Affaire T-240/07
Heineken Nederland BV et
Heineken NV
contre
Commission européenne
« Concurrence — Ententes — Marché néerlandais de la bière — Décision constatant une infraction à l’article 81 CE — Preuve de l’infraction — Accès au dossier — Amende — Principe d’égalité de traitement — Délai raisonnable »
Sommaire de l'arrêt
1. Concurrence — Ententes — Accords entre entreprises — Notion — Concours de volontés quant au comportement à adopter sur le marché
(Art. 81, § 1, CE)
2. Concurrence — Ententes — Pratique concertée — Notion — Prise de contact incompatible avec l'obligation pour chaque entreprise de déterminer de manière autonome son comportement sur le marché — Échange d'informations — Présomption — Conditions
(Art. 81, § 1, CE)
3. Concurrence — Procédure administrative — Décision de la Commission constatant une infraction — Mode de preuve — Recours à un faisceau d'indices
(Art. 81, § 1, CE)
4. Concurrence — Procédure administrative — Décision de la Commission constatant une infraction — Mode de preuve — Preuves documentaires
(Art. 81, § 1, CE)
5. Droit communautaire — Principes — Droits fondamentaux — Présomption d'innocence — Procédure en matière de concurrence — Applicabilité
(Art. 81, § 1, CE)
6. Concurrence — Procédure administrative — Décision de la Commission constatant une infraction — Utilisation de déclarations soumises dans le cadre de la communication sur la coopération par d'autres entreprises ayant participé à l'infraction comme moyens de preuve — Admissibilité — Conditions
(Art. 81 CE et 82 CE)
7. Concurrence — Ententes — Accords entre entreprises — Preuve de l'infraction à la charge de la Commission — Limites
(Art. 81, § 1, CE)
8. Concurrence — Ententes — Pratique concertée — Atteinte à la concurrence — Critères d'appréciation — Objet anticoncurrentiel — Constatation suffisante
(Art. 81, § 1, CE)
9. Concurrence — Procédure administrative — Décision de la Commission constatant une infraction — Preuve de l'infraction et de sa durée à la charge de la Commission — Force probante de dépositions volontaires effectuées à charge contre une entreprise par les principaux participants à une entente en vue de bénéficier de l'application de la communication sur la coopération
(Art. 81, § 1, CE; communication de la Commission 96/C 207/04)
10. Concurrence — Ententes — Infraction complexe présentant des éléments d'accord et des éléments de pratique concertée — Qualification unique en tant qu'« accord et/ou pratique concertée » — Admissibilité
(Art. 81, § 1, CE)
11. Concurrence — Ententes — Participation à des réunions ayant un objet anticoncurrentiel
(Art. 81, § 1, CE)
12. Concurrence — Procédure administrative — Respect des droits de la défense — Accès au dossier — Portée — Refus de communication d'un document — Conséquences — Nécessité d'opérer au niveau de la charge de la preuve incombant à l'entreprise concernée une distinction entre les documents à charge et ceux à décharge
(Règlement du Conseil nº 1/2003, art. 27, § 2)
13. Concurrence — Procédure administrative — Accès au dossier — Documents ne figurant pas au dossier d'instruction et non retenus par la Commission pour être utilisés à charge — Documents pouvant servir à la défense des parties
(Art. 81, § 1, CE, et 82 CE; accord EEE, art. 53, 54 et 57; règlement du Conseil nº 139/2004; communication de la Commission 2005/C 325/07, point 27)
14. Concurrence — Procédure administrative — Respect des droits de la défense — Document à charge — Notion
(Règlement du Conseil nº 1/2003, art. 27, § 2)
15. Concurrence — Procédure administrative — Décision de la Commission constatant une infraction — Obligation pour la Commission d'examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d'espèce
16. Concurrence — Procédure administrative — Manifestation prématurée par la Commission de sa croyance en l'existence de l'infraction
17. Concurrence — Procédure administrative — Obligations de la Commission — Respect d'un délai raisonnable — Critères d'appréciation — Violation — Conséquences
(Règlement du Conseil nº 1/2003)
18. Concurrence — Procédure administrative — Demande de renseignements — Devoir général de prudence incombant aux entreprises ou associations d'entreprises
(Règlement du Conseil nº 17, art. 11)
19. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Marge d'appréciation réservée à la Commission — Limites — Respect des lignes directrices arrêtées par la Commission — Contrôle juridictionnel
(Art. 81 CE; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03)
20. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Prise en considération de l'impact concret sur le marché — Portée
(Art. 81 CE; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03, point 1 A)
21. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Prise en considération de la production d'effets sur une zone géographique particulière — Portée
(Art. 81 CE; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03)
22. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Pouvoir d'appréciation de la Commission
(Règlements du Conseil nº 17 et nº 1/2003; communication de la Commission 98/C 9/03)
23. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Répartition des entreprises concernées dans différentes catégories — Conditions
(Communication de la Commission 98/C 9/03, point 1 A, al. 6)
24. Concurrence — Amendes — Décision infligeant des amendes — Obligation de motivation — Portée — Indication des éléments d'appréciation ayant permis à la Commission de mesurer la gravité de l'infraction — Indication suffisante
(Art. 253 CE; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2 et 3)
25. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Caractère dissuasif — Critères d'évaluation du facteur de dissuasion
(Communication de la Commission 98/C 9/03, point 1 A, al. 4)
26. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Caractère dissuasif — Pouvoir d'appréciation de la Commission
(Règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2 et 3; communication de la Commission 98/C 9/03, point 1 A, al. 4)
27. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Circonstances atténuantes — Cessation de l'infraction dès les premières interventions de la Commission — Portée
(Art. 81, § 1, CE; règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03, point 3)
28. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Circonstances atténuantes — Non-application effective des accords illicites
(Art. 81, § 1, CE; communication de la Commission 98/C 9/03, point 3)
29. Concurrence — Règles communautaires — Infractions — Amendes — Détermination — Critères — Élévation du niveau général des amendes — Admissibilité — Conditions
(Article 81 CE; règlement du Conseil nº 1/2003)
30. Concurrence — Procédure administrative — Obligations de la Commission — Respect d'un délai raisonnable — Violation — Conséquences — Réduction en équité du montant de l'amende
(Art. 81 CE et 288, al. 2, CE)
1. Pour qu'il y ait accord au sens de l'article 81, paragraphe 1, CE, il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée. Il peut être considéré qu’un accord au sens dudit article est conclu dès lors qu’il y a une concordance des volontés sur le principe même d’une restriction de la concurrence, même si les éléments spécifiques de la restriction envisagée font encore l’objet de négociations.
L’existence d’un accord au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE n’est remise en cause ni par la circonstance que le concours de volontés entre les entreprises concernées ne s’étend pas aux modalités concrètes de la mise en œuvre d'une hausse de prix, ni par le fait que celle-ci ne s’est, concrètement, jamais produite sur le marché.
(cf. points 44-45, 183)
2. La notion de pratique concertée vise une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu’à la réalisation d’une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence.
À cet égard, l’article 81, paragraphe 1, CE s’oppose à toute prise de contact directe ou indirecte entre des opérateurs économiques de nature soit à influer sur le comportement sur le marché d’un concurrent actuel ou potentiel, soit à dévoiler à un tel concurrent le comportement que l’on est décidé à tenir soi-même sur le marché ou que l’on envisage d’adopter sur celui-ci, lorsque ces contacts ont pour objet ou pour effet la restriction de concurrence.
Il y a lieu de présumer, sous réserve de la preuve contraire qu’il incombe aux opérateurs intéressés de rapporter, que les entreprises participant à la concertation et qui demeurent actives sur le marché tiennent compte des informations échangées avec leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur ce marché. Il en sera d’autant plus ainsi lorsque la concertation a lieu sur une base régulière au cours d’une longue période.
(cf. points 46-47, 186)
3. En ce qui concerne l’administration de la preuve d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE, la Commission doit rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction. Ainsi, il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour établir l’existence de l’infraction.
Toutefois, chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence.
Compte tenu du caractère notoire de l’interdiction des accords anticoncurrentiels, il ne saurait être exigé de la Commission qu’elle produise des pièces attestant de manière explicite une prise de contact entre les opérateurs concernés. Les éléments fragmentaires et épars dont pourrait disposer la Commission devraient, en toute hypothèse, pouvoir être complétés par des déductions permettant la reconstitution des circonstances pertinentes. L’existence d’une pratique ou d’un accord anticoncurrentiel peut donc être inférée d’un certain nombre de coïncidences et d’indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une violation des règles de concurrence.
(cf. points 48-51)
4. Lorsque la Commission a invoqué des éléments de preuve documentaires à l’appui de sa constatation de l’existence d’un accord ou d’une pratique anticoncurrentielle, il incombe aux parties qui contestent cette constatation devant le Tribunal, non pas simplement de présenter une alternative plausible à la thèse de la Commission, mais bien de soulever l’insuffisance des preuves retenues dans la décision attaquée pour établir l’existence de l’infraction.
(cf. point 52)
5. S’agissant de la portée du contrôle juridictionnel, lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation d’une décision d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, le Tribunal doit exercer de manière générale un entier contrôle sur le point de savoir si les conditions d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE se trouvent ou non réunies.
L’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction, conformément au principe de présomption d’innocence, lequel, en tant que principe général du droit de l’Union, s’applique notamment aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à l'imposition d'amendes ou d'astreintes.
(cf. points 53-54)
6. Aucune disposition ni aucun principe général du droit de l’Union n’interdit à la Commission de se prévaloir, à l’encontre d’une entreprise, des déclarations d’autres entreprises incriminées. Si tel n’était pas le cas, la charge de la preuve de comportements contraires aux articles 81 CE et 82 CE, qui incombe à la Commission, serait insoutenable et incompatible avec la mission de surveillance de la bonne application de ces dispositions qui lui est attribuée par le traité CE.
Certes, la déclaration d’une entreprise inculpée pour avoir participé à une entente, dont l’exactitude est contestée par plusieurs autres entreprises inculpées, ne peut être considérée comme constituant une preuve suffisante de l’existence d’une infraction commise par ces dernières sans être étayée par d’autres éléments de preuve. Une telle déclaration ne saurait donc suffire, à elle seule, pour établir l’existence d'une infraction, mais doit être corroborée par d’autres éléments de preuve. Néanmoins, il y a lieu de considérer que le degré de corroboration requis est moindre, aussi bien en termes de précision qu’en termes d’intensité, dans le cas d'une déclaration revêtue d'une fiabilité élevée, par rapport à une déclaration n’étant pas particulièrement crédible.
Ainsi, s’il devait être jugé qu’un faisceau d’indices concordants permettait de corroborer l’existence et certains aspects spécifiques des pratiques évoquées par une telle déclaration particulièrement fiable, celle-ci pourrait suffire à elle seule, dans cette hypothèse, pour attester d’autres aspects de la décision de la Commission.
En outre, pour autant qu’une pièce ne soit pas en contradiction manifeste avec la déclaration sur l’existence ou le contenu essentiel des pratiques incriminées, il suffit qu’elle atteste des éléments significatifs des pratiques qu’elle a décrites pour avoir une certaine valeur à titre d’élément de corroboration dans le cadre du faisceau de preuves retenues à charge.
(cf. points 70, 92-94)
7. La Commission est souvent obligée de prouver l’existence d’une infraction dans des conditions peu propices à cette tâche, dans la mesure où plusieurs années ont pu s’écouler depuis l’époque des faits constitutifs de l’infraction poursuivie et que plusieurs des entreprises faisant l’objet de l’enquête n’ont pas coopéré de manière active avec celle-ci.
S’il incombe nécessairement à la Commission d’établir qu’un accord illicite de partage des marchés a été conclu, il serait excessif d’exiger, en outre, qu’elle apporte la preuve du mécanisme spécifique par lequel ce but devait être atteint. En effet, il serait trop aisé pour une entreprise coupable d’une infraction d’échapper à toute sanction si elle pouvait tirer argument du caractère vague des informations présentées par rapport au fonctionnement d’un accord illicite dans une situation dans laquelle l’existence de l’accord et son but anticoncurrentiel sont pourtant établis de manière suffisante. Les entreprises peuvent se défendre utilement dans une telle situation pour autant qu’elles aient la possibilité de commenter tous les éléments de preuve invoqués à leur charge par la Commission.
(cf. point 78)
8. Il découle du texte de la disposition de l’article 81 CE que les accords et les pratiques concertées entre entreprises sont interdits, indépendamment de tout effet sur le marché, lorsqu’ils ont un objet anticoncurrentiel. Ainsi, dès lors que la Commission a constaté l’existence des accords et des pratiques concertées ayant un objet anticoncurrentiel, cette constatation ne saurait être contredite par les indications tirées de l’absence d’application des arrangements collusoires ou l’absence d’effet sur le marché.
(cf. points 79-80)
9. Bien qu’une certaine méfiance à l’égard de dépositions volontaires des principaux participants à une entente illicite soit généralement de mise, vu la possibilité que ces participants aient tendance à minimiser l’importance de leur contribution à l’infraction et de maximiser celle des autres, le fait de demander à bénéficier de l’application de la communication sur la coopération en vue d’obtenir une réduction de l’amende ne crée pas nécessairement une incitation à présenter des éléments de preuve déformés quant aux autres participants de l’entente incriminée. En effet, toute tentative d’induire la Commission en erreur pourrait remettre en cause la sincérité ainsi que la complétude de la coopération du demandeur et, partant, mettre en danger la possibilité pour celui-ci de tirer pleinement bénéfice de la communication sur la coopération.
(cf. point 91)
10. Face à une situation factuelle complexe, la double qualification des comportements anticoncurrentiels d’« ensemble d’accords et/ou de pratiques concertées », dans la mesure où ces comportements comportent à la fois des éléments devant être qualifiés d’« accords » et des éléments devant être qualifiés de « pratiques concertées », doit être comprise non comme une qualification exigeant simultanément et cumulativement la preuve que chacun de ces éléments de fait présente les éléments constitutifs d’un accord et d’une pratique concertée, mais bien comme désignant un tout complexe comportant des éléments de fait, dont certains ont été qualifiés d’accords et d’autres de pratiques concertées au sens de l’article 81 CE, lequel ne prévoit pas de qualification spécifique pour ce type d’infraction complexe.
(cf. point 191)
11. Dès lors qu’une entreprise a assisté, même sans jouer un rôle actif, à une réunion au cours de laquelle une concertation illicite a été évoquée, elle est censée avoir participé à ladite concertation, à moins qu’elle ne prouve qu’elle s’est ouvertement distanciée de celle-ci ou qu’elle a informé les autres participants qu’elle entendait prendre part à la réunion en question dans une optique différente de la leur.
(cf. point 195)
12. Le droit d’accès au dossier constitue le corollaire du principe du respect des droits de la défense et implique que la Commission doit donner à l’entreprise concernée la possibilité de procéder à un examen de la totalité des documents figurant au dossier d’instruction qui sont susceptibles d’être pertinents pour sa défense. Ceux-ci comprennent tant les pièces à conviction que celles à décharge, sous réserve des secrets d’affaires d’autres entreprises, des documents internes de la Commission et d’autres informations confidentielles.
Concernant les pièces à conviction, l’absence de communication d’un document ne constitue une violation des droits de la défense que si l’entreprise concernée démontre, d’une part, que la Commission s’est fondée sur ce document pour étayer son grief relatif à l’existence d’une infraction et, d’autre part, que ce grief ne pourrait être prouvé que par référence audit document. Il incombe ainsi à l’entreprise concernée de démontrer que le résultat auquel la Commission est parvenue dans sa décision aurait été différent si ce document non communiqué devait être écarté comme moyen de preuve.
En revanche, s’agissant de l’absence de communication d’un document à décharge, l’entreprise concernée doit seulement établir que sa non-divulgation a pu influer, au détriment de cette dernière, sur le déroulement de la procédure et le contenu de la décision de la Commission. Il suffit que l’entreprise démontre qu’elle aurait pu utiliser lesdits documents à décharge pour sa défense, en démontrant notamment qu’elle aurait pu invoquer des éléments qui ne concordaient pas avec les appréciations opérées par la Commission au stade de la communication des griefs, et aurait donc pu influer, de quelque manière que ce soit, sur les appréciations portées dans la décision.
(cf. points 235-238)
13. La communication des griefs est un acte destiné à circonscrire l’objet de la procédure engagée contre une entreprise et à assurer l’exercice efficace des droits de la défense. C’est dans cette perspective que la communication des griefs est entourée des garanties procédurales appliquant le principe du respect des droits de la défense, parmi lesquelles figure le droit d’accès aux documents relevant du dossier de la Commission.
Les réponses à la communication des griefs ne font pas partie du dossier d’instruction proprement dit. S’agissant des documents ne faisant pas partie du dossier constitué au moment de la notification de la communication des griefs, la Commission n’est tenue de divulguer lesdites réponses à d’autres parties concernées que s’il s’avère qu’elles contiennent de nouveaux éléments à charge ou à décharge. De même, selon le point 27 de la communication de la Commission relative aux règles d’accès au dossier de la Commission dans les affaires relevant des articles 81 CE et 82 CE, des articles 53, 54 et 57 de l'accord EEE et du règlement nº 139/2004, en règle générale, les parties n’ont pas accès aux réponses à la communication des griefs des autres parties concernées par l’enquête. Une partie n’a accès à ces documents que lorsqu’ils peuvent constituer de nouveaux éléments de preuve, qu’ils soient à charge ou à décharge, relatifs aux allégations formulées à l’égard de cette partie dans la communication des griefs de la Commission.
À cet égard, concernant, d’une part, les nouveaux éléments à charge, si la Commission entend se fonder sur un élément tiré d’une réponse à une communication des griefs pour établir l’existence d’une infraction, les autres entreprises impliquées dans cette procédure doivent être mises en mesure de se prononcer sur un tel nouvel élément de preuve.
Concernant, d'autre part, les nouveaux éléments à décharge, la Commission n'est pas obligée de les rendre accessibles de sa propre initiative. Dans l'hypothèse où la Commission a rejeté au cours de la procédure administrative une demande d'une partie requérante visant à l'accès à des documents ne figurant pas dans le dossier d'instruction, une violation des droits de la défense ne peut être constatée que s'il est établi que la procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent dans l'hypothèse où la partie requérante aurait eu accès aux documents en question au cours de cette procédure.
(cf. points 239-244, 253)
14. Un document ne peut être considéré comme un document à charge que lorsqu’il est utilisé par la Commission à l’appui de la constatation d’une infraction commise par une entreprise.
Aux fins d’établir une violation de ses droits de la défense, il ne suffit pas, pour l’entreprise en cause, de démontrer qu’elle n’a pas pu se prononcer au cours de la procédure administrative sur un document utilisé à un quelconque endroit de la décision attaquée. Il faut qu’elle démontre que la Commission a utilisé ce document, dans la décision attaquée, comme un élément de preuve additionnel pour retenir une infraction à laquelle l’entreprise aurait participé.
(cf. point 245)
15. Parmi les garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives, figure notamment l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce.
(cf. point 268)
16. L’existence d’une infraction doit être appréciée en fonction des seuls éléments de preuve réunis par la Commission. Lorsque la matérialité d’une infraction est effectivement établie au terme de la procédure administrative, la preuve d’une manifestation prématurée par la Commission, au cours de cette procédure, de sa conviction selon laquelle ladite infraction existe n’est pas de nature à priver de sa réalité la preuve de l’infraction elle-même.
(cf. point 278)
17. L'observation d'un délai raisonnable dans la conduite des procédures administratives en matière de politique de la concurrence constitue un principe général du droit de l'Union, dont les juridictions de l'Union assurent le respect.
Aux fins de l'application de ce principe, il convient d’opérer une distinction entre les deux phases de la procédure administrative, à savoir la phase d’instruction antérieure à la communication des griefs et celle correspondant au reste de la procédure. La première période, qui s’étend jusqu’à la communication des griefs, a pour point de départ la date à laquelle la Commission, faisant usage des pouvoirs que lui a conférés le législateur, prend des mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction et doit permettre à celle-ci de prendre position sur l’orientation de la procédure. La seconde période, quant à elle, s’étend de la communication des griefs à l’adoption de la décision finale. Elle doit permettre à la Commission de se prononcer définitivement sur l’infraction reprochée.
Une durée de 65 mois de la première phase de la procédure doit être considérée, en l’absence d’information ou de justification complémentaire de la part de la Commission quant aux actes d’enquêtes diligentés au cours de cette période, comme excessive. Cependant, la constatation d’une violation du principe du délai raisonnable ne peut conduire à l’annulation d’une décision constatant une infraction que si la durée de la procédure a eu une incidence sur l’issue de la procédure.
(cf. points 286-288, 290, 292, 295)
18. En vertu du devoir général de prudence qui incombe aux entreprises ou aux associations d’entreprises, celles-ci sont tenues de veiller à la bonne conservation, en leurs livres ou archives, des éléments permettant de retracer leur activité, afin, notamment, de disposer des preuves nécessaires dans l’hypothèse d’actions judiciaires ou administratives.
Lorsqu'une entreprise fait l’objet de demandes de renseignements de la part de la Commission au titre de l’article 11 du règlement nº 17, il lui appartient, a fortiori, d’agir avec une diligence accrue et de prendre toutes les mesures utiles afin de préserver les preuves dont elle peut raisonnablement disposer.
(cf. point 301)
19. La Commission bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation pour ce qui est de la méthode de calcul des amendes. Cette méthode, circonscrite par les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, comporte différents éléments de flexibilité permettant à la Commission d’exercer son pouvoir d’appréciation en conformité avec les dispositions du règlement nº 1/2003, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité.
En outre, dans des domaines tels que la détermination du montant d’une amende au titre du règlement nº 1/2003, où la Commission dispose de cette marge d’appréciation, le contrôle de légalité opéré sur ces appréciations se limite à celui de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation. La marge d’appréciation de la Commission et les limites qu’elle y a apportées ne préjugent pas, en revanche, de l’exercice, par le juge de l’Union, de sa compétence de pleine juridiction, qui l’habilite à supprimer, à réduire ou à majorer le montant de l’amende infligée par la Commission.
(cf. points 308-310)
20. La gravité d’une infraction est déterminée en tenant compte de nombreux éléments, tels que les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, à l’égard desquels la Commission dispose d’une marge d’appréciation.
En particulier, conformément au point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, l’évaluation de la gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné. Dans le cadre de son contrôle de pleine juridiction, il incombe au Tribunal d’apprécier si le montant de l’amende infligée est proportionné par rapport à la gravité de l’infraction et de mettre en balance la gravité de l’infraction et les circonstances invoquées par l'entreprise.
Aux termes du point 1 A, deuxième alinéa, troisième tiret, desdites lignes directrices, les infractions très graves correspondent pour l’essentiel, notamment, aux « restrictions horizontales de type ' cartels de prix ' et de quotas de répartition des marchés ». Les ententes de ce type relèvent des formes les plus graves d’atteinte à la concurrence, en ce qu’elles tendent, par leur propre objet, à l’élimination pure et simple de cette dernière entre les entreprises qui les mettent en œuvre, et contrarient, de ce fait, les objectifs fondamentaux de l’Union. Les ententes horizontales de prix ou de répartitions de marchés peuvent être qualifiées d’infractions très graves sur le seul fondement de leur nature propre, sans que la Commission soit tenue de démontrer un impact concret de l’infraction sur le marché.
Si l’existence d’un impact concret de l’infraction sur le marché est un élément à prendre en considération pour évaluer la gravité de l’infraction, il s’agit d’un critère parmi d’autres, tels que la nature propre de l’infraction et l’étendue du marché géographique. De même, il ressort du point 1 A, premier alinéa, desdites lignes directrices que cet impact est à prendre en considération uniquement lorsqu’il est mesurable.
(cf. points 314-316, 319-320, 324-325)
21. Le territoire entier d’un État membre constitue une partie substantielle du marché commun. Des infractions telles que les accords ou pratiques concertées visant notamment à la fixation des prix et à la répartition des clients peuvent emporter, sur le seul fondement de leur nature propre, la qualification d’infraction très grave, sans qu’il soit nécessaire que de tels comportements se caractérisent par une étendue géographique particulière.
Cette conclusion est, en outre, renforcée par le fait que, si la description indicative des infractions graves dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA mentionne qu’il s’agira le plus souvent de restrictions horizontales ou verticales dont l’application est plus rigoureuse, dont l’impact sur le marché est plus large et qui peuvent produire leurs effets sur des zones étendues du marché commun, celle des infractions très graves, en revanche, ne mentionne aucune exigence d’impact concret sur le marché ni de production d’effets sur une zone géographique particulière.
Il en résulte que le fait que la taille du marché géographique qui est en cause revêt une dimension nationale ne s'oppose pas, en tout état de cause, à la qualification de très grave de l'infraction commise. La taille du marché de produit concerné n’est en principe pas un élément devant obligatoirement être pris en compte, mais seulement un élément pertinent parmi d’autres pour apprécier la gravité de l’infraction et fixer le montant de l’amende.
(cf. points 337, 339-342)
22. La Commission dispose, dans le cadre du règlement nº 17 et du règlement nº 1/2003, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 CE et 82 CE, d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence et de pouvoir à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique.
La pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence. Les décisions concernant d’autres affaires ne revêtent qu’un caractère indicatif en ce qui concerne l’existence éventuelle d’une discrimination, étant donné qu’il est peu vraisemblable que les circonstances propres à celles-ci, telles que les marchés, les produits, les entreprises et les périodes concernés, soient identiques.
La Commission apprécie la gravité des infractions en fonction de nombreux éléments qui ne procèdent pas d’une liste contraignante ou exhaustive de critères à prendre en compte. En outre, elle n’est pas tenue d’appliquer une formule mathématique précise, qu’il s’agisse du montant total de l’amende infligée ou de sa décomposition en différents éléments. Dans ces conditions, la comparaison directe des amendes imposées aux destinataires des deux décisions relatives à des infractions distinctes risque de dénaturer les fonctions spécifiques que remplissent les différentes étapes du calcul d’une amende. En effet, les montants finaux des amendes reflètent des circonstances spécifiques particulières à chaque entente.
(cf. points 345, 347, 350-351)
23. Selon le point 1 A, sixième alinéa, des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, il peut convenir, pour une infraction d’une gravité donnée, dans les cas impliquant plusieurs entreprises comme les cartels, de pondérer le montant de départ général pour établir un montant de départ spécifique tenant compte du poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature.
La prise en compte du poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence concerne la répartition des membres d’une entente en catégories, au regard de leur dimension sur le marché au cours d’une période de référence, et n’implique pas la prise en compte de l’impact sur le marché de l’infraction prise dans son ensemble.
L’application du traitement différencié sur la base de cette disposition ne nécessite pas la prise en considération d’un impact réel de l’infraction sur le marché.
(cf. points 356-358)
24. Les exigences de la formalité substantielle que constitue l’obligation de motivation du mode de calcul de l’amende sont, selon une jurisprudence constante, satisfaites lorsque la Commission indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction.
Dans le cadre de l’exposé des motifs justifiant le niveau de l’amende, la Commission n’est pas tenue d’indiquer les éléments chiffrés qui ont guidé, notamment quant à l’effet dissuasif recherché, l’exercice de son pouvoir d’appréciation.
(cf. points 360, 375)
25. En vue de déterminer le montant de l’amende, la Commission doit veiller à son caractère dissuasif.
À cet égard, la Commission peut notamment prendre en considération la taille et la puissance économique de l’entreprise en cause.
De même, le point 1 A, quatrième alinéa, des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA prévoit qu’il est nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs de l’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif.
Au vu de la marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes dont la Commission dispose afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de la concurrence, le fait que la Commission ait appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait donc la priver de la possibilité d’élever, à tout moment, ce niveau pour assurer la mise en œuvre de la politique de concurrence et pour renforcer l’effet dissuasif des amendes.
(cf. points 367-369, 372)
26. La sécurité juridique constitue un principe général du droit de l’Union qui exige notamment qu’une réglementation entraînant des conséquences défavorables à l’égard de particuliers soit claire et précise et son application prévisible pour les justiciables.
Ce principe a pour corollaire le principe de légalité des délits et des peines, qui exige que la loi définisse clairement les infractions et les peines qui les répriment.
Si l’article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement nº 1/2003, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 CE et 82 CE, laisse à la Commission une large marge d’appréciation, il en limite néanmoins l’exercice en instaurant des critères objectifs auxquels celle-ci doit se tenir.
Ainsi, d’une part, le montant de l’amende susceptible d’être imposée connaît un plafond chiffrable et absolu, de sorte que le montant maximal de l’amende pouvant être infligée à une entreprise donnée est déterminable à l’avance.
D’autre part, l’exercice de ce pouvoir d’appréciation est également limité par les règles que la Commission s’est elle-même imposées dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, la pratique administrative de la Commission étant d’ailleurs soumise à l’entier contrôle du juge de l’Union.
