savoir si le caractère trompeur des demandes de CCP procédait de la mauvaise foi d’AZ est dénué de pertinence. En tout état de cause, les arguments multiples des requérantes, tirés de l’absence prétendue de mauvaise foi de la part d’AZ, en ce qui concerne tant l’interprétation qu’elle a choisi de retenir du règlement n° 1768/92 que la présentation des demandes de CCP, ou encore la signification qu’elle attribuait à la liste du Luxembourg, ne sauraient constituer une justification objective à l’absence de divulgation proactive de la nature des dates mentionnées concernant les autorisations de mise sur le marché au Luxembourg et en France, d’une part, et de l’interprétation du règlement n° 1768/92 dont le choix de ces dates procédait, d’autre part.

495    Ainsi, s’agissant, tout d’abord, de l’intention alléguée de discuter avec les offices des brevets des dates communiquées et de ce qu’AZ s’attendait à ce que les offices des brevets lui posent des questions à cet égard, il y a lieu de considérer que cette circonstance est en toute hypothèse dénuée de pertinence, eu égard à la nature fortement trompeuse des déclarations communiquées aux offices des brevets aux fins des demandes de CCP. Il ne saurait en effet être considéré que les demandes de CCP étaient présentées de telle façon qu’elles invitaient les offices des brevets à poser des questions à propos de la date indiquée concernant l’autorisation française (le 22 novembre 1989). Seul le caractère imprécis de la date mentionnée à propos de l’autorisation de mise sur le marché accordée au Luxembourg (mars 1988) était susceptible de susciter des demandes de précision à cet égard. Or, ainsi que la Commission le fait observer, force est de constater que, en réponse aux demandes de précisions des offices des brevets à propos de la date de l’autorisation au Luxembourg, et excepté dans ses échanges avec les offices des brevets du Royaume-Uni et irlandais, AZ s’est gardée de révéler avec la transparence requise, d’une part, l’ensemble des dates pertinentes aux fins de la délivrance des CCP, et notamment la date de l’autorisation délivrée en France le 15 avril 1987, qui constituait la première autorisation technique de mise sur le marché délivrée dans la Communauté, et, d’autre part, l’interprétation du règlement n° 1768/92 qui sous-tendait les dates indiquées pour la France et le Luxembourg. L’allégation des requérantes selon laquelle AZ avait l’intention de discuter avec les offices des brevets de la date pertinente aux fins du règlement n° 1768/92 est donc infirmée par les faits. Le comportement adopté par AZ dans la durée suggère au contraire davantage qu’elle était animée par l’intention de tromper les offices des brevets, ainsi que cela ressort de la seconde phase du présent abus.

496    S’agissant, ensuite, de la bonne foi alléguée d’AZ dans l’interprétation du règlement n° 1768/92 et du caractère raisonnable de cette dernière, force est de constater que celle-ci est dénuée de pertinence. Ainsi que la Commission le relève à juste titre au considérant 666 de la décision attaquée, les mérites de l’interprétation du cadre réglementaire ne sont aucunement en cause dans le cadre du premier abus. La circonstance, défendue par les requérantes, qu’une interprétation alternative pouvait être avancée au sujet du règlement n° 1768/92 ne serait pas, par hypothèse, de nature à influer sur le caractère objectivement trompeur des demandes de CCP d’AZ, cette dernière s’étant précisément gardée de divulguer cette interprétation auprès des offices des brevets, ainsi que la date du 15 avril 1987 relative à l’autorisation technique de mise sur le marché délivrée en France, qui constituait la première autorisation technique de mise sur le marché délivrée dans la Communauté. Par conséquent, la circonstance que des cabinets d’avocats aient, postérieurement aux instructions envoyées aux agents en brevets aux fins de procéder aux demandes initiales de CCP auprès des offices des brevets nationaux, rédigé des notes soutenant l’interprétation du règlement n° 1768/92 retenue par AZ, est également dénuée de pertinence.

497    S’agissant, enfin, de la bonne foi alléguée d’AZ en ce qui concerne la signification qu’elle attribuait à la liste du Luxembourg, il suffit, ici encore, de constater que celle-ci ne saurait pallier l’absence de divulgation aux offices des brevets de sa « théorie de la mise sur le marché effective » et de la date de délivrance en France de l’autorisation technique de mise sur le marché du 15 avril 1987. En outre, ainsi que la Commission l’a constaté au considérant 663 de la décision attaquée, il y a lieu de relever que la liste du Luxembourg est un document qui ne se prête pas, de par son apparence, à être considéré comme étant la publication du prix de l’oméprazole au Luxembourg. Il convient de relever, à cet égard, qu’aucun prix ne figure à côté des produits mentionnés dans la liste (voir le point 486 ci-dessus). Par ailleurs, compte tenu du fait que la page 246 de cette liste énumère dans l’ordre alphabétique les produits dont les noms commencent par le groupe de lettres « lo », puis par le groupe de lettres « lu », il n’est pas crédible que ces produits aient été autorisés à être mis sur le marché le même jour, à savoir le 21 mars 1988.

498    À titre surabondant, il convient de relever, ainsi que l’examen de la seconde phase du comportement abusif le laisse apparaître, que la circonstance qu’AZ ait continué à défendre la pertinence de la liste du Luxembourg et de la date du 21 mars 1988 alors même qu’elle était en possession d’informations indiquant que le Losec avait été commercialisé avant cette date et que son prix n’a jamais fait l’objet d’une publication officielle (voir notamment le considérant 700 de la décision attaquée) tend à décrédibiliser les allégations des requérantes au sujet de la bonne foi d’AZ.

499    En ce qui concerne les incohérences quant à l’utilisation par AZ des différents types de dates, à savoir la date prétendue de publication du prix du produit en ce qui concerne l’oméprazole et l’oméprazole sodium, la date de la première publication de l’autorisation technique de mise sur le marché en ce qui concerne la félodipine et les dates des autorisations techniques de mise sur le marché pour cinq autres produits, il y a lieu d’observer que ces incohérences ne sont pas directement pertinentes en ce qui concerne le premier abus, qui a trait aux seules déclarations trompeuses pour l’obtention de CCP pour l’oméprazole. La Commission a fait mention de ces incohérences (considérants 643 à 646 de la décision attaquée) aux fins de démontrer l’existence d’une stratégie d’ensemble pour les demandes de CCP, visant à cacher sciemment aux offices des brevets les dates antérieures au 1er janvier 1988.

500    Quoique ces constatations puissent présenter l’intérêt d’établir le contexte dans lequel s’inscrit le comportement d’AZ, il y a lieu toutefois de relever que celles-ci ne sont pas strictement nécessaires aux fins de démontrer le premier abus, consistant, lors de la première phase identifiée par la Commission, en la communication par AZ aux offices des brevets des prétendues dates de publication du prix de l’oméprazole en France et au Luxembourg sans les informer de l’interprétation du règlement n° 1768/92 qu’elle avait retenue et de sa « théorie de la mise sur le marché effective » sous-tendant le choix des dates communiquées. Par conséquent, l’ensemble des arguments avancés par les requérantes, tendant à expliquer ces incohérences et à contester qu’elles trouvent leur origine dans la mauvaise foi d’AZ, sont dénués de pertinence, dès lors qu’elles ne sauraient influer sur le caractère abusif du manque de transparence dont AZ a fait preuve lors des demandes de CCP.

 Sur la seconde phase de l’abus de position dominante

501    La Commission a également identifié une série de déclarations qu’elle a également considérées comme étant trompeuses et qu’elle a regroupées dans une seconde phase de l’abus se situant dans le prolongement direct du comportement identifié dans le cadre de la première phase de l’abus. Cette seconde phase comprend des déclarations trompeuses présentées en 1993 et en 1994 devant les offices des brevets, en réponse à leurs questions sur les demandes de CCP déposées par AZ, des déclarations trompeuses effectuées en décembre 1994, lors de la seconde série de demandes de CCP, dans trois pays de l’EEE, à savoir l’Autriche, la Finlande et la Norvège, et des déclarations trompeuses présentées ultérieurement devant d’autres offices des brevets, ainsi que devant des juridictions nationales, dans le cadre de procédures contentieuses engagées par des fabricants de produits génériques concurrents en vue de l’annulation des CCP dans ces pays (voir considérant 629 de la décision attaquée).

502    Dans la mesure où les requérantes contestent une à une les constatations opérées par la Commission, il y a lieu de procéder au contrôle de la constatation des faits et de leur appréciation subséquente opérée par la Commission à l’égard de chacune des déclarations faites par AZ, qui sont en cause dans le cadre de cette seconde phase.

–       Sur les déclarations effectuées devant l’office des brevets luxembourgeois (juin 1993)

503    La demande de CCP pour l’oméprazole a été transmise à l’office des brevets luxembourgeois par le biais de l’agent en brevets français, qui a lui-même eu recours à un agent en brevets luxembourgeois (considérant 202 de la décision attaquée). Par lettre du 11 juin 1993, AZ a transmis à l’agent en brevets français l’autorisation technique de mise sur le marché au Luxembourg, tout en précisant qu’elle considérait que la date de publication dans la liste du Luxembourg, à savoir le 21 mars 1988, était la date pertinente au sens de l’article 3, sous d), du règlement n° 1768/92. AZ a ainsi donné l’instruction de faire référence à cette dernière date comme date de première autorisation dans la Communauté. Elle a ajouté qu’« aucune argumentation supplémentaire n’était requise à ce stade » (considérants 203 et 684 de la décision attaquée).

504    Par lettre du 17 juin 1993, l’agent en brevets français a donné instruction à l’agent en brevets luxembourgeois de ne pas indiquer, dans les demandes de CCP, la date figurant sur l’autorisation de mise sur le marché luxembourgeoise, « mais la date de publication dans le Journal [o]fficiel [l]uxembourgeois ‘Spécialités pharmaceutiques’, c’est-à-dire le 21 mars 1988 ». L’agent en brevet français a ajouté que : « [c]ette opinion est certes discutable, mais nous vous demandons de vous conformer à ces instructions » (considérant 204 de la décision attaquée). Par lettre du même jour, l’agent en brevets français a demandé à AZ si elle souhaitait que les demandes de CCP pour d’autres produits indiquent également les « dates de publication dans ‘Spécialités pharmaceutiques’ des autorisations ». Dans son courrier en réponse du 21 juin 1993, AZ lui a fait savoir que ses instructions du 7 juin 1993 étaient uniquement applicables à l’oméprazole et à l’oméprazole sodium (considérants 205 et 206 de la décision attaquée).

505    Dès le 16 juin 1993, l’agent en brevets luxembourgeois a communiqué à l’office des brevets une demande de CCP incomplète. En effet, ce dernier a communiqué à l’office des brevets le numéro de l’autorisation technique de mise sur le marché au Luxembourg, ainsi que cela était demandé par AZ, mais s’est abstenu de communiquer la date de « mars 1988 » et la liste du Luxembourg. À cet égard, il a indiqué qu’une « copie de l’autorisation luxembourgeoise » serait communiquée ultérieurement. Par la suite, une mention manuscrite indiquant « 16 novembre 1987 » a été portée sur le formulaire de demande, semble-t-il par l’office des brevets luxembourgeois lui-même. Un CCP a donc été délivré au Luxembourg, devant venir à expiration le 16 novembre 2002 (considérants 207 et 682 de la décision attaquée).

506    La Commission a constaté que ni l’agent en brevets luxembourgeois ni l’office des brevets luxembourgeois n’avaient été informés de l’autorisation technique de mise sur le marché délivrée antérieurement, le 15 avril 1987, en France (considérant 682 de la décision attaquée). Par ailleurs, il était clair, selon elle, que l’agent en brevets français avait compris les instructions d’AZ comme lui demandant de communiquer la date de publication de l’autorisation technique de mise sur le marché et qu’AZ s’était gardée de lui expliquer la nature réelle de la date du 21 mars 1988 (considérant 686 de la décision attaquée).

507    Il convient de constater que le caractère trompeur de la demande de CCP au Luxembourg réside avant tout dans le manque de transparence quant à l’existence de l’autorisation de mise sur le marché accordée en France le 15 avril 1987, qui constituait la première autorisation accordée dans la Communauté et qui devait, en conséquence, être prise en compte pour la durée de validité du CCP.

508    Les requérantes tentent d’en rejeter la responsabilité sur l’agent en brevets français, qui avait connaissance de la date de l’autorisation accordée tant en France qu’au Luxembourg. Il y a lieu de relever, à cet égard, que les documents internes d’AZ infirment que l’absence de communication de la date du 15 avril 1987 relative à la délivrance de l’autorisation de mise sur le marché en France ait eu lieu à l’insu d’AZ. En effet, il résulte de la télécopie du 11 octobre 1996 (voir le point 530 ci-après) qu’AZ était consciente du caractère erroné de la date de la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté et qu’elle avait évalué le risque lié à l’absence de communication de la date du 15 avril 1987 en estimant qu’elle consisterait, dans le pire des cas, en la perte de six mois de protection conférée par un CCP. Cette considération est renforcée par le compte rendu de la réunion de Copenhague (Danemark) du 15 novembre 1994 (voir le point 552 ci-après), dans lequel il est consigné qu’AZ était « convaincue » que, dans les pays vis-à-vis desquels les dispositions transitoires du règlement n° 1768/92 ne posaient pas de difficulté, mais pour lesquels il avait été fait usage de l’autorisation luxembourgeoise « dans un but de cohérence », il serait possible, en cas de litige à propos des CCP, de revenir à la date de l’autorisation française, compte tenu du caractère incertain de l’interprétation des dispositions réglementaires en cause lors de l’introduction des demandes de CCP.

509    Enfin, les instructions qu’AZ a communiquées à son agent en brevets français, à charge pour celui-ci de les transmettre à l’agent en brevets luxembourgeois, étaient parfaitement claires. Il était explicitement demandé de communiquer à l’office des brevets luxembourgeois la date du 21 mars 1988, aucune mention quant à la date du 15 avril 1987 n’ayant été faite. Or, ainsi qu’il ressort du mémorandum du 16 mars 1993, mentionné au point 479 ci-dessus, avant même d’avoir arrêté son interprétation alternative de la notion d’autorisation de mise sur le marché, AZ savait que la date du 15 avril 1987 était pertinente en tant que date de la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté.

510    Dans la mesure où l’absence de communication de la date du 15 avril 1987 aurait véritablement procédé d’une erreur commise par inadvertance, il incombait en tout état de cause à AZ de demander la correction du CCP luxembourgeois postérieurement à son octroi, compte tenu de la responsabilité particulière incombant à une entreprise en position dominante.

511    À titre surabondant, il y a lieu de relever que la circonstance, alléguée par les requérantes, que l’agent en brevets français connaissait les dates tant de l’autorisation de mise sur le marché française que de l’autorisation de mise sur le marché luxembourgeoise ne permet pas de considérer que celui-ci savait que la publication dans la liste du Luxembourg (Spécialités pharmaceutiques) correspondait à la prétendue publication du prix du produit. Ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 686 de la décision attaquée, il convient d’observer qu’AZ n’a pas expliqué à l’agent en brevets français l’objet prétendu de la publication dans la liste du Luxembourg, ni, par conséquent, la nature de la date du 21 mars 1988, et ce quand bien même il ressortait manifestement de la lettre du 17 juin 1993 adressée à AZ que cet agent en brevets pensait qu’il s’agissait de la publication de l’autorisation de mise sur le marché elle-même. En outre, ainsi que la Commission le met en exergue, il ressort également du courrier de l’agent en brevets français du 2 août 1996 que ce dernier pensait encore, à cette date, que la liste du Luxembourg et la date du 21 mars 1988 correspondaient à la publication de l’autorisation de mise sur le marché luxembourgeoise.

512    À cet égard, il y a lieu de rejeter l’argument des requérantes selon lequel, dans sa lettre du 17 juin 1993 adressée à AZ, l’agent en brevets français comprenait le terme « autorisation » comme l’autorisation de mise sur le marché effective. Il est en effet manifeste que ce courrier ne faisait pas référence à la notion d’autorisation telle qu’interprétée par AZ, à savoir sa « théorie de la mise sur le marché effective ». Le passage pertinent de cette lettre se lit comme suit :

« Nous accusons réception de vos instructions de se référer, sur les formulaires de demande, aux dates de publication des autorisations dans ‘Spécialité pharmaceutique’ et de ne pas se référer à la date mentionnée sur les autorisations elles-mêmes. »

513    En outre, il ne ressort nullement de la déclaration de l’agent en brevets luxembourgeois que celui-ci et l’agent en brevets français n’avaient pas été induits en erreur.

–       Sur les déclarations effectuées devant l’office des brevets belge (septembre à novembre 1993)

514    Il ressort de la décision attaquée que l’agent en brevets belge a communiqué à l’office des brevets belge la date de mars 1988 et le numéro de l’autorisation technique de mise sur le marché luxembourgeoise, conformément aux instructions d’AZ du 7 juin 1993. Par courrier du 20 juillet 1993, l’agent en brevets belge a demandé à AZ de lui fournir la date exacte de l’autorisation technique de mise sur le marché luxembourgeoise. Par courrier du 26 août 1993, l’agent en brevets belge a réitéré cette demande (voir considérant 186 de la décision attaquée).

515    Par courrier du 10 septembre 1993, AZ a informé son agent en brevets belge qu’elle considérait que la date à prendre en considération était celle de la publication dans la liste du Luxembourg, à savoir le 21 mars 1988. Le même jour, la société de commercialisation belge d’AZ a communiqué à l’agent en brevets belge, à la demande de ce dernier, une copie de l’autorisation de mise sur le marché luxembourgeoise. Par courrier du 29 septembre 1993, l’agent en brevets belge a fait savoir à AZ qu’il considérait que la date devant être communiquée à l’office des brevets était celle figurant sur l’autorisation technique de mise sur le marché, à savoir le 16 novembre 1987, et que, en l’absence d’instruction contraire, il communiquerait cette date. Le 30 septembre 1993, l’agent en brevets belge a communiqué cette date à l’office des brevets belge et en a informé AZ par courrier du 4 octobre 1993 (voir considérants 187 et 188 de la décision attaquée).

516    Sur la base de ces informations, l’office des brevets belge a accordé un CCP expirant le 16 novembre 2002, ce dont AZ a été informée le 25 novembre 1993. Ce CCP a été annulé par un tribunal belge le 25 septembre 2002 (voir considérants 189 et 190 de la décision attaquée).

517    La Commission a relevé qu’AZ n’avait jamais informé l’agent en brevets belge de l’existence de l’autorisation technique de mise sur le marché française du 15 avril 1987. Elle a rejeté, en outre, le fait que l’agent en brevets belge ait agi de son propre chef, compte tenu des instructions semblables qu’AZ avait communiquées aux agents en brevets néerlandais et belge. La Commission a également considéré qu’AZ n’avait pas expliqué à l’agent en brevets belge sa « théorie de la mise sur le marché effective » (voir considérants 688 et 689 de la décision attaquée).

518    Or, les arguments avancés par les requérantes ne sauraient infirmer ces considérations. S’agissant, tout d’abord, du fait qu’AZ a donné l’instruction de fonder la demande de CCP sur la date de l’autorisation de mise sur le marché effective, soit le 21 mars 1988, force est de constater que c’est à juste titre que la Commission a retenu, au considérant 689 de la décision attaquée, que la lettre d’AZ du 10 septembre 1993 ne contenait aucune explication quant à la « théorie de la mise sur le marché effective », AZ s’étant contentée de faire savoir dans cette lettre qu’elle considérait que la date de publication dans la liste du Luxembourg devait être utilisée aux fins des demandes de CCP.

519    S’agissant, ensuite, de l’argument tiré de ce que l’agent en brevets belge avait agi de son propre chef et de ce qu’AZ ne s’était pas rendue compte, avant 1996, que le CCP belge était fondé sur la date du 16 novembre 1987, il convient de relever, ainsi que le fait observer la Commission, que, dans son courrier adressé à l’office des brevets belge le 8 mai 1998, le directeur du département des brevets a indiqué que Hässle avait accepté que l’agent en brevets belge indique la date du 16 novembre 1987 et n’avait pas cherché à faire débuter la durée du CCP à partir du 21 mars 1988. Il en résulte que le silence observé par AZ à la suite du courrier de l’agent en brevets belge du 29 septembre 1993 procédait de l’intention délibérée de laisser cet agent communiquer à l’office des brevets belge la date du 16 novembre 1987 comme date de première autorisation dans la Communauté. Cela est confirmé par les observations déposées par AZ le 4 avril 1997 dans le cadre de la procédure juridictionnelle devant le Bundespatentgericht (Cour fédérale des brevets, Allemagne), selon lesquelles [confidentiel], ainsi que par ses observations devant le Bundesgerichtshof, dans lesquelles elle a allégué [confidentiel].

520    S’agissant, enfin, de la lettre adressée par AZ à l’office des brevets belge le 8 mai 1998, force est de constater que ladite lettre n’a aucunement eu pour objet de révéler à cette autorité l’existence d’une autorisation technique de mise sur le marché dans la Communauté antérieure au 16 novembre 1987. Ce courrier se présentait uniquement comme ayant pour but d’informer l’office des brevets belge de l’existence d’un litige en Allemagne à propos de l’interprétation du règlement n° 1768/92 et de la « théorie de la mise sur le marché effective » qui justifiait, selon AZ, la prise en compte de la date du 21 mars 1988 aux fins de la délivrance du CCP en Belgique. Aucun élément dans cette lettre ne permet ainsi de considérer qu’AZ ait souhaité rectifier la base sur laquelle le CCP en Belgique avait été délivré, en informant de l’existence de l’autorisation technique de mise sur le marché accordée en France le 15 avril 1987. L’affirmation des requérantes selon laquelle AZ aurait attiré l’attention des autorités sur l’ensemble des dates pertinentes est donc inexacte.

521    En outre, il ne ressort nullement de la déclaration de M. P. que celui-ci avait été informé de l’existence de la date de l’autorisation technique de mise sur le marché en France.

–       Sur les déclarations effectuées devant l’office des brevets néerlandais (novembre et décembre 1993)

522    Aux Pays-Bas, AZ a demandé des CCP pour l’oméprazole et l’oméprazole sodium en citant la date de « mars 1988 » pour ces deux produits.

523    Par deux courriers identiques du 26 novembre 1993 concernant l’oméprazole et l’oméprazole sodium, l’agent en brevets néerlandais a indiqué à AZ que l’office des brevets néerlandais doutait de ce que la liste du Luxembourg constituait la publication de l’autorisation de mise sur le marché au Mémorial, le Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg, au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous a), iv), du règlement n° 1768/92. L’agent en brevets a également fait savoir à AZ que l’office des brevets avait formulé des objections à l’imprécision de la date relative à l’autorisation de mise sur le marché luxembourgeoise (mars 1988). Selon l’agent en brevets, « il sembl[ait] que cette date concern[ait] davantage le mois auquel la liste du Luxembourg a[vait] été publiée que la date de la délivrance de l’autorisation de mise sur le marché ». Par deux courriers identiques du 16 décembre 1993 concernant l’oméprazole et l’oméprazole sodium, AZ a indiqué que la date du 21 mars 1988 figurait sur la liste du Luxembourg, qui constituait la publication de l’autorisation de mise sur le marché au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous a), iv), du règlement n° 1768/92. Elle a signalé que l’autorisation de mise sur le marché avait été délivrée le 16 novembre 1987 et qu’elle considérait que la date du 21 mars 1988 était la date pertinente aux fins de l’article 8, paragraphe 1, sous a), iv), du règlement n° 1768/92. AZ a toutefois fait savoir que ces deux dates pouvaient être communiquées à l’examinateur (voir considérants 191 à 193 de la décision attaquée).

524    L’office des brevets a pris en compte la date du 16 novembre 1987 et a délivré un CCP pour l’oméprazole valide jusqu’au 15 novembre 2002.

525    Lors d’une réunion tenue à Londres le 11 décembre 1996, l’agent en brevets néerlandais a informé le directeur du département des brevets qu’il n’existait aucune possibilité légale de procéder à des corrections devant l’office des brevets. Lors de cette réunion, AZ a décidé de ne pas effectuer de démarches vis-à-vis de cet office des brevets (voir considérant 197 de la décision attaquée).

526    Toutefois, par courrier du 29 janvier 1997, l’agent en brevets néerlandais a informé AZ qu’il avait pris contact avec un fonctionnaire de l’office des brevets néerlandais au sujet de la possibilité d’apporter une correction au CCP qui avait été délivré. L’agent néerlandais a rapporté que ce fonctionnaire avait considéré que, bien qu’il n’ait existé formellement aucune disposition à cet effet, il devait être possible de procéder à une telle correction. En conséquence, cet agent a proposé de faire parvenir formellement à l’office des brevets un « certificat de correction ».

527    Dans son courrier en réponse du 10 février 1997, AZ a fait savoir qu’elle était « très surprise » d’apprendre que l’agent en brevets néerlandais avait contacté l’office des brevets à ce sujet, compte tenu de ce qui avait été convenu lors de la réunion de Londres. Elle a indiqué qu’elle n’était pas d’accord avec la proposition de demander formellement une correction du CCP, une telle démarche pouvant aboutir à des résultats imprévisibles et non souhaités. Il était précisé que le directeur du département des brevets considérait également qu’aucune action ne devait être engagée vis-à-vis de l’office des brevets néerlandais (voir considérants 198 et 199 de la décision attaquée).

528    La Commission a également considéré qu’il résultait d’une télécopie du 11 octobre 1996 adressée par le directeur du département des brevets à la société de commercialisation néerlandaise qu’AZ était consciente, dès 1993, du fait qu’elle perdrait six mois de protection conférée par le CCP si l’agent en brevets avait reçu l’instruction de communiquer la date de l’autorisation technique de mise sur le marché en France du 15 avril 1987 (considérant 200 de la décision attaquée).

529    Sur demande introduite par des concurrents d’AZ, l’office des brevets néerlandais a, le 29 octobre 2002, retenu que la date d’expiration correcte du CCP était le 15 avril 2002 (voir considérant 201 de la décision attaquée).

530    En ce qui concerne l’allégation des requérantes selon laquelle la communication de la date du 16 novembre 1987 pour la demande de CCP relative à l’oméprazole procédait d’une erreur, force est de constater que la télécopie du 11 octobre 1996 produite par la Commission infirme cette thèse. En effet, il ressort de cette télécopie, adressée par le directeur du département des brevets au directeur de la société de commercialisation néerlandaise d’AZ, en réponse à une télécopie de ce dernier du 10 octobre 1996, qu’AZ était parfaitement consciente du caractère erroné de la date de la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté communiquée à l’office des brevets néerlandais. En effet, dans son courrier du 10 octobre 1996, le directeur de la filiale néerlandaise d’AZ indiquait que la communication de la date incorrecte était susceptible soit de donner lieu à une rectification du CCP de façon à ce que sa date d’expiration soit avancée de six mois, soit à une annulation du CCP au titre de sanction. À cela, le directeur du département des brevets a répondu qu’il était « convaincu que le seul risque [qui existait] aux Pays-Bas était de perdre six mois de la durée du CCP ». Le directeur du département des brevets a ajouté que « cette possibilité avait déjà été évaluée en 1993 ».

531    Les requérantes ne sauraient faire valoir, à cet égard, que ce courrier concernait l’acceptation de la « théorie de la mise sur le marché effective » par l’office des brevets, dès lors que ce dernier n’avait en tout état de cause pas retenu la date proposée du 21 mars 1988, figurant sur la liste du Luxembourg.

532    En outre, il y a lieu de relever que, même à considérer, ainsi que le prétendent les requérantes, qu’AZ n’aurait pris connaissance qu’en 1996 de la prétendue erreur consistant en la communication de la date du 16 novembre 1987 – ce que les courriers examinés ci-dessus infirment –, il lui incombait en tout état de cause, en sa qualité d’entreprise en position dominante au moment où elle aurait commis l’erreur, d’effectuer les démarches nécessaires aux fins de ne pas permettre la survenance des conséquences anticoncurrentielles auxquelles cette erreur devait donner lieu. Or, il est constant que, dans son courrier du 10 février 1997, AZ a rejeté la proposition de l’agent en brevets néerlandais de rectifier le CCP, et ce quand bien même cette option apparaissait envisageable.

533    Même pris isolément, en dehors du contexte dans lequel il s’insère, le refus d’AZ de procéder à la rectification du CCP lui accordant une durée de protection supérieure à celle à laquelle elle savait avoir droit constitue un comportement qui ne saurait être admis de la part d’une entreprise en position dominante. Cette seule raison est en soi suffisante pour rejeter comme dénué de pertinence l’argument tiré de ce que l’agent en brevets néerlandais avait indiqué, lors de la réunion de Londres du 11 décembre 1996, que rien ne pouvait être fait, compte tenu de la proposition que cet agent a présentée ultérieurement et qui a été rejetée par AZ.

534    Par ailleurs, il y a lieu de relever que, appréciée dans son contexte et notamment à la lumière de la télécopie du directeur du département des brevets du 11 octobre 1996, qui ne rend plus guère crédible la thèse de l’erreur, la réaction d’AZ à la proposition de l’agent en brevets néerlandais se situe dans le prolongement de son comportement consistant à dissimuler à l’office des brevets l’existence de l’autorisation de mise sur le marché accordée en France le 15 avril 1987.

535    S’agissant du courrier du 8 mai 1998 adressé à l’office des brevets néerlandais, celui-ci est identique en tous points à celui adressé le même jour à l’office des brevets belge (voir le point 520 ci-dessus). Ce courrier n’avait aucunement pour objet d’informer l’autorité néerlandaise de l’existence de l’autorisation de mise sur le marché en France du 15 avril 1987.

536    Enfin, les requérantes ne sont pas fondées à alléguer qu’il revient à la Commission d’apporter la preuve qu’AZ n’a pas expliqué sa « théorie de la mise sur le marché effective » à l’agent en brevets néerlandais. Eu égard à l’ensemble des éléments qui indiquent que l’agent en brevets néerlandais n’avait été informé ni de cette théorie ni de l’existence de l’autorisation technique de mise sur le marché en France, il incombe manifestement aux requérantes d’apporter la preuve de ce qu’elles prétendent. Il convient de relever, au surplus, que la déclaration de l’agent en brevets néerlandais, produite par les requérantes, laisse apparaître qu’il pensait encore, au moment de l’élaboration de cette déclaration, que la liste du Luxembourg constituait la publication de l’autorisation technique de mise sur le marché.

537    Par ailleurs, il ressort du courrier d’AZ du 16 décembre 1993 que celle-ci a indiqué à l’agent en brevets néerlandais que la liste du Luxembourg consistait en la publication de l’autorisation de mise sur le marché. Compte tenu du contexte, il est manifeste qu’AZ savait que l’agent en brevets comprendrait ce courrier comme indiquant que cette publication avait trait à l’autorisation technique.

–       Sur les déclarations effectuées devant l’office des brevets du Royaume-Uni (janvier à juin 1994)

538    La Commission a relevé que, après que l’agent en brevets a communiqué la date de « mars 1988 » à l’office des brevets du Royaume-Uni, ce dernier a, par courrier du 7 septembre 1993, demandé que cette date soit précisée. Dans un courrier en réponse du 7 janvier 1994, l’agent en brevets du Royaume-Uni a exposé que l’autorisation technique de mise sur le marché portait la date du 16 novembre 1987 et que la date du 21 mars 1988 pouvait être utilisée au lieu de celle de « mars 1988 ». Par courrier du 18 janvier 1994, l’office des brevets du Royaume-Uni a fait savoir que la date du 16 novembre 1987 était la date correcte (voir considérants 209 et 697 de la décision attaquée).

539    Par mémorandum interne du 14 février 1994 adressé à Hässle, le directeur du département des brevets a fait savoir que, afin d’assurer une durée aussi longue que possible des CCP pour le Losec dans les différents pays européens, ses services développaient l’argument selon lequel la définition de la notion d’autorisation de mise sur le marché n’était pas claire. [confidentiel] Le directeur du département des brevets a ajouté que ses services tentaient de faire admettre la pertinence de cette dernière date, dès lors qu’elle permettait la durée de CCP la plus longue et la possibilité de maintenir le CCP en Allemagne et d’obtenir un CCP au Danemark. Le directeur du département des brevets a demandé que lui soient communiquées des informations sur la date à laquelle le Losec a été commercialisé pour la première fois dans chacun des États membres et a ajouté ce qui suit (voir considérants 210 et 211 de la décision attaquée) :

« En particulier, informez-moi si nous avons vendu le Losec dans un État de l’UE avant d’avoir conclu les négociations sur le prix dans ce pays. »

540    Par mémorandum du 3 mars 1994, la société de commercialisation luxembourgeoise a notamment fait savoir à Hässle que la première vente de Losec au Luxembourg avait eu lieu le 11 mars 1988 et que l’accord sur le prix, conclu le 17 décembre 1987, n’avait pas été publié. La filiale d’AZ au Luxembourg a également indiqué que l’autorisation de mise sur le marché du Losec avait été publiée au Mémorial en mars 1988. Cette dernière information était toutefois erronée, la publication au Mémorial ayant eu lieu le 4 décembre 1987. À la suite d’une demande de confirmation de la part de Hässle le 17 mai 1994, Astra Luxembourg a de nouveau envoyé, le 18 mai 1994, sa télécopie du 3 mars 1994. Le 30 mai 1994, Hässle a de nouveau demandé à Astra Luxembourg de confirmer ces informations et, par télécopie du 8 juin 1994, cette dernière a réitéré son message du 3 mars 1994, précisant ainsi que l’accord sur le prix, qui n’avait pas fait l’objet de publication, avait eu lieu le 17 décembre 1987, et que la publication officielle de l’autorisation avait eu lieu au Mémorial, en mars 1988 (voir considérants 211 et 212 de la décision attaquée).

541    Par courrier du 16 juin 1994, l’agent en brevets du Royaume-Uni a soumis à l’office des brevets du Royaume-Uni une demande tendant à faire admettre que la notion d’autorisation de mise sur le marché devait s’entendre au sens de la mise sur le marché effective du produit, lorsque toutes les étapes de la procédure administrative requise pour qu’un produit puisse, en pratique, être mis sur le marché étaient achevées. Ce courrier contenait en annexe un tableau énonçant les différentes étapes de la procédure d’autorisation pour l’oméprazole dans différents pays. Ce tableau mentionnait la date du 15 avril 1987 comme date de l’autorisation de mise sur le marché en France et la date du 21 mars 1988 comme date de l’inscription et de la publication officielle du prix au Luxembourg. À ce courrier étaient également annexés les avis juridiques de deux cabinets d’avocats, établis les 8 mars et 8 juin 1994, soutenant l’interprétation du règlement n° 1768/92 défendue par AZ. L’agent en brevets du Royaume-Uni a fait valoir que, au Luxembourg, il était en pratique impossible de commercialiser un produit avant qu’il ne figure dans la liste du ministère de la Santé luxemburgeois, les « Spécialités pharmaceutiques » (la liste du Luxembourg), qui avait été publiée le 21 mars 1988. Il était prétendu que les premières ventes au Luxembourg avaient eu lieu à la fin du mois de mars 1988 (voir considérants 213 et 214 de la décision attaquée).

542    L’office des brevets a toutefois rejeté les arguments d’AZ et a retenu que la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté avait eu lieu le 15 avril 1987. Le 30 septembre 1994, il a délivré un CCP dont la date d’expiration était fixée au 14 avril 2002 (voir considérants 215 et 216 de la décision attaquée).

543    Il y a lieu de relever que le comportement d’AZ devant l’office des brevets du Royaume-Uni a été plus transparent que celui qu’elle a adopté devant les autorités luxembourgeoises, belges et néerlandaises. Au lieu de s’en tenir à la décision de l’autorité du Royaume-Uni de retenir la date du 16 novembre 1987 comme date de première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté, AZ a entendu expliquer la raison pour laquelle elle proposait de retenir la date du 21 mars 1988 et exposer son interprétation de la notion d’autorisation de mise sur le marché.

544    Dans la décision attaquée, la Commission insiste sur ce qu’AZ a ignoré les informations communiquées par la filiale d’AZ au Luxembourg, qui tendaient à retirer à la liste du Luxembourg et à la date du 21 mars 1988 la signification qu’AZ entendait leur attribuer. La Commission a en effet souligné qu’Astra Luxembourg a fait savoir à trois reprises que le prix agréé le 17 décembre 1987 n’avait fait l’objet d’aucune publication et que les premières ventes de Losec avaient eu lieu le 11 mars 1988, soit avant le 21 mars 1988.

545    À cet égard, il est exact qu’AZ était en possession d’informations qui ne plaidaient pas en faveur du rôle qu’elle souhaitait attribuer à la liste du Luxembourg. Ainsi qu’il a déjà été relevé au point 497 ci-dessus, ce document ne se prêtait guère à être perçu comme une publication officielle du prix du Losec, aucun prix ne figurant aux côtés des produits mentionnés. Le fait qu’Astra Luxembourg a indiqué qu’aucune publication du prix n’avait eu lieu décrédibilisait davantage la thèse selon laquelle ce document constituait la publication du prix du Losec.

546    De même, l’indication du fait que les premières ventes de Losec ont eu lieu dès le 11 mars 1988 contribuait également à retirer à la liste du Luxembourg la pertinence qu’AZ entendait lui attribuer. À cet égard, le débat concernant la question de savoir si le « lancement officiel » du produit, auquel s’est référée la filiale d’AZ au Luxembourg en indiquant cette date, peut être compris comme signifiant les premières ventes effectives n’est pas de nature à influer sur la considération selon laquelle le Losec a effectivement pu être commercialisé indépendamment de la publication de la liste du Luxembourg.

