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Document 52010AE0978

Avis du Comité économique et social européen sur le thème «Pauvreté et bien-être chez les enfants» (avis exploratoire)

OJ C 44, 11.2.2011, p. 34–39 (BG, ES, CS, DA, DE, ET, EL, EN, FR, IT, LV, LT, HU, MT, NL, PL, PT, RO, SK, SL, FI, SV)

11.2.2011   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 44/34


Avis du Comité économique et social européen sur le thème «Pauvreté et bien-être chez les enfants» (avis exploratoire)

2011/C 44/06

Rapporteure générale: Mme KING

Dans une lettre en date du 28 avril 2010, Mme Laurette ONKELINX, vice-première ministre et ministre des affaires sociales et de la santé publique du gouvernement belge, a demandé au Comité économique et social européen d'élaborer, au titre de l'article 304 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, d'élaborer un avis exploratoire sur le thème:

«Pauvreté et bien-être chez les enfants».

Le 25 mai 2010, le Bureau du Comité a chargé la section spécialisée section spécialisée «Emploi, affaires sociales, citoyenneté» de préparer les travaux du Comité en la matière.

Compte tenu de l'urgence des travaux, le Comité économique et social européen a décidé, au cours de sa 464e session plénière, des 14 et 15 juillet 2010 (séance du 14 juillet 2010), de nommer Mme KING rapporteure générale et a adopté le présent avis par 113 voix pour, 6 voix contre et 14 abstentions.

1.   Conclusions et recommandations

1.1   La pauvreté est un risque qui touche aujourd'hui 20 millions d'enfants dans l'UE. Le pourcentage de ceux qui vivent cette situation excède même celui des adultes (20 %, contre 16 %) et on s'attend à ce que la crise économique en précipite davantage encore sous le seuil de pauvreté. Que la pauvreté existe parmi ceux qui vivent au sein de l'UE constitue la preuve même que leurs droits les plus fondamentaux leur sont déniés.

1.2   L'inaction face à la pauvreté infantile produira des effets délétères pour la prospérité future de l'Union européenne. La réalisation de la stratégie UE 2020 est tributaire de l'existence d'une jeune génération formée, en bonne santé et porteuse d'un espoir. L'existence d'un tel nombre d'enfants exposés au risque de la pauvreté et l'ampleur de la transmission intergénérationnelle de cet état témoignent cruellement de l'échec des politiques actuelles qui, dans l'UE, ambitionnent de protéger les membres les plus vulnérables de la société.

1.3   La pauvreté et le bien-être de l'enfance constituent une problématique à multiples facettes; des conclusions de nombreuses études, il ressort qu'elle est alimentée par toute une série de facteurs, parmi lesquels on trouve notamment le dénuement matériel, les lacunes dans l'accès aux services élémentaires de soins de santé, la question du logement décent et celle de l'éducation. D'une manière générale, on conçoit que ces paramètres sont corrélés et interdépendants et que les solutions à y apporter devraient dès lors refléter cette imbrication.

1.4   La pauvreté et les privations qui affectent les enfants empêchent des millions d'entre eux de débuter de manière optimale dans l'existence et contribuent grandement à inhiber le développement de leur personnalité. Très souvent, l'intervention menée aux stades précoces de la vie des enfants est susceptible d'avoir des répercussions positives pour le reste de leur existence. Il est capital de développer des politiques adéquates qui leur assurent à tous, en particulier à ceux qui vivent dans les segments les plus marginalisés de la population, une chance d'exploiter pleinement leur potentiel et d'apporter ainsi une contribution bénéfique pour l'avenir.

1.5   En cette Année de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, le Comité salue l'engagement politique que le Conseil a manifesté en décidant que la réduction de la pauvreté constituerait l'un des cinq grands objectifs que l'UE doit atteindre d'ici 2020; en l'occurrence, «le nombre d’Européens vivant en dessous des seuils de pauvreté nationaux doit être réduit de 25 % afin de permettre à 20 millions de personnes de sortir de cette situation» (1).

1.6   Le Comité est toutefois déçu de constater l'absence d'un objectif qui viserait spécifiquement à réduire la pauvreté de l'enfant et accroître son bien-être, étant donné depuis l'an 2000, ce thème a bénéficié d'une attention politique et suscité toute une série d'initiatives, au niveau de l'UE comme des États membres.