Un opérateur avisé peut ainsi, en s’entourant au besoin des services d’un conseil juridique, prévoir de manière suffisamment précise la méthode de calcul et l’ordre de grandeur des amendes qu’il encourt pour un comportement donné, et le fait que cet opérateur ne puisse, à l’avance, connaître avec précision le niveau des amendes que la Commission infligera dans chaque espèce ne saurait constituer une violation du principe de légalité des peines. En outre, les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende doivent tenir compte de la possibilité que, à tout moment, la Commission décide d’élever le niveau du montant des amendes par rapport à celui appliqué dans le passé. Le fait que la Commission puisse à tout moment revoir le niveau général des amendes dans le contexte de la mise en œuvre d’une autre politique de concurrence est donc raisonnablement prévisible pour les entreprises concernées.
(cf. points 383-386)
27. Conformément au point 3 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, le montant de base de l’amende fixé par la Commission est diminué, notamment, lorsque l’entreprise incriminée cesse l’infraction dès les premières interventions de la Commission.
L’octroi d’une telle diminution du montant de base de l’amende est lié aux circonstances de l’espèce, qui peuvent amener la Commission à ne pas l’accorder à une entreprise partie à un accord illicite. Notamment, reconnaître le bénéfice d’une circonstance atténuante dans des situations dans lesquelles une entreprise est partie à un accord manifestement illégal, dont elle savait ou ne pouvait ignorer qu’il constituait une infraction, pourrait inciter les entreprises à poursuivre un accord secret aussi longtemps que possible, dans l’espoir que leur comportement ne soit jamais découvert, tout en sachant que, s’il venait à être découvert, elles pourraient voir l’amende réduite en interrompant alors l’infraction.
Une telle reconnaissance ôterait tout effet dissuasif à l’amende infligée et porterait atteinte à l’effet utile de l’article 81, paragraphe 1, CE. Il s’agit, en effet, d’une circonstance atténuante qui, compte tenu de l’effet utile dudit article, doit être interprétée restrictivement, seules les circonstances particulières du cas d’espèce pouvant justifier sa prise en compte.
En particulier, la cessation d’une infraction commise de propos délibéré ne saurait être considérée comme une circonstance atténuante lorsqu’elle a été déterminée par l’intervention de la Commission.
Le seul fait que la Commission a considéré, dans sa pratique décisionnelle antérieure, que certains éléments constituaient des circonstances atténuantes aux fins de la détermination du montant de l’amende ne signifie pas qu’elle soit obligée de porter la même appréciation dans une décision ultérieure.
(cf. points 394-397, 401)
28. Bien que la seule circonstance qu’une entreprise ne donne pas suite à des arrangements illicites ne soit pas de nature à écarter sa responsabilité, il s’agit néanmoins d’une circonstance devant être prise en compte, en tant que circonstance atténuante, dans le cadre de la détermination du montant de l’amende.
(cf. point 409)
29. Le fait que la Commission a appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées dans le règlement nº 1/2003, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 CE et 82 CE, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique de concurrence. Au contraire, l’application efficace des règles de la concurrence exige que la Commission puisse, à tout moment, adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique.
Une entreprise ne saurait valablement soutenir que sa sanction aurait pu être moins élevée si la Commission avait mis fin à la procédure administrative plus tôt, étant donné qu’elle a augmenté le niveau général des sanctions au cours de la procédure administrative.
Eu égard à ces considérations, la durée de la procédure administrative, bien qu’elle ait été excessive, ne saurait être considérée comme ayant une incidence sur le contenu de la décision attaquée, du seul fait que la Commission a augmenté entre-temps le niveau des amendes.
(cf. points 418-420)
30. Une irrégularité de procédure, même si elle n’est pas susceptible d’aboutir à l’annulation d'une décision adoptée par la Commission à l'égard d'une société pour une infraction aux règles de la concurrence, peut justifier une réduction de l’amende. Le dépassement du délai raisonnable est susceptible de fonder la décision de la Commission de réduire en équité le montant d’une amende, la possibilité d’accorder une telle réduction s’inscrivant dans le cadre de l’exercice de ses prérogatives. L’exercice de cette prérogative par la Commission n’empêche pas le Tribunal, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, d’accorder une réduction supplémentaire du montant de l’amende.
En effet, la réduction de la sanction ayant pour objet de redresser la violation du principe du délai raisonnable doit être déterminée à un niveau adéquat au regard de la sanction infligée à l'entreprise. Il n’en reste pas moins que cette réduction s’opère en équité et ne doit pas être précédée d’un examen des conditions relatives à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE.
(cf. points 425-426, 428, 432)
ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre élargie)
16 juin 2011 (*)
« Concurrence – Ententes – Marché néerlandais de la bière – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE – Preuve de l’infraction – Accès au dossier – Amende – Principe d’égalité de traitement – Délai raisonnable »
Dans l’affaire T‑240/07,
Heineken Nederland BV, établie à Zoeterwoude (Pays-Bas),
Heineken NV, établie à Amsterdam (Pays-Bas),
représentées par Mes T. Ottervanger et M. de Jong, avocats,
parties requérantes,
contre
Commission européenne, représentée initialement par MM. A. Bouquet, S. Noë et A. Nijenhuis, puis par MM. Bouquet et Noë, en qualité d’agents, assistés de Me M. Slotboom, avocat,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande d’annulation partielle de la décision C (2007) 1697 de la Commission, du 18 avril 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] (affaire COMP/B/37.766 – Marché néerlandais de la bière), et, à titre subsidiaire, une demande de réduction de l’amende infligée aux requérantes,
LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie),
composé de MM. V. Vadapalas (rapporteur), faisant fonction de président, A. Dittrich et L. Truchot, juges,
greffier : M. J. Plingers, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 mars 2010,
rend le présent
Arrêt
Faits à l’origine du litige
1 Les requérantes, Heineken Nederland BV et Heineken NV, appartiennent au groupe Heineken (ci-après « Heineken »), dont l’activité est consacrée à la production et à la commercialisation de la bière. Heineken NV est en charge de la direction du groupe, tandis qu’Heineken Nederland est une société de production de bière. Heineken NV possède, par l’entremise de sa filiale à 100 % Heineken Nederlands Beheer BV, l’intégralité des actions d’Heineken Nederland.
2 Heineken est un des quatre principaux acteurs du marché néerlandais de la bière. Les autres brasseurs prépondérants sur ce marché sont, premièrement, le groupe InBev (ci-après « InBev »), qui, avant 2004, était connu sous le nom d’Interbrew et dont la direction incombe à la société InBev NV et la production à la société filiale InBev Nederland NV, deuxièmement, le groupe Grolsch (ci-après « Grolsch »), dont la direction est à la charge de la société Koninklijke Grolsch NV, et, troisièmement, la société Bavaria NV.
3 Les requérantes et les trois autres principaux brasseurs sur ce marché vendent leur bière au client final, notamment par deux canaux de distribution. Ainsi, il convient de distinguer, d’une part, le circuit des établissements « horeca », c’est-à-dire les hôtels, les restaurants et les cafés, où la consommation s’effectue sur place, et, d’autre part, le circuit « food » des supermarchés et des magasins de vins et de spiritueux, où l’achat de bière est destiné à la consommation à domicile. Ce dernier secteur comporte également le segment de la bière vendue sous marque de distributeur. Parmi les quatre brasseurs concernés, uniquement InBev et Bavaria sont actifs dans ce segment.
4 Ces quatre brasseurs sont membres de la Centraal Brouwerij Kantoor (ci-après la « CBK »). Celle-ci est une organisation fédératrice qui, selon ses statuts, représente les intérêts de ses membres et est composée d’une assemblée générale et de diverses commissions, telles que la commission chargée des questions « horeca » et la commission financière, devenue le comité directeur. Pour les réunions qui ont lieu au sein de la CBK, son secrétariat établit des convocations et des procès-verbaux officiels numérotés de manière continue et envoyés aux membres participants.
Procédure administrative
5 Par lettres du 28 janvier 2000 ainsi que des 3, 25 et 29 février 2000, InBev a fourni une série de déclarations relatives à des informations sur des pratiques commerciales restrictives sur le marché néerlandais de la bière. Ces déclarations ont été effectuées lors d’une enquête menée par la Commission des Communautés européennes, notamment en 1999, sur des pratiques d’entente et sur un éventuel abus de position dominante sur le marché belge de la bière. Conjointement à ces déclarations, InBev a introduit une demande de clémence conformément à la communication de la Commission concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la « communication sur la coopération »).
6 Les 22 et 23 mars 2000, à la suite des déclarations d’InBev, des inspections ont été effectuées par la Commission dans les locaux des requérantes et des autres entreprises concernées. D’autres demandes de renseignements supplémentaires ont été envoyées aux requérantes et aux autres entreprises concernées de 2001 à 2005.
7 Le 30 août 2005, la Commission a envoyé une communication des griefs aux requérantes et aux autres entreprises concernées. Par lettre du 24 novembre 2005, les requérantes ont fourni leurs observations écrites sur cette communication. Aucune des parties concernées n’a sollicité d’audition.
8 Par lettres des 26 janvier et 7 mars 2006, des documents supplémentaires ont été portés à la connaissance des requérantes par la Commission. Il s’agissait, notamment, des demandes de renseignements adressées à InBev ainsi que des réponses qui leur étaient données.
9 Le 18 avril 2007, la Commission a adopté la décision C (2007) 1697, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] (affaire COMP/B/37.766 – Marché néerlandais de la bière, ci‑après la « décision attaquée »), dont un résumé est publié au Journal officiel de l’Union européenne du 20 mai 2008 (JO 2008 C 122, p. 1), laquelle a été notifiée aux requérantes par lettre du 24 avril 2007.
Décision attaquée
Infraction en cause
10 L’article 1er de la décision attaquée dispose que les requérantes et les sociétés InBev NV, InBev Nederland, Koninklijke Grolsch et Bavaria ont participé, durant la période comprise entre le 27 février 1996 et le 3 novembre 1999, à une infraction unique et continue à l’article 81, paragraphe 1, CE, consistant en un ensemble d’accords et/ou de pratiques concertées ayant pour objet de restreindre la concurrence dans le marché commun.
11 L’infraction a consisté, premièrement, en la coordination des prix et des hausses de prix de la bière aux Pays-Bas, à la fois dans le secteur « horeca » et dans le secteur de la consommation à domicile, y compris en ce qui concerne la bière vendue sous marque de distributeur, deuxièmement, en la coordination occasionnelle d’autres conditions commerciales offertes aux clients individuels dans le secteur « horeca » aux Pays-Bas, telles que les prêts aux établissements, et, troisièmement, en la coordination occasionnelle sur la répartition de la clientèle, à la fois dans le secteur « horeca » et dans le secteur de la consommation à domicile aux Pays-Bas (article 1er et considérants 257 et 258 de la décision attaquée).
12 Les comportements anticoncurrentiels des brasseurs ont eu lieu, selon la décision attaquée, lors d’un cycle de réunions multilatérales officieuses qui rassemblaient régulièrement les quatre principaux acteurs du marché néerlandais de la bière ainsi que lors de rencontres bilatérales complémentaires impliquant les mêmes brasseurs selon diverses combinaisons. Selon la décision attaquée, ces rencontres ont eu lieu secrètement, de propos délibéré, les participants sachant qu’elles n’étaient pas autorisées (considérants 257 à 260 de la décision attaquée).
13 Ainsi, en premier lieu, une série de réunions multilatérales dénommées « Catherijne overleg » (concertation Catherijne) ou « agendacommissie » (commission de l’ordre du jour) s’est tenue entre le 27 février 1996 et le 3 novembre 1999. La décision attaquée établit que ces réunions, axées sur le secteur « horeca », mais pouvant porter également sur le secteur de la consommation à domicile, ont eu essentiellement pour objet de coordonner les prix et les hausses des prix de la bière, de discuter de la limitation du montant de ristournes et de la répartition de la clientèle ainsi que de se concerter sur certaines autres conditions commerciales. Les prix de la bière vendue sous marque de distributeur auraient été également discutés au cours de ces réunions (considérants 85, 90, 98, 115 à 127 et 247 à 252 de la décision attaquée).
14 En second lieu, s’agissant des contacts bilatéraux entre les brasseurs, la décision attaquée indique que, le 12 mai 1997, InBev et Bavaria se sont réunies et ont discuté de l’augmentation des prix de la bière vendue sous marque de distributeur (considérant 104 de la décision attaquée). Par ailleurs, selon la Commission, les requérantes et Bavaria se sont rencontrées en 1998 afin de discuter des restrictions concernant des points de vente dans le secteur « horeca » (considérant 189 de la décision attaquée). La Commission indique que des contacts bilatéraux ont également eu lieu le 5 juillet 1999 entre les requérantes et Grolsch à propos des compensations accordées à des clients dans le secteur de la consommation à domicile qui effectuaient des réductions temporaires de prix (considérants 212 et 213 de la décision attaquée).
15 Enfin, selon la décision attaquée, des contacts bilatéraux et des échanges d’informations consacrés à des discussions générales relatives au prix de la bière ainsi qu’à des discussions ayant davantage trait aux marques de distributeur ont eu lieu en 1997 entre InBev et Bavaria. Les contacts bilatéraux, sous forme d’échanges d’informations, consacrés aux marques de distributeur auraient également impliqué des brasseurs belges aux mois de juin et de juillet 1998. La Commission précise que ces discussions ont eu lieu en présence des requérantes et de Grolsch (considérants 105, 222 à 229 et 232 à 236 de la décision attaquée).
16 La responsabilité d’Heineken NV a été retenue au motif que, durant la période de l’infraction, Heineken Nederland était, directement ou indirectement, sa filiale à 100 %, cette circonstance, confirmée par d’autres éléments du dossier, démontrant qu’elle a exercé une influence déterminante sur les politiques commerciales de sa filiale (considérants 400 à 414 de la décision attaquée).
Amende infligée aux requérantes
17 L’article 3, sous a), de la décision attaquée inflige aux requérantes, solidairement, une amende de 219 275 000 euros.
18 Aux fins du calcul du montant de cette amende, la Commission a fait application de l’article 23, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003 L 1, p. 1), et de la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, [CECA] (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices ») (considérants 436 et 442 de la décision attaquée). Conformément à cette méthodologie, la détermination de l’amende imposée aux requérantes a été effectuée sur la base de la gravité et de la durée de l’infraction (considérant 437 de la décision attaquée).
19 En particulier, l’infraction a été qualifiée de « très grave » dans la mesure où elle a essentiellement consisté en la coordination régulière des prix, des hausses de prix et d’autres conditions commerciales et en la répartition de la clientèle (considérant 440 de la décision attaquée). La Commission a également pris en compte le caractère secret et délibéré des comportements anticoncurrentiels ainsi que le fait que l’ensemble du territoire des Pays-Bas et l’ensemble du marché de la bière, à savoir tant le secteur « horeca » que le secteur de la consommation à domicile, ont été affectés par l’infraction (considérants 453 et 455 de la décision attaquée). En outre, la Commission a précisé que l’effet réel sur le marché néerlandais des comportements anticoncurrentiels n’avait pas été pris en compte en l’espèce dès lors qu’il était impossible à mesurer (considérant 452 de la décision attaquée).
20 Par ailleurs, la Commission a appliqué un traitement différencié aux requérantes afin de tenir compte de leur capacité économique réelle et de leur poids individuel dans les comportements infractionnels constatés. À cette fin, la Commission a utilisé les chiffres de vente de bière réalisés par les requérantes aux Pays-Bas en 1998, c’est-à-dire la dernière année civile complète de l’infraction. Sur cette base, les requérantes ont été classées dans la première catégorie, correspondant au montant de départ de 65 000 000 euros (considérant 462 de la décision attaquée).
21 Afin d’assurer un effet dissuasif suffisant, un coefficient multiplicateur de 2,5 a été appliqué à ce montant de départ, compte tenu du chiffre d’affaires important d’Heineken (considérant 464 de la décision attaquée).
22 Les requérantes ayant pris part à l’infraction du 27 février 1996 au 3 novembre 1999, à savoir pendant une période de 3 ans et 8 mois, ce montant de départ a été majoré de 35 % (considérants 465 et 466 de la décision attaquée). Le montant de base a donc été porté à 219 375 000 euros.
23 Enfin, la Commission a accordé une réduction de 100 000 euros du montant de l’amende, dans la mesure où elle a admis que, en l’espèce, la longueur de la procédure administrative avait été déraisonnable (considérants 495 à 499 de la décision attaquée).
Procédure et conclusions des parties
24 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 juillet 2007, les requérantes ont introduit le présent recours.
25 Par décision du 10 février 2010, le Tribunal a renvoyé l’affaire devant la sixième chambre élargie en application de l’article 14, paragraphe 1, et de l’article 51, paragraphe 1, de son règlement de procédure.
26 Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure du 12 février 2010, le Tribunal a posé des questions écrites à la Commission, auxquelles celle-ci a répondu dans le délai imparti.
27 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 25 mars 2010.
28 Le juge rapporteur ayant été empêché de siéger après la clôture de la procédure orale, l’affaire a été réattribuée à un nouveau juge rapporteur et le présent arrêt a été délibéré par les trois juges dont il porte la signature, conformément à l’article 32 du règlement de procédure.
29 Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler en tout ou en partie la décision attaquée, en ce qu’elle les concerne ;
– annuler ou réduire l’amende qui leur a été infligée ;
– condamner la Commission aux dépens.
30 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner les requérantes aux dépens.
En droit
31 À l’appui de leur recours, les requérantes invoquent onze moyens, tirés, premièrement, d’une violation du principe de bonne administration et de l’article 27 du règlement nº 1/2003, en ce qui concerne le refus d’accès aux réponses à la communication des griefs données par d’autres entreprises concernées, deuxièmement, de la violation du principe de bonne administration, du « principe de soin » et du principe du contradictoire, résultant d’un prétendu défaut d’enquête soigneuse et impartiale, troisièmement, d’une violation de la présomption d’innocence, quatrièmement, d’une violation du délai raisonnable dans le cadre de la procédure administrative, cinquièmement, de l’insuffisance des éléments de preuve de l’infraction, sixièmement, de l’absence d’accords et/ou de pratiques concertées au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE, septièmement, d’une détermination erronée de la durée de l’infraction, huitièmement, d’une violation de l’article 23, paragraphe 3, du règlement nº 1/2003, des lignes directrices, des principes d’égalité de traitement, de sécurité juridique et de proportionnalité ainsi que de l’obligation de motivation, concernant la détermination du montant de l’amende, neuvièmement, d’une appréciation erronée de circonstances atténuantes, dixièmement, de l’incidence de la durée de la procédure administrative sur le montant de l’amende et, onzièmement, du niveau trop limité de réduction de l’amende accordée par la Commission au titre de la durée excessive de la procédure administrative.
32 Le Tribunal considère qu’il y a lieu d’examiner, tout d’abord, les cinquième, sixième et septième moyens, qui visent, en substance, à contester l’infraction, ensuite, les premier, deuxième, troisième et quatrième moyens, tirés des prétendus vices de procédure et de la violation des droits de la défense et, enfin, les huitième, neuvième, dixième et onzième moyens, qui concernent la détermination du montant de l’amende.
Sur les cinquième et sixième moyens, tirés, respectivement, de l’insuffisance des éléments de preuve de l’infraction et de l’absence d’accords et/ou de pratiques concertées au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE
Arguments des parties
33 Dans le cadre du cinquième moyen, les requérantes soutiennent, en substance, que les éléments de preuve invoqués par la Commission dans la décision attaquée ne sont pas suffisants pour établir l’existence d’une infraction à l’article 81 CE au-delà de tout doute raisonnable. La conclusion de la Commission en ce sens serait ainsi contraire à la présomption d’innocence et à l’obligation de motivation.
34 À cette fin, les requérantes contestent la valeur probante de la déclaration d’InBev, qui constituerait le pilier principal de la décision attaquée, aux motifs que celle-ci serait très vague et contradictoire et qu’elle serait fondée en partie sur des informations obtenues de tiers. De surcroît, elles reprochent à la Commission de ne pas avoir analysé si cette déclaration a été faite de manière avisée et après mûre réflexion et de n’avoir donné aucune suite aux déclarations à décharge qu’elle contiendrait.
35 Les requérantes estiment, en outre, que les notes manuscrites rédigées par les représentants des brasseurs néerlandais lors des réunions incriminées, étant de caractère fragmentaire, ne suffisent pas non plus à démontrer l’existence d’un comportement anticoncurrentiel.
36 Dans le cadre du sixième moyen, les requérantes contestent la pertinence et l’interprétation par la Commission de certains éléments de preuve documentaires ayant fondé la conclusion de l’existence d’un ensemble d’accords et/ou de pratiques concertées restrictifs de la concurrence.
37 Les requérantes contestent que les contacts entre les brasseurs aient débouché sur un accord puisqu’il n’y aurait jamais eu entre eux un concours de volontés pour fixer une ligne déterminée de conduite sur le marché.
38 Elles contestent également l’existence d’une pratique concertée. À cet égard, elles font valoir que les éléments de preuves disponibles n’indiquent pas que les contacts entre les brasseurs aient éliminé ou, du moins, considérablement réduit les incertitudes quant à leur futur comportement sur le marché. Elles estiment, en revanche, avoir suffisamment démontré que le comportement des brasseurs sur le marché était déterminé de manière autonome.
39 Les requérantes soutiennent en outre que les réunions incriminées n’ont jamais eu un objet anticoncurrentiel. Les discussions lors de ces réunions auraient concerné un grand nombre de sujets légitimes de sorte que les entretiens portant sur la situation sur le marché, y compris sur les prix à la consommation sur le marché de la consommation à domicile et y compris sur les offres à quelques clients « horeca », n’auraient qu’un caractère occasionnel et informel.
40 Les requérantes s’opposent enfin à ce que leur soient imputées les discussions entre Interbrew et Bavaria concernant le segment de la bière vendue sous marque de distributeur, segment dans lequel elles ne sont pas actives.
41 La Commission conteste les arguments des requérantes.
Appréciation du Tribunal
42 Par leur cinquième moyen, les requérantes reprochent, en substance, à la Commission de ne pas avoir prouvé à suffisance de droit les constatations factuelles sur la base desquelles elle a conclu à l’existence de l’infraction. Par leur sixième moyen, elles contestent la qualification du comportement en cause d’accords et/ou de pratiques concertées au sens de l’article 81 CE. Ces deux moyens visant à remettre en cause la constatation de l’infraction, il convient de les examiner ensemble.
43 Aux termes de l’article 81, paragraphe 1, CE, sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun.
44 Pour qu’il y ait accord au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE, il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée (arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T‑7/89, Rec. p. II‑1711, point 256, et du 20 mars 2002, HFB e.a./Commission, T‑9/99, Rec. p. II‑1487, point 199).
45 Il peut être considéré qu’un accord au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE est conclu dès lors qu’il y a une concordance des volontés sur le principe même de la restriction de la concurrence, même si les éléments spécifiques de la restriction envisagée font encore l’objet de négociations (voir, en ce sens, arrêt HFB e.a./Commission, point 44 supra, points 151 à 157 et 206).
46 La notion de pratique concertée vise une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu’à la réalisation d’une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence (arrêts de la Cour du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, Rec. p. I‑4125, point 115, et Hüls/Commission, C‑199/92 P, Rec. p. I‑4287, point 158).
47 À cet égard, l’article 81, paragraphe 1, CE s’oppose à toute prise de contact directe ou indirecte entre des opérateurs économiques de nature soit à influer sur le comportement sur le marché d’un concurrent actuel ou potentiel, soit à dévoiler à un tel concurrent le comportement que l’opérateur économique concerné est décidé à tenir lui-même sur le marché ou qu’il envisage d’adopter sur celui-ci, lorsque ces contacts ont pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence (voir, en ce sens, arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 46 supra, points 116 et 117).
48 Il y a lieu de rappeler, en ce qui concerne l’administration de la preuve d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE, que la Commission doit rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction (arrêts de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417, point 58, et Commission/Anic Partecipazioni, point 46 supra, point 86).
49 Ainsi, il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour établir l’existence de l’infraction (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission, T‑62/98, Rec. p. II‑2707, point 43, et la jurisprudence citée).
50 Toutefois, il importe de souligner que chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence (voir arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, JFE Engineering e.a./Commission, T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, Rec. p. II‑2501, points 179 et 180, et la jurisprudence citée).
51 Compte tenu du caractère notoire de l’interdiction des accords anticoncurrentiels, il ne saurait être exigé de la Commission qu’elle produise des pièces attestant de manière explicite une prise de contact entre les opérateurs concernés. Les éléments fragmentaires et épars dont pourrait disposer la Commission devraient, en toute hypothèse, pouvoir être complétés par des déductions permettant la reconstitution des circonstances pertinentes. L’existence d’une pratique ou d’un accord anticoncurrentiel peut donc être inférée d’un certain nombre de coïncidences et d’indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une violation des règles de concurrence (arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, points 55 à 57).
52 Lorsque la Commission a invoqué des éléments de preuve documentaires à l’appui de sa constatation de l’existence d’un accord ou d’une pratique anticoncurrentielle, il incombe aux parties qui contestent cette constatation devant le Tribunal, non pas simplement de présenter une alternative plausible à la thèse de la Commission, mais bien de soulever l’insuffisance des preuves retenues dans la décision attaquée pour établir l’existence de l’infraction (arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 50 supra, point 187).
53 S’agissant de la portée du contrôle juridictionnel, selon une jurisprudence constante, lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation d’une décision d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, le Tribunal doit exercer de manière générale un entier contrôle sur le point de savoir si les conditions d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE se trouvent ou non réunies (voir arrêt du Tribunal du 26 octobre 2000, Bayer/Commission, T‑41/96, Rec. p. II‑3383, point 62, et la jurisprudence citée).
54 L’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction, conformément au principe de la présomption d’innocence, lequel, en tant que principe général du droit de l’Union européenne, s’applique notamment aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à l’imposition d’amendes ou d’astreintes (arrêt Hüls/Commission, point 46 supra, points 149 et 150, et arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Dresdner Bank e.a./Commission, T‑44/02 OP, T‑54/02 OP, T‑56/02 OP, T‑60/02 OP et T‑61/02 OP, Rec. p. II‑3567, points 60 et 61).
55 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner si, en l’espèce, la Commission a établi à suffisance de droit que le comportement des requérantes était constitutif d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE.
– Sur la déclaration d’InBev
56 Il y a lieu de relever, tout d’abord, que la Commission s’appuie dans une large mesure (voir, en particulier, considérants 40 à 62 de la décision attaquée) sur la déclaration fournie par InBev, dans le cadre de sa demande de clémence, par lettres des 28 janvier, 3, 25 et 29 février 2000, complétées par les déclarations annexées de cinq directeurs d’InBev (considérants 34 et 40 de la décision attaquée, ci-après, prises ensemble, la « déclaration d’InBev »).
57 Il ressort de la décision attaquée que la déclaration d’InBev indiquait l’existence de « différentes formes de concertation […] entre les brasseurs sur le marché néerlandais de la bière », faisant une distinction entre les réunions officielles de l’assemblée générale de la CBK, les réunions informelles de la commission financière de la CBK et les « autres réunions » parallèles connues sous l’appellation « concertation Catherijne » dont la composition variait et dont InBev déclare ne pas avoir trouvé de traces écrites. Les « autres réunions » pouvaient notamment être subdivisées en : « i) des réunions des directeurs horeca des quatre principaux brasseurs (Heineken, Interbrew, Grolsch et Bavaria) […] ; ii) des réunions communes des directeurs horeca et des directeurs en charge de la consommation à domicile (deux en 1998) et iii) des réunions des directeurs en charge de la consommation à domicile (une en 1999 […]) » (considérants 41 à 46 de la décision attaquée).
58 Selon la déclaration d’InBev, la commission financière « comportait un ordre du jour officiel, mais constituait également un forum de discussion sur la fixation des prix pour le secteur de la consommation à domicile et le secteur de l’horeca [; c]es discussions n’ont fait l’objet d’aucun compte rendu » (considérant 43 de la décision attaquée).
59 Selon la même déclaration, les sujets discutés lors des « autres réunions » ont également couvert tant le secteur de l’« horeca » que le secteur de la consommation à domicile et la bière vendue sous marque de distributeur (considérant 47 de la décision attaquée).
60 S’agissant, en premier lieu, du secteur « horeca », deux sujets principaux ont été discutés : « [I]l existait un accord fondamental concernant la fixation de ristournes maximales par volume pour le secteur de l’horeca […] un autre sujet de consultation concernait les investissements réalisés dans l’horeca [; l]’idée consistait à maintenir le statu quo dans le secteur et à éviter des reprises de clients d’autres brasseurs » (considérant 48 de la décision attaquée).
61 Un directeur d’InBev indique qu’il ne connaît pas le contenu exact dudit accord et un autre directeur le décrit comme « un accord très complexe et vague sur les échelles (ristournes accordées à l’horeca), auquel nous n’avons jamais collaboré », indiquant que « [l]a concertation consistait en une réunion bimensuelle des directeurs horeca lors de laquelle ils discutaient des infractions connues à la ‘règle’ (bien que celle-ci fût vague ; on parlait d’excès de marché) » (considérant 48 de la décision attaquée).