547    En tout état de cause, il y a lieu de considérer que les déclarations d’AZ devant l’office des brevets du Royaume-Uni aux fins de faire admettre, dans le cadre de sa « théorie de la mise sur le marché effective », la date du 21 mars 1988, ont cessé de revêtir un caractère trompeur à partir du courrier du 16 juin 1994, dans lequel AZ a ouvertement fait état de l’existence de la première autorisation de mise sur le marché française du 15 avril 1987 et de l’interprétation du règlement n° 1768/92 qu’elle entendait défendre. Cela est également reflété au considérant 774 de la décision attaquée, auquel la Commission a retenu que le premier abus a pris fin le 16 juin 1994 au Royaume-Uni.

548    Cela étant, il ressort sans ambiguïté de l’ensemble des preuves documentaires soumises à l’attention du Tribunal, et notamment de la télécopie du 11 octobre 1996 examinée au point 530 ci-dessus, et du compte rendu de la réunion de Copenhague du 15 novembre 1994, examiné aux points 551 et 552 ci-après, que la demande initiale de CCP introduite auprès de l’office des brevets du Royaume-Uni participait d’une stratégie d’ensemble en matière de demandes de CCP, visant à fonder ceux-ci sur la date du 21 mars 1988 en lieu et place de la date du 15 avril 1987, correspondant à la première autorisation de mise sur le marché accordée au sein de la Communauté.

549    Par conséquent, compte tenu de ce contexte, le changement soudain d’attitude dont a fait preuve AZ vis-à-vis des autorités du Royaume-Uni dans son courrier du 16 juin 1994 n’affecte pas le caractère trompeur des déclarations initialement faites auprès de celles-ci dans la demande de CCP, ni le caractère abusif de son comportement devant les autres offices des brevets nationaux, vis-à-vis desquels elle s’est gardée de révéler les informations pertinentes, de sorte que ceux-ci ont été induits en erreur quant à la durée des CCP auxquels AZ avait droit.

–       Sur le retrait de la demande de CCP au Danemark (novembre 1994)

550    Le 30 septembre 1994, AZ a retiré sa demande de CCP introduite auprès de l’office des brevets danois, qui était fondée sur la date luxembourgeoise de mars 1988.

551    Un compte rendu d’une réunion du directeur du département des brevets, d’un avocat danois et de l’agent en brevets danois, tenue le 15 novembre 1994 à Copenhague, résume la stratégie d’AZ en matière de demandes de CCP conduite jusqu’alors et met en lumière les raisons du retrait de cette demande. Ce document indique qu’AZ a décidé de faire valoir que la date de première autorisation de mise sur le marché correspondait au moment où le prix a été également approuvé, ce qui conduisait à prendre en compte la date luxembourgeoise de mars 1988 et rendait ainsi possible l’introduction d’une demande de CCP en Allemagne et au Danemark. Il y est indiqué que l’introduction de ces demandes n’aurait pas été possible si l’autorisation de mise sur le marché française du 15 avril 1987 avait été prise en compte. Ce document mentionne qu’AZ a décidé de ne pas continuer à défendre sa position devant l’office des brevets du Royaume-Uni et d’accepter un CCP fondé sur la date de l’autorisation française, sans préjudice de l’interprétation du règlement n° 1768/92 qu’elle entendait défendre en Allemagne.

552    Par ailleurs, ce compte rendu indique qu’AZ était « convaincue » que, dans les pays dans lesquels les dispositions transitoires ne posaient aucun problème, mais dans lesquels il avait été fait usage de l’autorisation luxembourgeoise « dans un but de cohérence », il serait possible, en cas de litige à propos des CCP, de revenir à la date de l’autorisation française, compte tenu du caractère incertain de l’interprétation des dispositions réglementaires en cause lors de l’introduction des demandes de CCP. Ce document fait état de ce que l’office des brevets danois avait fait savoir informellement qu’il ne considérait pas que la date luxembourgeoise était celle de la « première autorisation ». Cet office des brevets entendait adopter la même position que l’office des brevets du Royaume-Uni, avec lequel il entretenait des contacts étroits au sujet des CCP. L’autorité danoise avait toutefois un autre motif formel de rejet de la demande de CCP, qui permettait d’éviter les discussions relatives à la première autorisation. Le compte rendu de cette réunion indique que, finalement, après réflexion, AZ avait décidé de ne pas défendre sa position au Danemark et de conserver l’argument fondé sur la « théorie de la mise sur le marché effective » pour la demande de CCP en Allemagne, et, après en avoir discuté avec ses représentants danois, de retirer la demande de CCP au Danemark et de faire en sorte que cela paraisse résulter d’une erreur dans la citation du numéro du brevet (voir considérants 219 et 220 de la décision attaquée).

553    Il y a lieu de considérer que, apprécié au regard de la télécopie du 11 octobre 1996, adressée par le directeur du département des brevets au directeur de la société de commercialisation néerlandaise d’AZ (voir le point 530 ci-dessus), le compte rendu de la réunion tenue à Copenhague le 15 novembre 1994 constitue un élément de preuve important quant au caractère délibéré de l’absence d’indication de la date du 15 avril 1987 relative à l’autorisation de mise sur le marché en France aux offices des brevets belge, luxembourgeois et néerlandais. Il est patent, en effet, que, lorsque les offices des brevets refusaient de prendre en considération la date du 21 mars 1988, AZ se gardait de leur révéler la date du 15 avril 1987 et les laissait fonder les CCP sur la date du 16 novembre 1987 relative à la délivrance de l’autorisation technique luxembourgeoise, qu’ils croyaient être la date de la première autorisation dans la Communauté. Dans l’éventualité d’une révélation de la date du 15 avril 1987, AZ entendait invoquer l’interprétation prétendument incertaine du cadre réglementaire pour expliquer la communication de la date incorrecte. En outre, dans le cadre de la procédure administrative devant la Commission et dans le cadre de la procédure devant le Tribunal, les requérantes invoquent l’erreur commise par inadvertance pour expliquer la communication de la date incorrecte (voir points 436 et 530 ci-dessus).

554    Ce compte rendu laisse en outre apparaître qu’AZ a retiré sa demande de CCP au Danemark aux fins de ne pas se voir opposer une décision de rejet, qui créerait un précédent préjudiciable à ses chances d’obtenir un CCP en Allemagne, pays qui, au même titre que le Danemark, n’accordait pas de CCP à l’égard des produits ayant reçu une première autorisation technique de mise sur le marché antérieurement au 1er janvier 1988.

555    Compte tenu de ces éléments, le Tribunal considère que la Commission est fondée à retenir que, en l’absence de contacts entre les offices des brevets du Royaume-Uni et danois, il est probable que la stratégie d’AZ aurait permis l’obtention d’un CCP au Danemark (considérant 719 de la décision attaquée).

–       Sur les demandes déposées dans les pays de l’EEE (décembre 1994)

556    Dans la décision attaquée, la Commission a relevé que, en décembre 1994, les agents en brevets d’AZ avaient engagé une seconde série de demandes de CCP en Autriche, en Finlande et en Norvège, sur la base des instructions d’AZ du 18 novembre 1994. Ces instructions contenaient seulement la date et le numéro de la première autorisation dans l’EEE et ne reprenaient pas les dates et numéros des autorisations de mise sur le marché dans dix États membres. Dans ses instructions, AZ a également communiqué la date du 21 mars 1988 en tant que date de la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté et le numéro de l’autorisation technique de mise sur le marché luxembourgeoise du 16 novembre 1987. Elle y a joint la liste du Luxembourg en tant que publication pertinente de cette autorisation et une copie de la loi luxembourgeoise relative à l’autorisation technique de mise sur le marché (voir considérants 183, 184 et 232 de la décision attaquée).

557    La Commission a relevé que les autorités suédoises avaient autorisé la commercialisation du Losec le 5 février 1988. Ce produit avait été effectivement lancé le 28 février 1988 (considérant 232 de la décision attaquée).

558    En Autriche, l’agent en brevets a demandé des précisions afin d’être en mesure d’expliquer à l’office des brevets la raison pour laquelle la date de l’autorisation de mise sur le marché (21 mars 1988) n’est pas la date pertinente de la première autorisation dans la Communauté. L’agent en brevets autrichien a toutefois communiqué la date du 21 mars 1988 à l’office des brevets, ce dernier ayant en conséquence délivré un CCP sur le fondement de cette date, venant à expiration le 24 août 2005 (voir considérant 233 de la décision attaquée).

559    En Norvège, l’agent en brevets a soumis la demande de CCP le 21 décembre 1994, conformément aux instructions d’AZ. Le 14 avril 1997, l’office des brevets norvégien a délivré un CCP pour l’oméprazole sur la base de la date du 21 mars 1988, qui devait venir à expiration le 21 mars 2003. Ce CCP a été mis en cause par des concurrents devant le tribunal de première instance d’Oslo, le litige ayant ensuite été porté devant la cour d’appel. Le CCP a finalement été révoqué le 29 juin 1999 (considérants 234 et 242 de la décision attaquée).

560    En Finlande, la demande de CCP a été introduite par l’agent en brevets finlandais le 30 décembre 1994. L’office des brevets finlandais a délivré un CCP en se fondant sur la date du 21 mars 1988. Cette décision a été contestée le 21 décembre 1998 par un concurrent devant le tribunal de première instance d’Helsinki. La procédure devant cette juridiction était encore en cours lors de l’adoption de la décision attaquée (considérants 243 et 244 de la décision attaquée).

561    Selon la Commission, malgré la circonstance qu’AZ a reçu l’autorisation de commercialiser le Losec en Suède le 5 février 1988, celle-ci a préféré communiquer la date du 21 mars 1988, qui ne correspondait pourtant plus à la première date de la mise sur le marché effective du Losec (considérant 722 de la décision attaquée).

562    Les requérantes et la Commission s’opposent sur la question de savoir si c’est sciemment qu’AZ s’est abstenue de communiquer la date du 5 février 1988, pourtant pertinente eu égard à l’interprétation retenue par AZ de la notion d’ « autorisation », comme date de la première autorisation de mise sur le marché effective dans l’EEE. La Commission se fonde en effet sur divers courriers, dont les requérantes contestent la pertinence et le caractère probant, aux fins de démontrer qu’AZ savait que la première autorisation dans l’EEE était la date pertinente.

563    Or, sans qu’il soit nécessaire de conclure sur ces points, il suffit de constater que, ainsi que ce fut le cas dans d’autres pays, AZ a communiqué aux offices des brevets la date du 21 mars 1988 en lieu et place de la date pertinente du 15 avril 1987, relative à l’autorisation de mise sur le marché en France, qui constituait pourtant la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté et, partant, dans l’EEE.

564    Force est donc de constater que, en s’abstenant de fournir aux offices des brevets en cause l’ensemble des informations pertinentes leur permettant de délivrer les CCP en connaissance de cause, la Commission pouvait à juste titre considérer qu’AZ avait induit ces autorités nationales en erreur.

565    Il y a lieu de relever, en outre, que, dans la réplique, les requérantes font valoir que le directeur du département des brevets considérait que seule la date de l’autorisation dans l’Union était applicable. Il incombait par conséquent à AZ de fournir également la date du 15 avril 1987 à l’office des brevets, cette date étant précisément celle qui était relative à la première autorisation dans la Communauté selon l’interprétation la plus largement partagée du règlement n° 1768/92. Il convient de réitérer, à cet égard, que compte tenu de ce qu’AZ entendait défendre une interprétation particulière du règlement n° 1768/92, il lui incombait de communiquer les différentes informations pertinentes de manière transparente, aux fins de permettre à l’autorité publique d’adopter la décision appropriée et de ne pas être induite en erreur à la suite d’une ambiguïté non révélée.

–       Sur les déclarations effectuées devant l’office des brevets irlandais (octobre 1995)

566    La Commission a relevé que, en réponse à une question de l’office des brevets irlandais, en 1995, relative à l’indication « mars 1988 », AZ avait soumis la date de la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté, à savoir l’autorisation délivrée en France le 15 avril 1987, tout en faisant valoir que la date à prendre en considération était le 21 mars 1988. Selon la Commission, compte tenu des informations dont elle disposait, AZ ne pouvait cependant pas alléguer que la mise sur le marché effective du Losec n’avait pas été possible avant le 21 mars 1988 (considérant 725 de la décision attaquée).

567    Ainsi qu’il a été relevé s’agissant de la demande de CCP au Royaume-Uni, AZ a fait preuve, à ce stade, de la transparence requise en communiquant la date du 15 avril 1987. La circonstance qu’AZ détenait des informations retirant à ses affirmations une grande part de crédibilité n’influence pas ce constat.

568    Toutefois, ainsi qu’il a été considéré au point 549 ci-dessus, la transparence dont AZ a fait preuve vis-à-vis de l’office des brevets irlandais ne retire pas aux déclarations faites devant les autres offices des brevets nationaux, et notamment ceux des pays du Benelux, leur caractère trompeur.

–       Sur les déclarations effectuées devant les offices des brevets des pays du Benelux et de Finlande (mai 1998)

569    La Commission a relevé que, lorsque, par ses courriers du 8 mai 1998, le directeur du département des brevets a informé les offices des brevets belge, finlandais, luxembourgeois et néerlandais que, en Allemagne, AZ interjetait appel de la décision du Bundespatentgericht devant le Bundesgerichtshof, il a prétendu que la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté au sens du règlement n° 1768/92 avait eu lieu le 21 mars 1988, dans la mesure où « toutes les autorisations nécessaires pour permettre au produit d’être commercialisé dans le premier État membre (le Luxembourg) avaient été accordées pour la première fois ».

570    La Commission a rappelé que, à l’époque où cette déclaration a été faite, AZ disposait d’informations non équivoques dont il résultait que le Losec avait déjà été mis sur le marché avant cette date. Elle a également relevé que, dans ses observations devant le Bundespatentgericht, AZ avait reconnu, dès le 4 avril 1997, que la date de fixation du prix du 8 février 1988 constituait la date pertinente de la mise sur le marché effective. En outre, la Commission a relevé qu’AZ disposait d’un quatrième document interne du 23 février 1998, dont il ressortait que les gélules d’oméprazole 20 mg avaient été commercialisées le 1er février 1988 (considérants 726 et 730 de la décision attaquée).

571    Les requérantes contestent que le document du 23 février 1998 soit une source d’informations fiable quant à la date exacte du lancement du Losec. Il en ressort toutefois, ce qu’elles ne contestent pas, que le lancement du Losec au Luxembourg a eu lieu, à tout le moins, dans le courant du mois de février 1988, et donc avant le 21 mars 1988.

572    Par ailleurs, ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 224 de la décision attaquée, il ressort d’un document interne d’AZ du 9 septembre 1996 que celle-ci savait que le Losec avait été commercialisé avant le 21 mars 1988, quoique la date exacte de lancement du produit n’était pas clairement déterminée à ce stade, étant donné que tant la date du 1er février 1988 que celle du 11 mars 1988 étaient mentionnées à cet égard. De même, un document interne du 19 août 1996 mentionne le 1er février 1988 comme date de lancement du Losec au Luxembourg.

573    Compte tenu de ces preuves documentaires, qui s’ajoutent à l’ensemble des autres éléments de preuve relatifs aux demandes de CCP dans les différents pays évoqués ci-dessus, le Tribunal considère que c’est à bon droit que la Commission a retenu qu’AZ n’était pas de bonne foi lorsqu’elle a déclaré aux offices des brevets des pays du Benelux et de Finlande que le Losec ne pouvait, en pratique, avoir été mis sur le marché avant le 21 mars 1988.

–       Sur les déclarations effectuées au cours de la procédure judiciaire en Allemagne

574    Il ressort de la décision attaquée que l’agent en brevets allemand a introduit une demande de CCP auprès de l’office des brevets allemand conformément aux instructions d’AZ du 7 juin 1993. Le formulaire de demande laissait apparaître que la mention « 21 » a été ajoutée de façon manuscrite à la mention « März 1988 ». Le 10 novembre 1993, l’office des brevets allemand a délivré un CCP sur la base de cette date, devant venir à expiration le 21 mars 2003 (considérant 221 de la décision attaquée).

575    Le 18 juin 1996, un fabricant de produits génériques, Ratiopharm, a attrait AZ devant le Bundespatentgericht, en faisant valoir que le CCP délivré au profit de cette dernière devait être annulé au motif que la première autorisation technique de mise sur le marché dans la Communauté avait été octroyée le 15 avril 1987 en France (voir considérant 222 de la décision attaquée).

576    La Commission considère qu’AZ a fait des déclarations trompeuses au cours des procédures judiciaires en Allemagne. En effet, le 9 octobre 1996, AZ a soutenu que, dès l’introduction des demandes de CCP en juin 1993, elle « pensait » que, dans la mesure où elle correspondait à la date de la publication de l’autorisation et incluait la fixation du prix, la date du 21 mars 1988 était décisive en tant que date de la première autorisation de mise sur le marché, et que c’était à partir de cette date seulement que le produit avait pu être commercialisé en tant que produit remboursable à prix fixe (considérants 223 et 728 de la décision attaquée).

577    La Commission a relevé, par ailleurs, que, lorsque cette déclaration a été faite, AZ disposait d’informations supplémentaires selon lesquelles la décision du 17 décembre 1987, relative à la fixation du prix, n’avait pas été publiée et les gélules d’oméprazole avaient été lancées avant le 21 mars 1988, à savoir le 11 mars 1988 selon la réponse de la société de commercialisation belge en 1994, ou le 1er février ou le 11 mars 1988 selon les notes internes d’AZ des 19 août et 9 septembre 1996. À cet égard, la Commission a fait observer que la note interne du 9 septembre 1996 indiquait que l’autorisation de mise sur le marché et sa publication, ainsi que la lettre informant de la fixation du prix, avaient été attendues avant le lancement du produit. Cette note indiquait toutefois que la publication de la « liste » par le ministère de la Santé n’avait « apparemment » pas été attendue. Cette note a relevé trois « problèmes », à savoir que, premièrement, l’autorisation et la publication de l’autorisation avaient eu lieu avant le 1er janvier 1988, deuxièmement, la date du 16 novembre 1987 avait été retenue comme base du CCP, malgré les efforts déployés pour faire accepter la date du 21 mars 1988, et, troisièmement, le produit avait été lancé avant la publication de la liste du Luxembourg (voir considérants 224 et 729 de la décision attaquée).

578    La Commission a également relevé que, dans ses observations ultérieures devant le Bundespatentgericht, le 4 avril 1997, AZ avait répété qu’elle avait supposé que le produit ne pouvait être légalement commercialisé qu’après la publication de la fixation du prix, le 21 mars 1988, et que les raisons qui l’ont conduite à considérer que la date du 21 mars 1988 était la date pertinente étaient tout à fait compréhensibles, « bien que, en fin d’analyse, le 8 février 1988 était la date décisive pour la fixation du prix ». La Commission a souligné, à cet égard, que, quoique AZ ait implicitement admis, à ce stade, que la publication de la liste du Luxembourg n’était pas une condition sine qua non pour la commercialisation du produit, elle s’était abstenue de mentionner cette information dans ses lettres adressées aux offices des brevets des pays du Benelux et de Finlande le 8 mai 1998 (considérants 225 et 730 de la décision attaquée).

579    Les requérantes contestent que AZ ait eu l’intention de tromper les autorités judiciaires allemandes et qu’elle savait que la date du 21 mars 1988 n’était pas la date correcte concernant la première autorisation de mise sur le marché. À cet égard, s’agissant, tout d’abord, des arguments des requérantes, selon lesquels, d’une part, la date du 1er février 1988 indiquée sur la note interne du 19 août 1996 provient d’une information soumise par un agent en brevets et aurait une origine indéterminée et, d’autre part, le document du 9 septembre 1996 fait apparaître une incertitude quant à la date de lancement du Losec, il convient d’observer que les requérantes n’étayent pas leur propos en produisant le document de l’agent en brevets qui mentionnerait cette date. Par ailleurs, les requérantes n’avancent aucun élément permettant de considérer que l’information relative à la date du 1er février 1988, prétendument communiquée par l’agent en brevets, serait dénuée de valeur ou moins crédible que la date du 21 mars 1988.

580    Or, il y a lieu de constater, à nouveau, que l’ensemble des informations dont AZ disposait, quoique incertaines quant à la date exacte de lancement du produit, concordaient pour indiquer que la commercialisation effective du Losec avait eu lieu antérieurement à la date indiquée sur la liste du Luxembourg, à savoir le 21 mars 1988. Par ailleurs, ainsi qu’il a déjà été relevé (voir les points 497 et 545 ci-dessus), la liste du Luxembourg ne pouvait pas raisonnablement être interprétée comme constituant la publication du prix du Losec, eu égard à sa présentation objective et au fait que la société de commercialisation luxembourgeoise d’AZ avait indiqué, dès le mois de mars 1994, que la décision luxembourgeoise de fixation du prix n’avait pas fait l’objet d’une publication.

581    S’agissant, ensuite, de la prise de position des représentants d’AZ au cours de la procédure devant le Bundespatentgericht, les requérantes font valoir que l’admission de l’exactitude de la date du 8 février 1988, en tant que date pertinente devant être prise en considération, reposait sur une interprétation particulière du règlement n° 1768/92, selon laquelle la date pertinente était celle de l’approbation du prix par les autorités. Les requérantes contestent ainsi qu’AZ considérait en réalité que la liste du Luxembourg était dénuée de pertinence. À cet égard, et quelle que soit la réalité des allégations des requérantes, il suffit à nouveau de constater que, dès le mois de mars 1994, AZ disposait d’informations indiquant que la décision luxembourgeoise de fixation du prix n’avait pas été publiée. En outre, la liste du Luxembourg, sur laquelle figurait la date du 21 mars 1988, ne contenait aucune indication quant au prix du Losec. Les requérantes ne sauraient donc, en tout état de cause, prétendre qu’AZ pouvait sérieusement considérer que la date du 21 mars 1988 constituait la date de la publication du prix, laquelle constituait une condition réglementaire à la commercialisation du produit.

582     Il résulte de ce qui précède que c’est à juste titre que la Commission a constaté que, au cours des procédures contentieuses devant les tribunaux allemands, AZ avait fait des déclarations inexactes, alors même qu’elle disposait d’informations concordantes quant à l’absence de pertinence de la liste du Luxembourg et de la date du 21 mars 1988 aux fins de la date à prendre en compte selon sa propre interprétation du règlement n° 1768/92 et sa « théorie de la mise sur le marché effective ». Il apparaît ainsi qu’AZ tentait simplement de défendre la validité du CCP qui lui avait été accordé en Allemagne sur la base de ses déclarations trompeuses, qui avaient indiqué la date du 21 mars 1988 en tant que date de la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté.

–       Sur les déclarations effectuées au cours des procédures judiciaires en Norvège et en Finlande

583    S’agissant de la procédure devant le tribunal de première instance d’Oslo, la Commission a relevé que, dans le cadre de ses observations des 12 février et 20 mai 1999, AZ a défendu la pertinence de la date du 21 mars 1988 et de la liste du Luxembourg, et ce malgré les informations qu’elle détenait, indiquant que le Losec avait été lancé avant cette date. La Commission a également constaté qu’AZ n’avait pas fait mention de la date du 8 février 1988, pourtant retenue par elle devant le Bundespatentgericht, et qu’elle avait fait valoir que la publication de la liste du Luxembourg, qui contenait prétendument les produits autorisés dont les prix avaient été approuvés, constituait une condition nécessaire pour que le Losec puisse être commercialisé au Luxembourg (considérants 235, 236 et 733 de la décision attaquée).

584    Par ailleurs, la Commission a constaté que, au cours de cette procédure contentieuse, AZ avait admis qu’elle ne possédait pas la totalité de la liste du Luxembourg ou toute autre partie de celle-ci comprenant le prix du Losec. À cet égard, la Commission a souligné qu’AZ avait pourtant défendu la pertinence de cette liste devant les agents en brevets, les offices des brevets et les tribunaux. Elle a relevé que la procédure contentieuse en Norvège avait révélé l’existence d’une autre publication luxembourgeoise, la « liste luxembourgeoise des prix pharmaceutiques », dont AZ avait produit une page contenant une mention du Losec, pour laquelle la date du 16 janvier 1988 était indiquée. Les recherches faites auprès des autorités luxembourgeoises par les plaignants devant les juridictions norvégiennes ont également fait apparaître que la liste du Luxembourg n’était pas, à l’époque considérée (mars 1988), une publication officielle, celle-ci ayant uniquement eu pour objet d’informer les médecins, les pharmaciens et les entreprises pharmaceutiques des produits qui étaient autorisés à la vente, que leurs prix aient fait l’objet d’une approbation ou non (voir considérants 239, 240 et 734 de la décision attaquée).

585    S’agissant de la procédure devant le tribunal de première instance d’Helsinki, la Commission a relevé qu’AZ avait soumis, le 25 février 1999, des observations identiques à celles qui avaient été faites devant le tribunal de première instance d’Oslo le 12 février 1999. Elle a ensuite constaté que, le 30 juin 1999, AZ avait réitéré que le Losec n’avait pu être commercialisé au Luxembourg avant le 21 mars 1988 et n’avait pas été mis sur le marché dans un pays de l’EEE. AZ avait également déclaré que tant la plaignante dans le cadre de cette procédure, Merck Generics Oy, qu’elle-même avaient tenté de déterminer le statut juridique de la publication au Luxembourg et de trouver une version complète de la liste du Luxembourg, et que la « situation était plutôt confuse au Luxembourg ». La Commission a souligné, à nouveau, qu’AZ avait fait ces déclarations malgré les informations qu’elle détenait, dont il ressortait de manière univoque que les premières ventes de Losec avaient eu lieu avant le 21 mars 1988 (considérants 244, 245 et 735 de la décision attaquée).

586    Ainsi qu’il a déjà été considéré précédemment, l’argument des requérantes, selon lequel AZ pouvait raisonnablement s’appuyer sur la liste du Luxembourg aux fins de faire valoir que la date de l’autorisation de mise sur le marché effective était le 21 mars 1988, doit être rejeté. La défense d’AZ devant le tribunal d’Oslo n’était manifestement plus tenable, notamment après que les autorités luxembourgeoises ont confirmé que la liste du Luxembourg ne constituait pas une publication officielle. En effet, même après la révélation de l’existence de la « liste luxembourgeoise des prix pharmaceutiques » et la production par AZ elle-même d’une page de cette publication, mentionnant le Losec et la date du 16 janvier 1988, AZ a continué à faire valoir qu’aucune liste comprenant le Losec et l’indication de son prix n’avait été publiée avant le 21 mars 1988 et que la liste du Luxembourg comprenait également des informations quant au prix du Losec (considérant 241 de la décision attaquée).

587    Compte tenu de l’ensemble des informations dont elle disposait, qui concordaient, contrairement à ce que prétendent les requérantes, pour indiquer que le Losec avait été lancé avant le 21 mars 1988, le Tribunal considère que c’est à bon droit que la Commission a retenu, en substance, qu’AZ ne pouvait raisonnablement s’appuyer sur la liste du Luxembourg (voir également, à cet égard, les considérants 236 et 237, ainsi que les considérants 733 et 734 de la décision attaquée).

588    Par conséquent, il convient de rejeter l’argument des requérantes selon lequel la reconnaissance par AZ, dans le cadre du renvoi préjudiciel devant la Cour, qu’elle ne disposait pas de l’intégralité de la liste du Luxembourg ou de la partie de celle-ci indiquant le prix du Losec, démontrerait l’absence d’une intention de tromper les autorités publiques. En outre, toute prétention contraire de sa part devant la Cour l’aurait contrainte à produire la totalité de cette liste ou toute autre partie pertinente de celle-ci, ce qu’elle n’était pas en mesure de faire. Elle n’avait dès lors, en tout état de cause, pas d’autre choix que d’admettre qu’elle ne possédait pas ces documents.

589    Ces appréciations s’appliquent tout autant en ce qui concerne les déclarations effectuées par AZ devant le tribunal de première instance d’Helsinki. Il est en effet manifeste qu’AZ y a adopté la même ligne de conduite, consistant à faire valoir que le Losec n’avait pas pu être commercialisé avant le 21 mars 1988, alors même qu’elle disposait d’informations concordantes faisant apparaître que ce produit avait été lancé antérieurement à cette date et que la liste du Luxembourg n’était pas pertinente quant à la possibilité de mettre légalement ce produit sur le marché.

590    Il y a lieu ainsi de considérer que, comme cela a été le cas devant les juridictions allemandes, AZ a, devant les tribunaux norvégien et finlandais, uniquement tenté de défendre la validité des CCP accordés dans ces pays sur la base de ses déclarations trompeuses, indiquant le 21 mars 1988 comme date de première autorisation dans l’EEE.

 Conclusion sur le premier abus de position dominante

591    Il résulte de l’examen des deux phases du premier abus que le comportement d’AZ a, tout d’abord, consisté en la communication aux offices des brevets en Allemagne, en Belgique, au Danemark, en Irlande, au Luxembourg, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, de la mention de « mars 1988 » en tant que date de la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté, sans les informer ni du fondement sur la base duquel cette date avait prétendument été choisie, à savoir l’interprétation alternative qu’AZ souhaitait retenir de la notion d’« autorisation de mise sur le marché » utilisée dans le règlement n° 1768/92, ni de l’existence de l’autorisation de mise sur le marché délivrée en France le 15 avril 1987. C’est à juste titre que la Commission a considéré cette première communication aux offices des brevets comme étant trompeuse, compte tenu de sa présentation d’ensemble, qui laissait supposer que la mention « mars 1988 » avait trait à la date de la délivrance de la première autorisation technique de mise sur le marché dans la Communauté.

592    Sur la base de cette première communication, et à la suite d’une précision quant à la date exacte à laquelle faisait référence la mention « mars 1988 », un CCP a été accordé en Allemagne le 10 novembre 1993, pour lequel la date d’expiration était fixée au 21 mars 2003.

593    Le comportement d’AZ a, ensuite, consisté en l’absence de divulgation de la date du 15 avril 1987, relative à l’autorisation de mise sur le marché française, à la suite des demandes de précisions des offices des brevets quant à la mention « mars 1988 ». Cette absence de divulgation a conduit les offices des brevets belge, luxembourgeois et néerlandais à considérer que la date du 16 novembre 1987, correspondant à la délivrance de l’autorisation technique de mise sur le marché au Luxembourg, devait être prise en considération en tant que date de la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté. Ces offices des brevets ont, par conséquent, accordé des CCP sur le fondement de cette date.

594    Il doit être observé à cet égard qu’AZ n’est pas intervenue par la suite auprès de ces offices des brevets afin de rectifier les CCP, alors même, d’une part, que les documents internes d’AZ font apparaître qu’elle avait conscience de leur fondement inexact et, d’autre part, que l’agent en brevets néerlandais lui en avait expressément fait la suggestion.

595    Il y a lieu de relever, toutefois, que, à la suite des questions posées par les offices des brevets du Royaume-Uni et irlandais, AZ a révélé l’existence de l’autorisation technique de mise sur le marché française du 15 avril 1987. En raison des liens que l’office des brevets danois entretenait avec l’office des brevets du Royaume-Uni, AZ a été amenée à retirer sa demande de CCP au Danemark.

596    AZ a néanmoins maintenu son comportement consistant en la communication de déclarations trompeuses aux fins de l’obtention de CCP sur la base de la date du 21 mars 1988 devant les offices des brevets des pays de l’EEE (Autriche, Finlande et Norvège). Ces déclarations ont conduit ces offices des brevets à délivrer des CCP sur le fondement de la date du 21 mars 1988.

597    Enfin, le comportement d’AZ a consisté en la défense de la validité des CCP qui avaient été accordés sur le fondement de ses déclarations trompeuses devant les juridictions allemandes, finlandaises et norvégiennes.

598    Il ressort de l’ensemble de ce qui précède qu’AZ a adopté une conduite constante et linéaire, caractérisée par la communication aux offices des brevets de déclarations trompeuses aux fins d’obtenir la délivrance de CCP soit auxquels elle n’avait pas droit (Allemagne, Finlande, Danemark et Norvège), soit auxquels elle avait droit pour une période plus limitée (Autriche, Belgique, Luxembourg, Irlande et Pays-Bas).

599    Les nombreux éléments de preuves documentaires figurant au dossier et l’étendue du comportement en cause, qui a duré de juin 1993, lors de la communication des demandes de CCP aux offices des brevets nationaux (considérant 185 de la décision attaquée), à juin 1999, lors de la défense par AZ devant le tribunal d’Helsinki de la validité du CCP accordé en Finlande, et qui a été mis en œuvre de manière plus ou moins conséquente et avec des degrés de succès divers dans neuf États membres de la Communauté et de l’EEE, permettent de considérer que c’est à juste titre que la Commission a estimé qu’AZ avait délibérément tenté d’induire les offices des brevets en erreur.

600    Compte tenu de l’ensemble des preuves documentaires sur lesquelles se fonde la Commission, le Tribunal estime que ces considérations ne sauraient être remises en cause par les déclarations produites par les requérantes aux fins, notamment, de défendre la bonne foi d’AZ. Outre le fait que ces déclarations tendent, sur certains aspects, à corroborer le bien-fondé de la décision attaquée, elles ne permettent pas, en tout état de cause, d’ignorer l’importante quantité de preuves documentaires, ainsi que l’ensemble des faits constatés, qui, appréciés dans leur ensemble, corroborent de façon concluante les conclusions tirées par la Commission.

601    Au vu de l’examen de l’ensemble des éléments factuels opéré dans le cadre du présent moyen, il y a lieu de répondre, pour autant que cela est encore nécessaire, aux arguments avancés par les requérantes au stade du premier moyen, tendant à contester l’existence d’un abus de position dominante en Allemagne, en Belgique, au Danemark, en Norvège, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, sur le fondement de l’absence d’effet des déclarations trompeuses.

602    S’agissant, tout d’abord, du degré de succès des pratiques anticoncurrentielles identifiées, il y a lieu de relever que la circonstance que ces déclarations trompeuses n’aient pas permis à AZ d’obtenir des CCP au Danemark ou, sur la base d’une date qui ne correspondait pas à celle de la première autorisation de mise sur le marché accordée dans la Communauté, au Royaume-Uni ne retire pas à son comportement dans ces pays son caractère abusif, dès lors qu’il est établi que ces déclarations étaient fortement susceptibles de conduire à la délivrance de CCP.

603    Il résulte de l’examen du présent moyen et des preuves documentaires qui ont été produites par les parties que, quoique AZ ait fait preuve d’une attitude plus transparente devant l’office des brevets du Royaume-Uni, à qui elle a ouvertement exposé son interprétation alternative de la notion d’autorisation de mise sur le marché et dévoilé l’existence de l’autorisation technique de mise sur le marché française du 15 avril 1987, la demande initiale de CCP était objectivement trompeuse et avait pour objet d’obtenir un CCP sur la base d’une date qui ne correspondait pas à la première autorisation de mise sur le marché accordée dans la Communauté (voir les points 548 et 549 ci-dessus).

604    En ce qui concerne le Danemark, il ressort également des preuves documentaires soumises à l’attention du Tribunal qu’AZ a retiré sa demande de CCP au Danemark aux fins de ne pas se voir opposer une décision de rejet par l’office des brevets, qui créerait un précédent préjudiciable à ses chances d’obtenir un CCP en Allemagne, pays qui, au même titre que le Danemark, n’accordait pas de CCP à l’égard des produits ayant reçu une première autorisation technique de mise sur le marché antérieurement au 1er janvier 1988 dans la Communauté (voir le point 554 ci-dessus). Toutefois, ainsi que la Commission le fait observer, la capacité de la déclaration trompeuse faite auprès de l’office des brevets danois à conduire à la délivrance d’un CCP irrégulier est confirmée par le fait que des CCP ont été délivrés par les offices des brevets en Allemagne, en Belgique, en Norvège et aux Pays-Bas sur la base des déclarations trompeuses qu’AZ leur a présentées. 

605    De même, la circonstance que, en Allemagne, le CCP ait été annulé en juin 1997, avant l’expiration du brevet de base, à la suite d’une action en justice introduite par Ratiopharm, un fabricant de produits génériques, ne saurait influer sur la qualification juridique du comportement d’AZ, qui a obtenu un CCP dans ce pays sur la base de ses déclarations trompeuses. En effet, ce CCP avait vocation à perdurer après l’expiration du brevet de base et à prolonger l’exclusivité que conférait ce dernier. Si aucune action n’avait été entreprise par les concurrents, ce CCP aurait ainsi produit des effets anticoncurrentiels importants, si tant est que la simple existence d’un CCP n’était pas déjà, en soi, en mesure de produire de tels effets avant même l’expiration du brevet de base.

606    Par ailleurs, le fait que le gain de protection supplémentaire obtenu en Belgique et aux Pays-Bas sur la base des déclarations trompeuses s’étend d’avril 2002 à, respectivement, septembre et octobre 2002, c’est-à-dire après que la position dominante d’AZ a cessé dans ces États membres, ne saurait influer, pour les motifs exposés au point 379 ci-dessus, sur la qualification d’abus de position dominante du comportement en cause.

607    S’agissant, enfin, de la Norvège, ainsi qu’il a été relevé aux points 559 et 596 ci-dessus, il est constant qu’AZ s’est vu délivrer un CCP par l’office des brevets norvégien le 14 avril 1997 sur la base de la date du 21 mars 1988 (voir aussi le considérant 234 de la décision attaquée). Ce CCP a été révoqué le 29 juin 1999, à la suite d’une action judiciaire intentée par un concurrent. Par conséquent, même à considérer qu’AZ détenait un brevet sur la formulation empêchant encore l’entrée sur le marché des produits génériques au jour de la révocation du CCP, force est de constater que les déclarations trompeuses d’AZ ont permis la délivrance d’un CCP auquel elle n’avait pas droit. Ces déclarations trompeuses étaient objectivement de nature à restreindre la concurrence et constituent, pour cette raison, un abus de position dominante. À titre surabondant, il ressort tant du considérant 16 de la décision attaquée que des réponses des parties aux questions posées par le Tribunal que la capacité d’un brevet sur la formulation à conférer une exclusivité sur un produit n’équivaut pas, en tout état de cause, à celle d’un brevet sur la substance, une substance active pouvant être incorporée dans des formulations différentes.