1.7   Le Comité se félicite que l'une des sept initiatives-phares consistera en une plate-forme européenne contre la pauvreté, qui visera à «garantir une cohésion sociale et territoriale telle que les avantages de la croissance et de l'emploi sont largement partagés et que les personnes en situation de pauvreté et d'exclusion sociale se voient donner les moyens de vivre dans la dignité et de participer activement à la société».

1.8   Le Comité préconise avec force que cette plate-forme serve de cadre à la lutte qui sera menée pour éradiquer la pauvreté des enfants et accroître leur bien-être, grâce au développement de démarches multidimensionnelles, axées sur eux, sous-tendues par le respect de leurs droits et appuyées sur des objectifs qui les ciblent spécifiquement, eux et les familles dans lesquelles ils vivent.

1.9   Le réseau européen des experts indépendants dans le domaine de l'inclusion sociale a dégagé quatre groupes spécifiques d'enfants hautement exposés au risque de la grande pauvreté, à savoir:

i.

les enfants qui vivent en institutions ou en sortent, ceux des rues, ceux qui sont victimes d'abus, de mauvais traitements ou de négligences, ont des parents souffrant de problèmes de santé mentale, sont placés en institutions, n'ont pas de domicile ou sont victimes de violences domestiques ou de trafics,

ii.

ceux qui sont affectés de handicaps, proviennent de minorités ethniques, appartiennent à la communauté des Roms ou sont demandeurs d'asile ou immigrants,

iii.

ceux qui vivent dans des zones rurales très démunies et enclavées, dépourvues en bonne partie des équipements de base, ou dans de grands ensembles en périphérie des agglomérations les plus importantes.

1.10   La Charte des droits fondamentaux de l'UE comporte des dispositions sur les droits de l'enfant, qui lui enjoignent énergiquement d'assurer leur subsistance, leur protection et leur développement. Il conviendrait que ces catégories d'enfants vulnérables disposent d'indicateurs et objectifs spécifiques au sein de la Plate-forme européenne contre la pauvreté.

1.11   Le Comité appuie l'appel lancé en faveur d'une recommandation de la Commission sur la pauvreté et le bien-être des enfants qui fixerait les visées et objectifs essentiels de l'action en la matière et établirait un cadre pour effectuer en permanence un suivi, des échanges, des recherches et des évaluations par les pairs afin de contribuer à atteindre ce but fixé par la stratégie UE 2020.

2.   Historique

2.1   Depuis l'an 2000, la problématique de la pauvreté et de l'exclusion sociale touchant l'enfance est devenue une composante de plus en plus importante de la méthode ouverte de coordination en matière sociale. Sur la période de 2002 à 2004, chacun des rapports conjoints sur la protection sociale et l'inclusion sociale en a souligné la portée capitale. Les chefs d'État ont affirmé qu'il est nécessaire «de prendre les mesures nécessaires pour réduire rapidement et sensiblement la pauvreté touchant les enfants, en donnant à tous des chances égales, quelle que soit leur origine sociale» (2).

2.2   En 2005, la présidence luxembourgeoise de l'UE a lancé l'initiative «Renforcer le processus communautaire d'inclusion sociale», qui a plaidé explicitement pour que la problématique de l'enfance soit intégrée dans l'ensemble des politiques et qu'au niveau européen, un indicateur au moins soit adopté en rapport avec le bien-être de l'enfant. En 2006, la communication de la Commission européenne sur les droits de l'enfant a donné un relief particulier au dossier de l'intégration sociale des enfants et au rôle du processus européen d'intégration sociale. Un groupe de travail sur la pauvreté et le bien-être des enfants dans l'Union européenne a élaboré un rapport analytique et des recommandations qui ont été adoptés officiellement en janvier 2008. Fin 2009, le document de travail de la Commission sur la stratégie Europe 2020 a reconnu dans la pauvreté des enfants et leur exclusion sociale l'un des défis sociaux qui se posent sur le long terme à l'Union européenne et que la crise financière et économique n'a fait qu'exacerber. En mars 2010, un groupe placé sous la houlette de l'Institut Tárki de recherche sociale a rédigé pour la Commission européenne un rapport circonstancié sur le thème «Pauvreté et bien-être de l'enfant dans l'Union européenne».