62 S’agissant, en second lieu, du secteur de la consommation à domicile, selon la déclaration d’InBev, les discussions ont porté tant sur le niveau des prix en général que sur le sujet spécifique de la bière vendue sous marque de distributeur.
63 En ce qui concerne le niveau des prix en général, un des directeurs d’InBev déclare qu’« il était d’usage qu’une brasserie augmente ses prix après l’avoir annoncé préalablement à ses collègues brasseurs [… ;] l’initiative venait toujours d’une des grandes brasseries et, en général, d’Heineken [; e]n pareil cas, les autres brasseries avaient le temps nécessaire pour adopter une position [; s]i les brasseries alignaient leurs prix les unes sur les autres dans les grandes lignes, chacune avait et maintenait cependant sa propre politique des prix » (considérant 51 de la décision attaquée).
64 En ce qui concerne la bière vendue sous marque de distributeur, InBev indique que des discussions sur les prix étaient menées entre les acteurs néerlandais du segment (Bavaria et Oranjeboom, ultérieurement acquis par Interbrew) depuis 1987. Elle ajoute que « [l]es deux parties ont compris, après en avoir également parlé ensemble, qu’elles n’accepteraient aucune intrusion dans leurs cercles respectifs de clients de marques de distributeur qui se solderait par une perte de volume » (considérant 52 de la décision attaquée).
65 S’agissant de l’implication d’Heineken et de Grolsch dans ce secteur, selon la déclaration d’InBev, « [l]e marché néerlandais est caractérisé par un fossé significatif entre les prix des bières vendues sous marque de distributeur (‘marques B’) et [d’autres marques (‘marques A’) ;] Heineken, qui n’est pas présent dans le segment des marques de distributeur, a toujours refusé des hausses de prix pour les marques A tant que le prix des bières vendues sous marque de distributeur n’augmentait pas [; d]e cette manière, elle exerçait une pression indirecte, en particulier sur les producteurs de marques de distributeur, comme Bavaria et Interbrew » (considérant 53 de la décision attaquée).
66 InBev déclare que les prix des marques de distributeur étaient également débattus entre les quatre brasseurs, en d’autres termes en présence de Grolsch également, dans le cadre du thème plus général des écarts à maintenir entre les prix des marques de bière. Selon la déclaration d’InBev, « Heineken et Grolsch n’ont pas augmenté leurs prix pendant des années et les prix de bières de marque et de marque de distributeur des autres brasseurs n’ont pas augmenté non plus [; c]es dernières années, Bavaria et Interbrew ont augmenté leurs prix, suivies par Grolsch » (considérant 54 de la décision attaquée). Il est également relevé que, « [i]l y a 3 à 4 ans, ces consultations informelles avaient été intégrées à la concertation Catherijne sur l’horeca, à laquelle des représentants de la CBK participaient également [; a]près quelques réunions, il a été décidé de scinder à nouveau ces réunions en réunions consommation à domicile et réunions horeca » (considérant 54 de la décision attaquée).
67 En outre, InBev déclare que l’obtention d’une certaine part de marché par le brasseur belge Martens depuis 1996-1997 a entraîné « un accord entre brasseurs belges et néerlandais actifs sur le marché des marques de distributeur [; d]eux réunions se sont déroulées [à] Breda en 1998 [… ; i]l y a été convenu de respecter les volumes respectifs de marques de distributeur vendues aux clients établis aux Pays-Bas et en Belgique » (considérant 55 de la décision attaquée).
68 Selon les déclarations des directeurs d’InBev, les « autres réunions » étaient organisées pour se rassurer mutuellement concernant une « agressivité à caractère limité » sur le marché (considérant 46 de la décision attaquée).
69 Dans sa réponse à la demande de renseignements, du 19 décembre 2001, InBev indique que « des agendas des années précédentes et des notes prises à l’occasion des réunions informelles ont été détruits à la fin novembre 1998 [; c]’est vers cette période que l’existence d’une concertation entre brasseurs néerlandais a commencé à être révélée sur le marché et qu’est née la crainte d’un contrôle de la part de l’autorité néerlandaise de la concurrence [; d]es agendas ont encore été détruits dans les années qui ont suivi » (considérant 61 de la décision attaquée).
70 Il convient d’observer d’emblée qu’aucune disposition ni aucun principe général du droit de l’Union n’interdit à la Commission de se prévaloir, à l’encontre d’une entreprise, des déclarations d’autres entreprises incriminées. Si tel n’était pas le cas, la charge de la preuve de comportements contraires aux articles 81 CE et 82 CE, qui incombe à la Commission, serait insoutenable et incompatible avec la mission de surveillance de la bonne application de ces dispositions qui lui est attribuée par le traité CE (arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 50 supra, point 192).
71 En l’espèce, les requérantes ne contestent pas les indications de la déclaration d’InBev selon lesquelles des réunions ont eu lieu entre des représentants des producteurs néerlandais de bière. Elles ne contestent pas non plus qu’elles aient été représentées dans la plupart de ces réunions et que, lors de ces dernières, la situation générale sur le marché de la bière a été discutée de manière informelle. Elles admettent d’ailleurs, dans la requête, que des préoccupations ont aussi occasionnellement été exprimées lors de ces réunions quant au niveau des prix à la consommation et quant aux problèmes liés à certains clients.
72 Cependant, les requérantes nient que les discussions qui ont été menées lors de ces réunions aient abouti à la conclusion d’un accord illicite ou à l’engagement d’une pratique concertée. Elles font valoir que les réunions portaient essentiellement sur des sujets légitimes et que, dans la mesure où la situation sur le marché a été discutée, cela n’a pas été fait à des fins anticoncurrentielles. À cet égard, elles contestent la fiabilité de la déclaration d’InBev en faisant valoir que celle-ci est très vague et contradictoire et contient, en partie, des constatations qui n’étaient pas connues directement des auteurs des déclarations, comportant ainsi la « preuve par ouï-dire ».
73 S’agissant du caractère contradictoire de la déclaration d’InBev, les requérantes font remarquer que celle-ci contient une série de déclarations à décharge.
74 D’une part, il s’agirait de déclarations qui ne seraient pas mentionnées dans la décision attaquée, selon lesquelles « [l]a discussion consistait à discuter sur les cas connus d’infraction aux échelles (qui étaient d’ailleurs très vagues) [; s]ur le terrain, chacun faisait comme il l’entendait » ; « [n]otre comportement sur le marché était orienté de manière très agressive vers l’obtention de nouveaux clients – également par les ristournes »; « [n]ous avons donc agi de manière parfaitement légale » ; « [InBev] n’a conclu aucun accord et n’a rien respecté » ; « [la] concertation [Catherijne] n’a pas eu de résultats concrets en ce qui concerne l’effet sur le marché [… ; a]ucune de ces deux fois, nous n’avons parlé concrètement de comportements sur le marché [; l]a réunion avait plus un caractère informel » ; « [i]l n’existait pas d’accord pour le secteur de l’alimentation » ; « [j]e n’ai jamais constaté que la réunion [du CBK] ait été prolongée par des discussions sur des points sensibles pour le marché [; i]l est toujours possible que de telles réunions donnent l’occasion d’entretiens bilatéraux informels, mais, selon moi, rien n’était en jeu ».
75 D’autre part, les requérantes se réfèrent à certains passages de déclarations citées dans la décision attaquée, selon lesquelles : « Interbrew pense que cette concertation n’a jamais eu d’effets significatifs sur le marché en tant que tel et serait moins intense ces derniers temps [… ; l]es discussions étaient d’un caractère très général » (citée au considérant 45 de la décision attaquée) ; « [o]n a surtout parlé pour se donner mutuellement l’impression que nous resterions calmes sur le marché [; i]l n’a peu ou pas été question d’échelles et de points de vente [; e]n fait, chacun prenait l’autre pour un idiot [; c]es dernières années, ces réunions ont perdu de plus en plus de leur substance et la concertation a acquis un caractère plus vague » (citée au considérant 46 de la décision attaquée) ; « [i]l existait également un accord très complexe et vague sur les échelles (ristournes accordées à l’horeca), auquel nous n’avons jamais collaboré [; d]’ailleurs, je n’ai jamais vu aucun document à ce sujet » (citée au considérant 48 de la décision attaquée).
76 Selon les requérantes, ces déclarations, outre qu’elles ne sont pas concrètes, sont incompatibles avec les conclusions de la Commission quant à l’existence de l’infraction en cause. Il en ressortirait, selon les requérantes, que les entretiens entre les brasseurs ont eu un caractère très général, qu’aucun accord n’a été conclu, qu’InBev n’a respecté aucun arrangement collusoire et que la concertation n’a eu aucun effet sur le marché.
77 Tout d’abord, il y a lieu de constater que les déductions faites par les requérantes sur la base de certains éléments de la déclaration d’InBev, indiquant la nature générale des discussions, l’absence d’accord pour certains secteurs et l’absence d’effet des discussions sur le comportement des brasseurs sur le marché, ne sauraient, en elles-mêmes, remettre en cause la constatation de la Commission quant à l’existence de l’infraction.
78 En effet, s’agissant du prétendu caractère général de ladite déclaration, il y a lieu de rappeler que la Commission est souvent obligée de prouver l’existence d’une infraction dans des conditions peu propices à cette tâche, dans la mesure où plusieurs années ont pu s’écouler depuis l’époque des faits constitutifs de l’infraction et que plusieurs des entreprises faisant l’objet de l’enquête n’ont pas coopéré de manière active avec celle-ci. S’il incombe nécessairement à la Commission d’établir qu’un accord illicite de partage des marchés a été conclu, il serait excessif d’exiger, en outre, qu’elle apporte la preuve du mécanisme spécifique par lequel ce but devait être atteint. En effet, il serait trop aisé pour une entreprise coupable d’une infraction d’échapper à toute sanction si elle pouvait tirer argument du caractère vague des informations présentées par rapport au fonctionnement d’un accord illicite dans une situation dans laquelle l’existence de l’accord et son but anticoncurrentiel sont pourtant établis de manière suffisante. Les entreprises peuvent se défendre utilement dans une telle situation pour autant qu’elles aient la possibilité de commenter tous les éléments de preuve invoqués à leur charge par la Commission (arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 50 supra, point 203 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, C‑403/04 P et C‑405/04 P, Rec. p. I‑729, point 50).
79 Ensuite, s’agissant des prétendues indications de l’absence d’effet sur le marché du comportement litigieux, il découle du texte même de la disposition de l’article 81 CE que les accords et les pratiques concertées entre entreprises sont interdits, indépendamment de tout effet sur le marché, lorsqu’ils ont un objet anticoncurrentiel (arrêts de la Cour Hüls/Commission, point 46 supra, points 163 à 166, et du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, Rec. p. I‑4529, point 29).
80 Ainsi, dès lors que la Commission a constaté l’existence des accords et des pratiques concertées ayant un objet anticoncurrentiel, cette constatation ne saurait être contredite par les indications tirées de l’absence d’application des arrangements collusoires ou l’absence d’effet sur le marché.
81 En ce qui concerne les prétendues indications, contenues dans la déclaration d’InBev, quant à l’absence d’accord dans le secteur de la consommation à domicile et dans le secteur « horeca », il convient d’observer que les passages invoqués par les requérantes, lus dans leur contexte, n’ont aucunement pour effet d’exclure l’existence d’un accord ou d’une pratique concertée dans les secteurs concernés.
82 En effet, s’agissant du secteur de la consommation à domicile (vente au détail), l’affirmation faite par un des directeurs d’InBev, selon laquelle « [i]l n’existait pas d’accord pour [ce] secteur », est suivie d’une description concrète du mécanisme de coordination des prix appliqué par les brasseurs. Le passage pertinent est libellé comme suit (considérant 51 de la décision attaquée) :
« Il n’existait pas d’accord pour le secteur de la vente au détail (‘Food’). S’agissant des augmentations du prix de la bière, il était d’usage qu’une brasserie n’augmente ses prix qu’après l’avoir annoncé préalablement à ses collègues brasseurs. Lorsque l’une des parties faisait une telle annonce, il s’ensuivait un débat sur l’impact d’une telle hausse sur le marché ; l’augmentation de prix de la bière avait cependant lieu malgré tout. L’initiative venait toujours d’une des grandes brasseries et, en général, d’Heineken. En pareil cas, les autres brasseries avaient le temps nécessaire pour adopter une position. Si les brasseries alignaient leurs prix les unes sur les autres dans les grandes lignes, chacune avait et maintenait cependant sa propre politique des prix. »
83 Dans ce contexte, le seul fait que le directeur d’InBev a fait référence à l’absence d’« accord » ne saurait constituer un argument valable, dans la mesure où il appartient à la Commission et, le cas échéant, au Tribunal de procéder à la qualification juridique des comportements décrits dans les déclarations faites par les responsables des entreprises concernées.
84 En ce qui concerne la prétendue absence d’accord et de respect d’un accord dans le secteur « horeca », force est de constater que la déclaration d’un dirigeant d’InBev selon laquelle « [InBev] n’a conclu aucun accord et n’a rien respecté » ne contredit pas la conclusion quant à l’existence d’un accord au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE. En effet, dans sa déclaration, le même dirigeant d’InBev évoque explicitement l’existence, d’une part, d’« un accord très complexe et vague sur les échelles (ristournes accordées à l’horeca) » et, d’autre part, d’un accord dont le but aurait été « d’éviter un trop grand nombre de mutations dans l’horeca ».
85 Il résulte de ce qui précède que les affirmations des requérantes concernant le caractère contradictoire de la déclaration d’InBev ne sauraient être retenues. À cet égard, il convient de rejeter également leur argument tiré de la manière prétendument sélective de l’utilisation de cette déclaration par la Commission, en ce que celle-ci n’aurait pas tenu compte des prétendues contradictions.
86 Dès lors, les requérantes n’ont pas démontré l’existence de prétendues contradictions susceptibles d’affaiblir la fiabilité de la déclaration d’InBev.
87 Par ailleurs, en affirmant que la déclaration d’InBev comporte une « preuve par ouï‑dire », les requérantes se réfèrent à ses passages selon lesquels « Interbrew n’a jamais vu de document contenant l’accord sur les ristournes auquel les discussions faisaient référence, mais la règle générale semblait être connue » (citée au considérant 45 de la décision attaquée), « [j]e ne connais pas moi‑même cet accord (échelles) et je n’ai pas non plus vu un document à ce propos », et « [j]e ne connais pas le contenu exact de l’accord [… ; d]’ailleurs, je n’ai jamais vu aucun document à ce sujet ».
88 Il convient d’observer que les passages invoqués par les requérantes portent exclusivement sur la question de l’existence d’un accord (« échelle ») sur les ristournes accordées aux clients du secteur « horeca ». Sur ce point particulier, la valeur probante de la déclaration d’InBev est, certes, réduite du fait de l’absence d’une preuve directe. La fiabilité des indications fournies quant à l’existence de l’« échelle » est néanmoins renforcée par les circonstances que, d’une part, elles proviennent de deux sources différentes et, d’autre part, elles contiennent des indications précises relatives à une « échelle », à savoir le montant exact de la ristourne maximale (voir considérant 48 de la décision attaquée). L’existence d’une « échelle » est, en outre, confirmée par deux éléments de preuve indépendants d’InBev, à savoir les notes manuscrites d’un membre du conseil d’administration de Bavaria relatives à la réunion du 1er mai 1997 (considérant 92 de la décision attaquée) et celles d’un directeur « horeca » de Bavaria concernant la réunion du 12 mars 1998 (reproduites au considérant 143 de la décision attaquée).
89 L’argumentation des requérantes invoquant la présence de « preuves par ouï-dire » n’est donc pas susceptible de remettre en cause les conclusions tirées de la déclaration d’InBev.
90 Enfin, s’agissant de l’appréciation générale de la fiabilité de la déclaration d’InBev, il convient de considérer que, contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission a pu, à bon droit, accorder à la déclaration d’InBev une valeur probante particulièrement élevée, étant donné qu’il s’agit d’une réponse donnée au nom de l’entreprise en tant que telle, revêtue d’une crédibilité dépassant celle que pourrait avoir la réponse donnée par un membre de son personnel quelle que soit l’expérience ou l’opinion personnelles de ce dernier. Il importe d’observer également que la déclaration d’InBev représente le résultat d’une investigation interne menée par l’entreprise et qu’elle a été soumise à la Commission par un avocat, qui avait l’obligation professionnelle d’agir dans l’intérêt de cette entreprise. Il ne pouvait, dès lors, avouer l’existence d’une infraction à la légère sans évaluer les conséquences de cette démarche (arrêts du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T‑23/99, Rec. p. II‑1705, point 45, et JFE Engineering e.a./Commission, point 50 supra, point 206).
91 Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence que, bien qu’une certaine méfiance à l’égard de dépositions volontaires des principaux participants à une entente illicite soit généralement de mise, vu la possibilité que ces participants aient tendance à minimiser l’importance de leur contribution à l’infraction et de maximiser celle des autres, le fait de demander à bénéficier de l’application de la communication sur la coopération en vue d’obtenir une réduction de l’amende ne crée pas nécessairement une incitation à présenter des éléments de preuve déformés quant aux autres participants de l’entente incriminée. En effet, toute tentative d’induire la Commission en erreur pourrait remettre en cause la sincérité ainsi que la complétude de la coopération du demandeur et, partant, mettre en danger la possibilité pour celui-ci de tirer pleinement bénéfice de la communication sur la coopération (arrêt du Tribunal du 16 novembre 2006, Peróxidos Orgánicos/Commission, T‑120/04, Rec. p. II‑4441, point 70).
92 Certes, il y a lieu de rappeler que la déclaration d’une entreprise inculpée pour avoir participé à une entente, dont l’exactitude est contestée par plusieurs autres entreprises inculpées, ne peut être considérée comme constituant une preuve suffisante de l’existence d’une infraction commise par ces dernières sans être étayée par d’autres éléments de preuve (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Enso-Gutzeit/Commission, T‑337/94, Rec. p. II‑1571, point 91, et JFE Engineering e.a./Commission, point 50 supra, point 219).
93 La déclaration d’InBev ne saurait donc suffire, à elle seule, pour établir l’existence de l’infraction, mais doit être corroborée par d’autres éléments de preuve.
94 Néanmoins, il y a lieu de considérer que le degré de corroboration requis en l’espèce est moindre, aussi bien en termes de précision qu’en termes d’intensité, du fait de la fiabilité de la déclaration d’InBev, qu’il ne le serait si cette dernière n’était pas particulièrement crédible. Ainsi, il y a lieu de considérer que, s’il devait être jugé qu’un faisceau d’indices concordants permettait de corroborer l’existence et certains aspects spécifiques des pratiques évoquées par la déclaration d’InBev et visées à l’article 1er de la décision attaquée, ladite déclaration pourrait suffire à elle seule, dans cette hypothèse, pour attester d’autres aspects de la décision attaquée. En outre, pour autant qu’une pièce n’est pas en contradiction manifeste avec la déclaration d’InBev sur l’existence ou le contenu essentiel des pratiques incriminées, il suffit qu’elle atteste des éléments significatifs des pratiques qu’elle a décrites pour avoir une certaine valeur à titre d’élément de corroboration dans le cadre du faisceau de preuves retenues à charge (voir, en ce sens, arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 50 supra, point 220, et la jurisprudence citée).
95 À la lumière de ce qui précède, il convient d’examiner les arguments des requérantes concernant d’autres éléments de preuve, invoqués par la Commission dans la décision attaquée aux fins de corroborer les constatations tirées de la déclaration d’InBev.
– Sur d’autres éléments de preuve
96 Dans la décision attaquée, la Commission indique que la déclaration d’InBev est corroborée par une série de documents internes émanant des requérantes et des trois autres brasseurs néerlandais, des notes manuscrites des réunions, des notes de frais et des copies d’agendas obtenus à la suite d’investigations et de demandes de renseignements.
97 Au considérant 67 de la décision attaquée, la Commission invoque les notes manuscrites d’un directeur commercial de Grolsch, relatives à la réunion du 27 février 1996, l’objet de cette réunion étant désigné par la mention « CBK cie HOR cath ». Ces notes incluent le passage suivant : « Cautionnements/financements : fin[ancements] pour [...] supérieurs aux besoins de points précis. Alors […] mil[lions] ».
98 Selon la Commission, il ressort de ce passage que les quatre brasseurs en cause ont discuté, dans le cadre d’une « réunion Catherijne », des conditions financières appliquées ou à appliquer à certains clients « horeca » (considérant 72 de la décision attaquée) et plus particulièrement aux établissements gérés par un propriétaire de nombreux établissements « horeca » aux Pays-Bas.
99 Au considérant 76 de la décision attaquée, la Commission invoque les notes manuscrites d’un directeur « horeca » de Bavaria concernant la réunion du 19 juin 1996. Les notes sont reproduites comme suit :
«- adapter prix
consommation à domicile élevé – faible
concertation Bavaria – Interbrew
[…] et […] -> problème […]
Martens
Schultenbrau !! 89 ct
- augmentation seulement du prix au fût
arguments
seulement intégralement Hein + Grolsch
Frise US Heit
Interbrew \
| augmentent ensemble
Bavaria /
-> […] aussi
le bas augmente plus que le haut
-insuffler de l’air
-accords
assainir ristourne débit de boissons 7,5 par fût Heineken
préparer représentants à l’égard d’accords éventuels
Interbrew \
| on peut utiliser de l’air
Grolsch / ».
100 Selon la Commission, ces notes montrent que les brasseurs présents ont discuté de manière détaillée des prix, tant de la bière vendue sous marque de distributeur que de la bière vendue en fûts, et que le prix des bières moins chères, produites par Interbrew et Bavaria, devait augmenter plus que celui des bières plus chères, produites par Heineken et Grolsch (considérant 85 de la décision attaquée).
101 Au considérant 89 de la décision attaquée, la Commission invoque une lettre que le directeur général d’Interbrew Nederland a adressée le 25 mars 1997 au siège d’InBev en Belgique :
« Il existe maintenant un consensus entre les principaux brasseurs pour procéder à une augmentation de prix avant 1998. Ce[la] permettra aux brasseurs d’accroître leur tampon pour les budgets promotionnels supplémentaires nécessaires. Les acteurs de la marque A tentent de différencier la hausse de prix entre les marques A (plus 2 NLG / hl) et les marques B (plus 4 NLG / hl). Cela me semble très irréaliste – nous devons tous soutenir une hausse intégrale de 4 NLG. J’exclurais de la hausse de prix nos bières spéciales ‘qui se laissent boire’ (DAS, Hoegaarden, Leffe). Les négociations ont commencé. »
102 La Commission a conclu sur la base de cette lettre qu’une hausse de prix était prévue avant 1998 à la suite de négociations de prix entre les principaux producteurs. En outre, la même lettre confirmait l’existence d’une distinction entre producteurs et marques de bière plus et moins chères (considérant 90 de la décision attaquée).
103 Au considérant 92 de la décision attaquée, la Commission invoque les notes manuscrites d’un membre du conseil d’administration de Bavaria concernant la réunion du 1er mai 1997. Elle cite les passages suivants :
« Catherijne Club 1/5 - 97
transferts ‘internes’ au groupe
doivent aussi respecter l’‘échelle’
[…] ‘La Haye’
Monster ZH [Hollande méridionale] offre concurrente plus élevée ».
104 Selon la Commission, ces notes confirment que les brasseurs discutaient d’une « échelle » aux conditions commerciales accordées aux points de vente individuels, en cas de transfert d’un groupe à un autre, mais également en cas de transfert au sein d’un même groupe (considérant 99 de la décision attaquée).
105 Au considérant 100 de la décision attaquée, la Commission constate que les notes susmentionnées contiennent également les noms « Heineken/Amstel/Brand/Grolsch » à la première ligne et les noms « Interbrew/Bavaria » à la seconde ligne, ces deux lignes étant reliées par une accolade à la suite de laquelle figure la mention « pas d’augmentations de prix ». La Commission en déduit que la distinction entre les marques A, détenues par Heineken et Grolsch, et les marques B, détenues par Interbrew et Bavaria, était au cœur des discussions entre les brasseurs concernant les hausses de prix de la bière (considérant 103 de la décision attaquée).
106 Au considérant 117 de la décision attaquée, la Commission invoque les notes manuscrites d’un membre du conseil d’administration de Bavaria concernant la réunion du 17 décembre 1997. Elle cite le passage suivant :
« 2) Situation des prix : mars/avril
fusée à un étage /fusée à deux étages
a) Heineken escompte peu de tapage ! ! Heineken 18.59
b) en cas de hausse : très négociable ; de tout cœur ; il y aura un soutien ».
107 La Commission en déduit que les brasseurs présents à la réunion du 17 décembre 1997, notamment Bavaria, Grolsch et Heineken, discutaient des hausses de prix ainsi que des réactions possibles aux augmentations de prix (considérant 127 de la décision attaquée).
108 Au considérant 129 de la décision attaquée, la Commission invoque un passage des notes manuscrites d’un directeur « horeca » de Bavaria concernant la réunion du 12 mars 1998 :
« - Passé peu de choses depuis le 1er janvier
- Marques A pas de panique par rapport au prix Hein
9.95 descendre de 11,49 a peu de sens Int
9.75 9.36 Bavaria
2x 4.95 4.75 }→
marques de distributeurs
prix au bas du marché
[…] mi-mars Bavaria quelque chose
sous Amstel (17) Bavaria (15)
de 9.75 à 10.75 si rien
ne se passe, alors Grolsch et Hein
hausses pocket brasserie
→ fixer accord […] et Dick
Cela doit être ‘démontrable’ via Nielsen sinon
il ne se passera rien ».
109 Selon la Commission, il en ressort que les brasseurs présents à la réunion du 12 mars 1998 ont discuté des réductions accordées aux supermarchés néerlandais (considérant 137 de la décision attaquée) et que les hausses de prix pratiquées par Bavaria devaient être démontrables dans les données des caisses de supermarchés compilées par AC Nielsen (considérant 133 de la décision attaquée).
110 Au considérant 138 de la décision attaquée, la Commission invoque un deuxième passage des notes manuscrites susmentionnées :
« Bav intérêt 4% ? 6 1/2
sauf
s’il y a indemnité de publicité ».
111 Selon la Commission, ce passage prouve qu’une discussion a été menée concernant le niveau des taux d’intérêt pratiqués sur les prêts consentis aux points de vente « horeca » (considérant 142 de la décision attaquée).
112 Au considérant 143 de la décision attaquée, la Commission invoque un troisième passage des notes manuscrites susmentionnées :
« Clubs de football Salles de spectacles Théâtres
Associations d’étudiants
[…]
Grolsch
Au-dessus/hors de l’échelle
130
[…] (125) 124,5 ».
113 Selon la Commission, il en ressort que les brasseurs ont tenu une discussion spécifique sur des clients « horeca » précis en rapport avec une « échelle », corroborant la déclaration d’InBev quant à l’existence d’un accord désigné sous le terme d’« échelle » (considérant 147 de la décision attaquée).
114 Au considérant 156 de la décision attaquée, la Commission invoque un passage des notes manuscrites d’un membre du conseil d’administration de Bavaria relatives à la réunion du 3 juillet 1998 :
« […] Heineken augmenté
[…] >> Heineken bière en fût ».
115 La Commission déduit de ce passage que les brasseurs ont discuté les prix pratiqués tant auprès des clients du secteur de la consommation à domicile qu’auprès d’un client « horeca » (considérants 162 à 164 de la décision attaquée).
116 Au considérant 165 de la décision attaquée, la Commission invoque un autre passage des notes manuscrites susmentionnées :
« Café […] 1800 […]
[…] 400 […]
60 par hl
650.000,- V.B.K. ».
117 Selon la Commission, il découle de ce passage que les brasseurs ont discuté une ristourne donnée et/ou une provision pour réduction appliquée ou à appliquer à des points de vente « horeca » spécifiques (considérant 171 de la décision attaquée).
118 Au considérant 174 de la décision attaquée, la Commission invoque un document daté du 30 juin 1998 et une liste de prix d’Heineken annonçant les nouveaux prix applicables pour la bière en bouteille et la bière à la pression (bière en citerne et bière en fût) à compter du 1er juin 1998, découverts dans le bureau d’un directeur des ventes « consommation à domicile » de Grolsch, comportant la mention « agenda c[ommiss]ie CBK » (commission de l’ordre du jour CBK). Selon la Commission, ces documents corroborent la déclaration d’InBev selon laquelle tant les prix « consommation à domicile » que la concurrence sur le marché de l’« horeca » ont été abordés lors des réunions concernées (considérant 175 de la décision attaquée).
119 Au considérant 179 de la décision attaquée, la Commission invoque une note interne d’Heineken du 14 octobre 1998, adressée à l’équipe de direction d’Heineken, rédigée comme suit : « la hausse de prix promise par Bavaria au sein de la CBK n’apparaît pas clairement dans les [chiffres] de Nielsen ». Selon la Commission, cette note renforce la conclusion selon laquelle Bavaria avait annoncé lors de la réunion du 12 mars 1998 son intention d’augmenter en premier ses prix dans le secteur de la consommation à domicile, les autres brasseurs devaient suivre ultérieurement et les augmentations pratiquées par Bavaria devaient être « démontrables » dans les chiffres de Nielsen (considérant 180 de la décision attaquée).