608    Enfin, il convient de relever qu’il résulte de l’examen du second moyen que les déclarations trompeuses faites par AZ aux fins d’obtenir des CCP auxquels elle n’avait pas droit ou auxquels elle avait droit pour une période moindre étaient constitutives d’une pratique reposant exclusivement sur des moyens étrangers à la concurrence par les mérites. Un tel comportement est uniquement de nature à tenir indûment les fabricants de produits génériques à l’écart du marché, par le biais de l’obtention de CCP en violation du cadre réglementaire qui les a institués.

609    Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la Commission n’a pas commis d’erreur en considérant qu’AZ avait abusé de sa position dominante en Allemagne, en Belgique, au Danemark, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni au sens de l’article 82 CE, et en Norvège, au sens de l’article 54 de l’accord EEE.

610    Il y a dès lors lieu de rejeter l’ensemble du second moyen relatif au premier abus de position dominante.

611    Toutefois, la décision attaquée comporte une erreur dans la mesure où, à son considérant 774, il a été retenu que, en Allemagne, en Belgique, au Danemark, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, cet abus avait commencé le 7 juin 1993, lors de la communication par AZ de ses instructions aux agents en brevets. En effet, ainsi qu’il a été considéré aux points 370 à 372 ci-dessus, cet abus a commencé lors de la transmission aux offices nationaux des brevets des demandes de CCP.

612    Par conséquent, ainsi qu’il a été constaté au point 381 ci-dessus, il y a lieu de considérer, au regard du considérant 185 de la décision attaquée, que le premier abus de position dominante a commencé au plus tard le 30 juin 1993.

613    Par ailleurs, les requérantes n’ont pas démontré que les autres conclusions de la Commission figurant au considérant 774 de la décision attaquée seraient entachées d’erreur, en ce qu’elles retiennent que l’abus a pris fin en Allemagne à la fin de 1997, en Belgique et aux Pays-Bas à la fin de 2000, au Danemark le 30 novembre 1994 et au Royaume-Uni le 16 juin 1994. De même, les requérantes n’ont pas démontré l’existence d’erreurs qui entacheraient la considération de la Commission selon laquelle, en Norvège, l’abus s’est déroulé entre le 21 décembre 1994 et la fin de l’année 2000.

D –  Sur le second abus de position dominante, portant sur les retraits sélectifs des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec

1.     Cadre réglementaire et comportement incriminé

614    Dans sa version en vigueur à l’époque des faits de l’espèce, en 1998, la directive 65/65, telle que modifiée, notamment, par la directive 87/21/CEE du Conseil, du 22 décembre 1986 (JO 1987, L 15, p. 36), et par la directive 93/39/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, modifiant également les directives 75/318/CEE et 75/319/CEE concernant les médicaments (JO L 214, p. 22), dispose, en son article 3, premier alinéa, qu’ « [a]ucun médicament ne peut être mis sur le marché d’un État membre sans qu’une autorisation de mise sur le marché n’ait été délivrée par l’autorité compétente de cet État membre ».

615    L’article 4, troisième alinéa, de cette directive précise les renseignements et les documents que le responsable de la mise sur le marché doit produire aux fins de se voir accorder une autorisation de mise sur le marché. L’article 4, troisième alinéa, point 8, de la directive 65/65 est rédigé comme suit :

« 8. Résultat des essais :

–        physico-chimiques, biologiques ou microbiologiques,

–        pharmacologiques et toxicologiques,

–        cliniques.

Toutefois, et sans préjudice du droit relatif à la protection de la propriété industrielle et commerciale :

a)      Le demandeur n’est pas tenu de fournir les résultats des essais pharmacologiques et toxicologiques ni les résultats des essais cliniques s’il peut démontrer :

[…]

ii)      soit, par référence détaillée à la littérature scientifique publiée, présentée conformément à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 75/318/CEE, que le ou les composants de la spécialité pharmaceutique sont d’un usage médical bien établi et présentent une efficacité reconnue ainsi qu’un niveau acceptable de sécurité ;

iii)      soit que la spécialité pharmaceutique est essentiellement similaire à un produit autorisé, selon les dispositions communautaires en vigueur, depuis au moins six ans dans la Communauté et commercialisé dans l’État membre concerné par la demande ; cette période est portée à dix ans lorsqu’il s’agit d’un médicament de haute technologie au sens de la liste figurant à la partie A de l’annexe à la directive 87/22/CEE ou d’un médicament au sens de la liste figurant à la partie B de l’annexe à ladite directive, ayant suivi la procédure prévue à l’article 2 de celle-ci ; de plus, un État membre peut également étendre cette période à dix ans, par une décision unique couvrant tous les produits mis sur le marché de son territoire, s’il estime que les besoins de la santé publique l’exigent. Les États membres peuvent ne pas appliquer la période de six ans mentionnée ci-dessus au-delà de la date d’expiration d’un brevet protégeant le produit original.

[…] »

616    L’article 10, paragraphe 1, de la directive 65/65 dispose notamment que l’autorisation a une durée de validité de cinq ans et est renouvelable par période quinquennale sur demande du titulaire présentée au moins trois mois avant son expiration.

617    Dans son arrêt du 16 octobre 2003, AstraZeneca (C‑223/01, Rec. p. I‑11809, points 49 et 58), la Cour a jugé que, pour qu’une demande d’autorisation de mise sur le marché d’un médicament générique puisse être traitée dans le cadre de la procédure abrégée prévue à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65, il était nécessaire et suffisant que l’autorisation de mise sur le marché du médicament de référence soit en vigueur dans l’État membre concerné à la date d’introduction de cette demande .

618    Dans sa version en vigueur à l’époque des faits de l’espèce, la deuxième directive 75/319/CEE du Conseil, du 20 mai 1975, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO L 147, p. 13), telle que modifiée, notamment, par la directive 93/39, établissait, en son chapitre V bis, un système de pharmacovigilance aux fins de recueillir des informations sur les effets indésirables des médicaments autorisés dans la Communauté. Les articles 29 quater et 29 quinquies de la directive 75/319 imposaient ainsi à l’entreprise responsable de la mise sur le marché d’un médicament des obligations de pharmacovigilance, consistant en le suivi des effets indésirables produits par un médicament et en la communication régulière aux autorités compétentes de rapports accompagnés d’évaluations scientifiques.

619    En l’espèce, le comportement d’AZ reproché par la Commission consiste en la soumission de demandes de retrait des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec au Danemark, en Norvège et en Suède, en combinaison avec la substitution, sur le marché, des comprimés de Losec MUPS aux gélules de Losec, c’est-à-dire le lancement sur le marché des comprimés de Losec MUPS et le retrait du marché des gélules de Losec (considérant 860 de la décision attaquée).

2.     Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit

a)     Arguments des requérantes

 Sur le cadre réglementaire et factuel

620    Les requérantes indiquent que, bien que la Commission ait déclaré, au considérant 830 de la décision attaquée, qu’elle ne contestait pas l’interprétation du droit communautaire pharmaceutique retenue par AZ, son interprétation du cadre réglementaire, exposée aux considérants 255 à 264 de la décision attaquée, n’est pas compatible avec celle d’AZ. Elles exposent, à cet égard, le contenu du cadre réglementaire pertinent, tel qu’il ressort des articles 3 et 4 et de l’article 10, paragraphe 1, de la directive 65/65, ainsi que du chapitre V bis de la directive 75/319.

621    Les requérantes font valoir que l’introduction par la directive 87/21 de la procédure abrégée visée à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), i) à iii), de la directive 65/65 avait pour but de créer une exception limitée au principe général selon lequel le demandeur initial devait détenir le droit exclusif de tirer profit de ses propres données. Cette exception n’aurait pas été destinée à faciliter l’autorisation des produits génériques, mais à protéger l’innovation jusqu’à l’expiration d’un délai raisonnable pendant lequel l’entreprise concernée pouvait récupérer son investissement et au terme duquel elle était autorisée à s’appuyer sur les renseignements d’ores et déjà fournis, afin d’éviter la répétition inutile de tests sur les hommes et les animaux.

622    Elles considèrent que, ainsi que la Commission l’aurait admis aux considérants 832 et 833 de la décision attaquée et allégué au cours de la procédure dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour du 16 décembre 1999, Rhône-Poulenc Rorer et May & Baker (C‑94/98, Rec. p. I‑8789), le titulaire d’une autorisation de mise sur le marché a le droit de radier celle-ci à sa convenance, ou de la laisser expirer, sans être tenu de fournir un motif à cet égard et sans se soucier de l’effet de cette décision sur les fabricants de produits génériques ou sur les importateurs parallèles.

623    Les requérantes exposent que, au Danemark, AZ a obtenu une autorisation de mise sur le marché pour les gélules de Losec en 1989, ainsi que pour les comprimés de Losec MUPS le 22 septembre 1997. Le 23 février 1998, les plaignantes auraient demandé une autorisation de mise sur le marché pour une version générique des gélules de Losec en application de la procédure abrégée. Le 6 avril 1998, l’autorisation de mise sur le marché accordée pour les gélules de Losec aurait été radiée à la demande d’AZ. Le 30 septembre 1998, les plaignantes auraient obtenu une autorisation de mise sur le marché pour une version générique des gélules de Losec. AZ aurait contesté l’octroi de cette autorisation devant les tribunaux danois, au motif que, au moment de cet octroi, il n’existait aucune autorisation de mise sur le marché en vigueur pour le produit de référence dans l’État membre concerné. En réponse à une question posée dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, la Cour aurait considéré que l’autorisation de mise sur le marché du médicament de référence devait être en vigueur dans l’État membre concerné à la date de la demande (arrêt AstraZeneca, point 617 supra, point 58).

 Sur l’analyse juridique de la Commission

624    Les requérantes reprochent à la Commission l’absence, dans la décision attaquée, d’analyse juridique de l’abus de position dominante identifié. Elles avancent que le raisonnement juridique de la Commission apparaît uniquement au considérant 820 de la décision attaquée, auquel elle a considéré qu’une entreprise en position dominante qui bénéficie d’un droit spécifique, tel qu’une autorisation de mise sur le marché, devait en faire un usage raisonnable et ne pas l’utiliser dans le but évident d’exclure ses concurrents. Toutefois, la jurisprudence sur laquelle la Commission s’appuie pour énoncer cette considération concernerait, selon les requérantes, des situations différentes.

625    Tout d’abord, s’agissant de l’arrêt du 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, point 242 supra, la société en position dominante aurait conclu un accord lui accordant un droit exclusif, puis aurait entrepris des démarches en vue de s’assurer qu’elle bénéficierait de l’exclusivité prévue par cet accord. Les circonstances seraient différentes en l’espèce, dans la mesure où AZ n’aurait pas conclu d’accord en vue de bénéficier d’une exclusivité sur le marché. AZ aurait été tenue d’obtenir une autorisation de mise sur le marché pour commercialiser les gélules de Losec, laquelle ne lui aurait conféré aucune exclusivité sur le marché. En effet, l’autorisation de mise sur le marché n’aurait pas empêché la concurrence des médicaments génériques ou des importations parallèles, ni la commercialisation d’IPP concurrents sur les marchés danois, norvégiens et suédois. Les requérantes ajoutent que cette affaire n’impliquait pas de droit de propriété de quelque nature que ce soit et que la constatation d’un abus de position dominante n’entraînait pas l’imposition d’obligations positives aux auteurs de l’abus, tandis que, en l’espèce, le maintien des autorisations de mise sur le marché imposerait des obligations de pharmacovigilance permanentes.

626    Ensuite, les requérantes relèvent que la présente affaire se distingue de celle qui a donné lieu à l’arrêt de la Cour du 11 novembre 1986, British Leyland/Commission (226/84, Rec. p. 3263), dans la mesure où, en l’espèce, le titulaire d’une autorisation de mise sur le marché est soumis à des obligations importantes en matière de « mise à jour » et de pharmacovigilance tant que l’autorisation demeure en vigueur. De plus, AZ n’aurait pas bénéficié d’un monopole administratif à la suite de l’obtention d’une autorisation pour les gélules de Losec. Par ailleurs, cette autorisation n’aurait pas été indispensable pour que les produits concurrents puissent entrer sur le marché et le retrait de celle-ci n’aurait pas eu automatiquement un effet sur les autorisations existantes pour les médicaments génériques et sur les approbations des importations parallèles. Les requérantes ajoutent qu’un autre élément de distinction réside en ce que, en l’espèce, AZ n’a encouragé le développement ni d’un commerce de copies génériques du Losec ni des importations parallèles, tandis que, dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt British Leyland/Commission, précité, British Leyland avait permis le développement d’un commerce de « Métro » à conduite à gauche. Enfin, aucun droit de propriété sur des informations commercialement confidentielles n’aurait été en cause dans cette affaire, contrairement à la présente espèce.

627    Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Hilti/Commission, point 242 supra, le Tribunal aurait considéré qu’Hilti avait abusé de sa position dominante parce qu’elle n’était pas disposée à accorder des licences de droit volontairement. L’abus de position dominante aurait également consisté en la demande de redevances d’un montant six fois plus élevé que celui finalement fixé par l’organisme public compétent, prolongeant ainsi inutilement la procédure d’octroi de licence de droit. Or, selon les requérantes, en l’espèce, l’autorisation de mise sur le marché ne conférait à AZ aucun droit exclusif et celle-ci conservait le droit de demander le retrait de son autorisation à tout moment. De plus, AZ aurait été soumise à de nombreuses obligations de « mise à jour » et de pharmacovigilance.

628    Les requérantes font également observer que, lors des procédures devant la Cour, portant sur la question de savoir si le titulaire d’une autorisation de mise sur le marché avait le droit d’en demander le retrait, la Commission a régulièrement soutenu que la notion de licence obligatoire était inconnue en droit communautaire pharmaceutique. Les requérantes font également valoir que les arrêts susmentionnés, sur lesquels se fonde la Commission, ne traitent pas des arguments présentés par AZ et que la Commission n’a pas tenu compte de la jurisprudence en matière de « refus de fournir » et d’« installations essentielles ». Or, selon les requérantes, même à considérer que les faits constatés par la Commission soient corrects, le comportement d’AZ ne saurait constituer un abus de position dominante à la lumière de la jurisprudence relative à l’exercice des droits de propriété intellectuelle et aux « installations essentielles ». Elles rappellent, à cet égard, la jurisprudence issue des arrêts Magill et IMS Health, point 229 supra, de l’arrêt de la Cour du 26 novembre 1998, Bronner (C‑7/97, Rec. p. I‑7791), et de l’arrêt du Tribunal du 12 juin 1997, Tiercé Ladbroke/Commission (T‑504/93, Rec. p. II‑923, point 131).

629    Les requérantes prétendent que les dossiers de renseignements soumis par AZ en vue d’obtenir les autorisations de mise sur le marché pour les gélules de Losec conformément à la directive 65/65 contenaient des informations commerciales confidentielles qui méritaient une protection juridique. Toutefois, l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), i) et iii), de la directive 65/65 aurait créé une exception à la confidentialité des données dont pouvait bénéficier AZ, dans la mesure où cette disposition aurait exonéré le demandeur ultérieur de l’obligation de fournir son propre dossier de renseignements. Les requérantes font observer qu’il n’est pas contesté qu’AZ avait le droit de demander le retrait de son autorisation de mise sur le marché pour les gélules de Losec et qu’il résulte de la jurisprudence que la procédure abrégée prévue à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65 n’est pas applicable après le retrait de l’autorisation de mise sur le marché du médicament de référence. Après ce retrait, AZ aurait ainsi conservé le droit de faire respecter le caractère confidentiel de son dossier de renseignements.

630    À cet égard, les requérantes contestent l’affirmation de la Commission selon laquelle, à l’expiration de la période d’exclusivité des données de six à dix ans, un producteur de produits génériques n’aurait pas à accomplir toute la procédure d’autorisation de mise sur le marché, l’autorité nationale pouvant s’appuyer sur les données dont elle dispose dans le cadre de l’autorisation originale. En effet, cette interprétation de la directive 65/65 serait inconciliable avec l’arrêt AstraZeneca, point 617 supra (points 48 et 50), dont il résulterait qu’une autorité nationale ne peut s’appuyer sur les données issues de la demande d’autorisation originale que si cette autorisation est encore en vigueur au moment de la demande relative au médicament générique. Les requérantes ajoutent que le demandeur initial détient un droit de propriété sur les dossiers de renseignements soumis aux autorités nationales, auquel l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65 constitue une restriction limitée, en ce qu’il crée une exception au droit du demandeur initial de contrôler l’utilisation de ces droits [arrêt de la Cour du 3 décembre 1998, Generics (UK) e.a., C‑368/96, Rec. p. I‑7967, points 77 à 87, et conclusions de l’avocat général M. Ruiz-Jarabo Colomer sous cet arrêt, Rec. p. I‑7971, point 68]. En dehors de cette exception, le demandeur initial conserverait le droit d’interdire l’usage non autorisé de ses informations confidentielles par une autorité nationale ou par un tiers.

631    Ces considérations remettent en cause, selon les requérantes, le bien-fondé de la thèse de la Commission selon laquelle la jurisprudence relative aux « installations essentielles » serait inapplicable en l’espèce en raison du fait que les droits de propriété d’AZ seraient venus à expiration, de sorte que cette dernière ne bénéficierait plus de droits de propriété. En réponse à l’argument de la Commission tiré de l’arrêt du Tribunal du 23 octobre 2003, Van den Bergh Foods/Commission (T‑65/98, Rec. p. II‑4653), les requérantes relèvent que, en l’espèce, il existe une cession d’actifs de fait, en ce sens que les fabricants de produits génériques pourraient tirer profit des informations confidentielles sans le consentement d’AZ, cette dernière n’étant pas même en mesure d’exiger un paiement pour l’usage de ces informations. Selon elles, le fait que, au considérant 820 de la décision attaquée, la Commission ne reconnaît pas le droit de propriété dont bénéficie AZ justifie l’annulation de la décision attaquée sur ce point.

632    À titre subsidiaire, les requérantes font valoir que l’accès au dossier de renseignements d’AZ n’était pas indispensable pour que d’autres produits puissent entrer sur le marché. À cet égard, elles relèvent que plusieurs IPP concurrents sont entrés sur le marché pendant la période en cause. Par ailleurs, le retrait de l’autorisation de mise sur le marché obtenue par AZ n’aurait pas fait obstacle à l’apparition d’un produit nouveau pour lequel il y aurait eu une demande des consommateurs. En effet, la procédure abrégée prévue à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65 ne serait, par définition, ouverte qu’aux produits ayant une similitude essentielle avec les gélules de Losec d’AZ. Les requérantes soulignent que le retrait de l’autorisation de mise sur le marché était justifié eu égard au fait qu’AZ était soumise à des obligations permanentes de « mise à jour » et de pharmacovigilance liées à une autorisation dont elle n’avait plus aucun usage commercial. En tout état de cause, le retrait de l’autorisation de mise sur le marché des gélules de Losec n’aurait pas exclu toute concurrence sur le marché en cause, AZ ayant été confrontée à la concurrence des médicaments génériques, des importations parallèles et des IPP concurrents.

633    Les requérantes contestent, en outre, la pertinence du fait qu’AZ a demandé le retrait de ses autorisations et n’a pas attendu qu’elles viennent à expiration. En effet, l’effet pratique du retrait d’une autorisation est le même que celui de son expiration, le titulaire de l’autorisation retrouvant le contrôle sur son dossier de renseignements confidentiels. Elle rejettent, par conséquent, l’allégation de la Commission selon laquelle la jurisprudence de l’arrêt Magill, point 229 supra, serait inapplicable en l’espèce, en raison du fait que la présente affaire n’impliquerait pas un refus de venir en aide aux concurrents, mais un comportement actif de la part d’AZ pour empêcher l’entrée sur le marché de ses concurrents.

 Sur l’absence d’abus de position dominante en tout état de cause

634    Les requérantes contestent avoir admis que les demandes de retrait des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec s’inscrivaient dans le cadre d’une stratégie dont l’objectif fondamental était d’empêcher, ou du moins de retarder, l’entrée de gélules d’oméprazole générique sur les marchés concernés et d’empêcher les importations parallèles de gélules de Losec sur ces marchés.

635    Elles considèrent qu’il ne convient pas d’imposer à une entreprise, même en position dominante, l’obligation de maintenir en vigueur ses autorisations de mise sur le marché afin que les médicaments génériques et les importations parallèles puissent plus facilement entrer sur le marché et lui faire concurrence. Tel serait plus particulièrement le cas lorsque l’entreprise n’a plus d’intérêt commercial à vendre le produit sur lequel porte l’autorisation et, par conséquent, n’a plus d’intérêt à maintenir en vigueur cette autorisation, tandis que ce maintien lui imposerait des obligations permanentes de « mise à jour » et de pharmacovigilance.

636    À cet égard, les requérantes contestent l’allégation de la Commission selon laquelle le respect des obligations de pharmacovigilance dans un État membre peut être transposé dans un autre État membre, et ce en raison de la nature des obligations imposées et de la diversité des opinions des autorités nationales au sujet de la mise en œuvre de ces obligations.

637    Par ailleurs, au cours de la procédure administrative, AZ aurait notamment soumis à la Commission des rapports élaborés par un cabinet d’avocats et par le professeur S., qui démontreraient que les concurrents potentiels d’AZ auraient pu invoquer l’exonération fondée sur la littérature publiée dès le début de l’année 1998. À cet égard, les requérantes contestent les considérations de la Commission exposées aux considérants 851 et 852 de la décision attaquée. Elles indiquent que, contrairement à ce que prétend la Commission, il n’est pas exact que l’exonération fondée sur la littérature publiée soit rarement appliquée. Par ailleurs, cette circonstance, de même que le fait que la Commission n’aurait pas eu connaissance d’une demande déposée dans ce cadre pour l’oméprazole, seraient en tout état de cause dépourvus de pertinence, dès lors qu’AZ aurait démontré que cette exonération pouvait être demandée pour le Losec et que la Commission n’aurait apporté aucune preuve en sens contraire. Pour cette même raison, la Commission ne saurait soutenir que la demande concernant un médicament générique fondé sur l’oméprazole pendant la première partie de l’année 1998 aurait constitué un « cas très limite ». Selon les requérantes, l’allégation de la Commission, selon laquelle l’exonération fondée sur la littérature publiée implique une appréciation complexe, ne réfute pas davantage les preuves qu’elles ont apportées.

638    Les requérantes ajoutent que l’exigence, aux fins de l’application de l’exonération fondée sur la littérature publiée, d’une utilisation supérieure à dix ans n’a été introduite que par la directive 1999/83/CE de la Commission, du 8 septembre 1999, portant modification de l’annexe de la directive 75/318/CEE du Conseil relative au rapprochement des législations des États membres concernant les normes et protocoles analytiques, toxico-pharmacologiques et cliniques en matière d’essais de spécialités pharmaceutiques (JO L 243, p. 9). En tout état de cause, l’oméprazole aurait été utilisé depuis plus de dix ans en 1998.

639    Les requérantes font également valoir que l’allégation de la Commission figurant au considérant 853 de la décision attaquée, selon laquelle les documents d’AZ ne mentionnaient pas la possibilité d’invoquer l’exonération fondée sur la littérature publiée, est dénuée de pertinence, dès lors qu’elles auraient en tout état de cause démontré ce fait. S’agissant de l’affirmation exposée au considérant 854 de la décision attaquée, les requérantes font observer que la Commission ne fournit pas d’indication sur l’importance des retards subis par les sociétés fabriquant des médicaments génériques du fait du retrait des autorisations de mise sur le marché. L’admission par la Commission de son ignorance quant à l’étendue de ce retard rendrait ainsi son argument hypothétique. De plus, les requérantes ajoutent que tout retard lié à l’évaluation d’une demande d’autorisation de mise sur le marché ne peut pas être illimité, dès lors que la législation applicable exige que l’évaluation effectuée en vertu de l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), de la directive 65/65 soit achevée dans les 120 jours, ou dans les 210 jours dans des circonstances exceptionnelles (article 7 de cette directive). Dans la mesure où l’évaluation du retard subi dans le cadre de l’introduction d’une demande s’appuyant sur l’exonération fondée sur la littérature publiée devrait prendre en compte ces délais, le retard maximal hypothétique ne pourrait être que de quelques mois au plus, ce qui ne saurait justifier la constatation d’un abus de position dominante durant plusieurs années.

640    Enfin, les requérantes considèrent qu’il résulte de l’arrêt ITT Promedia/Commission, point 311 supra (point 56), que la contestation par AZ du droit de ses concurrents de bénéficier de la procédure abrégée prévue par la directive 65/65 afin de se protéger contre les importations parallèles et les médicaments génériques n’est pas un comportement susceptible d’être qualifié d’abusif. Elles font observer que la Commission a admis, au point 502 de la communication des griefs, que le comportement d’AZ pour protéger ses autorisations de mise sur le marché n’était pas répréhensible.

b)     Arguments de la Commission

 Sur le cadre réglementaire et factuel

641    À titre liminaire, la Commission précise que le considérant 830 de la décision attaquée ne signifie pas qu’elle est d’accord avec la présentation et l’interprétation que fait AZ de la directive 65/65. Ce considérant exprimerait seulement l’idée que l’interprétation que donne AZ de la législation pharmaceutique communautaire ne fait pas partie du second abus de position dominante et que celui-ci ne dépend pas de l’interprétation correcte du cadre réglementaire.

642    La Commission expose que l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65 établit un équilibre entre les intérêts des entreprises innovantes et ceux des producteurs de produits génériques, en instaurant une procédure d’autorisation abrégée pour les médicaments ayant une similitude essentielle avec un médicament déjà autorisé, tout en prévoyant une période d’exclusivité des données de six ou de dix ans, débutant à partir de l’octroi de la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté, durant laquelle la procédure abrégée n’est pas ouverte aux produits génériques, et permettant ainsi au demandeur initial de bénéficier des résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques figurant dans le dossier relatif au produit. La Commission renvoie, à cet égard, à l’arrêt AstraZeneca, point 617 supra (points 42 à 44 et 52).

643    La Commission précise que le législateur était conscient du risque que la période d’exclusivité des données puisse engendrer une prolongation artificielle des effets d’un brevet et s’est efforcé de remédier à ce problème par le biais de l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65, qui préserve la liberté des États membres « de ne pas appliquer la période de six ans […] au-delà de la date d’expiration [du] brevet ». La Commission conteste que le législateur ait envisagé cette disposition comme une exception aux, ou un empiètement sur les, droits de propriété sur les informations commerciales confidentielles, ainsi que les requérantes le feraient valoir. En effet, l’approche des requérantes conduirait à considérer que les autorités pharmaceutiques ne pourraient jamais se fonder sur les données contenues dans le dossier du médicament original, ni avant ni après la période de six ou de dix ans. Par ailleurs, l’utilisation par une autorité pharmaceutique des références pharmacologiques, toxicologiques ou cliniques contenues dans le dossier d’un médicament original n’est pas de nature à porter atteinte à la confidentialité de certaines informations commerciales, ces dernières n’étant jamais rendues publiques ni révélées au deuxième demandeur.

644    La Commission rejette l’argument des requérantes, selon lequel la concurrence des produits génériques serait en quelque sorte « parasitaire ». Selon elle, les récompenses pour l’innovation sont essentiellement garanties par les systèmes des brevets et des CCP, qui confèrent au producteur d’un produit original un monopole temporaire dans l’exploitation commerciale de son invention. La menace de l’arrivée des produits génériques contraindrait les entreprises à innover de façon à être récompensées sous forme de brevets, de CCP et de périodes d’exclusivité des données.

645    Or, le second abus de position dominante commis par AZ aurait mis à mal ce système. En effet, AZ aurait procédé au retrait de l’autorisation de mise sur le marché des gélules de Losec de sorte que, en dépit de l’expiration de la période d’exclusivité des données de six ou de dix ans et de l’expiration imminente du brevet concernant l’oméprazole, la voie de l’enregistrement abrégé n’aurait pas été accessible aux producteurs d’oméprazole générique. Ce faisant, AZ aurait ainsi cherché à conserver artificiellement son exclusivité sur le marché, en cherchant à annuler le droit, que confère le cadre réglementaire au deuxième demandeur et aux demandeurs ultérieurs lorsque la période d’exclusivité des données prend fin, de ne pas fournir les données contenues dans les dossiers de demandes initiales.

646    La Commission précise que, dans la décision attaquée, elle n’affirme pas que l’introduction d’une nouvelle formule du produit (les comprimés) et la décision d’arrêter la commercialisation des gélules de Losec au Danemark, en Norvège et en Suède étaient abusives en elles-mêmes, prises isolément ou ensemble. L’introduction des comprimés de Losec et le retrait des gélules seraient des conditions nécessaires, mais non suffisantes, pour que l’abus de position dominante puisse être établi. Ce dernier serait apparu lorsque cette opération de substitution a été associée aux demandes de retrait. La Commission insiste donc sur ce que, ainsi qu’il ressortirait de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée, l’abus consisterait en trois éléments, à savoir les demandes de retrait intervenues au Danemark, en Norvège et en Suède, en combinaison avec le lancement des comprimés de Losec MUPS et le retrait des gélules de Losec dans ces trois pays. Compte tenu de cette analyse, la Commission conteste ce qu’elle considère être une tentative de la part des requérantes de dissocier les éléments de l’abus de position dominante, et notamment les demandes de retrait des autorisations de mise sur le marché. Par ailleurs, dans la décision attaquée, elle ne mettrait pas en cause l’interprétation de la directive 65/65 retenue par AZ ou le fait qu’AZ ait intenté des actions en vue de protéger ses brevets ou ses autorisations de mise sur le marché.

 Sur l’analyse juridique de la Commission

647    La Commission conteste, tout d’abord, que la motivation juridique de la décision attaquée soit limitée au considérant 820 de celle-ci. Elle renvoie, à cet égard, aux considérants 325 à 328, 817 et 818, ainsi qu’aux considérants 788 à 847 de la décision attaquée.

648    La Commission rappelle, ensuite, que la jurisprudence a retenu qu’il était abusif pour une entreprise en position dominante de se procurer des avantages sur le marché par l’exploitation de procédures ou de réglementations étatiques. Elle fait valoir que l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt British Leyland/Commission, point 626 supra, présente des similitudes importantes avec le second abus de position dominante constaté dans la décision attaquée. Les requérantes ne sauraient soutenir que la solution retenue dans cet arrêt ne s’applique pas en l’espèce au motif que la validité de l’autorisation de mise sur le marché des gélules de Losec n’était pas indispensable pour que des produits concurrents puissent entrer sur le marché. En effet, l’arrêt British Leyland/Commission, point 626 supra, ne poserait aucune condition à cet égard. Celui-ci n’indiquerait pas que le produit en cause n’était exposé à aucune concurrence ou se trouvait dans un marché qui lui était propre. Au contraire, que ce soit en présence ou en l’absence d’importations parallèles, l’entreprise concernée aurait été confrontée à la concurrence de douzaines d’autres constructeurs. La Commission relève en outre que cet arrêt concerne un comportement allant au-delà de celui en cause dans le cadre de la présente affaire, dans la mesure où il porte sur l’inaction de British Leyland à l’expiration d’un certificat national d’homologation, alors que la présente affaire a trait à des démarches positives pour obtenir le retrait.

649    En réponse aux observations des requérantes relatives à la circonstance que British Leyland aurait, contrairement à AZ, permis le développement du commerce parallèle, la Commission ajoute qu’un abus de position dominante qui entraîne l’éviction de concurrents du marché n’est pas moindre qu’un abus qui les empêche d’entrer sur le marché. Elle conteste, en tout état de cause, que le commerce parallèle du Losec dans les trois pays concernés ne se soit pas développé avant que le retrait n’ait été demandé (tableaux 25, 28 et 29 de l’annexe de la décision attaquée). Par ailleurs, concernant l’argument des requérantes tiré de l’absence, dans le cadre de cette affaire, de droit de propriété intellectuelle sur des informations commercialement confidentielles, la Commission fait observer que l’obtention d’une homologation pour un véhicule en vertu de la directive 70/156/CEE du Conseil, du 6 février 1970, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la réception des véhicules à moteur et de leurs remorques (JO L 42, p. 1), requérait également la fourniture d’informations coûteuses et techniquement complexes dans le cadre d’une longue procédure. Les importateurs parallèles auraient néanmoins pu en être exonérés dans la mesure où les autorités disposaient déjà d’un dossier technique dont elles prenaient garde de ne pas révéler le contenu. Les droits à la confidentialité qu’AZ aurait ne différeraient donc en rien de ceux de British Leyland.

650    S’agissant de l’arrêt Hilti/Commission, point 242 supra, la Commission fait valoir qu’il concerne également une instrumentalisation d’un cadre réglementaire par une entreprise en position dominante afin d’obtenir un avantage sur le marché, cette entreprise ayant exploité les modalités procédurales d’octroi de licences dans l’exercice de son droit de négocier les redevances. Par ailleurs, l’affaire ayant donné lieu aux arrêts de la Cour du 16 mars 2000 et du Tribunal du 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, points 329 et 242 supra, serait également pertinente, en ce qu’elle concernerait une entreprise en position dominante qui se serait appuyée sur un droit dérivé d’un contrat afin d’exclure des concurrents.

651    S’agissant de la jurisprudence relative aux « installations essentielles », la Commission soutient que celle-ci n’est pas applicable en l’espèce. En effet, les arrêts Magill et IMS Health, point 229 supra, et Tiercé Ladbroke/Commission et Bronner, point 628 supra, traiteraient du refus par une entreprise en position dominante de négocier avec d’autres entreprises et de leur permettre, par des moyens contractuels, d’utiliser un élément d’actif pour lequel le système juridique confère en principe un droit exclusif. Or, ainsi que les requérantes le reconnaîtraient elles-mêmes, l’autorisation de mise sur le marché n’aurait conféré à AZ aucun droit exclusif, mis à part la période d’exclusivité de six à dix ans pour les données et les informations soumises aux autorités. Cette période aurait toutefois expiré en l’espèce. La Commission fait valoir que, à l’expiration de la période d’exclusivité, le second demandeur a le droit de ne pas fournir des données qui sont connues des autorités dès lors qu’elles se trouvent dans le dossier de demande initiale. AZ aurait toutefois cherché à invalider ce droit.

652    La Commission relève par ailleurs que la jurisprudence relative aux « installations essentielles » ne serait pas pertinente en ce qui concerne les situations dans lesquelles il n’est pas question pour l’entreprise en position dominante de céder un élément d’actif ou de contracter avec des personnes qu’elle n’a pas choisies (ordonnance de la Cour du 28 septembre 2006, Unilever Bestfoods/Commission, C‑552/03 P, Rec. p. I‑9091, et arrêt Van den Bergh Foods/Commission, point 631 supra, point 161). La Commission conteste, en effet, que la permission donnée aux autorités pharmaceutiques de se référer aux informations disponibles dans le dossier original, sans toutefois divulguer celles-ci aux concurrents et aux tiers, puisse être considérée comme entraînant une cession d’élément d’actif. Selon elle, la présente affaire n’impliquerait aucun droit de propriété intellectuelle et ne concernerait pas un refus passif d’aider les concurrents en traitant avec eux, mais un comportement actif tendant à empêcher les concurrents d’entrer sur le marché. En effet, en l’espèce, l’entreprise en position dominante aurait activement cherché à exclure ses concurrents du marché à un moment où ses droits de propriété et ses droits exclusifs seraient venus à expiration, en utilisant le cadre réglementaire de façon à contrarier le système prévu par ce dernier, qui permet l’arrivée des produits génériques à l’expiration de la période d’exclusivité des informations fournies aux autorités médicales.

653    Au sujet de la position des requérantes, selon laquelle la distinction entre le retrait positif des autorisations de mise sur le marché et le fait de laisser expirer ces autorisations est sans pertinence pour l’application de l’article 82 CE, la Commission souligne, tout d’abord, que, dans la décision attaquée, elle ne se prononce pas sur la situation hypothétique dans laquelle AZ aurait laisser expirer les autorisations de mise sur le marché, ayant seulement constaté un abus de position dominante dans les circonstances factuelles de l’espèce. Elle ajoute toutefois que, en tout état de cause, l’arrêt British Leyland/Commission, point 626 supra, permet de s’appuyer sur la considération selon laquelle le fait de laisser l’autorisation expirer dans le cadre d’une stratégie d’exclusion présentant les caractéristiques constatées en l’espèce pourrait constituer un abus de position dominante. Cela étant, une telle stratégie d’exclusion présentant toutes les caractéristiques constatées en l’espèce mis à part les demandes actives de retrait serait improbable, compte tenu de ce qu’un élément essentiel d’une stratégie d’exclusion, qui doit assurer la synchronisation d’une série de facteurs, consiste en le moment choisi pour mettre fin aux autorisations, dans la mesure où l’objectif recherché est l’exclusion des produits génériques et du commerce parallèle. À cet égard, la Commission fait observer que, contrairement à la demande de retrait, l’expiration d’une autorisation à la suite de son non-renouvellement est un événement prévisible.

654    En outre, la Commission expose que la demande de retrait du produit au Danemark, en Norvège et en Suède dans le but d’exclure la concurrence n’était pas une action relevant de la substance de l’autorisation de mise sur le marché d’AZ, mais, bien au contraire, une tentative de maintenir l’exclusion des concurrents lorsque l’entreprise ne bénéficiait plus des droits exclusifs permettant de les exclure. Elle renvoie, sur ce point, au considérant 843 de la décision attaquée.

655    La Commission avance au surplus que, si des analogies peuvent être faites avec les affaires impliquant un refus de donner accès à des éléments d’actifs couverts par des droits de propriété, il y aurait lieu de relever que la stratégie d’AZ consistait à empêcher l’introduction d’un produit qu’elle ne proposait plus, malgré l’existence d’une demande pour ce produit, ce qui constituerait un cas d’abus de position dominante identifié dans l’arrêt Volvo, point 229 supra, et dans l’arrêt de la Cour du 5 octobre 1988, CIRCA et Maxicar (53/87, Rec. p. 6039). À cet égard, la Commission conteste le fait que les producteurs de produits génériques ou les importateurs parallèles avaient l’intention de copier le produit que proposait déjà AZ.