2.3   En 2009, le traité de Lisbonne a repris parmi les objectifs explicites de l'UE la promotion des droits de l'enfant. Lors de la conférence de lancement de 2010 - Année européenne de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, le président de la Commission, M. Barroso s'est exprimé en ces termes: «Nous devons faire reculer le taux de risque de pauvreté d'ici à 2020 pour l'ensemble de la population, en particulier pour les enfants et les personnes âgées. Car les chiffres actuels sont intolérables.» La Belgique, qui assure la présidence de l'UE au second semestre de 2010, a donné à la lutte contre la pauvreté des enfants et à la promotion de leur bien-être une place éminente, en rangeant ces problématiques parmi ses priorités essentielles.

3.   La pauvreté et le bien-être de l'enfance dans l'UE

3.1   L'enfant pauvre

3.1.1   La pauvreté et le bien-être de l'enfance constituent des défis majeurs dans toute l'Union européenne. L'ampleur et la gravité du problème varient d'un pays à l'autre, voire d'une région à l'autre dans beaucoup d'États membres. Ainsi, les données de l'édition 2007 de l'enquête de l'Union européenne sur le revenu et les conditions de vie (EU-SILC) permettent de dégager les conclusions suivantes (3):

dans l'UE, 20 % des enfants sont exposés au risque de pauvreté (4), contre 16 % pour l'ensemble de ses habitants. Ce danger accru est attesté dans tous les pays, exception faite de Chypre, du Danemark, de l'Estonie, de la Finlande, de l'Allemagne et de la Slovénie – en Lettonie, il est équivalent à celui de la moyenne générale de l'ensemble de la population. Il atteint un pic de 30 à 33 % dans deux États membres, la Bulgarie et la Roumanie, et se situe dans une fourchette de 23 à 25 % pour cinq autres (Espagne, Grèce, Italie, Pologne et Royaume-Uni), alors qu'il n'est que de 10 à 12 % dans cinq autres également (Chypre, Danemark, Finlande, Slovénie et Suède).

Il est primordial de croiser ces données avec celles qui concernent l'écart national de risque de pauvreté (5), qui mesure «à quel point» les enfants pauvres le sont, c'est-à-dire la gravité du risque de pauvreté infantile. Il s'échelonne de 13 % en Finlande et 15 % en France à 40 % en Roumanie et 44 % en Bulgarie. Dans la plupart des États membres, le risque de pauvreté tend à augmenter à mesure que l'enfant avance en âge.

Lorsqu'on étudie la pauvreté monétaire, un autre paramètre essentiel à prendre en considération est celui de sa durée, en d'autres termes l'étendue de la période durant laquelle les enfants vivent sous le seuil du risque de pauvreté. Comme le souligne le rapport de l'Institut Tárki, «si l'indication du risque de pauvreté auquel les enfants sont soumis tel ou tel an donne une certaine idée du danger de dénuement et d'exclusion sociale qu'ils doivent affronter, cette menace est nettement plus sérieuse si c'est depuis plusieurs années que leur revenu se situe sous ce niveau». Dans le cas des vingt États membres pour lesquels les données de l'enquête EU-SILC sont disponibles, ledit rapport montre que le pourcentage d'enfants vivant dans des ménages qui ont été exposés au risque de pauvreté pour chacune des années de la période 2005-2007 fluctue entre un minimum de 4 à 6 % (Autriche, Chypre, Finlande, Slovénie et Suède) et un maximum de 13 à 16 % (Italie, Lituanie, Luxembourg, Pologne et Portugal).

3.2   Privations matérielles

3.2.1   La définition que donne l'UE des enfants exposés au risque de pauvreté repose sur le nombre de ceux qui vivent dans des familles à faibles revenus. Tout importante qu'elle soit, cette donnée n'est pas suffisante, car elle ne couvre pas tous les éléments dont ils ont besoin pour bien démarrer dans la vie. Ils peuvent aussi habiter dans des logements qui ne répondent pas aux normes, voire ne pas avoir où se loger, vivre dans des quartiers en déshérence, devoir s'accommoder de taux élevés de criminalité, d'une santé dégradée, d'une piètre alimentation, de risques accrus d'accidents et de blessures, de mauvais traitements ou brimades plus fréquents, d'un accès restreint en ce qui concerne les services d'accueil ou limité pour ce qui est des prestations sociofamiliales, d'un handicap de départ vis-à-vis de l'enseignement et d'options éducatives de moindre qualité, ou encore de possibilités réduites, quant elles ne sont pas tout simplement inexistantes, d'accéder aux plaines de jeux, aux installations de sport et de détente et aux activités culturelles. Certains butent sur plusieurs de ces obstacles, qui, en s'accumulant, peuvent se combiner et se renforcer, aboutissant ainsi à alourdir l'épreuve de la pauvreté et de l'exclusion sociale qu'ils vivent et à favoriser leur transmissibilité intergénérationnelle.