120 Au considérant 184 de la décision attaquée, la Commission invoque un courrier adressé à un directeur de l’unité « horeca » Pays-Bas d’Heineken par un directeur du marketing et de la consommation à domicile de la brasserie Brand BV d’Heineken, à propos de son entretien avec un membre du conseil d’administration de Bavaria :
« Lors du salon de l’alimentation de Noordwijk, le 9 septembre [1998], [un membre du conseil d’administration de Bavaria] m’a parlé de l’affaire […] et de la réaction d’Heineken. En bref, il est apparu selon lui qu’Heineken aurait pu s’asseoir beaucoup plus tôt à la table des négociations avec les premiers responsables d’Heineken et de Bavaria sur le marché néerlandais de l’horeca. Les hectolitres perdus auraient alors pu être compensés d’une autre manière. Par ailleurs, il a ajouté qu’à terme Bavaria avait peut-être en vue d’autres clients potentiels du secteur de l’horeca qui souhaitaient passer volontairement (l’accent étant mis sur le terme volontairement, comme dans le cas de […], selon lui) chez Bavaria [prénom d’un responsable de l’horeca Pays-Bas d’Heineken], il va de soi que ces propos s’inscrivent totalement dans la rhétorique bien connue des […]. Je ne voulais pas te priver de cette information. Bonne chance pour ton entretien. »
121 La Commission estime que ce courrier confirme la déclaration d’InBev selon laquelle les brasseurs discutaient non seulement des restrictions sur les réductions, mais également des restrictions concernant les points de vente optant pour un autre brasseur, et ce non seulement lors des réunions multilatérales, mais également à l’occasion de rencontres bilatérales (considérant 189 de la décision attaquée).
122 Au considérant 193 de la décision attaquée, la Commission invoque les notes manuscrites d’un directeur général de Grolsche Bierbrouwerij Nederland sur l’invitation à la réunion du 8 janvier 1999 :
« -ventes ‘98
-prix de la bière →
- casier du type « pinool » | actions / cat II
-casiers | bas
| fût
| NMA ».
123 Il en résulte, selon la Commission, que les discussions sur le prix de la bière se sont concentrées sur quatre éléments : premièrement, les actions promotionnelles sur le marché de la consommation à domicile, deuxièmement, le prix des bières moins chères et vendues sous marque de distributeur, troisièmement, le prix de la bière en fût, les grands conteneurs utilisés dans le secteur « horeca » du marché néerlandais de la bière et, quatrièmement, l’autorité néerlandaise de la concurrence NMA (considérant 194 de la décision attaquée).
124 Aux considérants 197 et 199 de la décision attaquée, la Commission invoque la liste des sujets à évoquer à la réunion du 8 janvier 1999, sur laquelle un représentant de Grolsch avait noté l’abréviation « BP », laquelle est interprétée par la Commission comme « prix de la bière » (bierprijs) ou « prix plancher » (bodemprijs), ainsi que « P[rivate] L[abel] 50 ct. de plus ». La Commission déduit de ces mentions que, en ce qui concerne la bière en fût, les brasseurs ont discuté les prix de manière détaillée (considérant 203 de la décision attaquée).
125 Aux considérants 212 et 213 de la décision attaquée, la Commission invoque un document comportant une référence à trois contacts au niveau de la direction entre Heineken et Grolsch vers le 5 juillet 1999, mentionnant une « guerre des prix » entre les deux brasseurs. La Commission en déduit qu’Heineken avait pris contact directement avec Grolsch au sujet des réductions, et ce un mois et demi avant que les réductions temporaires, appliquées par une chaîne de magasins à laquelle Grolsch a refusé d’octroyer une compensation, n’aient effectivement été mises en place (considérant 213 de la décision attaquée).
126 Au considérant 224 de la décision attaquée, la Commission invoque une série de documents inclus dans son dossier administratif faisant ressortir les sujets qui ont été abordés lors des réunions bilatérales entre Bavaria et InBev du 8 mars 1995, de la seconde moitié de mars 1997, du 12 mai 1997, du 19 juin 1997 et du 8 septembre 1997. Elle en cite les passages suivants :
– réunion du 8 mars 1995 : « [Bavaria] et [Interbrew Nederland] ont tous deux affirmé avoir de gros problèmes avec M. […] aux Pays-Bas » (note en bas de page n° 491 de la décision attaquée) ;
– réunion du 12 mai 1997 : ont été évoqués la « hausse de prix » et « les marques de distributeur comme une épée de Damoclès […] pression psychologique de Grolsch et surtout d’Heineken pour augmenter les prix de la bière vendue sous marque de distributeur » (note en bas de page n° 493 de la décision attaquée) ;
– réunion du 19 juin 1997 : ont été abordés « le comportement à adopter dans le segment des marques de distributeur et, s’y rapportant, la position d’Interbrew à l’égard de Martens (considéré comme un hôte non désiré dans le monde de la bière néerlandais) » (note en bas de page n° 494 de la décision attaquée) ;
– réunion du 8 septembre 1997 : ont été évoqués « la situation du marché des marques de distributeur aux Pays-Bas et le fait que Bavaria avait pris un client à Interbrew […] offre plancher faite au [client] […] Bavaria altérant le statu quo […] » (note en bas de page n° 495 de la décision attaquée).
127 La Commission interprète ces documents comme la preuve de ce que les consultations bilatérales entre Bavaria et InBev ont permis de maintenir une « paix armée » ou un « pacte de non-agression » concernant la bière vendue sous marque de distributeur (considérant 223 de la décision attaquée).
128 Au considérant 227 de la décision attaquée, la Commission invoque la lettre datée du 26 septembre 1997, adressée par un directeur des exportations d’Interbrew Nederland à un directeur des exportations au siège central d’Interbrew au sujet des « ventes de bière en Allemagne et des marques de distributeur » :
« Je me suis entretenu récemment à ce propos avec notre principal concurrent aux Pays-Bas et j’ai appris à cette occasion qu’ils devaient rencontrer […] pour avancer ou non sur le volume de la bière TIP pour 1998. Je me suis enquis du niveau de prix auquel ils comptaient travailler et il m’a confirmé exactement le même prix, moins une contribution destinée au siège central de […], et le fait qu’il accepterait un volume d’environ 200 000 hl à ce prix. »
129 Selon la Commission, il en ressort qu’Interbrew a sollicité et obtenu auprès de Bavaria des informations détaillées sur le prix et les volumes relatifs à une éventuelle livraison, par Bavaria, de bière sous marque de distributeur à une chaîne allemande de grande distribution. La Commission estime que cet élément confirme la déclaration d’InBev selon laquelle Interbrew et Bavaria ont échangé des informations sur les niveaux des prix proposés aux clients de bière sous marque de distributeur. La Commission fait valoir, en outre, que ce fait a été reconnu par InBev dans une lettre datée du 21 février 2006 (considérant 228 de la décision attaquée).
130 Au considérant 234 de la décision attaquée, la Commission invoque la déclaration suivante de la brasserie Haacht au sujet de la réunion du 14 ou 15 juin 1998 entre Bavaria, Interbrew Nederland et les brasseurs belges Interbrew Belgique, Alken-Maes, Haacht et Martens :
« Au cours de cette réunion, les brasseries néerlandaises ont été informées du contenu de l’échange d’informations tenu entre les participants belges. Les brasseries néerlandaises ont donné leur accord en vue d’échanger des données concernant les volumes, les types de conditionnement, la durée des contrats et d’éventuels jours d’échéance et clients. S’agissant des prix, les participants ont convenu par principe de ne pas échanger d’informations à ce propos […]
Les participants à la réunion ont estimé qu’il convenait de charger une partie neutre de centraliser l’échange d’informations. Cette demande a été soumise parce que les parties qui étaient présentes sur le marché néerlandais n’avaient pas confiance dans les autres parties. Haacht a été invitée à centraliser les informations dans la mesure où elle n’était pas active sur le marché néerlandais. »
131 La Commission estime que cette déclaration confirme, sur le point abordé, la déclaration d’InBev (considérant 235 de la décision attaquée).
132 Au considérant 236 de la décision attaquée, la Commission invoque les notes manuscrites de la réunion susmentionnée du 14 ou 15 juin 1998, qui ont été découvertes dans le bureau de la secrétaire d’un président du comité de direction de Bavaria :
« Martens → rien n’a jamais été concrétisé aux Pays-Bas
→ bas – marché – casseur de prix
|→ des offres de prix sont soumises
Interbrew Nederland – Martens -> offre soumise à un grand client des marques
de distributeur
[…]
7,68 [entouré]
Martens – ‘baisse des prix Belgique’
à présent NL → […]
Interbrew Belgique a fait le premier pas concernant le P[rivate] L[abel]
seulement pour […]
Pilsener […]
/ \ / \
multiple unique
[…] – “décidé” |→ chez Interbrew
CAT I+II ».
133 Selon la Commission, ces notes confirment qu’Interbrew Belgique a pris l’initiative d’une réunion sur la bière sous marque de distributeur lors de laquelle il a été décidé que le contrat avec une organisation d’achat de détaillants « irait à Interbrew aux Pays-Bas » (considérant 237 de la décision attaquée).
134 Concernant cette dernière réunion, la Commission invoque également la déclaration suivante d’un directeur « consommation à domicile » d’InBev, soumise par InBev, le 21 février 2006, en réponse à une demande de renseignements (considérant 238 de la décision attaquée) :
« À un moment donné […], M. [...] de […] m’a confronté à un faible prix que lui avait proposé Martens. Il m’a affirmé qu’il avait obtenu un prix de 0,32 NLG par bouteille. Cela correspond au montant de 7,68 NLG par casier de 24 bouteilles mentionné dans les notes de M. [responsable de Bavaria]. Dans le cadre de ces discussions, qui se sont poursuivies d’avril à début juin 1998, je lui ai suggéré de passer à la catégorie II et de bénéficier ainsi d’une réduction d’accises. Finalement, début juin 1998, nous avons conclu un accord avec […] relatif à la livraison d’une nouvelle […] bière de catégorie II […]. Grâce à la réduction d’accises découlant du passage à une bière de catégorie II, nous avons été en mesure de proposer un montant de 6,36 NLG (comprenant la réduction d’accises de 0,84 NLG) et de parer ainsi à l’offre de Martens.
[…]
À l’époque de la réunion du 14 ou 15 juin 1998, […] Interbrew s’était mise d’accord avec […] sur des livraisons de bière de catégorie I […] et de catégorie II. Au cours de cette réunion, j’ai fait état des discussions et de l’accord intervenu avec […] pour deux raisons. Premièrement, je voulais confronter Martens à l’offre qu’elle avait soumise à […], étant donné qu’elle avait toujours nié avoir présenté des offres de prix aux Pays-Bas. En second lieu, je tenais à informer les autres participants qu’ils ne devaient plus soumettre d’offres à […], compte tenu de l’accord conclu entre Interbrew et […]. La ligne n du [document figurant au considérant 236 de la décision attaquée] témoigne de ma communication relative à la conclusion du contrat de livraison de bières de catégorie I et de catégorie II entre […] et Interbrew. L’existence de cet accord […] ressort du fax du 24 juin 1998. »
135 Au considérant 240 de la décision attaquée, la Commission invoque une déclaration du brasseur belge Haacht au sujet de la deuxième réunion belgo-néerlandaise du 7 juillet 1998, selon laquelle :
« C’est la dernière réunion qui a été organisée entre les parties. Lors de cette dernière, Haacht a procédé à la distribution des informations collectées sur le marché néerlandais.
Les parties ont ensuite changé de sujet pour aborder quelques points moins importants, mais le représentant d’Haacht n’a pas pris part à cette discussion. Quoi qu’il en soit, aucune information importante n’a été échangée sur ces sujets. Cette réunion a donné l’impression de ne rien apporter de concret. »
136 Selon la Commission, la déclaration d’un directeur « consommation à domicile » d’Interbrew confirmait la déclaration d’Haacht selon laquelle il s’agissait de la dernière réunion belgo-néerlandaise. La Commission considère que la décision de mettre fin à ces réunions repose sur un motif précis, à savoir la crainte de voir l’autorité néerlandaise de la concurrence faire une incursion dans une ou plusieurs brasseries, ce qui est confirmé par la déclaration d’InBev (considérant 241 de la décision attaquée).
137 Au considérant 248 de la décision attaquée, la Commission invoque une déclaration interne d’Heineken selon laquelle « les prix extrêmement bas pratiqués actuellement par la brasserie belge Martens […] contrarient la politique consistant à relever le bas du marché à un niveau de prix supérieur ».
138 Enfin, au considérant 249 de la décision attaquée, la Commission invoque la déclaration faite lors de son inspection le 23 mars 2000 et signée par un directeur général de Grolsche Bierbrouwerij Nederland, devenu président du conseil d’administration chez Koninklijke Grolsch :
« Il a emporté le document […] intitulé ‘Scénarios de prix basés sur une augmentation nette des prix de gros de 2,00 NLG par hl’, qui comporte l’annotation ‘CBK – Fie – toujours emporter’, aux réunions de la commission financière de la CBK. Il a utilisé ce document pour attirer l’attention d’Interbrew et de Bavaria (les producteurs de bières vendues sous marque de distributeur aux Pays-Bas) sur la fixation des prix, injustifiable selon lui, de la bière vendue sous marque de distributeur (moins de 10 florins par casier). »
139 Au même considérant de la décision attaquée, la Commission invoque également la déclaration suivante d’un directeur général d’Heineken Nederland :
« J’ai déjà été présent lors d’une réunion de la CBK où d’autres parlaient de la fixation des prix des marques de distributeur. De telles remarques auront été formulées pour exprimer une inquiétude. Je n’ai pas réagi parce qu’en principe Heineken n’est pas associée à la production de marques de distributeur. »
140 La Commission déduit des passages cités aux considérants 248 et 249 de la décision attaquée que les producteurs de bière vendue sous marque de distributeur (Interbrew et Bavaria) avaient dévoilé leur stratégie de prix à Heineken et à Grolsch, qui ne sont pas actives dans ce secteur (considérant 248 de la décision attaquée). Elle en conclut que les discussions bilatérales entre Interbrew et Bavaria tendant à augmenter les prix de la bière vendue sous marque de distributeur faisaient partie des discussions générales menées entre les quatre brasseurs (considérant 252 de la décision attaquée).
141 Il y a lieu de constater que les indices énumérés ci-dessus corroborent la déclaration d’InBev et justifient la constatation selon laquelle des représentants d’Heineken, de Grolsch, d’Interbrew et de Bavaria se rassemblaient régulièrement dans le cadre d’un cycle de réunions informelles connues sous la dénomination « concertation Catherijne » ou « commission de l’ordre du jour » dont la composition variait (déclaration d’InBev citée au considérant 45 de la décision attaquée ; autres éléments de preuve examinés aux considérants 65 à 222 de la décision attaquée). Les 18 réunions mentionnées dans la décision attaquée, qui s’inscrivent dans ce cycle, ont eu lieu le 27 février 1996, le 19 juin 1996, le 8 octobre 1996, le 8 janvier 1997, le 1er mai 1997, le 2 septembre 1997, le 16 décembre 1997, le 17 décembre 1997, le 12 mars 1998, le 9 avril 1998, le 3 juillet 1998, le 15 décembre 1998, le 8 janvier 1999, le 4 mars 1999, le 10 mai 1999, le 11 août 1999, le 19 août 1999 et le 3 novembre 1999.
142 En ce qui concerne le contenu des discussions menées dans le cadre desdites réunions, les indices susmentionnés corroborent la déclaration d’InBev et établissent les éléments suivants :
– s’agissant du secteur consommation à domicile :
– les quatre brasseurs discutaient les prix (déclaration d’InBev citée au considérant 51 et autres éléments de preuve cités aux considérants 76, 129, 156, 174, 193, 212 et 213 de la décision attaquée) et les hausses de prix de la bière aux Pays-Bas (déclaration d’InBev citée au considérant 51 et autres éléments de preuve cités aux considérants 76, 89, 117 et 179 de la décision attaquée) ;
– des discussions sur les prix étaient également poursuivies par voie de contacts bilatéraux, notamment entre Grolsch et Heineken en juillet 1999 (document cité aux considérants 212 et 213 de la décision attaquée) ;
– des propositions concrètes en matière de prix étaient débattues (lettre interne d’Interbrew invoquée au considérant 89 de la décision attaquée) et les informations échangées étaient parfois assez détaillées (documents invoqués aux considérants 129 et 174 de la décision attaquée) ;
– il existait en 1997 et 1998 un consensus entre les brasseurs pour procéder à une augmentation des prix avant ou au cours de l’année 1998 (documents invoqués aux considérants 89, 174 et 179 de la décision attaquée) ;
– les producteurs de bière des « marques A » (Heineken et Grolsch) ont insisté, contrairement aux producteurs des « marques B » (bières vendues sous marque de distributeur) (Interbrew et Bavaria) qui s’y sont opposés, pour que la hausse de prix soit opérée « en deux phases », d’abord, pour les marques B et, ensuite, pour les marques A, et que le taux d’augmentation soit différencié entre les marques A et les marques B (déclaration d’InBev citée au considérant 53 ; autres éléments de preuve invoqués aux considérants 76, 89, 100, 117 et 193 de la décision attaquée) ;
– Bavaria a annoncé (probablement lors de la réunion du 12 mars 1998) son intention d’augmenter ses prix (éléments de preuve invoqués aux considérants 129 et 179 et déclaration d’InBev citée au considérant 51 de la décision attaquée). Les autres brasseurs devaient probablement suivre Bavaria en augmentant leurs prix par la suite (déclaration d’InBev citée au considérant 51 de la décision attaquée) ;
– en ce qui concerne le mécanisme de suivi, il a été convenu que les hausses pratiquées par Bavaria devaient être démontrables dans les chiffres de la base de données des supermarchés compilées par AC Nielsen (documents invoqués aux considérants 129 et 179 de la décision attaquée) ;
– il n’y a aucune preuve que la hausse de prix prévue pour 1998 ait eu lieu ;
– dans le cadre des consultations sur les prix, les brasseurs ont discuté la situation de certains supermarchés spécifiques (notes manuscrites invoquées aux considérants 76 et 156 de la décision attaquée) ;
– lors des discussions, les participants indiquaient des chiffres concrets de prix (documents invoqués aux considérants 76, 89, 117, 129 et 174 de la décision attaquée) ;
– s’agissant de la bière vendue sous marque de distributeur :
– à partir de 1995, les deux producteurs néerlandais de bière vendue sous marque de distributeur (Interbrew et Bavaria) ont à plusieurs reprises exprimé leurs préoccupations liées aux projets du brasseur belge Martens de pénétrer le marché néerlandais dans ce secteur (déclaration d’InBev citée au considérant 55 ; autres éléments de preuve cités aux considérants 224, 236, 238 et 248 de la décision attaquée) ;
– ces préoccupations ont été discutées dans le cadre des consultations bilatérales entre Bavaria et InBev (déclaration d’InBev citée au considérant 52 ; lettre interne d’Interbrew citée au considérant 227 de la décision attaquée) et de cinq réunions bilatérales (du 8 mars 1995, de la seconde moitié de mars 1997, du 12 mai 1997, du 19 juin 1997 et du 8 septembre 1997) consacrées à ce problème (documents invoqués au considérant 224 de la décision attaquée) ;
– deux réunions « belgo-néerlandaises » se sont également déroulées le 14 ou le 15 juin 1998 (documents invoqués aux considérants 234, 236 et 238 de la décision attaquée) et le 7 juillet 1998 (déclaration d’Haacht citée au considérant 240 de la décision attaquée) à Breda entre Interbrew Nederland, Bavaria et les brasseurs belges Interbrew Belgique, Alken-Maes, Haacht et Martens (déclaration d’InBev citée au considérant 55 de la décision attaquée) ;
– les sujets liés à la bière vendue sous marque de distributeur ont également été débattus en présence d’Heineken et de Grolsch (qui ne sont pas actives dans ce segment) dans le cadre de la discussion générale (déclaration d’InBev citée au considérant 54 ; autres éléments de preuve invoqués aux considérants 156, 193, 248 et 249 de la décision attaquée) ;
– les brasseurs discutaient les prix de la bière vendue sous marque de distributeur (déclaration d’InBev citée au considérant 54 ; autres éléments de preuve invoqués aux considérants 193, 199, 227, 236, 238 et 249 de la décision attaquée) ;
– Heineken et Grolsch exerçaient une « pression psychologique » sur Bavaria et Interbrew pour augmenter les prix de la bière vendue sous marque de distributeur (documents invoqués au considérant 224, à la note en bas de page n° 493 et au considérant 248 de la décision attaquée) en refusant d’augmenter les prix des marques A (déclaration d’InBev citée au considérant 53 de la décision attaquée) ;
– il était convenu tant au niveau bilatéral entre Interbrew Nederland et Bavaria qu’au niveau multilatéral entre les brasseurs néerlandais et belges actifs dans le secteur de ne pas tenter de débaucher des clients et de respecter les volumes respectifs de marques de distributeur aux Pays-Bas et en Belgique ; il a été décidé, notamment, que le contrat avec une organisation d’achat de détaillants irait à Interbrew Nederland (déclaration d’InBev citée au considérant 55 ; documents invoqués aux considérants 224, 236 et 238 de la décision attaquée) ;
– les brasseurs échangeaient des informations sur les conditions commerciales proposées à certains clients spécifiques (lettre invoquée au considérant 227 de la décision attaquée et documents invoqués aux considérants 236 et 238 de la décision attaquée) ;
– lors des discussions, les participants indiquaient des chiffres concrets de prix (documents invoqués aux considérants 236, 238 et 249 de la décision attaquée) ;
– s’agissant du secteur « horeca » :
– les quatre brasseurs discutaient les prix (documents invoqués aux considérants 174, 193 et 197 de la décision attaquée) et les hausses de prix (notes manuscrites invoquées au considérant 76 de la décision attaquée) dans le secteur « horeca » ;
– il existait entre les brasseurs un accord, désigné sous la dénomination « échelle », qui concernait le montant des ristournes à accorder aux clients « horeca » (déclaration d’InBev citée au considérant 48 ; notes manuscrites invoquées aux considérants 92, 143 et 165 de la décision attaquée) et que les brasseurs devaient « respecter » (notes manuscrites invoquées au considérant 92 de la décision attaquée) ; le respect de cet accord était suivi et les infractions connues faisaient l’objet des discussions poursuivies dans le cadre des réunions « Catherijne » (déclaration d’InBev citée au considérant 48 de la décision attaquée) ;
– les consultations portaient également sur la mise en place de restrictions visant à maintenir le statu quo dans le secteur en évitant les reprises de clients d’autres brasseurs (déclaration d’InBev citée au considérant 48 ; courrier interne d’Heineken concernant le débauchage par Bavaria d’une association d’étudiants, cité au considérant 184 de la décision attaquée) ;
– les discussions de telles restrictions étaient également poursuivies par voie de contacts bilatéraux ; ainsi, le 9 septembre 1998, des dirigeants d’Heineken et de Bavaria ont discuté entre eux la reprise par Bavaria d’un client « horeca » d’Heineken (courrier interne d’Heineken cité au considérant 184 de la décision attaquée) ;
– les brasseurs échangeaient des informations sur certains clients et points de vente précis (documents invoqués aux considérants 92, 143, 156, 165 et 184 de la décision attaquée) ;
– dans le cadre des discussions, les brasseurs mentionnaient des chiffres concrets concernant le niveau des ristournes et des provisions pour réduction (notes manuscrites invoquées aux considérants 143 et 165 de la décision attaquée).
143 C’est à la lumière de ces éléments qu’il convient d’examiner l’argumentation des requérantes relative aux trois composantes du comportement incriminé, concernant, premièrement, la coordination des prix et des hausses de prix de la bière aux Pays-Bas, à la fois dans le secteur « horeca » et dans le secteur de la consommation à domicile, y compris en ce qui concerne la bière vendue sous marque de distributeur, deuxièmement, la coordination occasionnelle d’autres conditions commerciales offertes aux clients individuels dans le secteur « horeca » aux Pays-Bas et, troisièmement, la coordination occasionnelle sur la répartition de la clientèle, à la fois dans le secteur « horeca » et dans le secteur de la consommation à domicile aux Pays-Bas (article 1er et considérants 257 et 258 de la décision attaquée).
– Sur les éléments factuels relatifs aux constatations, d’une part, d’une coordination des prix et des hausses de prix de la bière et, d’autre part, d’une coordination occasionnelle sur la répartition de la clientèle
144 Les requérantes soutiennent, en substance, que les notes manuscrites rédigées par les représentants des brasseurs dans le cadre des réunions incriminées sont interprétées par la Commission de manière partiale et tendancieuse.
145 Elles font observer que les notes manuscrites émanant de Bavaria et de Grolsch sont difficiles à comprendre pour des tiers autres que leurs auteurs. Dans leurs observations, elles se limitent à traiter la pertinence et l’interprétation de certains documents émanant d’elles-mêmes et d’autres documents au sujet desquels leur réaction devant la Commission a été reproduite dans le texte de la décision attaquée. Au demeurant, les requérantes se bornent à relever que les notes invoquées par la Commission sont susceptibles de multiples interprétations et que, dès lors, elles ne suffisent pas à démontrer l’existence d’une infraction au-delà de tout doute raisonnable.
146 Les requérantes contestent notamment l’interprétation des éléments invoqués aux considérants 76, 89, 117, 156, 165, 174, 175, 179, 184, 199, 212, 213, 248, 249 de la décision attaquée (voir points 99, 101, 106, 114, 116, 118 à 120, 124, 125, 137 et 138 ci-dessus).
147 Avant d’examiner les arguments des requérantes concernant les éléments susmentionnés, il y a lieu de relever que la majorité des constatations factuelles énumérées aux points 141 et 142 ci-dessus sont fondées sur plusieurs éléments de preuve.
148 S’agissant des notes du 19 juin 1996 et du 17 décembre 1997 (invoquées aux considérants 76 et 117 de la décision attaquée), il y a lieu de constater que les requérantes ne contestent pas l’interprétation par la Commission de leur contenu, mais la manière dont leurs propres réactions initiales au sujet de ces documents ont été reproduites dans la décision attaquée. Sont, par ailleurs, dépourvues de toute incidence sur les constatations factuelles que les documents en cause tendent à appuyer les remarques des requérantes selon lesquelles, dans leurs réponses, d’une part, elles n’ont pas prétendu qu’il y avait une « négociation », mais seulement que les discussions lors de la réunion du 19 juin 1996 ont probablement porté sur la bière vendue sous marque de distributeur, et, d’autre part, elles n’ont pas critiqué l’interprétation de la Commission des notes du 17 décembre 1997 au motif que le segment du marché dont il s’agit ne peut être déterminé, mais ont soutenu que ces notes ne fournissaient pas une preuve convaincante d’une concertation illicite.
149 Force est de constater, en outre, que les notes invoquées aux considérants 76 et 117 de la décision attaquée sont corroborées, par rapport à chacune des constatations, par plusieurs autres éléments de preuve non contestés (voir point 142 ci-dessus). Il en est de même pour les documents invoqués aux considérants 165, 199, 212 et 213 de la décision attaquée. Il n’est donc pas nécessaire de procéder à un examen individuel de ces documents et des observations des requérantes à leur égard, aux fins de l’analyse des faits de l’espèce.
150 Les notes manuscrites du 3 juillet 1998 d’un membre du conseil d’administration de Bavaria, la note interne d’Heineken et les déclarations d’un directeur général de Grolsche Bierbrouwerij Nederland, devenu président du conseil d’administration chez Koninklijke Grolsch, et d’un directeur général d’Heineken Nederland (invoquées aux considérants 156, 248 et 249 de la décision attaquée), quant à elles, constituent des éléments de preuve importants de la constatation selon laquelle les sujets liés à la bière vendue sous marque de distributeur ont été débattus en présence d’Heineken et de Grolsch (voir point 142 ci-dessus). Or, les requérantes ne nient pas cette constatation. Elles s’opposent, en revanche, à la conclusion selon laquelle Heineken était impliquée dans ces consultations entre Bavaria et Interbrew. Cet argument portant sur la qualification juridique du comportement des requérantes, il sera examiné dans le cadre de l’analyse de l’existence d’accords ou de pratiques concertées (voir points 194 à 198 ci-après).
151 Le courrier interne d’Heineken concernant le débauchage par Bavaria d’une association d’étudiants (invoqué au considérant 184 de la décision attaquée) est le seul élément de preuve à fournir un témoignage concret de discussions entre les brasseurs (en l’occurrence Heineken et Bavaria) au sujet de la reprise de clients « horeca » (voir point 142 ci-dessus). Les requérantes ne nient pas que, à cette occasion, Bavaria a proposé à Heineken de discuter le problème, voire de le régler par une compensation. Elles affirment, cependant, que cela n’a pas été fait et qu’Heineken ne l’aurait pas non plus permis. Les requérantes nient, par ailleurs, l’existence d’un système de compensations entre les brasseurs en cas de débauchage de clients.