656    La Commission rejette en outre l’argument des requérantes, tiré de la légalité de la demande de retrait en droit pharmaceutique. Elle souligne à cet égard que l’illégalité d’un comportement abusif au regard de l’article 82 CE est sans relation avec sa conformité ou non avec d’autres régimes juridiques et que, dans la majorité des cas, les abus de position dominante consistent en des comportements par ailleurs légaux au regard de branches du droit autres que le droit de la concurrence. Ainsi, dans la décision attaquée, elle ne mettrait pas en cause l’interprétation du droit pharmaceutique retenue par les requérantes. Elle retiendrait uniquement que, pour une entreprise en position dominante, il est contraire à l’article 82 CE de demander le retrait anticipé des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec, dans le contexte d’un projet général conçu pour empêcher l’entrée sur le marché des produits génériques et des importations parallèles et susceptible d’avoir cet effet (considérants 817 à 820 de la décision attaquée).

 Sur l’absence d’abus de position dominante en tout état de cause

657    La Commission conteste, tout d’abord, que la décision attaquée impose une obligation positive à AZ de demander le renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché. L’abus aurait consisté en la demande de retrait anticipé de l’autorisation de mise sur le marché des gélules d’oméprazole en Suède, au Danemark et en Norvège, ce qui doit être distingué du fait de laisser l’autorisation expirer sans en demander le renouvellement. Elle précise que la décision attaquée ne contient aucune considération selon laquelle il aurait été abusif qu’AZ ne demande pas le renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché.

658    La Commission rejette la justification avancée par les requérantes au soutien de la demande de retrait anticipé des autorisations de mise sur le marché dans les trois pays en cause, tirée des obligations importantes incombant au titulaire d’une autorisation de mise sur le marché au titre du système de pharmacovigilance. En effet, la Commission fait observer qu’AZ était en tout état de cause soumise au respect d’obligations de pharmacovigilance en tant que titulaire de l’autorisation de mise sur le marché des gélules de Losec en Espagne, en Italie, en Autriche, en France, en Allemagne et aux Pays-Bas et qu’elle devait donc rassembler et transmettre les mêmes informations aux autorités des différents États membres. Les frais ou la charge bureaucratique supplémentaires qui auraient pesé sur AZ si celle-ci n’avait pas procédé aux demandes de retrait anticipé auraient dès lors été négligeables.

659    Par ailleurs, la pharmacovigilance respectant les exigences découlant de la directive 75/319 pourrait normalement être assurée par la voie d’une collaboration avec les autorités nationales des autres États membres grâce à l’accès aux documents et aux données produits par le fabricant pour l’ancienne version du produit dans les États membres dans lesquels celle-ci est encore commercialisée sur la base d’une autorisation de mise sur le marché en cours de validité (arrêt de la Cour du 10 septembre 2002, Ferring, C‑172/00, Rec. p. I‑6891, points 36 et 38). La Commission fait observer, au surplus, qu’AZ n’a pas demandé le retrait des autorisations de mise sur le marché en Allemagne et aux Pays-Bas, bien que les gélules aient été retirées de ces marchés. En outre, aucun des documents stratégiques d’AZ ne mentionnerait la charge prétendument liée au maintien des autorisations de mise sur le marché en tant qu’élément à prendre en considération pour décider de leur retrait.

660    La Commission rejette, ensuite, l’argument des requérantes selon lequel les concurrents d’AZ auraient pu se fonder sur la littérature publiée pour obtenir une autorisation de mise sur le marché, conformément à la procédure visée à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), ii), de la directive 65/65. La Commission considère que l’analyse des requérantes se fonde erronément sur la supposition, tirée de la doctrine des « installations essentielles », que les demandes de retrait ne peuvent être abusives que si la procédure abrégée était indispensable à l’entrée des produits génériques et des importations parallèles sur le marché. Selon elle, le fait que la réglementation rende disponible une voie alternative pour obtenir un enregistrement ne légalise pas un comportement visant à empêcher les concurrents d’utiliser la procédure abrégée prévue par le législateur pour faciliter l’accès des produits génériques au marché. De plus, la disponibilité théorique d’une voie alternative ne peut être dissociée du degré d’incertitude quant au succès, du coût et du calendrier d’une tentative d’obtenir l’autorisation par cette voie. Or, ainsi que cela aurait été exposé aux considérants 851 et 852 de la décision attaquée, cette voie aurait été généralement peu utilisée et ne l’aurait jamais été à propos de l’oméprazole. Les chances de succès de cette option auraient été incertaines dans la mesure où les circonstances de l’espèce constituaient un « cas limite » et auraient en tout état de cause entraîné une longue procédure. La Commission ajoute que les requérantes ne contestent pas ses constatations exposées aux considérants 852 à 854 de la décision attaquée. Elle soutient que les difficultés importantes liées à cette voie constituent un élément pertinent devant être pris en considération, dès lors qu’elles déterminent le degré effectif d’exclusion auquel le comportement d’AZ aurait abouti en pratique.

661    La Commission fait observer, à cet égard, que le second abus de position dominante constitue un exemple classique de comportement augmentant les coûts supportés par les concurrents. Dans cette perspective, la circonstance que les concurrents aient également pu suivre la procédure complète d’autorisation de mise sur le marché ne retire pas au comportement incriminé son caractère abusif.

662    S’agissant de l’argument des requérantes reprochant à la Commission de ne pas avoir fourni d’indication sur l’importance du retard quant à l’entrée sur le marché des produits concurrents à la suite de l’utilisation de la procédure relative à la littérature publiée, la Commission relève qu’il est impossible d’évaluer celle-ci en raison de la nature hypothétique de cette voie alternative. En tout état de cause, le retard occasionné aux concurrents qui feraient usage de cette possibilité aurait été important et se serait élevé à plusieurs mois, celui-ci n’étant pas limité au délai de 210 jours applicable au moment des faits (et non de 120 jours, ainsi que les requérantes le feraient valoir), dans la mesure où les producteurs de produits génériques n’étaient informés du retrait qu’après que celui-ci est intervenu et devaient, à ce moment seulement, commencer la procédure de recherche, d’acquisition et de compilation des données. Or, tout retard occasionné aux concurrents aurait suscité des recettes supplémentaires très importantes, eu égard au volume des ventes de Losec qui étaient en cause. La Commission souligne, par ailleurs, que le moment auquel intervient le retard était pertinent, dans la mesure où il servait à obtenir des prix de remboursement plus élevés dans les négociations concernant l’ésoméprazole, la génération suivante d’IPP que AZ entendait lancer sur le marché.

663    La Commission relève qu’AZ elle-même aurait considéré l’utilisation de la procédure relative à la littérature publiée pour l’oméprazole comme un risque négligeable dans la mesure où elle n’y a pas consacré la moindre attention dans son analyse stratégique de la meilleure manière d’empêcher l’entrée de produits génériques sur le marché (considérant 853 de la décision attaquée).

664    En outre, la Commission conteste la pertinence du témoignage de M. S. Elle relève qu’il n’y a aucune preuve que M. S. ait compulsé en détail toute la littérature disponible et constate que celui-ci ne conteste pas que le dépôt d’une demande fondée sur l’« usage médical bien établi » prendrait du temps. La Commission renvoie par ailleurs au mémoire en défense de l’agence danoise devant les tribunaux danois, qui expose que, dans la procédure visée à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), ii), de la directive 65/65, le demandeur doit établir l’innocuité et l’efficacité du médicament en produisant une documentation bibliographique issue d’une étude approfondie et coûteuse , qu’il n’est pas nécessairement possible d’effectuer.

665    La Commission expose, enfin, que le second abus de position dominante est sans rapport avec les procès dans lesquels AZ a pu être impliquée pour protéger ses autorisations de mise sur le marché, mais concerne les demandes de retrait des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec introduites afin d’empêcher ou de retarder l’entrée sur le marché de l’oméprazole générique et les importations parallèles.

c)     Appréciation du Tribunal

 Contexte réglementaire

666    Il convient de relever, à titre liminaire, que l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65 a instauré une procédure abrégée qui vise à permettre aux fabricants de médicaments ayant une similitude essentielle avec des médicaments déjà autorisés de faire l’économie du temps et des coûts nécessaires à la collecte des données relatives aux résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques et à éviter que des essais sur l’homme ou sur l’animal ne soient répétés sans nécessité impérieuse. Cependant, dans la détermination des conditions imposées pour pouvoir recourir à cette procédure abrégée, le législateur a également pris en compte les intérêts des entreprises innovatrices, notamment en subordonnant une telle procédure à la condition que le médicament de référence soit autorisé depuis six ou dix ans dans la Communauté [arrêts Generics (UK) e.a., point 630 supra, points 4, 72 et 73, et AstraZeneca, point 617 supra, points 42 et 43).

667    Cette disposition confère ainsi au titulaire d’une spécialité pharmaceutique originale le droit exclusif d’exploiter les résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques versés au dossier pendant une période de six ou de dix ans à partir de la délivrance de la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté. Cette période d’exclusivité résulte d’une mise en balance par le législateur des intérêts des entreprises innovatrices, d’une part, et de ceux des fabricants de produits essentiellement similaires, ainsi que de l’intérêt d’éviter la répétition des essais sur l’homme ou l’animal sans nécessité, d’autre part [voir, en ce sens, arrêt Generics (UK) e.a., point 630 supra, points 81 et 83].

668    Par conséquent, après l’expiration d’une période de six ou de dix ans débutant à compter de la délivrance de la première autorisation de mise sur le marché, la directive 65/65 ne reconnaît plus au titulaire d’une spécialité pharmaceutique originale le droit exclusif d’exploiter les résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques versés au dossier. Elle permet, au contraire, que ces informations soient prises en compte par les autorités nationales aux fins de l’octroi d’autorisations de mise sur le marché pour des produits essentiellement similaires dans le cadre de la procédure abrégée prévue à son article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii).

669    Toutefois, la Cour a considéré que l’intérêt lié à la sauvegarde de la santé publique, qui constitue un objectif essentiel de la directive 65/65, exigeait, pour qu’une demande d’autorisation de mise sur le marché d’un médicament générique puisse être traitée dans le cadre de la procédure abrégée prévue à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65, que l’autorisation de mise sur le marché du médicament de référence soit encore en vigueur dans l’État membre concerné à la date d’introduction de cette demande et s’opposait, par conséquent, à ce que cette procédure abrégée soit encore disponible après le retrait de l’autorisation de mise sur le marché du médicament de référence (arrêt AstraZeneca, point 617 supra, points 49 à 54).

670    Il en résulte que le retrait de l’autorisation de mise sur le marché de la spécialité pharmaceutique originale a pour effet de faire obstacle, pour des raisons liées à la sauvegarde de la santé publique, à ce que le demandeur d’une autorisation de mise sur le marché d’un médicament essentiellement similaire soit dispensé, en application de l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65, de procéder à des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques aux fins d’en démontrer l’innocuité et l’efficacité. Ainsi, en l’espèce, quoique la législation ne reconnaissait plus à AZ le droit exclusif d’exploiter les résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques versés au dossier, les exigences strictes liées à la sauvegarde de la santé publique, qui ont présidé à l’interprétation de la directive 65/65 par la Cour, lui ont permis d’empêcher ou de rendre plus difficile, par le retrait de ses autorisations de mise sur le marché, l’obtention, au titre de la procédure abrégée visée à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65, d’autorisations de mise sur le marché pour des médicaments essentiellement similaires, à laquelle les fabricants de produits génériques avaient pourtant droit.

 Sur l’approche juridique adoptée par la Commission

671    L’article 82 CE fait peser sur une entreprise en position dominante, indépendamment des causes d’une telle position, la responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent de la concurrence par les mérites, à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun (voir, en ce sens, arrêt Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, point 30 supra, point 57 ; arrêts du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T‑83/91, Rec. p. II‑755, point 114, et du 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, point 242 supra, point 106, lus conjointement avec l’arrêt AKZO/Commission, point 243 supra, point 70).

672    Ainsi, si l’existence d’une position dominante ne prive pas une entreprise placée dans cette position du droit de préserver ses intérêts commerciaux propres lorsque ceux-ci sont menacés (arrêt du Tribunal du 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission, T‑65/89, Rec. p. II‑389, point 69), elle ne saurait faire usage des procédures réglementaires de façon à empêcher ou à rendre plus difficile l’entrée de concurrents sur le marché, en l’absence de motifs tenant à la défense des intérêts légitimes d’une entreprise engagée dans une concurrence par les mérites ou en l’absence de justifications objectives.

673    Les arguments des requérantes tendant, d’une part, à distinguer la présente espèce des affaires ayant donné lieu aux arrêts du 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, point 242 supra, British Leyland/Commission, point 626 supra, et Hilti/Commission, point 242 supra, et, d’autre part, à contester la pertinence de la référence à ces arrêts faite par la Commission au considérant 820 de la décision attaquée, ne sont pas de nature à influer sur cette considération.

674    En l’espèce, il convient d’observer, ainsi que le font valoir les requérantes, que les données relatives aux résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques auxquels AZ a procédé aux fins d’obtenir une autorisation de mise sur le marché originelle sont le produit d’un investissement qu’elle a dû accomplir aux fins de pouvoir mettre les gélules de Losec sur le marché. Un tel investissement est caractéristique des pratiques relevant de la concurrence par les mérites dont les consommateurs sont amenés à bénéficier. Ainsi que cela a été relevé aux points 666 à 668 ci-dessus, la directive 65/65 a reconnu l’intérêt de protéger un tel investissement en prévoyant une période d’exclusivité pour l’usage de ces données au profit de leur titulaire. Toutefois, après l’expiration de cette période d’exclusivité, l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65 ne reconnaît plus au titulaire d’une spécialité pharmaceutique originale le droit exclusif d’exploiter les résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques versés au dossier et permet aux fabricants de médicaments essentiellement similaires de bénéficier de l’existence de ces données aux fins de se voir accorder une autorisation de mise sur le marché suivant une procédure abrégée.

675    Dans ces conditions, force est de constater que, après l’expiration de la période d’exclusivité visée ci-dessus, le comportement tendant à empêcher les fabricants de produits génériques de faire usage de leur droit de bénéficier des résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques produits aux fins de la mise sur le marché du produit original ne trouve aucun fondement dans la protection légitime d’un investissement relevant de la concurrence par les mérites, dès lors que, précisément, AZ ne disposait plus, en vertu de la directive 65/65, du droit exclusif d’exploiter les résultats de ces essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques.

676    Il apparaît en revanche, ainsi que cela sera examiné plus en détail dans le cadre du second moyen, que le retrait par AZ des autorisations de mise sur le marché était uniquement de nature à faire obstacle à ce que les demandeurs d’autorisations de mise sur le marché de médicaments essentiellement similaires puissent faire usage de la procédure abrégée prévue à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65 et, ainsi, à gêner ou à retarder l’entrée sur le marché de produits génériques. De même, en fonction de l’attitude adoptée par les autorités nationales en présence d’un retrait de l’autorisation de mise sur le marché d’un produit pour des causes étrangères à la santé publique, un tel retrait peut être de nature à empêcher les importations parallèles. L’examen de la question de savoir si, compte tenu du contexte factuel et juridique en cause en l’espèce, la Commission a démontré à suffisance de droit que le retrait des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec était de nature à exclure les importations parallèles de ce produit interviendra dans le cadre de l’examen du second moyen.

677    Par ailleurs, la circonstance, invoquée par les requérantes, selon laquelle AZ avait le droit de demander le retrait de ses autorisations de mise sur le marché pour les gélules de Losec n’est aucunement de nature à soustraire ce comportement à l’interdiction prévue à l’article 82 CE. Ainsi que la Commission le fait observer, l’illégalité d’un comportement abusif au regard de l’article 82 CE est sans relation avec sa conformité ou non avec d’autres règles juridiques. Il convient d’observer, à cet égard, que les abus de position dominante consistent, dans la majorité des cas, en des comportements par ailleurs légaux au regard de branches du droit autres que le droit de la concurrence. 

678    Les requérantes font encore valoir que la compatibilité du comportement incriminé avec l’article 82 CE doit être appréciée selon les critères développés dans la jurisprudence relative aux « installations essentielles ».

679    Sur ce point, il convient de relever, à titre liminaire, que la jurisprudence relative aux « installations essentielles » concerne, en substance, les circonstances dans lesquelles un refus de fournir de la part d’une entreprise en position dominante, par le biais, en particulier, de l’exercice d’un droit de propriété, est susceptible de constituer un abus de position dominante. Cette jurisprudence a ainsi notamment trait aux situations dans lesquelles le libre exercice d’un droit exclusif, qui sanctionne la réalisation d’un investissement ou d’une création, peut être limité dans l’intérêt d’une concurrence non faussée dans le marché commun (voir, en ce sens, les conclusions de l’avocat général M. Jacobs sous l’arrêt Bronner, point 628 supra, points 57 à 65, et arrêt Microsoft/Commission, point 32 supra, points 331 à 333).

680    À cet égard, il importe d’observer, en application des considérations énoncées au point 668 ci-dessus, que la directive 65/65 ne reconnaissait plus à AZ le droit exclusif d’exploiter les résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques versés au dossier, mais permettait, au contraire, que ces informations soient prises en compte par les autorités nationales aux fins de l’octroi d’autorisations de mise sur le marché pour des produits essentiellement similaires dans le cadre de la procédure abrégée prévue à son article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii). En effet, ainsi qu’il a été relevé au point 667 ci-dessus, la période de six ou de dix ans durant laquelle le titulaire d’une spécialité pharmaceutique originale dispose du droit exclusif d’exploiter les résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques versés au dossier, résulte d’une mise en balance par le législateur des intérêts des entreprises innovatrices, d’une part, et de ceux des fabricants de produits essentiellement similaires, ainsi que de l’intérêt d’éviter la répétition des essais sur l’homme ou l’animal sans nécessité, d’autre part.

681    Pour autant que, ainsi que le font valoir les requérantes, il y aurait lieu de considérer que ces informations seraient la propriété de l’entreprise qui les a produites, compte tenu de ce que, comme le fait observer la Commission, celles-ci ne sont en tout état de cause jamais rendues publiques ni révélées aux demandeurs d’autorisation de mise sur le marché pour des produits essentiellement similaires, il n’en resterait pas moins que la directive 65/65 a en tout état de cause créé une limitation à cet éventuel droit de propriété en établissant, en son article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), une procédure abrégée qui permet aux autorités nationales de s’appuyer sur les données produites dans le cadre de la demande d’autorisation de mise sur le marché originale.

682    Ainsi, le comportement en cause ne consiste pas en un refus de donner accès aux résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques versés au dossier, AZ ne pouvant pas, en tout état de cause, s’opposer, sur la base de son prétendu droit de propriété, à ce que les autorités nationales s’appuient sur les données en cause dans le cadre de la procédure abrégée, mais a trait à des manœuvres consistant en le retrait d’autorisations de mise sur le marché, de façon à rendre inapplicable la procédure abrégée prévue à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65 et, par voie de conséquence, la limitation apportée par cette dernière disposition à l’exploitation exclusive des informations issues des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques.

683    Or, ainsi que cela résulte de l’arrêt AstraZeneca, point 617 supra (points 49 à 54), la circonstance que la procédure abrégée visée à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65 n’est plus disponible après le retrait de l’autorisation de mise sur le marché du médicament de référence ne trouve pas sa raison d’être dans le souci de garantir au fabricant du médicament de référence l’exclusivité des données qu’il a fournies, mais dans celui d’assurer la sauvegarde de la santé publique, qui constitue un objectif essentiel de la directive 65/65.

684    Dans ces conditions, il ne saurait être fait application aux faits en cause en l’espèce de la jurisprudence relative aux « installations essentielles » à laquelle renvoient les requérantes.

 Sur l’absence d’abus de position dominante en tout état de cause

685    Les requérantes excipent qu’AZ n’avait plus d’intérêt commercial à vendre les gélules de Losec, ni, par conséquent, à maintenir l’autorisation de mise sur le marché, tandis que ce maintien lui imposait des obligations permanentes de « mise à jour » et de pharmacovigilance.

686    À cet égard, il convient d’observer d’emblée que cette justification objective est soulevée pour la première fois au stade de la procédure contentieuse devant le Tribunal. Or, il y a lieu de relever que, si la Commission est tenue de prendre en compte une possible justification objective à un comportement susceptible de constituer un abus de position dominante, encore appartient-il à l’entreprise concernée de soulever cette cause de justification objective durant la procédure administrative et d’avancer les arguments et les éléments de preuve qui y sont relatifs (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 mars 2007, British Airways/Commission, C‑95/04 P, Rec. p. I‑2331, point 69, et arrêt Microsoft/Commission, point 32 supra, point 1144). Tel est plus particulièrement le cas lorsque l’entreprise concernée est la seule à avoir connaissance de cette justification objective ou est naturellement mieux placée que la Commission pour en révéler l’existence et en démontrer la matérialité.

687    Or, il résulte d’une jurisprudence constante que la légalité d’un acte communautaire doit être appréciée en fonction des éléments d’information dont l’institution pouvait disposer au moment où elle l’a arrêté. Nul ne saurait ainsi se prévaloir devant le juge communautaire d’éléments de fait qui n’ont pas été avancés au cours de la procédure administrative (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 7 février 1979, France/Commission, 15/76 et 16/76, Rec. p. 321, point 7 ; arrêts du Tribunal du 11 juillet 2007, Centeno Mediavilla e.a./Commission, T‑58/05, Rec. p. II‑2523, point 151, et du 25 juin 2008, Olympiaki Aeroporia Ypiresies/Commission, T‑268/06, Rec. p. II‑1091, point 55).

688    À cet égard, ainsi que la Commission le fait valoir, il y a lieu d’observer que la question de la charge liée aux obligations de pharmacovigilance n’a jamais été évoquée dans les documents internes d’AZ portant sur sa stratégie commerciale. Cette absence de toute mention, dans ces documents, de cette cause de justification objective a mis la Commission dans l’impossibilité d’en prendre connaissance et rend en tout état de cause peu crédible la thèse selon laquelle le retrait des autorisations de mise sur le marché trouve sa cause dans celle-ci.

689    Par ailleurs, il n’est pas contesté qu’AZ n’avait pas demandé le retrait de ses autorisations de mise sur le marché en Allemagne, en Autriche, en Espagne, en France, en Italie et aux Pays-Bas. Or, le Tribunal considère que les requérantes n’ont pas démontré devant lui que la charge supplémentaire qui aurait pesé sur AZ si celle-ci n’avait pas procédé aux retraits de ses autorisations de mise sur le marché au Danemark, en Norvège et en Suède aurait été à ce point significative qu’elle aurait constitué une cause de justification objective.

690    En effet, ainsi que la Commission l’a souligné lors de l’audience, il convient de relever que l’article 29 quinquies de la directive 75/319 impose à l’entreprise responsable de la mise sur le marché d’un médicament, d’une part, de notifier à l’autorité compétente, aussitôt ou au plus tard dans un délai de quinze jours, toute présomption d’effet indésirable grave ayant été portée à sa connaissance par un professionnel de santé, et, d’autre part, de soumettre à l’autorité compétente des rapports détaillés de tout autre effet indésirable présumé et de les accompagner par une évaluation scientifique. Les rapports sur les autres effets indésirables présumés doivent être soumis immédiatement sur demande, ou, lorsque l’autorisation de mise sur le marché a été accordée plus de cinq ans auparavant, à intervalles de cinq ans, en même temps que la demande de renouvellement de l’autorisation.

691    Or, il est constant que, lors de ses demandes de retrait des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec au Danemark, en Norvège et en Suède, respectivement les 19 mars, 12 octobre et 20 août 1998, AZ disposait de ces autorisations depuis bien plus de cinq ans. Dans ces circonstances, il peut raisonnablement être présumé que la probabilité que des effets indésirables graves, inconnus jusqu’alors, apparaissent concernant les gélules de Losec était faible.

692    Par ailleurs, l’obligation de soumettre, à intervalles de cinq ans, des rapports au sujet des autres présomptions d’effets indésirables ne constitue pas une charge de pharmacovigilance à ce point importante qu’elle puisse constituer une cause sérieuse de justification objective. S’il est exact que l’article 29 quinquies de la directive 75/319 n’empêche pas les États membres d’imposer des exigences supplémentaires lors de l’octroi des autorisations de mise sur le marché, les requérantes sont en défaut de démontrer, dans leurs réponses aux questions posées par le Tribunal, que les autorités danoises, norvégiennes et suédoises ont imposé de telles obligations supplémentaires significatives. Bien au contraire, ainsi que la Commission l’a relevé lors de l’audience, il ressort des réponses mêmes des requérantes aux questions posées par le Tribunal que, en Allemagne, pays dans lequel AZ n’avait pas cessé de commercialiser les gélules de Losec, les autorités publiques imposaient des obligations de pharmacovigilance plus strictes qu’au Danemark, en Norvège ou en Suède.

693    De même, les requérantes ne démontrent pas que les autorités danoises, norvégiennes et suédoises faisaient une application des obligations de pharmacovigilance énoncées au chapitre V bis de la directive 75/319 à ce point différente des autres pays dans lesquels les gélules de Losec étaient toujours commercialisées que des charges additionnelles significatives de pharmacovigilance en auraient résulté pour AZ.

694    Pour l’ensemble de ces motifs, il convient donc de rejeter l’argument des requérantes, avancé pour la première fois au stade de la procédure devant le Tribunal, selon lequel, en l’espèce, les obligations de pharmacovigilance auxquelles AZ était soumise au Danemark, en Norvège et en Suède constituent une cause de justification objective des demandes de retrait des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec dans ces pays.

695     Les requérantes font également valoir que le comportement incriminé ne saurait être qualifié d’abus de position dominante, dans la mesure où, en tout état de cause, les concurrents potentiels auraient pu suivre la procédure prévue à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), ii), de la directive 65/65, qui permet au demandeur de démontrer, par la seule référence détaillée à la littérature scientifique publiée, que la spécialité pharmaceutique pour laquelle une autorisation de mise sur le marché est sollicitée présente une efficacité reconnue et un niveau acceptable de sécurité. Elles reprochent par ailleurs à la Commission de ne pas avoir évalué le retard subi par les entreprises concurrentes fabriquant des produits génériques. Le bien-fondé de ces arguments, qui sont réitérés dans le cadre du second moyen, sera examiné aux points 829 à 835 ci-après, au stade du traitement de ce dernier moyen.

696     Sous réserve de l’examen du bien-fondé de ces derniers arguments, il y a lieu de considérer, pour l’ensemble des motifs qui précèdent, qu’aucun des arguments avancés par les requérantes ne permet d’identifier une erreur de droit de la part de la Commission dans la qualification du second comportement incriminé d’abus de position dominante. Il y a lieu, dès lors, et sans préjudice de l’examen ultérieur du bien-fondé des arguments visés au point précédent, de rejeter le premier moyen.

3.     Sur le second moyen, tiré d’erreurs de fait

a)     Arguments des requérantes

697    Les requérantes font valoir qu’il est normal que le titulaire d’un brevet venant à expiration cherche à tirer profit de la vente du produit et à conserver sa part de marché. Celui-ci chercherait ainsi, de diverses façons, à empêcher ou à réduire le plus possible les ventes des producteurs de produits génériques et des importateurs parallèles, ce qui constituerait un comportement concurrentiel habituel sur les marchés de produits pharmaceutiques dans l’Union. Dans cette perspective, les documents cités par la Commission n’auraient rien d’inhabituel, ceux-ci témoignant simplement des objectifs et des préoccupations ordinaires de toute société pharmaceutique ayant perdu, ou étant sur le point de perdre, un brevet important. Les requérantes contestent par conséquent que le fait, constaté aux considérants 798 et 799 de la décision attaquée, qu’AZ avait eu pour objectif avoué d’empêcher ou de retarder l’entrée sur le marché des médicaments génériques et du commerce parallèle constitue un motif de grief. En effet, considérer qu’AZ ne pouvait pas poursuivre légitimement cet objectif reviendrait à interdire à cette entreprise de rivaliser avec ses concurrents. À cet égard, elles contestent que le retrait d’une autorisation de mise sur le marché d’un produit qui a, lui-même, été retiré du marché soit un acte ne relevant pas de la concurrence par les mérites et renvoient au considérant 842 de la décision attaquée, dans lequel la Commission aurait admis que l’objectif des autorisations de mise sur le marché n’était pas de faciliter l’entrée des produits génériques sur le marché.

698    Les requérantes soutiennent, ensuite, que le retrait d’une autorisation de mise sur le marché n’est pas illégal. Elles contestent que ce retrait ait été effectué dans l’intention unique ou principale d’empêcher l’autorisation des médicaments génériques et des importations parallèles. Les comprimés de Losec auraient été introduits dans les pays en cause parce qu’il s’agissait d’un produit de meilleure qualité et parce que les sociétés de commercialisation locales estimaient qu’il était préférable de n’avoir qu’un seul produit sur le marché. Dans la mesure où AZ remplaçait un produit par un autre, il aurait été naturel qu’elle radie l’autorisation de mise sur le marché du produit qu’elle ne produisait plus.

699    Les requérantes estiment que la Commission n’apporte pas de preuves suffisantes pour la constatation d’une violation de l’article 82 CE et relèvent que la Commission elle-même a admis qu’elle ne disposait que de peu de preuves solides (transcription de la procédure orale des 16 et 17 février 2004, p. 162). La décision attaquée reposerait uniquement sur des déductions tirées de manière inéquitable et erronée des documents fournis par AZ. La Commission n’aurait pas eu d’entretien avec les auteurs des documents sur lesquels elle se fonde et n’aurait effectué aucune enquête indépendante sur les médicaments génériques, les importations parallèles, les agences des médicaments ou les consommateurs.

 Motifs du développement du Losec MUPS et de sa commercialisation

700    Les requérantes soutiennent que le Losec MUPS a été développé, car il constituait un produit de meilleure qualité. Elles exposent que la substance active du Losec, l’oméprazole, se dégrade rapidement et perd de son efficacité lorsqu’elle est exposée à l’environnement acide de l’estomac. Ainsi, les gélules de Losec, lancées en 1988, seraient constituées de sphères acido-résistantes regroupées dans une enveloppe à base de gélatine, qui ne libéreraient pas la substance active dans l’estomac et permettraient son absorption dans l’intestin grêle. Ces gélules de Losec auraient toutefois présenté certains défauts [confidentiel].

701    En 1991, Astra aurait entrepris une étude de faisabilité au sujet du développement d’un nouveau comprimé de Losec dispersible contenant plusieurs centaines de microsphères d’oméprazole à enrobage acido-résistant, appelé « Multiple Unit Pellet System » (MUPS) et, en 1994, après plusieurs années de recherches supplémentaires, aurait décidé de lancer son développement. Une protection par brevet du nouveau processus de fabrication aurait été demandée sous la référence WO 96/1623, dont la « date de priorité » serait le 8 janvier 1994. Les requérantes expliquent qu’AZ a encore rencontré certaines difficultés à développer une préparation satisfaisante des comprimés, le Losec MUPS ayant été finalement prêt à être lancé en 1998. Elles soutiennent que la décision de ne pas lancer le Losec MUPS plus tôt était dictée par le délai qui avait été nécessaire pour le développement des MUPS et la préparation du dossier de renseignements détaillés pour les autorités réglementaires locales.

702    Les requérantes avancent que, si la décision de développer le Losec MUPS a été adoptée par Astra au niveau central en raison du fait qu’elle impliquait la mobilisation de ressources importantes en recherche et développement, il appartenait aux sociétés de commercialisation locales de décider du moment et de la méthode de lancement du produit en fonction des circonstances locales. L’équipe centrale de marketing d’AZ aurait encouragé les sociétés locales à lancer le Losec MUPS en raison des avantages que ce produit aurait présentés et aurait supervisé le calendrier du lancement du Losec MUPS et, le cas échéant, celui du retrait des gélules de Losec afin d’assurer que la livraison des deux produits sur les marchés était correctement organisée et respectait les délais.

703    Le Losec MUPS aurait été lancé sur les divers marchés nationaux à des dates variables en raison des conditions différentes qui y auraient prévalu et des délais variables pour traiter les demandes d’autorisation de mise sur le marché. La décision de ne pas lancer ce produit en Espagne, en Italie, en Grèce, en Autriche, au Portugal et en France se justifierait par des raisons commerciales. Les requérantes soutiennent que les sociétés de commercialisation locales n’ont pas déterminé leurs stratégies en fonction des effets de leurs décisions sur le commerce parallèle ou sur l’entrée des médicaments génériques et n’auraient pas envisagé d’empêcher l’entrée de ceux-ci. Elles ne contestent pas, toutefois, que l’équipe centrale de marketing d’AZ prévoyait que le retrait des gélules de Losec comportait le risque de permettre aux gélules génériques de progresser au détriment du produit MUPS si ce dernier ne rencontrait pas de succès. Par ailleurs, l’équipe centrale d’AZ aurait également examiné les conséquences des décisions adoptées par les sociétés de commercialisation locales pour les entrants génériques et les importateurs parallèles. Cela étant, la Commission aurait elle-même reconnu que les actions en justice engagées à l’encontre de la commercialisation des médicaments génériques et des importations parallèles, à la suite des décisions de radier les autorisations de mise sur le marché adoptées par les sociétés de commercialisation locales, ne constituaient pas un abus.

704    Au Royaume-Uni, [confidentiel].

705    À la suite de cette réunion, l’équipe de coordination centrale d’AZ aurait examiné les implications du retrait des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec pour les fabricants de produits génériques et les importateurs parallèles. Les requérantes soutiennent toutefois qu’il revenait aux sociétés de commercialisation locales, et non à l’équipe centrale de coordination d’Astra, de décider si le Losec MUPS devait être mis sur le marché, si les gélules de Losec devaient être retirées du marché et, dans ce cas, si l’autorisation de mise sur le marché relative aux gélules de Losec devait être retirée.

706    S’agissant de la Suède, les requérantes exposent que, en juin 1995, Astra a fait circuler un mémorandum dit « Minisignal » auprès des sociétés de commercialisation dans le monde, les informant du développement du Losec MUPS et auquel était joint un questionnaire portant sur les projets des différentes sociétés de commercialisation à l’égard du nouveau produit. En février 1996, la société de commercialisation suédoise a répondu au Minisignal en déclarant que le Losec en gélules et le Losec MUPS seraient tous deux disponibles en Suède, mais que les gélules de Losec seraient retirées au fur et à mesure de l’acceptation de la nouvelle préparation par le consommateur.

707    En janvier 1997, les sociétés de commercialisation auraient été informées par télécopie que le dossier du Losec MUPS était mis à leur disposition pour effectuer les demandes d’autorisation de mise sur le marché et qu’il leur serait remis sur demande. Il aurait ainsi appartenu aux sociétés de commercialisation locales de demander le dossier et, par conséquent, de décider de l’opportunité et du moment de l’introduction de la demande d’autorisation de mise sur le marché ainsi que du lancement du produit.

708    Une autorisation de mise sur le marché aurait été demandée en Suède par Astra Suède pour le Losec MUPS le 2 mai 1997 et aurait été accordée le 19 décembre 1997. Les requérantes soutiennent que cette société de commercialisation a décidé de retirer progressivement des gélules de Losec après quatre études de marché (dont une étude conduite au printemps 1998) et un test sur les préférences des patients. En effet, ainsi qu’Astra Suède l’aurait indiqué en réponse au Minisignal, il aurait résulté de ces études qu’il convenait de remplacer totalement les gélules de Losec par le Losec MUPS. Il n’aurait ainsi existé aucune raison de maintenir ce produit sur le marché.

709    S’agissant des sociétés de commercialisation établies en Norvège et au Danemark, celles-ci auraient également déterminé elles-mêmes la stratégie de lancement du Losec MUPS sur leurs marchés nationaux. Les requérantes font observer que les dossiers de ces sociétés de commercialisation ne font état d’aucun débat sur la question de savoir si les autorisations relatives aux gélules de Losec devaient être radiées ou ne pas être renouvelées après expiration. Selon elles, cela traduit le fait qu’il n’était pas nécessaire de conserver une autorisation pour un produit qui avait été retiré du marché et qu’il n’y avait aucune raison de tenir compte d’autres considérations à cet égard.

710    Les requérantes soulignent que l’équipe centrale de marketing d’Astra [confidentiel]. Par ailleurs, l’équipe centrale de coordination d’Astra aurait été chargée d’évaluer les implications juridiques [confidentiel].

711    Les requérantes exposent que l’équipe centrale de coordination d’Astra aurait décidé de ne pas commercialiser le Losec MUPS en Espagne et en Italie. [confidentiel].

712    [confidentiel]

713    [confidentiel]

714    [confidentiel]

 Contestation des éléments de preuve

715    Les requérantes contestent les éléments de preuve sur la base desquels la Commission a fondé sa conclusion selon laquelle l’introduction du Losec MUPS et le retrait des autorisations de mise sur le marché relatives aux gélules de Losec participaient d’une stratégie générale conçue dans le but de faire obstacle à l’entrée des produits génériques et des importations parallèles sur le marché. En ce qui concerne le procès-verbal d’une réunion interne du conseil consultatif de commercialisation (MAC, Marketing Advisory Council), tenue le 9 août 1996, faisant état de l’élaboration de la stratégie postbrevet concernant le Losec (Losec Post-Patent Strategy, ci-après la « stratégie LPP ») (voir considérant 266 de la décision attaquée), les requérantes font valoir que ce terme doit être compris en ce sens qu’Astra se proposait de planifier le traitement de certaines questions, sans qu’il puisse être présumé pour autant l’existence d’une mauvaise foi. Elles font valoir que le fait qu’AZ étudiait la menace concurrentielle et les moyens de la « contrer » relève de la vie commerciale normale d’une entreprise. Selon elles, dans la mesure où ce document analysait les « voies de droit permettant de perturber/retarder l’approbation/l’introduction de génériques », il ne révélerait aucun élément étranger à la concurrence par les mérites. Elles ajoutent, par ailleurs, qu’aucune des preuves documentaires invoquées par la Commission ne démontre qu’AZ a appliqué une stratégie malveillante visant à radier les autorisations de mise sur le marché au Danemark, en Norvège et en Suède afin de retarder l’entrée sur le marché des produits génériques et d’empêcher le commerce parallèle.