3.2.2   Pour l'ensemble des enfants vivant dans l'UE, le taux de privations matérielles se situe à un niveau identique au risque de pauvreté qui les affecte (20 %). Par rapport à ce dernier, l'occurrence de ces privations connaît toutefois des variations plus importantes d'un pays à l'autre, puisqu'elles partent de 4 à 10 % (en Espagne, au Luxembourg, aux Pays-Bas et dans les trois pays scandinaves) pour atteindre entre 39 et 43 % en Hongrie, en Lettonie et en Pologne, et culminer à 57 % en Roumanie et 72 % en Bulgarie, alors qu'en comparaison, le risque de pauvreté ne fluctue qu'entre 10 et 33 %. Cette forte disparité en ce qui concerne les privations matérielles reflète les écarts dans les niveaux de vie moyens entre les États membres, ainsi que la manière dont ils se répartissent en leur sein même.

3.2.3   Le taux de privations matérielles atteint quant à lui un pourcentage de 46 %, avec des divergences notables, qui partent d'une fourchette de 18 à 28 % au Danemark, en Espagne, au Luxembourg, aux Pays-Bas et en Suède et montent jusqu'à 72 à 96 % dans le cas de la Bulgarie, de la Hongrie, de la Lettonie et de la Roumanie. Chez les enfants situés au-dessus du seuil de risque de pauvreté, le taux moyen de privations matérielles s'établit, pour l'UE dans son ensemble, à 13 % et l'on note à nouveau de très fortes variations nationales, avec une tranche minimale de 1 à 6 % (Danemark, Espagne, Luxembourg, Pays-Bas, Suède) et maximale de 35 à 62 % (Bulgarie, Hongrie, Lituanie, Roumanie)

3.2.4   Le Comité recommande que les taux nationaux de risque de pauvreté, les seuils de ce risque et les taux nationaux de privations matérielles soient repris parmi les indicateurs.

3.3   Les enfants les plus vulnérables

3.3.1   Parents isolés et grandes familles

3.3.1.1   Les enfants qui vivent avec des parents isolés ou dans des familles étendues courent un risque plus élevé dans pratiquement tous les pays de l'UE. Les données fournies par l'édition 2007 de l'enquête EU-SILC montrent qu'au niveau de l'UE, 34 % de ceux qui sont élevés dans des familles monoparentales risquent la pauvreté, cette proportion connaissant des variations: de 17 à 24 % au Danemark, en Finlande et en Suède, elle monte à un niveau de 40 à 45 % en Estonie, en Irlande, au Luxembourg, en Roumanie et au Royaume-Uni, voire de 54 % à Malte. Pour les enfants de familles étendues (c'est-à-dire de ménages où, en plus de deux adultes, ils sont au moins trois), le risque de pauvreté est de 25 % pour l'UE en général, le spectre allant des 12 à 15 % de l'Allemagne de la Finlande, de la Suède, du Danemark et de la Slovénie aux 41 à 55 % attestés en Italie, en Lettonie, au Portugal et en Roumanie, avec une pointe atteignant 71 % pour la Bulgarie.

3.3.2   Ménages sans emploi

3.3.2.1   En 2007, l'enquête sur les forces de travail (EFT) a montré que 9,4 % des enfants vivent dans des ménages sans emploi, cette part variant d'un niveau compris entre 2,2 et 3,9 %, à Chypre, en Grèce, au Luxembourg et en Slovénie, à un maximum de 16,7 % au Royaume-Uni, en passant par 12 % en Belgique, 12,8 % en Bulgarie et 13,9 % en Hongrie (6). Ces enfants subissent un risque de pauvreté extrêmement élevé, de 70 % en moyenne, le minimum étant de 47 à 49 %, au Danemark et en Finlande, et le maximum (81 à 90 %) en Bulgarie, en Estonie, en Lituanie, au Portugal, en République tchèque, en Roumanie et en Slovaquie.

