Affaires jointes C-159/10 et C-160/10

Gerhard Fuchs
et
Peter Köhler

contre

Land Hessen

(demandes de décision préjudicielle, introduites par

le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main)

«Directive 2000/78/CE — Article 6, paragraphe 1 — Interdiction des discriminations fondées sur l’âge — Mise à la retraite d’office des procureurs ayant atteint l’âge de 65 ans — Objectifs légitimes justifiant une différence de traitement fondée sur l’âge — Cohérence de la législation»

Sommaire de l'arrêt

1.        Politique sociale — Égalité de traitement en matière d'emploi et de travail — Directive 2000/78 — Interdiction de discrimination fondée sur l'âge — Réglementation nationale prévoyant, pour une catégorie de fonctionnaires à vie, la mise à la retraite d'office à l'âge de 65 ans, tout en leur permettant de continuer à travailler jusqu'à l'âge de 68 ans pour des raisons justifiées par l'intérêt du service

(Directive du Conseil 2000/78, art. 6, § 1)

2.        Politique sociale — Égalité de traitement en matière d'emploi et de travail — Directive 2000/78 — Interdiction de discrimination fondée sur l'âge — Réglementation nationale prévoyant, pour une catégorie de fonctionnaires à vie, le départ à la retraite obligatoire à l'âge de 65 ans, tout en leur permettant de continuer à travailler jusqu'à l'âge de 68 ans pour des raisons justifiées par l'intérêt du service

(Directive du Conseil 2000/78)

1.        La directive 2000/78, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, ne s’oppose pas à une loi qui prévoit la mise à la retraite d’office des fonctionnaires à vie, en l'occurrence les procureurs, lorsqu’ils atteignent l’âge de 65 ans, tout en leur permettant de continuer à travailler, si l’intérêt du service l’exige, jusqu’à l’âge maximal de 68 ans, pour autant que cette loi a pour objectif d’établir une structure d’âge équilibrée afin de favoriser l’embauche et la promotion des jeunes, d’optimiser la gestion du personnel et par là même de prévenir les litiges éventuels portant sur l’aptitude du salarié à exercer son activité au-delà d’un certain âge et qu’elle permet d’atteindre cet objectif par des moyens appropriés et nécessaires.

Pour que soit démontré le caractère approprié et nécessaire de la mesure concernée, celle-ci ne doit pas apparaître déraisonnable au regard de l’objectif poursuivi et doit être fondée sur des éléments dont il appartient au juge national d’apprécier la valeur probatoire. Ces éléments peuvent notamment comprendre des données statistiques.

(cf. points 75, 82-83, disp. 1-2)

2.        Une loi nationale qui prévoit un départ à la retraite obligatoire des fonctionnaires à vie, en l'occurrence les procureurs, lorsqu’ils atteignent l’âge de 65 ans ne présente pas un caractère incohérent en raison du seul fait qu’elle leur permet dans certains cas de travailler jusqu’à l’âge de 68 ans, qu’elle contient, en outre, des dispositions destinées à freiner les départs à la retraite avant l’âge de 65 ans et que d’autres dispositions législatives de l’État membre concerné prévoient le maintien en activité de certains fonctionnaires, notamment certains élus, au-delà de cet âge ainsi qu’un relèvement progressif de l’âge de la retraite de 65 à 67 ans.

L'exception relative à la prolongation de l'activité des procureurs jusqu'à l'âge de 68 ans peut atténuer les rigueurs de la loi et contribuer au bon fonctionnement du service public concerné en permettant de faire face à des situations concrètes dans lesquelles le départ du procureur pourrait être défavorable à un accomplissement optimal de la mission qui lui a été confiée. En outre, l’existence d’un simple décalage dans le temps entre les changements apportés à la loi d’un État membre ou d’un Land de cet État membre et ceux introduits dans un autre État ou un autre Land, aux fins de relever l’âge ouvrant droit à une pension de retraite à taux plein, ne saurait, en elle-même, donner à la législation en cause un caractère incohérent.

(cf. points 87, 90, 97-98, disp. 3)







ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

21 juillet 2011 (*)

«Directive 2000/78/CE – Article 6, paragraphe 1 – Interdiction des discriminations fondées sur l’âge – Mise à la retraite d’office des procureurs ayant atteint l’âge de 65 ans – Objectifs légitimes justifiant une différence de traitement fondée sur l’âge – Cohérence de la législation»

Dans les affaires jointes C‑159/10 et C‑160/10,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main (Allemagne), par décisions du 29 mars 2010, parvenues à la Cour le 2 avril 2010, dans les procédures

Gerhard Fuchs (C-159/10),

Peter Köhler (C-160/10)

contre

Land Hessen,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. J. N. Cunha Rodrigues, président de chambre, MM. A. Rosas, U. Lõhmus, A. Ó Caoimh et Mme P. Lindh (rapporteur), juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 avril 2011,

considérant les observations présentées:

–        pour le Land Hessen, par Me M. Deutsch, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et J. Möller, en qualité d’agents,

–        pour l’Irlande, par MM. D. O’Hagan et B. Doherty, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. V. Kreuschitz et J. Enegren, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO L 303, p. 16).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant respectivement M. Fuchs et M. Köhler au Land Hessen au sujet de leur mise à la retraite à l’âge de 65 ans.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Les huitième, neuvième et onzième considérants de la directive 2000/78 prévoient:

«(8)      Les lignes directrices pour l’emploi en 2000, approuvées par le Conseil européen de Helsinki les 10 et 11 décembre 1999, soulignent la nécessité de promouvoir un marché du travail favorable à l’insertion sociale en formulant un ensemble cohérent de politiques destinées à lutter contre la discrimination à l’égard de groupes tels que les personnes handicapées. Elles soulignent également la nécessité d’accorder une attention particulière à l’aide aux travailleurs âgés pour qu’ils participent davantage à la vie professionnelle.

(9)      L’emploi et le travail constituent des éléments essentiels pour garantir l’égalité des chances pour tous et contribuent dans une large mesure à la pleine participation des citoyens à la vie économique, culturelle et sociale, ainsi qu’à l’épanouissement personnel.

[...]

(11)      La discrimination fondée sur [...] l’âge [...] peut compromettre la réalisation des objectifs du traité [UE], notamment un niveau d’emploi et de protection sociale élevé, le relèvement du niveau et de la qualité de la vie, la cohésion économique et sociale, la solidarité et la libre circulation des personnes.»

4        Le vingt-cinquième considérant de la directive 2000/78 énonce:

«L’interdiction des discriminations liées à l’âge constitue un élément essentiel pour atteindre les objectifs établis par les lignes directrices sur l’emploi et encourager la diversité dans l’emploi. Néanmoins, des différences de traitement liées à l’âge peuvent être justifiées dans certaines circonstances et appellent donc des dispositions spécifiques qui peuvent varier selon la situation des États membres. Il est donc essentiel de distinguer entre les différences de traitement qui sont justifiées, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et les discriminations qui doivent être interdites.»

5        Aux termes de son article 1er, cette directive «a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, [le] handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement».

6        L’article 2, paragraphes 1 et 2, sous a), de ladite directive prévoit:

«1.      Aux fins de la présente directive, on entend par ‘principe de l’égalité de traitement’ l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.

2.      Aux fins du paragraphe 1:

a)      une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er».

7        L’article 3 de la directive 2000/78, intitulé «Champ d’application», énonce à son paragraphe 1:

«Dans les limites des compétences conférées à la Communauté, la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne:

[...]

c)      les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération;

[...]»