152 Ces affirmations des requérantes ne sont pas plausibles. Dans la décision attaquée, la Commission relève, à juste titre, que la phrase « les hectolitres perdus auraient alors pu être compensés d’une autre manière », dans le texte du courrier en cause, indique qu’il n’y a pas eu de discussion entre Heineken et Bavaria sur la nécessité d’une compensation, mais seulement sur le moyen d’obtenir une compensation (considérant 185 de la décision attaquée), et que l’utilisation des mots « rhétorique bien connue », « accent » et « volontairement » signifie que, selon l’auteur, qui appartient au groupe Heineken, Bavaria est soupçonnée de ne pas respecter une norme aux termes de laquelle les brasseurs ne sollicitent pas activement des clients « horeca » des autres brasseurs (considérant 188 de la décision attaquée).
153 Dès lors, l’élément invoqué aux considérants 184 à 188 de la décision attaquée corrobore les affirmations contenues dans la déclaration d’InBev, citées au considérant 48 de la décision attaquée, quant à l’existence d’un arrangement de non-reprise de clients « horeca ».
154 Les documents découverts dans le bureau d’un directeur des ventes consommation à domicile de Grolsche Bierbrouwerij Nederland (invoqués aux considérants 174 et 175 de la décision attaquée) et la note interne d’Heineken du 14 octobre 1998 (invoquée au considérant 179 de la décision attaquée) tendent à établir l’existence en 1997 et en 1998 d’un consensus entre les brasseurs pour procéder à une augmentation des prix avant ou au cours de l’année 1998 (voir point 142 ci-dessus).
155 S’agissant de la mention « agenda c[ommiss]ie CBK » figurant sur les documents invoqués aux considérants 174 et 175 de la décision attaquée, les requérantes font valoir qu’elles ne connaissent pas les motifs ayant conduit le dirigeant de Grolsch à faire cette annotation et qu’une seule annotation personnelle ne peut constituer une preuve convaincante de l’existence d’une entente.
156 Elles ne nient pas, toutefois, la conclusion de la Commission selon laquelle il ressort de ces documents que les prix et la concurrence dans le secteur de la consommation à domicile ont été abordés lors des réunions de la commission de l’ordre du jour CBK, et ne fournissent aucune explication relative au fait que le dirigeant de Grolsch était en possession d’une liste de prix d’Heineken et à une information concernant la hausse des prix de Bavaria lors d’une telle réunion.
157 S’agissant de l’indication dans la note interne d’Heineken (invoquée au considérant 179 de la décision attaquée), aux termes de laquelle « la hausse de prix promise par Bavaria au sein de la CBK n’apparaît pas clairement dans les [chiffres] de Nielsen », les requérantes font remarquer que le fait d’utiliser le qualificatif « promise » pour désigner une annonce d’augmentation de prix de Bavaria, connue par le marché déjà depuis des mois, ne constitue pas une preuve convaincante d’une entente. Cette conclusion serait, en outre, contredite par le fait qu’Heineken aurait choisi de ne pas augmenter ses prix jusqu’en février 2000.
158 À cet égard, il y a lieu de relever, comme la Commission l’indique, à juste titre, au considérant 182 de la décision attaquée, qu’interpréter le mot « promettre » comme le fait de « mentionner » simplement une augmentation de prix s’écarte de son sens ordinaire. La conclusion de l’existence d’un engagement de Bavaria d’augmenter ses prix est rendue encore plus vraisemblable par la mention du fait que l’augmentation « n’apparaît pas clairement dans les [chiffres] de Nielsen ». Il a déjà été constaté que les données des caisses de supermarchés compilées par AC Nielsen ont été utilisées comme un outil de suivi par le biais duquel la hausse de prix de Bavaria devait être rendue « démontrable » (voir considérant 133 de la décision attaquée et point 142 ci-dessus). La référence à ces données s’inscrit d’une manière plus logique dans le contexte du suivi de la mise en œuvre d’un engagement que dans celui de la vérification d’une simple mention.
159 En ce qui concerne l’argument des requérantes tiré du fait qu’Heineken n’a pas augmenté ses prix jusqu’en février 2000 (alors que la hausse convenue aurait été prévue pour 1998), il suffit de remarquer que la simple non-exécution d’un accord sur les prix n’implique pas en soi que l’accord lui-même n’a jamais existé.
160 Enfin, l’existence d’un consensus pour augmenter les prix en 1998 ressort d’une manière très claire de la lettre interne d’Interbrew du 25 mars 1997 (citée au considérant 89 de la décision attaquée). L’interprétation des requérantes, selon laquelle cette lettre concerne les négociations d’Interbrew avec ses acheteurs (c’est-à-dire avec des supermarchés) et non pas avec les autres brasseurs, n’est pas convaincante, eu égard à la mention explicite des « principaux brasseurs » en tant que parties au « consensus » dans le texte de la lettre.
161 Le fait que la hausse de prix visée par la lettre devait intervenir « avant 1998 », alors que les éléments de preuve susmentionnés en cause ont été rédigés en 1998, ne saurait non plus confirmer la thèse des requérantes selon laquelle il n’existe aucun lien entre ces documents. Il est concevable que, en raison des difficultés liées à la négociation des modalités de sa mise en œuvre (en particulier, de l’augmentation différenciée des prix des marques A et B visée par la lettre interne d’Interbrew), la hausse de prix initialement prévue pour une date en 1997 ait été d’abord reportée à l’année suivante et, ensuite, abandonnée par les brasseurs.
162 Il convient de rappeler, en outre, que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, l’exactitude de la lettre interne d’Interbrew du 25 mars 1997 et plus particulièrement de la mention concernant l’existence d’un « consensus » n’est démentie ni par les déclarations des dirigeants d’InBev (voir points 82 et 83 ci-dessus) ni par le fait qu’Heineken n’a prétendument pas augmenté ses prix jusqu’en février 2000 (voir point 159 ci-dessus).
163 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le faisceau d’indices invoqué par la Commission suffit à corroborer la déclaration d’InBev par rapport aux constatations factuelles concernant la coordination des prix et des hausses de prix et la répartition de la clientèle. La validité de ces constatations n’est d’ailleurs pas remise en cause par les arguments des requérantes concernant les éléments énumérés au point 146 ci-dessus.
164 Dès lors, il y a lieu de rejeter l’argumentation des requérantes tirée d’une erreur d’appréciation des éléments factuels relatifs à ces deux composantes de l’infraction en cause.
– Sur les éléments factuels relatifs à la constatation d’une coordination occasionnelle d’autres conditions commerciales offertes aux clients individuels dans le secteur « horeca »
165 Les requérantes soutiennent que la Commission n’a pas établi que les entreprises concernées ont coordonné les conditions commerciales autres que les prix accordées aux clients du secteur « horeca ».
166 La Commission estime que les notes manuscrites invoquées aux considérants 67 et 138 de la décision attaquée contiennent la preuve d’une coordination occasionnelle, entre les quatre brasseurs, de certaines conditions commerciales, telles que les conditions des prêts, proposées aux clients individuels de l’« horeca » (considérant 258 de la décision attaquée).
167 Les notes manuscrites citées au considérant 67 de la décision attaquée comportent la mention suivante : « Cautionnements/financements : fin[ancements] pour [...] supérieurs aux besoins de points précis. Alors […] mil[lions] ».
168 Selon la Commission, cette citation signifie donc que, lors de la réunion du 27 février 1996, les brasseurs ont discuté des cautionnements et des financements accordés ou à accorder par un ou plusieurs brasseurs en faveur de points d’exploitation particuliers (considérant 68 de la décision attaquée).
169 Or, il y a lieu d’observer que les requérantes proposent une autre interprétation du passage invoqué par la Commission, indiquant qu’il s’inscrit dans le contexte d’une discussion sur les « débiteurs douteux ».
170 Au considérant 138 de la décision attaquée, la Commission invoque les notes manuscrites d’un directeur « horeca » de Bavaria relatives à la réunion du 12 mars 1998, contenant le passage suivant : « Bav intérêt […] % ? sauf s’il y a indemnité de publicité ». Selon la Commission, ce passage prouve qu’une discussion a été menée concernant le niveau des taux d’intérêt pratiqués sur les prêts consentis aux points de vente « horeca » (considérant 142 de la décision attaquée).
171 Or, même à supposer que la Commission ait correctement interprété les notes manuscrites, le caractère isolé et laconique d’une telle référence et l’absence de toute indication concrète concernant la participation des autres brasseurs à une discussion sur les sujets en cause ne permettent pas de considérer ces notes comme une preuve suffisante de l’existence d’une collusion ayant porté sur une coordination occasionnelle de certaines conditions commerciales.
172 Dans ses réponses aux questions posées par le Tribunal, la Commission soutient que les notes manuscrites, invoquées aux considérants 67 et 138 de la décision attaquée, sont corroborées par la déclaration d’InBev dont il ressortirait, d’une part, que la réunion « Catherijne » du 12 mars 1998 a été consacrée tant aux questions liées à l’« horeca » qu’à la consommation à domicile et, d’autre part, que les participants aux réunions « Catherijne » se sont concertés sur les investissements dans l’« horeca » dans le but d’éviter les reprises de clients.
173 Force est de constater, néanmoins, que les deux passages cités par la Commission ainsi que la référence faite par celle-ci à « l’esprit de la déclaration d’InBev » n’apportent pas d’indice concret quant à l’existence de discussions entre les brasseurs portant sur la coordination des conditions de prêts et ne sont, dès lors, pas de nature à étayer la conclusion tirée en ce sens par la Commission.
174 Dès lors, il y a lieu de relever que la constatation de la Commission relative à la coordination occasionnelle, entre les brasseurs, des conditions des prêts proposées aux clients individuels de l’« horeca » est fondée sur des éléments de preuve fragmentaires et imprécis.
175 En effet, compte tenu, d’une part, du caractère isolé et laconique des références faites dans les notes manuscrites invoquées aux considérants 67 et 138 de la décision attaquée ainsi que de l’interprétation plausible avancée par les requérantes et, d’autre part, de l’absence d’indices concrets sur ce point dans la déclaration d’InBev, il y a lieu de constater que la Commission n’a pas démontré, à suffisance de droit, que l’infraction en cause a inclus une « coordination occasionnelle d’autres conditions commerciales offertes aux consommateurs individuels dans le segment horeca aux Pays‑Bas ».
176 La constatation faite en ce sens, au considérant 258 et à l’article 1er de la décision attaquée, ne saurait donc être considérée comme établie.
177 Dès lors, l’argumentation des requérantes tirée d’une erreur d’appréciation des faits relative à la coordination occasionnelle d’autres conditions commerciales offertes aux clients individuels dans le secteur « horeca » doit être accueillie.
– Sur la prétendue erreur de droit et de qualification des faits
178 Les requérantes soutiennent que la constatation par la Commission de l’existence d’un ensemble d’accords et/ou de pratiques concertées entre entreprises au sens de l’article 81 CE procède d’une erreur relative à l’interprétation et à l’application de cette disposition (considérants 337 et 341 de la décision attaquée).
179 Il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que, dans le cadre des réunions multilatérales et de leurs contacts bilatéraux, les quatre brasseurs ont, à plusieurs reprises, échangé des informations sensibles sur le marché (les prix, le montant des ristournes et les offres concrètes à certains clients), qui étaient parfois assez détaillées (documents invoqués aux considérants 129 et 174 de la décision attaquée) et comportaient des chiffres concrets de prix (documents invoqués aux considérants 76, 89, 117, 129 et 174 de la décision attaquée), de ristournes et de provisions pour réduction (documents invoqués aux considérants 143 et 165 de la décision attaquée), ainsi que des indications concernant des clients et des points de vente tant dans le secteur « horeca » (documents invoqués aux considérants 92, 143, 156, 165 et 184 de la décision attaquée) que dans celui de la consommation à domicile (documents invoqués aux considérants 76 et 156 de la décision attaquée).
180 Certaines propositions concrètes concernant le comportement sur le marché ont également été débattues, notamment la proposition de procéder à une hausse des prix à deux tranches dans le secteur de la consommation à domicile (document invoqué au considérant 89 de la décision attaquée).
181 Les circonstances qu’aucun procès-verbal officiel n’a jamais été établi pour les réunions « Catherijne », que la substance des discussions n’a presque jamais été reflétée dans une note interne et que des agendas et des notes à l’occasion de ces réunions ont été détruits en novembre 1998 (déclaration d’InBev citée au considérant 61 de la décision attaquée) indiquent, en outre, que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, les discussions avaient un caractère secret et que les participants étaient conscients de l’illégalité de leur comportement et essayaient de le dissimuler.
182 Contrairement à ce qu’indiquent les requérantes, il ressort des preuves documentaires examinées par la Commission qu’un concours de volontés a été atteint par rapport à certaines propositions, comme celles de l’attribution d’un contrat avec l’organisation d’achat de détaillants à Interbrew (document invoqué au considérant 236 et note en bas de page n° 531 de la décision attaquée) et de l’augmentation concertée des prix avant ou au cours de l’année 1998 (document invoqué au considérant 89 de la décision attaquée).
183 L’existence, dans ce dernier cas, d’un accord au sens de l’article 81 CE n’est remise en cause ni par la circonstance probable que le concours de volontés entre les brasseurs ne s’étendait pas aux modalités concrètes de la mise en œuvre de la hausse de prix, ni par le fait que celle-ci ne s’est, en effet, jamais produite sur le marché.
184 En effet, même à supposer qu’un accord n’ait jamais été atteint quant aux éléments spécifiques de la restriction envisagée, c’est à juste titre que la Commission a constaté que, par la poursuite régulière de leurs discussions, les brasseurs avaient clairement manifesté leur intention commune de parvenir à un accord anticoncurrentiel (considérant 341 de la décision attaquée).
185 Au demeurant, l’échange continu d’informations sensibles qui ne sont pas accessibles au public et que les représentants des quatre brasseurs ont trouvé utiles de noter dans leurs agendas et de mentionner dans le cadre de leur correspondance interne a certainement eu pour conséquence de réduire pour chacun d’entre eux l’incertitude quant au comportement envisageable de ses concurrents.
186 À cet égard, il y a lieu de présumer, sous réserve de la preuve contraire qu’il incombe aux opérateurs intéressés de rapporter, que les entreprises participant à la concertation et qui demeurent actives sur le marché tiennent compte des informations échangées avec leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur ce marché. Il en sera d’autant plus ainsi lorsque la concertation a lieu sur une base régulière au cours d’une longue période, comme c’était le cas en l’espèce (voir, en ce sens, arrêt Hüls/Commission, point 46 supra, point 162).
187 Les requérantes estiment avoir renversé cette présomption en faisant preuve de ce que, malgré les discussions, les quatre brasseurs ont déterminé leur comportement sur le marché d’une manière autonome.
188 Cet argument ne saurait être retenu. Il est certes vrai que tant les déclarations des dirigeants d’InBev que la circonstance qu’Heineken n’a augmenté ses prix qu’en février 2000 attestent que, pendant la période incriminée, chaque brasseur suivait sa propre politique sur le marché. Pourtant, même si cette dernière constatation est susceptible de démontrer l’absence d’engagements formels ou d’une coordination effective entre les brasseurs, elle n’est pas suffisante pour prouver que ceux-ci n’ont jamais tenu compte des informations échangées lors des réunions incriminées pour déterminer leur comportement sur le marché, chacun comme il l’entend.
189 Les requérantes n’ont, par conséquent, pas réussi à réfuter la présomption établie par la jurisprudence citée au point 186 ci-dessus.
190 Par conséquent, il y a lieu de constater que les éléments constitutifs d’une pratique concertée, résultant de la jurisprudence citée aux points 46 et 47 ci-dessus, sont, en l’espèce, réunis.
191 Dans ces conditions, il convient de relever que la Commission était en droit de qualifier les comportements en cause d’« ensemble d’accords et/ou de pratiques concertées », dans la mesure où ces comportements comportaient à la fois des éléments devant être qualifiés d’« accords » et des éléments devant être qualifiés de « pratiques concertées ». En effet, face à une situation factuelle complexe, la double qualification opérée par la Commission à l’article 1er de la décision attaquée doit être comprise non comme une qualification exigeant simultanément et cumulativement la preuve que chacun de ces éléments de fait présente les éléments constitutifs d’un accord et d’une pratique concertée, mais bien comme désignant un tout complexe comportant des éléments de fait, dont certains ont été qualifiés d’accords et d’autres de pratiques concertées au sens de l’article 81 CE, lequel ne prévoit pas de qualification spécifique pour ce type d’infraction complexe (voir, en ce sens, arrêt Hercules Chemicals/Commission, point 44 supra, point 264).
192 Les requérantes contestent, néanmoins, que les comportements qui leur sont reprochés ont eu un objet anticoncurrentiel. Elles soutiennent, en particulier, que les réunions n’ont jamais eu pour objet de se concerter secrètement sur un comportement sensible pour la concurrence. Il aurait pu arriver occasionnellement que la situation du marché soit discutée, y compris les prix à la consommation sur le marché de la consommation à domicile et y compris les offres à quelques clients « horeca ». Toutefois, les discussions auraient concerné une telle quantité de sujets importants pour le secteur et auraient eu un tel caractère informel et libre qu’elles n’auraient pas pu être qualifiées de « concertations ».
193 Il y a lieu de relever, à cet égard, que les discussions sur des informations sensibles pour le marché, même à supposer qu’elles aient été occasionnelles et poursuivies simultanément avec des discussions sur des sujets non sensibles, étaient clairement de nature à établir une coordination sur le marché et à réduire l’insécurité quant au comportement envisageable des concurrents. Il a déjà été démontré que, même si la coordination entre les brasseurs n’a pas toujours été très effective, les discussions concernant les prix et les conditions proposés à des clients précis leur ont permis de suivre de près certains éléments du comportement de leurs concurrents et de déterminer leur propre comportement en fonction des informations obtenues (voir points 185 à 189 ci-dessus). Le fait que les représentants des brasseurs ont jugé utile de noter ces informations dans leurs agendas et de les mentionner dans le cadre de leur correspondance interne constitue, en outre, un indice de l’importance particulière que ces informations revêtaient pour eux et une confirmation du fait que, même si l’effet anticoncurrentiel des consultations n’était pas toujours atteint, il était objectivement poursuivi par les participants.
194 Les requérantes contestent, enfin, la conclusion de la Commission selon laquelle Heineken était impliquée dans les discussions, poursuivies entre Interbrew et Bavaria, concernant le segment de la bière vendue sous marque de distributeur. Elles ne contestent pas leur participation aux réunions multilatérales en cause, mais soutiennent qu’Heineken n’était pas active dans le segment concerné et que son implication dans les arrangements en cause ne peut pas être déduite du fait qu’une préoccupation quant aux prix dans le segment en cause ait été exprimée par Grolsch, un autre brasseur qui n’était pas présent dans ce segment, ni du fait que Bavaria et InBev se soient fixé comme objectif de relever le niveau des prix dans ce segment (considérants 249 à 252 de la décision attaquée).
195 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dès lors qu’une entreprise a assisté, même sans jouer un rôle actif, à une réunion au cours de laquelle une concertation illicite a été évoquée, elle est censée avoir participé à ladite concertation, à moins qu’elle ne prouve qu’elle s’est ouvertement distanciée de celle-ci ou qu’elle a informé les autres participants qu’elle entendait prendre part à la réunion en question dans une optique différente de la leur (voir arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491, point 3199, et la jurisprudence citée).
196 En l’espèce, il y a lieu d’observer, tout d’abord, que, bien qu’Heineken n’ait pas été active dans le segment de la bière vendue sous marque de distributeur, il ressort de la déclaration d’InBev (considérants 54 et 247 de la décision attaquée) que les prix appliqués dans ce segment ont été une préoccupation commune des quatre grands brasseurs, y compris Heineken.
197 Il convient d’observer, ensuite, que les requérantes ne contestent pas la présence d’Heineken lors des discussions illicites en cause relatives aux prix dans le segment de la bière vendue sous marque de distributeur, ce fait étant d’ailleurs attesté par différents éléments de preuve, évoqués aux considérants 247 à 251 de la décision attaquée. Les requérantes ne soutiennent pas non plus qu’Heineken s’est ouvertement distanciée desdites discussions ou qu’elle a informé les autres brasseurs qu’elle entendait prendre part aux réunions concernées dans une optique différente de la leur. Dès lors, le seul fait qu’Heineken n’a pas joué un rôle actif dans ces discussions, même à le supposer établi, ne saurait écarter sa responsabilité.
198 Enfin, il convient de relever qu’il ressort du dossier que l’implication d’Heineken dans les discussions concernant les prix de la bière vendue sous marque de distributeur ne se résumait pas uniquement à une participation passive à certaines réunions et à l’intérêt qu’elle portait au résultat de ces discussions, mais comprenait également la pression qu’elle exerçait consciemment sur Interbrew et Bavaria en refusant d’augmenter les prix de ses propres marques avant que ne soient augmentés les prix des marques de distributeur. L’exercice d’une telle pression est d’ailleurs attesté tant par la déclaration d’InBev (citée au considérant 54 de la décision attaquée) que par un document concernant le contenu de la réunion du 12 mai 1997 (invoqué au considérant 224 de la décision attaquée) dont l’interprétation n’est pas contestée par les requérantes.
199 Au vu de tout ce qui précède, l’argumentation des requérantes tirée d’une erreur de droit ne saurait être accueillie.
200 Enfin, les requérantes n’ayant pas démontré que la décision attaquée est entachée d’une erreur de droit dans l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, il y a lieu de rejeter également leur argumentation, fondée en substance sur la même prémisse, selon laquelle la Commission a interprété cette disposition de manière erronée, en violation du principe de la présomption d’innocence, en omettant ainsi de fournir les motifs suffisants à l’appui de la constatation de l’infraction.
– Conclusion
201 Au terme de l’examen des cinquième et sixième moyens ci-dessus, il y a lieu de relever que la constatation de la Commission quant à l’existence d’une coordination occasionnelle des conditions commerciales, autres que des prix, offertes aux consommateurs individuels dans le secteur « horeca » aux Pays‑Bas n’est pas prouvée à suffisance de droit et ne peut pas être retenue (voir points 167 à 177 ci-dessus).
202 Par conséquent, il y a lieu d’annuler l’article 1er de la décision attaquée dans la mesure où il retient ladite composante de l’infraction en cause ainsi que de réformer le montant de l’amende infligée aux requérantes en conséquence. Les conséquences concrètes de cette réformation sont précisées aux points 435 et 436 ci-après.
203 Il convient de rejeter les cinquième et sixième moyens pour le surplus.
Sur le septième moyen, concernant la durée de l’infraction
Arguments des parties
204 Les requérantes contestent la détermination du 27 février 1996 et du 3 novembre 1999 comme dates de début et de cessation de l’infraction qui leur est imputée. Elles estiment, notamment, que le début et la fin de l’infraction doivent être directement établis par des éléments de preuve et sont soumis à une charge de la preuve plus importante, laquelle ne serait pas satisfaite en l’espèce, puisque la Commission ne disposerait pas de preuves directes du contenu anticoncurrentiel des discussions poursuivies lors des réunions du 27 février 1996 et du 3 novembre 1999.
205 S’agissant de la réunion du 27 février 1996, les requérantes soutiennent que les notes manuscrites invoquées par la Commission au considérant 67 de la décision attaquée concernent une discussion générale relative aux « débiteurs douteux » dans le secteur « horeca », qui ne saurait être considérée comme restrictive de la concurrence.
206 S’agissant de la réunion du 3 novembre 1999, les requérantes constatent que la preuve de son contenu anticoncurrentiel est fondée sur une réponse d’InBev à une demande de renseignements de la Commission (citée au considérant 221 de la décision attaquée). Elles estiment, néanmoins, que cette réponse est contredite par les déclarations plus spécifiques des directeurs d’InBev qui ont personnellement assisté à ladite réunion.
207 La Commission conteste les arguments des requérantes.
Appréciation du Tribunal
208 La durée de l’infraction est un élément constitutif de la notion d’infraction au titre de l’article 81, paragraphe 1, CE, élément dont la charge de la preuve incombe, à titre principal, à la Commission. À cet égard, la jurisprudence exige que, en l’absence d’éléments de preuve susceptibles d’établir directement la durée d’une infraction, la Commission se fonde, au moins, sur des éléments de preuve se rapportant à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, de façon à ce qu’il puisse être raisonnablement admis que cette infraction s’est poursuivie de façon ininterrompue entre deux dates précises (arrêts du Tribunal du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission, T‑43/92, Rec. p. II‑441, point 79, et Peróxidos Orgánicos/Commission, point 91 supra, point 51).
209 En l’espèce, les requérantes contestent la détermination tant de la date de début que de la date de fin de l’infraction.
– Sur la détermination de la date de début de l’infraction
210 La Commission a retenu le 27 février 1996 comme date de début de l’infraction en cause, s’agissant de la date de la première réunion « Catherijne » pour laquelle elle disposait de preuves directes de la présence des quatre brasseurs.
211 Ainsi qu’il a été constaté aux points 167 à 177 ci-dessus, les notes manuscrites relatives à cette réunion, citées au considérant 67 de la décision attaquée, ne constituent pas, en elles-mêmes, un faisceau de preuves susceptible d’établir à suffisance de droit la constatation de l’infraction relative à la coordination occasionnelle d’autres conditions commerciales offertes aux consommateurs individuels dans le secteur « horeca ».
212 Toutefois, cette considération n’empêche pas en soi que ces mêmes éléments soient utilisés pour déterminer la date de début de l’infraction prise dans son ensemble.
213 En effet, force est de constater que la réunion du 27 février 1996 fait partie d’une série de réunions périodiques qui impliquaient les mêmes participants et se déroulaient dans des circonstances similaires. Elles étaient désignées par les appellations « concertation Catherijne » et « commission de l’ordre du jour », réunissaient des représentants des quatre brasseurs néerlandais Heineken, InBev, Grolsch et Bavaria, étaient organisées parallèlement aux réunions officielles de la CBK et les discussions qui étaient menées dans leur contexte n’étaient jamais reflétées dans des procès-verbaux et presque jamais dans des notes internes. Dans la déclaration d’InBev, ces réunions sont également présentées comme faisant partie d’une série et un tableau comportant des noms, des adresses, des dates et des lieux d’une grande partie d’entre elles, y compris celle du 27 février 1996, est fourni en annexe (considérant 44 de la décision attaquée).
214 Il a déjà été constaté, sur la base tant de la déclaration d’InBev que de nombreux autres éléments de preuve, que les réunions faisant partie de cette série avaient un objet anticoncurrentiel (points 179 à 184 ci-dessus). Ainsi, d’une part, un faisceau d’indices démontrant le caractère systématique des réunions ainsi que leur contenu anticoncurrentiel et, d’autre part, la déclaration d’InBev, disposant d’une valeur probante importante, permettent d’établir, sous réserve de preuve contraire, que l’objet restrictif de la concurrence entache la totalité des réunions s’inscrivant dans le système, même en l’absence de preuve concrète en ce sens pour une partie d’entre elles.
215 Les requérantes soutiennent, en substance, que cette logique ne saurait être appliquée dans le cadre de la détermination des dates de début et de fin de l’infraction, faisant valoir que, bien qu’il soit, en principe, permis de supposer que l’infraction s’est poursuivie de façon ininterrompue entre deux dates précises, le début et la fin de l’infraction sont soumis à une charge de la preuve plus importante et doivent être directement établis par des éléments de preuve.
216 Il convient de relever, à cet égard, que, pour déterminer la date de début de l’infraction, la Commission ne s’est pas limitée à se fonder sur les éléments relatifs à la réunion du 27 février 1996.
217 En effet, aux considérants 466 à 469 de la décision attaquée, elle indique, par rapport à chacun des brasseurs concernés, y compris les requérantes, qu’il a participé à l’infraction « au moins entre le 27 février 1996 et le 3 novembre 1999 ». Au considérant 56 de la décision attaquée, elle précise, en outre, que, selon la déclaration d’InBev, l’infraction a commencé bien avant 1996, à savoir :
– « en 1990 ou plus tôt encore » s’agissant des discussions concernant les augmentations des prix « horeca » ;
– en « 1993-1994 » s’agissant des discussions concernant les ristournes et les transferts entre brasseurs de points de vente « horeca » ;
– en « 1987 » s’agissant des discussions entre Oranjeboom-Interbrew et Bavaria concernant la bière vendue sous marque de distributeur.
218 Compte tenu de la valeur probante significative de la déclaration d’InBev, la Commission a pu constater que l’infraction en cause a commencé au moins à la date des premières réunions en 1996, figurant dans le tableau annexé à la déclaration d’InBev, auxquelles InBev a été représentée à la suite de son acquisition d’Oranjeboom en 1995.
219 Il convient de rappeler qu’il ressort de la déclaration d’InBev qu’Heineken a joué un rôle dans l’organisation des réunions « Catherijne » dès le début, en 1993 ou en 1994. En outre, il a été démontré, d’une part, qu’Heineken était représentée à la réunion du 27 février 1996 et, d’autre part, que, lors de la réunion suivante du 19 juin 1996, les brasseurs ont poursuivi des discussions à caractère anticoncurrentiel (voir les notes manuscrites invoquées au considérant 67 de la décision attaquée et aux points 99 et 100 ci-dessus). Bien que la participation d’Heineken à cette réunion n’ait pas été établie, les éléments relatifs à cette réunion démontrent que la participation d’Heineken à une éventuelle hausse de prix à deux étages a été discutée.