3.3.2.2   Pour ce qui est des privations matérielles, vivre dans un ménage dont aucun membre n'occupe d'emploi rémunéré aura probablement un effet significatif sur les conditions de vie des enfants, tant actuelles que futures. Le non-emploi soulève la question d'éventuels problèmes financiers mais en outre, que la famille d'un enfant ne compte pas d'adulte au travail peut restreindre les capacités dont il dispose ou disposera pour participer pleinement à la société.

3.3.3   Les enfants soumis à un risque extrême de pauvreté

3.3.3.1   Le réseau européen des experts indépendants dans le domaine de l'inclusion sociale a mis en évidence des groupes spécifiques d'enfants hautement exposés au risque de la grande pauvreté. Ce point ressort tout particulièrement dans les différents plans d'action nationaux des États membres en matière d'inclusion (PNAI), ainsi que dans divers projets d'échanges transnationaux. Parmi ces catégories, on trouve les enfants qui sont affectés de handicaps, proviennent de minorité ethnique (les Roms en particulier), sont de jeunes demandeurs d'asile ou immigrants, constituent des victimes d'abus, de mauvais traitements ou de négligences, ont des parents souffrant de problèmes de santé mentale, sont placés en institutions, n'ont pas de domicile ou sont victimes de violences domestiques ou de trafics, ou encore qui vivent dans des zones rurales très démunies et enclavées, dépourvues en bonne partie des équipements de base, ou dans de grands ensembles en périphérie des agglomérations les plus importantes (7). L'analyse de l'UE effectuée en 2007 fait apparaître que la situation des enfants de familles d'immigrés et de certaines minorités ethniques suscite des inquiétudes croissantes dans les États membres plus anciens.

3.4   Effet à long terme et pauvreté intergénérationnelle

3.4.1   L'effet à long terme

3.4.1.1   Un des grands thèmes développés dans les rapports conjoints sur la protection sociale et l'inclusion sociale est que grandir dans la pauvreté obère le développement personnel de l'enfant et produit des conséquences à long terme pour son bien-être mais aussi pour celui de l'adulte qu'il deviendra et pour l'état de santé qui sera alors le sien. Un enfant pauvre court davantage de risques de l'être aussi une fois adulte et de connaître alors le chômage et l'exclusion sociale. L'édition 2007 de ce rapport a attiré l'attention sur ces répercussions à long terme, en concluant que «par rapport à leurs homologues de milieux plus prospères, les enfants qui grandissent dans la pauvreté sont moins susceptibles de bien réussir leur scolarité, de bénéficier d'une bonne santé, de ne pas avoir de démêlés avec la justice pénale et, lorsqu'ils seront devenus de jeunes adultes, de se faire une place sur le marché de l'emploi et, plus largement, au sein de la société».

3.4.2   La pauvreté intergénérationnelle

3.4.2.1   Corrélé avec celui de l'effet à long terme, un autre thème récurrent est celui de l'ampleur avec laquelle la pauvreté se transmet d'une génération à l'autre. Cette transmission intergénérationnelle se marque tout particulièrement par rapport à l'enseignement dans un certain nombre de pays, parmi lesquels on retrouve aussi bien des États membres où les taux de pauvreté infantile sont élevés que d'autres où ils sont faibles. Le module de l'enquête UE-SILC de 2005 qui est consacré à cette transmissibilité entre générations des facteurs de désavantage a montré que les occasions de se former dont on a bénéficié durant l'enfance influent sur la probabilité d'être pauvre à l'âge adulte. Ainsi, l'enfant dont les parents ne possèdent de titres éducatifs qu'au niveau primaire court 23 fois plus de risques de ne décrocher aucune qualification officielle que s'ils avaient terminé l'enseignement du troisième niveau.

4.   Étalonnage, suivi et évaluation

4.1   Un défi majeur, auquel il convient d'être particulièrement attentif réside dans la nécessité de donner à l'étalonnage, au suivi et à l'évaluation sévères de l'action un rôle central et bien en vue, au niveau tant national qu'européen.