8        L’article 6, paragraphes 1 et 2, de cette directive dispose:

«1.      Nonobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

Ces différences de traitement peuvent notamment comprendre:

a)      la mise en place de conditions spéciales d’accès à l’emploi et à la formation professionnelle, d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d’assurer leur protection;

b)      la fixation de conditions minimales d’âge, d’expérience professionnelle ou d’ancienneté dans l’emploi, pour l’accès à l’emploi ou à certains avantages liés à l’emploi;

c)      la fixation d’un âge maximum pour le recrutement, fondée sur la formation requise pour le poste concerné ou la nécessité d’une période d’emploi raisonnable avant la retraite.

2.      Nonobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que ne constitue pas une discrimination fondée sur l’âge la fixation, pour les régimes professionnels de sécurité sociale, d’âges d’adhésion ou d’admissibilité aux prestations de retraite ou d’invalidité, y compris la fixation, pour ces régimes, d’âges différents pour des travailleurs ou des groupes ou catégories de travailleurs et l’utilisation, dans le cadre de ces régimes, de critères d’âge dans les calculs actuariels, à condition que cela ne se traduise pas par des discriminations fondées sur le sexe.»

 La réglementation nationale

9        Le législateur fédéral a transposé la directive 2000/78 par la loi générale relative à l’égalité de traitement (Allgemeines Gleichbehandlungsgesetz), du 14 août 2006 (BGBl. 2006 I, p. 1897), telle que modifiée par l’article 15, paragraphe 66, de la loi du 5 février 2009 (BGBl. 2009 I, p. 160).

10      Ledit législateur a adopté des dispositions relatives à la retraite des fonctionnaires à vie des Länder et des communes, énoncées à l’article 25 de la loi fédérale de coordination des statuts des fonctionnaires des Länder (Beamtenstatusgesetz), du 17 juin 2008 (BGBl. 2008 I, p. 1010), telle que modifiée par l’article 15, paragraphe 16, de la loi du 5 février 2009 (BGBl. 2009 I, p. 160), dans les termes suivants:

«Les fonctionnaires à vie sont mis à la retraite après avoir atteint la limite d’âge.»

11      Cette disposition ne détermine pas elle-même cette limite d’âge, mais laisse aux Länder le soin de la fixer.

12      L’article 50 de la loi relative à la fonction publique du Land de Hesse (Hessisches Beamtengesetz), telle que modifiée par la loi du 14 décembre 2009 (ci-après le «HBG»), fixe l’âge obligatoire de départ à la retraite des fonctionnaires du Land Hessen comme suit:

«(1)      Les fonctionnaires à vie sont mis à la retraite à la fin du mois au cours duquel ils atteignent l’âge de 65 ans (limite d’âge).

(2)      Par dérogation au paragraphe (1), les fonctionnaires à vie désignés ci-après sont soumis aux dispositions suivantes:

1.      les enseignants des écoles publiques sont mis à la retraite à la fin du dernier mois de l’année scolaire au cours de laquelle ils atteignent l’âge de soixante-cinq ans;

2.      les professeurs, les enseignants de l’enseignement supérieur, les collaborateurs scientifiques et artistiques, ainsi que les enseignants chargés de missions particulières dans les établissements d’enseignement supérieur du Land sont mis à la retraite à la fin du dernier mois du semestre au cours duquel ils atteignent l’âge de soixante-cinq ans.

(3)      Si l’intérêt du service l’exige, le départ à la retraite peut, à la demande du fonctionnaire, être repoussé, au-delà de l’âge de 65 ans, par périodes d’un an au maximum, étant entendu que l’âge de 68 ans ne doit en aucun cas être dépassé. La décision est prise par la plus haute autorité hiérarchique ou par l’autorité qu’elle désigne.»

13      La juridiction de renvoi précise que, jusqu’en 1992, le maintien en activité du fonctionnaire au-delà de la limite d’âge était autorisé s’il était demandé et si l’intérêt du service ne s’y opposait pas. À partir de ladite année, ce maintien a été subordonné à la condition qu’il réponde à l’intérêt du service.

14      Le HBG contient une disposition particulière concernant la limite d’âge des fonctionnaires nommés pour une durée déterminée à la suite d’une élection directe, tels que les maires ou les conseillers régionaux. Ceux-ci sont mis à la retraite lorsqu’ils atteignent l’âge de 71 ans, si leur mandat n’est pas arrivé à son terme à cette date.

15      À l’échelon fédéral et jusqu’au 12 février 2009, la limite d’âge générale applicable aux fonctionnaires était fixée à 65 ans. Depuis cette date, la législation prévoit un relèvement progressif de cette limite d’âge à 67 ans. À la date des faits au principal, des dispositions semblables avaient été adoptées dans certains Länder, mais non dans le Land Hessen.

16      Depuis le 1er janvier 2008, en dehors de la fonction publique, l’article 35 du livre VI du code de la sécurité sociale (Sozialgesetzbuch, sechstes Buch), applicable aux salariés soumis au droit privé, prévoit également un relèvement progressif à 67 ans de l’âge ouvrant droit à une pension de vieillesse. En vertu de dispositions transitoires, pour les personnes nées avant le 1er janvier 1947, cet âge demeure fixé à 65 ans.

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

17      Les faits à la base des litiges au principal sont quasi identiques et les questions posées par la juridiction de renvoi sont les mêmes.

18      Les requérants dans chacune des deux affaires au principal, respectivement M. Fuchs et M. Köhler, nés en 1944, ont exercé les fonctions de procureur principal jusqu’à l’âge de 65 ans qu’ils ont atteint au cours de l’année 2009, âge auquel ils devaient normalement partir à la retraite en vertu de l’article 50, paragraphe 1, du HBG.

19      Les intéressés ont demandé à exercer leurs fonctions pendant un an supplémentaire en se prévalant de l’article 50, paragraphe 3, du HBG.

20      Le ministre de la Justice du Land Hessen ayant rejeté leurs demandes au motif que l’intérêt du service n’exigeait pas leur maintien en fonction, les requérants au principal ont, d’une part, présenté une réclamation audit ministre et, d’autre part, introduit une procédure en référé devant le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main.

21      Cette juridiction a fait droit aux demandes en référé ainsi présentées et a ordonné au Land Hessen de maintenir MM. Fuchs et Köhler dans leur emploi. Les décisions rendues par le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main ont toutefois fait l’objet d’un appel devant le Hessischer Verwaltungsgerichtshof qui les a annulées et a rejeté les demandes en référé présentées par les intéressés. Depuis le 1er octobre 2009, ces derniers ne peuvent plus exercer leurs fonctions de procureur principal et perçoivent une pension de retraite.

22      Les réclamations de MM. Fuchs et Köhler ayant également été rejetées par décisions du ministre de la Justice du Land Hessen, les intéressés ont introduit un recours devant le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main contre ces décisions.

23      Cette juridiction nourrit un doute quant à la compatibilité de la limite d’âge fixée pour l’exercice des fonctions de procureur avec, en particulier, l’article 6 de la directive 2000/78. Selon elle, une mise à la retraite d’office à l’âge de 65 ans des personnes exerçant ces fonctions constitue une discrimination en fonction de l’âge contraire aux dispositions de la directive 2000/78.