220 Eu égard à ces considérations, la Commission a pu constater, à bon droit, que les requérantes avaient pris part à l’infraction en cause au moins à partir du 27 février 1996.
221 Le fait que la décision attaquée n’a pas retenu l’existence d’une infraction avant cette date constitue, en effet, une concession envers les destinataires de la décision attaquée. À cet égard, il convient de relever que le Tribunal n’est pas appelé à statuer sur la légalité ou l’opportunité de cette concession (voir, en ce sens, JFE Engineering/Commission, point 50 supra, points 340 et 341).
222 Dans ces conditions, s’agissant d’une réunion s’inscrivant dans un système de réunions régulières dont le caractère anticoncurrentiel a été démontré à suffisance de droit, la constatation de la date initiale de l’infraction ne saurait être remise en cause par l’argumentation des requérantes tirée de l’insuffisance de la preuve concrète quant au contenu de la réunion du 27 février 1996.
223 Par conséquent, il y a lieu de rejeter le grief relatif à la détermination de la date de début de l’infraction.
– Sur la détermination de la date de cessation de l’infraction
224 La Commission a retenu le 3 novembre 1999 comme date de cessation de l’infraction pour tous les brasseurs concernés (considérants 466 à 469 de la décision attaquée), s’agissant de la date de la dernière réunion « Catherijne » pour laquelle la Commission dispose de preuves directes de la présence des quatre brasseurs. Cette réunion figure en dernière position sur le tableau chronologique annexé à la déclaration d’InBev. Selon une réponse d’InBev à une demande de renseignements de la Commission, la réunion du 3 novembre 1999 était une « réunion Catherijne (questions horeca/commission de l’ordre du jour) [; c]omme toujours dans les consultations Catherijne, on y parlait principalement d’accords excessifs et de coexistence pacifique » (considérant 221 de la décision attaquée).
225 Les requérantes estiment que cette déclaration est contredite par les déclarations plus spécifiques des directeurs d’InBev qui ont assisté à la réunion du 3 novembre 1999, dont elles invoquent les passages suivants :
– « Le 19 août 1999, il y a eu une concertation à laquelle j’ai assisté. Le 3 novembre 1999, il y a eu une réunion à laquelle M. […] et moi-même avons assisté. Dans un cas comme dans l’autre, on n’a pas parlé concrètement de comportements sur le marché. La réunion avait plus un caractère informel » ;
– « Il existe des réunions des quatre directeurs horeca (Heineken, Grolsch, Bavaria et Interbrew). Je n’ai assisté qu’à une seule de ces réunions, le 3 novembre 1999 à Enschede. M. […] m’y a amené pour me présenter. Cette réunion n’avait pas beaucoup de consistance. Il s’agissait plus d’une réunion agréable, sans ordre du jour particulier. Des commentaires généraux ont été faits sur les ristournes. J’avais l’impression qu’il existait déjà depuis des années une sorte de système d’échelle ou une règle pour les ristournes, mais cela n’a jamais été dit de manière spécifique. On ne parlait que de montants globaux de ristournes dans des termes très généraux, ce qui a été l’occasion de pointer certains incidents. Mon sentiment est que l’échelle ne fonctionnait pas. Chaque opérateur déterminait sa propre stratégie. Il y a peut-être eu une certaine tentative d’intimidation, mais chacun faisait quand même comme il l’entendait ».
226 Il y a lieu de constater que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, ces passages ne contredisent pas les éléments retenus par la Commission. Les références aux « accords excessifs » et à la « coexistence pacifique » ainsi qu’à l’« échelle » et à la « règle pour les ristournes » se rapportent clairement à la coordination des taux des ristournes appliqués aux clients « horeca ». La seule précision introduite par les déclarations des directeurs d’InBev concerne le niveau de détail des discussions, prétendument limitées à des « commentaires généraux », ainsi que l’absence de leur effet sur le marché, à savoir le fait que « l’échelle ne fonctionnait pas ». Or, il a été déjà relevé que ni le caractère général des discussions ni l’absence d’effet sur le marché ne sont de nature à contredire le caractère infractionnel de la réunion concernée (voir points 78 et 79 ci-dessus).
227 La circonstance que la réunion du 3 novembre 1999 s’inscrit dans un système de réunions anticoncurrentielles (voir points 213 et 214 ci-dessus) et que les sujets évoqués étaient liés aux discussions antérieures restrictives de la concurrence indique, en outre, que l’objet de la convocation même de la réunion était d’assurer les conditions nécessaires pour la poursuite de ces discussions.
228 En tout état de cause, même à supposer qu’il existe une certaine contradiction entre les déclarations des employés d’InBev invoquées par les requérantes, d’une part, et la réponse d’InBev à la demande de renseignements, d’autre part, il y a lieu de considérer que la force probante de cette dernière est supérieure, au regard de la jurisprudence selon laquelle une déclaration donnée au nom d’une entreprise en tant que telle est revêtue d’une crédibilité supérieure à celle que pourrait avoir la réponse donnée par un membre de son personnel quelle que soit l’expérience ou l’opinion personnelle de ce dernier (arrêt LR AF 1998/Commission, point 90 supra, point 45).
229 Par conséquent, il y a lieu de rejeter le grief relatif à la détermination de la date de fin de l’infraction et, partant, le septième moyen dans son ensemble.
Sur le premier moyen, tiré de la violation du principe de bonne administration et de l’article 27 du règlement nº 1/2003, en ce qui concerne le refus d’accès aux réponses à la communication des griefs données par d’autres entreprises concernées
Arguments des parties
230 Les requérantes reprochent à la Commission d’avoir rejeté leur demande d’accès aux réponses à la communication des griefs des autres parties concernées par la procédure, affectant, de ce fait, leurs droits de la défense. Les requérantes considèrent qu’il ressort de la décision attaquée que la Commission a tiré de ces réponses des éléments de preuve pour déterminer l’existence de l’infraction et pour justifier le montant final de l’amende, et que ces réponses contenaient des éléments à décharge dont elles auraient pu bénéficier. Elles font valoir, dès lors, que, à la lumière du principe d’égalité des armes, elles auraient dû avoir l’occasion d’examiner ces éléments afin d’établir, de manière autonome, leur défense.
231 Les requérantes estiment, notamment, qu’elles auraient dû avoir accès aux réponses de Bavaria et de Grolsch puisque, ainsi qu’il ressortirait de la décision attaquée, ces brasseurs auraient donné une interprétation authentique des pièces qui ont été utilisées ultérieurement comme éléments de preuve à charge et à décharge à leur égard. En particulier, les requérantes signalent que, au considérant 75 de la décision attaquée, la Commission invoque les réponses de Bavaria à la communication des griefs pour démontrer qu’elles ont assisté à la réunion du 19 juin 1996. Aux considérants 124 à 126 de la décision attaquée, la Commission aurait, en outre, utilisé une interprétation tirée des réponses de Bavaria pour prouver que les prix de la bière ont été discutés lors de la réunion du 17 décembre 1997. Enfin, les requérantes indiquent que, au considérant 135 de la décision attaquée, la Commission renvoie aux allégations figurant dans la réponse de Bavaria comme élément de preuve de certaines déclarations à charge qu’elles auraient faites lors de la réunion du 12 mars 1998.
232 Les requérantes soulignent l’importance d’avoir accès à la réponse à la communication des griefs d’InBev, étant donné que, selon elles, la Commission s’est essentiellement fondée sur ses déclarations pour adopter la décision attaquée. À titre illustratif, les requérantes signalent qu’il peut être déduit du considérant 476 de la décision attaquée, ainsi que de l’échange de lettres entre la Commission et InBev en février 2006, que les réponses à la communication des griefs de cette dernière contenaient des éléments à décharge.
233 La Commission conteste les arguments des requérantes.
Appréciation du Tribunal
234 Aux termes de l’article 27, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, « [l]es droits de la défense des parties concernées sont pleinement assurés dans le déroulement de la procédure [; e]lles ont le droit d’avoir accès au dossier de la Commission sous réserve de l’intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d’affaires ne soient pas divulgués [...] ».
235 Selon une jurisprudence constante, le droit d’accès au dossier constitue le corollaire du principe des droits de la défense et implique que la Commission doit donner à l’entreprise concernée la possibilité de procéder à un examen de la totalité des documents figurant au dossier d’instruction qui sont susceptibles d’être pertinents pour sa défense (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 2 octobre 2003, Corus UK/Commission, C‑199/99 P, Rec. p. I‑11177, points 125 à 128, et du Tribunal du 29 juin 1995, Solvay/Commission, T‑30/91, Rec. p. II‑1775, point 81).
236 Ceux-ci comprennent tant les pièces à conviction que celles à décharge, sous réserve des secrets d’affaires d’autres entreprises, des documents internes de la Commission et d’autres informations confidentielles (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 51 supra, point 68).
237 Concernant les pièces à conviction, l’absence de communication d’un document ne constitue une violation des droits de la défense que si l’entreprise concernée démontre, d’une part, que la Commission s’est fondée sur ce document pour étayer son grief relatif à l’existence d’une infraction et, d’autre part, que ce grief ne pourrait être prouvé que par référence audit document. Il incombe ainsi à l’entreprise concernée de démontrer que le résultat auquel la Commission est parvenue dans sa décision aurait été différent si ce document non communiqué devait être écarté comme moyen de preuve (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 51 supra, points 71 à 73).
238 En revanche, s’agissant de l’absence de communication d’un document à décharge, l’entreprise concernée doit seulement établir que sa non-divulgation a pu influer, au détriment de cette dernière, sur le déroulement de la procédure et le contenu de la décision de la Commission. Il suffit que l’entreprise démontre qu’elle aurait pu utiliser lesdits documents à décharge pour sa défense (arrêt Hercules Chemicals/Commission, point 44 supra, point 81), en démontrant notamment qu’elle aurait pu invoquer des éléments qui ne concordaient pas avec les appréciations opérées par la Commission au stade de la communication des griefs, et aurait donc pu influer, de quelque manière que ce soit, sur les appréciations portées dans la décision (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 51 supra, point 75).
239 Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que la communication des griefs est un acte destiné à circonscrire l’objet de la procédure engagée contre une entreprise et à assurer l’exercice efficace des droits de la défense (voir arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, T‑69/04, Rec. p. II‑2567, point 80, et la jurisprudence citée).
240 C’est dans cette perspective que la communication des griefs est entourée des garanties procédurales appliquant le principe du respect des droits de la défense, parmi lesquelles figure le droit d’accès aux documents relevant du dossier de la Commission.
241 Les réponses à la communication des griefs ne font pas partie du dossier d’instruction proprement dit (voir, en ce sens, arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, point 195 supra, point 380).
242 S’agissant des documents ne faisant pas partie du dossier constitué au moment de la notification de la communication des griefs, la Commission n’est tenue de divulguer lesdites réponses à d’autres parties concernées que s’il s’avère qu’elles contiennent de nouveaux éléments à charge ou à décharge.
243 De même, selon le point 27 de la communication de la Commission relative aux règles d’accès au dossier de la Commission dans les affaires relevant des articles 81 [CE] et 82 [CE], des articles 53, 54 et 57 de l’accord EEE et du règlement (CE) nº 139/2004 du Conseil (JO 2005, C 325, p. 7), en règle générale, les parties n’ont pas accès aux réponses à la communication des griefs des autres parties concernées par l’enquête. Une partie n’a accès à ces documents que lorsqu’ils peuvent constituer de nouveaux éléments de preuve, qu’ils soient à charge ou à décharge, relatifs aux allégations formulées à l’égard de cette partie dans la communication des griefs de la Commission.
244 À cet égard, concernant, d’une part, les nouveaux éléments à charge, il est de jurisprudence constante que, si la Commission entend se fonder sur un élément tiré d’une réponse à une communication des griefs pour établir l’existence d’une infraction, les autres entreprises impliquées dans cette procédure doivent être mises en mesure de se prononcer sur un tel nouvel élément de preuve (arrêts du Tribunal Cimenteries CBR e.a./Commission, point 195 supra, point 386, et du 27 septembre 2006, Avebe/Commission, T‑314/01, Rec. p. II‑3085, point 50).
245 Un document ne peut être considéré comme un document à charge que lorsqu’il est utilisé par la Commission à l’appui de la constatation d’une infraction commise par une entreprise. Aux fins d’établir une violation de ses droits de la défense, il ne suffit pas, pour l’entreprise en cause, de démontrer qu’elle n’a pas pu se prononcer au cours de la procédure administrative sur un document utilisé à un quelconque endroit de la décision attaquée. Il faut qu’elle démontre que la Commission a utilisé ce document, dans la décision attaquée, comme un élément de preuve additionnel pour retenir une infraction à laquelle l’entreprise aurait participé (arrêt du Tribunal du 16 décembre 2003, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied et Technische Unie/Commission, T‑5/00 et T‑6/00, Rec. p. II‑5761, point 35).
246 En l’espèce, les requérantes soutiennent que les éléments tirés des réponses à la communication des griefs données par Bavaria et par Grolsch ont été utilisés par la Commission en tant que nouveaux éléments à charge. Elles font référence, à cet égard, aux considérants 75, 124 à 126 et 135 de la décision attaquée.
247 Tout d’abord, s’agissant du considérant 75 de la décision attaquée, il se réfère à un passage tiré de la réponse à la communication des griefs donnée par Bavaria indiquant qu’il était « très possible » qu’Heineken ait été représentée à la réunion du 19 juin 1996. Or, bien que la Commission ait retenu cette citation, il n’en reste pas moins qu’elle a également indiqué que le dossier ne comportait aucune preuve de ce fait. Il ne ressort pas du considérant en cause qu’Heineken ait été effectivement représentée lors de la réunion en cause, mais uniquement que, en tout état de cause, elle a pris part à la réunion précédente et aux réunions qui ont suivi.
248 Dans ces conditions, la citation du passage en cause, tiré de la réponse à la communication des griefs donnée par Bavaria, ne saurait être considérée comme l’utilisation d’un nouvel élément à charge.
249 Ensuite, s’agissant des considérants 124 et 126 de la décision attaquée, concernant la réunion du 17 décembre 1997, il y a lieu de constater qu’il ressort clairement des considérants 117 à 121 de la décision attaquée que l’objet de cette réunion a été établi sur la base des éléments contenus dans le dossier d’instruction.
250 À cet égard, ce n’est que dans un souci de répondre aux arguments de l’entreprise concernée que la Commission a fait référence, aux considérants 124 et 126 de la décision attaquée, à une interprétation alternative de ces éléments donnée par Bavaria dans sa réponse à la communication des griefs. Il résulte, en outre, de ces considérants que l’interprétation avancée par Bavaria n’a pas été considérée comme plausible et n’a pas été retenue par la Commission.
251 Enfin, s’agissant du considérant 135 de la décision attaquée, lequel résume une autre interprétation donnée par Bavaria à l’égard des éléments du dossier relatifs à la réunion du 12 mars 1998, il convient d’observer que ladite interprétation a été explicitement rejetée au considérant 136 de la décision attaquée et qu’elle n’a donc pas pu être retenue en tant qu’élément à charge additionnel.
252 À la lumière de ces considérations, il y a lieu de constater que les requérantes n’ont pas démontré que la Commission a utilisé des éléments à charge additionnels provenant des réponses données par les autres parties concernées à la communication des griefs.
253 Concernant, d’autre part, les nouveaux éléments à décharge, il ressort de la jurisprudence que la Commission n’est pas obligée de les rendre accessibles de sa propre initiative. Dans l’hypothèse où la Commission a rejeté au cours de la procédure administrative une demande d’une partie requérante visant à l’accès à des documents ne figurant pas dans le dossier d’instruction, une violation des droits de la défense ne peut être constatée que s’il est établi que la procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent dans l’hypothèse où la partie requérante aurait eu accès aux documents en question au cours de cette procédure (arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, point 195 supra, point 383).
254 En outre, les requérantes ne sauraient se prévaloir de la considération résultant de l’arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 51 supra (point 126), selon laquelle il ne saurait appartenir à la seule Commission de déterminer les documents utiles à la défense de l’entreprise concernée. Ladite considération, relative aux documents relevant du dossier de la Commission, ne saurait s’appliquer à des réponses données par d’autres parties concernées aux griefs communiqués par la Commission.
255 Dès lors, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le respect des droits de la défense ne saurait, en principe, conduire à obliger la Commission à divulguer les réponses en cause à d’autres parties, afin qu’elles puissent vérifier l’absence d’éventuels éléments à décharge.
256 Dans la mesure où les requérantes invoquent l’existence des prétendus éléments à décharge dans des réponses non divulguées, il leur appartient de fournir un premier indice de l’utilité, pour leur défense, de ces documents.
257 Elles doivent notamment indiquer les éléments à décharge potentiels ou fournir un indice accréditant leur existence et, partant, leur utilité pour les besoins de l’instance (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission, T‑43/02, Rec. p. II‑3435, points 351 à 359).
258 En l’espèce, les requérantes font valoir qu’il peut être déduit du considérant 476 de la décision attaquée, ainsi que de l’échange de lettres ayant eu lieu entre la Commission et InBev à la suite de la réponse à la communication des griefs, qu’InBev a donné des indications pouvant être comprises comme contestant, d’une part, la mise à exécution des accords collusoires et, d’autre part, l’existence ou la durée de l’infraction en cause.
259 À cet égard, d’une part, s’agissant de la prétendue indication quant au défaut de mise en œuvre effective des accords collusoires en cause, il convient de rappeler que le fait que les autres parties concernées aient avancé, dans leurs réponse à la communication des griefs, en substance, les mêmes arguments que les requérantes pour faire valoir que l’entente n’a pas été mise en œuvre ne saurait constituer un élément à décharge (voir, en ce sens, arrêt Jungbunzlauer/Commission, point 257 supra, point 353).
260 D’autre part, s’agissant du prétendu indice de la contestation de l’existence ou de la durée de l’infraction, il convient d’observer que, à l’appui de cet argument, les requérantes se réfèrent à la lettre du conseil d’InBev, du 21 février 2006, envoyée en réponse à des questions de la Commission, indiquant que « [ses] clientes n’avaient […] nullement l’intention de minimiser de quelque manière que ce soit leur rôle dans les faits allégués ni de contester l’existence ou la durée d’une infraction sur le fond ». Or, contrairement à ce que prétendent les requérantes, il ne ressort pas de cette seule précision que la réponse d’InBev à la communication des griefs ait pu contenir des indications susceptibles de constituer des éléments à décharge.
261 Il résulte de ce qui précède que les requérantes n’ont pas révélé d’éléments à décharge susceptibles de résulter des réponses à la communication des griefs données par d’autres entreprises concernées et, partant, n’ont apporté aucun indice de leur utilité pour leur défense.
262 Par conséquent, il y a lieu de rejeter le grief tiré de la prétendue présence d’éléments à décharge dans les réponses en cause.
263 Au vu de tout ce qui précède, le premier moyen doit être rejeté comme non fondé.
Sur le deuxième moyen, tiré de la violation du principe de bonne administration, du « principe de soin » et du principe du contradictoire, résultant d’un prétendu défaut d’enquête soigneuse et impartiale
Arguments des parties
264 Les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir examiné avec soin et impartialité tous les éléments pertinents en l’espèce et d’avoir utilisé sélectivement les éléments du dossier afin d’étayer sa thèse selon laquelle une infraction à l’article 81 CE a été commise.
265 En particulier, elles font valoir que la Commission a fondé la preuve à charge sur les déclarations qu’InBev a faites dans le cadre de sa demande de clémence, alors que celles-ci étaient vagues, contradictoires et n’étaient pas fondées exclusivement sur les constatations des auteurs des déclarations et comportaient ainsi, en partie, la « preuve par ouï-dire ».
266 Par ailleurs, les requérantes soutiennent que, pendant la procédure d’enquête, la Commission a violé le principe de bonne administration en méconnaissant leurs arguments et en rejetant, notamment, les éléments de preuve fournis par elles afin de démontrer que le marché de la bière néerlandais n’avait pas évolué, durant la période en cause, d’une manière indiquant l’existence d’accords sur les prix.
267 La Commission conteste les arguments des requérantes.
Appréciation du Tribunal
268 Il ressort d’une jurisprudence constante que, parmi les garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives, figure notamment l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (arrêt de la Cour du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, Rec. p. I‑5469, point 14).
269 En l’espèce, s’agissant de l’allégation selon laquelle la Commission n’aurait pas examiné avec soin et impartialité les éléments de preuve, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il a été déjà constaté au terme de l’examen des cinquième et sixième moyens ci‑dessus, la Commission a fait état de preuves suffisantes quant à l’existence d’une infraction à l’article 81 CE, en ce qui concerne deux composantes de l’infraction en cause (voir point 163 ci-dessus). Dans le cadre de l’examen de ces moyens, le Tribunal a déjà apprécié les critiques des requérantes à l’égard de l’appréciation de la déclaration d’InBev ainsi que des éléments visant à établir la preuve contraire apportés lors de la procédure administrative.
270 En particulier, dans la mesure où les arguments des requérantes visent à remettre en cause la valeur probante de la déclaration d’InBev, en ce qu’elle serait vague, contradictoire et comporterait la « preuve par ouï-dire », il convient de les rejeter pour les motifs exposés dans le cadre de l’examen des cinquième et sixième moyens aux points 70 à 90 ci‑dessus.
271 Dans ces conditions, il y lieu de considérer que l’argumentation des requérantes tirée de la prétendue absence d’une enquête complète, minutieuse et impartiale se confond avec les arguments examinés dans le cadre des cinquième et sixième moyens ci‑dessus et n’appelle pas un examen autonome.
272 Par conséquent, le présent moyen ne saurait prospérer.
Sur le troisième moyen, tiré de la violation de la présomption d’innocence
Arguments des parties
273 Les requérantes invoquent, en substance, la violation du principe de la présomption d’innocence du fait que le membre de la Commission chargé de la concurrence aurait déclaré, lors d’un programme télévisé néerlandais, que le « consommateur payait sa bière trop cher » et, ainsi, aurait préjugé de l’existence d’une entente sur le marché néerlandais de la bière.
274 Les requérantes estiment donc que l’infraction a été présentée comme un fait établi bien avant la fin de la procédure administrative, et même avant qu’elles n’aient pu réagir à la communication des griefs.
275 En outre, la déclaration publique faite par le membre de la Commission concerné ne permettrait pas que les arguments soumis par les requérantes en réponse à la communication des griefs soient examinés par la Commission de manière objective et avec le recul nécessaire.
276 La Commission conteste les arguments des requérantes.
Appréciation du Tribunal
277 Il y a lieu de relever que l’argumentation des requérantes tirée d’une violation du principe de la présomption d’innocence n’est pas pertinente pour la solution du présent litige.
278 En effet, l’existence d’une infraction doit être appréciée en fonction des seuls éléments de preuve réunis par la Commission. Lorsque la matérialité d’une infraction est effectivement établie au terme de la procédure administrative, la preuve d’une manifestation prématurée par la Commission, au cours de cette procédure, de sa conviction selon laquelle ladite infraction existe n’est pas de nature à priver de sa réalité la preuve de l’infraction elle-même (arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, point 195 supra, point 726).
279 En tout état de cause, les propos exprimés par un membre de la Commission lors d’une émission télévisée néerlandaise, mentionnant, dans le cadre d’exemples d’intervention de la Commission, que les consommateurs néerlandais « ont payé trop cher pour leur bière » à la suite du comportement des brasseries, quand bien même le choix de ces propos serait malheureux, ne sont pas de nature à démontrer que la Commission a préjugé sa décision.
280 Il convient de relever que la Commission, en tant que collège, délibère sur la base d’un projet de décision. À cet égard, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, les propos du membre de la Commission concerné mentionnant les actions menées par la Commission n’impliquaient aucunement que la Commission considérait la culpabilité des brasseurs comme étant déjà établie.
281 Étant donné que les mots choisis par le membre de la Commission concerné n’impliquaient aucune constatation quant à la culpabilité des requérantes, ces considérations ne sauraient être infirmées par la circonstance, invoquée par les requérantes, que les propos en cause aient été exprimés avant qu’elles n’aient pu réagir à la communication des griefs. Cette circonstance ne permet donc pas non plus de conclure que la Commission n’a pas examiné de manière objective et avec le recul nécessaire les réponses formulées par les requérantes à la communication des griefs.
282 À la lumière de ces considérations, il y a lieu de rejeter le troisième moyen comme non fondé.
Sur le quatrième moyen, tiré de la violation du délai raisonnable
Arguments des parties
283 Les requérantes soutiennent que la décision attaquée doit être annulée au motif que la durée totale de la procédure, ainsi que celle de chacune des étapes qui la composent, a excédé largement ce qui peut être considéré comme raisonnable. Elles font valoir, notamment, qu’elles n’ont pas été en mesure de préparer leur défense, car, pendant la période antérieure à la réception de la communication des griefs, l’objet exact de l’enquête n’était pas clair. Elles soulignent également que, compte tenu de l’écoulement des années, le souvenir des faits reprochés par la Commission a été atténué.
284 La Commission indique qu’elle a expressément reconnu, aux considérants 497 à 500 de la décision attaquée, que la longueur de la procédure était excessive et qu’elle a donc accordé une réduction exceptionnelle de l’amende infligée aux requérantes. En outre, elle fait remarquer que, bien que l’observation du délai raisonnable dans la conduite des procédures administratives soit reconnue par une jurisprudence constante, le dépassement de ce délai ne peut fonder l’annulation d’une décision constatant une infraction que lorsqu’il est établi que la violation de ce principe porte atteinte aux droits de la défense des entreprises concernées.
285 À cet égard, la Commission soutient que la décision d’inspection du 17 mars 2000 adressée aux requérantes leur a permis, contrairement à ce qu’elles prétendent, de connaître la majeure partie de l’infraction ainsi que les marchés et la période sur lesquels celle-ci portait. Selon la Commission, cette décision faisait déjà référence à des pratiques anticoncurrentielles se rapportant à la fixation des prix, à la répartition des marchés et/ou à l’échange d’informations dans le secteur néerlandais de la bière, tant pour le marché du commerce de détail que pour le marché de l’« horeca ». L’argument des requérantes ne pourrait, non plus, être admissible en raison de la nature détaillée des questions qu’elle leur a adressées à partir de l’année 2001.
Appréciation du Tribunal
286 Selon une jurisprudence constante, l’observation d’un délai raisonnable dans la conduite des procédures administratives en matière de politique de la concurrence constitue un principe général du droit de l’Union, dont les juridictions de l’Union assurent le respect (arrêts de la Cour du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, points 167 à 171, et du 21 septembre 2006, Technische Unie/Commission, C‑113/04 P, Rec. p. I‑8831, point 40).
287 Aux fins de l’application de ce principe, il convient d’opérer une distinction entre les deux phases de la procédure administrative, à savoir la phase d’instruction antérieure à la communication des griefs et celle correspondant au reste de la procédure administrative, chacune de celles-ci répondant à une logique interne propre (arrêt Technische Unie/Commission, point 286 supra, point 42).
288 La première période, qui s’étend jusqu’à la communication des griefs, a pour point de départ la date à laquelle la Commission, faisant usage des pouvoirs que lui a conférés le législateur, prend des mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction et doit permettre à celle-ci de prendre position sur l’orientation de la procédure. La seconde période, quant à elle, s’étend de la communication des griefs à l’adoption de la décision finale. Elle doit permettre à la Commission de se prononcer définitivement sur l’infraction reprochée (arrêt Technische Unie/Commission, point 286 supra, point 43).
– Sur la durée de la procédure administrative
289 En l’espèce, il convient de relever, à titre liminaire, que la Commission a reconnu, au considérant 498 de la décision attaquée, que la durée de la procédure administrative avait été excessive et que ce fait lui était imputable.
290 En effet, il y a lieu d’observer que, en ce qui concerne la première phase de la procédure administrative, c’est-à-dire celle qui s’étend de la signification aux requérantes de la décision d’inspection en mars 2000 jusqu’à la réception de la communication des griefs en août 2005, un laps de temps de 65 mois s’est écoulé.
291 Les inspections au cours de l’enquête ayant été effectuées aux mois de mars et d’avril 2000, la durée d’ensemble de cette phase de la procédure administrative ne saurait être justifiée par le seul fait que la Commission a adressé aux parties une série de demandes de renseignements entre 2001 et 2005.
292 Ainsi, en l’absence d’information ou de justification complémentaire de la part de la Commission quant aux actes d’enquêtes diligentés au cours de cette période, la durée de la première phase de la procédure doit être considérée comme excessive (voir, en ce sens, arrêt Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied et Technische Unie/Commission, point 245 supra, point 77).
293 La seconde phase de la procédure administrative, s’étendant de la réception de la communication des griefs à l’adoption de la décision attaquée en avril 2007, a duré 20 mois, excédant ainsi, en l’absence de justification complémentaire, le délai normalement nécessaire à l’adoption de la décision.