716    Les requérantes réitèrent qu’Astra coordonnait au niveau central les actions en justice intentées contre les concurrents commercialisant des produits génériques, recommandait le lancement des comprimés de Losec et apportait son aide aux sociétés de commercialisation nationales en vue de l’obtention des autorisations de mise sur le marché et en matière de production et d’approvisionnement de Losec. Les sociétés de commercialisation locales auraient toutefois élaboré individuellement leurs plans de marketing. Les requérantes renvoient au chapitre 7 de la réponse d’AZ, et plus particulièrement aux points 7.108 à 7.155 de celle-ci, ainsi qu’aux témoignages du Dr N., vice-président exécutif d’AstraZeneca plc et président-directeur général d’AstraZeneca AB (pages 104 à 119 de la transcription de la procédure orale des 16 et 17 février 2005).

717    S’agissant du questionnaire communiqué aux sociétés de commercialisation locales en 1996, cité au considérant 267 de la décision attaquée, par lequel Astra demandait à ce que lui soient indiqués les moyens juridiques susceptibles de perturber ou de retarder l’approbation ou l’introduction des médicaments génériques, les requérantes considèrent qu’il est légitime que l’équipe centrale de marketing pose ces questions. Elles insistent sur le fait qu’il était question de moyens juridiques légaux et que la Commission n’a pas démontré qu’Astra entendait avoir recours à des moyens illégaux. Par ailleurs, celle-ci n’aurait pas soulevé d’objections à l’encontre des procédures judiciaires intentées par Astra, visant à déterminer la mesure dans laquelle les demandes d’autorisation de mise sur le marché des produits génériques ou les demandes d’autorisations d’importations parallèles seraient affectées par le retrait de l’autorisation de mise sur le marché sur laquelle elles reposaient (point 502 de la communication des griefs).

718    Les requérantes affirment que l’équipe centrale de marketing et l’équipe centrale de coordination d’Astra ne coordonnaient pas une stratégie d’exclusion pour le Danemark, la Suède et la Norvège et insistent sur le caractère décentralisé de l’organisation d’Astra. Elles renvoient, à cet égard, au témoignage du Dr N., membre du bureau d’AZ à l’époque des faits, dont il ressortirait que des consultants externes avaient décrit Astra comme étant « étrangement décentralisée ». Elles estiment que la Commission ne saurait ignorer ce témoignage sans démontrer que celui-ci n’est pas digne de foi.

719    Elles contestent que le seul fait que les sociétés établies au Danemark, en Norvège et en Suède appartenaient à 100 % à AZ suffise pour considérer que cette dernière exerçait une influence déterminante sur leur politique commerciale. Il conviendrait, selon elles, de déterminer si la société mère était en position d’exercer une influence déterminante et si elle a exercé une telle influence (arrêt de la Cour du 25 octobre 1983, AEG-Telefunken/Commission, 107/82, Rec. p. 3151, points 48 à 50). Elles précisent, à cet égard, qu’une filiale ne subit pas l’influence déterminante de sa société mère lorsqu’elle peut déterminer de façon autonome son comportement sur le marché (arrêt Europemballage et Continental Can/Commission, point 267 supra).

720    S’agissant de l’examen de la stratégie générale d’Astra, exposé aux considérants 268 à 274 de la décision attaquée, qui s’appuie sur un document intitulé « Stratégie postérieure à l’expiration du brevet sur le Losec » (la stratégie LPP) du 29 avril 1997 et un discours d’octobre 1999, les requérantes rappellent que la Commission a considéré que celle-ci s’inscrivait en trois phases, à savoir, premièrement, la diversification de la gamme de produits Losec, deuxièmement, le retardement de l’entrée des médicaments génériques sur le marché par l’utilisation de moyens techniques et juridiques et, troisièmement, l’introduction de nouveaux produits améliorés disposant de leur propre protection par brevet. Elles font valoir que la Commission ne saurait affirmer qu’il est répréhensible de prendre des mesures afin de protéger le volume des ventes, car cela reviendrait à affirmer qu’il est répréhensible d’exercer une concurrence. Astra aurait uniquement cherché à faire valoir ses droits de propriété intellectuelle, tels que ses brevets sur la préparation, à garantir le respect des règles juridiques relatives à l’octroi d’autorisations de mise sur le marché aux produits génériques et à améliorer sa propre gamme de médicaments contre l’ulcère par une extension de cette gamme et par la création d’une nouvelle génération de produits. Or, un tel comportement ne serait pas abusif.

721    À cet égard, les requérantes font observer que la Commission ne conteste pas, au considérant 830 de la décision attaquée, l’interprétation retenue par Astra des règles juridiques relatives à l’octroi d’autorisations de mise sur le marché. Par ailleurs, la Commission aurait admis, respectivement aux points 502 et 458 de la communication des griefs, que le comportement adopté par Astra en vue de protéger ses autorisations de mise sur le marché n’était pas répréhensible et que les actions en justice engagées par Astra pour protéger ses droits de propriété intellectuelle n’étaient pas abusives. Les requérantes considèrent que, en lançant le Losec MUPS et en retirant les gélules de Losec, Astra tentait d’acquérir un avantage concurrentiel légitime sur le marché. Sur ce point, elles font observer que, au considérant 793 de la décision attaquée, la Commission aurait elle-même concédé que ce comportement commercial n’était pas abusif en soi.

722    En ce qui concerne les six éléments constituant la seconde phase de la stratégie d’Astra, exposés au considérant 271 de la décision attaquée, les requérantes estiment que ceux-ci n’ont rien d’illégitime. En effet, s’agissant, tout d’abord, de la protection de documents, celle-ci traduirait l’intérêt légitime d’Astra de protéger les informations confidentielles soumises aux autorités nationales dans le cadre des demandes d’autorisation de mise sur le marché. S’agissant, ensuite, de l’amélioration de la qualité des produits, ce comportement s’inscrirait dans le cadre de la concurrence sur la base des mérites des produits. En ce qui concerne l’obtention de brevets offensifs et défensifs supplémentaires, la demande de ces brevets ne présenterait rien de contestable. Le programme de surveillance des activités des concurrents commercialisant des produits génériques relèverait également d’une pratique légitime, dans la mesure où le prononcé de mesures provisoires dans le cadre d’une action en contrefaçon serait souvent subordonné à l’action diligente du plaignant. En ce qui concerne l’engagement d’actions en justice, celles-ci seraient destinées à faire valoir les droits de propriété intellectuelle d’Astra et seraient engagées uniquement sur la base de motifs juridiques sérieux. Enfin, s’agissant du remplacement total des gélules de Losec par des comprimés de Losec, il s’agirait d’un comportement s’inscrivant dans le cadre d’une concurrence sur la base des mérites des produits.

723    Les requérantes contestent les considérations de la Commission selon lesquelles Astra aurait entendu commercialiser les comprimés de Losec sur les marchés sur lesquels son brevet sur la substance était sur le point d’expirer. Elles affirment qu’il était de l’intention et de l’intérêt d’Astra d’introduire une préparation sous forme de comprimés de Losec le plus rapidement possible en raison des inconvénients que présentaient les gélules de Losec, mais qu’elle a été confrontée à des problèmes techniques au cours du développement du Losec MUPS. Les requérantes concèdent que le souhait d’Astra de lancer une préparation sous forme de comprimés devenait de plus en plus pressant au fur et à mesure qu’approchaient les dates d’expiration du brevet sur la substance de l’oméprazole. Toutefois, cette urgence n’impliquerait pas que le calendrier du lancement des comprimés de Losec ait été élaboré de façon à ce qu’il coïncide avec l’expiration du brevet, ni que l’objectif de ce lancement ait été d’empêcher l’entrée sur le marché des produits génériques.

724    Les requérantes contestent que le discours prononcé en octobre 1999 à l’occasion d’une réunion de la direction d’AZ, cité par la Commission au considérant 273 de la décision attaquée, démontre qu’AZ appliquait une stratégie anticoncurrentielle. Ce document ferait uniquement apparaître qu’AZ aurait appliqué une stratégie de défense de sa propriété industrielle. Elles font également observer que le document intitulé « Stratégie postérieure à l’expiration du brevet sur le Losec » fait apparaître qu’Astra était engagée dans une concurrence sur la base des mérites des produits, [confidentiel].

725    Les requérantes estiment que la Commission est mal fondée à considérer, au considérant 274 de la décision attaquée, en relation avec une série de diapositives datées de mai 1997, qu’Astra a eu tort d’envisager une manière d’empêcher le commerce parallèle de Losec issu de marchés dans lesquels le brevet était expiré. Elles font valoir que ces diapositives ne contribuent pas à démontrer un abus de position dominante dès lors qu’elles ne suggèrent pas qu’Astra avait l’intention d’utiliser des moyens illégitimes ou illégaux, ni qu’elle l’a fait.

726    En ce qui concerne les considérants 275 à 306 de la décision attaquée, dans lesquels sont examinés les faits spécifiques relatifs au lancement des comprimés de Losec MUPS, au retrait du marché des gélules de Losec et au retrait des autorisations de mise sur le marché de ces gélules, les requérantes font valoir que, dans la mesure où la Commission a admis, au considérant 793 de la décision attaquée, que le lancement des comprimés de Losec MUPS et le retrait des gélules de Losec ne constituaient pas un abus de position dominante en eux-mêmes, elle devait apporter la preuve que les retraits effectués au Danemark, en Norvège et en Suède avaient pour objectif d’exclure les médicaments génériques et les importations parallèles du marché. Or, une telle preuve n’aurait pas été produite.

727    Il ressortirait du document intitulé « Le récapitulatif des étapes du Losec® MUPS », cité par la Commission au considérant 276 de la décision attaquée, et daté, en réalité, de janvier 1997, que l’équipe centrale de marketing d’Astra avait attiré l’attention des sociétés de commercialisation locales sur le fait que le retrait des gélules de Losec présentait des risques commerciaux et que la décision de retirer les gélules devait être soigneusement évaluée sur chaque marché. Par conséquent, l’équipe centrale de marketing d’Astra aurait invité chaque société de commercialisation locale à prendre sa propre décision sur l’opportunité et le moment du retrait des gélules de Losec. Ce document démontrerait que la décision de retirer du marché les gélules de Losec, notamment en Suède, au Danemark et en Norvège, procédait d’une stratégie commerciale rationnelle et indépendante des sociétés locales, appliquée au motif qu’elle constituait le meilleur moyen de commercialiser le Losec MUPS, et ne procédait pas d’un plan visant à empêcher l’entrée des médicaments génériques ou les importations parallèles sur le marché.

728    Les requérantes considèrent que, au considérant 278 de la décision attaquée, la Commission est mal fondée à déduire du compte rendu d’une réunion interne qui a eu lieu le 18 septembre 1997 que la décision d’Astra relative au lancement des MUPS était motivée par le souhait de restreindre la concurrence. Elles admettent que l’équipe centrale de coordination d’Astra avait examiné les dispositions réglementaires nationales relatives au lancement des comprimés de Losec et au retrait des gélules. Elles font toutefois observer que ce compte rendu indiquait uniquement qu’un projet de stratégie relative aux MUPS devait être préparé pour le 3 octobre 1997. Par ailleurs, la Commission n’aurait pas démontré que les considérations relatives à la réglementation ont déterminé la stratégie centrale d’Astra ou les décisions des sociétés de commercialisation locales. Les requérantes ajoutent que l’auteur de ce document, le Dr N., a fourni un témoignage oral et une déclaration sous serment, dans lesquels il affirme qu’il n’existait pas de stratégie de la part d’AZ.

729    En ce qui concerne la télécopie intitulée « MUPS », citée par la Commission au considérant 279 de la décision attaquée, les requérantes exposent que celle-ci contient un compte rendu d’une réunion tenue le 24 septembre 1997 et présente une compilation de tous les plans nationaux qui visaient à convertir les ventes de gélules de Losec en ventes de Losec MUPS. Elles affirment qu’AZ a expliqué, dans sa réponse écrite (réponse, chapitre 7, section V, points 7.143 à 7.147), que ces décisions ont été prises pour des motifs commerciaux légitimes et qu’elles ne contiennent aucune indication laissant supposer que le lancement des comprimés de Losec et le retrait des gélules de Losec aient été décidés par les sociétés de commercialisation locales pour d’autres motifs.

730    En ce qui concerne l’avant-projet de document du 3 octobre 1997 et intitulé « La stratégie relative au Losec MUPS », cité au considérant 280 de la décision attaquée, les requérantes considèrent que celui-ci fait uniquement ressortir qu’Astra avait l’intention d’introduire sur le marché un produit de meilleure qualité, ce qui serait tout à fait conforme à la concurrence par les mérites. Par ailleurs, ainsi que cela figurerait sur le mémorandum de garde du document, ce dernier aurait été destiné à introduire le débat et n’aurait contenu aucun plan qui aurait déjà été convenu.

731    Il résulterait de ce qui précède que la Commission serait mal fondée à soutenir, au considérant 281 de la décision attaquée, qu’Astra aurait élaboré un plan centralisé visant à restreindre la concurrence en tirant parti des implications juridiques du retrait des autorisations concernant les gélules et qu’elle aurait donné des instructions en ce sens aux sociétés de commercialisation locales. Les passages de documents cités à ce considérant démontreraient en outre qu’il n’était pas de l’intention d’Astra d’agir en méconnaissance du droit de la concurrence et qu’elle a demandé des conseils juridiques à des experts nationaux.

732    En ce qui concerne le considérant 282 de la décision attaquée, les requérantes considèrent que le fait qu’Astra entendait commercialiser le Losec MUPS en priorité sur les marchés pour lesquels l’expiration des brevets sur la substance était imminente ne présente rien d’illégitime dans la mesure où cette décision visait à exercer une concurrence positive, en lançant les comprimés de Losec MUPS, et non une concurrence négative en retirant les gélules de Losec. Par ailleurs, la décision d’Astra d’éviter de commercialiser le Losec MUPS pour la première fois sur un marché où les prix étaient bas serait justifiée par le souci d’assurer que la fixation du prix de ce produit par les autorités nationales d’autres pays ne soit influencée à la baisse. La sélectivité géographique caractérisant la stratégie de commercialisation du Losec MUPS aurait ainsi été dictée par des considérations financières et commerciales, et non par des considérations réglementaires ou la volonté d’entraver le commerce parallèle ou l’entrée sur le marché de produits génériques.

733    S’agissant des considérants 283 à 285 de la décision attaquée, dans lesquels la Commission cite l’avis fourni par un conseil juridique interne portant sur les effets probables du retrait des autorisations relatives aux gélules, les requérantes estiment que cet avis ne démontre pas que la décision relative à la commercialisation du Losec MUPS et au retrait du marché des gélules a été prise en fonction des effets probables du retrait d’une autorisation de mise sur le marché, ni que les décisions relatives au Danemark, à la Suède et à la Norvège aient été prises au niveau central. Il en ressortirait uniquement que l’équipe centrale de coordination d’Astra aurait examiné les questions juridiques soulevées par le retrait des autorisations de mise sur le marché relatives aux gélules. De même, le passage cité au considérant 285 de la décision attaquée ferait tout au plus apparaître qu’Astra était consciente des règles de concurrence lors du lancement des comprimés de Losec et du retrait des gélules de Losec.

734    Les requérantes exposent que, aux considérants 286 à 295 de la décision attaquée, la Commission a cité des passages issus de trois documents, à savoir celui du 29 avril 1998 intitulé « Losec/H 199 scénario », un mémorandum du 30 novembre 1998 intitulé « Projet de document pour la réunion de l’équipe chargée du domaine thérapeutique GI du 4 décembre 1998 » (ci-après l’« équipe GITA ») et un document du 12 mai 1999 intitulé « Le plan de franchise gastro-intestinal, Horizon 1-3, 1999-2007 (et au-delà) ». Sur la base de ces documents, la Commission aurait tenté de démontrer qu’Astra, premièrement, avait lancé le Losec MUPS dans l’intention de retarder ou de perturber l’entrée sur le marché des médicaments génériques et le commerce parallèle, deuxièmement, avait lancé des extensions de gamme dans le but de conserver sa position prépondérante sur le marché jusqu’à ce qu’elle soit prête à lancer un produit entièrement nouveau à base d’ésoméprazole (le Nexium) et, troisièmement, avait l’intention de signaler tous les défauts de qualité des produits génériques présents sur le marché.

735    Les requérantes ne contestent pas les allégations de la Commission sur ces points, mais insistent sur ce qu’Astra n’a fait usage que de moyens licites pour exclure et porter préjudice à ses concurrents. Selon elles, il ressort du document « Losec/H199 scénario » qu’Astra n’exerçait qu’une concurrence par les mérites. Le Losec MUPS aurait constitué un produit supérieur par rapport aux gélules de Losec, ce qui aurait entraîné une réduction de la demande de ces dernières, qu’elles soient génériques ou qu’elles proviennent d’importations parallèles. Par ailleurs, les requérantes rappellent qu’AZ a exposé, aux points 70 à 74 de la réponse à la lettre des faits, que la Commission avait commis une erreur en citant ce document pour établir qu’Astra avait admis que le retrait des autorisations de mise sur le marché était sans précédent et excluait les concurrents. Il est également renvoyé, à cet égard, au témoignage de M. R., portant sur les déclarations qu’il a effectuées lors de la procédure judiciaire qui s’est déroulée au Danemark.

736    S’agissant de l’avant-projet interne relatif à une réunion de l’équipe GITA, les requérantes considèrent que ce document ferait apparaître le souhait d’Astra de rivaliser avec ses concurrents sur la base des mérites, par des moyens légitimes. Elles font valoir, par ailleurs, qu’une analyse approfondie du document intitulé « Le plan de franchise gastro-intestinal, Horizon 1-3, 1999-2007 (et au-delà) » ne révèle pas d’intention malveillante de la part d’Astra d’exclure illégalement la concurrence des produits génériques et des importations parallèles au Danemark, en Norvège et en Suède. Elles procèdent à un exposé détaillé du contenu de ce document avant de conclure que celui-ci révèle uniquement qu’Astra a centralisé des informations sur les questions de propriété intellectuelle et réglementaire et les a diffusées aux sociétés de commercialisation locales.

737    Les requérantes soutiennent également que le fait qu’Astra ait considéré le Losec MUPS comme un produit intermédiaire entre les gélules de Losec et le Nexium est dénué de pertinence, dès lors qu’il n’existait aucun motif pour empêcher le lancement du Losec MUPS uniquement parce que le Nexium était en projet. De plus, le caractère concurrentiel du marché n’aurait pas permis à Astra de retarder longtemps la commercialisation du Losec MUPS. Par ailleurs, en 1997 et en 1998, Astra n’aurait pas su si le Nexium obtiendrait des autorisations de mise sur le marché et n’aurait donc pas encore décidé de le lancer.

738    Les requérantes réaffirment que la raison pour laquelle les sociétés de commercialisation ont décidé de radier les autorisations de mise sur le marché relatives aux gélules de Losec est liée au fait que celles-ci n’étaient plus nécessaires. AZ n’aurait aucune obligation de protéger les intérêts des sociétés commercialisant des produits génériques ou des importateurs parallèles souhaitant tirer profit des données déposées à l’appui des demandes d’autorisations de mise sur le marché. Il n’aurait donc pas été de l’intention d’AZ de radier les autorisations aux fins d’empêcher la concurrence des produits génériques. En effet, l’équipe centrale d’Astra aurait même prévu que l’un des risques du retrait des gélules de Losec était que les gélules génériques progressent au détriment du produit MUPS d’Astra dans la circonstance où celui-ci n’aurait pas de succès.

739     En ce qui concerne les constatations opérées par la Commission aux considérants 296 à 303 de la décision attaquée, les requérantes ne contestent pas qu’Astra entendait retarder l’entrée sur le marché des médicaments génériques et le commerce parallèle par le lancement d’extensions de gammes telles que le Losec MUPS, et ce afin de conserver sa position prépondérante sur le marché jusqu’à ce qu’elle soit prête à commercialiser le Nexium. Elles ne contestent pas davantage qu’Astra avait l’intention de lancer le Losec MUPS avant que des volumes importants de produits génériques n’entrent sur le marché et fassent chuter les prix. Elles considèrent toutefois que ces objectifs ne constituaient pas un abus de position dominante, dans la mesure où aucun moyen illicite n’a été utilisé.

740    Les requérantes estiment que les conclusions que la Commission tire, au considérant 296 de la décision attaquée, d’une télécopie envoyée par Astra le 29 mai 1998, dénature les faits. Il ressortirait de cette télécopie qu’Astra aurait proposé aux sociétés de commercialisation locales de préparer des plans individuels en vue de défendre le brevet sur le Losec et de se protéger elles-mêmes contre le lancement des médicaments génériques. Cette télécopie laisserait ainsi apparaître le caractère décentralisé de la procédure décisionnelle relative au lancement des comprimés de Losec, bien qu’Astra ait assumé au niveau central la responsabilité, d’une part, de coordonner les actions juridiques engagées contre les fabricants de produits génériques concurrents qui avaient violé ses droits de propriété intellectuelle et, d’autre part, d’évaluer les implications juridiques du retrait des gélules de Losec et des autorisations qui y étaient liées. Par ailleurs, la circonstance selon laquelle l’auteur de cette télécopie se plaindrait du fait que les activités d’Astra n’auraient pas été coordonnées corroborerait le fait que le processus décisionnel relatif au lancement du Losec MUPS aurait été en grande partie du ressort des sociétés de commercialisation locales.

741    Les requérantes précisent que l’auteur de la télécopie souhaitait qu’Astra fasse usage de toutes les mesures qui étaient légalement à sa disposition pour empêcher les sociétés génériques de violer ses droits. En réponse aux arguments de la Commission, elles précisent que cette télécopie ne concerne pas la mise en œuvre, pays par pays, d’un plan visant à radier les autorisations de mise sur le marché, mais les activités d’Astra dans le cadre de la défense de ses brevets portant sur le Losec. Elles relèvent, en outre, que, à la date de cette télécopie, à savoir le 29 mai 1998, les gélules de Losec avaient déjà été remplacées par les comprimés de Losec MUPS et les autorisations de mise sur le marché avaient déjà été radiées au Danemark, que le Losec MUPS avait déjà été lancé en Suède et que l’autorisation de mise sur le marché pour le Losec MUPS avait fait l’objet d’une demande en Norvège. Pour cette même raison, la télécopie du 27 mai 1997 et la lettre du 22 octobre 1998, citées par la Commission, ne sauraient étayer sa thèse selon laquelle AZ coordonnait le retrait des autorisations de mise sur le marché, dès lors que ces documents concernent une action de coordination des brevets ultérieure au 27 mai 1998.

742    S’agissant des considérants 304 à 306 de la décision attaquée, les requérantes exposent, dans un tableau, l’ensemble des dates concernant, dans quinze pays, l’introduction sur le marché du Losec MUPS, le retrait du marché des gélules de Losec, les demandes de retrait des autorisations de mise sur le marché relatives aux gélules et la révocation effective de ces autorisations. Elles affirment que le retrait de l’autorisation de mise sur le marché d’Astra Danemark n’a pas eu lieu avant le 6 avril 1998 et, ainsi, qu’il n’a pas eu lieu le 19 mars 1998, date à laquelle la Commission soutient que le second abus de position dominante a commencé. Les dates en cause dans les différents pays démontreraient que les sociétés de commercialisation locales ont agi de manière différente en fonction des circonstances propres aux marchés nationaux. Les requérantes relèvent, en particulier, que les dates du lancement des comprimés de Losec en Suède et en Norvège ont été espacées d’environ neuf mois et celles au Danemark et en Norvège d’environ huit mois et que les retraits des autorisations de mise sur le marché en Suède et au Danemark ont été espacés d’environ cinq mois et ceux intervenus au Danemark et en Norvège d’environ sept mois. Elles font aussi observer que l’intention d’Astra de faire obstacle aux activités des entrants génériques et des importateurs parallèles est infirmée par le fait qu’elle n’a pas demandé le retrait des autorisations relatives aux gélules de Losec aux Pays-Bas et en Allemagne, ce dernier pays ayant été le premier dans lequel les médicaments génériques ont été introduits.

743    Selon les requérantes, le fait qu’Astra ait pris au niveau central la décision de ne pas commercialiser les comprimés de Losec en Grèce, au Luxembourg, au Portugal, en Italie et en Espagne ne permet pas de conclure que les décisions relatives au lancement du Losec MUPS, au retrait du marché des gélules de Losec et au retrait des autorisations de mise sur le marché au Danemark, en Norvège et en Suède aient été adoptées au niveau central. Aucun document ne prouverait l’existence d’une stratégie centralisée, ni que, à supposer qu’une telle stratégie existe, celle-ci ait été appliquée avec l’intention de restreindre la concurrence. De même, les preuves de l’existence d’un abus de position dominante sur lesquelles la Commission tente de s’appuyer ne démontreraient pas que les filiales établies au Danemark, en Norvège et en Suède auraient été davantage soumises à l’influence d’AZ que les filiales établies en Belgique, aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni, qui n’auraient pas radié les autorisations de mise sur le marché. Or, à supposer qu’AZ ait réellement exercé une influence déterminante sur ses filiales, il aurait été logique que les filiales établies en Belgique et aux Pays-Bas procèdent au retrait des autorisations de mise sur le marché, dans la mesure où elles auraient été les premières à être confrontées à la concurrence des produits génériques. De plus, la circonstance que seules 3 des 33 sociétés de commercialisation d’AZ existant dans le monde aient radié les autorisations de mise sur le marché serait inconciliable avec l’allégation selon laquelle AZ exerçait une influence déterminante sur ses filiales.

 Sur les effets

744    S’agissant des effets du comportement d’Astra au Danemark, les requérantes estiment que la Commission n’a pas établi, aux considérants 307 à 311 de la décision attaquée, que l’entrée sur le marché des médicaments génériques a été retardée par le retrait de l’autorisation de mise sur le marché relative aux gélules de Losec et que la Commission a commis une erreur en imputant les difficultés rencontrées par les entrants génériques au retrait de l’autorisation. Elles avancent que les sociétés de produits génériques pouvaient facilement s’appuyer sur l’exonération fondée sur la littérature publiée prévue par la directive 65/65, ainsi que la Commission l’a admis au considérant 830 de la décision attaquée. AZ aurait soumis des preuves à cet égard, démontrant que les autorités compétentes dans les États membres concernés auraient accordé aux sociétés qui l’auraient demandé des autorisations de mise sur le marché sur le fondement de cette exonération. Il est renvoyé, sur ce point, au témoignage apporté par le professeur S. avant la procédure orale et aux conclusions présentées par M. D.-S. lors de la procédure orale des 16 et 17 février 2004. Les requérantes contestent, pour ces raisons, l’affirmation de la Commission selon laquelle le fait qu’une société fabriquant des produits génériques a été exclue signifie que d’autres demandes d’autorisation relatives à des produits génériques n’ont pu aboutir, cette allégation n’étant, en outre, pas étayée.

745    Par ailleurs, dans la mesure où Astra détiendrait un brevet sur la préparation jusqu’en 2007, le retrait de l’autorisation relative aux gélules de Losec n’aurait eu aucun effet sur le degré de concurrence que pouvait en atteindre les médicaments génériques au Danemark. En réponse à l’argument de la Commission, tiré de ce que AZ aurait elle-même estimé que ces brevets ne seraient pas maintenus au Danemark après l’expiration du brevet relatif au principe actif en avril 1999, les requérantes font valoir que la manière dont les tiers perçoivent la solidité du brevet et l’effet de l’existence de ce brevet sur les tiers sont les seuls éléments déterminants. Elles affirment, en outre, que ce brevet était suffisamment solide pour permettre à AZ d’obtenir des injonctions.

746    Les requérantes admettent que quatre importateurs parallèles qui vendaient des gélules de Losec au Danemark depuis 1995 ont quitté le marché lorsqu’Astra a radié l’autorisation de mise sur le marché des gélules de Losec. Elles considèrent toutefois que la Commission n’a pas démontré les raisons de ces départs. Par ailleurs, l’affirmation selon laquelle le maintien des autorisations d’importation parallèle au Danemark aurait entraîné des ventes considérables de gélules de Losec serait sans fondement. En effet, AZ aurait expliqué, au chapitre 7, section VII, point 7.241, de sa réponse écrite, que, en raison du succès du Losec MUPS, les ventes de gélules de Losec auraient décliné de façon importante entre 1998 et 2000 en Suède, en Norvège et aux Pays-Bas, tandis que, en Suède, les importateurs parallèles auraient été autorisés à conserver leurs autorisations d’importation des gélules même après le retrait des autorisations de mise sur le marché, et que, aux Pays-Bas, aucun abus de position dominante n’aurait été identifié par la Commission. Les requérantes contestent que le lien de causalité entre le retrait des autorisations de mise sur le marché et la cessation du commerce parallèle puisse être seulement présumé. Par ailleurs, la Commission n’aurait pas démontré que, si l’autorisation avait été maintenue, il aurait existé une demande appréciable pour les gélules de Losec importées parallèlement. Les requérantes avancent, à cet égard, que, sur la base de ce qui s’est passé sur les autres marchés, il est très improbable qu’il existe une forte demande pour les gélules de Losec importées parallèlement.

747    De même, les requérantes considèrent que la Commission a commis une erreur, aux considérants 312 et 313 de la décision attaquée, en attribuant l’absence, en Suède, de gélules d’oméprazole générique aux difficultés que rencontraient les sociétés de produits génériques pour obtenir des autorisations de mise sur le marché. Les sociétés de produits génériques n’auraient pas été en mesure de vendre les gélules d’oméprazole générique en Suède en raison des CCP détenus par Astra jusqu’au 4 février 2003 sur l’oméprazole sodium et sur la substance d’oméprazole. Par ailleurs, la Commission n’aurait pas tenu compte du fait que les sociétés de produits génériques auraient pu obtenir les autorisations de mise sur le marché sur le fondement de la littérature publiée au sujet de l’oméprazole. Les requérantes relèvent en outre que la Commission a admis, au considérant 855 de la décision attaquée, que la plaignante dans le cadre de la présente affaire a pu entrer sur le marché avant le retrait de l’autorisation de mise sur le marché en Suède. Ainsi, le retrait de l’autorisation de mise sur le marché n’aurait eu aucun effet sur l’entrée des médicaments génériques en Suède. De même, dans ses écritures, la Commission admettrait qu’elle ne sait pas dans quelle mesure l’obtention d’autorisations de mise sur le marché par les autres producteurs génériques a été entravée en Suède en conséquence directe du retrait de l’autorisation d’AZ.

748    En ce qui concerne l’effet du retrait de l’autorisation de mise sur le marché sur le commerce parallèle, les requérantes font observer que la Commission elle-même reconnaît, au considérant 857 de la décision attaquée, qu’elle ne peut affirmer avec certitude l’effet de ce retrait, dans la mesure où le déclin des importations de gélules de Losec peut être notamment dû au succès des comprimés de Losec MUPS. Par ailleurs, à ce même considérant, la Commission aurait admis que les autorisations d’importations parallèles ont été retirées, puis rétablies en Suède.

749    Ces constatations seraient également valables en ce qui concerne la Norvège, pays à l’égard duquel la Commission n’aurait pas davantage démontré, au considérant 323 de la décision attaquée, que le retrait de l’autorisation de mise sur le marché aurait empêché les produits génériques d’accéder au marché. En effet, les requérantes réitèrent, tout d’abord, que les sociétés de produits génériques pouvaient obtenir des autorisations de mise sur le marché sur le fondement de la littérature publiée, et, ensuite, que la Commission a admis, respectivement aux considérants 855 et 858 de la décision attaquée, d’une part, que la plaignante aurait pu entrer sur le marché avant le retrait de l’autorisation de mise sur le marché en Norvège et qu’elle ne pouvait pas déterminer la mesure dans laquelle l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché a été entravée uniquement en conséquence du retrait de l’autorisation et, d’autre part, que la stratégie d’Astra n’a eu aucun succès s’agissant des importations parallèles.

750    Les requérantes ajoutent que l’affirmation de la Commission, selon laquelle le retrait des autorisations de mise sur le marché au Danemark, en Norvège et en Suède aurait eu un effet direct sur la concurrence dans ces pays, est en contradiction avec les considérants 830 et 842 de la décision attaquée, dans lesquels elle a considéré, respectivement, d’une part, que les producteurs de médicaments génériques et les importateurs parallèles n’étaient pas dépendants de l’existence d’une autorisation de mise sur le marché pour pouvoir faire concurrence au titulaire d’une autorisation antérieure et fournir des produits identiques ou similaires et, d’autre part, que les autorisations de mise sur le marché n’avaient pas pour objectif de faciliter l’entrée sur le marché des produits génériques. Par ailleurs, il serait indispensable que la Commission soit à même d’identifier les effets qui ont découlé du retrait des autorisations de mise sur le marché. Or, la Commission serait en défaut de démontrer ces effets.

b)     Arguments de la Commission

751    La Commission conteste le bien-fondé du second moyen.

752    Plus particulièrement, en ce qui concerne les effets du comportement en cause, la Commission fait observer que leur preuve n’est pas nécessaire aux fins de l’établissement d’une infraction à l’article 82 CE lorsqu’il est démontré que celui-ci est susceptible d’en avoir.

753    À cet égard, elle rejette l’assertion des requérantes selon laquelle le lien de causalité entre l’élimination du commerce parallèle et le comportement incriminé n’aurait pas été établi. En effet, un document du conseil d’administration d’AZ Danemark, mentionné au considérant 311 de la décision attaquée, décrirait les effets sur le commerce parallèle d’actions précédemment mises en œuvre dans le cadre de la stratégie MUPS. De même, le document norvégien relatif à la stratégie LPP, mentionné au considérant 302 de la décision attaquée, aurait prévu l’élimination du commerce parallèle à partir du 1er février 1999. Les requérantes elles-mêmes reconnaîtraient que les actions d’AZ ont retardé l’entrée des produits génériques, lorsqu’elles évoquent l’autorisation fondée sur la littérature publiée. La Commission ajoute que, en tout état de cause, ce lien de causalité peut être présumé, compte tenu de ce que les importateurs parallèles étaient juridiquement empêchés d’importer leurs produits.

754    S’agissant des importations parallèles au Danemark, et en réponse à l’argument des requérantes selon lequel il n’y aurait eu qu’une faible demande de gélules de Losec importées parallèlement dans ce pays si l’autorisation avait été maintenue, la Commission renvoie au considérant 298 de la décision attaquée, dans lequel il aurait été constaté que AZ Danemark avait considéré qu’elle risquait de perdre « 75 % du marché » si la concurrence des produits génériques n’était pas contrée.

755    S’agissant des importations parallèles en Suède, la Commission précise que, au considérant 857 de la décision attaquée, elle avait indiqué ne pas pouvoir mesurer l’effet de la radiation. Elle soutient toutefois que la révocation des autorisations d’importation parallèle a nécessairement dû causer la diminution de ces importations, quand bien même elle n’en aurait pas été la cause exclusive. Elle renvoie, à cet égard, à l’explication de l’agence suédoise des produits médicaux, selon laquelle, en l’absence de l’autorisation de mise sur le marché pour le produit de référence, il n’y avait plus « de base pour les autorisations de commerce parallèle » (considérants 313 à 315 et 395 à 398 de la décision attaquée), ainsi qu’à la diminution rapide des ventes (considérant 316 de la décision attaquée). En tout état de cause, il n’aurait pas été nécessaire que la Commission enquête sur les effets réels du comportement d’exclusion, dès lors qu’il ne ferait aucun doute que le second abus en Suède avait pour objectif de restreindre la concurrence et qu’il était capable d’avoir cet effet (voir considérant 318 de la décision attaquée).

756    S’agissant, enfin, des importations parallèles en Norvège, la Commission fait observer que les requérantes n’apportent aucune preuve spécifique et renvoie aux considérants 852 à 854 de la décision attaquée. Elle fait valoir que l’échec de la stratégie quant aux importations parallèles est dû à la circonstance que l’agence norvégienne de contrôle des médicaments a maintenu les licences d’importation parallèle de gélules de Losec dans une démarche que la requérante a considéré comme illégale (considérants 858 et 321 de la décision attaquée).

c)     Appréciation du Tribunal

757    Aux fins d’examiner les griefs avancés par les requérantes, il convient, dans un premier temps, d’exposer le contexte factuel qui a entouré le comportement constitutif du second abus de position dominante identifié par la Commission. Quoique la constatation par la Commission des faits ayant entouré ce comportement ne fait pas, en soi, l’objet de contestation par les requérantes, ces dernières n’en remettent pas moins en cause l’appréciation qu’en a faite la Commission et les conclusions qu’elle en a tirées. Il y a lieu, dès lors, d’exposer une partie du contenu des documents discutés par les parties. Ensuite, certains faits relatifs à la mise en œuvre par AZ du comportement incriminé et à ses effets seront également exposés.

758    Dans un second temps, il sera procédé à l’examen de l’appréciation de ces faits par la Commission à la lumière des griefs avancés par les requérantes.

 Contexte factuel du second abus de position dominante identifié par la Commission

–       Procès-verbal de la réunion du MAC du 9 août 1996

759    Le procès-verbal d’une réunion interne du conseil consultatif de commercialisation (MAC, Marketing Advisory Council), tenue le 9 août 1996, constitue ce que la Commission considère comme étant le premier signe de la préparation de la stratégie postbrevet concernant le Losec (la stratégie LPP). Ce procès-verbal indique qu’AZ « travaill[ait] sur une stratégie complète pré- et postbrevet pour le Losec qui sera[it] finalisée en septembre ». Ce document mentionne également « une stratégie possible pour le MUPS en Europe qui a été discutée avec Astra Hässle, le service juridique, le département des brevets et Astra UK » (voir considérant 266 de la décision attaquée).