24      La juridiction de renvoi expose que la disposition litigieuse a été introduite à un moment où il était considéré que l’aptitude au travail devenait insuffisante à partir de cet âge. Actuellement, des travaux de recherche démontreraient que cette aptitude varie d’une personne à l’autre. En outre, l’allongement de la durée de vie aurait conduit le législateur, en ce qui concerne les fonctionnaires exerçant au niveau fédéral et les salariés du secteur privé, à repousser à 67 ans la limite d’âge générale du départ à la retraite et l’ouverture du droit à pension. Par ailleurs, le HBG prévoirait que les fonctionnaires nommés à la suite d’une élection peuvent exercer leurs fonctions jusqu’à l’âge de 71 ans.

25      Selon la juridiction de renvoi, il ressort des observations du Land Hessen accompagnant le HBG dans sa version de 1962 que cette loi visait à favoriser l’emploi des plus jeunes et à garantir ainsi une structure d’âge appropriée. Un tel but ne constituerait toutefois pas une justification objective car il n’existerait pas de critère suffisamment précis dans le droit national pour définir une structure d’âge pouvant être qualifiée de favorable ou de défavorable. Un tel objectif servirait non pas l’intérêt général, mais l’intérêt individuel de l’employeur. En tout état de cause, le Land Hessen n’aurait pas présenté la nature ni les raisons de la structure d’âge qu’il considère comme appropriées. Les chiffres qu’il a fournis établiraient qu’une partie notable des effectifs du ministère public est déjà composée de personnes jeunes. La juridiction de renvoi ajoute que de récentes études montrent qu’il n’existe pas de corrélation entre la mise à la retraite d’office des personnes ayant atteint la limite d’âge et l’entrée dans la profession de personnes plus jeunes. Ladite juridiction se demande également si des chiffres qui ne concernent que le Land Hessen et, à l’intérieur de ce Land, les fonctionnaires soumis au droit public, lesquels ne représentent qu’une petite fraction des agents dudit Land et des salariés de l’État membre concerné, peuvent démontrer l’existence d’un objectif d’intérêt général et si un tel objectif n’exige pas de se placer à un niveau plus élevé, notamment au niveau de l’ensemble des fonctionnaires et des agents du Land Hessen, voire de l’ensemble des fonctionnaires et des agents dudit État membre.

26      La juridiction de renvoi ajoute que les départs à la retraite des procureurs ne donnent pas toujours lieu à des recrutements aux fins de pourvoir les postes devenus vacants. Elle suggère que le Land Hessen chercherait ainsi à réaliser des économies budgétaires.

27      En outre, certaines mesures seraient dépourvues de cohérence. Il en irait ainsi en particulier de la possibilité de maintenir en activité le salarié jusqu’à l’âge de 68 ans malgré une présomption irréfragable d’inaptitude au service à partir de l’âge de 65 ans, du frein aux départs volontaires avant ce dernier âge et du relèvement de l’âge de départ à la retraite déjà prévu par certains textes législatifs.

28      Dans ces conditions, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Si elles sont appréciées au regard des critères du droit de l’Union, les dispositions du [HBG] relatives à la limite d’âge obligatoire, qui déclenche la mise à la retraite des fonctionnaires, poursuivent-elles un but d’intérêt général?

Il se pose à cet égard avant tout les questions spécifiques ci-après:

–        Quelles sont les exigences spécifiques qu’un tel objectif d’intérêt général doit remplir du point de vue du droit de l’Union? À quelles autres questions la juridiction de renvoi devrait-elle s’attacher pour clarifier la situation de fait?

–        L’intérêt à économiser les ressources budgétaires et à limiter le coût des ressources humaines – il s’agit en l’espèce d’éviter les recrutements pour diminuer les dépenses de personnel – constitue-t-il un objectif légitime au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78[...]?

–        Le désir d’un employeur public de planifier dans une certaine mesure les départs définitifs des fonctionnaires peut-il être considéré comme un objectif légitime d’intérêt général, y compris lorsque chaque employeur public soumis au HBG ou à la loi fédérale de coordination des statuts des fonctionnaires des Länder peut développer et imposer ses propres conceptions en matière de gestion prévisionnelle des ressources humaines?

–        L’intérêt à une ‘bonne répartition par tranches d’âge’ ou à une ‘bonne structure d’âge’ peut-il être un objectif d’intérêt général, même en l’absence de dispositions légales ou de normes générales sur ce qui est souhaitable en matière de tranches d’âge ou de structure d’âge?

–        L’ouverture de possibilités de promotion pour des fonctionnaires peut-elle être considérée comme un objectif légitime d’intérêt général au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78[...]?

–        En tant qu’elle vise à éviter les litiges avec les personnes plus âgées au sujet du point de savoir si elles sont toujours aptes à exercer leurs fonctions, une limite d’âge poursuit-elle un objectif légitime d’intérêt général?

–        L’intérêt général visé à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78[...] présuppose-t-il un concept de politique de l’emploi dépassant les employeurs publics et/ou privés individuels? Dans l’affirmative, quel doit être le degré d’uniformité et la force contraignante de ce concept?

–        Est-il concevable que des limites d’âge d’une portée aussi restreinte permettent à des employeurs publics ou privés individuels de poursuivre des objectifs d’intérêt général pour des groupes d’agents, limités en l’occurrence aux fonctionnaires ressortissant au champ d’application du HBG?

–        À quelles conditions peut-on considérer comme répondant à l’intérêt général visé à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78[...] l’objectif – licite, mais non obligatoire pour des employeurs publics – de pourvoir par voie de recrutement, le cas échéant après promotion d’agents déjà en service, les postes libérés par des départs à la retraite? Au-delà de déclarations à caractère général confirmant que la réglementation poursuit cet objectif, l’intérêt général doit-il également découler de statistiques ou d’autres constatations permettant de conclure au caractère suffisamment sérieux de cet objectif et à sa réalisation effective?

2)      a)     Quelles sont les exigences qu’une limite d’âge, au sens du HBG, doit remplir pour être appropriée et de nature à permettre la réalisation de l’objectif poursuivi?

b)      Faut-il des analyses plus précises pour déterminer le rapport entre le nombre – prévisible – de fonctionnaires des deux sexes qui voudront continuer de travailler après avoir atteint la limite d’âge et le nombre de ceux qui, ayant atteint la limite d’âge, perçoivent une pension au taux plein et souhaitent par conséquent quitter la fonction publique en toute hypothèse? Ne conviendrait-il pas dans cette situation de donner aux départs volontaires la préférence sur les mises à la retraite d’office, pour autant qu’une réduction du montant de la pension, si elle est prise avant l’âge légal, garantit que le budget des pensions ne sera pas surchargé et que les frais de personnel qui en découlent seront limités? (Le départ volontaire plutôt que forcé est ainsi un régime plus approprié et n’est, en pratique, guère moins propre à réaliser l’objectif poursuivi).

c)      Peut-il être approprié et nécessaire de rompre automatiquement, sur la base d’une présomption irréfragable d’inaptitude au service, le rapport d’emploi de fonctionnaires des deux sexes ayant atteint un certain âge, en l’occurrence 65 ans révolus?

d)      Est-il approprié que le maintien dans la fonction publique, qui est en soi possible, en tout cas jusqu’à l’âge de 68 ans, soit fonction exclusivement des intérêts particuliers de l’employeur public et que l’absence d’intérêts de ce genre entraîne obligatoirement la fin du rapport d’emploi, sans aucune possibilité juridique pour la personne concernée d’être rétablie dans le statut de fonctionnaire?