294 Par conséquent, il y a lieu de constater que la durée de la procédure administrative en cause a été excessive et résultait d’une inaction imputable à la Commission, conduisant à une violation du principe du délai raisonnable.
– Sur l’incidence de la durée excessive de la procédure administrative sur la légalité de la décision attaquée
295 Il ressort d’une jurisprudence constante que la constatation d’une violation du principe du délai raisonnable ne peut conduire à l’annulation d’une décision constatant une infraction que si la durée de la procédure a eu une incidence sur l’issue de la procédure (voir, en ce sens, arrêt Technische Unie/Commission, point 286 supra, point 48, et la jurisprudence citée).
296 En l’espèce, les requérantes soutiennent, en premier lieu, que la durée excessive de la première phase de la procédure administrative a porté atteinte à leurs droits de la défense, en ce qu’elles n’ont pas pu identifier avec exactitude l’objet de l’enquête menée par la Commission jusqu’à la réception de la communication des griefs, ce qui aurait compromis leurs possibilités de collecter des preuves à décharge.
297 Il y a lieu de constater, à cet égard, que les requérantes prétendent, à tort, ne pas avoir pu identifier l’objet de l’enquête jusqu’à la communication des griefs.
298 En effet, d’une part, la décision d’inspection, adressée à Heineken NV et Heineken Holding NV le 17 mars 2000, énonçait que l’enquête de la Commission se rapportait à des pratiques anticoncurrentielles particulières telles que « la fixation des prix, la répartition des marchés et/ou l’échange d’informations dans le secteur néerlandais de la bière, tant pour le marché du commerce de détail que pour le marché de l’horeca ». D’autre part, les demandes de renseignements adressées à Heineken NV au mois d’octobre 2001 précisaient les types de réunions, les dates ainsi que les lieux faisant l’objet de l’enquête menée par la Commission.
299 Contrairement à ce que prétendent les requérantes, ces communications leur ont permis de connaître, de façon suffisamment précise, l’objet de l’enquête, les infractions susceptibles d’être mises à leur charge ainsi que les segments du marché concernés et, partant, les ont mises en mesure d’identifier et de recueillir d’éventuelles preuves à décharge.
300 Par ailleurs, les requérantes, bien que faisant valoir un argument tiré des difficultés à collecter certaines preuves à décharge, indiquant que des souvenirs personnels des personnes concernées sont devenus plus vagues, ont omis d’étayer cette allégation par des éléments concrets et, en particulier, de préciser les employés concernés et les raisons pour lesquelles il aurait été crucial de faire appel à leurs souvenirs ainsi que les circonstances pour lesquelles il n’était plus possible d’obtenir des renseignements par d’autres moyens (voir, en ce sens, arrêt Technische Unie/Commission, point 286 supra, point 64).
301 De surcroît, en vertu du devoir général de prudence qui incombe à toute entreprise ou association d’entreprises, les requérantes sont tenues de veiller à la bonne conservation, en leurs livres ou archives, des éléments permettant de retracer leur activité, afin, notamment, de disposer des preuves nécessaires dans l’hypothèse d’actions judiciaires ou administratives. Lorsque les requérantes ont fait l’objet de demandes de renseignements de la part de la Commission au titre de l’article 11 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), il leur appartenait, a fortiori, d’agir avec une diligence accrue et de prendre toutes les mesures utiles afin de préserver les preuves dont elles pouvaient raisonnablement disposer (voir, en ce sens, arrêt Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied et Technische Unie/Commission, point 245 supra, point 87).
302 Dans ces conditions, l’allégation des requérantes selon laquelle elles n’étaient pas informées, dès le début de l’enquête, de l’objet de celle-ci ainsi que des éventuels griefs de la Commission, de sorte qu’elles n’étaient pas en mesure de préparer leur défense et de rassembler les pièces à décharge dont elles disposaient, ne peut être retenue.
303 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de constater que les requérantes n’ont pas démontré l’existence d’une atteinte à leurs droits de la défense résultant de la durée excessive de la procédure administrative.
304 Par conséquent, le quatrième moyen doit être rejeté comme non fondé.
Sur le huitième moyen, tiré de la violation de l’article 23, paragraphe 3, du règlement nº 1/2003, des lignes directrices, des principes d’égalité de traitement, de sécurité juridique, de proportionnalité et « du caractère raisonnable » ainsi que de l’obligation de motivation, concernant la détermination du montant de l’amende
Arguments des parties
305 Les requérantes contestent la manière dont la Commission a calculé le montant de base de l’amende en l’espèce, et notamment son analyse relative à la gravité de l’infraction, au traitement différencié, au coefficient multiplicateur appliqué à des fins de dissuasion et à la majoration au titre de la durée de l’infraction. En substance, elles considèrent que l’infraction n’aurait pas dû être qualifiée de très grave et que la Commission a violé son obligation de motivation en ce qu’elle n’a pas fourni de raisons suffisantes justifiant certaines étapes dans la fixation du montant final, dont notamment l’effet sur le marché. En outre, les requérantes font valoir que la Commission s’est écartée considérablement de sa pratique décisionnelle antérieure, notamment en ce qui concerne sa décision 2003/569/CE, du 5 décembre 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] (affaire IV/37.614/F3 PO – Interbrew et Alken-Maes, JO 2003, L 200, p. 1). Enfin, selon les requérantes, dans la mesure où la durée de l’infraction n’aurait pas été correctement déterminée par la Commission, une réduction du montant de base devrait être appliquée.
306 La Commission conteste les arguments des requérantes.
Appréciation du Tribunal
307 À titre liminaire, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 23, paragraphe 2, du règlement nº 1/2003, la Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d’entreprises des amendes lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles enfreignent l’article 81 CE. Selon cette même disposition, pour chaque entreprise et association d’entreprises participant à l’infraction, l’amende ne peut pas excéder 10 % de son chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent.
308 Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que la Commission bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation pour ce qui est de la méthode de calcul des amendes. Cette méthode, circonscrite par les lignes directrices, comporte différents éléments de flexibilité permettant à la Commission d’exercer son pouvoir d’appréciation en conformité avec les dispositions du règlement nº 1/2003 (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 3 septembre 2009, Papierfabrik August Koehler/Commission, C‑322/07 P, C‑327/07 P et C‑338/07 P, Rec. p. I‑7191, point 112).
309 En outre, dans des domaines tels que la détermination du montant d’une amende au titre du règlement nº 1/2003, où la Commission dispose de cette marge d’appréciation, le contrôle de légalité opéré sur ces appréciations se limite à celui de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 18 juillet 2005, Scandinavian Airlines System/Commission, T‑241/01, Rec. p. II‑2917, point 79).
310 La marge d’appréciation de la Commission et les limites qu’elle y a apportées ne préjugent pas, en revanche, de l’exercice, par le juge de l’Union, de sa compétence de pleine juridiction (arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 50 supra, point 538), qui l’habilite à supprimer, à réduire ou à majorer le montant de l’amende infligée par la Commission (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission, C‑3/06 P, Rec. p. I‑1331, points 60 à 62).
311 Le présent moyen comporte, en substance, quatre branches, concernant, premièrement, l’appréciation de la gravité de l’infraction en cause, deuxièmement, l’application du traitement différencié et la détermination du montant de départ, troisièmement, la majoration du montant de départ au titre de l’effet dissuasif et, quatrièmement, la majoration au titre de la durée de l’infraction.
312 De manière plus générale, les requérantes invoquent également un grief tiré d’une violation du principe de sécurité juridique, eu égard au caractère imprévisible de l’amende qui leur a été infligée par la décision attaquée.
– Sur la première branche, concernant l’appréciation de la gravité de l’infraction
313 En vertu de l’article 23, paragraphe 3, du règlement nº 1/2003, pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération la gravité et la durée de l’infraction.
314 Selon une jurisprudence constante, la gravité d’une infraction est déterminée en tenant compte de nombreux éléments, tels que les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, à l’égard desquels la Commission dispose d’une marge d’appréciation (arrêts de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 241, et du 24 septembre 2009, Erste Group Bank e.a./Commission, C‑125/07 P, C‑133/07 P, C‑135/07 P et C‑137/07 P, Rec. p. I‑8681, point 91).
315 En particulier, conformément au point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices, l’évaluation de la gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné.
316 Dans le cadre de son contrôle de pleine juridiction, il incombe au Tribunal d’apprécier si le montant de l’amende infligée est proportionné par rapport à la gravité de l’infraction et de mettre en balance la gravité de l’infraction et les circonstances invoquées par les requérantes (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T‑38/02, Rec. p. II‑4407, point 136).
317 Les requérantes avancent trois griefs visant à remettre en cause la détermination, par la Commission, de la gravité de l’infraction. Premièrement, elles s’opposent à la qualification de l’infraction de très grave au regard de la nature et de l’objectif de la collusion. Deuxièmement, elles reprochent à la Commission de ne pas avoir examiné l’impact de l’entente sur le marché et d’avoir violé son obligation de motivation à cet égard. Troisièmement, elles estiment que, contrairement aux conclusions de la Commission, la taille géographique du marché en cause aurait dû être prise en considération comme facteur de modération pour la détermination de la gravité de l’infraction.
318 Dans le cadre de leur premier grief, les requérantes font valoir que, dans la mesure où le comportement incriminé s’est limité à un échange de vues générales sur les circonstances du marché et n’a pas pris la forme d’une concertation sur un comportement concret, l’infraction ne peut être qualifiée que de peu grave ou de grave. Par ailleurs, elles soulignent que la Commission, dans la décision attaquée, a supprimé plusieurs éléments de l’infraction par rapport à la communication des griefs.
319 Il convient de rappeler, à cet égard, que, aux termes du point 1 A, deuxième alinéa, troisième tiret, des lignes directrices, les infractions très graves correspondent pour l’essentiel, notamment, aux « restrictions horizontales de type ‘cartels de prix’ et de quotas de répartition des marchés ».
320 Il est, en outre, de jurisprudence constante que les ententes de ce type relèvent des formes les plus graves d’atteinte à la concurrence, en ce qu’elles tendent, par leur propre objet, à l’élimination pure et simple de cette dernière entre les entreprises qui les mettent en œuvre, et contrarient, de ce fait, les objectifs fondamentaux de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, point 316 supra, point 147, et la jurisprudence citée).
321 Or, dès lors que c’est à bon droit que la Commission a constaté que les requérantes avaient participé à une infraction consistant en un ensemble d’accords et/ou de pratiques concertées ayant pour objet de restreindre la concurrence dans le marché commun, en particulier par la coordination des prix et des hausses de prix et par la répartition de la clientèle, l’argument des requérantes selon lequel l’infraction ne pourrait pas être considérée comme très grave ne saurait être retenu.
322 La constatation effectuée au considérant 442 de la décision attaquée, selon laquelle l’infraction en l’espèce, par sa nature même, devrait, conformément aux lignes directrices, être qualifiée de très grave, n’est donc pas entachée d’erreur. Cette conclusion ne saurait être infirmée par le fait que certains éléments de l’infraction indiqués dans la communication des griefs n’ont pas été retenus dans la décision attaquée, dans la mesure où cette dernière expose les éléments justifiant la qualification de l’infraction de très grave.
323 Dans le cadre de leur deuxième grief, concernant l’impact de l’entente sur le marché, les requérantes considèrent que c’est à tort que la Commission a qualifié l’infraction de très grave, étant donné l’absence d’un impact sensible sur le marché. Elles reprochent à la Commission de ne pas avoir pris en considération les constatations en ce sens figurant dans un rapport économique d’experts qu’elles lui ont présenté lors de l’enquête administrative, dont les résultats auraient d’ailleurs été confirmés par un autre rapport d’experts, qu’elles auraient commandé à la suite de l’adoption de la décision attaquée. Elles soutiennent en outre que la Commission a violé son obligation de motivation, en se limitant à affirmer que l’effet de l’infraction n’était pas mesurable. En outre, les considérants 453 et 457 de la décision attaquée aboutiraient à la conclusion contraire.
324 Il convient de rappeler que, si l’existence d’un impact concret de l’infraction sur le marché est un élément à prendre en considération pour évaluer la gravité de l’infraction, il s’agit d’un critère parmi d’autres, tels que la nature propre de l’infraction et l’étendue du marché géographique. De même, il ressort du point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices que cet impact est à prendre en considération uniquement lorsqu’il est mesurable.
325 Il convient de relever également que les ententes horizontales de prix ou de répartitions de marchés, telles que l’infraction en cause en l’espèce, peuvent être qualifiées d’infractions très graves sur le seul fondement de leur nature propre, sans que la Commission soit tenue de démontrer un impact concret de l’infraction sur le marché. L’impact concret de l’infraction ne constitue qu’un élément parmi d’autres qui, s’il est mesurable, peut permettre à la Commission d’augmenter le montant de départ de l’amende au-delà du montant minimal envisageable de 20 millions d’euros (arrêt de la Cour du 3 septembre 2009, Prym et Prym Consumer/Commission, C‑534/07 P, Rec. p. I‑7415, points 74 et 75).
326 En l’espèce, au considérant 452 de la décision attaquée, la Commission constate :
« Dans le cadre de cette procédure, il est impossible de mesurer l’effet réel, sur le marché néerlandais, de l’ensemble d’accords dont l’infraction se compose et la Commission ne s’appuie donc pas sur un impact particulier, conformément aux lignes directrices selon lesquelles l’impact concret doit être pris en compte lorsqu’il peut être mesuré […] Dès lors, la Commission ne tiendra pas compte de l’impact sur le marché pour déterminer les amendes applicables en l’espèce. »
327 Ensuite, au considérant 455 de la décision attaquée, comportant la conclusion sur la gravité de l’infraction, la Commission conclut :
« Compte tenu de la nature de l’infraction et du fait qu’elle a été étendue à l’ensemble du territoire des Pays-Bas, les entreprises destinataires de la présente décision ont commis une infraction très grave à l’article 81 [CE]. »
328 Il ressort de ces passages que, afin de déterminer la gravité de l’infraction, la Commission ne s’est pas fondée sur l’impact de l’infraction sur le marché, mais sur la nature de l’infraction et sur l’étendue du marché géographique en cause.
329 À cet égard, il y a lieu de constater que, compte tenu de la nature de l’infraction constatée, ayant eu pour objet, notamment, une coordination des prix et des hausses de prix ainsi qu’une coordination occasionnelle sur la répartition de la clientèle, la Commission a pu légitimement ne pas prendre en considération l’impact de l’infraction sur le marché.
330 Dans ces circonstances, les requérantes ne sauraient davantage reprocher à la Commission de ne pas avoir pris en considération le rapport d’experts qu’elles lui ont fourni lors de la procédure administrative, à l’appui de leur argument selon lequel l’infraction n’a pas eu d’impact sur le marché.
331 Par ailleurs, s’agissant d’un élément facultatif dans le cadre de la détermination du montant de l’amende, qui n’a d’ailleurs pas été pris en considération en l’espèce, les requérantes ne sauraient valablement reprocher à la Commission de ne pas avoir explicité les motifs de sa constatation quant au caractère non mesurable de l’impact concret de l’infraction.
332 En outre, les requérantes soutiennent à tort qu’il ressort des considérants 453 et 457 de la décision attaquée que la Commission a, en réalité, pris en compte un effet sur le marché, dans le cadre de la détermination du montant de l’amende.
333 En effet, il résulte clairement du considérant 452 de la décision attaquée que la Commission n’a pas tenu compte de l’impact en cause. Cette constatation n’est nullement contredite par les motifs figurant aux considérants 453 et 457 de la décision attaquée invoqués par les requérantes. Ainsi, au considérant 453 de la décision attaquée, la Commission s’est bornée à évaluer la taille du marché en cause, sans apprécier l’impact de l’infraction sur ce marché. Au considérant 457 de la décision attaquée, elle s’est limitée à rappeler la nécessité d’individualiser les montants de départ, dans le cadre du traitement différencié, au regard du poids individuel du comportement de chaque entreprise concernée.
334 Par conséquent, le deuxième grief des requérantes n’est pas fondé.
335 Par leur troisième grief, concernant la taille du marché géographique en cause, les requérantes font état de la faible superficie des Pays-Bas et de l’importance limitée du marché de la bière pour son économie globale. Elles soutiennent, en outre, que le seul fait que la part de marché totale des brasseurs concernés représentait plus de 90 % du marché néerlandais n’empêche pas que l’infraction soit qualifiée de peu grave ou de grave, notamment à la lumière des décisions antérieures de la Commission.
336 Au considérant 453 de la décision attaquée, la Commission a pris en compte, aux fins de la détermination de la gravité de l’infraction, le fait que « [l]a part de marché totale des entreprises considérées sur le marché néerlandais dépassait les 90 % ». La Commission a également établi que la violation concernait à la fois le secteur « horeca » et celui de la consommation à domicile. Ainsi, elle a conclu que « 90 % de l’ensemble du marché néerlandais de la bière faisait l’objet d’une entente ».
337 À cet égard, il ressort de la jurisprudence que le territoire entier d’un État membre constitue une partie substantielle du marché commun (arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 28).
338 Ainsi, ayant constaté que l’infraction portait sur 90 % du marché néerlandais de la bière et qu’elle concernait chacun des secteurs principaux de commercialisation dans le cadre de ce marché, la Commission a pu, à juste titre, prendre en considération la taille du marché géographique en cause afin de qualifier l’infraction de très grave.
339 De surcroît, il y a lieu de rappeler que des infractions telles que les accords ou pratiques concertées visant notamment à la fixation des prix et à la répartition des clients peuvent, selon la jurisprudence, emporter, sur le seul fondement de leur nature propre, la qualification d’infraction très grave, sans qu’il soit nécessaire que de tels comportements se caractérisent par une étendue géographique particulière.
340 Cette conclusion est, en outre, renforcée par le fait que, si la description indicative des infractions graves dans les lignes directrices mentionne qu’« il s’agi[ra] le plus souvent de restrictions horizontales ou verticales […] dont l’application est plus rigoureuse, dont l’impact sur le marché est plus large et qui peuvent produire leurs effets sur des zones étendues du marché commun », celle des infractions très graves, en revanche, ne mentionne aucune exigence d’impact concret sur le marché ni de production d’effets sur une zone géographique particulière (arrêt du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, point 316 supra, point 150).
341 Il en résulte que le fait que la taille du marché géographique en cause revêt une dimension nationale ne s’oppose pas, en tout état de cause, à la qualification de très grave de l’infraction commise en l’espèce.
342 Cette solution s’impose a fortiori pour ce qui est de l’importance prétendument limitée du marché de la bière pour l’économie des Pays-Bas, la taille du marché de produit concerné n’étant en principe pas un élément devant obligatoirement être pris en compte, mais seulement un élément pertinent parmi d’autres pour apprécier la gravité de l’infraction et fixer le montant de l’amende (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 25 janvier 2007, Dalmine/Commission, C‑407/04 P, Rec. p. I‑829, point 132).
343 À la lumière de l’ensemble de ces considérations, le troisième grief ainsi que la première branche du présent moyen dans son ensemble ne sauraient être accueillis.
– Sur la deuxième branche, concernant la détermination du montant de départ et l’application du traitement différencié
344 Les requérantes contestent le montant de départ de l’amende qui leur a été infligée, en premier lieu, en invoquant une violation du principe d’égalité de traitement au regard de la pratique décisionnelle de la Commission et, en particulier, au regard des amendes imposées aux brasseurs belges dans la décision 2003/569/CE. Invoquant la violation du même principe, elles se réfèrent également à certaines décisions de la Commission relatives aux infractions concernant le marché d’un seul État membre, lesquelles auraient abouti à la qualification de l’infraction de « grave » ou à la fixation de montants de départ moins élevés que ceux fixés en l’espèce.
345 À titre liminaire, il convient de souligner, d’une part, que la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence (arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, T‑203/01, Rec. p. II‑4071, point 292) et, d’autre part, que la Commission dispose, dans le cadre du règlement nº 17 et du règlement n° 1/2003, d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence (arrêt du Tribunal du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑236/01, T‑239/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, Rec. p. II‑1181, point 216) et de pouvoir à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 314 supra, point 169).
346 En l’espèce, la détermination du montant de l’amende infligée aux requérantes a été effectuée, conformément à l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, au regard de la gravité et de la durée de l’infraction en cause. À cet égard, les requérantes ne sauraient tirer un argument valable du seul fait que, dans sa pratique décisionnelle antérieure, la Commission a sanctionné des comportements similaires en imposant des amendes inférieures à celles qui leur ont été infligées en l’espèce.
347 Dans ces conditions, les requérantes ne sauraient pas non plus se prévaloir d’une violation du principe d’égalité de traitement. En effet, la Cour a itérativement jugé que la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence et que des décisions concernant d’autres affaires ne revêtent qu’un caractère indicatif en ce qui concerne l’existence éventuelle d’une discrimination, étant donné qu’il est peu vraisemblable que les circonstances propres à celles-ci, telles que les marchés, les produits, les entreprises et les périodes concernés, soient identiques (voir arrêt Erste Group Bank e.a./Commission, point 314 supra, point 233, et la jurisprudence citée).
348 À cet égard, s’agissant de l’argumentation des requérantes invoquant la qualification de l’infraction et le niveau des amendes imposées par les décisions relatives à certaines infractions se limitant au marché d’un État membre, il convient de relever que, hormis cette dernière circonstance, les requérantes n’arguent pas de l’identité des infractions invoquées, en ce qui concerne notamment les produits, les entreprises et les périodes concernés. Cette argumentation ne saurait donc suffire à établir le prétendu traitement discriminatoire.
349 S’agissant de la décision 2003/569/CE, les requérantes invoquent la violation du principe d’égalité de traitement, en s’appuyant sur le fait que les amendes infligées aux brasseurs belges impliqués ont été significativement moins élevées que celles infligées par la décision attaquée, alors que ni la nature des infractions ni les conditions des marchés concernés ne présentent de différences justifiant cet écart.
350 Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que la Commission apprécie la gravité des infractions en fonction de nombreux éléments qui ne procèdent pas d’une liste contraignante ou exhaustive de critères à prendre en compte et que, en outre, elle n’est pas tenue d’appliquer une formule mathématique précise, qu’il s’agisse du montant total de l’amende infligée ou de sa décomposition en différents éléments (voir arrêt du Tribunal du 13 janvier 2004, JCB Service/Commission, T‑67/01, Rec. p. II‑49, points 187 et 188, et la jurisprudence citée).
351 Dans ces conditions, la comparaison directe des amendes imposées aux destinataires des deux décisions relatives à des infractions distinctes risque de dénaturer les fonctions spécifiques que remplissent les différentes étapes du calcul d’une amende. En effet, les montants finaux des amendes reflètent des circonstances spécifiques particulières à chaque entente ainsi que les évaluations propres au cas d’espèce.
352 Il résulte de tout ce qui précède que, en ce qui concerne le niveau des amendes imposées, la situation des requérantes ne saurait être comparée à celle des entreprises concernées par les décisions antérieures invoquées.
353 Au vu de ces considérations, il y a lieu de rejeter le grief tiré de la violation du principe d’égalité de traitement au regard de la pratique décisionnelle antérieure de la Commission.
354 En second lieu, les requérantes soutiennent que la Commission a appliqué un traitement différencié en partant de prémisses erronées, en violation des principes du « caractère raisonnable », d’égalité de traitement et de proportionnalité, et n’a pas suffisamment motivé sa décision à cet égard.
355 À cet égard, d’une part, les requérantes prétendent, à tort, que la Commission aurait appliqué le traitement différencié sur la base de l’impact réel de l’infraction sur le marché, en contradiction avec la conclusion, figurant au considérant 452 de la décision attaquée, selon laquelle ledit impact n’a pas été pris en compte.
356 En effet, l’argument des requérantes procède d’une lecture erronée du considérant 457 de la décision attaquée, lequel se borne à rappeler la considération exprimée au point 1 A, sixième alinéa, des lignes directrices, selon laquelle, pour une infraction d’une gravité donnée, il peut convenir, dans les cas impliquant plusieurs entreprises comme les cartels, de pondérer le montant de départ général pour établir un montant de départ spécifique tenant compte du poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature.
357 Contrairement à ce que prétendent les requérantes, la prise en compte du « poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence » concerne la répartition des membres d’une entente en catégories, au regard de leur dimension sur le marché au cours d’une période de référence, et n’implique pas la prise en compte de l’impact sur le marché de l’infraction prise dans son ensemble.
358 Contrairement à ce qu’indiquent les requérantes, l’application du traitement différencié sur la base de cette disposition ne nécessite pas la prise en considération d’un impact réel de l’infraction sur le marché et, dès lors, n’implique pas que la Commission ait constaté que l’infraction en cause a eu un tel impact.
359 D’autre part, en invoquant la violation des principes du « caractère raisonnable » et d’égalité de traitement, au regard du fait qu’InBev a obtenu une immunité de l’amende, les requérantes se bornent à avancer l’argumentation, déjà rejetée aux points 70 à 90 ci-dessus, tirée du prétendu caractère vague et contradictoire de la déclaration d’InBev.
360 S’agissant de la prétendue insuffisance de motivation relative à l’application du traitement différencié, il y a lieu de relever que les exigences de la formalité substantielle que constitue l’obligation de motivation du mode de calcul de l’amende sont, selon une jurisprudence constante, satisfaites lorsque la Commission indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction (voir arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, point 286 supra, point 463, et la jurisprudence citée).
361 En l’espèce, il ressort du considérant 458 de la décision attaquée que, aux fins d’établir le montant de départ spécifique correspondant aux requérantes, la Commission s’est référée aux ventes de bière qu’elles ont réalisées aux Pays-Bas durant la dernière année civile complète de l’infraction, à savoir l’année 1998. Les requérantes ont été classées dans la première catégorie en termes d’importance relative sur le marché, au motif que les ventes de bière qu’elles ont réalisées étaient largement supérieures à celles des autres brasseurs.
362 Dans la mesure où la Commission a indiqué le chiffre des ventes réalisées par les requérantes en 1998 comme motif de leur inclusion dans la première catégorie, l’allégation des requérantes tirée de la violation de l’obligation de motivation ne saurait être accueillie. À cet égard, les considérations exposées en particulier au considérant 458 de la décision attaquée sont suffisantes pour permettre aux requérantes de prendre connaissance des motifs de la décision attaquée à cet égard et au Tribunal de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 22 mai 2008, Evonik Degussa/Commission et Conseil, C‑266/06 P, non publié au Recueil, point 103).
363 Enfin, il convient de relever que l’approche suivie par la Commission à cet égard est tout à fait compatible avec les critères établis par les lignes directrices et par la jurisprudence précitée, en ce que les chiffres des ventes des entreprises ayant participé à l’infraction, durant une période de référence, constituent une indication utile de leur poids individuel sur le marché. Partant, la détermination du montant de départ résultant de cette approche ne saurait en tant que telle conduire à la violation du principe de proportionnalité.
364 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que la Commission n’a pas violé les principes invoqués par les requérantes en déterminant le montant de départ et en appliquant le traitement différencié, et n’a pas méconnu son obligation de motivation à cet égard.
365 La deuxième branche du présent moyen doit, par conséquent, être rejetée.
– Sur la troisième branche, concernant la majoration au titre de l’effet dissuasif
366 Les requérantes soutiennent que, en appliquant le coefficient multiplicateur en cause, la Commission a violé les principes d’égalité de traitement, de proportionnalité et de sécurité juridique.
367 Il convient de rappeler que, en vue de déterminer le montant de l’amende, la Commission doit veiller à son caractère dissuasif (arrêts de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 106, et arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Archer Daniels Midland/Commission, T‑329/01, Rec. p. II‑3255, point 63).
368 À cet égard, la Commission peut notamment prendre en considération la taille et la puissance économique de l’entreprise en cause (voir, en ce sens, arrêts Musique Diffusion française e.a./Commission, point 367 supra, point 120, et Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 314 supra, point 243).
369 De même, le point 1 A, quatrième alinéa, des lignes directrices prévoit qu’il est nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs de l’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif.
370 En l’espèce, en conformité avec ces considérations, la Commission a indiqué qu’il convenait de fixer le montant des amendes à un niveau garantissant un effet dissuasif suffisant, compte tenu de la taille de chaque entreprise (considérant 463 de la décision attaquée).
371 Au même considérant, la Commission a retenu l’application d’un coefficient multiplicateur de 2,5 au montant de départ s’agissant des requérantes, eu égard à la taille importante d’Heineken, résultant de son chiffre d’affaires mondial considérable au cours de l’exercice financier le plus récent précédant la date d’adoption de la décision attaquée, pour lequel les données étaient disponibles.
372 À cet égard, concernant l’allégation des requérantes relative aux multiplicateurs appliqués dans des décisions antérieures de la Commission, il convient de rappeler que la Commission dispose d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence. Le fait que la Commission ait appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait donc la priver de la possibilité d’élever, à tout moment, ce niveau pour assurer la mise en œuvre de la politique de concurrence et pour renforcer l’effet dissuasif des amendes (voir arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, SGL Carbon/Commission, T‑68/04, Rec. p. II‑2511, point 49, et la jurisprudence citée).