–       Mémorandum sur la stratégie LPP du 20 décembre 1996

760    La Commission a également relevé l’existence d’un mémorandum du 20 décembre 1996 sur la stratégie LPP, non produit dans le dossier devant le Tribunal, adressé par le directeur de la société de commercialisation suédoise aux directeurs des sociétés de commercialisation danoise et norvégienne, qui comprendrait un certain nombre de questions concernant, notamment, la façon dont les produits génériques pénétreraient sur le marché selon un scénario « do nothing » (scénario d’inaction). La Commission précise qu’il y était notamment demandé quelles étaient les éventuelles voies juridiques permettant de perturber ou de retarder l’introduction des produits génériques sur le marché et combien de temps pourrait ainsi être gagné (voir considérant 267 de la décision attaquée).

–       Document sur la stratégie LPP du 29 avril 1997

761    Dans la décision attaquée, la Commission a ensuite concentré son attention sur le document relatif à la stratégie LPP du 29 avril 1997. Dans ce document, il est relevé que « [l]e brevet principal de ‘la famille des brevets sur l’oméprazole’, le brevet sur la substance, expirera dans la plupart des marchés majeurs durant la période 1999 - 2004 ». AZ y constate que « [d]ans certains pays, par exemple l’Allemagne, le Danemark, la Norvège, […]le brevet sur la substance expirera en 1999, ce qui signifie que ces marchés seront ouverts à la concurrence des produits génériques et que les ventes et les prix connaîtront une érosion d’ici deux ans, ce qui affectera le niveau des prix dans ces pays ainsi que dans d’autres pays […] en Europe en particulier ». Les auteurs du document relèvent encore que, « [d]ans un scénario ‘do nothing’, [ils] projet[tent] une érosion des ventes de Losec, à la suite de l’expiration du brevet, lesquelles représenteraient en 2006 20 à 30 % du volume maximal des ventes de l’année 2000. » (voir considérant 268 de la décision attaquée).

762    Dans la section du document consacrée à l’objectif de la stratégie LPP, il est indiqué que « [l]e but premier [de la stratégie] LPP est d’identifier les stratégies et les actions clés aux fins de minimiser l’érosion des ventes à la suite de l’expiration du brevet et de développer/lancer des produits présentant un avantage/une différence sur le plan médical pour concurrencer l’oméprazole générique bon marché et maintenir les prix et le volume des ventes » (voir considérant 269 de la décision attaquée).

763    Dans la section du document consacrée aux principes de base de la stratégie LPP, trois principes sont identifiés. Le premier principe consiste en la diversification du Losec avant que n’expire le brevet par l’introduction d’extensions de gammes « bio-équivalentes » offrant des avantages pratiques. Ces extensions de gammes comprennent le Losec MUPS. Cette diversification de la marque avant l’expiration du brevet a pour objectif de protéger les ventes à court et à moyen terme après cette expiration en développant la fidélité des consommateurs et leurs habitudes de consommation en l’absence de produits génériques similaires.

764    Le deuxième principe consiste à retarder l’introduction des produits génériques par le biais de barrières techniques et réglementaires. À cet égard, la constatation suivante est énoncée dans le document :

« Chaque jour de ventes de Losec protégées est appréciable, compte tenu de l’énorme volume des ventes prévues lors de l’expiration du brevet. La création de ces barrières est une priorité majeure et inclut une série d’actions :

–        protection de la documentation ;

–        amélioration de la qualité des produits (par exemple changement de la méthode de synthèse, réductions des impuretés) ;

–        garantir des brevets offensifs/défensifs additionnels autour du Losec et de sa présentation (par exemple brevets sur la formulation) ;

–        élargissement des droits de propriété intellectuelle (par exemple noms commerciaux, forme des comprimés) ;

–        établissement d’un programme de surveillance complet pour identifier les fournisseurs/produits/entreprises potentiels de l’oméprazole générique sur les futurs principaux marchés ;

–        préparation et adoption d’actions en justice fermes et immédiates (par exemple violation d’un brevet sur la formulation) à l’encontre des entreprises introduisant l’oméprazole générique ;

–        examen d’un transfert total des gélules de Losec® vers les comprimés (par exemple MUPS) là où les règles locales de substitution rendraient cette action effective […] Cette approche est probablement pertinente pour les marchés connaissant une expiration de brevets rapprochée dans le temps, compte tenu du moment de la mise à disposition sur le marché de [l’ésoméprazole] (par exemple […] Allemagne, Danemark, Norvège). »

765    Le troisième principe consiste en l’introduction de produits protégés par brevet présentant des avantages cliniques et des différences significatives par rapport à l’oméprazole générique. Cela est présenté dans le document comme étant « [l]a partie la plus importante et la plus critique de la stratégie, qui a pour objet de générer des revenus à long terme après l’expiration du brevet sur [l’oméprazole] ». Les deux premiers principes sont présentés comme étant « pertinents pour le court et moyen terme après l’expiration du brevet » [confidentiel] (voir considérants 270 à 273 de la décision attaquée).

766    Dans la section 11, intitulée « Le processus Astra Hässle », il est indiqué que la stratégie LPP « sera conduite chez Astra Hässle au travers de quatre fonctions distinctes, le comité Losec, le groupe de travail, la ‘Task Force’ et le projet [ésoméprazole] ». AZ ajoute que, « [s]ur la base des priorités fixées par [l’équipe de direction], le [comité Losec] est l’organe de prise de décision en ce qui concerne les questions clés d’importance stratégique et budgétaire relatives au Losec » (voir considérant 812 de la décision attaquée).

–       Discours du directeur du département des brevets d’AZ tenu en octobre 1999 et diapositives de mai 1997

767    La Commission a par ailleurs relevé que, lors d’un discours tenu en octobre 1999, le directeur du département des brevets d’AZ avait confirmé que le but de la stratégie LPP était de ralentir l’entrée des produits génériques sur le marché « afin de donner du temps à l’ésoméprazole » (voir considérant 273 de la décision attaquée).

768    Dans la décision attaquée, la Commission a également fait référence à des diapositives, que les requérantes considèrent datées de mai 1997, sur lesquelles il apparaissait qu’AZ entendait retarder l’entrée de produits génériques sur le marché en défendant les brevets et gagner du temps pour l’ésoméprazole. Elle a constaté qu’AZ se posait la question suivante : « Comment Astra peut-elle empêcher l’importation dans les États de l’UE de l’oméprazole bon marché danois (ou allemand) ? ». La Commission a également constaté que d’autres diapositives (non produites devant le Tribunal) évoquaient la possibilité d’enregistrer une « nuée de brevets » sur les mélanges, les utilisations, les formulations, les nouvelles indications thérapeutiques et les substances chimiques, de façon à ralentir l’entrée des produits génériques sur le marché et à créer de l’incertitude (voir considérant 274 de la décision attaquée).

–       Document « Losec® MUPS STEPSUM » présenté par mémorandum du 26 février 1997

769    En ce qui concerne le transfert des gélules de Losec vers les comprimés, qualifié par la Commission de « stratégie MUPS » comprise dans la stratégie LPP, la Commission a tout d’abord relevé l’existence d’un document intitulé « Losec® MUPS STEPSUM » (le récapitulatif des étapes de commercialisation du Losec® MUPS), présenté par le mémorandum du 26 février 1997. [confidentiel] (voir considérant 276 de la décision attaquée).

770    Dans ce document, AZ a constaté que la plupart des sociétés de commercialisation nationales avaient fait savoir qu’elles entendaient retirer les gélules de Losec progressivement, en fonction de l’acceptation par le marché du Losec MUPS et de la volonté de limiter la confusion des patients et des médecins prescripteurs (voir considérant 277 de la décision attaquée).

–       Procès-verbal de la réunion « Losec MUPS i Europa – ‘Brain Storming’ » du 18 septembre 1997

771    La Commission a également constaté qu’il ressortait du procès-verbal d’une réunion tenue le 18 septembre 1997, ayant pour objet « Losec MUPS i Europa – ‘Brain storming’ », que la direction d’AZ en Suède, y compris son président-directeur général, avait demandé qu’un projet de stratégie MUPS paneuropéenne soit fourni avant le 3 octobre 1997. Ce procès-verbal évoque l’évaluation des conséquences d’un transfert total vers le Losec MUPS, compte tenu des réglementations nationales respectives et soulève les questions de savoir comment ces règles nationales peuvent être exploitées, si les gélules de Losec doivent être retirées ou si elles peuvent être maintenues sur le marché. Des juristes d’entreprise se sont vu attribuer la tâche de procéder à cette évaluation et un membre de la direction d’AZ s’est vu confier celle d’élaborer des plans pays par pays en ce qui concerne l’expiration des brevets (voir considérant 278 de la décision attaquée).

–       Mémorandum du 25 septembre 1997

772    La Commission a relevé, par ailleurs, que, dans un mémorandum du 25 septembre 1997, un membre du personnel d’AZ avait notamment indiqué que « [l]e plan, à tout le moins en Europe (mis à part en Italie, en Espagne et, éventuellement, au Portugal et en Grèce), est de convertir toutes les ventes de gélules de Losec en Losec MUPS » (voir considérant 279 de la décision attaquée).

–       Stratégie MUPS du 3 octobre 1997

773    Dans le document du 3 octobre 1997 exposant le projet de stratégie MUPS, AZ a indiqué ce qui suit :

 « Les extensions de gamme du Losec sont principalement destinées :

–        [confidentiel] ;

–        [confidentiel] ;

–        [confidentiel] ;

–        [confidentiel] ;

–        à exercer une pression plus importante en termes de ressources et de temps sur les entreprises développant de l’oméprazole générique ;

–        [confidentiel]. »

774    Concernant sa stratégie de commercialisation, AZ entend lancer le Losec MUPS dans tous les pays européens, mis à part quelques exceptions, et fonder ce lancement sur une substitution complète des produits, à un rythme considéré comme étant faisable ou approprié pour le marché pris individuellement, [confidentiel] (voir considérant 280 de la décision attaquée).

775    Dans ce document, AZ a indiqué que « le lancement du Losec® MUPS vitaliser[ait] la marque Losec® et [que] la stratégie de transfert [était] destinée à accroître la protection de la marque Losec (contre les produits génériques futurs) et à rendre la marque plus compétitive ». Elle a ajouté que « le Losec MUPS [était] surtout considéré comme une extension de gamme majeure pour protéger les ventes existantes et [qu’]il n’[était] pas attendu de ce produit qu’il génère des ventes supplémentaires importantes, au-delà de ce qui doit résulter de la pénétration continue de la marque Losec dans le marché » (voir considérant 280 de la décision attaquée).

776    Dans la partie intitulée « Considérations juridiques et réglementaires relatives au retrait et au désenregistrement des gélules de Losec® lorsque le Losec MUPS sera autorisé », AZ indique que, lorsque le Losec MUPS sera lancé, les gélules pourront être retirées du marché et leurs autorisations de mise sur le marché pourront, en conséquence, être abandonnées, mis à part en Suède. Elle constate que « [l]es conséquences [de ces actions] du point de vue juridique et réglementaire seront davantage examinées ». En ce qui concerne les produits génériques, AZ pose notamment la question de savoir si « les fabricants de produits génériques pourront obtenir des autorisations pour des formulations en gélules par référence aux gélules d’Astra si les autorisations relatives aux gélules d’Astra ne sont plus en vigueur », [confidentiel]. AZ mentionne également les règles européennes de concurrence et de libre circulation des marchandises en tant qu’aspects devant être pris en considération (voir considérant 281 de la décision attaquée).

777    Sous l’intitulé « Stratégie de fourniture », AZ indique notamment que « [l]es marchés connaissant une expiration précoce du brevet ou ayant des besoins stratégiques spéciaux ([par exemple] la Suède) doivent être prioritaires en ce qui concerne la fourniture du Losec MUPS ».

778    Enfin, sous l’intitulé « Recommandations », AZ indique ce qui suit (voir considérant 282 de la décision attaquée) :

–        [confidentiel] ;

–        une substitution totale est recommandée ;

–        […]

–        il importe que le premier lancement du Losec® MUPS n’ait pas lieu dans un pays à bas prix ;

–        […]

–        ne pas lancer le Losec® MUPS en Italie/Espagne ;

–        [confidentiel] ;

–        défense juridique aussi forte que possible dans tous les marchés afin de protéger Astra de la concurrence générique quelle que soit la formulation. »

–       Mémorandum du 22 octobre 1997 intitulé « Conséquences de la stratégie MUPS – Rapport intérimaire »

779    Dans le mémorandum interne du 22 octobre 1997, intitulé « Conséquences de la stratégie MUPS – Rapport intérimaire », AZ relève, en ce qui concerne les produits génériques, que, « [d]ans la mesure où les demandes pour le Losec MUPS sont fondées sur les informations relatives aux gélules, [AZ] ne sera pas à même de retirer la documentation sur les gélules même si les autorisations à l’égard de celles-ci étaient retirées dans les pays européens ». Elle considère ainsi que, lorsque l’exclusivité des informations relatives aux gélules aura expiré, les fabricants de produits génériques pourront y faire référence s’ils démontrent que leurs produits et le produit présent sur le marché, à savoir le MUPS, sont essentiellement similaires (voir considérant 284 de la décision attaquée).

780    En ce qui concerne les importations parallèles, AZ prévoit que, « [s]i [ses] autorisations [de mise sur le marché] des gélules [de Losec] sont retirées, il ressortira fréquemment des règles nationales applicables aux autorisations d’importations parallèles que ces dernières autorisations relatives aux gélules ne peuvent pas être maintenues [ ; c]ela peut découler […] du fait que les autorisations d’importations parallèles dépendent de l’existence d’une autorisation valide pour le produit original, ou de l’exigence que le produit importé soit ‘le même’ que le produit original [ ; i]l existe des éléments indiquant que plusieurs autorités scandinaves adopteraient généralement cette position ». Évoquant les scénarios de litiges pouvant survenir entre les importateurs parallèles et le fabricant quant au maintien ou non de l’autorisation d’importation parallèle, AZ ajoute que, « [d]ans ce type d’affaire, il est toujours important pour le fabricant de montrer que sa stratégie ne revient pas à compartimenter le marché artificiellement[ ; i]l est, par exemple, important de démontrer que les [autorisations] pour les nouvelles formulations ont été demandées dans tous les pays de l’UE ou qu’il existe des raisons objectives pour agir ainsi » (voir considérants 283 et 285 de la décision attaquée).

–       Document « Losec/H199 scénario » du 29 avril 1998

781    Dans un document interne du 29 avril 1998, intitulé « Losec/H199 scénario », AZ a relevé que « la conversion de la formulation [était] sans précédent » (voir considérant 286 de la décision attaquée).

–       Projet de document du 30 novembre 1998 pour la réunion de l’équipe chargée du domaine thérapeutique GI du 4 décembre 1998

782    S’agissant, ensuite, du document du 30 novembre 1998 intitulé « Projet de document pour la réunion de l’équipe chargée du domaine thérapeutique GI du 4 décembre 1998 » et concernant la période 1999-2000, AZ y a indiqué que « [l]’objectif général de la protection réglementaire [était] de prévenir ou de retarder l’entrée de produits génériques sur le marché » (voir considérant 287 de la décision attaquée).

783    Dans ce document, AZ a décrit les actions qu’elle entendait engager ou qu’elle avait déjà engagées dans certains pays (Australie, Danemark, Finlande et Norvège) en vue de rendre moins aisée la démonstration de l’existence d’une similarité essentielle entre les produits génériques et le produit original. Ces actions incluaient l’élaboration par AZ de dossiers techniques portant sur la qualité relative de certains produits génériques par rapport au Losec et la communication de ces dossiers aux autorités nationales aux fins de les avertir de la mauvaise qualité des produits génériques avant même l’approbation de ces derniers, ou encore l’amélioration des spécifications du Losec sur des bases nationales, de façon à augmenter la qualité du produit original et à rendre plus difficile la conformité des produits génériques à ces spécifications. [confidentiel] (voir considérants 289 et 290 de la décision attaquée).

–       Document concernant le « Plan de franchise gastro-intestinal » du 12 mai 1999

784    S’agissant du document du 12 mai 1999, intitulé « Le plan de franchise gastro-intestinal, Horizon 1-3, 1999 - 2007 (et au-delà) », la Commission a relevé qu’il couvrait la stratégie à long terme pour le domaine thérapeuthique gastro-intestinal dans son ensemble. En ce qui concerne la période 1999 - 2002, seule pertinente en l’espèce, et à laquelle il est fait référence dans le document par « horizon 1 », AZ a à nouveau indiqué que « [l]’objectif essentiel [était] de prévenir ou de retarder l’entrée sur le marché de l’oméprazole générique en prolongeant l’exclusivité du Losec sur le marché ou en exigeant des fabricants de produits génériques qu’ils produisent plus d’informations et de documentation lors des demandes d’autorisations de mise sur le marché ». AZ mentionne trois principes gouvernant les actions adoptées à cette fin, le dernier principe consistant à « accroître les obstacles techniques, biopharmaceutiques et qualitatifs à l’égard des produits génériques » (voir considérants 291 à 293 de la décision attaquée).

785    La Commission a également relevé que ce document énumérait les « actions déjà adoptées » et celles relatives à la période « 1999 - 2002 ». Au titre de ces dernières actions, AZ mentionne notamment « la communication de dossiers techniques en Allemagne, en Belgique, au Danemark, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Suède [ ; l]es spécifications du Losec [devaient être] améliorées afin de créer un obstacle supplémentaire à l’égard de l’oméprazole générique ». AZ indique également « la surveillance de l’impact réglementaire du passage au Losec MUPS sur les importations parallèles et la substitution générique » (voir considérant 294 de la décision attaquée).

–       Documents de stratégies nationales

786    La Commission a relevé que plusieurs sociétés de commercialisation avaient rédigé des documents de stratégie nationale en cohérence avec les documents de stratégie générale provenant de la direction d’AZ. Il s’agissait de sociétés établies en Finlande, en Norvège (octobre 1998), aux Pays-Bas (octobre 1998), au Danemark (novembre 1998) et en Suède (février 1999). La Commission considère qu’il ressort d’une télécopie du 29 mai 1998 de la direction d’AZ, qui militait pour l’adoption de ces stratégies nationales afin d’« assurer, dans toute la mesure du possible, qu’aucun générique n’entre [sur le marché] », que l’élaboration des stratégies nationales danoise, finlandaise et norvégienne était centralisée par AZ en Suède (voir considérant 296 de la décision attaquée).

787    Il ressort de la description et des passages cités par la Commission des documents exposant la stratégie LPP au Danemark, en Norvège et en Suède, en date, respectivement, des 2 novembre et 23 novembre 1998, et 26 février 1999, qu’AZ était consciente de la menace concurrentielle que représentait l’introduction des produits génériques, qui risquait, selon elle, de lui faire perdre la majeure partie du marché, de faire baisser les prix et de rendre très difficile l’obtention pour l’ésoméprazole d’un prix qui soit à un niveau comparable à celui des gélules de Losec, compte tenu de la pratique des autorités nationales, notamment norvégiennes, de fixer les prix et les niveaux de remboursement par référence aux produits comparables ayant le prix le moins élevé sur le marché. Ces documents soulignent l’importance de commercialiser l’ésoméprazole avant que l’oméprazole générique ne soit introduit sur le marché (voir considérants 298 à 301 de la décision attaquée).

788    La Commission a ainsi constaté que les documents de stratégies LPP nationales étaient essentiellement orientés contre l’introduction des gélules génériques ainsi que contre les importations parallèles. À cet égard, la Commission a constaté que, dans le document norvégien sur la stratégie LPP, il était prévu que, à la suite du retrait des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec le 1er novembre 1998, la conversion « reproduira la situation qui a eu lieu lors de l’introduction du MUPS® par Astra Danemark » et que « le commerce parallèle des gélules de Losec® cessera graduellement et sera quasi inexistant dès le 1er février 1999 » (voir considérant 302 de la décision attaquée).

–       Mise en œuvre effective de la stratégie LPP

789    La Commission a constaté que, au Danemark, pays dans lequel le brevet sur la substance concernant l’oméprazole expirait en avril 1999, le lancement du Losec MUPS avait eu lieu le 9 mars, la demande de retrait le 19 mars et le retrait lui-même le 6 avril 1998. En Finlande, pays dans lequel le CCP risquait d’être révoqué et le brevet sur la substance venait à expiration en avril 1999, le lancement du Losec MUPS a eu lieu le 20 mai, la demande de retrait le 28 septembre et le retrait lui-même le 1er octobre 1998. En Norvège, pays dans lequel le CCP risquait également d’être révoqué et le brevet sur la substance venait à expiration en avril 1999, le lancement du Losec MUPS a eu lieu les 1er septembre et 1er novembre, la demande de retrait le 12 octobre et le retrait lui-même le 1er décembre 1998. En Suède, pays dans lequel le CCP devait venir à expiration en février 2002 ou en février 2003 (selon les informations divergentes indiquées à cet égard à la note en bas de page n° 398 et au considérant 313 de la décision attaquée), le lancement du Losec MUPS a eu lieu les 2 février et 1er août, la demande de retrait le 20 août 1998 et le retrait lui-même le 1er janvier 1999 (voir considérant 304 de la décision attaquée).

790    En Allemagne, pays dans lequel elle risquait de perdre son CCP à l’égard de l’oméprazole en avril 1999, AZ a lancé le Losec MUPS le 1er décembre 1998 et retiré du marché les trois formulations en gélules en mars et en octobre 1999 et en décembre 2002. Aux Pays-Bas, AZ a lancé le Losec MUPS en mai 1999 et retiré du marché les gélules de Losec en décembre 1999. Au Royaume-Uni, AZ a lancé le Losec MUPS le 27 septembre 1999 et a initialement retiré du marché les gélules de Losec en septembre/octobre 1999, mais les a réintroduits en décembre 1999 à la suite de l’impossibilité pour les pharmaciens de les délivrer lorsque les prescriptions concernaient les gélules. En Belgique, AZ a introduit le Losec MUPS le 1er décembre 2000 et a retiré les gélules de Losec en septembre 2001 et en septembre 2002. En Irlande, AZ a introduit sur le marché le Losec MUPS le 1er novembre 1999 et a retiré du marché les gélules à la même date. La Commission précise que, le 13 décembre 2002, le retrait des autorisations de mise sur le marché n’avait pas eu lieu ou n’avait pas été demandé dans les pays autres que les quatre « pays nordiques », à savoir le Danemark, la Finlande, la Norvège et la Suède (considérant 305 de la décision attaquée).

–       Effets des retraits des autorisations de mise sur le marché

791    Dans la décision attaquée, la Commission a relevé que, au Danemark, les plaignantes avaient introduit une demande d’autorisation de mise sur le marché pour une version générique du Losec le 23 février, que l’agence pharmaceutique danoise a accordée le 30 novembre 1998. Le 27 avril 1999, AZ a formé un recours contre la décision de l’agence pharmaceutique danoise, considérant que l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65 exigeait que le produit de référence soit effectivement commercialisé non seulement lorsque le producteur de produits génériques introduit sa demande d’autorisation de mise sur le marché, mais également lorsque l’autorité nationale statue sur la demande (voir considérant 307 de la décision attaquée).

792    En janvier 2000, AZ est parvenue à obtenir une injonction contre la commercialisation du produit de la plaignante en invoquant son brevet sur la formulation. AZ a également obtenu le prononcé de cette injonction contre deux autres concurrents (GEA/Hexal et Biochemie), respectivement en mars 2001 et en octobre 2003 (considérant 309 de la décision attaquée).

793    Le 30 septembre 1998, l’agence pharmaceutique danoise a rejeté une demande d’autorisation de mise sur le marché introduite dans le cadre de la procédure abrégée pour un produit générique, au motif que cette demande avait été introduite postérieurement au retrait des autorisations de mise sur le marché du Losec, intervenue le 6 avril 1998 et que, par conséquent, elle ne remplissait pas les exigences posées à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65. Par la suite, l'Østre Landsret (le tribunal régional danois) a, le 23 mai 2001, posé à la Cour une question préjudicielle aux fins de déterminer l’interprétation qu’il convenait de donner à la directive 65/65. Le 25 mai 2001, Ratiopharm a obtenu une autorisation de mise sur le marché pour une version générique des gélules d’oméprazole, par référence au Losec MUPS. Cette entreprise a toutefois dû fournir les résultats de certains tests supplémentaires (considérant 310 de la décision attaquée).

794    S’agissant des importations parallèles, la Commission a relevé, dans la décision attaquée, que, dans un document interne, le conseil d’administration d’AZ Danemark avait constaté que le retrait du Losec du marché en avril 1998 avait exclu les importations parallèles. Selon la Commission, le conseil d’administration y a relevé que « le Losec a[vait] atteint son meilleur résultat jusqu’à présent » (considérant 311 de la décision attaquée).

795    En Suède, l’une des plaignantes a obtenu une autorisation de mise sur le marché pour ses gélules d’oméprazole générique le 29 décembre 1998, trois jours avant que le retrait des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec prenne effet. Cet oméprazole générique a été lancé sur le marché en mai 2000.

796    Sur demande d’AZ, le tribunal de Stockholm a toutefois prononcé une injonction contre la vente de ce produit générique le 17 novembre 2000, sur la base du CCP suédois détenu par AZ pour l’oméprazole sodium, valide jusqu’au 15 novembre 2002. La Commission a relevé que la raison pour laquelle cette injonction n’était pas fondée sur le CCP suédois pour l’oméprazole tenait au fait que, à la suite du retrait de l’autorisation de mise sur le marché du Losec prenant effet au 1er janvier 1999, l’agence des brevets suédoise avait révoqué le CCP détenu par AZ pour l’oméprazole. Toutefois, la cour d’appel des brevets a accueilli le recours formé par AZ, considérant que la nouvelle autorisation de mise sur le marché pour le Losec MUPS était suffisante pour maintenir en vigueur le CCP suédois d’AZ pour l’oméprazole, dont la date d’expiration était fixée, selon ce qui est indiqué au considérant 313 de la décision attaquée, au 4 février 2003.

797    En janvier 2003, deux autres fabricants de produits génériques, Biochemie et Ratiopharm, ont obtenu des autorisations de mise sur le marché et, en février 2003, ont lancé des versions génériques des gélules d’oméprazole. AZ a attrait ces sociétés en justice pour violation de son brevet sur la formulation (considérants 312 et 313 de la décision attaquée).

798    En ce qui concerne les importations parallèles, l’agence des produits pharmaceutiques suédoise a révoqué les autorisations d’importation à la suite du retrait des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec, rendu effectif le 1er janvier 1999. Sur la demande d’un importateur parallèle, l’agence suédoise a accordé une prolongation de six mois de la durée de validité de l’autorisation d’importation, soit jusqu’au 30 juin 1999 (considérants 314 et 315 de la décision attaquée).

799    Des importateurs parallèles ont formé un recours contre la révocation par l’agence des autorisations d’importation suédoises, ce qui a donné lieu à un contentieux administratif devant le tribunal d’Uppsala, puis devant le kammarrätt (cour d’appel administrative, Suède), cette dernière ayant prononcé un arrêt en faveur des intérêts d’AZ le 26 février 1999. Ce contentieux sera ensuite porté devant le Regeringsrätten (Cour suprême administrative, Suède), qui posera à la Cour une question préjudicielle (considérants 316 et 317 de la décision attaquée).

800    S’agissant de la Norvège, la Commission a relevé que la plaignante avait déposé une demande d’autorisation de mise sur le marché pour les gélules d’oméprazole avant le retrait effectif de l’autorisation relative au Losec et l’a obtenue le 1er novembre 1999, ce qui lui a permis de lancer le produit sur le marché le même mois. Toutefois, la commercialisation de ce produit générique a été interdite à la suite du prononcé d’une injonction sur la base du brevet sur la formulation détenu par AZ, en mai 2000. Le 2 juillet 2001, une autre version générique des gélules d’oméprazole a reçu une autorisation de mise sur le marché (considérant 320 de la décision attaquée).

801    Les importations parallèles ont diminué fortement à partir de 1998, mais n’ont pas cessé entièrement. En effet, l’agence de contrôle pharmaceutique norvégienne a accordé des autorisations d’importation de gélules de Losec sur la base des autorisations de mise sur le marché du Losec MUPS, ces dernières étant elles-mêmes fondées sur les autorisations pour les gélules (considérant 321 de la décision attaquée).

 Sur le caractère abusif du comportement mis en œuvre par AZ

–       Sur la stratégie LPP

802    En ce qui concerne, tout d’abord, la stratégie LPP, les requérantes commentent les constatations factuelles opérées par la Commission aux considérants 266 à 303 de la décision attaquée et contestent que cette stratégie développée par AZ soit répréhensible au regard de l’article 82 CE.

803    À cet égard, il y a lieu de relever qu’il ressort de l’ensemble de la documentation rassemblée par la Commission que, avant que n’expirent les brevets sur la substance relatifs aux gélules de Losec, AZ était consciente de la menace que représentait l’entrée sur le marché des produits génériques sur le volume des ventes et le niveau des prix des gélules de Losec et de la nécessité de réagir aux fins de prévenir l’importante détérioration de sa position concurrentielle. AZ a, à cette fin, développé la stratégie LPP, qui est axée sur trois éléments, à savoir, premièrement, des extensions de gamme du Losec comprenant le Losec MUPS, deuxièmement, l’élévation de barrières techniques et réglementaires visant à retarder l’entrée des produits génériques sur le marché et, troisièmement, l’introduction d’un produit de nouvelle génération, l’ésoméprazole (ou « Losec H199/18 »), censé se différencier de l’oméprazole générique par des avantages cliniques significatifs (voir les points 761 à 765 ci-dessus). Cette stratégie avait essentiellement pour but de limiter l’érosion du volume des ventes du Losec [confidentiel]. Le transfert des ventes vers le Losec MUPS et l’élévation d’obstacles techniques et réglementaires étaient ainsi destinés à contenir l’entrée des produits génériques et des importations parallèles dans l’attente du lancement de l’ésoméprazole (voir les points 765 et 767 ci-dessus).

804    Il importe d’observer que l’élaboration par une entreprise, même en position dominante, d’une stratégie ayant pour objet de minimiser l’érosion de ses ventes et d’être en mesure de faire face à la concurrence des produits génériques est légitime et relève du jeu normal de la concurrence, pour autant que le comportement envisagé ne s’écarte pas des pratiques relevant d’une concurrence par les mérites, de nature à profiter aux consommateurs.

805    Or, la Commission ne se prononce pas, dans la décision attaquée, sur la compatibilité avec l’article 82 CE de l’ensemble des actions envisagées dans le cadre des trois principes autour desquels s’articule la stratégie LPP. L’abus de position dominante identifié par la Commission consiste uniquement en le retrait des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec au Danemark, en Norvège et en Suède, combiné avec la conversion des ventes des gélules de Losec vers le Losec MUPS, c’est-à-dire le lancement du Losec MUPS et le retrait du marché des gélules de Losec (voir considérant 860 de la décision attaquée). Ainsi, les arguments des requérantes tendant à défendre la conformité de l’ensemble des actions envisagées dans la stratégie LPP avec l’article 82 CE sont dénués de pertinence pour autant qu’ils n’ont pas trait au comportement incriminé.

–       Sur le caractère abusif du comportement incriminé

806    En ce qui concerne, ensuite, le caractère abusif du comportement incriminé, il convient de rappeler que le comportement qualifié par la Commission d’abus de position dominante consiste en le retrait des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec au Danemark, en Norvège et en Suède, combiné avec la conversion des ventes de gélules de Losec vers le Losec MUPS, c’est-à-dire le retrait du marché des gélules de Losec et l’introduction sur le marché du Losec MUPS.

807    Ainsi que la Commission l’a exposé en réponse aux questions posées par le Tribunal et lors de l’audience, quoiqu’elle ait défini l’abus de position dominante comme la combinaison de ces éléments, l’élément central de celui-ci consiste en le retrait des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec, la conversion des ventes des gélules de Losec vers le Losec MUPS constituant le contexte dans lequel les retraits des autorisations de mise sur le marché ont été effectués.

808    À cet égard, il convient d’observer que la conversion des ventes de gélules de Losec vers le Losec MUPS, à savoir le retrait du marché des gélules de Losec et l’introduction sur le marché du Losec MUPS, n’était pas de nature, à elle seule, à produire les effets anticoncurrentiels mis en cause par la Commission en l’espèce, consistant en la création d’obstacles réglementaires à l’entrée de l’oméprazole générique sur le marché et aux importations parallèles de gélules de Losec.

809    En effet, s’agissant des médicaments génériques, la Cour a retenu que, pour qu’une autorisation de mise sur le marché puisse être délivrée sur la base de la procédure abrégée visée à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65, il importe seulement que tous les renseignements et documents relatifs au médicament de référence restent à la disposition de l’autorité compétente concernée par l’autorisation de mise sur le marché, sans qu’il soit nécessaire que le médicament de référence soit effectivement commercialisé (arrêt AstraZeneca, point 617 supra, point 27). Ainsi, la circonstance que le médicament de référence ait été retiré du marché ne fait pas obstacle à l’utilisation de la procédure abrégée prévue à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65. De même, le lancement du Losec MUPS ne saurait constituer un obstacle à l’utilisation de la procédure abrégée pour des produits pharmaceutiques ayant une similitude essentielle avec les gélules de Losec.

810    Par ailleurs, s’agissant des importations parallèles, il convient d’observer que la Commission n’a pas, dans la décision attaquée, considéré que le retrait du marché des gélules de Losec et l’introduction sur le marché du Losec MUPS étaient de nature à conduire les autorités nationales à révoquer les autorisations d’importation parallèle pour les gélules de Losec. En revanche, elle a relevé, au considérant 264 de la décision attaquée, que les autorisations d’importation parallèle se fondaient traditionnellement sur les autorisations de mise sur le marché existantes de la spécialité pharmaceutique en cause. Par conséquent, seul le retrait des autorisations de mise sur le marché pouvait, par hypothèse, être de nature à inciter les autorités nationales à retirer les autorisations d’importation parallèle. Il ressort de la décision attaquée que tel a été le cas en Finlande et en Suède, pays dans lesquels les autorités nationales ont révoqué les autorisations d’importation parallèle à la suite du retrait des autorisations de mise sur le marché.

811    Ainsi, compte tenu du fait que, en l’espèce, le comportement susceptible d’être qualifié d’abus de position dominante consiste essentiellement en le retrait des autorisations de mise sur le marché, qui est, par hypothèse, l’unique élément pouvant être susceptible de produire les effets anticoncurrentiels mis en cause par la Commission, force est de constater que sont dénués de pertinence les arguments des requérantes tirés, en substance, de ce que, d’une part, le Losec MUPS aurait été introduit sur le marché parce qu’il constituait un produit de meilleure qualité et, d’autre part, les gélules de Losec auraient été retirées du marché en raison du fait que les sociétés de commercialisation locales auraient considéré, notamment à la suite de plusieurs études de marché et d’une étude sur les préférences des consommateurs, qu’il était préférable de ne maintenir qu’un seul produit sur le marché. En l’espèce, il n’y a pas lieu, en effet, de reprocher à AZ ni d’avoir lancé le Losec MUPS ni d’avoir retiré du marché les gélules de Losec, ces actes n’étant pas de nature à élever les barrières réglementaires à l’entrée dénoncées par la Commission, susceptibles de retarder ou d’empêcher l’introduction des produits génériques et les importations parallèles.

812    En revanche, il y a lieu de considérer que le retrait des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec ne saurait être considéré comme un comportement relevant de la concurrence par les mérites. Ainsi qu’il a été relevé au point 675 ci-dessus, ce comportement ne trouve aucun fondement dans la protection légitime d’un investissement tendant à contribuer à la concurrence par les mérites, dans la mesure où AZ ne disposait plus du droit exclusif d’exploiter les résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques. En outre, les requérantes n’apportent aucun élément permettant de considérer que ces retraits étaient nécessaires, ou même utiles, à l’introduction sur le marché du Losec MUPS, ou encore à la conversion des ventes des gélules de Losec vers le Losec MUPS. Ainsi, sans préjudice de la question de savoir si la Commission a démontré à suffisance de droit que le contexte objectif dans lequel le comportement incriminé s’est inscrit permettait de considérer qu’il était de nature à restreindre la concurrence, il convient de relever que le retrait des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec était l’unique élément du comportement identifié par la Commission qui pouvait, le cas échéant, être susceptible de créer des obstacles à l’entrée sur le marché des produits génériques et aux importations parallèles.

813    Les requérantes allèguent de manière itérative qu’aucune preuve documentaire ne contient expressément l’indication qu’AZ a appliqué une stratégie « malveillante » ou « intentionnelle » au Danemark, en Norvège et en Suède visant à radier les autorisations de mise sur le marché afin de retarder l’entrée sur le marché des produits génériques et d’empêcher les importations parallèles. À cet égard, il suffit de rappeler que la notion d’abus de position dominante a un contenu objectif et ne nécessite pas l’établissement d’une intention de nuire (voir, en ce sens, arrêt Aéroports de Paris/Commission, point 309 supra, point 173). Or, il est constant qu’AZ a procédé à ces retraits au Danemark, en Norvège et en Suède. L’absence alléguée d’intention malveillante sous-jacente à ce comportement ne saurait ainsi constituer un obstacle à la qualification d’abus de position dominante retenue par la Commission lorsqu’il est établi que, compte tenu du contexte objectif dans lequel celui-ci est mis en œuvre, il était de nature à retarder ou à empêcher l’introduction des produits génériques et les importations parallèles.