e)      Lorsque, au lieu de se limiter à la fixation, conformément à l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2000/78[...], des conditions d’obtention d’une pension de retraite au taux plein, la limite d’âge entraîne obligatoirement la perte de l’emploi, cette limite doit-elle être considérée comme affectant dans une mesure injustifiée les intérêts des personnes âgées, par rapport à ceux des personnes plus jeunes, dont la valeur n’est en principe pas supérieure?

f)      Si l’objectif consistant à faciliter les recrutements et/ou les promotions est reconnu comme légitime, quelles sont les exigences factuelles spécifiques qu’il convient de remplir pour établir jusqu’à quel point les possibilités correspondantes sont vraiment exploitées? Faut-il se référer à cet égard à tout employeur public qui applique la limite d’âge ou à tous les employeurs publics soumis à la réglementation légale, et le marché de l’emploi en général doit-il être inclus ou non?

g)      Compte tenu des lacunes à caractère démographique déjà perceptibles sur le marché de l’emploi et de l’apparition imminente de besoins en personnels qualifiés de toutes catégories, y compris dans la fonction publique fédérale et dans celle des Länder, est-il approprié et nécessaire que des fonctionnaires des deux sexes aptes au service et désireux de poursuivre leur activité soient contraints de quitter la fonction publique, malgré l’apparition imminente d’un besoin en personnel considérable, que le marché du travail ne sera guère en mesure de couvrir? Faut-il à cet égard fournir des données relatives à chaque branche du marché de l’emploi, qu’il conviendra le cas échéant de collecter ultérieurement?

3)      a)     Quelles exigences en matière de cohérence doivent être remplies par les dispositions en matière de limite d’âge prévues par la législation du Land Hessen et, le cas échéant, par la législation fédérale allemande?

b)      Peut-on considérer qu’il n’y a pas de contradiction entre le paragraphe 1 et le paragraphe 3 de l’article 50 du HBG, alors que la prorogation de la relation d’emploi au-delà de la limite d’âge dépend exclusivement des intérêts de l’employeur public?

c)      Une interprétation conforme à la directive [2000/78] de l’article 50, paragraphe 3, du HBG peut-elle, le cas échéant, conduire à ce que, pour éviter une discrimination en raison de l’âge, la relation d’emploi doive toujours être prorogée si aucune raison de service ne s’y oppose? Quelles exigences devraient être remplies par une telle raison de service? Faut-il considérer que, pour que les intérêts du service exigent le maintien de la relation d’emploi, il suffit que la rupture de celle-ci entraîne une discrimination injustifiable en raison de l’âge?

d)      Par quel moyen une telle interprétation de l’article 50, paragraphe 3, du HBG peut-elle permettre de proroger ou de restaurer la qualité de fonctionnaire du requérant, alors même qu’elle lui a déjà été retirée? Faut-il dans cette hypothèse écarter l’application de l’article 50, paragraphe 1, du HBG, en tout cas jusqu’au soixante-huitième anniversaire de l’intéressé?

e)      Est-il approprié et nécessaire d’entraver, d’une part, les départs volontaires à partir de l’âge de 60 ou de 63 ans, en réduisant durablement le montant de la pension de retraite, tout en excluant, d’autre part, la prorogation volontaire de la relation d’emploi au-delà de 65 ans, sauf si l’employeur public manifeste exceptionnellement un intérêt particulier pour cette prorogation?

f)      L’existence de régimes plus avantageux prévus pour les personnes bénéficiant d’un temps partiel pour personnes âgées, d’une part, et pour les fonctionnaires recrutés pour une durée déterminée, d’autre part, enlève-t-elle à la limite d’âge prévue à l’article 50, paragraphe 1, du HBG son caractère approprié et nécessaire?

g)      Du point de vue de la cohérence, comment faut-il apprécier les différentes réglementations du droit de la fonction publique, du droit du travail et du droit de la sécurité sociale qui d’une part poursuivent un relèvement durable de l’âge ouvrant droit à une pension de retraite au taux plein, d’autre part interdisent le licenciement motivé par l’arrivée à l’âge prévu pour la pension de vieillesse normale et d’autre part encore imposent la fin de la relation d’emploi aux personnes ayant atteint cet âge?

h)      Est-il important du point de vue de la cohérence que le relèvement progressif des limites d’âge en ce qui concerne les salariés relevant du code de la sécurité sociale et les agents de la fonction publique de l’État fédéral ainsi que de certains Länder serve avant tout l’intérêt des salariés à être soumis le plus tard possible aux conditions plus strictes applicables pour l’obtention d’une pension de vieillesse au taux plein dans le secteur public ou dans le secteur privé? Ces questions doivent-elles être considérées comme dépourvues de pertinence parce que les fonctionnaires des deux sexes soumis au HBG n’ont encore subi aucun relèvement de la limite d’âge, alors que ce relèvement est imminent pour les agents contractuels?»

29      Par ordonnance du président de la Cour du 6 mai 2010, les affaires C‑159/10 et C‑160/10 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

 Sur les questions préjudicielles

30      La juridiction de renvoi soulève de nombreuses interrogations, regroupées en substance en trois questions, dont certaines portent sur l’interprétation du droit national. À cet égard, il convient de rappeler que la Cour n’est pas compétente, au titre de l’article 267 TFUE, pour statuer à titre préjudiciel sur l’interprétation de règles relevant du droit interne. La compétence de la Cour est limitée à l’examen des seules dispositions du droit de l’Union (voir, notamment, arrêt du 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze e.a., C‑222/04, Rec. p. I‑289, point 63).

31      Il convient dès lors de répondre aux questions posées en tenant compte de cette limitation.

 Sur la première question

32      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2000/78 s’oppose à une loi, telle que le HBG, qui prévoit la mise à la retraite d’office des fonctionnaires à vie, en l’occurrence les procureurs, à l’âge de 65 ans, sous réserve de la possibilité pour ceux-ci de continuer à travailler, si l’intérêt du service l’exige, jusqu’à l’âge maximal de 68 ans, dès lors que cette loi vise un ou plusieurs objectifs parmi les suivants, à savoir l’établissement d’une «bonne structure d’âge», la planification des départs, la promotion des fonctionnaires, la prévention des litiges ou la réalisation d’économies budgétaires.

33      Il n’est pas contesté que la cessation du contrat de travail des fonctionnaires du Land Hessen, en particulier des procureurs, lorsqu’ils atteignent l’âge leur permettant de bénéficier d’une retraite à taux plein, à savoir l’âge de 65 ans, constitue une différence de traitement en fonction de l’âge, au sens de l’article 6, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/78.

34      Une disposition telle que l’article 50, paragraphe 1, du HBG affecte, en effet, les conditions d’emploi et de travail, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78, en empêchant les procureurs concernés de continuer à travailler au-delà de l’âge de 65 ans. Par ailleurs, en assurant à ces personnes un traitement moins favorable que celui qui est réservé à des personnes n’ayant pas atteint cet âge, cette disposition introduit une différence de traitement directement fondée sur l’âge, au sens de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive.

35      L’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 énonce qu’une différence de traitement fondée sur l’âge ne constitue pas une discrimination lorsqu’elle est objectivement et raisonnablement justifiée, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens pour réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

36      Aux fins de répondre à la question posée, il y a lieu, dès lors, de vérifier si ladite disposition est justifiée par un objectif légitime et si les moyens mis en œuvre pour y parvenir sont appropriés et nécessaires.