373 Dès lors, le fait que, dans sa pratique décisionnelle antérieure, la Commission ait appliqué des multiplicateurs moins élevés à l’égard d’entreprises d’une taille comparable à celle d’Heineken ne saurait conduire ni au caractère disproportionné et discriminatoire de la majoration en cause, ni à la violation du principe de sécurité juridique.
374 S’agissant de la prétendue violation de l’obligation de motivation, il convient de constater que, en faisant référence, d’une part, à la nécessité de fixer le montant des amendes à un niveau garantissant un effet dissuasif suffisant et, d’autre part, à la taille importante d’Heineken, résultant de son chiffre d’affaires mondial considérable (considérant 463 de la décision attaquée), la Commission a exposé, à suffisance de droit, les éléments pris en considération pour augmenter, à des fins de dissuasion, le montant de départ à l’égard des requérantes, leur permettant ainsi de connaître la justification de cette augmentation, effectuée au regard de leur situation particulière, et de faire valoir leurs droits ainsi qu’au juge d’exercer son contrôle.
375 En effet, dans le cadre de l’exposé des motifs justifiant le niveau de l’amende, la Commission n’est pas tenue d’indiquer les éléments chiffrés qui ont guidé, notamment quant à l’effet dissuasif recherché, l’exercice de son pouvoir d’appréciation (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Cascades/Commission, C‑279/98 P, Rec. p. I‑9693, points 39 à 48, et arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Akzo Nobel/Commission, T‑330/01, Rec. p. II‑3389, point 125).
376 Par ailleurs, s’agissant de l’appréciation opérée, à juste titre, au regard de la taille et de la puissance économique de l’entreprise en cause, les requérantes soutiennent, à tort, que, en déterminant le multiplicateur en cause, la Commission aurait été tenue de prendre en compte d’autres circonstances, telles que la nature de l’infraction, la prétendue absence de son impact sur le marché, le fait qu’il avait déjà été mis fin à l’infraction avant le début de l’enquête ou que la procédure administrative ait été d’une durée excessive.
377 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la troisième branche du présent moyen.
– Sur la quatrième branche, concernant la majoration au titre de la durée de l’infraction
378 Au considérant 466 de la décision attaquée, la Commission constate qu’Heineken a participé à l’infraction au moins entre le 27 février 1996 et le 3 novembre 1999, à savoir pendant une période de trois ans et huit mois. Par conséquent, le montant de départ de l’amende a été majoré, à l’égard des requérantes, de 35 %, à savoir 10 % pour chaque année complète d’infraction et 5 % pour la période restante de six mois ou plus.
379 Les requérantes remettent en cause cette appréciation en contestant les constatations de la Commission relatives aux dates de début et de fin de l’infraction en cause.
380 Il y a lieu de relever que, ainsi qu’il a déjà été constaté dans le cadre de l’examen du septième moyen aux points 210 à 229 ci-dessus, c’est à bon droit que la Commission a déterminé que la durée de l’infraction, concernant les requérantes, correspondait à la période entre le 27 février 1996 et le 3 novembre 1999. À cet égard, la majoration de 35 % opérée par la Commission sur le montant de départ de l’amende ne saurait être remise en cause.
381 Dès lors, la quatrième branche concernant la durée de l’infraction ne saurait prospérer.
– Sur la prétendue violation du principe de sécurité juridique
382 Les requérantes font valoir que le montant de l’amende tel que déterminé par la Commission n’était pas prévisible, même approximativement.
383 Il y a lieu de rappeler que la sécurité juridique constitue un principe général du droit de l’Union qui exige notamment qu’une réglementation entraînant des conséquences défavorables à l’égard de particuliers soit claire et précise et son application prévisible pour les justiciables (voir arrêt du Tribunal du 5 avril 2006, Degussa/Commission, T‑279/02, Rec. p. II‑897, point 66, et la jurisprudence citée).
384 Ce principe a pour corollaire le principe de légalité des délits et des peines, qui exige que la loi définisse clairement les infractions et les peines qui les répriment (arrêt Evonik Degussa/Commission et Conseil, point 362 supra, point 39).
385 Il importe de rappeler à cet égard que, si l’article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement nº 1/2003 laisse à la Commission une large marge d’appréciation, il en limite néanmoins l’exercice en instaurant des critères objectifs auxquels celle-ci doit se tenir. Ainsi, d’une part, le montant de l’amende susceptible d’être imposée connaît un plafond chiffrable et absolu, de sorte que le montant maximal de l’amende pouvant être infligée à une entreprise donnée est déterminable à l’avance. D’autre part, l’exercice de ce pouvoir d’appréciation est également limité par les règles que la Commission s’est elle-même imposées dans les lignes directrices, la pratique administrative de la Commission étant d’ailleurs soumise à l’entier contrôle du juge de l’Union. Un opérateur avisé peut ainsi, en s’entourant au besoin des services d’un conseil juridique, prévoir de manière suffisamment précise la méthode de calcul et l’ordre de grandeur des amendes qu’il encourt pour un comportement donné, et le fait que cet opérateur ne puisse, à l’avance, connaître avec précision le niveau des amendes que la Commission infligera dans chaque espèce ne saurait constituer une violation du principe de légalité des peines (voir, en ce sens, arrêt Evonik Degussa/Commission et Conseil, point 362 supra, points 50 à 55).
386 En outre, les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende doivent tenir compte de la possibilité que, à tout moment, la Commission décide d’élever le niveau du montant des amendes par rapport à celui appliqué dans le passé (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 314 supra, points 229 et 230). Le fait que la Commission puisse à tout moment revoir le niveau général des amendes dans le contexte de la mise en œuvre d’une autre politique de concurrence est donc raisonnablement prévisible pour les entreprises concernées (voir, en ce sens, arrêt Archer Daniels Midland/Commission, point 367 supra, point 48).
387 Ces considérations s’appliquent, à plus forte raison, en l’espèce, s’agissant d’une infraction très grave par sa nature, constituée de comportements dont l’illégalité a été affirmée par la Commission à maintes reprises.
388 Ainsi, même si les requérantes n’étaient pas en mesure, à l’avance, de connaître avec précision le niveau des amendes que la Commission retiendrait dans le cas d’espèce, compte tenu notamment de l’augmentation du niveau général des amendes intervenue postérieurement aux faits infractionnels, cette circonstance n’est pas indicative d’une violation des principes de sécurité juridique et de légalité des peines, dans la mesure où, ainsi qu’il a été constaté dans le cadre de l’examen du présent moyen, la Commission a exercé son pouvoir d’appréciation en respectant tant le cadre réglementaire tracé par l’article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement nº 1/2003, tel que précisé par la jurisprudence de la Cour et du Tribunal, que les règles de conduite qu’elle s’est elle-même imposées dans les lignes directrices.
389 Le présent grief ainsi que le huitième moyen dans son ensemble doivent, par conséquent, être rejetés comme non fondés.
Sur le neuvième moyen, concernant l’absence de prise en considération de circonstances atténuantes
Arguments des parties
390 En premier lieu, les requérantes soutiennent que le fait que la date de cessation de l’infraction a été fixée au 3 novembre 1999, alors que les vérifications effectuées par la Commission n’ont eu lieu que les 22 et 23 mars 2000, aurait dû être pris en considération par la Commission afin de modérer le montant de base de l’amende.
391 En second lieu, elles font valoir qu’elles n’ont jamais augmenté leur prix dans le secteur de la consommation à domicile pendant la période d’infraction. Ainsi, la coordination incriminée n’aurait jamais été mise en œuvre. Étant donné qu’environ 62 % de la bière est vendue par le canal de la consommation à domicile, l’absence de mise à exécution serait établie pour la plus grande partie de leurs ventes. En outre, la complexité et l’opacité de la structure du secteur « horeca » rendraient impossible la réalisation d’un véritable accord ou d’une véritable concertation restrictive de la concurrence.
392 La Commission conteste les arguments des requérantes.
Appréciation du Tribunal
393 Dans le cadre du présent moyen, les requérantes soutiennent, en substance, que la Commission a violé les lignes directrices en ce qu’elle n’a pas suffisamment tenu compte des circonstances atténuantes tirées, premièrement, de la cessation de l’infraction avant ses premières interventions et, deuxièmement, de la non‑application effective des accords illicites en cause.
394 En premier lieu, s’agissant de la première circonstance invoquée, il convient de rappeler que, conformément au point 3 des lignes directrices, le montant de base de l’amende fixé par la Commission est diminué, notamment, lorsque l’entreprise incriminée cesse l’infraction dès les premières interventions de la Commission.
395 L’octroi d’une telle diminution du montant de base de l’amende est lié aux circonstances de l’espèce, qui peuvent amener la Commission à ne pas l’accorder à une entreprise partie à un accord illicite. Notamment, reconnaître le bénéfice d’une circonstance atténuante dans des situations dans lesquelles une entreprise est partie à un accord manifestement illégal, dont elle savait ou ne pouvait ignorer qu’il constituait une infraction, pourrait inciter les entreprises à poursuivre un accord secret aussi longtemps que possible, dans l’espoir que leur comportement ne soit jamais découvert, tout en sachant que, s’il venait à être découvert, elles pourraient voir l’amende réduite en interrompant alors l’infraction. Une telle reconnaissance ôterait tout effet dissuasif à l’amende infligée et porterait atteinte à l’effet utile de l’article 81, paragraphe 1, CE (arrêt de la Cour du 9 juillet 2009, Archer Daniels Midland/Commission, C‑511/06 P, Rec. p. I‑5843, points 104 et 105).
396 Il s’agit, en effet, d’une circonstance atténuante qui, compte tenu de l’effet utile de l’article 81, paragraphe 1, CE, doit être interprétée restrictivement, seules les circonstances particulières du cas d’espèce pouvant justifier sa prise en compte (arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Archer Daniels Midland/Commission, T‑59/02, Rec. p. II‑3627, points 337 et 338).
397 En particulier, la cessation d’une infraction commise de propos délibéré ne saurait être considérée comme une circonstance atténuante lorsqu’elle a été déterminée par l’intervention de la Commission (voir arrêt du 27 septembre 2006, Archer Daniels Midland/Commission, T‑59/02, point 396 supra, point 341, et la jurisprudence citée).
398 C’est donc sur la base d’une prémisse erronée que les requérantes avancent un argument a fortiori, indiquant que la circonstance atténuante en cause doit être, à plus forte raison, accordée dans le cas de la cessation de l’infraction avant les premières interventions de la Commission.
399 En outre, même à supposer que ces considérations ne s’appliquent pas avec la même force dans le cas d’une cessation de l’infraction intervenue à l’initiative du contrevenant avant les premières interventions de la Commission, il n’en reste pas moins que l’octroi du bénéfice de la circonstance atténuante en cause ne saurait, en principe, être approprié au regard des comportements commis de propos délibéré dont l’illégalité a été affirmée par la Commission à maintes reprises.
400 Dès lors, la Commission a pu relever, à bon droit, au considérant 475 de la décision attaquée, que, s’agissant en l’espèce d’une infraction très grave par sa nature et manifestement illégale, le fait qu’une entreprise mette fin au comportement incriminé avant toute intervention de la Commission ne mérite pas d’être pris en compte au titre des circonstances atténuantes.
401 Par ailleurs, si les requérantes font valoir que la Commission a fait preuve, dans le passé, d’une position différente concernant la circonstance atténuante en cause, il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, le seul fait que la Commission a considéré, dans sa pratique décisionnelle antérieure, que certains éléments constituaient des circonstances atténuantes aux fins de la détermination du montant de l’amende ne signifie pas qu’elle soit obligée de porter la même appréciation dans une décision ultérieure (arrêt du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, point 316 supra, point 395).
402 Au vu de ces considérations, l’argumentation des requérantes tendant à la reconnaissance comme circonstance atténuante de la cessation de leur comportement infractionnel avant les premières interventions de la Commission ne saurait être accueillie.
403 En second lieu, s’agissant de la prétendue circonstance atténuante tirée de la non-application effective des accords, il importe de vérifier si les circonstances avancées par les requérantes sont de nature à établir que, pendant la période au cours de laquelle elles ont adhéré aux accords infractionnels, elles se sont effectivement soustraites à leur application en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché ou, à tout le moins, qu’elles ont clairement et de manière considérable enfreint les obligations visant à mettre en oeuvre cette entente, au point d’en avoir perturbé le fonctionnement même (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 mars 2006, Daiichi Pharmaceutical/Commission, T‑26/02, Rec. p. II‑713, point 113).
404 À cet égard, la Commission a relevé, au considérant 477 de la décision attaquée, qu’aucun participant n’avait démontré s’être soustrait à l’application des accords en cause, l’absence occasionnelle de mise à exécution ne s’étant pas traduite par un « rejet complet et total des accords conclus ».
405 Les requérantes critiquent ces considérations, en indiquant que, dans le segment de la consommation à domicile, Heineken n’a jamais augmenté ses prix pendant la période d’infraction et que, s’agissant du secteur « horeca », la structure du marché est tellement complexe qu’il était impossible d’aboutir à un véritable accord et, a fortiori, de le mettre à exécution.
406 Elles s’appuient, à cet égard, sur les rapports économiques joints à la requête, dont il résulterait notamment que leurs prix dans le segment de la consommation à domicile n’ont pas augmenté durant la période infractionnelle, que ledit secteur se caractérisait par une concurrence entre les brasseurs, des déplacements considérables dans les parts de marché, un fort pouvoir d’achat chez les acheteurs et une augmentation du volume des ristournes, et que, s’agissant du secteur « horeca », leurs prix n’ont pas augmenté en 1996 et en 1997, le total des augmentations de prix dans ce secteur durant l’infraction étant d’ailleurs inférieur à la moyenne des augmentations de prix à long terme et la structure du marché ayant conduit à une concurrence pour les emplacements « horeca » nouveaux et « libérés », avec des déplacements considérables dans les parts de marché entre les brasseurs.
407 En outre, elles reprochent à la Commission de ne pas avoir examiné les données correctes, en ce qui concerne les prix, et, notamment, de ne pas avoir apprécié la non‑application des accords pour chaque entreprise considérée individuellement.
408 La Commission nie avoir constaté dans la décision attaquée que la collusion en cause a conduit à des hausses de prix effectives. Elle considère que le fait que la participation des requérantes à la coordination des prix a été établie suffit pour rejeter leur argument tiré de la non-application des arrangements en cause.
409 Il convient d’observer que cet argument de la Commission ne saurait être retenu. En effet, bien que la seule circonstance qu’une entreprise ne donne pas suite aux arrangements illicites ne soit pas de nature à écarter sa responsabilité, il s’agit néanmoins d’une circonstance devant être prise en compte, en tant que circonstance atténuante, dans le cadre de la détermination du montant de l’amende.
410 Néanmoins, en l’espèce, il y a lieu de retenir que, ainsi qu’il ressort des considérants 349 à 354 de la décision attaquée et ainsi qu’il a été confirmé dans le cadre de l’examen des cinquième et sixième moyens ci-dessus, l’infraction en cause a consisté en une entente complexe mise en œuvre par des accords et par des pratiques concertées s’inscrivant dans un plan commun du cartel appliqué pendant une longue période et ayant pour objectif le maintien du statu quo et la minimisation de la concurrence. Ses participants ont coordonné les prix et les hausses de prix de la bière aux Pays-Bas, notamment dans le segment de l’« horeca », en limitant les réductions, dans le segment de la consommation à domicile, ainsi que les prix de la bière vendue sous marque de distributeur. La collusion a également comporté des concertations sur la répartition de la clientèle, tant du segment « horeca » que, en ce qui concerne la bière vendue sous marque de distributeur, du segment de la consommation à domicile. Les participants ont renforcé leur position vis-à-vis de leurs clients, à savoir les supermarchés dans le segment de la consommation à domicile et les points de vente dans le segment « horeca », en se consultant régulièrement et étroitement et en menant des négociations sur tous les aspects sensibles des paramètres de concurrence, en vue d’obtenir des hausses de prix ou du moins la stabilité des prix ainsi que de limiter le nombre et les effets des changements de brasseur effectués par les clients dans le segment de la consommation à domicile.
411 Compte tenu de l’existence de ce plan global, s’étant manifesté dans le cadre des réunions tenues secrètement, de propos délibéré, au cours d’une période considérable, les éléments présentés par les requérantes, tendant principalement à établir l’absence de hausses effectives des prix, ne suffisent pas à démontrer qu’elles se sont soustraites à l’application de l’ensemble de ces arrangements en cause ou, à tout le moins, qu’elles ont enfreint clairement et de manière considérable les obligations visant à les mettre en œuvre, au point d’avoir perturbé le fonctionnement même de l’entente.
412 S’agissant des prétendus indices du comportement concurrentiel dans les secteurs concernés, résultant des analyses économiques jointes à la requête, à savoir des déplacements dans les parts de marché, l’augmentation du volume des ristournes ainsi que les circonstances particulières caractérisant la structure du marché dans le secteur « horeca », à savoir l’existence de contrats de longue durée, il convient de relever que, même à supposer qu’ils soient établis, ces faits ne constituent pas des indices concrets des agissements concurrentiels susceptibles de perturber le fonctionnement même des arrangements collusoires décrits au point 410 ci-dessus et, partant, ne contredisent pas, en tant que tels, la mise en œuvre de l’entente en cause.
413 Enfin, dans la mesure où les requérantes se réfèrent à certaines indications quant à l’absence de mise en œuvre des accords en cause exprimées dans les déclarations de certains directeurs d’InBev, il suffit d’observer que ces indications se limitent à de simples allégations ne suffisant pas, en elles-mêmes, à démontrer que l’entente n’a pas été mise en œuvre ou que son fonctionnement a été perturbé.
414 Eu égard à ces considérations, il y a lieu de relever que les requérantes n’ont pas établi l’existence de circonstances susceptibles de justifier l’octroi du bénéfice de la circonstance atténuante tirée de la non-application des arrangements collusoires en cause.
415 Par conséquent, il convient de rejeter le neuvième moyen.
Sur le dixième moyen, tiré de l’incidence de la durée excessive de la procédure administrative sur le montant de l’amende
Arguments des parties
416 Les requérantes font valoir que la durée excessive de la procédure administrative a conduit à la fixation d’une amende plus élevée, procédant directement de l’augmentation du niveau des amendes infligées par la Commission par rapport à des périodes antérieures. Elles font notamment remarquer que, si une décision avait été prise dans un délai raisonnable, le montant de l’amende aurait été moins élevé.
417 La Commission conteste les arguments des requérantes.
Appréciation du Tribunal
418 Il ressort d’une jurisprudence constante que le fait que la Commission a appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées dans le règlement n° 1/2003, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique de concurrence, mais que, au contraire, l’application efficace des règles de concurrence exige que la Commission puisse, à tout moment, adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique (arrêts Musique Diffusion française e.a./Commission, point 367 supra, point 109, et Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 314 supra, point 169).
419 Compte tenu de cette jurisprudence, un requérant ne saurait valablement soutenir que sa sanction aurait pu être moins élevée si la Commission avait mis fin à la procédure administrative plus tôt, étant donné qu’elle a augmenté le niveau général des sanctions au cours de la procédure administrative (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 8 juillet 2008, Knauf Gips/Commission, T‑52/03, non publié au Recueil, point 486).
420 Eu égard à ces considérations, la durée de la procédure administrative, bien qu’elle ait été excessive, ne saurait être considérée comme ayant une incidence sur le contenu de la décision attaquée, du seul fait que la Commission a augmenté entre‑temps le niveau des amendes.
421 Dès lors, en l’espèce, bien que la Commission ait admis, lors de l’audience, qu’elle a augmenté le niveau général des amendes vers l’année 2005, à savoir pendant la procédure administrative en cause, ce fait ne saurait être pris en compte dans le cadre de l’appréciation de l’incidence du non-respect du principe du délai raisonnable sur le contenu de la décision attaquée.
422 Par conséquent, le dixième moyen ne saurait être accueilli.
Sur le onzième moyen, concernant le niveau de réduction de l’amende accordée au titre de la durée excessive de la procédure administrative
Arguments des parties
423 Les requérantes font valoir que la réduction de l’amende, de 100 000 euros, accordée par la Commission au titre de la durée excessive de la procédure administrative est trop limitée par rapport au montant de l’amende infligée.
424 La Commission indique avoir fait usage de la possibilité d’accorder, de sa propre initiative, une réduction de l’amende, s’agissant d’une de ses prérogatives, pour laquelle elle dispose d’un large pouvoir d’appréciation. Les requérantes n’auraient avancé aucun argument qui justifierait une réduction supplémentaire.
Appréciation du Tribunal
425 Il y a lieu de relever qu’une irrégularité de procédure, même si elle n’est pas susceptible d’aboutir à l’annulation de la décision, peut justifier une réduction de l’amende (voir, en ce sens, arrêts Baustahlgewebe/Commission, point 48 supra, points 26 à 48, et Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied et Technische Unie/Commission, point 245 supra, points 436 à 438).
426 Le dépassement du délai raisonnable est susceptible de fonder la décision de la Commission de réduire en équité le montant d’une amende, la possibilité d’accorder une telle réduction s’inscrivant dans le cadre de l’exercice de ses prérogatives (voir, en ce sens, arrêt Technische Unie/Commission, point 286 supra, points 202 à 204).
427 En l’espèce, la Commission a décidé d’accorder aux requérantes une réduction de l’amende au titre de la durée « déraisonnable » de la procédure administrative (considérants 498 et 499 de la décision attaquée).
428 L’exercice de cette prérogative par la Commission n’empêche pas le Tribunal, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, d’accorder une réduction supplémentaire du montant de l’amende.
429 Or, il y a lieu de considérer que la réduction forfaitaire de 100 000 euros, accordée par la Commission, ne tient aucunement compte du montant de l’amende infligée en l’espèce, s’élevant avant cette réduction à 219 375 000 euros, et, partant, ne constitue pas une réduction de la sanction susceptible de redresser de manière adéquate la violation résultant du dépassement du délai raisonnable de la procédure administrative.
430 À cet égard, les requérantes font valoir, à juste titre, que les conséquences de la violation du principe du délai raisonnable n’ont pas été suffisamment prises en compte par la Commission, en ce qui concerne la réduction du montant de l’amende.
431 S’agissant du niveau adéquat de la réduction de la sanction, il convient néanmoins de rejeter l’argument des requérantes, invoqué pour la première fois dans le mémoire en réplique, selon lequel, dès lors que la violation du principe du délai raisonnable constitue un fait dommageable au regard de l’article 288, deuxième alinéa, CE, le montant du dommage doit être pris en compte dans le cadre de la réduction de l’amende.
432 En effet, la réduction de la sanction en l’espèce a pour objet de redresser la violation du principe du délai raisonnable et doit, dès lors, être déterminée à un niveau adéquat au regard de la sanction infligée aux requérantes. Il n’en reste pas moins que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, cette réduction s’opère en équité et ne doit pas être précédée d’un examen des conditions relatives à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE.
433 Dès lors, les requérantes n’ayant pas, dans la requête ni d’ailleurs dans le mémoire en réplique, formulé des conclusions en indemnité, il n’y a pas lieu de se prononcer sur leur argument tiré du montant du prétendu dommage, invoquant une évaluation hypothétique du montant de l’amende qui leur aurait été infligée si la Commission avait mis fin à la procédure dans un délai raisonnable, ni sur leur argument tiré de l’existence d’un lien de causalité entre la violation du principe du délai raisonnable et ledit dommage.
434 Compte tenu des circonstances de l’espèce, le Tribunal estime, dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, que, afin d’accorder aux requérantes une satisfaction équitable en raison de la durée excessive de la procédure, la réduction en cause doit être portée à 5 % du montant de l’amende.
Conclusion sur l’amende
435 À la suite de l’examen des moyens soulevés par les requérantes et de l’exercice par le Tribunal de sa compétence de pleine juridiction, il y a lieu de réformer le montant de l’amende infligée, conjointement et solidairement, aux requérantes, d’une part, en fixant le montant de départ à 61 750 000 euros, au lieu de 65 000 000 euros, en conséquence de l’annulation de l’article 1er de la décision attaquée dans la mesure où il retient la composante de l’infraction consistant en la coordination occasionnelle des conditions commerciales, autres que des prix, offertes aux consommateurs individuels dans le secteur « horeca » aux Pays-Bas (voir points 201 et 202 ci-dessus), et, d’autre part, en portant la réduction opérée au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure à 5 % du montant final de l’amende, au lieu de 100 000 euros (voir point 434 ci-dessus).
436 En conséquence de cette réformation, le montant de l’amende est calculé en multipliant par 2,5, au titre de l’effet dissuasif, le montant de départ réformé, en l’augmentant ensuite de 35 % au titre de la durée de l’infraction, et en réduisant de 5 %, au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure, ce montant. Par conséquent, le montant de l’amende infligée solidairement aux requérantes est fixé à 197 985 937,5 euros.
Sur les dépens
437 Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.
438 En l’espèce, les conclusions des requérantes ayant été déclarées partiellement fondées, le Tribunal estime qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en décidant que les requérantes supporteront deux tiers de leurs propres dépens ainsi que de ceux exposés par la Commission et que cette dernière supportera un tiers de ses propres dépens ainsi que de ceux exposés par les requérantes.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) L’article 1er de la décision C (2007) 1697 de la Commission, du 18 avril 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] (affaire COMP/B/37.766 – Marché néerlandais de la bière), est annulé pour autant que la Commission européenne y a constaté qu’Heineken NV et Heineken Nederland BV ont participé à une infraction consistant en la coordination occasionnelle de conditions commerciales, autres que des prix, offertes aux consommateurs individuels dans le secteur « horeca » aux Pays‑Bas.
2) Le montant de l’amende infligée solidairement à Heineken et à Heineken Nederland à l’article 3, sous a), de la décision C (2007) 1697 est fixé à 197 985 937,5 euros.
3) Le recours est rejeté pour le surplus.
4) Heineken et Heineken Nederland supporteront deux tiers de leurs propres dépens ainsi que de ceux de la Commission européenne.
5) La Commission supportera un tiers de ses propres dépens ainsi que de ceux d’Heineken et d’Heineken Nederland.
Vadapalas |
Dittrich |
Truchot |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 juin 2011.
Table des matières
Faits à l’origine du litige
Procédure administrative
Décision attaquée
Infraction en cause
Amende infligée aux requérantes
Procédure et conclusions des parties
En droit
Sur les cinquième et sixième moyens, tirés, respectivement, de l’insuffisance des éléments de preuve de l’infraction et de l’absence d’accords et/ou de pratiques concertées au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
– Sur la déclaration d’InBev
– Sur d’autres éléments de preuve
– Sur les éléments factuels relatifs aux constatations, d’une part, d’une coordination des prix et des hausses de prix de la bière et, d’autre part, d’une coordination occasionnelle sur la répartition de la clientèle
– Sur les éléments factuels relatifs à la constatation d’une coordination occasionnelle d’autres conditions commerciales offertes aux clients individuels dans le secteur « horeca »
– Sur la prétendue erreur de droit et de qualification des faits
– Conclusion
Sur le septième moyen, concernant la durée de l’infraction
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
– Sur la détermination de la date de début de l’infraction
– Sur la détermination de la date de cessation de l’infraction
Sur le premier moyen, tiré de la violation du principe de bonne administration et de l’article 27 du règlement nº 1/2003, en ce qui concerne le refus d’accès aux réponses à la communication des griefs données par d’autres entreprises concernées
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
Sur le deuxième moyen, tiré de la violation du principe de bonne administration, du « principe de soin » et du principe du contradictoire, résultant d’un prétendu défaut d’enquête soigneuse et impartiale
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
Sur le troisième moyen, tiré de la violation de la présomption d’innocence
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
Sur le quatrième moyen, tiré de la violation du délai raisonnable
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
– Sur la durée de la procédure administrative
– Sur l’incidence de la durée excessive de la procédure administrative sur la légalité de la décision attaquée
Sur le huitième moyen, tiré de la violation de l’article 23, paragraphe 3, du règlement nº 1/2003, des lignes directrices, des principes d’égalité de traitement, de sécurité juridique, de proportionnalité et « du caractère raisonnable » ainsi que de l’obligation de motivation, concernant la détermination du montant de l’amende
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
– Sur la première branche, concernant l’appréciation de la gravité de l’infraction
– Sur la deuxième branche, concernant la détermination du montant de départ et l’application du traitement différencié
– Sur la troisième branche, concernant la majoration au titre de l’effet dissuasif
– Sur la quatrième branche, concernant la majoration au titre de la durée de l’infraction
– Sur la prétendue violation du principe de sécurité juridique
Sur le neuvième moyen, concernant l’absence de prise en considération de circonstances atténuantes
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
Sur le dixième moyen, tiré de l’incidence de la durée excessive de la procédure administrative sur le montant de l’amende
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
Sur le onzième moyen, concernant le niveau de réduction de l’amende accordée au titre de la durée excessive de la procédure administrative
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
Conclusion sur l’amende
Sur les dépens
* Langue de procédure : le néerlandais.