814    En tout état de cause, il ressort clairement des documents sur lesquels la Commission s’est fondée qu’AZ entendait, par le biais de ces retraits, gêner l’introduction des produits génériques et les importations parallèles. Il ressort notamment du document exposant la stratégie MUPS, du 3 octobre 1997 (voir le point 776 ci-dessus), et du mémorandum du 22 octobre 1997 sur les conséquences de la stratégie MUPS (voir le point 780 ci-dessus), qu’AZ était consciente de l’intérêt que pouvait revêtir, aux fins d’élever des barrières à l’entrée de nature réglementaire, le retrait des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec, tant en ce qui concerne l’introduction des produits génériques sur le marché que les importations parallèles. Ces documents montrent également qu’AZ était consciente de ce que l’action envisagée était susceptible d’intéresser les règles européennes de concurrence et de libre circulation des marchandises. La Commission a par ailleurs relevé, au considérant 302 de la décision attaquée, que, dans le document norvégien sur la stratégie LPP, AZ entendait retirer les autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec afin de faire cesser les importations parallèles et de les rendre « quasi inexistantes dès le 1er février 1999 » (voir le point 788 ci-dessus).

815    Les requérantes font encore valoir qu’AZ ne doit pas se voir imposer l’obligation de protéger les intérêts des sociétés commercialisant des produits génériques ou des importateurs parallèles en maintenant les autorisations de mise sur le marché.

816    Toutefois, il y a lieu d’observer que l’absence d’obligation incombant à une entreprise en position dominante de protéger les intérêts des sociétés concurrentes ne rend pas compatible avec l’article 82 CE des pratiques mises en œuvre uniquement aux fins d’exclure les concurrents. En effet, la seule volonté d’une entreprise en position dominante de préserver ses intérêts commerciaux propres et de se prémunir contre la concurrence des produits génériques et des importations parallèles ne justifie pas le recours à des pratiques étrangères à la concurrence par les mérites.

817    Ainsi qu’il a été énoncé au point 672 ci-dessus, en l’absence de motifs tenant aux intérêts légitimes d’une entreprise engagée dans une concurrence par les mérites et en l’absence de justifications objectives, une entreprise en position dominante ne saurait faire usage des procédures réglementaires uniquement de façon à empêcher ou à rendre plus difficile l’entrée de concurrents sur le marché.

–       Sur le caractère centralisé de la stratégie dont découle l’abus de position dominante

818    Les requérantes contestent la considération de la Commission selon laquelle le comportement abusif résulte d’une décision adoptée au niveau central, par les instances dirigeantes d’AZ. À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, qu’il est constant que les sociétés de commercialisation concernées sont détenues à 100 % par AZ (voir considérant 8 et note en bas de page n° 10 de la décision attaquée). Or, le droit communautaire de la concurrence reconnaît que différentes sociétés appartenant à un même groupe constituent une entité économique, et donc une entreprise au sens des articles 81 CE et 82 CE, si ces sociétés ne déterminent pas de façon autonome leur comportement sur le marché (arrêt Michelin/Commission, point 334 supra, point 290).

819    Pour autant que, par cet argument, les requérantes tendent à contester l’existence d’un abus de position dominante, il y a lieu d’observer que, à la supposer établie, la circonstance alléguée par elles, selon laquelle les retraits des autorisations de mise sur le marché opérés au Danemark, en Norvège et en Suède procéderaient d’une procédure décisionnelle décentralisée, n’aurait, par hypothèse, aucune incidence sur la qualification du comportement en cause d’abus de position dominante retenue par la Commission. Il n’est en effet pas requis, pour qu’un comportement donné puisse être qualifié d’abusif au sens de l’article 82 CE, qu’il soit mis en œuvre à la suite d’une stratégie élaborée par les instances dirigeantes du groupe, ni qu’il ait été adopté avec l’intention avérée de restreindre la concurrence. Un comportement mis en œuvre par l’une des sociétés faisant partie de l’entité économique que constitue le groupe est également susceptible d’enfreindre l’article 82 CE.

820    En outre, ainsi que la Commission le fait valoir, compte tenu de ce que les sociétés de commercialisation sont détenues en totalité par AZ, il n’est pas nécessaire d’examiner si AZ pouvait influer de manière déterminante sur la politique de ses filiales, ces dernières suivant nécessairement une politique tracée par les mêmes organes statutaires qui déterminent la politique de la société mère (voir, en ce sens, arrêt AEG-Telefunken/Commission, point 719 supra, point 50 ; arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, Rec. p. II‑931, points 961 et 984).

821    À titre surabondant, il y a lieu de relever que, quoique la Commission n’ait pas établi, sur la base des preuves documentaires, que les retraits des autorisations de mise sur le marché au Danemark, en Norvège et en Suède avaient été opérés sur la base d’instructions précises en ce sens provenant de la direction d’AZ, il demeure que ces retraits s’inscrivent parfaitement dans le cadre de la stratégie élaborée par AZ au niveau central. Il y a lieu de relever, à cet égard, que l’ensemble des documents que la Commission a mentionnés proviennent de la direction centrale d’AZ et laissent apparaître la forte implication des instances dirigeantes d’AZ. Ainsi, la stratégie LPP du 29 avril 1997 a été élaborée au niveau central et les questions spécifiques quant à sa mise en œuvre ont également été étudiées à ce niveau. Cela ressort, notamment, du procès verbal de la réunion du 18 septembre 1997, intitulé « Losec MUPS i Europa – ‘Brain Storming’ » (voir le point 771 ci-dessus), qui provient du département des brevets, en Suède, du document sur la stratégie MUPS du 3 octobre 1997 (voir le point 773 ci-dessus), d’Astra Hässle, en Suède, du mémorandum du 22 octobre 1997, intitulé « Conséquences de la stratégie MUPS – Rapport intérimaire » (voir le point 779 ci-dessus), dont l’auteur est un membre du service juridique d’AZ, ou encore du document du 12 mai 1999 intitulé « Le plan de franchise gastro-intestinal » (voir le point 784 ci-dessus), d’Astra Hässle. En effet, ces quatre documents démontrent que la possibilité d’un retrait des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec avait été envisagée au niveau central d’AZ et que les conséquences d’un tel retrait sur l’introduction des produits génériques et sur les importations parallèles avaient été examinées à ce niveau (voir plus particulièrement les points 776, 779 et 780 ci-dessus).

822    Par ailleurs, il ne saurait être nié que la télécopie du 29 mai 1998, adressée par le directeur de la société de commercialisation suédoise (qui faisait également partie de la direction centrale en tant que « directeur régional pour les pays nordiques ») aux directeurs des sociétés de commercialisation danoise, finlandaise et norvégienne (voir considérant 815 de la décision attaquée), montre que la direction d’AZ suivait étroitement la mise en œuvre de la stratégie de défense contre les produits génériques. En effet, l’auteur de ce document fait part de son inquiétude face au manque de dynamisme et de coordination des sociétés de commercialisation locales dans la mise en œuvre de la stratégie LPP. L’allégation des requérantes selon laquelle cette télécopie ne concernait que les actions en justice visant à défendre les brevets ne saurait être admise en l’absence d’élément venant la corroborer, compte tenu du contexte dans lequel cette télécopie s’inscrit, tel qu’il ressort de l’ensemble des preuves documentaires examinées par la Commission.

823    L’effort de coordination entre les sociétés de commercialisation est, en outre, également attesté par la lettre adressée le 22 octobre 1998 par Astra Norvège au directeur de la société de commercialisation suédoise, qui fait référence à une « stratégie nordique des brevets » et qui présente une troisième version du document exposant la stratégie norvégienne. Ainsi que la Commission le fait valoir, cette lettre montre la nature interactive des relations entre les niveaux central et local dans la mise en œuvre de la stratégie au niveau local.

 Sur la nature restrictive de concurrence du comportement incriminé

824    Il convient de relever, tout d’abord, que, s’agissant d’un comportement tel que celui en cause en l’espèce, consistant en l’usage de procédures réglementaires sans aucun fondement dans une concurrence par les mérites, la démonstration que, compte tenu du contexte économique ou réglementaire dans lequel ce comportement s’insère, celui-ci est de nature à restreindre la concurrence est suffisante aux fins de sa qualification comme abus de position dominante.

825    En l’espèce, il a été constaté aux points 675 et 812 ci-dessus que le retrait des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec, d’une part, ne trouvait aucun fondement dans la protection légitime d’un investissement s’inscrivant dans une concurrence par les mérites et, d’autre part, n’était pas requis par la conversion des ventes d’AZ des gélules de Losec vers le Losec MUPS.

826    Par conséquent, pour autant qu’il est établi que, au Danemark, en Norvège et en Suède, les retraits des autorisations de mise sur le marché étaient de nature à constituer un obstacle à l’entrée sur le marché des produits génériques et aux importations parallèles, les arguments des requérantes tendant à contester les effets que ce comportement a eus en pratique ne sauraient influer sur la qualification du comportement incriminé d’abus de position dominante.

827    Toutefois, ces arguments sont susceptibles de mettre en cause le bien-fondé de cette qualification dans la mesure où les requérantes tendent à faire valoir que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit que, compte tenu du contexte objectif dans lequel le comportement incriminé a été mis en œuvre, celui-ci était de nature à empêcher ou à retarder l’introduction sur le marché des produits génériques et les importations parallèles. Il y a lieu, dès lors, d’examiner ce point à la lumière des griefs formulés par les requérantes.

828    En ce qui concerne, en premier lieu, la capacité qu’a le retrait des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec de gêner l’introduction sur le marché des versions génériques des gélules d’oméprazole, il y a lieu de rappeler que la Cour a retenu que, pour qu’une demande d’autorisation de mise sur le marché d’un médicament générique puisse être traitée dans le cadre de la procédure abrégée prévue à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65, l’autorisation de mise sur le marché du médicament de référence doit être en vigueur à tout le moins à la date d’introduction de cette demande (arrêt AstraZeneca, point 617 supra, point 49). Force est donc de constater que le comportement d’AZ a rendu indisponible la procédure abrégée visée par cette disposition et était, par conséquent, de nature à retarder l’octroi d’autorisations pour la commercialisation des produits génériques au Danemark, en Norvège et en Suède.

829    Les requérantes font toutefois valoir que les concurrents potentiels auraient pu suivre la procédure prévue à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), ii), de la directive 65/65, qui permet au demandeur de démontrer, par la seule référence détaillée à la littérature scientifique publiée, que la spécialité pharmaceutique pour laquelle une autorisation de mise sur le marché est sollicitée présente une efficacité reconnue et un niveau acceptable de sécurité. À cet égard, il convient de relever, ainsi que le fait observer la Commission, que la circonstance que le cadre réglementaire offre une voie alternative pour obtenir une autorisation de mise sur le marché ne supprime pas le caractère abusif du comportement d’une entreprise en position dominante qui, considéré objectivement, a pour unique objet de rendre indisponible la procédure abrégée prévue par le législateur à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65 et, partant, de tenir les producteurs de produits génériques hors du marché le plus longtemps possible et d’augmenter leurs coûts pour surmonter les barrières à l’entrée sur le marché.

830    À cet égard, il y a lieu de rappeler, à nouveau, que le comportement d’AZ consistant en les retraits de ses autorisations de mise sur le marché ne trouve aucun fondement dans la protection légitime d’un investissement tendant à contribuer à la concurrence par les mérites, compte tenu du fait qu’AZ ne disposait plus du droit exclusif d’exploiter les résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques auxquels elle avait procédé et que ces retraits n’étaient pas requis par la conversion des ventes d’AZ des gélules de Losec vers le Losec MUPS.

831    En outre, il convient de relever que la circonstance que la Commission n’ait pas été en mesure d’évaluer avec précision le retard causé aux concurrents pour accéder au marché n’influe pas sur la considération selon laquelle le comportement en cause était de nature à restreindre la concurrence, dès lors qu’il est établi que ce retrait a eu pour conséquence de rendre la voie de la procédure abrégée prévue à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65 indisponible.

832    Par ailleurs, le fait que l’article 7 de la directive 65/65 prévoit un délai n’excédant pas en tout état de cause 210 jours pour les procédures d’octroi d’autorisations de mise sur le marché ne signifie pas que le retard occasionné aux concurrents pour entrer sur le marché ne saurait être supérieur à ce délai. Ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 854 de la décision attaquée, à défaut d’être avertis par avance des retraits des autorisations de mise sur le marché opérés par AZ, les producteurs de produits génériques ne pouvaient en prendre connaissance qu’une fois que ceux-ci avaient eu lieu. Or, il y a tout lieu de considérer que c’est seulement à compter de la prise de connaissance de ces retraits que les concurrents commenceraient, par hypothèse, leurs recherches visant à rassembler la littérature scientifique publiée aux fins d’obtenir des autorisations de mise sur le marché conformément à la procédure visée à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), ii), de la directive 65/65. En effet, avant que la procédure visée à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de ladite directive ne soit rendue indisponible, les fabricants de produits génériques n’avaient aucune raison d’envisager d’utiliser la procédure relative à la littérature publiée.

833    Il importe de souligner, également, ainsi que le fait valoir la Commission, que les procédures autres que la procédure visée à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65, telles que la procédure fondée sur la littérature publiée ou encore la procédure hybride, une procédure intermédiaire se situant entre la procédure complète d’autorisation de mise sur le marché et la procédure visée à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65, nécessitent la satisfaction de conditions qui vont au-delà de celles qui sont requises par la procédure visée à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de ladite directive, telles que la production de données complémentaires. Ces autres procédures sont ainsi plus onéreuses pour les fabricants de produits génériques et durent nécessairement plus longtemps que la procédure abrégée visée à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65.

834    Les retraits des autorisations de mise sur le marché étaient ainsi de nature à permettre à AZ de retarder, à tout le moins temporairement, la pression concurrentielle importante que les produits génériques devaient exercer sur elle. Or, il ressort des documents internes d’AZ examinés par la Commission qu’un tel retard pouvait être d’une grande utilité pour AZ, aux fins de garantir des prix aussi élevés que possible en vue de l’introduction sur le marché de l’ésoméprazole à un prix avantageux (voir les points 765 et 767 ci-dessus). En outre, compte tenu des volumes de ventes en jeu, tout retard quant à l’entrée des produits génériques sur le marché était appréciable pour AZ (voir le point 764 ci-dessus).

835    Il résulte de ce qui précède que la circonstance invoquée par les requérantes, selon laquelle les concurrents d’AZ auraient pu obtenir des autorisations de mise sur le marché par la voie de la procédure relative à la littérature publiée, ne suffirait pas à retirer le caractère abusif au comportement consistant notamment en le retrait des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec, dès lors qu’il est uniquement de nature à exclure du marché, à tout le moins temporairement, les fabricants concurrents de produits génériques.

836    Par ailleurs, la circonstance, invoquée par les requérantes, selon laquelle AZ aurait, d’une part, détenu en Suède un brevet sur la préparation jusqu’en 2007, ainsi que des CCP sur l’oméprazole sodium et la substance d’oméprazole jusqu’au 4 février 2003 et, d’autre part, obtenu contre ses concurrents le prononcé d’injonctions sur la base de ses brevets sur la formulation ou de ses CCP au Danemark, en Norvège et en Suède, est dénuée de pertinence quant à la nature anticoncurrentielle du retrait des autorisations de mise sur le marché. La circonstance qu’AZ disposait de différents moyens d’ordre réglementaire ou judiciaire, dont certains étaient légitimes sous l’angle de la concurrence par les mérites, pour créer des obstacles à l’introduction sur le marché des produits génériques et, ainsi, que le comportement incriminé n’était pas le seul à pouvoir produire ou à avoir produit l’effet restrictif de concurrence recherché ne supprime en aucune façon le caractère abusif de ce comportement, lorsqu’il est établi que celui-ci était en tout état de cause de nature à restreindre la concurrence.

837    En outre, le fait que les plaignantes aient pu obtenir des autorisations de mise sur le marché sur la base de la procédure abrégée visée à l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65, dans la mesure où elles ont déposé leurs demandes avant que les retraits des autorisations de mise sur le marché d’AZ ne soient devenus effectifs, ne saurait manifestement retirer au comportement incriminé son caractère abusif. Il est précisément reproché à AZ d’avoir rendu indisponible cette procédure abrégée vis-à-vis de tout fabricant de gélules d’oméprazole générique souhaitant déposer une demande d’autorisation de mise sur le marché postérieurement au retrait effectif des autorisations de mise sur le marché d’AZ.

838    En ce qui concerne, en second lieu, la capacité des retraits des autorisations de mise sur le marché à restreindre les importations parallèles, les requérantes contestent que ces retraits soient la cause de la diminution des importations parallèles de gélules de Losec et font valoir que la diminution de ces importations parallèles est due au succès du Losec MUPS. Il convient d’examiner le bien-fondé de cet argument en ce qui concerne, respectivement, le Danemark, la Norvège et la Suède.

839    Il convient de rappeler, à cet égard, ainsi qu’il a été énoncé, en substance, aux points 474 et 475 ci-dessus, qu’il revient à la Commission d’établir les éléments de preuve propres à démontrer l’existence des faits constitutifs d’une infraction à l’article 82 CE (arrêt Microsoft/Commission, point 32 supra, point 688), l’existence d’un doute dans l’esprit du juge devant profiter, dans le cadre d’un recours tendant à l’annulation d’une décision constatant une infraction et infligeant une amende, à l’entreprise qui en est destinataire (voir, par analogie, arrêt Coats Holdings et Coats/Commission, point 476 supra, points 68 et 69).

840    S’agissant du Danemark, le Tribunal observe que, au considérant 311 de la décision attaquée, la Commission s’est limitée à relever qu’un document interne émanant du conseil d’administration d’AZ Danemark a fait état de ce que l’introduction sur le marché du Losec MUPS et le retrait du marché des gélules de Losec « revenait à exclure tout commerce parallèle d’oméprazole ». Dans la décision attaquée, la Commission ne précise ainsi pas si les autorisations d’importations parallèles de gélules de Losec ont été révoquées au Danemark par les autorités publiques.

841    La Commission fait toutefois valoir qu’il est raisonnable de considérer qu’un lien de causalité existe entre le retrait de l’autorisation de mise sur le marché des gélules de Losec au Danemark et l’exclusion du commerce parallèle dans ce pays.

842    À cet égard, il convient de relever que, en réponse aux questions préjudicielles que lui ont adressées les juridictions finlandaise et suédoise, la Cour a considéré que le retrait des autorisations de mise sur le marché pour des motifs autres que la santé publique ne justifiait pas la cessation automatique de l’autorisation d’importation parallèle, lorsque la protection de la santé publique que vise à garantir la pharmacovigilance peut être assurée par des moyens alternatifs, tels qu’une collaboration avec les autorités nationales des autres États membres. Par conséquent, les articles 28 CE et 30 CE s’opposent à ce que le retrait de l’autorisation de mise sur le marché d’un produit pharmaceutique implique, à lui seul, le retrait de l’autorisation d’importation parallèle accordée pour le médicament en cause, en l’absence de risque pour la santé des personnes lié au maintien dudit médicament sur le marché de l’État membre d’importation (arrêts de la Cour du 8 mai 2003, Paranova Läkemedel e.a., C‑15/01, Rec. p. I‑4175, points 25 à 28 et 33, et Paranova, C‑113/01, Rec. p. I‑4243, points 26 à 29 et 34 ; voir, également, arrêt Ferring, point 659 supra, points 38 à 40).

843    Or, il convient de relever que la décision attaquée ne contient aucun élément indiquant que, avant le prononcé de ces arrêts par la Cour, la pratique des autorités danoises consistait en le retrait automatique des autorisations d’importations parallèles à la suite du retrait des autorisations de mise sur le marché du produit en cause pour des motifs étrangers à la santé publique. Dans ces conditions, l’argument de la Commission selon lequel il est raisonnable de considérer qu’un lien de causalité existe entre le retrait de l’autorisation de mise sur le marché des gélules de Losec au Danemark et l’exclusion du commerce parallèle dans ce pays revient à postuler une présomption selon laquelle les autorités danoises avaient retiré les autorisations d’importations parallèles, le cas échéant en violation du droit de l’Union européenne.

844    À cet égard, en réponse aux questions posées par le Tribunal, la Commission fait valoir que le retrait de l’autorisation de mise sur le marché a créé une situation d’incertitude juridique en ce qui concerne la validité des autorisations d’importations parallèles de ces mêmes gélules, de sorte qu’il y a lieu de retenir que ce retrait était susceptible de produire des effets restrictifs de concurrence. Selon la Commission, il est évident que, sans le retrait des autorisations de mise sur le marché, les autorités nationales auraient sans aucun doute permis la poursuite du commerce parallèle des gélules de Losec.

845    Il convient toutefois de relever, ainsi qu’il a été considéré au point 824 ci-dessus, que la qualification d’abus de position dominante d’un comportement tel que celui en cause en l’espèce, consistant en l’usage de procédures réglementaires sans aucun fondement dans une concurrence par les mérites, requiert à tout le moins la démonstration que, compte tenu du contexte économique ou réglementaire dans lequel ce comportement s’insère, celui-ci est de nature à restreindre la concurrence.

846    Conformément à l’arrêt Coats Holdings et Coats/Commission, point 476 supra, points 68 et 69, il incombe ainsi à la Commission d’apporter des éléments tangibles indiquant que, en l’espèce, compte tenu du contexte réglementaire en cause, les autorités nationales étaient susceptibles de retirer, voire retiraient habituellement les autorisations d’importations parallèles à la suite du retrait, sur demande de leur titulaire, des autorisations de mise sur le marché du produit en cause.

847    Or, en ce qui concerne le Danemark, la Commission n’a produit aucun élément indiquant à suffisance de droit que les autorités danoises étaient susceptibles de retirer, en contravention avec les articles 28 CE et 30 CE, les autorisations d’importation parallèle à la suite du retrait par AZ de ses autorisations de mise sur le marché. En outre, il y a lieu de relever que la Commission n’a pas même établi, dans la décision attaquée, que les autorités danoises avaient révoqué les autorisations d’importations parallèles des gélules de Losec.

848    À cet égard, il convient de relever que, compte tenu du contexte réglementaire en l’espèce, le mémorandum du 22 octobre 1997 (voir les points 779 et 780 ci-dessus), dans lequel des conseils internes d’AZ ont émis l’opinion selon laquelle « plusieurs autorités scandinaves adopteraient généralement » la position selon laquelle les autorisations d’importations parallèles ne pourraient pas être maintenues après le retrait des autorisations de mise sur le marché (voir considérant 283 de la décision attaquée), ne saurait constituer un élément de preuve suffisant. Ce document ne reflète que l’opinion personnelle, voire les attentes, des membres des services d’AZ quant à la réaction de « plusieurs autorités scandinaves », sans toutefois établir que les autorités danoises étaient effectivement enclines à retirer, potentiellement en violation des articles 28 CE et 30 CE, les autorisations d’importation parallèle à la suite du retrait par AZ de son autorisation de mise sur le marché pour des motifs étrangers à la santé publique. Ce document est, en outre, insuffisant pour établir que la cessation des importations parallèles au Danemark trouve sa cause dans le retrait par AZ de l’autorisation de mise sur le marché des gélules de Losec.

849    Tout au plus y a-t-il lieu de considérer que ce document laisse apparaître l’intention d’AZ d’exclure les importations parallèles au moyen du retrait de l’autorisation de mise sur le marché des gélules de Losec. Toutefois, il importe de souligner que, si l’intention d’une entreprise en position dominante de restreindre la concurrence par des moyens étrangers à la concurrence par les mérites peut être prise en considération dans l’identification d’un abus de position dominante, une telle identification doit en premier lieu reposer sur le constat objectif d’un comportement qui, compte tenu du contexte dans lequel il est mis en œuvre, est de nature à restreindre la concurrence.

850    Par ailleurs, la référence à un document du conseil d’administration d’AZ Danemark (considérant 311 de la décision attaquée), dans lequel il est indiqué que, « [e]n mars 1998, le Losec MUPS a été introduit et en avril les gélules de Losec ont été retirées du marché[, ce qui] revenait à exclure tout commerce parallèle d’oméprazole », ne saurait pas davantage fonder à suffisance de droit la considération selon laquelle le retrait des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec était susceptible de conduire à la cessation de ces importations parallèles. En effet, dans ce document, aucun lien n’est établi entre le retrait de l’autorisation de mise sur le marché des gélules de Losec et l’exclusion des importations parallèles.

851    Il y est fait état, tout au mieux, d’un lien entre, d’une part, le basculement des ventes d’AZ des gélules de Losec vers le Losec MUPS et, d’autre part, l’exclusion des importations parallèles des gélules de Losec. Or, les requérantes font précisément valoir que la diminution ou la cessation des importations parallèles de gélules de Losec est due à la migration des consommateurs vers le Losec MUPS et, ainsi, à la diminution de la consommation des gélules de Losec. Ainsi qu’il ressort du dossier, cela était l’effet recherché par AZ dans sa stratégie tendant à faire basculer ses activités vers la vente de Losec MUPS.

852    Dans ces circonstances, en l’absence de toute indication à cet égard dans la décision attaquée et compte tenu du fait qu’il n’est pas même établi que les autorités danoises ont révoqué les autorisations d’importations parallèles des gélules de Losec, l’admission d’une présomption de lien de causalité entre le retrait de l’autorisation de mise sur le marché des gélules de Losec au Danemark et la cessation des importations parallèles de ce produit dans ce pays serait incompatible avec le principe selon lequel le doute doit bénéficier au destinataire de la décision constatant l’infraction, tel que rappelé par le Tribunal dans l’arrêt Coats Holdings et Coats/Commission, point 476 supra (points 68 à 70). De même, compte tenu des arrêts Paranova Läkemedel e.a., Paranova, point 842 supra, et Ferring, point 659 supra, la Commission ne pouvait pas retenir, en l’absence d’éléments de preuve sur ce point, que le retrait de l’autorisation de mise sur le marché était de nature à conduire au retrait des autorisations d’importation parallèle au Danemark.

853    La Commission fait encore valoir que les requérantes admettent que le retrait de l’autorisation de mise sur le marché ait entraîné l’interdiction du commerce parallèle par les autorités publiques. Le Tribunal constate toutefois qu’une telle admission explicite de la part des requérantes ne saurait être identifiée dans leurs écritures et qu’elle ne saurait être induite a contrario, sauf à risquer de déformer, voire de dénaturer, le contenu de leurs arguments.

854    Il convient, par ailleurs, de rejeter l’allégation de la Commission selon laquelle les requérantes ne contestent pas, dans leurs écritures, qu’elle a établi un lien de causalité entre les retraits des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec au Danemark, en Norvège et en Suède et la diminution des importations parallèles dans ces pays. En effet, dans leurs écritures, les requérantes contestent bel et bien que la Commission ait établi ce lien de causalité.

855    Il y a lieu, par conséquent, de considérer que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit que le retrait, au Danemark, de l’autorisation de mise sur le marché des gélules de Losec était susceptible d’exclure les importations parallèles de ces produits.

856    En ce qui concerne la Norvège, il y a lieu d’observer que, au considérant 321 de la décision attaquée, la Commission a relevé que les importations parallèles de Losec avaient enregistré une baisse importante à partir de l’année 1998, sans toutefois disparaître entièrement. Elle a constaté, en effet, que l’autorité norvégienne avait autorisé la poursuite des importations parallèles de gélules de Losec par référence à l’autorisation de mise sur le marché détenue par AZ pour le Losec MUPS, qui était elle-même fondée sur l’autorisation de mise sur le marché des gélules de Losec.

857    À cet égard, il convient d’observer que, dans son arrêt Rhône-Poulenc Rorer et May & Baker, point 622 supra (point 48), la Cour a retenu que, dans des circonstances semblables à celles en cause en l’espèce, l’autorité nationale d’un État membre d’importation pouvait accorder une autorisation d’importation pour la version première d’un produit pharmaceutique à l’égard duquel l’autorisation de mise sur le marché de référence a été retirée dans cet État, lorsqu’une autorisation de mise sur le marché pour la seconde version de ce produit pharmaceutique a été accordée dans cet État membre d’importation. Ainsi, en l’espèce, le comportement de l’autorité norvégienne, consistant à autoriser la poursuite des importations parallèles de gélules de Losec par référence à l’autorisation de mise sur le marché détenue par AZ pour le Losec MUPS, s’inscrit dans la pratique réglementaire admise par la Cour.

858    Si, ainsi que le relève la Commission au considérant 321 de la décision attaquée, les importations parallèles ont connu une baisse importante en Norvège, il ne saurait être présumé, en l’espèce, pour les motifs exposés aux points 842 et 846 ci-dessus, que le retrait de l’autorisation de mise sur le marché des gélules de Losec dans ce pays en soit la cause. Le fait que l’autorité norvégienne ait maintenu les autorisations d’importations parallèles des gélules de Losec tend, en outre, à indiquer que la baisse des importations parallèles ne trouve pas nécessairement sa cause dans le retrait des autorisations de mise sur le marché.

859    Ainsi, pour les motifs exposés au point 852 ci-dessus, selon lesquels il revient à la Commission d’établir les éléments de preuve propres à démontrer l’existence d’un abus de position dominante, celle-ci ne pouvait pas, en l’espèce, sans éléments de preuve, considérer que le retrait de l’autorisation de mise sur le marché des gélules de Losec en Norvège pour des motifs étrangers à la santé publique était de nature à conduire au retrait des autorisations d’importation parallèle pour ce produit dans ce pays, ni présumer que la forte diminution des importations parallèles de gélules de Losec avait été causée par le retrait de l’autorisation de mise sur le marché relative à ce produit.

860    Aux fins d’apprécier la nature anticoncurrentielle du comportement en cause à l’égard des importations parallèles, il revenait ainsi à la Commission d’établir, à tout le moins, quelle était la pratique des autorités norvégiennes quant aux conditions d’octroi des autorisations d’importations parallèles.

861    Il y a lieu, par conséquent, de considérer que la Commission n’a pas non plus démontré à suffisance de droit que le retrait, en Norvège, de l’autorisation de mise sur le marché des gélules de Losec était susceptible d’exclure les importations parallèles de gélules de Losec.

862    S’agissant de la Suède, en revanche, il n’est pas contesté que l’agence des produits pharmaceutiques suédoise considérait que les autorisations d’importations parallèles ne pouvaient être accordées qu’en présence d’autorisations de mise sur le marché valides (considérant 315 de la décision attaquée). En outre, il est également établi que cette agence a retiré les autorisations d’importation à la suite du retrait de l’autorisation de mise sur le marché des gélules de Losec, bien qu’un prolongement de six mois d’une autorisation ait été accordé à un importateur parallèle (voir point 798 ci-dessus). Il en résulte sans ambiguïté que le retrait des autorisations de mise sur le marché était de nature à entraver les importations parallèles.

863    La circonstance que la Commission ne soit pas en mesure d’évaluer avec précision l’effet que ce retrait a eu sur les importations parallèles n’influe pas sur le caractère abusif de ce comportement, dès lors qu’il est établi que celui-ci était susceptible d’entraver les importations parallèles et que, en outre, il les a effectivement entravées en l’espèce.

 Conclusion

864    Compte tenu de l’ensemble de ce qui précède, il y a lieu de considérer que la Commission n’a pas commis d’erreur en retenant que le comportement d’AZ, consistant en le retrait des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec au Danemark, en Norvège et en Suède, pris conjointement avec le basculement des ventes d’AZ des gélules de Losec vers le Losec MUPS dans ces pays, était constitutif d’un abus de position dominante, dans la mesure où il était de nature à restreindre l’accès au marché des produits génériques dans lesdits pays. De même, la Commission n’a pas commis d’erreur en considérant que ce comportement constituait un abus de position dominante en Suède, dans la mesure où il était de nature à restreindre les importations parallèles de gélules de Losec dans ce pays.

865    Il y a toutefois lieu d’accueillir le second moyen pour autant qu’il met en cause une erreur de la Commission en ce qu’elle a considéré que le comportement incriminé constituait un abus de position dominante au Danemark et en Norvège dans la mesure où il restreignait le commerce parallèle des gélules de Losec. En effet, la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit que le retrait des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec était susceptible de restreindre les importations parallèles de gélules de Losec dans ces deux pays.

E –  Sur les amendes

1.     Arguments des parties

866    Les requérantes demandent au Tribunal d’annuler les amendes s’élevant à un total de 60 millions d’euros ou de les réduire considérablement.

867    Elles indiquent que l’article 1er du règlement (CEE) n° 2988/74 du Conseil, du 26 novembre 1974, relatif à la prescription en matière de poursuites et d’exécution dans les domaines du droit des transports et de la concurrence de la Communauté économique européenne (JO L 319, p. 1), et l’article 25 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), limitent le pouvoir de la Commission de prononcer des amendes pour une violation de l’article 82 CE aux actes qui ont été commis dans les cinq ans précédant un acte effectué en vue de l’instruction et notifié à AZ. Or, AZ aurait été informée pour la première fois de l’enquête que la Commission menait sur cette affaire le 24 février 2000. Par conséquent, la Commission ne saurait infliger d’amende que pour un comportement dont il est démontré qu’il a été adopté après février 1995.

868    En ce qui concerne le premier abus de position dominante reproché, les requérantes exposent que, selon la Commission, les comportements litigieux auraient eu lieu entre le 7 juin 1993 et le 31 décembre 2000 en Belgique et aux Pays-Bas, entre le 7 juin 1993 et le 30 novembre 1994 au Danemark, entre le 7 juin 1993 et le 31 décembre 1997 en Allemagne, entre le 21 décembre 1994 et le 31 décembre 2000 en Norvège et entre le 7 juin 1993 et le 16 juin 1994 au Royaume-Uni. S’agissant du second abus de position dominante, les comportements incriminés se seraient étalés sur les périodes comprises entre le 19 mars 1998 et le 31 décembre 1999 au Danemark, entre le 1er novembre 1998 et le 31 décembre 2000 en Norvège et entre le 20 août 1998 et le 31 décembre 2000 en Suède.

869    Selon les requérantes, en ce qui concerne le premier abus de position dominante, il existe donc, entre la cessation de l’infraction reprochée et la première mesure prise par la Commission dans le cadre de l’enquête, des délais de cinq ans et trois mois au Danemark et de cinq ans et huit mois au Royaume-Uni, qui interdiraient à la Commission d’infliger une amende à AZ pour son comportement dans ces pays. Par ailleurs, les comportements reprochés en Allemagne et en Norvège, dont il est allégué qu’ils auraient été commis après février 1995, concernant la troisième phase de l’abus de position dominante et consistant en la présentation de déclarations trompeuses aux tribunaux, n’auraient fait l’objet d’aucune preuve.

870    Les requérantes estiment que la Commission qualifie les abus reprochés d’infraction unique et continue afin d’éviter que les règles de prescription excluent l’imposition d’amende pour les faits reprochés au Danemark et au Royaume-Uni. Elles soulignent, à cet égard, que, pour qu’il y ait une infraction unique et continue, il faut que les différents actes poursuivent un même objectif anticoncurrentiel, que des instruments et des mécanismes similaires soient utilisés dans les différents cas et que la société en question ait eu, dans tous les cas, connaissance des éléments constitutifs de l’infraction [décision de la Commission du 26 mai 2004 relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] à l’encontre de The Topps Company Inc, Topps Europe Limited, Topps International Limited, Topps UK Limited et Topps Italia SRL (COMP/C-3/37.980 – Souris/Topps), considérant 130, dont un résumé est publié au Journal officiel du 13 décembre 2006 (JO L 353, p. 5), et arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 258].

871    Or, d’une part, le comportement adopté par AZ au regard du premier et du second abus de position dominante reprochés n’aurait pas poursuivi un objectif anticoncurrentiel identique. À cet égard, les requérantes précisent qu’elles ne soutiennent pas que le fait que l’abus de position dominante invoqué se produise dans différents pays exclue la constatation d’un comportement anticoncurrentiel identique. D’autre part, les sociétés d’AZ impliquées n’auraient pas eu connaissance de tous les éléments constitutifs des abus de position dominante, dès lors que leur comportement ne résultait pas d’une communication avec les autres sociétés du groupe ou d’indications du siège social dont l’objectif était de mettre en œuvre un comportement anticoncurrentiel. Par ailleurs, les requérantes font observer que la Commission a admis que les infractions en cause étaient nouvelles et n’étaient pas clairement définies (considérant 908 de la décision attaquée). La Commission aurait admis que ne constituent normalement pas des abus de position dominante les éléments constitutifs du second abus de position dominante, à savoir le développement des comprimés de Losec MUPS, leur lancement et le retrait des gélules de Losec, les demandes de retrait des autorisations de mise sur le marché relatives à un produit pharmaceutique (considérant 792 de la décision attaquée), ainsi que le fait de laisser une autorisation de mise sur le marché expirer. De plus, la Commission ne contesterait pas l’interprétation retenue par AZ des cadres réglementaires pertinents dans le cadre des deux abus de position dominante (considérants 666 et 830 de la décision attaquée). Dans ces circonstances, la Commission ne saurait soutenir qu’AZ avait connaissance de tous les éléments constitutifs des deux abus de position dominante invoqués.

872    Dans la réplique, les requérantes exposent, en outre, que la question de savoir si les abus de position dominante invoqués constituent respectivement une infraction unique et continue est essentielle pour déterminer si la Commission est en droit d’imputer la responsabilité de ces actes et d’imposer une amende en conséquence, en se fondant sur la participation à l’infraction considérée comme un tout.

873    Les requérantes considèrent également que, eu égard au caractère nouveau des abus de position dominante reprochés en l’espèce, reconnu par la Commission au considérant 922 de la décision attaquée, celle-ci aurait dû s’abstenir d’imposer une amende.