 Sur l’existence d’un objectif légitime

37      Il convient, à titre liminaire, d’examiner les conséquences de l’absence de mention précise dans le HBG de l’objectif poursuivi par celui-ci, les conséquences résultant d’une modification de cet objectif et du contexte dans lequel il s’insère, ainsi que la possibilité ou non d’invoquer plusieurs objectifs.

38      Il ressort, tout d’abord, de la décision de renvoi que le HBG ne précise pas clairement l’objectif qu’il poursuit par son article 50, paragraphe 1, fixant la limite d’âge des fonctionnaires à vie à 65 ans.

39      À cet égard, la Cour a itérativement jugé qu’il ne saurait être inféré de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 qu’un manque de précision de la réglementation en cause quant à l’objectif poursuivi aurait pour effet d’exclure automatiquement que celle-ci puisse être justifiée au titre de cette disposition. À défaut d’une telle précision, il importe que d’autres éléments tirés du contexte général de la mesure concernée permettent l’identification de l’objectif sous-tendant cette dernière aux fins de l’exercice d’un contrôle juridictionnel quant à sa légitimité ainsi qu’au caractère approprié et nécessaire des moyens mis en œuvre pour réaliser cet objectif (arrêts du 16 octobre 2007, Palacios de la Villa, C‑411/05, Rec. p. I‑8531, points 56 et 57; du 12 janvier 2010, Petersen, C‑341/08, non encore publié au Recueil, point 40, ainsi que du 12 octobre 2010, Rosenbladt, C‑45/09, non encore publié au Recueil, point 58).

40      S’agissant de la modification de l’objectif poursuivi, il ressort de la décision de renvoi que, initialement, l’article 50 du HBG était fondé sur la présomption irréfragable d’une inaptitude au travail au-delà de l’âge de 65 ans. Lors de l’audience, les représentants du Land Hessen et du gouvernement allemand ont toutefois souligné que cette présomption ne devait plus être considérée comme constituant le fondement de la limite d’âge et que le législateur avait admis que les personnes puissent être aptes à travailler au-delà de cet âge.

41      Il y a lieu de considérer, à cet égard, qu’un changement du contexte dans lequel s’inscrit une loi, lequel conduit à une modification de l’objectif de cette loi, ne saurait, en lui-même, empêcher que celle-ci poursuive un objectif légitime, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78.

42      Les circonstances peuvent changer et la loi être néanmoins maintenue pour d’autres raisons.

43      Ainsi, dans les présentes affaires au principal, outre le changement relatif à la perception de l’aptitude à travailler au-delà de l’âge de 65 ans, la circonstance évoquée par la juridiction de renvoi, selon laquelle la limite d’âge a été introduite au cours d’une période de plein emploi puis maintenue en période de chômage, a pu conduire à une modification de l’objectif poursuivi, sans pour autant empêcher que celui-ci présente un caractère légitime.

44      S’agissant de l’invocation de plusieurs objectifs simultanément, il ressort de la jurisprudence que la coexistence de plusieurs objectifs ne constitue pas un obstacle à l’existence d’un objectif légitime, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78.

45      Tel était le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Rosenbladt, précité, dans laquelle la Cour a jugé, aux points 43 et 45 de cet arrêt, que des objectifs de la nature de ceux invoqués par le gouvernement allemand pouvaient être considérés comme relevant des objectifs visés à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78.

46      Les objectifs invoqués peuvent être liés les uns aux autres (voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 2010, Georgiev, C‑250/09 et C‑268/09, non encore publié au Recueil, points 45, 46 et 68), ou classés par ordre d’importance comme dans l’affaire à l’origine de l’arrêt Petersen, précité, dans laquelle, ainsi qu’il ressort des points 41 et 65, le gouvernement allemand s’était appuyé, à titre principal, sur un objectif et, à titre subsidiaire, sur un autre objectif.

 Sur les objectifs invoqués par la juridiction de renvoi

47      Selon la juridiction de renvoi, l’article 50, paragraphe 1, du HBG a pour objectif, notamment, l’établissement d’une «bonne structure d’âge», laquelle serait constituée par la présence simultanée dans la profession en cause, à savoir celle des procureurs, de jeunes salariés en début de carrière et de salariés plus âgés se trouvant à un stade avancé de celle-ci. Le Land Hessen et le gouvernement allemand soutiennent qu’il s’agit là de l’objectif principal poursuivi par cette disposition. L’obligation de partir à la retraite à l’âge de 65 ans vise, selon eux, à établir un équilibre entre les générations, auquel se rattachent trois autres objectifs mentionnés par la juridiction de renvoi, à savoir planifier efficacement les départs et les recrutements, favoriser l’embauche ainsi que la promotion des jeunes et éviter les litiges portant sur l’aptitude du salarié à exercer son activité au-delà de cet âge.

48      Le Land Hessen et le gouvernement allemand soutiennent que la présence, dans la fonction publique concernée, de personnels d’âges différents permet également un transfert d’expérience des plus anciens vers les plus jeunes et la communication par ces derniers de connaissances récemment acquises, cette présence contribuant ainsi à offrir un service public de la justice de qualité.

49      Il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, la promotion de l’embauche constitue incontestablement un objectif légitime de politique sociale ou de l’emploi des États membres, notamment lorsqu’il s’agit de favoriser l’accès des jeunes à l’exercice d’une profession (arrêt Georgiev, précité, point 45). La Cour a, par ailleurs, jugé que la cohabitation de différentes générations de salariés peut également contribuer à la qualité des activités poursuivies, notamment en favorisant l’échange d’expérience (voir en ce sens, s’agissant d’enseignants et de chercheurs, arrêt Georgiev, précité, point 46).

50      Il convient, de la même manière, de considérer que l’objectif consistant à établir une structure d’âge équilibrée entre jeunes fonctionnaires et fonctionnaires plus âgés afin de favoriser l’embauche et la promotion des jeunes, d’optimiser la gestion du personnel et par là même de prévenir les litiges éventuels portant sur l’aptitude du salarié à exercer son activité au-delà d’un certain âge tout en visant à offrir un service de la justice de qualité peut constituer un objectif légitime de politique de l’emploi et du marché du travail.

51      La juridiction de renvoi se demande toutefois si une mesure telle que l’article 50, paragraphe 1, du HBG ne satisfait pas l’intérêt de l’employeur plutôt que l’intérêt général. Elle pose en particulier la question de savoir si les dispositions prises par un seul Land, pour une partie de ses agents, en l’occurrence les fonctionnaires à vie dont font partie les procureurs, ne visent pas un groupe trop restreint de personnes pour constituer une mesure poursuivant un objectif d’intérêt général.

52      La Cour a jugé que les objectifs pouvant être considérés comme «légitimes», au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78, sont des objectifs présentant un caractère d’intérêt général qui se distinguent de motifs purement individuels propres à la situation de l’employeur, tels que la réduction des coûts ou l’amélioration de la compétitivité, sans qu’il soit pour autant possible d’exclure qu’une règle nationale reconnaisse, dans la poursuite desdits objectifs légitimes, un certain degré de flexibilité aux employeurs (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2009, Age Concern England, C‑388/07, Rec. p. I‑1569, point 46).

53      Il y a lieu de constater que des objectifs tels que ceux mentionnés au point 50 du présent arrêt, qui tiennent compte des intérêts de l’ensemble des fonctionnaires concernés, dans le cadre de préoccupations relevant de la politique de l’emploi et du marché du travail, en vue d’assurer un service public de qualité, en l’occurrence celui de la justice, peuvent être considérés comme des objectifs d’intérêt général.

