61989J0360

Arrêt de la Cour du 3 juin 1992. - Commission des Communautés européennes contre République italienne. - Libre prestation des services - Passation des marchés publics de travaux. - Affaire C-360/89.

Recueil de jurisprudence 1992 page I-03401


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


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1. Libre prestation des services - Principe de non-discrimination - Discriminations dissimulées - Inclusion

(Traité CEE, art. 59)

2. Libre prestation des services - Procédures de passation des marchés publics de travaux - Réglementation nationale privilégiant les entreprises locales - Inadmissibilité

(Traité CEE, art. 59; directive du Conseil 71/305)

Sommaire


1. L' article 59 du traité prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d' autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat.

2. Constitue un manquement aux obligations lui incombant en vertu de l' article 59 du traité, ainsi que de la directive 71/305 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, le fait, pour un État membre, de réserver une partie des travaux aux sociétés ayant leur siège social dans la région où les travaux sont exécutés et d' instituer une préférence en faveur des associations temporaires auxquelles participent des entreprises exerçant leur activité principale dans cette même région.

Parties


Dans l' affaire C-360/89,

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par M. Guido Berardis, puis par M. Antonio Aresu, membres du service juridique, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg, auprès de M. Roberto Hayder, représentant du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie requérante,

contre

République italienne, représentée par M. le professeur Luigi Ferrari Bravo, chef du service du contentieux diplomatique du ministère des Affaires étrangères, en qualité d' agent, assisté de M. Pier Giorgio Ferri, avvocato dello Stato, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l' ambassade d' Italie, 5, rue Marie-Adélaïde,

partie défenderesse,

ayant pour objet de faire constater que, en ayant adopté la loi n 80/87 ("Dispositions extraordinaires visant à accélérer l' exécution de travaux publics"), qui contient certaines dispositions incompatibles avec la réglementation communautaire en matière de marchés publics de travaux, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 59 du traité CEE ainsi que de la directive 71/305/CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 185, p. 5),

LA COUR,

composée de MM. O. Due, président, R. Joliet, F. A. Schockweiler et P. J. G. Kapteyn, présidents de chambre, G. F. Mancini, C. N. Kakouris, G. C. Rodríguez Iglesias, M. Díez de Velasco et J. L. Murray, juges,

avocat général: M. C. O. Lenz

greffier: M. J. A. Pompe, greffier adjoint

vu le rapport d' audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l' audience du 16 janvier 1992,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 26 février 1992,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 28 novembre 1989, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l' article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que, en ayant adopté la loi n 80/87, du 17 février 1987 ("Dispositions extraordinaires visant à accélérer l' exécution de travaux publics", GURI n 61 du 14.3.1987, ci-après "loi n 80/87"), qui contient certaines dispositions incompatibles avec la réglementation communautaire en matière de marchés publics de travaux, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 59 du traité CEE ainsi que de la directive 71/305/CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 185, p. 5).

2 Selon l' article 2, paragraphe 1, de la loi n 80/87, l' invitation écrite émanant du pouvoir adjudicateur doit prévoir que le concessionnaire doit confier une partie représentant 15 à 30 % des travaux à des entreprises ayant leur siège social dans la région où les travaux sont exécutés.

3 L' article 3, paragraphe 3, de la même loi dispose que, lorsque le nombre des entreprises intéressées est supérieur à quinze, le pouvoir ou l' organisme adjudicateur doit inviter au minimum quinze entreprises à soumissionner, et que, dans le choix des entreprises invitées, il convient d' accorder la préférence aux associations temporaires et consortiums auxquels participent des entreprises qui exercent leur activité principale dans la région où sont effectués les travaux.

4 Pour un plus ample exposé des faits de l' affaire, du déroulement de la procédure et des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d' audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

5 Au cours de la procédure, la Commission a renoncé aux griefs autres que ceux concernant les articles 2, paragraphe 1, et 3, paragraphe 3, de la loi n 80/87.

Sur le grief tiré de la méconnaissance de l' article 59 du traité

6 Selon la Commission, l' article 2, paragraphe 1, de la loi n 80/87 enfreint l' article 59 du traité en ce qu' il favorise les entreprises ayant leur siège dans la région en cause au détriment des entreprises établies dans d' autres États membres.

7 A cet égard, il convient de rappeler que l' article 59 du traité impose notamment l' élimination de toute discrimination à l' encontre des prestataires établis dans un État membre autre que celui où la prestation doit être fournie.

8 Or, le fait que l' article 2, paragraphe 1, de la loi n 80/87 réserve une partie des travaux aux seuls sous-traitants ayant leur siège social dans la région où les travaux sont exécutés constitue une discrimination à l' encontre des entreprises établies dans les autres États membres.

9 S' il est vrai, comme le fait valoir le gouvernement italien, que cette disposition exclut également de cette partie des travaux les entreprises établies en Italie qui ont leur siège social en dehors de la région en cause, il n' en demeure pas moins que tous les sous-traitants qu' elle favorise sont des entreprises italiennes.