874    Selon les requérantes, les abus de position dominante reprochés ne sauraient être considérés comme étant graves. À cet égard, elles soulignent à nouveau, notamment, que la Commission a admis que les abus de position dominante reprochés étaient nouveaux (considérants 904, 908 et 922 de la décision attaquée) et n’étaient pas clairement définis (considérant 908 de la décision attaquée), qu’elle ne conteste pas l’interprétation du droit retenue par AZ (considérant 803 de la décision attaquée) et que l’impact des infractions sur le marché ne peut pas être évalué avec précision (considérants 911 et 913 de la décision attaquée). Les requérantes font référence à la décision 2001/892/CE de la Commission, du 25 juillet 2001, relative à une procédure d’application de l’article 82 [CE] (COMP/C-1/36.915 – Deutsche Post AG – Interception de courrier transfrontière) (JO L 331, p. 40), dans laquelle la nature nouvelle de l’abus de position dominante en cause aurait été prise en considération. Elles estiment que la circonstance qu’il existe des « précédents » en droit américain est dénuée de pertinence, l’élément déterminant étant que les abus de position dominante invoqués sont nouveaux en droit communautaire.

875    Les requérantes contestent l’allégation de la Commission selon laquelle la nouveauté des abus de position dominante aurait été prise en compte, dans la décision attaquée, dans la mesure où les infractions ont été qualifiées de « graves » au lieu de « très graves », et font observer que le considérant 913 de la décision attaquée ne mentionne pas la nature nouvelle des abus, ni ne fait référence à la qualification des infractions de « très grave », à partir de laquelle un déclassement aurait eu lieu.

876    Les requérantes font observer que la Commission n’a pas indiqué le montant de base pour chaque société et pour chacun des abus de position dominante allégués, empêchant ainsi AZ d’évaluer les montants correspondant à la durée de ceux-ci et aux circonstances aggravantes et atténuantes. Dans la mesure où la Commission a conclu qu’AZ avait commis une infraction grave, l’amende infligée ne devrait pas pouvoir dépasser 20 millions d’euros [lignes directrices pour le calcul du montant des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices pour le calcul du montant des amendes »), point 1.A]. Or, dans l’hypothèse où la Commission aurait imposé ce montant de base maximal pour chacun des abus de position dominante reprochés, celui-ci serait disproportionné eu égard à leur nouveauté.

877    Par ailleurs, la Commission ne saurait soutenir, au considérant 904 de la décision attaquée, que l’objectif du comportement d’AZ aurait été de restreindre la concurrence, dès lors que cette dernière n’aurait fait usage que de moyens légaux et qu’il aurait été admis, aux considérants 666 et 830 de la décision attaquée, que cette entreprise aurait retenu de bonne foi l’interprétation des régimes légaux et réglementaires. De même, les requérantes contestent l’allégation selon laquelle AZ aurait eu connaissance des infractions reprochées après la fusion, en avril 1999. Elles renvoient, à cet égard, aux points 18 à 21 du témoignage de M. G., l’auteur des notes relatives à la réunion de janvier 2000, sur lesquelles la Commission s’appuie aux considérants 886 et 890 de la décision attaquée, au point 63 du témoignage de M. P. et aux points 18 à 20 du témoignage du Dr N. Les requérantes estiment que ces éléments de preuve ne sauraient être ignorés par la Commission et rappellent que les lignes directrices pour le calcul du montant des amendes prévoient que relèvent des circonstances atténuantes les « infractions commises par négligence et non de propos délibéré ».

878    En ce qui concerne la durée de l’infraction, les requérantes reprochent également à la Commission une motivation lacunaire. Elles relèvent qu’il semble que la Commission a considéré chacun des abus de position dominante allégués d’une manière différente dans le cadre de la durée, contrairement à ce qui a été le cas s’agissant de la gravité (considérants 917, 918 et 946 de la décision attaquée).

879    La Commission aurait relevé, au considérant 918 de la décision attaquée, que le premier abus de position dominante reproché ne pouvait déployer ses principaux effets que lors de l’expiration des brevets. Or, les CCP n’ont été accordés qu’en Belgique, aux Pays-Bas, au Luxembourg et en Norvège et ne sont entrés en vigueur qu’en avril 1999. Les abus de position dominante n’auraient, par conséquent, pas pu avoir lieu avant cette date. Par ailleurs, à cette date, Astra n’aurait plus occupé de position dominante dans les trois premiers pays susmentionnés et, s’agissant de la Norvège, le CCP n’aurait été en vigueur que pendant deux mois à une époque à laquelle la concurrence était en tout état de cause exclue du fait de l’existence d’un brevet sur la préparation.

880    Les requérantes rappellent que, au considérant 918 de la décision attaquée, la Commission a considéré que, pour la phase antérieure à l’année 1998, il convenait d’appliquer un pourcentage d’augmentation de 5 % par année complète et de 2,5 % pour toute période comprise entre six mois et un an, et que, pour la phase postérieure à l’année 1998, il convenait d’appliquer un pourcentage d’augmentation de 10 % par année complète et de 5 % pour toute période comprise entre six mois et un an. Ainsi, selon les requérantes, les calculs de la Commission seraient incorrects. En effet, selon elles, le montant total de l’amende relatif à l’abus de position dominante reproché concernant les CCP avant l’année 1998 s’élève à 9 millions d’euros, le montant total de l’amende relatif à l’abus reproché concernant les CCP après l’année 1998 s’élève à 12 millions d’euros et le montant total de l’amende relatif à l’abus de position dominante reproché concernant les MUPS après l’année 1998 s’élève à 10 millions d’euros. Par conséquent, le total relatif à la durée des infractions serait de 31 millions d’euros. Par ailleurs, en retenant la conclusion de la Commission, exposée aux considérants 919 et 920 de la décision attaquée, selon laquelle une augmentation de 50 % devrait être appliquée pour AstraZeneca AB et de 15 % pour AstraZeneca plc, après le 6 avril 1999, le total dû par AstraZeneca plc s’élèverait à 12 millions d’euros. Ainsi, les requérantes aboutissent à un total général de 43 millions d’euros pour la durée des infractions reprochées. Elles ne comprennent donc pas comment la Commission a conclu au montant final de 60 millions d’euros.

881    Les requérantes estiment, en outre, que la Commission aurait dû reconnaître l’existence de circonstances atténuantes. Elles relèvent, à cet égard, que, en ce qui concerne le premier abus de position dominante, la Commission ne contestait pas l’interprétation du règlement n° 1768/92 retenue par AZ (considérant 666 de la décision attaquée). En ce qui concerne le second abus de position dominante, la Commission n’aurait pas davantage contesté l’interprétation des régimes légaux et réglementaires retenue par AZ, ni le fait que la directive 65/65 n’imposerait pas au titulaire d’une autorisation de mise sur le marché une obligation de maintenir cette dernière (considérant 832 de la décision attaquée). La Commission aurait par ailleurs admis que le lancement sur le marché et le retrait de celui-ci d’un produit pharmaceutique, ou la demande de retrait de son autorisation de mise sur le marché ne sont normalement pas considérés comme abusifs en soi (considérants 792 et 793 de la décision attaquée). Enfin, la Commission aurait admis que les deux abus de position dominante reprochés seraient nouveaux (considérants 908 et 922 de la décision attaquée).

882    En outre, les requérantes contestent qu’AZ ait refusé pendant un an de répondre à une demande de renseignements et affirment qu’AZ a communiqué des informations qui n’avaient pas été sollicitées. La coopération d’AZ à l’enquête justifierait par conséquent l’application d’une circonstance atténuante.

883    La Commission conteste le bien-fondé des arguments des requérantes.

2.     Appréciation du Tribunal

884    Il convient de relever, à titre liminaire, que, quoique, dans le corps des arguments exposés dans leur requête et dans leur réplique, les requérantes demandent également au Tribunal de réduire le montant des amendes, elles n’ont pas, au stade des conclusions, formellement conclu à la réduction de leur montant. Cette omission de la part des requérantes ne s’oppose toutefois pas à ce que le Tribunal exerce son pouvoir de pleine juridiction en ce qui concerne les amendes. En effet, même en l’absence de conclusions formelles, celui-ci est autorisé à réduire le montant d’une amende excessive, puisqu’un tel résultat ne dépasserait pas les limites du petitum, mais, bien au contraire, aboutirait à accueillir partiellement la requête (arrêt de la Cour du 10 décembre 1957, ALMA/Haute Autorité, 8/56, Rec. p. 179, 191 ; voir, également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 juillet 2001, Tate & Lyle e.a./Commission, T‑202/98, T‑204/98 et T‑207/98, Rec. p. II‑2035, points 22 et 164).

885    Les requérantes contestent le niveau des amendes par le biais de quatre griefs concernant, respectivement, la prescription de certains des actes incriminés, la gravité des infractions, leur durée et, enfin, les circonstances atténuantes.

886    S’agissant, premièrement, du grief relatif à la prescription des actes reprochés à AZ, il y a lieu de relever, tout d’abord, que, en vertu de l’article 1er du règlement n° 2988/74, le pouvoir de la Commission de prononcer des amendes pour infractions aux règles de concurrence est soumis à un délai de prescription de cinq ans, étant entendu que, en ce qui concerne les infractions continues ou continuées, ce délai ne court qu’à compter du jour où l’infraction a pris fin. Il résulte de l’article 2 de ce règlement que la prescription en matière de poursuites est interrompue par tout acte de la Commission visant à l’instruction ou à la poursuite de l’infraction, cette interruption prenant effet le jour où l’acte est notifié à au moins une entreprise ayant participé à l’infraction.

887    Les requérantes affirment, sans que cela soit contesté par la Commission, qu’elles ont été informées pour la première fois de l’enquête de la Commission le 24 février 2000. Par conséquent, la Commission ne saurait imposer une amende à AZ pour une infraction ayant pris fin le 23 février 1995 au plus tard. Il y a lieu, par conséquent, d’examiner si les infractions en cause ont pris fin avant le 24 février 1995.

888    À cet égard, il convient d’observer que la Commission a retenu, au considérant 916 de la décision attaquée, que le premier abus de position dominante avait duré jusqu’à la fin de 2000 en Belgique, aux Pays-Bas et en Norvège, jusqu’à fin de 1997 en Allemagne, jusqu’au 30 novembre 1994 au Danemark et jusqu’au 16 juin 1994 au Royaume-Uni. S’agissant du second abus de position dominante, la Commission a considéré, au considérant 917 de la décision attaquée, que celui-ci avait duré jusqu’à la fin de 1999 au Danemark et jusqu’à la fin de 2000 en Norvège et en Suède.

889    Par conséquent, il y a lieu de relever que, dès lors que seuls les agissements d’AZ au titre du premier abus de position dominante au Danemark et au Royaume-Uni ont pris fin avant le 24 février 1995, à savoir, respectivement, les 3 novembre et 16 juin 1994, le moyen des requérantes tiré de la prescription des actes reprochés à AZ ne saurait être pertinent qu’en ce qui concerne les agissements d’AZ dans le cadre du premier abus de position dominante, au Danemark et au Royaume-Uni.

890    Or, dans la décision attaquée, la Commission a considéré que le caractère unique et continu du premier abus de position dominante résultait du degré élevé de centralisation et de coordination qui caractérisait le comportement abusif. Elle a relevé, par ailleurs, que les déclarations trompeuses faites par AZ dans les divers pays étaient interdépendantes dans la mesure où le comportement d’AZ dans un État membre de l’EEE affectait, à tout le moins potentiellement, sa protection par CCP et ses chances d’obtenir des CCP dans d’autres États membres de l’EEE. Elle a ainsi relevé que la protection par CCP qu’AZ avait obtenue en Belgique, en Norvège et aux Pays-Bas dépendait de l’issue du contentieux devant les tribunaux allemands (voir considérant 775 de la décision attaquée). La Commission a relevé, en outre, que les autorités pharmaceutiques belges, danoises, néerlandaises et norvégiennes fixaient les prix des produits pharmaceutiques sur la base d’une comparaison des prix en vigueur dans les différents États. Par conséquent, le niveau des prix dans un pays était susceptible d’affecter le niveau des prix dans les autres pays (considérant 776 de la décision attaquée).

891    Les requérantes contestent toutefois que le premier abus de position dominante ait un caractère unique et continu et considèrent que la Commission ne pouvait imposer d’amende pour le comportement d’AZ au Danemark et au Royaume-Uni.

892    Il convient de relever, à cet égard, que la notion d’infraction unique et continue a trait à un ensemble d’actions qui s’inscrivent dans un plan d’ensemble, en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 870 supra, point 258). Aux fins de qualifier différents agissements d’infraction unique et continue, il y a lieu de vérifier s’ils présentent un lien de complémentarité, en ce sens que chacun d’entre eux est destiné à faire face à une ou à plusieurs conséquences du jeu normal de la concurrence, et contribuent, par le biais d’une interaction, à la réalisation des objectifs visés dans le cadre de ce plan global. À cet égard, il y a lieu de tenir compte de toute circonstance susceptible d’établir ou de remettre en cause ledit lien, telle que la période d’application, le contenu (y compris les méthodes employées) et, corrélativement, l’objectif des divers agissements en question (arrêt du Tribunal du 12 décembre 2007, BASF et UCB/Commission, T‑101/05 et T‑111/05, Rec. p. II‑4949, points 179 et 181).

893    En l’espèce, et ainsi qu’il ressort des points 591 à 599 ci-dessus, AZ s’est livrée à une conduite constante dans le temps, caractérisée par la communication aux offices des brevets de déclarations trompeuses aux fins d’obtenir la délivrance de CCP auxquels elle n’avait pas droit ou auxquels elle avait droit pour une période plus limitée. Il ressort de l’examen du premier abus de position dominante que le comportement d’AZ procédait d’une stratégie élaborée par ses organes centraux, qui, après avoir constaté que l’obtention de CCP en Allemagne et au Danemark était vraisemblablement impossible, ont initié une collecte d’informations et ont finalement décidé de demander aux agents de brevets de communiquer aux offices des brevets nationaux des déclarations trompeuses quant à la date de la première autorisation de mise sur le marché de l’oméprazole (voir les points 479 à 489 ci-dessus et, plus particulièrement, la décision de Hässle du 6 mai 1993). Il ressort en outre de diverses pièces du dossier, dont la télécopie du 11 octobre 1996 adressée par le directeur du département des brevets à la société de commercialisation néerlandaise (voir le point 528 ci-dessus) et le compte rendu d’une réunion tenue le 15 novembre 1994 à Copenhague (voir le point 551 ci-dessus), qu’AZ appliquait délibérément une stratégie tendant à tromper les offices des brevets nationaux quant à la première date d’autorisation de mise sur le marché délivrée pour l’oméprazole, afin d’obtenir des CCP en Allemagne et au Danemark.

894    Il ressort également clairement de l’examen du second moyen soulevé dans le cadre du premier abus de position dominante que, d’une part, AZ a fait des déclarations trompeuses dans l’ensemble des pays concernés, y compris ceux dans lesquels aucun obstacle n’existait pour l’obtention de CCP, afin de donner un semblant de cohérence à ses déclarations. D’autre part, AZ a choisi de ne pas défendre sa position au Danemark afin de conserver ses arguments pour le contentieux en Allemagne. En effet, AZ a retiré sa demande de CCP au Danemark afin de ne pas se voir opposer une décision de rejet qui constituerait un précédent préjudiciable à ses chances de maintenir son CCP en Allemagne (voir les points 552 à 554 ci-dessus). Par ailleurs, le fait que le directeur du département des brevets ait ressenti le besoin de communiquer aux agences des brevets des pays du Benelux et de Finlande les lettres identiques du 8 mai 1998, afin de les informer du contentieux en cours en Allemagne, corrobore le fait qu’AZ considérait que l’issue de ce litige était importante également à l’égard de ses CCP dans les autres États membres (voir également considérant 227 de la décision attaquée).

895    Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de considérer que la Commission n’a pas procédé à une qualification erronée des faits en retenant que les agissements d’AZ en Allemagne, en Belgique, au Danemark, en Norvège, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni relevaient d’une infraction unique et continue. En effet, ces agissements avaient, dans ces différents pays, pour objet d’obtenir des CCP soit auxquels AZ n’avait pas droit, soit auxquels elle avait droit pour une période plus restreinte. Les déclarations trompeuses faites auprès des différentes autorités nationales étaient en outre, dans une certaine mesure, interdépendantes, en ce que les réactions de l’office des brevets ou des autorités judiciaires d’un pays étaient susceptibles d’influencer le comportement des autorités dans les autres pays et, partant, d’affecter la détention par AZ des CCP dans ceux-ci.

896    Par ailleurs, les requérantes n’avancent aucun argument remettant ces constatations en cause. Ainsi, tout d’abord, pour autant que leurs arguments tendent à contester le caractère unique et continu du second abus de position dominante, il y a lieu de relever que ceux-ci sont dénués de pertinence, dans la mesure où, ainsi qu’il ressort du point 889 ci-dessus, la prescription ne serait en tout état de cause pas susceptible de former un obstacle à l’imposition d’une amende pour les actes relevant de ce second abus.

897    Ensuite, la circonstance, invoquée par les requérantes, selon laquelle les sociétés d’AZ n’auraient pas eu connaissance de l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction serait, à la supposer établie, dénuée de pertinence, dès lors qu’il a été démontré que le département des brevets et Hässle avaient conçu en connaissance de cause la stratégie fondée sur les déclarations trompeuses et suivaient de près le cours des événements dans les pays en cause.

898    Enfin, ainsi que le fait valoir la Commission, dans la mesure où, au stade de la réplique, les requérantes contesteraient le caractère unique et continu de l’infraction aux fins de mettre en cause l’imputation de la responsabilité pour l’infraction considérée comme un tout, outre le fait que cet argument manquerait de clarté, celui-ci constituerait un argument nouveau et devrait, à ce titre, être déclaré irrecevable, conformément à l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure.

899    Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le premier grief, tiré de la prescription des actes reprochés à AZ.

900    S’agissant, deuxièmement, du grief concernant l’absence d’infraction grave, il y a lieu de relever, tout d’abord, que les deux abus de position dominante ont eu pour objet affirmé de tenir les concurrents à l’écart du marché.  

901    En ce qu’il a consisté en des déclarations trompeuses soumises de propos délibéré afin d’obtenir des droits exclusifs auxquels AZ n’avait pas droit, ou auxquels elle avait droit pour une période plus limitée, le premier abus de position dominante constitue manifestement une infraction grave. La circonstance que cet abus est inédit ne saurait remettre en cause cette considération, compte tenu du caractère manifestement contraire à la concurrence par les mérites de telles pratiques. Par ailleurs, ainsi que la Commission le fait observer, le fait qu’un comportement présentant les mêmes caractéristiques n’ait pas encore été examiné dans des décisions antérieures n’exonère pas l’entreprise de sa responsabilité (voir, en ce sens, arrêt Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, point 30 supra, point 107). En ce qui concerne le second abus de position dominante, il est également établi que les retraits des autorisations de mise sur le marché avaient pour objet de créer des obstacles à l’entrée sur le marché des produits génériques au Danemark, en Norvège et en Suède et aux importations parallèles en Suède, tendant ainsi à compartimenter le marché commun.

902    Quoique les pratiques incriminées dans le cadre du premier abus de position dominante n’aient pas toujours produit les effets escomptés par AZ, et bien que la Commission n’ait pas été en mesure d’identifier avec précision la mesure dans laquelle le second abus de position dominante a affecté la concurrence sur les marchés en cause, il demeure que leur nature était fortement anticoncurrentielle, en ce qu’elles étaient susceptibles d’affecter de manière importante la concurrence. Il convient de relever, à cet égard, que des éléments relevant de l’objet d’un comportement peuvent avoir plus d’importance aux fins de la fixation du montant de l’amende que ceux relatifs à ses effets (arrêts du Tribunal du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, T‑141/94, Rec. p. II‑347, point 636, et Michelin/Commission, point 334 supra, point 259).

903    Eu égard à ce qui précède, et compte tenu des revenus considérables générés par le Losec dans les pays en cause, qui, ainsi que la Commission le relève au considérant 914 de la décision attaquée, a été le médicament le plus vendu au monde durant plusieurs années, il n’y a pas lieu de modifier la qualification d’infractions graves attachée aux abus de position dominante en cause. La circonstance que la Commission ait, au considérant 908 de la décision attaquée, pris en considération le fait que les abus de position dominante en cause étaient nouveaux et qu’ils ne constituaient pas des abus caractérisés ne modifie pas cette considération.

904    En ce qui concerne le montant de départ au titre de la gravité des deux abus de position dominante en cause, la Commission a fixé celui-ci à 40 millions d’euros (considérant 915 de la décision attaquée, auquel il est mentionné par erreur qu’il s’agit du « montant de base »). Il convient de relever, à cet égard, que les lignes directrices pour le calcul du montant des amendes prévoient la possibilité d’envisager le montant de 20 millions d’euros par infraction. Bien que la Commission ne l’ait pas explicitement précisé, il ne fait pas de doute que celle-ci a doublé ce dernier montant dans la mesure où deux abus de position dominante ont été identifiés.

905    Cela étant, dans la mesure où le Tribunal a considéré, aux points 840 à 861 ci-dessus, que la Commission n’a pas établi à suffisance de droit que les retraits des autorisations de mise sur le marché en cause dans le second abus de position dominante étaient susceptibles d’empêcher ou de restreindre les importations parallèles au Danemark et en Norvège, il y a lieu de réduire le montant de départ en conséquence. À cet égard, dans la mesure où la Commission a retenu un montant de base de 20 millions d’euros au titre du second abus de position dominante, le Tribunal estime, dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, qu’il sera fait une juste réduction de l’amende en fixant son montant de départ au titre du second abus de position dominante à 15 millions d’euros. Il y a lieu, partant, de fixer le montant de départ total de l’amende au titre des deux abus de position dominante à 35 millions d’euros, en lieu et place du montant de 40 millions d’euros retenu par la Commission.

906    En tout état de cause, les requérantes ne sauraient reprocher à la Commission de ne pas avoir précisé le montant de départ imposé à chacune des sociétés, pour chacun des abus de position dominante considérés. Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que la Commission n’est pas tenue de ventiler le montant de l’amende entre les différents éléments de l’abus, ni d’individualiser la manière dont elle a pris en compte chacun des éléments abusifs reprochés aux fins de la fixation de l’amende (arrêts du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T‑83/91, point 671 supra, point 236, et Michelin/Commission, point 334 supra, point 265). En outre, la Commission ne saurait se priver de son pouvoir d’appréciation par le recours mécanique et exclusif à des formules arithmétiques (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Sarrió/Commission, C‑291/98 P, Rec. p. I‑9991, point 76).

907    S’agissant, troisièmement, du grief concernant la durée des infractions, il y a lieu de relever que la Commission a considéré que, entre 1993 et 1998, seul le premier abus de position dominante avait été mis en œuvre et que celui-ci ne pouvait normalement produire des effets qu’à une date ultérieure, lors de l’expiration des brevets, bien qu’il ne soit pas exclu que des effets aient déjà pu se produire avant ce moment. Elle a ainsi décidé d’appliquer un taux d’augmentation de 5 % par année et de 2,5 % par période comprise entre six mois et un an, pour la période antérieure à 1998. Pour le reste de la période concernée (de 1998 à 2000), la Commission a décidé d’appliquer un taux d’augmentation de 10 % par année entière et de 5 % par période comprise entre six mois et un an. Par ailleurs, elle a tenu compte du fait qu’AstraZeneca plc ne devait être tenue responsable des infractions qu’à partir du 6 avril 1999. Ainsi, au montant de départ de 40 millions d’euros imposé à AstraZeneca AB et à AstraZeneca plc, la Commission a appliqué un taux d’augmentation de 50 % pour AstraZeneca AB et de 15 % pour AstraZeneca plc (voir considérants 918 à 920 de la décision attaquée).

908    Ainsi que la Commission le confirme dans sa défense, il en résulte qu’un taux d’augmentation de 5 % a été appliqué pour chacune des années 1994, 1995, 1996 et 1997, ce qui aboutit à un taux d’augmentation cumulé de 20 % pour la période 1994-1997. Ensuite, un taux d’augmentation de 10 % a été appliqué pour chacune des années 1998, 1999 et 2000, ce qui conduit à un taux d’augmentation cumulé de 30 % pour la période 1998-2000. Un taux d’augmentation total de 50 % est donc appliqué pour la période comprise entre 1994 et 2000. Dans la mesure où AstraZeneca plc n’est tenue responsable qu’à compter du 6 avril 1999, le taux d’augmentation qui lui est applicable couvre la période comprise entre avril 1999 et le 31 décembre 2000 et s’élève en conséquence à 15 %. Les 35 % restants doivent par conséquent être supportés exclusivement par AstraZeneca AB.

909    Dans la mesure où 15 % de 40 millions d’euros équivalent à 6 millions d’euros, la Commission a imposé la somme de 46 millions d’euros aux deux requérantes solidairement. Par ailleurs, 14 millions d’euros, correspondant à 35 % de 40 millions d’euros, ont exclusivement été imposés à AstraZeneca AB.

910    Quoique la Commission n’ait pas, dans la décision attaquée, expliqué avec autant de détails la façon dont elle est parvenue aux montants de 46 millions d’euros et de 14 millions d’euros, le Tribunal ne considère pas qu’elle ait ignoré son obligation de motivation dès lors que les éléments figurant dans la décision attaquée permettent de comprendre comment la Commission est parvenue aux montants finals de 46 millions et de 14 millions d’euros.

911    Le Tribunal ne considère pas qu’il y ait lieu de modifier la méthodologie appliquée par la Commission, qui tient compte du fait que le second abus de position dominante n’a commencé qu’en mars 1998. Les arguments des requérantes, tendant à appliquer des modalités de calcul différentes doivent donc être rejetés. Par ailleurs, s’agissant des arguments tendant à faire valoir que la Commission n’a pas suffisamment tenu compte de la circonstance que le premier abus de position dominante n’a pas produit d’effet, il y a lieu de rappeler, à nouveau, que des éléments relevant de l’objet d’un comportement peuvent avoir plus d’importance aux fins de la fixation du montant de l’amende que ceux relatifs à ses effets (arrêts Thyssen Stahl/Commission, point 902 supra, point 636, et Michelin/Commission, point 334 supra, point 259).

912    Il convient d’observer, en outre, que l’erreur de droit commise par la Commission, consistant à retenir comme date de début du premier abus de position dominante la date de la communication aux conseils en propriété intellectuelle des instructions pour les demandes de CCP aux offices des brevets (voir les points 370 à 372 ci-dessus), n’a aucune incidence sur le taux d’augmentation appliqué en fonction de la durée des infractions. En effet, il apparaît que la période comprise entre le 7 juin et le 31 décembre 1993 n’a en tout état de cause pas été prise en compte par la Commission aux fins du calcul du taux d’augmentation.

913    Cela étant, dans la mesure où le Tribunal décide de réduire le montant de départ de l’amende à 35 millions d’euros dans la mesure où la Commission n’a pas établi à suffisance de droit que les retraits des autorisations de mise sur le marché en cause dans le second abus de position dominante étaient susceptibles d’empêcher ou de restreindre les importations parallèles au Danemark et en Norvège, il y a lieu d’appliquer les taux d’augmentation visés au point 908 ci-dessus, à ce montant . Le Tribunal estime, en conséquence, qu’il convient d’imposer aux deux requérantes solidairement une amende de 40 250 000 euros et à AstraZeneca AB exclusivement une amende de 12 250 000 euros.

914    S’agissant, quatrièmement, du grief concernant les circonstances atténuantes, il y a lieu de relever que les requérantes réitèrent à nouveau des arguments pris en considération au stade de l’examen des abus de position dominante ou de l’appréciation de la gravité de l’infraction. En outre, les requérantes n’étayent pas leur allégation selon laquelle leur collaboration à la procédure administrative justifierait l’application d’une circonstance atténuante. Ce dernier grief doit donc être rejeté.

 Sur les dépens

915    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, de ce règlement, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, ou pour des motifs exceptionnels.

916    La Commission demande au Tribunal de mettre à la charge des requérantes l’ensemble des dépens, quelle que soit l’issue de la procédure devant le Tribunal. En effet, selon elle, tout d’abord, les actes de procédure ont été d’une longueur inutile, ensuite la Commission a dû examiner un grand nombre de « témoignages » qui pourraient s’avérer irrecevables en tant que preuves et, enfin, les requérantes ont déformé tant la décision attaquée que le mémoire en défense.

917    À cet égard, bien que les écritures des requérantes auraient pu être moins volumineuses en l’espèce, le Tribunal considère que les requérantes n’ont pas abusivement alourdi la procédure contentieuse devant lui (voir, en ce sens, arrêt Atlantic Container Line e.a./Commission, point 243 supra, points 1646 et 1647). Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’accueillir la demande de la Commission sur ce point.

918    En l’espèce, les requérantes ont succombé en leurs conclusions visant à l’annulation de la décision attaquée dans son intégralité. Pour sa part, la Commission a succombé en ses conclusions visant au rejet du recours dans son intégralité.

919    S’agissant de l’affaire au principal, il convient, dans ces conditions, de répartir les dépens. Les requérantes supporteront 90 % de leurs propres dépens et 90 % des dépens de la Commission, à l’exception des dépens de cette dernière liés à l’intervention de l’EFPIA. La Commission supportera 10 % de ses propres dépens et 10 % des dépens des requérantes.

920    L’EFPIA supportera ses propres dépens. La Commission n’ayant pas conclu à la condamnation de l’EFPIA aux dépens liés à son intervention, cette dernière ne supportera pas ceux-ci.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      L’article 1er, paragraphe 2, de la décision C (2005) 1757 final de la Commission, du 15 juin 2005, relative à une procédure d’application de l’article 82 [CE] et de l’article 54 de l’accord EEE (Affaire COMP/A.37.507/F3 – AstraZeneca), est annulé dans la mesure où il retient qu’AstraZeneca AB et AstraZeneca plc ont enfreint l’article 82 CE et l’article 54 de l’accord EEE en demandant le retrait des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec au Danemark et en Norvège, parallèlement au retrait du marché des gélules de Losec et au lancement des comprimés de Losec MUPS dans ces deux pays, et ce pour autant qu’il a été considéré que ces actes étaient de nature à restreindre les importations parallèles de gélules de Losec dans lesdits pays.

2)      L’amende imposée par l’article 2 de cette décision, conjointement et solidairement à AstraZeneca AB et à AstraZeneca plc est fixée à 40 250 000 euros et l’amende imposée par ledit article à AstraZeneca AB est fixée à 12 250 000 euros.

3)      Le recours est rejeté pour le surplus.

4)      AstraZeneca AB et AstraZeneca plc supporteront 90 % de leurs propres dépens et 90 % des dépens de la Commission européenne, à l’exception des dépens de cette dernière liés à l’intervention de l’European Federation of Pharmaceutical Industries and Associations (EFPIA).

5)      L’EFPIA supportera ses propres dépens.

6)      La Commission supportera ses dépens propres liés à l’intervention de l’EFPIA, ainsi que 10 % du reste de ses propres dépens et 10 % des dépens d’AstraZeneca AB et d’AstraZeneca plc.

Meij

Vadapalas

Wahl

Truchot

 

       Frimodt Nielsen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1er juillet 2010.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

A –  Sur le marché de produits en cause

1.  Observations liminaires

2.  Sur le premier moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation quant à la pertinence du caractère graduel de l’augmentation de l’usage des IPP au détriment des anti-H2

a)  Arguments des requérantes et de l’EFPIA

b)  Arguments de la Commission

c)  Appréciation du Tribunal

Sur l’usage thérapeutique différencié des IPP et des anti-H2

Sur la pertinence du caractère graduel du mouvement de substitution des anti-H2 par les IPP

3.  Sur le second moyen, tiré d’incohérences diverses et d’erreurs d’appréciation

a)  Arguments des requérantes et de l’EFPIA

b)  Arguments de la Commission

c)  Appréciation du Tribunal

Sur la prise en compte de l’usage thérapeutique des produits en cause

Sur l’importance accordée aux indicateurs de prix

Sur les « événements naturels »

B –  Sur la position dominante

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

a)  Sur les parts de marché d’AZ

b)  Sur les niveaux de prix

c)  Sur l’existence et l’usage des droits de propriété intellectuelle

d)  Sur la position de premier entrant d’AZ

e)  Sur la puissance financière d’AZ

f)  Sur la position dominante d’AZ en Allemagne

C –  Sur le premier abus de position dominante, portant sur les certificats complémentaires de protection

1.  Cadre réglementaire et comportement incriminé

2.  Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit

a)  Arguments des requérantes

Sur les principes juridiques applicables

Sur les erreurs de droit prétendument commises par la Commission

b)  Arguments de la Commission

Sur les principes juridiques applicables

Sur les erreurs de droit prétendument commises par la Commission

c)  Appréciation du Tribunal

Sur la qualification du comportement en cause d’abus de position dominante

Sur le début de la mise en œuvre de la pratique prétendument abusive

Sur la nature anticoncurrentielle du comportement incriminé et ses effets sur la concurrence

3.  Sur le second moyen, tiré d’un défaut de preuve de l’abus de position dominante

a)  Arguments des requérantes

Sur l’allégation de fraude

Sur la première phase de l’abus

Sur la seconde phase de l’abus

–  Sur la nature des allégations relatives à la seconde phase de l’abus de position dominante

–  Sur les instructions envoyées aux agents en brevets

–  Sur les déclarations effectuées devant l’office des brevets luxembourgeois (juin 1993)

–  Sur les déclarations effectuées devant l’office des brevets belge (septembre à novembre 1993)

–  Sur les déclarations effectuées devant l’office des brevets néerlandais (novembre et décembre 1993)

–  Sur les déclarations effectuées devant l’office des brevets du Royaume-Uni (janvier à juin 1994)

–  Sur le retrait de la demande de CCP au Danemark (novembre 1994)

–  Sur les déclarations d’AZ effectuées dans le cadre de la seconde série de demandes de CCP

–  Sur les demandes déposées dans les pays de l’EEE

–  Sur les déclarations effectuées devant l’office des brevets irlandais (octobre 1995)

–  Sur les déclarations effectuées devant les offices des brevets dans les pays du Benelux et en Finlande (mai 1998)

–  Sur les déclarations effectuées au cours de la procédure judiciaire en Allemagne

–  Sur les déclarations effectuées au cours de la procédure judiciaire en Norvège

–  Sur les déclarations effectuées au cours de la procédure judiciaire en Finlande

–  Sur l’existence d’une stratégie visant à tromper les agents en brevets d’AZ, les offices des brevets nationaux et les juridictions nationales

b)  Arguments de la Commission

c)  Appréciation du Tribunal

Sur la charge de la preuve

Sur la première phase de l’abus de position dominante

Sur la seconde phase de l’abus de position dominante

–  Sur les déclarations effectuées devant l’office des brevets luxembourgeois (juin 1993)

–  Sur les déclarations effectuées devant l’office des brevets belge (septembre à novembre 1993)

–  Sur les déclarations effectuées devant l’office des brevets néerlandais (novembre et décembre 1993)

–  Sur les déclarations effectuées devant l’office des brevets du Royaume-Uni (janvier à juin 1994)

–  Sur le retrait de la demande de CCP au Danemark (novembre 1994)

–  Sur les demandes déposées dans les pays de l’EEE (décembre 1994)

–  Sur les déclarations effectuées devant l’office des brevets irlandais (octobre 1995)

–  Sur les déclarations effectuées devant les offices des brevets des pays du Benelux et de Finlande (mai 1998)

–  Sur les déclarations effectuées au cours de la procédure judiciaire en Allemagne

–  Sur les déclarations effectuées au cours des procédures judiciaires en Norvège et en Finlande

Conclusion sur le premier abus de position dominante

D –  Sur le second abus de position dominante, portant sur les retraits sélectifs des autorisations de mise sur le marché des gélules de Losec

1.  Cadre réglementaire et comportement incriminé

2.  Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit

a)  Arguments des requérantes

Sur le cadre réglementaire et factuel

Sur l’analyse juridique de la Commission

Sur l’absence d’abus de position dominante en tout état de cause

b)  Arguments de la Commission

Sur le cadre réglementaire et factuel

Sur l’analyse juridique de la Commission

Sur l’absence d’abus de position dominante en tout état de cause

c)  Appréciation du Tribunal

Contexte réglementaire

Sur l’approche juridique adoptée par la Commission

Sur l’absence d’abus de position dominante en tout état de cause

3.  Sur le second moyen, tiré d’erreurs de fait

a)  Arguments des requérantes

Motifs du développement du Losec MUPS et de sa commercialisation

Contestation des éléments de preuve

Sur les effets

b)  Arguments de la Commission

c)  Appréciation du Tribunal

Contexte factuel du second abus de position dominante identifié par la Commission

–  Procès-verbal de la réunion du MAC du 9 août 1996

–  Mémorandum sur la stratégie LPP du 20 décembre 1996

–  Document sur la stratégie LPP du 29 avril 1997

–  Discours du directeur du département des brevets d’AZ tenu en octobre 1999 et diapositives de mai 1997

–  Document « Losec® MUPS STEPSUM » présenté par mémorandum du 26 février 1997

–  Procès-verbal de la réunion « Losec MUPS i Europa – ‘Brain Storming’ » du 18 septembre 1997

–  Mémorandum du 25 septembre 1997

–  Stratégie MUPS du 3 octobre 1997

–  Mémorandum du 22 octobre 1997 intitulé « Conséquences de la stratégie MUPS – Rapport intérimaire »

–  Document « Losec/H199 scénario » du 29 avril 1998

–  Projet de document du 30 novembre 1998 pour la réunion de l’équipe chargée du domaine thérapeutique GI du 4 décembre 1998

–  Document concernant le « Plan de franchise gastro-intestinal » du 12 mai 1999

–  Documents de stratégies nationales

–  Mise en œuvre effective de la stratégie LPP

–  Effets des retraits des autorisations de mise sur le marché

Sur le caractère abusif du comportement mis en œuvre par AZ

–  Sur la stratégie LPP

–  Sur le caractère abusif du comportement incriminé

–  Sur le caractère centralisé de la stratégie dont découle l’abus de position dominante

Sur la nature restrictive de concurrence du comportement incriminé

Conclusion

E –  Sur les amendes

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

Sur les dépens



* Langue de procédure : l’anglais.


1 Données confidentielles occultées.