54      La Cour a, par ailleurs, jugé que les autorités compétentes au niveau national, régional ou sectoriel doivent bénéficier de la possibilité de modifier les moyens mis en œuvre au service d’un objectif légitime d’intérêt général, par exemple en les adaptant à l’évolution de la situation de l’emploi dans l’État membre concerné (arrêt Palacios de la Villa, précité, point 70).

55      Ainsi, la circonstance qu’une disposition soit adoptée au niveau régional ne fait pas obstacle à ce qu’elle poursuive un objectif légitime, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78. Dans un État tel que la République fédérale d’Allemagne, le législateur peut estimer que, dans l’intérêt de l’ensemble des personnes concernées, il appartient aux Länder plutôt qu’aux autorités fédérales, d’adopter certaines mesures législatives relevant de cette disposition, telles que l’âge de départ à la retraite des fonctionnaires à vie.

56      Encore faut-il qu’une mise à la retraite, en principe obligatoire à l’âge de 65 ans, telle que celle prévue à l’article 50, paragraphe 1, du HBG, soit appropriée et nécessaire à cet effet.

57      En ce qui concerne le caractère approprié d’une telle mesure, le Land Hessen et le gouvernement allemand font valoir que le nombre de postes disponibles dans la fonction publique est limité, notamment s’agissant de ceux de procureur, et particulièrement aux échelons les plus élevés. Face aux exigences budgétaires, la possibilité de créer de nouveaux postes serait restreinte. Ils précisent que les procureurs, comme l’ensemble des fonctionnaires, sont nommés à vie et qu’ils ne se retirent volontairement et prématurément de leurs fonctions que de manière exceptionnelle. Ainsi, la fixation d’un âge obligatoire pour le départ à la retraite des procureurs constituerait le seul moyen de répartir l’emploi de manière équitable entre les générations.

58      La Cour a déjà admis dans le cadre de professions dans lesquelles le nombre de postes disponibles était limité que le départ à la retraite à un âge fixé dans la loi était de nature à faciliter l’accès des jeunes à l’emploi (voir en ce sens, s’agissant de dentistes conventionnés, arrêt Petersen, précité, point 70, et, en ce qui concerne des professeurs d’université, arrêt Georgiev, précité, point 52).

59      S’agissant de la profession de procureur en Allemagne, il apparaît que l’accès à cette profession est limité par l’obligation pour ses membres d’avoir obtenu une qualification particulière exigeant d’avoir suivi avec succès un cycle d’études et un stage préparatoire. De plus, l’entrée des jeunes pourrait être freinée en raison de la nomination à vie des fonctionnaires concernés.

60      Dans de telles conditions, il n’apparaît pas déraisonnable que les autorités compétentes d’un État membre estiment qu’une mesure telle que l’article 50, paragraphe 1, du HBG puisse être de nature à permettre que soit atteint l’objectif consistant à mettre en place une structure d’âge équilibrée aux fins de faciliter la planification des départs, d’assurer la promotion des fonctionnaires, notamment des plus jeunes d’entre eux, et de prévenir les litiges pouvant éventuellement survenir lors des mises à la retraite.

61      Il y a lieu de rappeler que les États membres disposent d’une large marge d’appréciation dans la définition des mesures susceptibles de réaliser ledit objectif (voir, en ce sens, arrêt Palacios de la Villa, précité, point 68).

62      Pour autant, les États membres ne sauraient vider de sa substance l’interdiction des discriminations en fonction de l’âge énoncée dans la directive 2000/78. Cette interdiction doit être lue à la lumière du droit de travailler reconnu à l’article 15, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

63      Il en résulte qu’une attention particulière doit être accordée à la participation des travailleurs âgés à la vie professionnelle et, par là même, à la vie économique, culturelle et sociale. Le maintien de ces personnes dans la vie active favorise la diversité dans l’emploi, cette dernière étant un objectif reconnu au vingt-cinquième considérant de la directive 2000/78. Ce maintien contribue, par ailleurs, à l’épanouissement personnel ainsi qu’à la qualité de vie des travailleurs concernés, conformément aux préoccupations du législateur de l’Union énoncées aux huitième, neuvième et onzième considérants de cette directive.

64      Toutefois, l’intérêt que représente le maintien en activité desdites personnes doit être pris en compte dans le respect d’autres intérêts éventuellement divergents. Les personnes ayant atteint l’âge ouvrant un droit à une pension de retraite peuvent souhaiter se prévaloir de ce dernier et quitter leurs fonctions avec le bénéfice d’une telle pension, au lieu de continuer à travailler. Par ailleurs, des clauses de cessation automatique des contrats de travail des salariés ayant atteint l’âge du départ à la retraite pourraient favoriser, dans l’intérêt d’un partage du travail entre les générations, l’insertion professionnelle de jeunes travailleurs.

65      Ainsi, en définissant leur politique sociale en fonction de considérations d’ordre politique, économique, social, démographique et/ou budgétaire, les autorités nationales concernées peuvent être amenées à choisir d’allonger la durée de la vie active des travailleurs ou, au contraire, de prévoir un départ à la retraite plus précoce de ces derniers (voir arrêt Palacios de la Villa, précité, points 68 et 69). La Cour a jugé qu’il incombe à ces autorités de trouver un juste équilibre entre les différents intérêts en présence, tout en veillant à ne pas aller au-delà de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre l’objectif légitime poursuivi (voir, en ce sens, arrêts précités Palacios de la Villa, points 69 et 71, ainsi que Rosenbladt, point 44).

66      À cet égard, la Cour a admis qu’une mesure permettant la mise à la retraite d’office de travailleurs lorsqu’ils atteignent l’âge de 65 ans puisse répondre à l’objectif consistant à promouvoir l’embauche et être considérée comme ne portant pas une atteinte excessive aux prétentions légitimes des travailleurs concernés, lorsque ces personnes peuvent bénéficier d’une pension dont le niveau ne saurait être considéré comme déraisonnable (voir, en ce sens, arrêt Palacios de la Villa, précité, point 73). La Cour a également jugé, s’agissant d’une mesure imposant la cessation automatique des contrats de travail à cet âge, dans un secteur où, selon la juridiction de renvoi, cette mesure était susceptible de causer un préjudice financier important au travailleur concerné, que celle-ci n’allait pas au-delà de ce qui était nécessaire pour atteindre les objectifs recherchés, notamment la promotion de l’embauche. La Cour a tenu compte de ce que le travailleur pouvait obtenir la liquidation de ses droits à pension tout en restant sur le marché du travail et en bénéficiant de la protection contre la discrimination fondée sur l’âge (voir, en ce sens, arrêt Rosenbladt, précité, points 73 à 76).

67      Dans les présentes affaires au principal, il ressort du dossier que les procureurs sont mis à la retraite, en principe, à l’âge de 65 ans avec le bénéfice d’une pension à taux plein correspondant à près de 72 % de leur dernier salaire. Par ailleurs, l’article 50, paragraphe 3, du HBG prévoit la possibilité pour les procureurs de travailler pendant encore trois ans, jusqu’à l’âge de 68 ans, s’ils le demandent et si l’intérêt du service l’exige. Enfin, le droit national n’empêcherait pas ces personnes d’exercer une autre activité professionnelle, telle que celle de conseiller juridique, sans limite d’âge.