10 Quant à l' article 3, paragraphe 3, de la loi n 80/87, la Commission estime que la préférence qu' il institue au profit des associations temporaires et des consortiums auxquels participent des entreprises locales constitue une restriction à la libre prestation de services interdite par l' article 59 du traité.

11 A cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, l' article 59 du traité prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d' autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (voir, notamment, arrêt du 5 décembre 1989, Commission/Italie, point 8, C-3/88, Rec. p. 4035).

12 Or, bien que l' article 3, paragraphe 3, de la loi n 80/87 soit, comme le fait valoir le gouvernement italien, indistinctement applicable à toute société italienne ou étrangère, il favorise essentiellement des sociétés établies en Italie. En effet, comme l' a observé à juste titre la Commission, ces entreprises ont beaucoup plus de chances d' exercer leur activité principale dans la région d' Italie où sont exécutés les travaux que les entreprises établies dans les autres États membres.

13 Le gouvernement italien fait encore observer que les dispositions susmentionnées de la loi n 80/87 visent à compenser les inconvénients résultant, pour les petites et moyennes entreprises, du système de concession globale prévu dans cette loi selon lequel plusieurs travaux différents sont concédés au moyen d' un contrat unique. En effet, la réunion en un contrat unique de prestations qui, si elles étaient fractionnées, n' intéresseraient que des entreprises régionales, a pour effet de soustraire à ces dernières un certain nombre de marchés d' importance mineure.

14 Il suffit d' observer, à cet égard, que de telles considérations ne relèvent ni des raisons d' ordre public, de sécurité publique et de santé publique visées aux articles 66 et 56 du traité, combinés, ni des raisons impérieuses d' intérêt général qui pourraient justifier les entraves en cause (arrêts du 25 juillet 1991, Commission/Pays-Bas, points 17 et 18, C-353/89, Rec. p. I-4069, et Gouda, points 13 et suivants, C-288/89, Rec. p. I-4007).

15 Il ressort des considérations qui précèdent que ce grief tiré de la méconnaissance de l' article 59 du traité doit être accueilli.

Sur le grief tiré de la méconnaissance de la directive 71/305

16 La Commission estime que l' article 3, paragraphe 3, de la loi n 80/87 constitue une infraction à l' article 22, premier alinéa, de la directive 71/305, précitée, du fait qu' il institue un critère de sélection différent de ceux prévus aux articles 23 à 26 de cette directive.

17 A cet égard, il convient d' observer que, selon l' article 22, premier alinéa, de la directive 71/305, précitée, les pouvoirs adjudicateurs, dans les procédures restreintes, au sens de l' article 5, paragraphe 2, dont il s' agit en l' espèce, choisissent, sur la base des renseignements fournis en vertu des dispositions de l' article 17, sous d), de cette directive, les candidats qu' ils invitent à présenter une offre.

18 Il découle de l' article 17, sous d), que ces renseignements concernent la situation propre de l' entrepreneur ainsi que les conditions minimales de caractère économique et technique que les pouvoirs adjudicateurs exigent des entrepreneurs pour leur sélection, ces exigences ne pouvant être autres que celles des articles 25 et 26.

19 Il y a lieu de rappeler que, selon l' article 3, paragraphe 3, de la loi n 80/87, dans le choix des entreprises invitées à soumissionner, la préférence est accordée aux associations temporaires ou consortiums auxquels participent des entreprises qui exercent leur activité principale dans la région où sont effectués les travaux.

20 Or, une telle préférence constitue un critère de sélection qui n' est pas mentionné aux articles 23 à 26 et qui, en particulier, ne correspond pas à l' une des exigences de caractère économique et technique prévues aux articles 25 et 26.

21 Par conséquent, l' article 3, paragraphe 3, de la loi n 80/87 constitue une infraction à l' article 22, premier alinéa, de la directive 71/305, précitée, en ce que le critère de sélection qu' il prévoit se rapporte à des éléments de fait qui ne peuvent faire l' objet des renseignements sur la base desquels les pouvoirs adjudicateurs choisissent, en vertu de cette dernière disposition, les candidats qu' ils invitent à présenter une offre.

22 Il s' ensuit que ce grief tiré de la méconnaissance de la directive 71/305, précitée, doit également être accueilli.

23 Il y a donc lieu de reconnaître que, en ayant adopté la loi n 80/87, du 17 février 1987 ("Dispositions extraordinaires visant à accélérer l' exécution de travaux publics", GURI n 61 du 14.3.1987), la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 59 du traité CEE ainsi que de la directive 71/305/CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

24 Aux termes de l' article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La partie défenderesse ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête:

1) En ayant adopté la loi n 80/87, du 17 février 1987, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 59 du traité CEE ainsi que de la directive 71/305/CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux.

2) La République italienne est condamnée aux dépens.