4.2   Dans cette optique, le Comité émet les recommandations suivantes:

établir un processus grâce auquel la Commission et les États membres étudieront les moyens de rendre les objectifs sociaux de l'UE plus visibles, mesurables et tangibles à l'échelle de l'Europe,

s'assurer qu'un suivi et des rapports rigoureux et réguliers soient réalisés à propos des progrès accomplis sur la voie de la concrétisation des objectifs européens et nationaux et de l'amélioration des performances, telles que mesurées dans le jeu d'indicateurs adoptés par l'Union,

veiller à l'organisation d'évaluations entre pairs, lesquels débattront des résultats de l'exercice de suivi dans le but de favoriser la diffusion de la connaissance des actions entre les États membres et la Commission,

instaurer une approche nettement plus rigoureuse en matière de suivi et d'évaluation, avec une insistance plus poussée sur les résultats, et obtenir l'assurance qu'une analyse critique indépendante soit effectuée à intervalles réguliers sur la réalisation des objectifs. Parmi les composantes essentielles de cette démarche, il pourrait être utile de faire figurer les éléments suivants:

incorporer plus systématiquement les indicateurs communs dans les cadres nationaux d'évaluation et d'analyse de chaque État membre, afin qu'ils apprennent davantage de leurs expériences mutuelles,

renforcer les capacités statistiques, au niveau européen, national et infranational et, en particulier, s'employer à ce que les statistiques sociales soient élaborées dans des délais plus appropriés, notamment pour ce qui concerne les données sur la pauvreté et le bien-être infantiles, de manière qu'il soit possible de mieux suivre l'impact de la crise financière et économique à travers l'UE,

exiger de tous les États membres qu'ils mettent en place des dispositifs pour associer les organisations de la société civile et les experts indépendants à un suivi et une évaluation des politiques d'inclusion sociale, qui seraient réalisés sur une base permanente.

5.   Création d'une plate-forme européenne contre la pauvreté

5.1   Le renforcement de la dimension sociale de l'UE et, plus spécifiquement, la réalisation des objectifs de la stratégie UE 2020 dépendront pour une part appréciable d'une des initiatives-phares proposées dans celle-ci, la «plate-forme européenne contre la pauvreté» (PEP).

5.2   Cette plate-forme doit devenir le symbole palpable de cette Europe sociale renouvelée. Elle devra assumer une mission capitale pour garantir que tous les autres champs de l'action européenne, comme celle menée dans les domaines de l'économie, de la concurrence, de l'éducation, des migrations, de la santé, de l'innovation ou de l'environnement, contribuent à concrétiser les visées sociales de l'Union, y compris son objectif de réduction de la pauvreté.

5.3   Une priorité essentielle consistera à intégrer dans l'ensemble des domaines d'action et programmes pertinents de l'UE, Fonds structurels inclus, les problématiques de la protection sociale adéquate, dont celles de la lutte contre la pauvreté des enfants, de la promotion de leur bien-être et de leurs droits. La plate-forme européenne contre la pauvreté doit assumer une mission essentielle dans l'action de suivi et de rapport concernant la mise en œuvre du processus d'évaluation de l'impact social et la mesure de la contribution que les autres volets de la stratégie Europe 2020 apportent à l'objectif de réduction de la pauvreté.

5.4   Améliorer les liens entre les objectifs de l'UE en matière d'inclusion sociale et de Fonds structurels

5.4.1   Il conviendrait de rapprocher beaucoup plus étroitement les objectifs de l'UE et des États membres en matière d'inclusion sociale, d'une part, et l'utilisation des Fonds structurels, d'autre part. Dans cet ordre d'idée, le recours à ceux-ci devrait devenir une composante essentielle des plans nationaux d'action pour l'inclusion. On peut citer pour exemple la proposition que la Commission a formulée en 2009, visant à autoriser l'utilisation du Fonds européen de développement régional (Feder) pour soutenir des interventions en matière de logement en faveur de communautés marginalisées vivant dans les États membres qui ont adhéré plus récemment. Cette possibilité pourrait avoir une fonction importante afin d'accroître les ressources disponibles pour des initiatives dans ce domaine.

6.   Recommandations du Comité

6.1   Engagement de l'UE pour traiter la question de la pauvreté et du bien-être de l'enfant

6.1.1   Eu égard aux objectifs généraux de la stratégie Europe 2020, il serait opportun de développer, en adoptant une approché fondée sur leurs droits, un cadre cohérent pour traiter des questions concernant la pauvreté des enfants et leur bien-être. Pour éradiquer la première et favoriser le second, il conviendrait de prévoir un objectif européen spécifique.