68      Compte tenu de tels éléments, il y a lieu de considérer qu’une mesure prévoyant la mise à la retraite des procureurs lorsqu’ils atteignent l’âge de 65 ans, telle que celle prévue à l’article 50, paragraphe 1, du HBG, ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour que soit atteint l’objectif consistant à établir une structure d’âge équilibrée afin de favoriser l’embauche et la promotion des jeunes, d’optimiser la gestion du personnel et par là même de prévenir les litiges portant sur l’aptitude du salarié à exercer son activité au-delà d’un certain âge.

69      Il convient encore de relever que la juridiction de renvoi interroge également la Cour sur la légitimité, au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78, d’un objectif consistant à réaliser des économies budgétaires.

70      Le Land Hessen et le gouvernement allemand ont toutefois fait valoir que, à leur avis, l’article 50, paragraphe 1, du HBG ne poursuivait pas un tel objectif. Selon le Land Hessen, la circonstance que certains fonctionnaires à vie, en l’occurrence des procureurs, n’ont pas été remplacés s’explique par le fait que ces derniers avaient été nommés pour répondre à une augmentation exceptionnelle d’un contentieux particulier à un moment donné. Ledit Land fait observer que, mis à part ces suppressions, le nombre de procureurs a augmenté depuis l’année 2006.

71      À cet égard, il appartient au juge national de vérifier si l’objectif consistant à réaliser des économies budgétaires est un objectif poursuivi par le HBG.

72      Il convient de rappeler que les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence (voir, notamment, arrêt du 22 juin 2010, Melki et Abdeli, C‑188/10 et C‑189/10, non encore publié au Recueil, point 27). En l’espèce, dès lors qu’il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou que le problème est de nature hypothétique, il incombe à la Cour de répondre à la question posée.

73      Ainsi qu’il ressort du point 65 du présent arrêt, dans le cadre de l’adoption de mesures en matière de retraite, le droit de l’Union n’empêche pas les États membres de tenir compte de considérations budgétaires parallèlement à des considérations d’ordre politique, social ou démographique, pour autant que, ce faisant, ils respectent, en particulier, le principe général de l’interdiction des discriminations fondées sur l’âge.

74      À cet égard, si des considérations d’ordre budgétaire peuvent être à la base des choix de politique sociale d’un État membre et influencer la nature ou l’étendue des mesures qu’il souhaite adopter, de telles considérations ne peuvent constituer à elles seules un objectif légitime au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78.

75      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que la directive 2000/78 ne s’oppose pas à une loi, telle que le HBG, qui prévoit la mise à la retraite d’office des fonctionnaires à vie, en l’occurrence les procureurs, lorsqu’ils atteignent l’âge de 65 ans, tout en leur permettant de continuer à travailler, si l’intérêt du service l’exige, jusqu’à l’âge maximal de 68 ans, pour autant que cette loi a pour objectif d’établir une structure d’âge équilibrée afin de favoriser l’embauche et la promotion des jeunes, d’optimiser la gestion du personnel et par là même de prévenir les litiges éventuels portant sur l’aptitude du salarié à exercer son activité au-delà d’un certain âge et qu’elle permet d’atteindre cet objectif par des moyens appropriés et nécessaires.

 Sur la deuxième question

76      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, quelles sont les données qui doivent être produites par l’État membre pour démontrer le caractère approprié et nécessaire de la mesure en cause au principal et, notamment, si des statistiques ou des données chiffrées précises doivent être fournies.

77      Il ressort du point 51 de l’arrêt Age Concern England, précité, que de simples affirmations générales indiquant qu’une mesure est propre à participer à la politique de l’emploi, du marché du travail ou de la formation professionnelle ne suffisent pas pour faire apparaître que l’objectif de cette mesure est de nature à ce qu’il soit dérogé au principe de non-discrimination en fonction de l’âge ni ne constituent des éléments permettant raisonnablement d’estimer que les moyens choisis sont propres à permettre la réalisation de cet objectif.

78      La Cour a également souligné, au point 67 de cet arrêt, que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 impose aux États membres la charge d’établir le caractère légitime de l’objectif invoqué à titre de justification à concurrence d’un seuil probatoire élevé.

79      Selon le quinzième considérant de la directive 2000/78, l’appréciation des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination appartient à l’instance judiciaire nationale ou à une autre instance compétente conformément au droit national ou aux pratiques nationales. Ceux-ci peuvent prévoir, en particulier, que la discrimination indirecte peut être établie par tous moyens, y compris sur la base de données statistiques.

80      Afin d’apprécier le degré de précision des éléments de preuve requis, il y a lieu de rappeler que les États membres disposent d’une large marge d’appréciation dans le choix d’une mesure qu’ils estiment appropriée.

81      Ce choix peut ainsi reposer sur des considérations d’ordre économique, social, démographique et/ou budgétaire, lesquelles comprennent des données existantes et vérifiables mais aussi des prévisions qui, par nature, peuvent se révéler inexactes et comportent donc un degré d’incertitude. Ladite mesure peut en outre reposer sur des considérations d’ordre politique, lesquelles impliquent souvent un arbitrage entre plusieurs solutions envisageables et ne permettent pas non plus de donner un caractère certain au résultat escompté.

82      Il appartient au juge national d’apprécier, selon les règles du droit national, la valeur probatoire des éléments qui lui sont soumis, lesquels peuvent notamment comprendre des données statistiques.

83      Il convient, dès lors, de répondre à la deuxième question que, pour que soit démontré le caractère approprié et nécessaire de la mesure concernée, celle-ci ne doit pas apparaître déraisonnable au regard de l’objectif poursuivi et doit être fondée sur des éléments dont il appartient au juge national d’apprécier la valeur probatoire.

 Sur la troisième question

84      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi s’interroge sur le caractère cohérent d’une loi telle que le HBG. Elle se demande, plus particulièrement, en substance, si cette loi ne présente pas des incohérences en ce qu’elle contraint les procureurs à partir à la retraite lorsqu’ils atteignent l’âge de 65 ans, alors que, premièrement, elle leur permet de poursuivre leurs activités jusqu’à l’âge de 68 ans si l’intérêt du service l’exige, deuxièmement, elle tend à freiner le départ volontaire à l’âge de 60 ans ou de 63 ans en diminuant, dans ce cas, le montant des droits à pension et, troisièmement, les lois applicables à la fonction publique au niveau fédéral et dans plusieurs autres Länder ainsi que le code de la sécurité sociale applicable aux salariés du secteur privé prévoient le relèvement progressif de 65 à 67 ans de l’âge de départ à la retraite avec une pension à taux plein.

85      Il convient de rappeler, conformément à une jurisprudence constante, qu’une législation n’est propre à garantir la réalisation de l’objectif invoqué que si elle répond véritablement au souci de l’atteindre d’une manière cohérente et systématique (arrêts du 10 mars 2009, Hartlauer, C‑169/07, Rec. p. I‑1721, point 55, et Petersen, précité, point 53).

86      Des exceptions aux dispositions d’une loi peuvent dans certains cas porter atteinte à la cohérence de celle-ci, notamment lorsque, par leur ampleur, elles aboutissent à un résultat contraire à l’objectif recherché par ladite loi (voir, en ce sens, arrêt Petersen, précité, point 61).

87      En ce qui concerne l’exception relative à la prolongation de l’activité des procureurs jusqu’à l’âge de 68 ans, énoncée à l’article 50, paragraphe 3, du HBG, il y a lieu de constater qu’elle ne s’applique que si l’intérêt du service l’exige et si l’intéressé le demande.