6.2   Des ressources adéquates

6.2.1   Il faudrait instaurer, pour les familles avec enfants, un revenu familial minimum, par le truchement de transferts financiers qui seraient fonction de la situation des parents sur le marché du travail. Il est également possible de recourir aux crédits d'impôt ou, éventuellement de manière combinée, à des allocations universelles en espèces pour assurer une aide pécuniaire à tous les enfants.

6.2.2   Il serait judicieux d'examiner plus avant la piste des allocations familiales universelles, qui constitueraient un instrument essentiel pour combattre la pauvreté infantile, si l'on considère que leur administration se caractérise par une efficacité globale, qu'elles n'induisent pas de stigmatisation sociale et qu'elles constituent une solution largement utilisée, si l'on en croit l'analyse effectuée en 2008 par le Comité de la protection sociale.

6.2.3   Dans la mesure où les enfants qui vivent dans des familles au chômage courent un risque de pauvreté très élevé, il s'impose d'instaurer un objectif visant à réduire l'écart de degré de pauvreté entre les ménages sans emploi et ceux qui font l'expérience des «travailleurs pauvres», afin de réduire l'intensité du dénuement subi par les enfants. L'emploi parental devrait être favorisé par des politiques actives du marché du travail et il y aurait lieu de fournir, dans des domaines comme la garde d'enfants, des services de qualité, implantés localement, accessibles et d'un coût abordable.

6.2.4   Des marchés du travail inclusifs devront offrir aux parents des emplois qualitativement valables. Pour leur donner la possibilité de passer plus de temps avec leurs enfants, il y a lieu de développer des politiques propices à la conciliation entre vie professionnelle et familiale.

6.2.5   Dans le cas des enfants qui vivent la pauvreté extrême, il est indispensable d'assurer l'égalité des chances pour tous, grâce à des politiques sociales bien conçues, et d'intensifier les efforts destinés à obtenir chez chaque élève des résultats éducatifs positifs, afin de briser le cercle vicieux par lequel la pauvreté et l'exclusion se transmettent de génération en génération. On se devra de renforcer les actions d'intégration et de lutte antidiscriminatoire, notamment en direction des immigrants et de leurs descendants, ainsi que des minorités ethniques.

6.3   La petite enfance

6.3.1   Le Comité appuie le réseau Eurochild lorsqu'il préconise d'élargir les services de garde en les organisant selon un concept fédérateur, qui regroupe des prestations allant du prénatal au préscolaire et soit ouvert à tous les enfants et toutes les familles. L'organisation fait valoir que les objectifs de Barcelone ignorent bien des bonnes pratiques touchant aux politiques de la petite enfance. Le Comité tient à relever que s'agissant de ces objectifs, le besoin se fait sentir de développer pour les services aux tout petits, notamment en matière de garderie et d'éducation, des «normes de qualité» qui soient communes à toute l'UE et qui, telles que dégagées par le Réseau sur les modes de garde des enfants institué par la Commission européenne, devraient influer sur le développement des politiques et pratiques nationales, y compris en ce qui concerne l'utilisation des Fonds structurels.

6.4   Santé

6.4.1   Le Comité recommande que le groupe de travail de l'UE sur les indicateurs de santé en développe certains en rapport avec les enfants, afin de suivre et d'évaluer les politiques de santé publique et leur incidence.

6.4.2   Il conviendrait également d'élaborer des indicateurs de santé mentale, en rapport avec le bien-être mental positif de l'enfant et ses troubles.

6.4.3   La communication de la Commission sur les inégalités en matière de santé, dont la publication est prévue pour 2012, devrait aborder la question de la santé de l'enfant.

6.5   Logement

6.5.1   Les États membres de l'UE devraient mettre en œuvre les engagements et les actions dont ils étaient convenus en mars 2010, lors de la cinquième Conférence ministérielle sur l'environnement et la santé, au titre du Plan d'action européen sur l'environnement et la santé des enfants.

6.5.2   La Commission européenne devrait s'accorder avec les États membres sur des orientations et un cadre communs de mesure, de suivi et de rapport concernant les sans-abri et les exclus du logement, en veillant tout particulièrement à la situation des enfants à cet égard.