88      Lors de l’audience, le Land Hessen a indiqué que cette exception vise à couvrir le cas dans lequel un procureur atteint l’âge de 65 ans alors que lui a été confiée une affaire pénale dont la procédure n’a pas encore été menée à son terme. Afin d’éviter les complications éventuelles dues au remplacement de l’intéressé, le HBG prévoirait, à titre exceptionnel, que celui-ci puisse continuer à exercer ses fonctions. Dans l’intérêt du service, l’administration concernée pourrait ainsi estimer préférable de maintenir ledit procureur en fonction plutôt que de nommer un remplaçant qui devrait reprendre un dossier dont il ne connaît pas le contenu.

89      Il y a lieu de constater qu’une telle exception ne paraît pas de nature à porter atteinte à l’objectif poursuivi, à savoir, garantir une structure d’âge équilibrée aux fins notamment d’assurer une qualité du service élevée.

90      Une exception de ce type peut en revanche atténuer les rigueurs d’une loi, telle que le HBG, dans l’intérêt même du service public concerné. En effet, si la planification des départs et des recrutements, grâce au départ systématique des procureurs lorsqu’ils atteignent l’âge de 65 ans, contribue au bon fonctionnement dudit service, l’introduction, dans cette loi, de l’exception mentionnée au point 88 du présent arrêt permet de faire face à des situations concrètes dans lesquelles le départ du procureur pourrait être défavorable à un accomplissement optimal de la mission qui lui a été confiée. Dans ces conditions, cette exception n’apparaît pas incohérente au regard de la loi concernée.

91      Il convient d’ajouter que d’autres exceptions figurant dans le HBG et mentionnées par la juridiction de renvoi, telles que le maintien en activité de certains enseignants pendant quelques mois supplémentaires, au-delà de l’âge de 65 ans, afin de terminer une période d’enseignement ou de certains élus pour assurer leur mandat jusqu’à son terme, visent, de la même manière, à garantir l’accomplissement des missions confiées aux intéressés et ne semblent pas non plus porter atteinte à l’objectif poursuivi.

92      Selon la juridiction de renvoi, un autre problème de cohérence tient au fait que le HBG tente de freiner les départs volontaires à la retraite des procureurs ayant atteint les âges de 60 ans ou de 63 ans, par une disposition qui prévoit la réduction du montant de la pension accordée dans ces cas, alors que l’article 50, paragraphe 1, de cette loi empêche ceux-ci de poursuivre leur activité au-delà de l’âge de 65 ans.

93      Il y a lieu de constater que le problème de cohérence soulevé par la juridiction de renvoi n’est pas clairement établi. Une disposition, telle que celle invoquée par cette dernière, semble, au contraire, être la conséquence logique de l’article 50, paragraphe 1, du HBG. La mise en œuvre d’un tel article, qui implique une planification des départs à la retraite à l’âge de 65 ans, exige, en effet, que les dérogations à ces départs soient limitées. Or, une disposition prévoyant une réduction du montant de la pension est susceptible de dissuader ou, à tout le moins, de freiner les départs anticipés des procureurs. Une telle disposition contribue ainsi à la réalisation de l’objectif recherché et ne permet pas de considérer le HBG comme entaché d’incohérence.

94      La juridiction de renvoi évoque également le relèvement progressif de 65 à 67 ans de l’âge ouvrant droit à une pension de retraite à taux plein, tant dans la loi applicable à la fonction publique au niveau fédéral que dans celles adoptées par plusieurs Länder ainsi que dans le code de la sécurité sociale applicable aux salariés de droit privé. À la date des faits au principal, un relèvement similaire était envisagé par le Land Hessen, mais n’avait pas encore été adopté.

95      À cet égard, le seul fait que le législateur envisage à un moment donné de changer la loi pour relever l’âge ouvrant droit à une pension de retraite à taux plein ne saurait, dès ce moment, entraîner l’illégalité de la loi existante. Il y a lieu d’admettre qu’un tel passage éventuel d’une loi à une autre n’est pas immédiat, mais nécessite un certain laps de temps.

96      Ainsi qu’il ressort du vingt-cinquième considérant de la directive 2000/78, le rythme des changements peut varier d’un État membre à l’autre pour tenir compte de la situation particulière de ceux-ci. Il peut également être différent d’une région à l’autre, en l’occurrence d’un Land à un autre, pour tenir compte des spécificités régionales et permettre aux autorités compétentes d’effectuer les adaptations nécessaires.

97      Il s’ensuit que l’existence d’un simple décalage dans le temps entre les changements apportés à la loi d’un État membre ou d’un Land et ceux introduits dans un autre État ou un autre Land, aux fins de relever l’âge ouvrant droit à une pension de retraite à taux plein, ne saurait, en elle-même, donner à la législation en cause un caractère incohérent.

98      Il y a lieu, par conséquent, de répondre à la troisième question qu’une loi, telle que le HBG, qui prévoit un départ à la retraite obligatoire des procureurs lorsqu’ils atteignent l’âge de 65 ans, ne présente pas un caractère incohérent en raison du seul fait qu’elle leur permet dans certains cas de travailler jusqu’à l’âge de 68 ans, qu’elle contient, en outre, des dispositions destinées à freiner les départs à la retraite avant l’âge de 65 ans et que d’autres dispositions législatives de l’État membre concerné prévoient le maintien en activité de certains fonctionnaires, notamment certains élus, au-delà de cet âge ainsi qu’un relèvement progressif de l’âge de la retraite de 65 à 67 ans.

 Sur les dépens

99      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

1)      La directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, ne s’oppose pas à une loi, telle que la loi relative à la fonction publique du Land de Hesse (Hessisches Beamtengesetz), telle que modifiée par la loi du 14 décembre 2009, qui prévoit la mise à la retraite d’office des fonctionnaires à vie, en l’occurrence les procureurs, lorsqu’ils atteignent l’âge de 65 ans, tout en leur permettant de continuer à travailler, si l’intérêt du service l’exige, jusqu’à l’âge maximal de 68 ans, pour autant que cette loi a pour objectif d’établir une structure d’âge équilibrée afin de favoriser l’embauche et la promotion des jeunes, d’optimiser la gestion du personnel et par là même de prévenir les litiges éventuels portant sur l’aptitude du salarié à exercer son activité au-delà d’un certain âge et qu’elle permet d’atteindre cet objectif par des moyens appropriés et nécessaires.

2)      Pour que soit démontré le caractère approprié et nécessaire de la mesure concernée, celle-ci ne doit pas apparaître déraisonnable au regard de l’objectif poursuivi et doit être fondée sur des éléments dont il appartient au juge national d’apprécier la valeur probatoire.

3)      Une loi, telle que la loi relative à la fonction publique du Land de Hesse, telle que modifiée par la loi du 14 décembre 2009, qui prévoit un départ à la retraite obligatoire des procureurs lorsqu’ils atteignent l’âge de 65 ans, ne présente pas un caractère incohérent en raison du seul fait qu’elle leur permet dans certains cas de travailler jusqu’à l’âge de 68 ans, qu’elle contient, en outre, des dispositions destinées à freiner les départs à la retraite avant l’âge de 65 ans et que d’autres dispositions législatives de l’État membre concerné prévoient le maintien en activité de certains fonctionnaires, notamment certains élus, au-delà de cet âge ainsi qu’un relèvement progressif de l’âge de la retraite de 65 à 67 ans.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.