6.5.3   La Commission européenne devrait continuer à soutenir et financer des initiatives pour aider les États membres et les pays candidats à fermer les institutions qui hébergent des enfants dans de mauvaises conditions et à développer en lieu et place des offres appropriées.

6.6   Protection contre la violence, les abus et l'exploitation

6.6.1   Avec toutes les parties concernées, la Commission européenne devrait examiner s'il est envisageable d'établir un jeu d'indicateurs concernant la violence, les abus et l'exploitation à l'encontre des enfants, qui couvrirait le domaine de la détection, de la protection, des poursuites et de la prévention, dans le fil des recommandations émises sur les indicateurs réalisée en 2009 pour l'Agence des droits fondamentaux.

6.6.2   Les États membres devraient développer des stratégies nationales pour la prévention et la protection de l'enfant face à toutes les formes de violence, en leur assignant des buts précis et des crédits budgétaires, ainsi que des mécanismes qui, au niveau local, donneraient aux enfants ou à d'autres personnes, la possibilité de dénoncer des cas de violence.

6.7   Mesures axées sur l'enfant

6.7.1   La Commission devrait renforcer ses liens avec l'initiative du Conseil de l'Europe «Construire une Europe pour et avec les enfants», qui met l'accent sur la participation des enfants.

6.7.2   Les jeux d'indicateurs relatifs aux revenus et aux privations matérielles qui existent déjà et ont été établis de commun accord devraient être étendus de manière à en inclure d'autres, axés sur l'enfant. Il est important qu'ils rendent compte des différentes étapes de son développement, en ce qu'ils traduiront les dimensions les plus pertinentes et couvriront toutes les tranches d'âge concernées. L'étude Tárki/Applica recommande de retenir comme classes d'âge les enfants 0 à 5 ans, de 6 à 11 ans et de 12 à 17 ans et de reprendre des problématiques telles que les revenus, les privations matérielles, l'éducation, le logement, la santé, l'exposition au risque et la participation sociale.

Bruxelles, le 14 juillet 2010.

Le président du Comité économique et social européen

Mario SEPI


(1)  Selon la définition de l'UE, les personnes en situation de «risque de pauvreté» sont celles qui vivent dans un ménage dont le revenu total, ramené en équivalent adulte, n'atteint pas 60 % de la valeur médiane nationale de ce revenu, l'échelle d'équivalence utilisée étant celle de l'OCDE modifiée.

(2)  Conseil européen de Bruxelles, 23 et 24 mars 2006, conclusions de la présidence, 7775/1/06 rev 1, par. 72.

(3)  Voir le site Internet d'Eurostat, l'Office statistique de l'Union européenne, à l'adresse http://epp.eurostat.ec.europa.eu/portal/page/portal/statistics/themes.

(4)  Est exposé au risque de pauvreté l'enfant qui vit dans un ménage «à risque de pauvreté», c'est-à-dire dont le revenu total ramené en équivalent-adulte se situe en dessous de 60 % du niveau médian national de ce revenu.

(5)  L'écart relatif médian au seuil de pauvreté (désigné ici comme l'«écart de risque de pauvreté») est calculé comme la différence entre la médiane du revenu équivalent net total des personnes en-dessous du seuil de risque de pauvreté et la valeur du seuil de risque de pauvreté; il est exprimé en pourcentage de ce seuil.

(6)  Voir le site Internet d'Eurostat, à l'adresse http://epp.eurostat.ec.europa.eu/portal/page/portal/statistics/themes.

(7)  Ce schéma apparaît encore renforcé dans le rapport 2007 du réseau européen des experts indépendants dans le domaine de l'inclusion sociale, qui aboutit à la conclusion que «dans un nombre significatif de pays, deux groupes se détachent comme étant extrêmement vulnérables au double risque de connaître une forte pauvreté et de faire l'expérience de l'exclusion sociale: ceux qui vivent dans des institutions ou en proviennent, et ceux des Roms. Il existe cependant bon nombre d'autres cas de figure qui se présentent fréquemment: enfants qui sont astreints au travail, qui sont victimes de violence, sexuellement abusés, soumis au trafic et aux addictions ou impliqués dans la délinquance, qui souffrent d'un handicap, qui sont des mineurs non accompagnés ou encore qui vivent dans des familles sans domicile fixe et dans la rue» (Frazer et Marlier, 2007).


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